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LUTTER CONTRE LA CONTREFAÇON DE MARQUES : L’IMPÉRIEUSE

NÉCESSITÉ D’UNE COOPÉRATION PRIVÉE/PUBLIQUE


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Jérémy Lachartre

Club des Directeurs de Sécurité des Entreprises | « Sécurité et stratégie »

2016/4 24 | pages 64 à 72
ISSN 2101-4736
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-securite-et-strategie-2016-4-page-64.htm
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International
Lutter contre la
contrefaçon de marques :
l’impérieuse nécessité d’une
coopération privée/publique
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Jérémy Lachartre

Pour répondre au phénomène de la contrefaçon, le mot d’ordre est celui de la coopération :


coopération étroite entre les entités étatiques d’une part, entre les services publics d’autre
part (chargés de la répression et de la fraude), et surtout avec les acteurs privés que ce soit les
opérateurs économiques ou les titulaires de droit. Alors que ce trafic illicite international ne
cesse de croître, la coopération et la coordination des parties prenantes présentent encore des
limites. Cela se manifeste par un dédouanement des responsabilités entre les différents acteurs
sur le sujet de la contrefaçon et de sa lutte, un partage de l’information encore hésitant et une
utilisation relative des instruments de coopération. L’enjeu majeur réside alors en l’implication
des acteurs. Pour cela, communiquer sur la dangerosité des contrefaçons sur les consomma-
teurs apparaît être une stratégie pour inciter à la coopération des acteurs concernés.

J uste derrière le trafic de drogue, la contre-


façon se distingue avec un chiffre
d’affaires de plusieurs centaines de
milliards d’euros1. Estimé entre 5 à 7% du
ou totale d’un brevet, d’une marque, d’un modèle,
d’un droit d’auteur sans l’autorisation du titulaire
de droit est interdite, et pourtant elle est promise
à une croissance exponentielle tant ce trafic est
commerce mondial2, le marché de contrefaçon lucratif. A titre d’exemple l’Institut International
touche tous les secteurs d’activité : cosmétique, de Recherche Anti-contrefaçon de Médicaments
médicaments, jouets, pièces automobiles, articles (IRACM) estime que 1000 USD investis peuvent
textiles, produits alimentaires… La contrefaçon se rapporter jusqu’à 500 000 USD dans les produits
caractérise par une violation d’un droit de pharmaceutiques contrefaits3. Face à cette
propriété intellectuelle (DPI). L’imitation partielle menace mondiale, une lutte contre le trafic illicite

1 Journée nationale de destruction de la contrefaçon, le 4 novembre 2014. Allocution de Christian Eckert, secrétaire d'Etat charge du budget.
2 Selon une enquête de l'OCDE de février 2011, réactualisée par la Chambre de commerce international. Source : Douane.gouv.fr
3 Situation Report on Counterfeiting in the European Union. OHMI/EUROPOL April 2015

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International
de contrefaçon s’organise, nécessitant une
Des acteurs multiples,
coopération forte entre les acteurs publics et
privés en raison de la diversité des enjeux et l’enjeu d’une
économiques et sécuritaires qu’il soulève. Cette responsabilité à partager
coopération s’opère par des actions de formation,
sensibilisation et partage d’informations, dans le Outre les autorités publiques et les services en
cadre de partenariats publics-privés et d’accords charge d’appliquer la loi, les marques et leurs
institutionnels. Cette coopération est cependant représentants (avocats, consultants en PI, associ-
limitée par les rivalités de pouvoir entre des ations etc.) ont un intérêt à s’impliquer dans la
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acteurs aux intérêts parfois divergents, le partage lutte contre la contrefaçon en raison de leur rela-
difficile de responsabilités, et de sérieuses réti- tion avec la propriété intellectuelle. Des acteurs
cences dans le partage d’informations pour lutter tels que les prestataires privés liés au transport,
contre le faux. Cet article se propose d’étudier au mode de paiement ou Internet ont aussi un
l’implication parfois déficiente des - nombreux - rôle important à jouer dans l’acheminement de la
acteurs en matière de lutte contre la contrefaçon, contrefaçon et de sa visibilité. Les titulaires de
et d’expliquer les motivations d’une coopération DPI4 attendent des administrations publiques
existante mais insuffisante. qu’elles puissent intervenir pour mener des
actions, notamment de répression. Les autorités
publiques et l’appareil répressif ont besoin de

