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LE LUXE ET L'IMAGE DE MARQUE

René-Maurice Dereumaux

ESKA | « Market Management »

2007/1 Vol. 7 | pages 70 à 78

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ISSN 1779-3572
ISBN 2747212540
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Pour citer cet article :


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René-Maurice Dereumaux, « Le Luxe et l'image de marque », Market Management
2007/1 (Vol. 7), p. 70-78.
DOI 10.3917/mama.041.0070
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LES NOUVEAUX DÉFIS DU MARKETING

LE LUXE ET L’IMAGE

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DE MARQUE
René-Maurice Dereumaux *
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Résumé : producteur de prestige et de Abstract: The luxury industry is a great


valeur ajoutée, le secteur du luxe compte producer of both added value and
parmi les industries les plus dynamiques Glamour, this sector is one of the most
des économies industrialisées. Le luxe dynamic of the socio-economic activity.
français est notamment reconnu interna- The french luxury industry is quite famous
tionalement, son prestige et son succès all around the world, and its huge success
croissent régulièrement. Cette réussite has experienced growth for several years in
s’appuie en grande partie sur la produc- a row. Success was reached in a large part
tion et le management de l’image de because of the production itself but also
marque. À nos yeux, le luxe est une enti- because of the brand image management.
té économique unique capable d’être en For us, the luxury industry is the only one
même temps une qualité de production to be able to provide the finest quality and
extrême et un sentiment ; il est à la fois le a wonderful feeling in the same time; fol-
70 concret d’un mouvement d’horlogerie lowing this definition, a wide range of
suisse et l’abstrait dans le sentiment qu’il development is open, but to go forward you
procure de croire en sa capacité à se déga- first need to understand how this luxury
ger des contraintes matérielles premières. feeling is produced and used.
Sur la base d’une telle définition beaucoup We will see here that the brand image is
de développements sont possibles, pour the main production of the luxury industry
cela il faut comprendre au préalable com- and is first marketing tool.
ment le luxe « sentiment » est produit et Key words: Sector analysis, Art,
utilisé. On verra ainsi que l’image de Diversification, Giorgio Armani, Brand
marque est le produit central de l’activité Image, Luxury Industry, Strategy.
du luxe et son levier marketing principal.
Mots-clés : Marketing, Analyse secto-
rielle, Art, Esthésie, Image de marque,
Luxe, Maison de Luxe, Stratégie.

* Docteur en sciences de gestion de l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, Executive MBA HEC, Mastère spécialisé en
Diplomatie, 7 mandats sociaux en qualité de gérant du Groupe Roche Bobois, Président de la Commission Finances de
la CCI Nice Côte d’Azur.

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Le luxe et l’image de marque

Introduction L’alternative à ce système de domi-


nation est venue du marché, une solu-
Dans le luxe, deux points de vue très tion a priori plus démocratique. Car si
différents co-existent. Le point de vue tous les individus sont égaux dans les

