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CHAPITRE 19.

HARCÈLEMENT MORAL SUR MINEUR : LE POIDS


DES MOTS, LE CHOC DU SILENCE

Hélène Romano
in Roland Coutanceau et al., Violences psychologiques

Dunod | « Psychothérapies »

2014 | pages 212 à 224


ISBN 9782100712380
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/violences-psychologiques---page-212.htm
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Chapitre 19

Harcèlement moral sur mineur :


le poids des mots, le choc
du silence

Hélène Romano
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D E LA NON - EXISTENCE LÉGALE
DU HARCÈLEMENT MORAL SUR MINEUR

Parler du harcèlement moral des enfants pose d’emblée un premier


problème : celui de sa définition. Si l’étymologie de « harceler » se
trouve dans la référence à la herse, outil agricole qui malmène la terre
en la retournant, celle du terme harcèlement est plus étonnante. Ce
mot apparaît en effet initialement dans les descriptions éthologiques
faites en particulier au sujet du comportement d’animaux agressant
d’autres espèces, souvent plus imposantes, par des attitudes hostiles
et des attaques répétées. Et ce n’est que très récemment que le terme
de harcèlement s’est trouvé utilisé pour décrire un certain type de
comportements humains.
Se présente alors un second problème lié au fait qu’aucune définition
clinique officielle n’existe et que le harcèlement moral n’est envisagé par
le Code pénal que pour les adultes et uniquement à travers le prisme du
harcèlement au travail. L’article 222-32-2 du Code pénal modifié par la
loi n° 2012-954, le considère ainsi :
Harcèlement moral sur mineur 213

« Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet
ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de
porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou
mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux
ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amendes. »
La loi ne prévoit en effet rien pour le harcèlement moral subit dans
un autre contexte (familial, éducatif) et il n’est pas davantage prévu
d’articles du Code pénal spécifiques au harcèlement moral en milieu
scolaire. Les enfants sont, ici, les grands oubliés du Code pénal.
Cette absence d’existence légale du harcèlement moral à l’encontre
des mineurs illustre le déni sociétal à l’encontre de ces violences
insidieuses si difficiles à prouver. Il s’explique également probablement
par le fait que la frontière entre rigueur éducative et conduite harcelante
n’est pas toujours si facile à affirmer. Comme pour toute violence psy-
chologique, la difficulté est ici de repérer cette maltraitance qui s’exerce
le plus souvent de façon sournoise dans le huis clos d’une famille, d’une
salle de classe ou d’un lieu d’entraînement. Les biais subjectifs sont
inévitables et les auteurs savent en abuser pour cautionner leurs actes
sous prétexte de références culturelles, religieuses ou/et familiales. Quant
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aux professionnels, ils hésitent à transmettre au judiciaire des éléments
subjectifs alors que la loi s’appuie sur des éléments factuels et objectifs.

P ROPOSITION DE DÉFINITION
Pour autant il nous semble important de proposer une définition du
harcèlement moral sur mineur ; préalable indispensable pour apporter
les repères nécessaires à la prise en charge de cette violence spécifique.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Nous entendons donc le harcèlement moral sur mineur comme : tout acte
intentionnel répété et commis par un individu ou un groupe d’individus
sur un mineur, quel que soit son âge, au moyen de mots (insultes,
humiliations, menaces, moqueries), de gestes (agressions physiques,
atteintes sexuelles), d’écrans (cyberharcèlement) et/ou de dégradation
matérielle des biens personnels. Ces agissements hostiles réitérés, qui
relèvent de violences psychologiques, visent à blesser l’autre, à l’isoler et
à le détruire psychiquement par un climat entretenu de terreur psychique.
Le harcèlement moral conduit à de multiples conséquences somatiques,
psychiques, familiales, sociales et scolaires, susceptibles d’hypothéquer
durablement la vie de cet enfant ou de cet adolescent.
214 V IOLENCES PSYCHOLOGIQUES À L’ ÉCOLE

