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LA POLITIQUE DE DÉFENSE MAROCAINE : ARTICULATION DE

L'INTERNE ET DE L'EXTERNE
Brahim Saidy

ESKA | « Maghreb - Machrek »

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2009/4 N° 202 | pages 115 à 131
ISSN 1762-3162
ISBN 9782916722764
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-maghreb-machrek-2009-4-page-115.htm
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Pour citer cet article :


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Brahim Saidy, « La politique de défense Marocaine : articulation de l'interne et de
l'externe », Maghreb - Machrek 2009/4 (N° 202), p. 115-131.
DOI 10.3917/machr.202.0115
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VARIA
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La politique de défense marocaine :
articulation de l’interne et de l’externe

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Brahim Saidy *
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Cette étude a pour objectif d’expliquer dans quelle mesure la politique


de défense marocaine s’inscrit dans le cadre des deux domaines suivants :
le premier pointe vers la société nationale elle-même ; le second vers
l’orientation stratégique de la politique internationale.

Qu’est-ce qu’une politique de défense ?


Le terme « défense » désigne plusieurs phénomènes en raison du caractère
global du rôle des forces armées qui exécutent autant des missions de
défense militaire que civile. C’est-à-dire qu’on leur a assigné des tâches
extra-militaires pour faire face à la plus grande variété de menaces pesant
sur les sociétés actuelles. Cependant, la principale mission des forces armées
– puisqu’elles ont été créées pour répondre à cet objectif – demeure la défense
militaire, laquelle comprend le combat et la préparation ou la disponibilité
constante à faire la guerre.
Pour Pac Henri, « la défense nationale peut être définie comme le processus
par lequel l’ensemble des moyens matériels, psychologiques et politiques
dont dispose un pays sont coordonnés pour assurer en permanence et contre
toutes les formes d’agression la sécurité du territoire  1 ». Dans le même ordre

* Brahim Saidy est docteur en relations internationales et chargé de cours au


département de science politique de l’université du Québec à Montréal (UQAM) et
à l’École de politique appliquée de l’université de Sherbrooke.
1.  H. Pac, Le Système stratégique international, Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? », 1997, p. 34. L’auteur remercie, pour leurs observations et leurs critiques
portant sur les versions antérieures de ce texte, André P. Donneur, professeur au
département de sciences politiques à l’université du Québec à Montréal (UQAM),
et Caroline Nadeau, étudiante diplômée (maîtrise en relations internationales)
de la même institution.

Maghreb-Machrek, N° 202, Hiver 2009-2010


118 Brahim Saidy

d’idée, Maurice Megret soutient que la défense constitue « la totalité de la


politique de l’État, considérée en vue de sa sauvegarde  2 ». Selon Charles-
Philippe David, « la politique de défense découle de la définition des objectifs
nationaux, des capacités militaires et diplomatiques dont un État se dote
afin de remplir le rôle qu’il s’assigne sur la scène internationale  3 ». Si l’on
considère ces concepts comme cumulatifs, il est donc admis de penser
que la politique de défense est conditionnée simultanément par les deux

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facteurs : politique internationale et politique intérieure.

Ce premier facteur – la politique internationale – implique que la défense


d’un territoire ne consiste plus en la défense d’« un précarré sur tel ou
tel échiquier géostraté­gique  4 » mais qu’elle nécessite un comportement
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rationnel devant composer avec la nature des relations internationales,


lesquelles sont un champ où le recours à la violence devient possible et
où se forment des coalitions et des alliances de défense ou de sécurité.
Selon des tenants du paradigme réaliste, l’armée et les politiques de
défense constituent des éléments clés de la puissance dans les relations
internationales. Elles sont au cœur du dilemme de la sécurité  5 où l’usage
de la force est une pratique fréquente et où les rapports étatiques sont
nécessairement caractérisés par la rivalité ou la compétition  6. Ainsi la
politique de défense d’un État tend vers la construction d’un système
de forces armées ou d’un potentiel de guerre destiné à une bataille
essentiel­lement défensive contre les menaces militaires qui pourraient
remettre en question la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays.
L’armée est l’instrument de force chargé d’assurer cette mission. Elle peut
se définir comme « un système d’hommes élaboré conjointement à un
système d’armes, en vue d’obtenir la meilleure efficacité contre un ennemi,
une menace externe ou interne, potentielle ou réelle, contre l’intégrité
territoriale et la vie des populations  7 ».

Le second facteur est l’incarnation des réalités de la politique intérieure.