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marchand qui s’oppose à un point de relations de marché ou de contrat,
vue historique, que certains préfèrent alors toutes les personnes capables de
appeler le point de vue « aristocratique ». payer ont droit au luxe. Ainsi, la dis-
Malgré les divergences qui leur sont tinction se fait selon de nouveaux cri-
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inhérentes, le luxe se distingue, dans tères, plus quantitatifs cette fois, qui
ces deux définitions, en tant qu’écart ; il reposent principalement sur la capaci-
permet la distinction par rapport aux té des individus à payer. Cette évolu-
standards et aux produits normaux ou tion a profondément changé la ges-
banals. Pourtant selon le parti pris - tion des entreprises de luxe. Les
commercial ou traditionnel - l’élément entreprises basées sur le principe
du produit qui sera à l’origine de la dis- « aristocratique » ont du faire face à
tinction ne sera pas le même. cette modification tout en conservant
Dans le luxe traditionnel, la différen- leur ancrage traditionnel. Mais ce
ce repose essentiellement sur le type changement s’est effectué sereine-
de consommation. Pour reprendre ment grâce aux groupes financiers,
l’image aristocratique, la consomma- qui sont venus épauler les maisons de
tion de luxe doit exprimer cet écart de luxe dans ce nouveau défi du marché
pouvoir, de potentiel, entre « l’élite et le global. Ces groupes ont jugé que le
peuple » 1. La distinction qui se cristal- patrimoine culturel et social des mai- 71
lise dans l’achat de bien de luxe sons était une assurance de réussite et
montre à la fois la différence écono- donnait une caution suffisante aux
mique et la différence culturelle. maisons de luxe pour progresser. Et
Ce modèle « culturel » est celui du luxe cela, notamment, parce que ce patri-
français, notamment dans la haute cou- moine était concrétisé par l’image de
ture, vitrine la plus visible du luxe. Le marque, le produit commun à toutes
luxe s’organise autour du créateur et de les maisons de luxe, leur bien le plus
la création originale, une structure précieux.
concentrique qui s’impose à la produc- Pour bien comprendre le rôle de
tion, au management et même aux ins- l’image de marque dans le luxe, nous
titutions. Ce modèle a été et reste l’étudierons dans un premier temps à
aujourd’hui très efficace pour diffuser le travers le rôle du marketing dans le
luxe « à la française » à travers le monde, luxe, avant de présenter la réalité de
pourtant il s’est fragilisé au fil du temps l’image et de conclure par les fonde-
car sa philosophie tombe petit à petit en ments de cette richesse.
désuétude.

1. C. Barrière, « Luxe aristocratique et luxe marchand : de Cristobal Balenciaga à Nike » in Les cahiers de la recherche
Luxe-Mode-Art, n° 1, Paris, 2002.

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Le marketing dans le luxe duit, que sa valeur ajoutée en terme


d’image, la démarcation sociale qu’il
Le marketing a longtemps été rejeté permet, sa qualité ou encore sa rareté. Il
par le milieu du luxe, notamment en va sans dire que les créateurs ne possè-

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France. Ce rejet provient largement dent pas de cahiers des charges
d’une ignorance conduisant à une vision capables de recenser toutes ces
erronée du marketing. S’il a pénétré le attentes ; ils se représentent donc un
milieu du luxe, son contenu reste, enco- « client idéal » pour lequel ils vont tra-
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re aujourd’hui, flou et ambigu et l’image vailler. La rencontre entre ces deux


négative prévaut généralement sur les acteurs – le créateur et le client idéal –
connotations pragmatiques. Le marke- réussie généralement lorsqu’elle se fait
ting est associé à deux visions distinctes dans le respect, l’intégrité et l’indépen-
du consommateur : celle du « consom- dance créatrice par rapport à l’esprit
mateur roi » qui influence la production marchand.
de luxe et obtient ce qu’il recherche, et Cependant, pour que le marketing
celle du « consommateur manipulé » qui, puisse réaliser un tel équilibre, organiser
hypnotisé par l’image du luxe, est sous la cohabitation de tous les paradoxes du
l’influence persuasive de la publicité et luxe, il doit pouvoir s’appuyer sur des
de la communication des marques. piliers particulièrement solides dont l’un
D’une manière plus nuancée, le mar- des plus importants est l’image de
keting est une fonction de médiation marque.
entre l’offre et la demande ; son rôle est Si l’image de marque est le principal
de traiter des rapports avec la clientèle, outil de promotion des entreprises de
72
mais aussi avec les propriétaires des luxe, quels que soient leurs origines et
marques et les financiers afin d’aider leur segment, elle est aussi la base de la
l’entreprise à atteindre ses objectifs, stratégie de diversification. Pourtant, si
qu’ils soient commerciaux ou pas. Le toutes les entreprises utilisent ce levier,
marketing doit donc « apprécier », amé- elles ne le font pas toutes avec la même
liorer et rendre plus efficace, la relation intensité. Mais revenons un instant sur
de l’entreprise avec son marché, une ce qu’est l’image de marque.
relation interactive et constructiviste. Le
consommateur n’est plus, en effet, cet La déclinaison
acteur privilégié interrogé sur ses désirs, de l’image de marque
et auquel l’entreprise propose des biens
et des services destinés à le satisfaire ; il Une marque n’est rien de plus que le
est aussi à la recherche d’expériences nom d’une personne ou d’une organisa-
nouvelles, stimulantes ou surprenantes tion. Dans le luxe, elle est généralement
capables, dans le cadre du luxe, de lui le nom du créateur originel. Ce nom se
ménager des représentations sociales. décline, au gré des époques et des ten-
Au sein du luxe, les consommateurs dances, en griffe ou en initiales. Mais il
ne regardent pas tant l’utilité d’un pro- est beaucoup plus qu’un simple nom, il