D ES MOTS , DES SILENCES ET DES ACTES


La frontière entre propos maltraitants et ceux tenus dans le cadre de
repères éducatifs peut être ténue et c’est véritablement leur répétition et
l’intentionnalité malveillante à l’égard de l’enfant qui sont à retenir pour
qualifier un acte de harcèlement moral. Nous citerons dans cet article des
expressions transmises par nos patients pour décrire les manifestations
de cette violence psychologique qui s’exerce au sein des familles comme
à l’extérieur (activités sportives, musicales, scolarité). Celle-ci peut se
traduire par :
 Des mots : qualificatifs dévalorisants pour décrire l’enfant (« t’es
nul » ; « tu n’es bon à rien » ; « tu devrais avoir honte de ce que
tu es » ; « tu n’arriveras jamais à rien ») ; insultes et dévalorisations
constantes (« tu n’es qu’une merde » ; « petit con ») ; menaces et
chantage affectif (« si tu n’y arrives pas, tu seras seul » ; « avec tout
ce que je fais pour toi, la moindre des choses c’est de faire des
efforts » ; « tout est de ta faute... » ; « avec tout ce que j’ai fais pour
toi tu n’es même pas capable d’y arriver » ; « tu me rends malade... » ;
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« tu devrais avoir honte de ne pas réussir alors que j’ai fait tant de
sacrifices » ; « tu me gâches ma vie... » ; « c’est du temps gâché... » ;
« si j’avais su, il y en a tellement d’autres qui auraient aimé que l’on
s’occupe d’eux comme ça » ; « si tu ne m’écoutes pas tu n’arriverais
jamais à rien » ; « sans moi tu n’es rien » etc.) L’enfant est aussi envahi
de propos visant à le culpabiliser et à le rendre responsable de tous
les maux ressentis par l’adulte qui le harcèle et qui se positionne en
véritable victime.
 Des attitudes : la violence de ces mots est majorée par le comporte-
ment hostile qui l’accompagne et qui se traduit par le regard (« un
regard noir » ; « un regard de tueur »), un visage fermé et certaines
fois par des gestes de menaces (« signe de coup de couteau au niveau
de la gorge » ; « ses poings serrés comme s’il voulait m’écraser » ;
« il se mettait à taper comme un fou dans le mur en disant que le mur
ça aurait pu être ma tête »). Le harcèlement moral peut être isolé à des
attitudes sans contact corporel direct ou s’accompagner d’un contexte
de violences physiques (tapes, bousculades, croche-pied, etc.) ; de
violences sexuelles (propos sexistes, « mains baladeuses », tentative
de baisser le pantalon dans les toilettes publiques, etc.) ; de violences
conjugales (enfant pris à partie dans le conflit et harcelé par l’un
des parents) ; de négligence intentionnelle (privation de nourriture si
l’enfant n’a pas réussi comme le souhaitait son parent ; enfermement
dans la chambre pour une durée indéterminée, etc.). Si ces actes étaient
Harcèlement moral sur mineur 215