Toute politique de défense, d’une part, s’insère dans la politique industrielle,

2.  M. Megret, « Fonction et intégration politique de l’armée », dans Centre de


sciences politiques de l’Institut juridique de Nice, La Défense Nationale, Paris, 1958,
p. 147.
3.  C.-P. David, La Guerre et la paix : approches contemporaines de la sécurité et de
la stratégie, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 28.
4.  IHEDN, Comprendre la défense, Paris, Economica, 1999, p. 18.
5.  Selon J. H. Herz, l’un des premiers à avoir introduit ce concept en relations
internationales, le dilemme de la sécurité posé par l’anarchie réside dans le fait que
les capacités militaires qui servent à assurer la sécurité d’un État peuvent provoquer
l’accroissement d’un sentiment d’insécurité chez les au­tres États. Voir son article :
J. H. Herz, “Idealist Internationalism and the Security Dilemma”, World Politics,
5, 1950/2, p. 157-180.
6.  A. Macleod, « Le réalisme classique » et « Le néoréalisme », dans A. Macleod,
D. O’Meara (dir.), Théories des relations internationales : contestations et résistances,
Québec, Athéna Éditions, 2007 p. 35-88.
7.  B. Boëne, La Spécificité militaire, Paris, Armand Colin, 1990, p. 284.
La politique de défense marocaine : articulation de l’interne et de l’externe 119

dans la politique de l’emploi ainsi que dans la stratégie de recherche


scientifique et technologique d’un pays. Par exemple, l’industrie d’armement
est un facteur de puissance pour le pays producteur et un secteur créateur
d’emplois et de richesses qui lui permet de rayonner à l’échelle internationale  8.
La politique de défense, d’autre part, fait le pont entre le permis et le
désirable. Elle est établie en fonction des ressources humaines et matérielles
disponibles et reflète les contraintes de la société nationale où justement

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s’affrontent les intérêts de divers groupes sociaux. En ce sens, la défense
est un champ de la politique publique  9 car elle a pour objet « la conception
et l’action des autorités publiques en matière de gestion du personnel de
la défense, d’organisation, d’équipement, de préparation et d’emploi des
forces armées, ainsi que leurs conséquences internes et internationales  10 ».
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Toutefois, les orientations stratégiques qui en déterminent le contenu varient


d’un État à l’autre. Elles sont liées à la culture, à l’histoire, à des facteurs
économiques et géographiques ainsi qu’à la nature du système politique.
Dans un État autoritaire, l’élaboration de la politique de défense est souvent
le produit d’un groupe restreint contrôlant les institutions politiques. Dans
un État démocratique, le processus décisionnel reflète plus directement les
points de vue des différentes parties de la société civile ; il fait partie de la
sphère de l’activité publique, donc du résultat des actions et inactions d’un
gouvernement démocratiquement élu et redevable.

L’état de la question
La politique de défense du Maroc est peu étudiée par les chercheurs
et la littérature sur ce sujet fait face à une pénurie de contributions.
Quelques braves ont tout de même produit d’excellentes analyses qui valent
la peine d’être mentionnées. Le politologue américain William Zartman
s’est intéressé aux forces armées marocaines et aux relations militaires
maroco-américaines  11. Rémy Leveau et Michel Camau ont étudié la
formation des élites militaires au Maroc et la nature des relations civilo-
militaires  12. Sous un angle purement stratégique, Anthony Cordesman
a poursuivi une analyse de fond sur l’équilibre stratégique en Afrique du
Nord dans le cadre des rapports publiés par le Centre for Strategic and

8.  Ministère de la Défense français, Livre blanc sur la défense, 1994, p. 115.
9.  Pour V. Lemieux, la « politique publique » consiste en ce qu’un gouvernement
décide de faire ou ne pas faire. Se reporter au chapitre I de son livre : L’Étude
des politiques publiques, Sainte-Foy, Les Presses de l’université Laval, 2002,
pp. 1-13.
10.  M.-C. Smouts, D. Battistella, P. Vennesson, Dictionnaire des relations
internationales : approches, concepts, doctrines, Paris, Dalloz, 2006, p. 103.
11.  W. Zartman, Morocco: Problems of New Power, New York, Atherton Press,
1964 ; Carnegie Endowment for International Peace, The Sahara: Bridge or Barrier?,
New York, 1963 ; Political Elites in Arab North Africa: Morocco, Algeria, Tunisia, Libya,
and Egypt, New York, Longman, 1982.
12.  R. Leveau, Le Sabre et le turban : l’avenir du Maghreb, Paris, Bourin Éditeur,
1993 ; M. Camau, La Notion de démocratie dans la pensée des dirigeants maghrébins,
CNRS Éditions, Paris, 1971.
120 Brahim Saidy

International Studies (CSIS) à Washington. De même, le SIPRI Yearbook du


Stockholm International Peace Research Institute et The Military Balance
publié par The International Institute for Strategic Studies (IISS) offrent,
dans une perspective analytique et comparative, un bilan des capacités
stratégiques et des dépenses militaires des pays du monde, y compris celles
du Maroc. Depuis son lancement au début des années 1960, l’Annuaire de
l’Afrique du Nord (AAN) a également abordé la façon dont ce pays conçoit

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sa sécurité et sa défense. La thèse des rapports difficiles de voisinage
comme facteur déterminant dans la conduite de ce secteur au Maroc a
fait l’objet d’études réalisées par Faria Fernanda, Alvaro de Vasconcelos
et Abdellah Saaf  13. Plus récemment, Jean-François Daguzan a publié une
intéressante étude sur les pays du Maghreb, dans laquelle il soutient que
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le conflit du Sahara occidental a été le véritable moment pendant lequel


furent traitées les questions des forces armées et des politiques de défense ;
mais que celles-ci furent davantage abordées d’un point de vue politique
que stratégique  14. Les travaux de Khadija Mohsen Finan  15 et ceux de
Yahia H. Zoubir  16 s’inscrivent dans cette perspective.