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Le luxe et l’image de marque

sert à représenter l’entreprise, il peut être de comprendre comment les acteurs du


approprié par les clients tout en restant luxe la créent et la gèrent.
ancré dans l’inconscient collectif de la
société, il est d’ailleurs parfois connu à Qu’est-ce que l’image ?

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travers le monde entier, notamment pour Un produit de luxe est l’association
les marques de luxe. La marque permet d’un objet et d’une représentation,
aussi le regroupement des objets, son autrement dit d’un élément objectif et
utilisation générique représentant l’en- d’une idée, d’une image subjective. Pour
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semble des produits de la maison. désigner la dimension subjective, les


L’expression courante rappelle que « c’est professionnels parlent volontiers de
un Chanel » ou « un Gucci », reconnais- « l’image » du produit, en référence à
sable grâce à la marque et grâce à l’ima- l’imaginaire du consommateur. Cette
ge qu’elle a su produire et imposer. « image » subjective est largement sug-
Destinée à être reconnue l’image de gérée à partir d’images matérielles à tra-
marque correspond au besoin ostenta- vers les photographies dans la presse ou
toire assouvi lors de l’achat d’un produit à travers les films cinématographiques ;
de luxe, le message sous-jacent est l’ap- elle correspond aussi à des mots tels
partenance à une société particulière, que « l’histoire », « la tradition », « la beau-
ou à une élite sociale, qui partage et qui té » qui définissent l’ensemble des
peut partager ces signes de reconnais- concepts véhiculés par le luxe. Certains
sances. noms propres sont aujourd’hui porteurs
Ainsi, la marque permet de satisfaire d’image ; Coco Chanel et Yves Saint-
la recherche d’idéal, aussi bien intime et Laurent sont les plus représentatifs, ils 73
inconscient que social et public. La per- ont en effet caractérisé une époque ou
fection est indispensable à la crédibilité une révolution en leur temps et cette
de la marque, car si une marque parve- puissance de représentation reste effec-
nait à imposer son image sans proposer tive. Le terme de représentation est en
une qualité et une originalité attendues, effet plus exact, il permet de regrouper
la « supercherie » serait rapidement le luxe et l’art, mais il reste trop précis
détectée et la marque perdrait définiti- pour expliquer l’ensemble des enjeux
vement son statut de marque de luxe. véhiculés par le concept d’image.
Cependant, une fois un certain seuil de Les entreprises du luxe cherchent à
crédibilité atteint, les marques bénéfi- créer une association d’idées dans l’es-
cient de marges de manœuvre plus prit des consommateurs, potentiels ou
importantes et peuvent décliner leur traditionnels, et la perception d’un objet
image plus facilement, même si ces ou l’évocation d’un nom doivent réson-
diversifications doivent rester éclairées ner avec un ensemble d’images et de
et cohérentes. mots estimés et appréciés ainsi qu’avec
Afin de spécifier les particularités de une représentation sociale recherchée.
l’image de marque dans le luxe, reve- Ce média puissant est souvent contenu
nons donc sur ce qu’est l’image, avant dans la marque de luxe elle-même.