isolés et uniques ils seraient déjà une violence mais n’auraient pas
cette dimension de harcèlement. Ce qui les connote comme tel, c’est
le fait qu’ils soient réitérés, dans une répétition incessante que rien ne
semble pouvoir suspendre.
 Des silences : les auteurs ne répondent jamais aux demandes d’aide de
leur victime. Ils n’expriment à l’égard de leur victime qu’insatisfaction
constante, des attitudes inaffectives, faites de mépris, de dégoût ou
d’indifférence. Lorsque l’enfant s’effondre et pleure, ils ne réagissent
par aucune tentative de consolation mais s’en prennent bien davantage
à lui.
 Des attaques matérielles : les affaires de l’enfant peuvent être des
objets utilisés par les auteurs pour blesser davantage de harcèle-
ments, en particulier son matériel scolaire (cartable, sac, trousse,
cahiers, livres), ses biens personnels (vêtements, montre, matériel
de sport, etc.). Ils sont sources de moquerie, de vol ou de dégradation
et attaqués comme autant de prolongements corporels de l’enfant à
qui ils appartiennent.
 Du cyberharcèlement : les NTIC (nouvelles technologies de l’infor-
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mation et de la communication) conduisent à de nouvelles sources
possibles de harcèlement. Apparaît ainsi depuis quelques années le
cyberharcèlement qui consiste à harceler moralement l’autre soit
de façon directe (menaces, insultes, humiliation sur son téléphone
portable ou sur les réseaux sociaux), soit indirectement (propos à son
sujet divulgués sur la Toile). Ce type de violence a pour spécificité
d’être sans limite, puisque désormais le harcèlement est possible
24 heures sur 24. L’autre particularité est liée au fait que les auteurs
peuvent agir en leur nom ou de façon anonyme, créant un climat de
suspicion et de doutes quant à l’identité des responsables. Par exemple
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dans le cas des sexted/sexting (textes pornographiques), les adolescents


peuvent harceler sans contrôle d’autres jeunes et les conduire au
suicide comme dans le cas de Jessica, Hope, Amanda ou Cédric.

D ES AUTEURS « VISIBLEMENT SI FORMIDABLES »


Les mis en cause peuvent être des adultes (parent, enseignant, entraî-
neur, éducateur, proche) mais également un pair (fratrie, camarades). Ils
peuvent agir seuls et/ou en groupe.
Lorsque le harceleur est un pair, plusieurs profils peuvent être repérés :
216 V IOLENCES PSYCHOLOGIQUES À L’ ÉCOLE

 les suiveurs qui harcèlent pour rester dans la dynamique du groupe.


Ils procèdent exceptionnellement seuls ;
 les leaders qui mènent le groupe et influencent les plus faibles ;
 les harcelés-harceleurs, victimes passées ou encore actuelles de harcè-
lement, ils agissent sur des plus faibles, dans une logique compulsive
de répétition traumatique, les mêmes violences que celles subies.

Pour les mineurs comme pour les adultes harceleurs, le mode opéra-
toire est proche : ils procèdent sournoisement à travers des actes et des
attitudes visant à humilier et à s’assurer le contrôle de l’enfant. Dans
le huis clos de leur relation avec l’enfant-cible, ils créent un climat de
terreur, mais en dehors, ils peuvent présenter un autre visage et avoir une
tout autre attitude avec lui. Pour la majorité, ils savent se faire apprécier
de l’extérieur, apparaissent bardés de qualificatifs positifs et n’hésitent
pas à se rendre indispensables. Certains sont capables de complimenter
leur cible en public créant une confusion inévitable pour l’enfant qui,
face à ce double visage, ne sait plus quels repères avoir. L’auteur est sans
cesse insatisfait et ne manifeste qu’indifférence aux tentatives d’appel
de l’enfant victime qui n’a d’autres saluts pour survivre psychiquement
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que de s’adapter aux attentes de celui qui apparaît comme un véritable
bourreau psychique.
Les mots sont ici utilisés comme de véritables armes pour détruire
l’enfant. Celui-ci est progressivement isolé (au sein du milieu scolaire
ou du milieu familial) ; il n’a pas d’allié et ne peut espérer le moindre
secours de l’extérieur car l’auteur prend soin de lui interdire tout espace
psychique personnel qui lui permettait de penser que d’autres choses sont
possibles. Lorsque le processus de harcèlement dure, le simple regard de
l’auteur suffit pour terroriser l’enfant ou l’adolescent et le maintenir sous
son emprise.