Ces travaux s’accordent à dire que les défis du maintien de l’ordre


intérieur et de la défense de la monarchie  17, que les menaces contre
l’intégrité territoriale auxquelles le Maroc a dû faire face depuis son accès
à l’indépendance en 1956 et que les enjeux de la parité stratégique liés à
son environnement régional expliquent bien l’importance accordée à son
système de défense nationale et à sa perception de la menace quasiment
monopolisée par la question des frontières.

Le processus décisionnel des dynamiques internes


La principale composante des dynamiques internes est liée à
l’identification des acteurs qui élaborent la politique de défense marocaine.
Celle-ci permet de comprendre la manière dont les décideurs politiques
marocains motivent leurs choix en matière de sécurité et de défense et

13.  F. Fernanda, A. de Vasconcelos, “Security in North Africa: Ambiguity and


Reality”, Chaillot Paper, n° 25, WEU Institute for Security Studies, septembre 1996 ;
F. Faria, « Politiques de sécurité au Maghreb, les impératifs de la stabilité intérieure »,
Les Cahiers du Lumiar, Lisbonne, 1994 ; A. Saaf, « Le discours stratégique arabe »,
Les Cahiers du Lumiar, Lisbonne, 1994.
14.  J.-F. Daguzan, Le Dernier rempart ? Forces armées et politiques de défense au
Maghreb, Paris, éditions Publisud, 1998.
15.  Voir notamment son livre, Sahara occidental : les enjeux d’un conflit régional,
Paris, CNRS Éditions, 1997.
16.  Voir notamment son livre en collaboration avec D. Volman, International
Dimensions of the Western Sahara Conflict, Westport, Praeger Publishers, 1993 ; et
son dernier article, “Stalemate in Western Sahara: Ending International Legality”,
Middle East Policy, vol. 14, n° 4, hiver 2007, pp. 158-177.
17.  L’institution militaire porte le nom des Forces armées royales (FAR), ce qui
est bien significatif du lien d’allégeance directe avec le trône alaouite et les missions
qui lui sont confiées, à savoir la défense du régime monarchique.
La politique de défense marocaine : articulation de l’interne et de l’externe 121

de définir les arbitrages qui conduisent ces derniers à prendre des déci­
sions et à les mettre en œuvre dans le domaine de la politique publique.
Ce domaine comprend notamment le fonctionnement et les relations
qui s’établissent entre les prin­cipales institutions qui concourent à la
fabrication des politiques de défense, leur évolution ainsi que les normes
dominan­tes.
La structure décisionnelle en matière de défense nationale marocaine

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remonte à la période coloniale. Durant la période de plus de quarante ans
de protectorat français au Maroc (de 1912 à 1956), la France a assumé, au
nom du Maroc et en vertu du traité de Fez de mars 1912, les missions de
« défense » et d’« affaires étrangères ».
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C’est pour cette raison qu’une des premières décisions souveraines


du Maroc indépendant a été l’établissement d’une structure juridique et
institutionnelle qui a débuté par le Dahir (décret) du 25 juin 1956 portant
institution des Forces armées royales (FAR) et la création du ministère de
la Défense nationale par le Dahir le 8 novembre de la même année en vue
de la mise en place d’une administration de défense réellement nationale  18.
Cependant, cette structure fut entièrement remise en cause suite au coup
d’état militaire de Skhirrat le 10 juillet 1971 et à l’attentat contre le Boeing de
Hassan II en août 1972. Ces événements vont conduire le roi à entreprendre
un profond réaménagement de l’administration de la défense marqué par
l’instauration d’un dispositif anti-putsch : il crée de nouvelles mesures
de surveillance des militaires et diminue la concentration du processus
décisionnel du roi, lequel demeure toutefois la figure centrale et absolue du
dispositif de défense. Sous le règne de Mohammed VI, cette structure n’a
pas véritablement changé de nature ; au contraire, ses traits centralisés tant
politiques qu’administratifs seront accentués. L’organigramme (voir page
suivante) qui s’inspire du modèle développé par Rachid Elhoudaïgui sur
la politique étrangère marocaine  19 résume les principales caractéristiques
du processus décisionnel :

18.  A. Jazouli, « L’administration de la défense nationale », Revue Maroc-Europe,


n° 7, 1994, p. 275.
19.  R. Elhoudaïgui, La politique étrangère sous le règne de Hassan II : acteurs,
enjeux et processus décisionnels, Paris, L’Harmattan, 2003.
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Figure 1. Le processus décisionnel de la politique de défense marocaine
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La politique de défense marocaine : articulation de l’interne et de l’externe 123

