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Hélène Romano
in Roland Coutanceau et al., Violences psychologiques
Dunod | « Psychothérapies »
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Hélène Romano
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D E LA NON - EXISTENCE LÉGALE
DU HARCÈLEMENT MORAL SUR MINEUR
« Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet
ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de
porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou
mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux
ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amendes. »
La loi ne prévoit en effet rien pour le harcèlement moral subit dans
un autre contexte (familial, éducatif) et il n’est pas davantage prévu
d’articles du Code pénal spécifiques au harcèlement moral en milieu
scolaire. Les enfants sont, ici, les grands oubliés du Code pénal.
Cette absence d’existence légale du harcèlement moral à l’encontre
des mineurs illustre le déni sociétal à l’encontre de ces violences
insidieuses si difficiles à prouver. Il s’explique également probablement
par le fait que la frontière entre rigueur éducative et conduite harcelante
n’est pas toujours si facile à affirmer. Comme pour toute violence psy-
chologique, la difficulté est ici de repérer cette maltraitance qui s’exerce
le plus souvent de façon sournoise dans le huis clos d’une famille, d’une
salle de classe ou d’un lieu d’entraînement. Les biais subjectifs sont
inévitables et les auteurs savent en abuser pour cautionner leurs actes
sous prétexte de références culturelles, religieuses ou/et familiales. Quant
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aux professionnels, ils hésitent à transmettre au judiciaire des éléments
subjectifs alors que la loi s’appuie sur des éléments factuels et objectifs.
P ROPOSITION DE DÉFINITION
Pour autant il nous semble important de proposer une définition du
harcèlement moral sur mineur ; préalable indispensable pour apporter
les repères nécessaires à la prise en charge de cette violence spécifique.
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Nous entendons donc le harcèlement moral sur mineur comme : tout acte
intentionnel répété et commis par un individu ou un groupe d’individus
sur un mineur, quel que soit son âge, au moyen de mots (insultes,
humiliations, menaces, moqueries), de gestes (agressions physiques,
atteintes sexuelles), d’écrans (cyberharcèlement) et/ou de dégradation
matérielle des biens personnels. Ces agissements hostiles réitérés, qui
relèvent de violences psychologiques, visent à blesser l’autre, à l’isoler et
à le détruire psychiquement par un climat entretenu de terreur psychique.
Le harcèlement moral conduit à de multiples conséquences somatiques,
psychiques, familiales, sociales et scolaires, susceptibles d’hypothéquer
durablement la vie de cet enfant ou de cet adolescent.
214 V IOLENCES PSYCHOLOGIQUES À L’ ÉCOLE
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« tu devrais avoir honte de ne pas réussir alors que j’ai fait tant de
sacrifices » ; « tu me gâches ma vie... » ; « c’est du temps gâché... » ;
« si j’avais su, il y en a tellement d’autres qui auraient aimé que l’on
s’occupe d’eux comme ça » ; « si tu ne m’écoutes pas tu n’arriverais
jamais à rien » ; « sans moi tu n’es rien » etc.) L’enfant est aussi envahi
de propos visant à le culpabiliser et à le rendre responsable de tous
les maux ressentis par l’adulte qui le harcèle et qui se positionne en
véritable victime.
Des attitudes : la violence de ces mots est majorée par le comporte-
ment hostile qui l’accompagne et qui se traduit par le regard (« un
regard noir » ; « un regard de tueur »), un visage fermé et certaines
fois par des gestes de menaces (« signe de coup de couteau au niveau
de la gorge » ; « ses poings serrés comme s’il voulait m’écraser » ;
« il se mettait à taper comme un fou dans le mur en disant que le mur
ça aurait pu être ma tête »). Le harcèlement moral peut être isolé à des
attitudes sans contact corporel direct ou s’accompagner d’un contexte
de violences physiques (tapes, bousculades, croche-pied, etc.) ; de
violences sexuelles (propos sexistes, « mains baladeuses », tentative
de baisser le pantalon dans les toilettes publiques, etc.) ; de violences
conjugales (enfant pris à partie dans le conflit et harcelé par l’un
des parents) ; de négligence intentionnelle (privation de nourriture si
l’enfant n’a pas réussi comme le souhaitait son parent ; enfermement
dans la chambre pour une durée indéterminée, etc.). Si ces actes étaient
Harcèlement moral sur mineur 215
isolés et uniques ils seraient déjà une violence mais n’auraient pas
cette dimension de harcèlement. Ce qui les connote comme tel, c’est
le fait qu’ils soient réitérés, dans une répétition incessante que rien ne
semble pouvoir suspendre.