L ES MAUX DE CE DÉNI DE RECONNAISSANCE


Les conséquences du harcèlement moral sont multiples ; ils s’ins-
crivent dans la vie de l’enfant à différents niveaux et sont susceptibles de
se manifester à différents moments.
N

Conséquences somatiques

Le harcèlement moral conduit à une situation de stress chronique


avec d’inévitables troubles neuro-endocriniens (production excessive
Harcèlement moral sur mineur 217

de cortisol et de dopamine, libération majorée de noradrénaline et


d’adrénaline). Ces réactions physiologiques entraînent un épuisement
généralisé pouvant avoir une incidence sur le développement de l’enfant :
cassure de courbe, retard de croissance, variations de poids incontrôlées
(perte d’appétit, anorexie ou boulimie). Les troubles somatiques peuvent
se traduire par des accidents et des blessures à répétition.
N

Conséquences psychologiques

Le harcèlement moral provoque de profondes blessures psychiques


invisibles qui blessent l’identité de l’enfant ou de l’adolescent. Ils nous
disent se sentir « sales », « mauvais », « incapables », « moins que rien »,
« nuls », « bon à rien » et sont submergés par la honte, la gêne, la
peur et la culpabilité. Soumis pendant des mois, voire des années, au
lien d’emprise de l’auteur, ils se perçoivent comme des êtres mauvais,
incapables et nécessairement coupables. Les réactions psychologiques
sont particulièrement marquées par des troubles post-traumatiques en
particulier des conduites d’hypervigilance et d’évitement face aux revi-
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viscences. L’enfant est sans cesse aux aguets, vit avec la peur constante
du danger imminent, ce qui conduit à d’importants troubles du sommeil,
à des difficultés dans les apprentissages en raison de problèmes au niveau
de l’attention et de la mémorisation. Les attitudes d’évitement ont les
mêmes conséquences et visent, quant à elle, à tenter de tenir à distance
les pensées liées à la situation où toutes les sensations susceptibles de la
rappeler.
L’hyperadaptation des enfants calqués aux desiderata paren-
taux conduit souvent à une première période d’apparente collusion aux
attentes imposées par leur bourreau mental, où les troubles repérables
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sont des manifestations anxieuses, une inhibition, une tristesse, des


troubles dépressogènes. Ils sont alors souvent perçus par le monde
extérieur comme des enfants « faciles », « brillants », « bien élevés ».
Mais il est fréquent de constater un moment de rupture, particulièrement
à l’adolescence avec un véritable effondrement psychique de l’enfant. La
souffrance psychique se traduit par des conduites auto-agressives telles
que des actes d’automutilation, des attaques du corps, des pratiques
dangereuses, des fugues, des consommations de produits illicites, des
conduites suicidaires voire un suicide.
Les conduites généralisées d’échec sont des formes d’évitement : ne
pas trop bien réussir pour ne pas être exposé aux propos menaçants de
pairs que ce soit en cours ou au sein d’une équipe sportive. Lorsque la
situation perdure il peut y avoir un décrochage voire une déscolarisation
218 V IOLENCES PSYCHOLOGIQUES À L’ ÉCOLE

(ou un abandon de l’activité) dans un contexte de troubles phobiques.


Les attitudes d’échec peuvent aussi exister lorsque la pression parentale
est forte, que ce soit en milieu scolaire, sportif ou musical : en échouant
l’enfant s’expose dans un premier temps à la vindicte parentale mais avec
l’espoir final d’une lassitude parentale et d’un abandon de leurs attentes
démesurées ; le risque d’être rejeté est alors perçu comme moins violent
à supporter que leurs surexigences.
Les troubles psychosomatiques sont d’expressivité multiples : maux
de ventre, céphalées, eczéma, psoriasis.
N

Conséquences familiales

Lorsque le mis en cause est un parent, le harcèlement constitue une


attaque du lien de filiation. Les conséquences peuvent être durables
dans la vie de l’enfant qui, devenu adulte, rompt bien souvent tout
contact s’il a réussi à se dégager de l’emprise toxique du harceleur et
à comprendre l’intentionnalité destructrice de celui-ci. Au sein d’une
fratrie le traitement de chaque enfant est susceptible d’être différent.
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Si l’enfant harcelé est la seule victime, les liens fraternels sont le plus
souvent marqués par des conflits et de la violence. Alors que si plusieurs
enfants subissent le même contexte de harcèlement, les liens au sein de
la fratrie peuvent être des ressources essentielles pour résister.
N