LUTTER CONTRE LA CONTREFAÇON : LA MULTIPLICITÉ DES ACTEURS


Réalisation : J. Lachartre IFG/CRAG

ACTEURS PUBLICS ACTEURS PRIVÉS

Organisations internationales Prestataires privés

OMD Cabinets d’avocats en DPI


INTERPOL SENSIBILISATION Cabinets de conseils
OMPI Services d’investigation,
UNODC enquête
… …
PARTAGE DES INFORMATIONS
Organisations européennes Titulaires de droits*
FORMATION *On prendra ici exclusivement
DG Home,
les détenteurs de marques.
DG Taxud…
EUROPOL
OHMI
EUROJUST PRESTATAIRES/OPÉRATEURS

ÉCONOMIQUES «INTERMÉDIAIRES»

Acteurs nationaux (France) Associations


Transports (Fret) Fédérations interprofessionnelles
DGDDI/Douane
Ministère de l’Intérieur Acteurs de l’Internet Selon les secteurs d’activités
Gendarmerie/Police
INPI/CNAC Compétences internationales
Moteurs de recherche Web
DGCCRF et/ou
Services de paiement en ligne
DGE Compétences nationales
Hébergeurs
Opérateurs de nommage
(noms de domaine, etc…)

4 On fait ici référence plus particulièrement aux détenteurs de marques protégées (Droit de propriété industrielle, droit des marques), donc enregis-
trées au niveau national ou international auprès des offices concernés.

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l’appui et de l’implication des titulaires de droits, en matière de lutte contre la contrefaçon :
les seuls à pouvoir véritablement authentifier un « Concernant la coopération entre les acteurs publics et
produit suspecté d’être une contrefaçon. Pour se privés, on peut estimer qu’elle est bonne, mais toujours à
faire, la coopération se présente à travers des améliorer. Chaque acteur va se plaindre que l’autre ne
actions de formation, via l’appui d’associations fait pas son boulot. Est-ce que les douaniers sont perfor-
telles que l’Unifab5 en France, tout comme des mants, les titulaires de droit jouent-ils leurs rôles ? »6.
actions de « sensibilisation » auprès des Certains estiment que les titulaires de droits sont
décideurs politiques, du grand public ou des tributaires des actions publiques, à savoir l’action
détenteurs de marques. Cette sensibilisation se de la douane, de ses contrôles, et de l’implication
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matérialise par l’envoi de délégations vers les des autorités publiques en matière de lutte contre
autorités publiques visées, ou la mise en place la contrefaçon. Pour d’autres, « le douanier n’a pas à
d’évènements pour sensibiliser le grand public avoir la responsabilité d’identifier ou pas les produits, il
aux conséquences de la contrefaçon, comme en est de la responsabilité du titulaire de droit7 ». Il y a
l’instauration de la journée mondiale anti-contre- toujours des avis qui divergent : « C’est le secteur
façon au cours du mois de juin. privé qui râle sur les administrations publiques
concernées, car elles ne feraient pas bien leurs contrôles
ou pas assez. D’un autre coté, le secteur public indique
La persistance d’un qu’il n’a pas d’ordres à recevoir des entreprises…» confie
dédouanement mutuel Anne-Catherine Milleron8.
Le schéma suivant présente, de manière non
Le déterminant pour une coopération efficace est exhaustive, un aperçu des différentes représen-
le partage de la responsabilité des acteurs tations critiques :

REPRÉSENTATION DES ACTEURS : ENJEU D’UNE RESPONSABILITÉ À PARTAGER


Réalisation : J. Lachartre IFG/CRAG

Critiques à l’égard des services publics Critiques à l’égard des acteurs privés
(administrations/douanes) (titulaires de droit)

Acteurs trop nombreux Marques non préoccupées


Absence d’actions
Papiers administratifs trop compliqués
ex : demande d’intervention (UE) Réticences à un partage d’information
Confidentialité commerciale
Autorités publiques peu concernées
Contrafaçon non prioritaire Négociation avec les contrefacteurs
Ne porte pas le contentieux en justice
Application des sanctions peu adaptée
par rapports aux préjudices subis Seuil minimum de marchandise
imposé pour une intervention de la douane
Peu de remontée d’information
pour les titulaires de droit Utilisation de la douane pour des raisons
autres que des faits de contrefaçon
Disparités du cadre législatif (ex : commerce parallèle)
selon les Etats concernés