Des silences : les auteurs ne répondent jamais aux demandes d’aide de
leur victime. Ils n’expriment à l’égard de leur victime qu’insatisfaction
constante, des attitudes inaffectives, faites de mépris, de dégoût ou
d’indifférence. Lorsque l’enfant s’effondre et pleure, ils ne réagissent
par aucune tentative de consolation mais s’en prennent bien davantage
à lui.
Des attaques matérielles : les affaires de l’enfant peuvent être des
objets utilisés par les auteurs pour blesser davantage de harcèle-
ments, en particulier son matériel scolaire (cartable, sac, trousse,
cahiers, livres), ses biens personnels (vêtements, montre, matériel
de sport, etc.). Ils sont sources de moquerie, de vol ou de dégradation
et attaqués comme autant de prolongements corporels de l’enfant à
qui ils appartiennent.
Du cyberharcèlement : les NTIC (nouvelles technologies de l’infor-
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mation et de la communication) conduisent à de nouvelles sources
possibles de harcèlement. Apparaît ainsi depuis quelques années le
cyberharcèlement qui consiste à harceler moralement l’autre soit
de façon directe (menaces, insultes, humiliation sur son téléphone
portable ou sur les réseaux sociaux), soit indirectement (propos à son
sujet divulgués sur la Toile). Ce type de violence a pour spécificité
d’être sans limite, puisque désormais le harcèlement est possible
24 heures sur 24. L’autre particularité est liée au fait que les auteurs
peuvent agir en leur nom ou de façon anonyme, créant un climat de
suspicion et de doutes quant à l’identité des responsables. Par exemple
Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Pour les mineurs comme pour les adultes harceleurs, le mode opéra-
toire est proche : ils procèdent sournoisement à travers des actes et des
attitudes visant à humilier et à s’assurer le contrôle de l’enfant. Dans
le huis clos de leur relation avec l’enfant-cible, ils créent un climat de
terreur, mais en dehors, ils peuvent présenter un autre visage et avoir une
tout autre attitude avec lui. Pour la majorité, ils savent se faire apprécier
de l’extérieur, apparaissent bardés de qualificatifs positifs et n’hésitent
pas à se rendre indispensables. Certains sont capables de complimenter
leur cible en public créant une confusion inévitable pour l’enfant qui,
face à ce double visage, ne sait plus quels repères avoir. L’auteur est sans
cesse insatisfait et ne manifeste qu’indifférence aux tentatives d’appel
de l’enfant victime qui n’a d’autres saluts pour survivre psychiquement
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que de s’adapter aux attentes de celui qui apparaît comme un véritable
bourreau psychique.
Les mots sont ici utilisés comme de véritables armes pour détruire
l’enfant. Celui-ci est progressivement isolé (au sein du milieu scolaire
ou du milieu familial) ; il n’a pas d’allié et ne peut espérer le moindre
secours de l’extérieur car l’auteur prend soin de lui interdire tout espace
psychique personnel qui lui permettait de penser que d’autres choses sont
possibles. Lorsque le processus de harcèlement dure, le simple regard de
l’auteur suffit pour terroriser l’enfant ou l’adolescent et le maintenir sous
son emprise.
Conséquences somatiques
Conséquences psychologiques
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viscences. L’enfant est sans cesse aux aguets, vit avec la peur constante
du danger imminent, ce qui conduit à d’importants troubles du sommeil,
à des difficultés dans les apprentissages en raison de problèmes au niveau
de l’attention et de la mémorisation. Les attitudes d’évitement ont les
mêmes conséquences et visent, quant à elle, à tenter de tenir à distance
les pensées liées à la situation où toutes les sensations susceptibles de la
rappeler.
L’hyperadaptation des enfants calqués aux desiderata paren-
taux conduit souvent à une première période d’apparente collusion aux
attentes imposées par leur bourreau mental, où les troubles repérables
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Conséquences familiales
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Si l’enfant harcelé est la seule victime, les liens fraternels sont le plus
souvent marqués par des conflits et de la violence. Alors que si plusieurs
enfants subissent le même contexte de harcèlement, les liens au sein de
la fratrie peuvent être des ressources essentielles pour résister.
N
Conséquences sociales
Conséquences scolaires
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un mode relationnel moins toxique, les expose à être à nouveau des cibles
de harcèlement. Ils sont progressivement moqués, jalousés, isolés, exclus
et au harcèlement subi en dehors, vient alors se surajouter celui du milieu
scolaire.
N
Conséquences durables
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commis par un pair.
La reconnaissance de l’auteur en différé : lorsque l’auteur du harcèle-
ment finit par comprendre la violence de ce qu’il a imposé à l’enfant
et les conséquences et lorsqu’il s’excuse auprès de lui et lui demande
pardon, cela participe à la restauration psychique de l’enfant.