Conséquences sociales

Les enfants soumis au harcèlement moral se construisent avec une


telle image dévalorisée d’eux-mêmes que tout investissement du monde
extérieur leur paraît inaccessible. Les auteurs les convainquent que ce
monde est hostile et ne les aimera jamais. Leur incapacité à accéder à
un sens autocritique lié à l’emprise psychique qu’ils subissent, conduit
à la construction d’un rapport à l’autre insécure qui se traduit par un
retrait social, visant à éviter toute confrontation avec d’autres. Leur
peur des relations extérieures les amène à des attitudes perçues à
tort comme dédaigneuses ce qui ne fait que renforcer leur exclusion.
Certains trouvent dans les NTIC un support à leur difficulté à investir
le monde extérieur : le virtuel leur permet de fuir en apparence, leurs
difficultés et la cyberaddiction deviennent une défense qui les isole
encore davantage. À l’extrême, d’autres attitudes peuvent être repérées
comme des réactions de collage excessif à toute personne nouvellement
rencontrée : persuadé de son manque de valeur, l’enfant ne parvient
Harcèlement moral sur mineur 219

pas à assumer une existence propre et à avoir un avis personnel face à


l’autre ; il se met systématiquement en position basse et réagit avec une
compliance excessive et de façon passive pour ne pas irriter l’autre et
risquer un rejet.
N

Conséquences scolaires

Le stress chronique conduit à des problèmes d’attention et de mémo-


risation susceptible de rendre difficile les apprentissages. Quand les
harceleurs sont les parents, la scolarité peut être investie de façon majeure
comme un exutoire aux violences psychologiques subies dans l’envi-
ronnement familial. Les violences subies donnent une hypermaturité à
ces enfants préoccupés par des sujets très éloignés de ceux d’enfants
de leur âge ; ce qui les isole encore un peu plus. Dépossédés des
codes relationnels avec leurs pairs (langage, vêtement) ils grandissent
avec un réel sentiment d’étrangeté. Leur hypermaturité les conduits à
solliciter davantage les adultes que les camarades, ce qui finit de les isoler
totalement. Leur mise à l’écart d’élèves qui auraient pu les réinscrire dans
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un mode relationnel moins toxique, les expose à être à nouveau des cibles
de harcèlement. Ils sont progressivement moqués, jalousés, isolés, exclus
et au harcèlement subi en dehors, vient alors se surajouter celui du milieu
scolaire.
N

Conséquences durables

La prise en charge des victimes de harcèlement moral nous permet


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de constater qu’elle concerne des enfants de tout âge mais que la


majorité d’entre eux présente, au moment où cette violence est agie,
une vulnérabilité psychique qui ne leur permet pas de résister et de
surmonter ce harcèlement. Elle peut être liée aux liens de dépendance
et d’autorité avec le harceleur (parent, grand frère ou grande sœur,
enseignant), à une situation personnelle ou des événements qui le
fragilisent plus ou moins durablement (particularité physique, maladie,
handicap, conflits familiaux, deuil, difficultés parentales, changement
d’établissement scolaire).
Comme pour toute maltraitance, nous constatons que l’intensité des
conséquences n’est pas corrélée à la gravité matérielle et pénale. Si
chaque situation reste singulière, certains éléments sont particulièrement
à repérer car ils ont une incidence sur la souffrance psychique exprimée :
220 V IOLENCES PSYCHOLOGIQUES À L’ ÉCOLE