Au terme de cette première partie, nous pouvons donc dire que le roi, en
tant qu’organe de l’État, est le seul véritable « producteur de sens » en ce
qui concerne la politique de défense. Son rôle dominant reflète la nature
religieuse, politique et historique de la monarchie dans la structure du
pouvoir. Cette prééminence découle également du texte constitutionnel
où les institutions politiques – à savoir le gouvernement et le parlement
– n’ont qu’un rôle secondaire voire marginal à jouer. Ainsi le cercle du

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pouvoir décisionnel en matière de défense relève d’un corps restreint
organisé autour du roi et composé des conseillers du cabinet royal, du
conseil supérieur de la défense nationale et des services de renseignement.
En somme, le régime des relations civilo-militaires au Maroc est concentré
au sommet de l’État, c’est-à-dire du domaine réservé au roi et échappe à
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tout contrôle démocratique et les décisions sont prises loin du public et


du débat national  20.

L’environnement régional et international

Le facteur géographique et les choix stratégiques


L’évolution de la politique de défense marocaine dans le cadre de son
environnement régional et international est d’abord conditionnée par le
facteur géographique et les mutations qui affectent cet environnement.
Comme disait Napoléon, « toute politique d’un pays est contenue dans
sa géographie. » Pourtant, l’action stratégique du Maroc démontre
que la politique peut également relever d’un art qui per­m et de se
jouer de la géographie pour assurer les intérêts nationaux d’un pays.
Henry Kissinger souligne que « depuis un siècle, le Maroc se trouve à
l’intersection des grandes stratégies des puissances étrangères, ce qui
contraint ses dirigeants à manœuvrer avec art, subtilité et autorité  21. »
Le roi Hassan II a qualifié cette vocation géographique en écrivant :
« le Maroc ressemble à un arbre dont les racines nourricières plon­gent
profondément dans la terre d’Afrique et qui respire grâce à son feuillage
bruissant aux vents d’Europe. Aujourd’hui le Maroc reprend la place qui
était géographiquement, historiquement, politiquement, la sienne ; il
est redevenu une nation de synthèse, une communauté de liaison entre
l’Orient et l’Occident  22. »

En effet, la situation géographique du Maroc se reflète dans la structure


de ses forces armées. Elles sont réparties en trois commandements pour
atténuer la vulnérabilité du pays sur ses frontières : le Nord est chargé
de la défense de la zone méditerranéenne côtière et montagneuse étant
donnée la présence de l’Espagne sur les deux enclaves de Ceuta et Melilla,
le Sud assure le contrôle de la zone tampon au Sahara occidental et

20.  B. Saidy, « Les relations civilo-militaires au Maroc : le facteur international


revisité », Politique étrangère, 2007/3, p. 589-603.
21.  H. Kissinger, Les Années orageuses, Fayard, Paris, 1982, p. 781.
22.  Hassan II, Le Défi, Albin Michel, Paris, 1976, p. 189.
124 Brahim Saidy

le commandement de la frontière assure la sécurité face à l’Algérie à


l’est.

La perception de la menace

La politique de défense marocaine a toujours été définie en fonction

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de son combat pour l’intégrité territoriale du pays et des menaces que
représentent ses voisins.
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La principale composante de cette menace est associée à l’Algérie


dont la confrontation militaire avec le Maroc remonte à « la guerre des
sables » d’octobre 1963, peu après l’indépendance algérienne, et suite
à la réclamation du Maroc d’une zone saharienne comprise dans les
limites attribuées à l’Algérie  23. Les relations difficiles entre les deux pays
s’expliquent également par l’implication de l’Algérie dans le conflit du Sahara
occidental : engagement militaire, appui financier et logistique, mobilisation
et soutien diplomatique en faveur de la RASD (République arabe sahraouie
démocratique, créée en 1976 et abritée par l’Algérie sur son sol), action de
soutien au sein notamment de l’Union africaine, laquelle a aussitôt reconnu
la RASD en 1984, et de l’ONU.

L’Algérie qui a toujours défendu le principe d’autodétermination du Sahara


occidental est allée plus loin en demandant le partage de ce territoire avec le
Maroc, tel que l’a souligné le secrétaire général de l’ONU dans son rapport
du 9 février 2002. Dans ses multiples travaux sur ce désaccord, Khadija
Mohsen Finan soutient que le conflit du Sahara occidental constitue la
question prioritaire de la stratégie militaire marocaine et qu’à l’exclusion du
rôle du Polisario (Front populaire de libération de la Saguia el Hamra et du
Río de Oro) les deux parties aux différends, et ses principaux protagonistes
sont le Maroc et l’Algérie.