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L’intérêt de ce concept général est de la Paix, en 1857 et qui le premier osa


qu’il souligne le caractère subjectif de ce griffer ses modèles.
qu’on appelle communément l’image : il Dans cette même logique, les
y a autant de représentations que de marques récentes ont dû créer cette

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consommateurs potentiels du produit. image de marque rapidement pour être
Chaque consommateur porte sa propre autorisées à intégrer le domaine du
conception du luxe, mais l’image luxe. Ainsi, cette création d’image n’est
unique de la marque, même si elle peut pas un critère pour discriminer le « vrai
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être complexe, est capable de les luxe » du « faux » [sic.] comme certains
atteindre tous, surtout si la conception détracteurs des marques de luxe
de cette dernière a été soigneusement récentes aimeraient le faire croire. En
élaborée. effet, la création de marque n’est pas
récente, à l’instar de Worth, Chanel a
La création de l’image de marque joué sur son nom et sur son image
La plupart des marques de luxe tradi- pour s’imposer au cœur des années
tionnelles ont obtenu cette image de folles. De fait, une image crédible ne
marque au fil du temps et plutôt de nécessite pas forcément des siècles
d’expériences et de savoir faire ! Elle
manière inconsciente. En élaborant leur
doit surtout, en plus du préalable de
produit dans les meilleures conditions et
qualité et d’originalité indispensable,
les plus grandes exigences techniques et
répondre à une attente de reconnais-
sociales, c’est leur clientèle qui les a
sance et être en phase, et même un
progressivement différenciées des
peu en avance, avec les évolutions
74 autres producteurs. Le statut de luxe
sociales importantes. Ainsi à travers
s’est donc construit progressivement.
Coco Chanel et sa marque s’illustre
D’ailleurs les marques de mode datent l’évolution du statut de la femme dans
de la deuxième partie du XIXe siècle ; la société du premier XXe siècle. La
jusqu’alors, il n’y avait que des bons fai- marque Chanel capitalise sur le symbo-
seurs, plus ou moins connus, mais pas le toujours actif actuellement de la
véritablement de créateurs, et donc pas femme libre et dynamique. De tels
de marques à proprement parler : seuls exemples existent aujourd’hui : les
les artistes signaient leurs œuvres. jeunes dirigeants se reconnaissent plu-
Hermès, qui a ouvert sa maison en tôt dans le sobre et l’élégant de Gucci,
1837, fabriquait seulement des harnais Ralph Lauren ou encore Armani alors
de chevaux, qu’il ne griffait évidemment que les « bourgeois bohêmes » se sen-
pas. Mais petit à petit, l’idée d’une tent plus proches des univers de
marque et d’une véritable diffusion du Christian Lacroix ou de Kenzo. Les
talent et de l’esprit du créateur s’est marques et leur image sont des signes
imposée. Elle fut concrétisée la premiè- de reconnaissance, en plus des signes
re fois par le « couturier » Charles de confiance. Mais créer une marque
Frédéric Worth qui ouvrit sa maison, rue n’est pas suffisant, il faut également

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Le luxe et l’image de marque

bien la gérer pour éviter que les efforts Création, gestion, développement ne
dus à la création ne soient vains. sont possibles que si les fondements de
l’image sont solides et maîtrisés.
La gestion de l’image

