ANALYSE DU SYSTÈME DE FONCTIONNEMENT D'UNE INSTITUTION

Maryse Alayrac

ERES | « Empan »

2008/3 n° 71 | pages 113 à 116

ISSN 1152-3336
ISBN 9782749209340
Article disponible en ligne à l'adresse :
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En direct
Analyse
du système de fonctionnement
d’une institution
Maryse Alayrac

Que penser du fonctionnement d’une avant tout favoriser l’épanouissement

association qui soumet ses dirigeants à
une pression constante sans leur donner
de marge de manœuvre et laisse planer
sur eux la possibilité d’un renvoi au
moindre écart ?
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de l’individu quel qu’il soit, tout en lui
permettant d’avoir sa place dans la
société. »
Pour que cette phrase devienne vraie, il
faut plusieurs ingrédients :

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Cette situation crée un système de
tension plutôt négatif et qui ne permet
pas la progression dans le travail effec-
tué.
Voici ce que j’écrivais, il y a déjà
quelque temps, dans le cadre d’une
analyse de la fonction de directeur :
« Pour moi, un directeur d’établisse-
ment social doit être en capacité de
porter les projets de la structure et de
favoriser la création, de coordonner et
réguler le travail de l’équipe, de garantir
le cadre, de gérer, d’être l’interface
entre la structure et les exigences des
commandes publiques. C’est aussi le
porteur d’un projet de société, d’une
éthique qui ne peuvent pas être les
mêmes que ceux d’un dirigeant d’une
entreprise économique classique. Un
directeur d’établissement social doit
– l’existence d’une éthique d’associa-
tion ;
– l’existence d’un projet associatif ;
– l’existence d’un cadre de fonctionne-
ment.
Quand ces critères font défaut, il est
difficile au directeur de s’inscrire dans
une logique institutionnelle. Cependant
la logique institutionnelle est toujours
sous-tendue, même si elle n’apparaît
pas clairement.
Pour illustrer cette introduction, je
voudrais relater une expérience de
directeur d’établissement médico-social
que j’ai vécue il y a peu de temps, et
tenter d’en faire une analyse.
Je suis arrivée à ce poste avec, en poche,
une fiche de fonction qui reprenait, de
manière assez classique, toutes les

Maryse Alayrac, titulaire d’un master en gestion des entreprises sociales et de santé, ancienne directrice d’un
foyer d’accueil médicalisé (FAM), actuellement en disponibilité.
maryse.alayrac@wanadoo.fr