Les relations hispano-marocaines constituent le deuxième élément de


cette perception de la menace. Pour Bernabé Lopez Gracia, « elles sont
caractérisées par divers conflits et tensions liés aussi bien à la question
territoriale, aux problèmes de voisinage, qu’à la concurrence économique  24 ».
Le contentieux de Ceuta et Melilla, le rocher de Velez et les îles Chaffarines
que l’Espagne occupe depuis les XVe et XVIe siècles, demeure le problème
majeur pouvant engendrer une confrontation militaire entre les deux pays,

23.  Ce litige a été réglé par la signature en 1972 d’une convention pour
la délimitation des frontières qui ne fut pourtant ratifiée par le Maroc qu’en
1989.
24.  B. Lopez Gracia, « Les relations hispano-marocaines », dans R. Leveau,
K. Mohsen-Finan (dir.), Notes de l’Ifri 44, Paris, 2002, p. 107.
La politique de défense marocaine : articulation de l’interne et de l’externe 125

comme ce fut le cas pour l’îlot Leïla en 2002  25. Au cours de son histoire et
jusqu’à nos jours, le Maroc a constamment revendiqué la propriété de ces
enclaves afin de réaliser son intégrité territoriale ; il a toujours agi dans ce
sens tant au plan bilatéral qu’international. Pour lui, l’occupation espagnole
est coloniale. L’Espagne n’écarte ni l’hypothèse d’une attaque du Sud ni
la modification de l’actuel équilibre militaire. Les plans d’état-major de
l’armée espagnole n’ignorent pas l’éventualité d’un conflit avec le Maroc au

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sujet des présides. De son côté, l’armée marocaine prend en considération
un tel scénario dans ses stratégies. Militairement, l’Espagne maintient un
dispositif militaire impor­tant dans la région dont l’objectif est d’assurer
la défense des enclaves par la dissuasion et l’intervention militaire le cas
échéant. En effet, les villes de Ceuta et Melilla sont d’importantes bases
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mili­taires en Afrique du Nord, et Gibraltar demeure une zone d’importance


stratégique dans les stratégies de l’OTAN en Méditerranée occidentale. Il
convient de noter que les deux villes ne font pas partie de la zone cou­
verte par l’OTAN qui, du point de vue de Bernard Labatut, estime difficile
d’accepter « une disposition dérogatoire à l’article 5 pour inclure, dans le
domaine géographique d’application du traité, les enclaves de Ceuta et
Melilla, situées sur le territoire africain qui se trouve exclu de son champ
d’application et qui constituerait un geste profondément inamical à l’égard
du Maroc  26 ».

La politique d’armement

Dans toute politique de défense, la politique d’armement apparaît comme


une des composantes essentielles. Elle permet aux armées de se doter du
matériel nécessaire à leur entraînement et de développer leurs capacités

25.  Cet îlot est situé en Méditerranée à environ 200 m de la ville marocaine de
Tanger et à 6 km à l’ouest de l’enclave espagnole de Ceuta. La souveraineté de ce
territoire, inhabité et aride, est disputée par le Maroc et l’Espagne, qui tous deux
la revendiquent en s’appuyant sur la géographie et l’histoire. Le débarquement
de six soldats marocains sur cet îlot, le 10 juillet 2002, pour installer un poste de
contrôle contre le trafic de drogue et l’immigration clandestine, a provoqué une
crise diplomatique avec l’Espagne. Ce dernier, qui a qualifié cet acte d’invasion
marocaine d’un territoire espagnol, a immédiatement mobilisé ses forces armées
dans le cadre d’une opération intitulée Recuperar Soberanía pour récupérer ce
territoire et expulser les soldats marocains. De son côté, le Maroc a considéré
comme illégitime la menace de guerre et la démonstration de force de la part de
l’Espagne qui n’est en possession, selon elle, d’aucune preuve juridique formelle
certifiant que cet îlot fait partie de son intégrité territoriale. Au cours de cette
crise, le Maroc a été soutenu dans ses revendications par tous les membres de la
Ligue arabe à l’exception de l’Algérie. En revanche, l’Espagne a pu compter sur
le soutien de tous les pays membres de l’Union européenne à l’exception de la
France et du Portugal. La restauration du statu quo antérieur au débarquement
marocain a été imposée grâce à la médiation du secrétaire d’État américain,
Colin Powell.
26.  B. Labatut, Renaissance d’une puissance ? Politique de défense et réforme
militaire dans l’Espagne démocratique, Paris, Economica/FEDN, 1993, p. 197.
126 Brahim Saidy

opérationnelles dans le cadre de combats  27. C’est la qualité et la quantité des


armements qui déterminent souvent l’issue d’un conflit armé ou d’une guerre.
C’est pourquoi, et en raison de la nature anarchique de son environnement
régional marqué par des rapports de force et un dilemme de sécurité, le
Maroc a adopté une politique permanente d’armement et de modernisation
de son arsenal militaire. Il espère éviter d’être déclassé dans la course aux
armements qui s’est engagée depuis les années 1960 dans la région et qui

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ne fait que renforcer les causes inhérentes d’instabilité et accentuer les
problèmes économiques dans cette région.

Le Maroc est un des pays dont l’industrie d’armement est inexistante.