 L’âge de l’enfant : un enfant très jeune est particulièrement dépendant


de l’adulte et n’a pas les ressources suffisantes pour sérier ce qui est
adapté, de ce qui ne l’est pas. Il n’a pas non plus les mêmes capacités
pour solliciter de l’aide et son babil traumatique est rarement entendu
pour ce qu’il est.
 Les ressources antérieures : un enfant harcelé qui a expérimenté avant
de subir cette violence, un contexte valorisant aura plus de ressources
pour se dégager du harcèlement qu’un enfant qui depuis son plus jeune
âge, est soumis à cet environnement malveillant.
 La durée : le propre du harcèlement est d’être un processus qui
s’inscrit dans la durée, mais celle-ci peut être variable. Par exemple
un harcèlement moral circonscrit au temps d’un centre de vacances
n’aura pas la même incidence qu’un harcèlement subit tout au long de
la scolarité.
 Le lien avec le mis en cause : lorsque l’auteur est un parent censé
protéger l’enfant et lui garantir la sécurité et la protection, le harcè-
lement à une dimension d’attaque dans la filiation particulièrement
déstructurant psychiquement ; ce qui n’est pas le cas lorsqu’il est
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commis par un pair.
 La reconnaissance de l’auteur en différé : lorsque l’auteur du harcèle-
ment finit par comprendre la violence de ce qu’il a imposé à l’enfant
et les conséquences et lorsqu’il s’excuse auprès de lui et lui demande
pardon, cela participe à la restauration psychique de l’enfant.

Ces réactions de dévalorisation et de mésestime de soi peuvent


durablement atteindre l’enfant et hypothéquer son devenir ; comme en
témoignent ces adultes en difficultés dans leurs relations sociales et
professionnelles et retrait social, qui ne parviennent pas à s’inscrire
autrement que dans des contextes de harcèlement. Le harcèlement
moral expose ses victimes à une vulnérabilité intersubjective durable
qui, comme un poison, peut continuer d’agir et de les restructurer
psychiquement même s’ils ne sont plus en contact direct avec les auteurs.

D ISCUSSION
Pour grandir et se construire dans un lien de confiance suffisant
vis-à-vis de soi-même comme du monde extérieur, le petit d’homme
a besoin d’expérimenter la confiance en l’autre et tout particulièrement
en ses figures principales d’attachement que sont ses parents. Il a besoin
d’être reconnu en tant que sujet et de la qualité de cette reconnaissance
Harcèlement moral sur mineur 221

dépendra la force de l’estime et du respect de soi qu’il pourra avoir,


la confiance en lui et en l’autre. Pour l’aider à grandir, à apprendre et
à s’autonomiser, ces derniers doivent, comme le rappelait Winnicott,
être « suffisamment bons » et s’avoir s’ajuster aux besoins comme aux
ressources de cet enfant.
Ce que nous constatons lorsque le harcèlement moral est agi par des
parents, c’est l’incapacité de ceux-ci, dans leur relation avec cet enfant-là,
à construire ce lien sécurisant et protecteur. Cet enfant, parfois dès son
plus jeune âge, ou plus tardivement, n’est pas l’enfant gratifiant qu’ils
auraient tant désiré. Ils ne parviennent à ajuster leurs représentations
de l’enfant rêvé qu’ils ont idéalisé à cet enfant de la réalité. Ces
projections négatives peuvent ainsi s’exprimer dès les premiers jours
de vie d’un bébé ou apparaître à des moments clés de l’histoire parentale
(arrivée d’un autre enfant ; résonance d’âge avec leur propre enfance) Ils
dénient ses besoins réels, projettent sur lui leurs propres insatisfactions
et frustrations, envahissent son espace psychique en ne le laissent pas
exister pour lui-même et ce qu’il est. Ils le soumettent à des injonctions de
performance et de réussite, dans une quête insensée du « toujours plus »
et du « toujours mieux ». Porteur d’une dette de réparation de failles
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narcissiques de son ou de ses parents, l’enfant victime de harcèlement
moral au sein de sa famille est sommé d’être un enfant gratifiant,
valorisant et soumis. S’il ne parvient pas à satisfaire les désirs parentaux
et à réparer leur identité fragilisée, il perd toute sa valeur, ne représente
plus aucune utilité pour leur dynamique psychique défaillante et se trouve
rejeté.
Comme toute violence psychologique le harcèlement moral est sou-
vent minimisé face aux violences sexuelles ou physiques. Or il blesse
intensément l’identité et l’intimité de l’enfant ou de l’adolescent qui
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le subit. Sa force de destructivité psychique s’explique par le mode