D ISCUSSION
Pour grandir et se construire dans un lien de confiance suffisant
vis-à-vis de soi-même comme du monde extérieur, le petit d’homme
a besoin d’expérimenter la confiance en l’autre et tout particulièrement
en ses figures principales d’attachement que sont ses parents. Il a besoin
d’être reconnu en tant que sujet et de la qualité de cette reconnaissance
Harcèlement moral sur mineur 221
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narcissiques de son ou de ses parents, l’enfant victime de harcèlement
moral au sein de sa famille est sommé d’être un enfant gratifiant,
valorisant et soumis. S’il ne parvient pas à satisfaire les désirs parentaux
et à réparer leur identité fragilisée, il perd toute sa valeur, ne représente
plus aucune utilité pour leur dynamique psychique défaillante et se trouve
rejeté.
Comme toute violence psychologique le harcèlement moral est sou-
vent minimisé face aux violences sexuelles ou physiques. Or il blesse
intensément l’identité et l’intimité de l’enfant ou de l’adolescent qui
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silence car il comprend très vite que personne ne le croira et que sa
plainte sera impensable en raison de la réputation de celui qui le harcèle.
Parler, énoncer ou dénoncer est une quête inaccessible, ce qui permet
de comprendre que les plaintes directes de ces enfants sont exception-
nelles ; pour ceux qui parviennent à solliciter de l’aide, les tentatives
d’appel se font indirectement par des formulations évasives du type :
« ce n’est pas toujours facile avec mon père » ; « l’entraînement ne s’est
pas bien passé » ; « il y a des camarades qui m’embêtent » ou « je n’ai
plus envie d’aller au collège à pieds », etc. Les réponses des personnes
sollicitées sont alors maladroites et majorent la souffrance psychique
de l’enfant. Pour celui qui reçoit cet appel il peut être bien difficile de
comprendre ce qu’il sous-tend et plus simple de couper court à tout
échange en répondant sans même chercher à comprendre par :
Une fausse réassurance : « ce n’est pas grave, ça va aller », « ce sont
de choses qui arrivent », « c’est un “petit” incident », etc.
Une banalisation : « les relations fils/père, c’est toujours compli-
qué » ; « à l’adolescence c’est toujours compliqué » ; « c’est normal
de la part de parents/de professeur/d’entraîneur... », etc.
Un cautionnement de ce qui est décrit comme du harcèlement : « c’est
le rôle d’un coach » ; « c’est normal qu’un enseignant cadre les
choses », etc.
Harcèlement moral sur mineur 223
Les adultes oublient l’enfant qu’ils ont été et la part d’infans (« celui
qui ne parle pas ») restée en eux. S’ils s’en souvenaient ils sauraient
qu’un enfant qui se plaint est un enfant qui sollicite de l’aide. Lui
répondre sans essayer de comprendre ce qui sous-tend sa remarque c’est
prendre le risque de passer réellement à côté de lui et ne pas être cet
adulte « transitionnel » dont il a tant besoin ; à savoir celui par qui ça peut
parler. L’enfant n’est pas dupe ; s’il ne se sent pas reconnu par l’adulte
à qui il s’est confié il suspendra immédiatement toute sollicitation. La
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reformulation et la restauration de la subjectivité dans les termes utilisés
sont ici essentielles. Par exemple : « C’est important ce que tu me dis ;
par rapport à ce que je connais de ton parent, j’ai l’impression qu’il est
attentif à toi et qu’il est gentil ; mais certaines fois on ne sait pas tout, on
ne voit pas tout... est ce que tu pourrais m’expliquer un peu plus ce qui
t’embête le plus/ce qui est le plus difficile », etc.
Sans accès à la moindre reconnaissance de leur vécu traumatique,
sans repère pour acquérir et faire entendre leur propre réalité, ces enfants
s’effondrent psychiquement par des violences agies contre eux-mêmes ou
contre les autres. Cette violence témoigne de cette impasse langagière et
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C ONCLUSION
L’attention portée aux enfants et aux adolescents victimes de harcèle-
ment moral, nous rappelle combien un enfant ne peut exister seul, sans
la reconnaissance subjective de ses proches. Le harcèlement moral, est
une arme de destruction psychique massive dont les effets sont multiples
et peuvent s’inscrire dans la durée et handicaper durablement l’enfant
dans sa vie d’adulte. Si le repérage reste délicat, il ne saurait s’envisager
une reconnaissance des processus conduisant à cette violence, de la
dynamique relationnelle en jeu et de la pluralité de ses conséquences,
sans une approche pluridisciplinaire où parents, médecins, psychologues,
enseignants, éducateurs et certaines fois magistrats, permettront à cet
enfant de retrouver sa dignité et d’être respecté pour ce qu’il est, un sujet.
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