L’intervention de l’État dans ce domaine ne dépasse donc pas la définition
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des programmes d’achat et le maintien de bonnes relations avec les pays


producteurs. Ainsi, l’achat d’armement et l’assistance militaire accordée
au Maroc par ses alliés ne sont pas simplement un acte commercial mais
constituent déjà un acte politique.

Les principaux fournisseurs d’armes et d’équipements pour le Maroc sont


les États-Unis et la France. Ils sont suivis, à un moindre degré, par l’Espagne,
la Russie et quelques autres pays européens. La domination du marché
marocain par ces pays s’explique par des liens historiques souvent d’origine
coloniale et la tendance pro-occidentale du Maroc. Pendant la Guerre froide,
le roi Hassan II a profité de la proximité idéologique entre l’Algérie et
l’URSS pour établir un parallèle entre le conflit du Sahara occidental et la
confrontation Est-Ouest. Il s’est rapproché du camp occidental afin d’obtenir
un soutien diplomatique au sein des instances internationales et un appui
financier pour améliorer et moderniser son potentiel militaire  28.

Selon Anthony Cordesman, les dépenses militaires du Maroc n’ont, à


l’évidence, que deux explications : la parité stratégique avec l’Algérie et le
conflit du Sahara occidental  29. Malgré la modicité des ressources financières
et le manque de ressources pétrolières marocaines, les dépenses militaires
marocaines n’ont cessé d’augmenter sans qu’elles ne se soient accompagnées
d’une politique de développement économique aidant à surmonter les
contraintes financières d’achat du matériel militaire et diminuer le recours

27.  Ministère de la Défense français, Livre blanc sur la défense, p. 115.


28.  Il convient de rappeler que la désignation du Maroc en juin 2004 par le
président américain, George W. Bush, au nombre des alliés majeurs des États-
Unis en dehors des pays membres de l’OTAN favorisera la coopération militaire
bilatérale. Ce statut d’allié non-OTAN permet, entre autres, à ce pays d’avoir des
facilités pour des contrats militaires et de continuer à bénéficier des programmes
de coopération militaire du Pentagone, notamment le programme américain de
formation et d’entraînement militaire international (IMET International Military
Education and Training) destiné à donner une formation aux militaires étrangers
provenant des pays alliés et amis. Pour plus d’informations, voir http://www.state.
gov/t/pm/rls/rpt/fmtrpt/
29.  A. H. Cordesman, The Military Balance in North Africa: 1990-1996, Washington,
Centre for Strategic and International Studies, septembre 1996, pp. 25-42.
Figure 2. Les dépenses militaires des États du Maghreb
en millions de dollars US : 1997-2004

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Source : Anthony H. Cordesman, The North African Military Balance: Force Developments
in the Maghreb, Washington DC, Center for Strategic and International Studies, 2005,
p. 13, http://www.csis.org/media/csis/pubs/050328_norafrimibal[1].pdf
128 Brahim Saidy

pour le paiement direct aux monarchies pétrolières du Golfe, en particulier,


l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Le tableau ci-dessous nous
donne une idée de l’effort d’armement marocain en comparaison avec celui
des autres pays du Maghreb :

À la lumière de ces données, on peut avancer que l’Algérie domine


clairement la situation régionale, bénéficiant de l’augmentation des prix

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du pétrole et du gaz. À la sortie d’une décennie d’embargo sur les armes et
souffrant de l’inadaptation de son arsenal militaire d’origine soviétique, elle
s’est lancée dans une opération de modernisation de son armée. En 2006,
l’Algérie a conclu avec la Russie un contrat d’achat d’armes estimé à 7,5
milliards de dollars  30. Le Maroc a maintenu un niveau élevé d’armement mais
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il n’est pas en mesure, en raison de contraintes budgétaires, de poursuivre


l’Algérie dans cette nouvelle course à l’armement. En septembre 2007, le
quotidien français La Tribune dévoilait une compétition franco-américaine
sur des contrats de vente d’armes au Maroc en soulignant que les États-
Unis proposaient 32 F-16 d’occasion tirés de l’US Air Force et fabriqués
par Lockheed Martin pour moins de 2 milliards de dollars alors que la
France proposait 18 Rafales pour 2,3 milliards d’euros  31. C’est la Tunisie
qui garde un budget stable et modeste étant donné l’absence de menaces
directes pesant sur le pays. Pour sa part, la Libye n’a cessé de diminuer
ses dépenses militaires au cours de cette période en raison de sanctions
économiques appliquées par les États-Unis et l’ONU. Pourtant, ce pays, qui
est en train de normaliser ses relations avec l’Occident suite à sa décision
du 19 décembre 2003 de renoncer aux armes de destruction massive, s’est
lancé dans la course régionale à l’armement en concluant des contrats dans
ce domaine avec la France d’un montant d’environ 10 milliards d’euros, suite
à la visite officielle du 10 au 14 décembre 2007 à Paris du dirigeant libyen
Mouammar Kadhafi, qui ne s’y était plus déplacé depuis 1973  32.