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tâches à effectuer par un directeur et
toutes les délégations qui étaient les
siennes : délégation financière, délégation
au niveau de la GRH, délégation au niveau
du fonctionnement de l’établissement ; en
somme rien que du très banal par rapport
à une fonction classique de directeur
d’établissement médico-social.
L’établissement dont j’avais la charge se
trouve en milieu rural et fait partie d’une
association qui gère, au total, quatre
établissements du secteur médico-social
(un foyer occupationnel, un foyer d’ac-
cueil médicalisé, une maison d’accueil
spécialisée et un établissement d’acueil
des personnes âgées dépendantes) dont
trois sont implantés dans le même bourg.
Ainsi, sur un total de 1 600 habitants, la
commune compte 260 personnes handica-
pées et 100 personnes âgées dépendantes.
Sur cette même commune, environ 250
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personnes sont salariées de l’association.
Sur un canton rural, éloigné de toute
grande ville et dont l’activité principale
est l’agriculture, ce pôle emploi revêt une
importance vitale pour la survie tant des
personnes qui y travaillent que des activi-
tés connexes. Cette configuration géo-
économique entraîne un fonctionnement
particulier, notamment dans la gestion des
ressources humaines. En effet, la plupart
des salariés ont une ancienneté relative-
ment importante au poste qu’ils occupent
et n’ont d’autre choix que de tout faire
pour le conserver, au regard de la pénurie
d’emploi du secteur. Il est à noter égale-
ment que la majorité de ces salariés sont
originaires du canton. Au final, tous les
acteurs sociaux locaux sont impliqués,
directement ou indirectement, dans la
gestion de cette association et tous ont
intérêt à ce qu’elle continue d’exister.
Au-delà des écrits théoriques bien ficelés
et pleins de bonnes intentions, il y a la
réalité. D’entrée de jeu, les personnes que
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je rencontre me parlent des limites de la
fonction de direction en se basant pour
cela sur les expériences antérieures. Mais,
entre-temps, il y a eu une crise institution-
nelle assez forte dont on peut supposer
qu’elle a fait évoluer le fonctionnement.
Ce fonctionnement était basé jusque-là
sur un système autocratique avec un
pouvoir centralisé autour de la directrice
générale et de quelques membres du
bureau. C’était une autorité de prestige
qui craignait d’être partagée. Les cadres
de l’association, directeurs d’établisse-
ment compris, étaient des exécutants des
décisions prises par la directrice générale.
Toutefois, ce fonctionnement avait atteint
ses limites qui se sont traduites par une
crise institutionnelle obligeant les orga-
nismes de tutelle à intervenir. Cela avait
entraîné un remaniement total dans l’or-
ganisation de l’association tant au niveau
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des cadres dirigeants qu’au niveau des
administrateurs.
Mais le changement de personnes n’ef-
face pas une histoire vieille de plusieurs
décennies, une culture d’entreprise bien
ancrée dans les esprits. L’association est
installée dans un territoire géographique,
politique, social et historique. Elle est le
fruit d’interactions et d’intérêts qui dépas-
sent son cadre propre de fonctionnement.
Elle s’inscrit dans des réseaux complexes
et pas toujours clairement identifiés.
Tout changement de fond implique que
l’on commence par remettre en question
les idées reçues, par poser sur la table les
problèmes d’identité qui sont souvent
niés ou enfouis profondément dans les
mémoires. Il aurait donc été utile que les
dirigeants de l’association s’interrogent
sur l’histoire du fonctionnement de l’ins-
titution et entreprennent une analyse en
profondeur de celui-ci. Au lieu de tout
cela et certainement pris sous des pres-
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Analyse du système de fonctionnement d’une institution
sions exogènes non maîtrisables, ils
reproduisent le même fonctionnement qui
prévalait avant la crise, en affichant
cependant une image d’innovation.
L’idée maîtresse était qu’il fallait faire
corps face à l’environnement extérieur
peuplé d’ennemis prêts à récupérer les
outils, les fonds et les actions de l’asso-
ciation. Dans ce contexte-là, le moindre
questionnement individuel était consi-
déré comme une opposition au système,
la plus petite idée de transformation
pouvait ébranler l’homéostasie de l’orga-
nisme.
Ainsi, le système était fermé et bloqué.
De manière générale, un tel fonctionne-
ment ne permet pas l’élaboration d’un
projet institutionnel, d’une éthique. Il ne
peut se faire que sur des acquis et sur de
l’« ici et maintenant ». Il crée une tension
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négative qui ne favorise la progression ni
de l’association ni des individus. Il ne
permet pas à des idées nouvelles de s’in-
tégrer dans la machine.
Dans un système semblable qui n’encou-
rage pas la confrontation des idées, les
relations entre les salariés se tendent. On
cherche alors des alliés, des soutiens et
des appuis à l’intérieur même de l’orga-
nisme, et si possible, auprès de ceux qui
apparaissent détenteurs du pouvoir. Pour
se protéger ou pour avoir le sentiment
d’exister, chacun est prêt à dénoncer son
collègue. L’autorité, alors, n’est pas basée
sur la compétence mais sur un statut, sur
une place qu’on occupe. On voit appa-
raître une hiérarchisation, souvent subjec-
tive, dans les fonctions. Par exemple, les
infirmières vont être valorisées au détri-
ment des éducateurs. Cette valorisation
n’a pour objectif que la création de clans,
selon l’adage « diviser pour mieux
régner ». Par la suite, dans un contexte
semblable, il est difficile de demander aux
115
En direct
salariés de changer leurs habitudes, leurs
schémas personnels.
Quand un directeur d’établissement arrive
dans une association, il cherche avant tout
à s’inscrire dans le jeu interne de l’organi-
sation qui définit les règles générales. Il
doit à la fois se projeter dans son rôle de
dirigeant responsable et s’associer à la
logique d’action de l’espace institutionnel.
Dans un système fermé et autoritaire, va
se poser à lui la question de la légitimation
de l’œuvre collective et de la logique insti-
tutionnelle. Il est alors soumis à une
tension professionnelle importante et à
travers cette tension, il lui faudra trouver
sa part de liberté et de pouvoir. Sa marge
de manœuvre s’avère étroite et il prend le
risque, à tout moment, d’être éjecté du
système. Il peut s’entendre dire par ses
supérieurs, quand il émet un avis différent
du leur : « Il faudrait savoir, vous êtes avec
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ou contre nous ! » Chacune de ses ques-
tions peut être considérée comme une
opposition. Il lui est difficile alors de
proposer un fonctionnement innovant qui
le différen-cierait.
De manière globale, tous les salariés sont
pris dans un jeu d’acteurs fait de frictions
et de conflits non résolus. Cela engendre
une grande souffrance au travail qui se
traduit souvent par des arrêts maladie à
répétition. Un effet connexe de cette
situation, c’est un risque de maltraitance à
l’égard des usagers et une grande violence
institutionnelle.
La maltraitance est due à l’impossibilité
qu’ont les salariés d’entamer une
réflexion sur les prises en charge indivi-
duelles et sur leur propre positionnement
par rapport aux résidents dont ils ont la
charge. En effet, la mise en concurrence
permanente et les conflits récurrents ne
permettent pas de poser un regard objectif
sur le travail effectué. De plus, se remettre
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en question, c’est prendre le risque de
s’exposer à la sanction. La solution est
alors d’utiliser, de manière systématique,
le médicament comme moyen de régula-
tion des comportements des résidents, et
ce, avec l’approbation totale des méde-
cins et notamment du psychiatre de l’ins-
titution.
La violence institutionnelle, quant à elle,
vient de l’absence de subsidiarité et de la
suspicion du travail mal fait.
Cependant, dans un tel climat, on s’aper-
çoit que l’institution continue à exister.
Malgré des situations de crise qui appa-
raissent régulièrement, ce système est
répété à l’infini. On a le sentiment qu’à
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travers les multiples dysfonctionne-
ments, il finit par trouver son point
d’équilibre. Introduire alors une
approche radicalement différente, c’est
prendre le risque de déclencher un écla-
tement de ce système. Dans le contexte
politico-économique du lieu, personne
n’a intérêt à ce que cela se produise, ni
les dirigeants ni les salariés. Seuls des
aménagements à la marge sont possibles.
C’est certainement pour cette raison que,
une fois la crise terminée, on s’empresse
de remettre en fonctionnement les
anciens schémas.
Et l’on continue comme ça jusqu’à la
prochaine fois…
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