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Selon l’article L. 711-1 du code fran- Les fondements de l’image
çais de la propriété intellectuelle, une
marque de fabrique, de commerce ou L’image du luxe doit représenter l’ex-
de service est « un signe susceptible de ception, la rareté, la beauté, le raffine-
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représentation graphique servant à dis- ment. Elle doit également refléter cer-
tinguer les produits ou services d’une tains paradoxes du luxe et les sublimer
personne physique ou morale ». Une par des compromis entre la tradition et
définition générique qui s’applique à la modernité, la sobriété et l’éclat. Des
toutes les industries et pas seulement à qualités que l’on ne retrouve que dans
l’industrie du luxe. Elle nous rappelle l’art. C’est pourquoi, d’aucuns considè-
pourtant l’importance de la protection rent que l’art et le luxe ont partie liée.
de la marque. Si la gestion de l’image de Ainsi, lors du lancement de la collec-
marque est importante, le premier tion printemps été 2003 des sacs Louis
combat reste celui contre la contrefa- Vuitton, les sacs vedettes étaient ceux
çon ; les produits contrefaits sont, en signés par l’artiste japonais Takashi
effet, la pire des publicités et contri- Murakami. Le succès créant la pénurie,
buent à la dégradation de l’image en élément crucial du marketing du luxe,
plus de générer des pertes de chiffre une liste d’attente de quatre mille com-
d’affaires. mandes se forma à travers le monde, au 75
En plus de lutter sans merci contre la point que ce modèle de sac représenta
contrefaçon, les maisons de luxe atta- en 2004, 10 % des ventes de sacs Louis
chent une attention particulière à la ges- Vuitton. En sus de la signature de l’artis-
tion de l’image. Dans cette optique, les te, la qualité et la difficulté de la fabri-
maisons font effectuer de plus en plus cation de ces sacs donnèrent une plus
régulièrement des études d’image par value à la création artistique. Cette ges-
des consultants spécialisés distinguant la tion du luxe permit à Vuitton de propo-
notoriété (connaissance et reconnais- ser à ses clients un produit d’exception
sance du nom), l’image, les représenta- à la plus value incontestable.
tions associées. Ces études d’image sont L’art vient à l’appui du luxe, qui déve-
également nécessaires lorsque l’entre- loppe aussitôt son marketing à travers
prise cherche à distribuer une licence de l’image.
son nom. Dans ce cas, l’industriel dis- Parmi les précurseurs de cette interre-
posant de la licence utilise la marque de lation entre le luxe et l’art, Yves Saint
luxe mais ne peut pas le faire à sa guise, Laurent est l’un des plus connus. Il prit,
la marque étant toujours être contrôlée, dès 1965, ce parti avec ses robes
quel que soit son mode de gestion Mondrian dont les coupes strictes et le
direct ou indirect. jeu des couleurs des robes étaient en

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harmonie avec le style du peintre. YSL créativité en produits commercialisables


poursuivra cette proximité avec la pein- et tout en préservant la qualité du
ture, en liant ses créations à Matisse, savoir-faire.
Braque, Picasso ou Van Gogh. Le

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Metropolean Museum de New York lui Synthèse et conclusion
consacrera une exposition en 1983.
Tous les objets cultes du luxe ont un Le métier des entreprises du luxe est
lien, volontaire ou non, avec l’art. Le donc la production d’une image. Celle-
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parfum N° 5 de Chanel donne au ci s’appuie essentiellement sur la qualité


monde « une leçon de modernité » 3, qui exceptionnelle des produits de luxe vis-
le fait entrer en 1959 dans les collections à-vis des produits standard et même de
permanentes du Musée d’Art Moderne haut de gamme proposés par les pro-
de New York. Mais, ironie de l’histoire ducteurs traditionnels. Elle repose égale-
du luxe et de l’art, bien que Gabrielle ment sur sa relation avec l’art.
Chanel fût entourée d’artistes et tra- La différenciation proposée par les
vaillât parfois avec eux en dessinant des produits de luxe n’est pas seulement
costumes de théâtre, elle n’a jamais physique ; elle n’est d’ailleurs pas tou-
introduit l’art dans ses collections, hor- jours mesurable, le caractère ostentatoi-
mis le sien. re de la consommation de luxe interve-
Pour incarner le luxe, les marques nant dans sa définition. Ainsi, la clientè-
doivent devenir des forces de proposi- le cherche un accès à un « autre monde »
tion, de manière à ce que l’attrait lors de l’achat d’un produit de luxe.
qu’elles exercent sur les clients soit une L’image de marque est l’élément qui
76
combinaison de leur capacité à créer assure au client un achat hors du com-
des objets inédits, exceptionnels dans mun, qui lui apportera du plaisir et le
leur conception et leur esthétisme, distinguera socialement. Destinée à être
autant que dans leur rareté. À ce titre, reconnue, l’image de marque corres-
l’art contemporain est un moyen d’inter- pond au besoin ostentatoire assouvi lors
roger le monde. Il permet au luxe d’ar- de l’achat d’un produit de luxe, le mes-
penter les territoires de l’imaginaire. Le sage sous-jacent est l’appartenance à
luxe, de son côté, invite un large public une société particulière, ou à une élite
à regarder l’art contemporain. Il crée des sociale, qui partage et qui peut partager
passerelles entre l’art, l’art appliqué et ces signes de reconnaissance.
l’artisanat. Encore faut-il, puisque les L’image de marque étant centrale
artistes s’associent aussi aux marques dans l’activité des groupes de luxe, il est
grand public, que le luxe sache donner logique que le marketing soit autant
à l’art toute sa profondeur vitale. mobilisé afin de la créer, de la soutenir
Il s’agit de comprendre l’inspiration et parfois de la relancer. Le marketing
du créateur, tout en transformant cette dans toutes ses dimensions – études,