Il convient de noter que le Maroc n’a jamais été attiré par la prolifération
nucléaire, biologique ou chimique, ni par l’acquisition de capacités
balistiques. Il ne possède ni missiles de longue ou moyenne portée, ni
n’envisage de projets de recherche qui inciteraient à penser qu’il y voit un
intérêt ou en aurait l’intention. Pourtant, son intérêt pour le nucléaire civil
est prégnant depuis les années 1960 alors qu’il engageait des recherches
dans le domaine pour compenser son déficit en matière d’énergie  33. Membre
de l’AIEA depuis 1957, le Maroc a ratifié le Traité sur la non-prolifération
des armes nucléaires et l’utilisation pacifique des techniques nucléaires en

30.  M. Fayçal, « Ces contrats qui dérangent », El-Watan, 23 mars 2006.


31.  « Le Rafale de Dassault menacé d’un échec au Maroc », La Tribune,
17 septembre 2007. D’autres informations sont disponibles dans Sipri yearbook
2008, Suède, Elanders, 2008, p. 303.
32.  Le Monde, 11 décembre 2007.
33.  B. Saidy, « Le nucléaire civil dans les stratégies de sécurité énergétique
au Maghreb et au Proche-Orient », Études Raoul Dandurand, n° 16, avril 2009,
pp. 14-15.
La politique de défense marocaine : articulation de l’interne et de l’externe 129

1972, ce qui lui confère le droit d’accès à la technologie nucléaire à des fins
pacifiques  34. Il a suivi avec inquiétude les activités nucléaires de l’Algérie, ses
craintes initiales étant alimentées par sa possession d’un réacteur à usage
civil (réacteur d’Aïn Oussera de 15 mégawatts). Les activités algériennes ont
cependant été abandonnées et considérablement réduites après la signature
du Traité sur la non-prolifération en 1995 et celle des accords de vérification
de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)  35.

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La diplomatie de la défense et les alliances de sécurité
Tel qu’énoncé précédemment, la politique de défense est une articulation
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de l’interne et de l’externe et ses liens avec la politique étrangère ne se


limitent pas à l’emploi des forces armées afin de servir la sécurité régionale
ou internationale. Les institutions de la défense disposent souvent de
leur propre expertise internationale voire de leur propre diplomatie  36.
Une cohérence raisonnable entre les politiques étrangère et de défense
est nécessaire pour la sauvegarde des intérêts de l’État à l’intérieur
comme à l’extérieur. Ainsi la politique de défense nationale adoptée par
le Maroc depuis l’indépendance constituait un moyen d’action afin de se
rapprocher du camp occidental et de soutenir sa lutte pour son intégrité
territoriale.

Les principales manifestations de cette « politique étrangère de défense »


marocaine se situent dans sa participation aux opérations de maintien de
la paix (OMP), son utilisation de l’armée comme instrument diplomatique
pour soutenir la solidarité arabe et sa participation à toutes les initiatives
de sécurité régionale.

La participation du Maroc aux missions onusiennes de maintien de la paix


relève des actions particulières de l’armée marocaine hors de son territoire
national. Depuis les années 1960, le Maroc n’a pas ménagé ses efforts pour
répondre favorablement aux appels de la communauté internationale en
vue de prévenir les conflits ou de restaurer la paix et la sécurité à travers
le monde  37.

34.  Lors de sa visite au Maroc, le président français Nicolas Sarkozy a donné le


coup d’envoi d’une coopération nucléaire civile en déclarant, le 24 octobre 2007, que
« nous avons décidé de lancer un nouveau grand chantier, celui de l’énergie nucléaire
civile ». Voir « La France et le Maroc s’engagent dans un partenariat nucléaire civil »,
Le Monde, 24 octobre 2007. De son côté, les États-Unis soutiennent le Maroc dans ce
domaine, voir J. Gattioui, « Énergie nucléaire civile : soutien américain au Maroc »,
Le Matin, 10 janvier 2007.
35.  I. O. Lesser, Security in North Africa. Internal and External Challenges, Santa
Monica, Rand, 1993, p. 52.
36.  P. Vennesson, « Force armée et politique étrangère », dans F. Charillon (dir.),
Politique étrangère : nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 312.
37.  B. Saidy, « Relations civilo-militaires au Maroc. Le facteur international
revisité », op.cit., 2007, p. 595.
130 Brahim Saidy

Quant à la solidarité envers les pays arabes, le Maroc, qui ne définit pas
sa politique de défense en fonction du conflit israélo-arabe comme c’est le
cas de certains pays arabes qui adoptent une ligne de confrontation avec
avec Israël (Syrie, Égypte, Jordanie, Liban, etc.), a envoyé des contingents
en Égypte en 1967 et dans le Golan en 1973 pour soutenir les armées
arabes dont la participation ne fut pas que symbolique  38. Aussi, dans le
cadre de ses alliances stratégiques et diplomatiques avec les monarchies du