opératoire utilisé : les mots. Comme le rappelle Alain Bentolila (2004,
2007), les mots sont ce qui nous construit dans notre rapport à l’autre.
Un vocabulaire agressif et disqualifiant ne donne aucune possibilité à
l’enfant de s’inscrire dans une matrice langagière étayante et protectrice.
La parole est ce qui nous inscrit en tant qu’être humain et ce qui
nous différencie de toutes les espèces animales. Parler, c’est tisser ce
lien intersubjectif avec l’autre ; c’est témoigner d’une co-construction
relationnelle et de tenter un dialogue avec cet autre que soi-même.
Lorsque la parole devient une arme, ce passage à l’acte de violence
linguistique témoigne d’un échec dans l’établissement de cet espace,
lié à l’absence de reconnaissance de l’autre en tant que sujet. Le déni
d’altérité à l’œuvre dans cette violence psychologique interdite toute
222 V IOLENCES PSYCHOLOGIQUES À L’ ÉCOLE

perspective d’élaboration et d’établissement d’une relation structurante.


Il condamne l’enfant à un monde hors de sens, car désubjectivée de la
valeur humanisant du langage : mots de l’exclusion plutôt que mots de
l’attention ; mots du rejet plutôt que mots de la communication ; mots
qui disqualifient et qui condamnent plutôt que mots qui valorisent et qui
encouragent, sont autant de mots qui attaquent le sentiment de sécurité
intérieur de l’enfant si indispensable pour pouvoir se construire dans un
rapport sécurisant au monde extérieur.
Le langage n’a plus cette dimension de communication, véritable
espace potentiel permettant de se construire vis-à-vis de soi-même et
des autres. Blessés par les mots, attaqués par le verbe, ces enfants ne
conçoivent plus la parole comme un support potentiel de relation aux
autres. S’expliquer, témoigner leur est impensable car la parole a été
pervertie dans son pouvoir à créer du sens. Elle ne représente plus
qu’une ère de violence où ils ont été soumis à l’humiliation. Tenter
de solliciter une aide extérieure est aussi particulièrement délicat quand
l’auteur agit à l’extérieur comme si de rien n’était, voire surjoue une
bienveillance de façade, n’hésitant pas à utiliser un discours contraire
à celui exprimé en privé. La confusion des sens condamne l’enfant au
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silence car il comprend très vite que personne ne le croira et que sa
plainte sera impensable en raison de la réputation de celui qui le harcèle.
Parler, énoncer ou dénoncer est une quête inaccessible, ce qui permet
de comprendre que les plaintes directes de ces enfants sont exception-
nelles ; pour ceux qui parviennent à solliciter de l’aide, les tentatives
d’appel se font indirectement par des formulations évasives du type :
« ce n’est pas toujours facile avec mon père » ; « l’entraînement ne s’est
pas bien passé » ; « il y a des camarades qui m’embêtent » ou « je n’ai
plus envie d’aller au collège à pieds », etc. Les réponses des personnes
sollicitées sont alors maladroites et majorent la souffrance psychique
de l’enfant. Pour celui qui reçoit cet appel il peut être bien difficile de
comprendre ce qu’il sous-tend et plus simple de couper court à tout
échange en répondant sans même chercher à comprendre par :
 Une fausse réassurance : « ce n’est pas grave, ça va aller », « ce sont
de choses qui arrivent », « c’est un “petit” incident », etc.
 Une banalisation : « les relations fils/père, c’est toujours compli-
qué » ; « à l’adolescence c’est toujours compliqué » ; « c’est normal
de la part de parents/de professeur/d’entraîneur... », etc.
 Un cautionnement de ce qui est décrit comme du harcèlement : « c’est
le rôle d’un coach » ; « c’est normal qu’un enseignant cadre les
choses », etc.
Harcèlement moral sur mineur 223