2. F. Aveline, Chanel parfum, Éditions Assouline, 2002.

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Le luxe et l’image de marque

stratégies, mix, etc. – est aujourd’hui affirment être des créateurs de rêves.
parfaitement maîtrisé par l’industrie du Ainsi, les entreprises du luxe cherchent
luxe. Longtemps rejeté par le milieu – à créer une association d’idées dans l’es-
sous le prétexte qu’une œuvre d’art et prit des consommateurs, potentiels ou

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un produit de luxe n’ont pas besoin de traditionnels. La perception d’un objet et
promotion pour se vendre – le marke- l’évocation d’un nom doivent résonner
ting en tant que fonction de médiation avec un ensemble d’images et de mots
entre l’offre et la demande est bel et estimés et appréciés ainsi qu’avec une
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bien indispensable au secteur du luxe. représentation sociale recherchée. C’est


Si les maisons traditionnelles possè- cette relation que le marketing et la
dent un patrimoine composé de l’en- communication doivent construire. Elle
semble des avoirs sociaux transmis par représente le véritable cœur de métier
le passé, des actifs matériels et immaté- des entreprises de luxe.
riels ainsi que des institutions héritées
des générations précédentes, elles n’en
restent pas moins dépendantes de leur Références bibliographiques
marketing. Les marques qui ont négligé
AAKER D., Lendrevie J., Le Management du capital
cette dimension ont disparu. L’histoire marque, Dalloz, 1994.
nous rappelle que les créateurs origi-
ALLÉRÈS D., L’empire du luxe, Belfond, 1992.
naux étaient souvent d’excellents ven-
ALLÉRÈS D., Luxe... : stratégies, marketing, Economica,
deurs, comme l’étaient Chanel ou 1995.
Worth, par exemple. ARMANI CASA, « The house of dreams created by
Cependant, l’enjeu commercial du Giorgio Armani », Documents promotionnels, Armani 77
luxe n’est pas seulement commercial. La service presse, 2005.
marque de luxe ne cherche pas seule- ARMANI CASA, « Luxurious materials of a rare elegan-
ce », Documents promotionnels, Armani service pres-
ment à vendre un produit ; chaque évé- se, 2005.
nement de la marque est lié à son
ASSOCIATION DES AMIS DE L’ÉCOLE DE PARIS DU
image, que ce soient les récompenses et MANAGEMENT, Le luxe, domaine du rêve, compte
les prix accordés aux créateurs ou l’ou- rendu de débat, École de Paris du management,
verture d’une boutique dans un quartier 1998.

exceptionnel dans une ville de prestige. AVELINE F., Chanel parfum, Assouline, 2002.
En conséquence, ce sont tous les BAUDRILLARD H., Histoire du luxe privé et public Depuis
L’Antiquité Jusqu’à nos jours, Hachette, 1980.
signaux, signes et indices émis par la
BENJAMIN W., L’Œuvre d’art à l’époque de sa repro-
marque qui doivent créer la différence duction mécanisée, Gallimard, 2003.
et faire sentir au client que son achat
BERGERON L., Les industries du luxe en France, Odile
d’un produit de luxe ne répond pas seu- Jacob, 1998.
lement à un besoin matériel, mais qu’il BOTTON M., CÉGARRA J.-J., Le Nom de marque, Mac
est également le passeport pour un uni- Graw Hill, 1990.
vers d’exception, un univers idéal. Cet BOURDIEU P., La Distinction, critique sociale du juge-
univers est même onirique à en croire ment, Minuit, 1979.
les déclarations des marques de luxe qui CHÉTOCHINE G., La Déroute des marques, Liaison,
1995.

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