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Golfe, le Maroc a déployé des unités militaires en Arabie Saoudite et aux
Émirats arabes unis lors de la deuxième guerre du Golfe et continue toujours
d’apporter un soutien concret à leurs forces de sécurité  39, en échange de
quoi ces pays ont financé la guerre qui l’opposa au Sahara occidental et
continuent de soutenir ses programmes d’armement.
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En outre, le Maroc est membre depuis septembre 1958 de la Ligue arabe


et de son conseil de défense commun. L’article 2 du pacte de la Ligue des
États arabes signé le 22 mars 1945 au Caire prévoit une clause générale
d’assistance en cas d’agression assez similaire dans sa forme à l’article 5 du
traité de l’Atlantique Nord (OTAN) : « Les États considèrent toute agression
armée contre l’un ou plusieurs d’entre eux, ou contre leurs forces, comme
étant dirigée contre tous à la fois. […] C’est pourquoi […] ils s’engagent
à se porter immédiatement au secours de l’État ou des États victimes de
l’agression et de prendre immédiatement […] toutes les mesures […] pour
repousser l’agression. » Cette clause du pacte n’a jamais été réellement
appliquée sinon dans des déclarations d’intention. L’article 5 du même pacte
prévoyait la création d’un comité militaire permanent afin d’établir des
plans communs de défense. Dans ce sens, la Ligue arabe a adopté en 1950
un traité complémentaire, le traité de défense commune et de coopération
économique, prévoyant la constitution d’un conseil de défense commune.

Au niveau maghrébin, la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA), le


17 février 1989, a également entraîné des obligations en matière de défense
pour le Maroc. L’article 14 du traité de l’UMA contient, à l’instar du pacte de
la Ligue arabe, une clause sur l’automacité de la défense commune en cas
d’agression. Mais le plus important dans le traité de l’UMA est l’article 15,
concernant l’interdiction enjointe aux signataires d’abriter sur leur territoire
des activités de nature à nuire à un autre État membre, comme c’est le cas
pour l’Algérie qui abrite le Front Polisario.

Cependant ces cadres institutionnels n’ont pas réussi à devenir un


vecteur de coopération régionale. Ils sont incapables, en raison des rivalités
interarabes et du climat actuel instable de la région, de concevoir une
stratégie sécuritaire pour l’ensemble des pays de la région, que ce soit

38.  B. Kodamni-Darwish, « Maghreb-Machrek, histoire d’une relation complexe »,


dans B. Kodamni-Darwish (dir.), Maghreb : les années de transition, Paris, Masson,
p. 290.
39.  B. Kodmani-Darwish, M. Chartouni-Dubarry, Golfe et Moyen-Orient, Paris,
IFRI, 1991, p. 101.
La politique de défense marocaine : articulation de l’interne et de l’externe 131

par la Ligue arabe ou l’UMA. Cette situation a conduit le Maroc à agir


individuellement, à chercher des garanties et des alliances de sécurité en
dehors de la région arabe et maghrébine et à donner à sa politique de défense
une dimension plutôt méditerranéenne. Dans cette perspective, le Maroc
participe depuis à l’initiative méditerranéenne de l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui existe depuis la conférence
d’Helsinki en 1975, au partenariat euro-méditerranéen (PEM), institué par

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l’UE à Barcelone en novembre 1995 (qui comprend un volet sécuritaire),
au dialogue 5+5 regroupant les pays de la Méditerranée occidentale et,
enfin, au dialogue méditerranéen de l’OTAN lancé en 1994 et transformé
en partenariat depuis 2004. Ce resserrement de liens avec ce réseau de
sécurité concrétise l’évolution de la conception de défense marocaine dans
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son espace géopolitique méditerranéen et l’importance accordée aux intérêts


communs de sécurité coopérative et de la nécessité d’agir collectivement
face aux menaces communes.

Perspectives d’évolution
La politique de défense marocaine se consacre actuellement à la défense
du Sahara occidental en vue du parachèvement de l’intégralité territoriale
marocaine et de la protection de ses intérêts nationaux, largement
déterminés par le contexte politique et stratégique maghrébin. Sa politique
sera sûrement appelée à évoluer si l’affaire du Sahara est réglée et si le
Maghreb se transforme en un ensemble géopolitique cohérent et intégré.
Entre-temps, la question de l’équilibre stratégique avec l’Algérie qui a été une
des préoccupations majeures de la politique de défense du Maroc pendant la
Guerre froide demeure prioritaire en vue de moderniser l’armée marocaine
et de lui fournir un équipement de haute qualité technologique.
Les adaptations aux mutations que connaît la société marocaine ainsi
qu’à celles du système international contemporain nécessitent une réforme
militaire profonde du processus d’élaboration de la politique de défense
marocaine et des Forces armées royales. Cette réforme ne peut être menée
que dans le cadre d’un pacte de concordance passé entre le roi, les élites
militaires et les acteurs politiques, afin de définir les éléments de consensus
autour des façons dont le pays doit concevoir sa sécurité et sa défense.
Cette démarche consensuelle permettra d’intégrer la question de la réforme
militaire au débat actuel sur la transition démocratique et créera les
conditions d’une évolution stable entre les sphères militaire et civile.

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