 Une culpabilisation : « Qu’est-ce que tu as fait pour qu’il te dise


ça ? » ; « c’est sûr que tu as dû le décevoir, sinon il n’aurait jamais
dit ça » ; « si tu faisais plus d’efforts, on n’en serait pas là... » ou
« pourquoi tu ne l’as pas dit plus tôt... »
 Une déculpabilisation compassionnelle : « ce n’est pas de ta faute, il
a toujours été comme ça ».
 Un déni : « ton parent est tellement gentil » ; « il t’aime tellement » ;
« tu comptes tant pour lui » ; « tu dois être fatigué et tu interprètes » ;
« c’est pour ton bien », etc.

Les adultes oublient l’enfant qu’ils ont été et la part d’infans (« celui
qui ne parle pas ») restée en eux. S’ils s’en souvenaient ils sauraient
qu’un enfant qui se plaint est un enfant qui sollicite de l’aide. Lui
répondre sans essayer de comprendre ce qui sous-tend sa remarque c’est
prendre le risque de passer réellement à côté de lui et ne pas être cet
adulte « transitionnel » dont il a tant besoin ; à savoir celui par qui ça peut
parler. L’enfant n’est pas dupe ; s’il ne se sent pas reconnu par l’adulte
à qui il s’est confié il suspendra immédiatement toute sollicitation. La
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reformulation et la restauration de la subjectivité dans les termes utilisés
sont ici essentielles. Par exemple : « C’est important ce que tu me dis ;
par rapport à ce que je connais de ton parent, j’ai l’impression qu’il est
attentif à toi et qu’il est gentil ; mais certaines fois on ne sait pas tout, on
ne voit pas tout... est ce que tu pourrais m’expliquer un peu plus ce qui
t’embête le plus/ce qui est le plus difficile », etc.
Sans accès à la moindre reconnaissance de leur vécu traumatique,
sans repère pour acquérir et faire entendre leur propre réalité, ces enfants
s’effondrent psychiquement par des violences agies contre eux-mêmes ou
contre les autres. Cette violence témoigne de cette impasse langagière et
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de leur impossibilité à organiser leurs émotions dans une représentation


et un lien à l’autre qui aient du sens ; leur seule façon d’exister et
de réinscrire sur leur corps les traces de cette souffrance impossible
à verbaliser. Ils se blâment, se meurtrissent, se cognent ou se tuent
par incapacité à avoir été reconnus. Cette violence agie est une arme
collatérale des auteurs, mais elle peut aussi être entendue comme l’ultime
tentative de restaurer une subjectivation et d’introduire par ce passage à
l’acte une reconnaissance de différenciation qui permettra de restaurer
l’altérité. En agressant l’autre (harceleur comme témoins) ou eux-mêmes,
ils transgressent les interdits implicites, attaquent les règles instituées,
testent les limites, comme autant d’interrogations sur le sens à leur
donner.
224 V IOLENCES PSYCHOLOGIQUES À L’ ÉCOLE

C ONCLUSION
L’attention portée aux enfants et aux adolescents victimes de harcèle-
ment moral, nous rappelle combien un enfant ne peut exister seul, sans
la reconnaissance subjective de ses proches. Le harcèlement moral, est
une arme de destruction psychique massive dont les effets sont multiples
et peuvent s’inscrire dans la durée et handicaper durablement l’enfant
dans sa vie d’adulte. Si le repérage reste délicat, il ne saurait s’envisager
une reconnaissance des processus conduisant à cette violence, de la
dynamique relationnelle en jeu et de la pluralité de ses conséquences,
sans une approche pluridisciplinaire où parents, médecins, psychologues,
enseignants, éducateurs et certaines fois magistrats, permettront à cet
enfant de retrouver sa dignité et d’être respecté pour ce qu’il est, un sujet.
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