Législation inadaptée
pour des actions efficaces des services Source : entretiens avec divers acteurs privés et publics entre Octobre 2012
et Décembre 2015 (Organisations Internationales, associations, consultants en PI,
de sécurité Titulaires de droit…)

5 Union des Fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle (UNIFAB) est une association française qui œuvre pour la défense
de la Propriété intellectuelle.
6 Entretien avec Philippe Van Eeckhout, consultant en stratégie et coordinateur opérationnel dans le domaine de la lutte anti-contrefaçon, le 10 Avril
2015, Paris.
7 Entretien avec Stéphanie Le Berre, du Département des affaires juridiques à EURATEX, le 25 novembre 2014, Bruxelles.
8 Entretien avec Anne-Catherine Milleron, Chargée du CNAC au sein de l’INPI entre juin 2014 et février 2015, elle occupe désormais le poste de
conseiller en PI à l’ambassade de Séoul. Novembre 2014, Courbevoie.

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L’implication relative acteurs privés se dessinent10 pour responsabiliser
les géants de l’E-commerce en matière de lutte
des acteurs dits contre la contrefaçon. Dans le viseur notamment
« intermédiaires » du CNAC (Comité National Anti-Contrefaçon), les
opérateurs de carte bancaire pourraient refuser
La mondialisation a entraîné l’émergence de l’accès à un paiement sur des sites frauduleux, et
sociétés dites intermédiaires que sont les trans- participer à l’identification des mouvements de
porteurs, les opérateurs de cartes bancaires, les blanchiment d’argent. L’identification des distrib-
chambres de compensation, les services Internet, uteurs commercialisant des contrefaçons serait
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et donc les acteurs de l’économie dématérialisée. aussi plus simple à défaut d’atteindre le contre-
Ces acteurs jouent un rôle dans le développement facteur. Néanmoins, cela reste aujourd’hui encore
du trafic de contrefaçon et des « comportements une coopération en devenir, car les intermédiaires
délictueux » en général (Monot, 2009). sont loin d’être tous concernés par l’application
L’implication des transporteurs dits « Express », du Droit de Propriété Intellectuelle (DPI). Pour
conséquence de la vente en ligne, est sujette à Philippe Van Eeckhout, « il faudrait des moyens
critique. Ces opérateurs pourraient interdire de juridiques efficaces comme aux Etats-Unis, et s’attaquer
manière rigoureuse et systématique les expédi- aux moyens de paiements. Evidemment, ces acteurs n’ont
teurs condamnés par le passé pour trafic de pas intérêt à coopérer, mais il faudrait les contraindre ».
contrefaçon, ce qu’ils ne semblent pas faire. Si Ainsi, le Comité Colbert et les groupes de luxe
certains partenariats (ou conventions) existent essayent de mettre une pression significative en
entre l’administration douanière et les services tentant d’instaurer des partenariats et des chartes
du fret Express ou Postal, la transmission d’infor- de bonne conduite pour influer sur ces opérateurs
mations n’est en effet pas obligatoire, et c’est bancaires et les acteurs en général de l’Internet
souvent au bon vouloir de ces opérateurs. En qui permettent une trop grande visibilité du faux
France, « la douane n'a pas accès, à ce jour, aux multi- sur la toile11.
ples données logistiques et commerciales dont disposent
les opérateurs de fret express9 ».

La relation entre les sociétés de commerce élec-


tronique et la douane pour traiter des problèmes
de PI est un problème crucial. Les entreprises du
E-commerce se présentent comme de simples
transitaires de la marchandise, sans prendre
parfois la responsabilité de leur rôle dans la lutte
contre la contrefaçon. Des accords avec des

9 « Les douanes face au commerce en ligne : une fraude fiscale importante et ignorée. » Rapport d'information n° 93 (2013-2014) de A. De Montgolfier
et P. Dallier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 octobre 2013.
10 Le groupe de luxe LVMH a signé le 17 juillet 2014 un accord avec Ebay contre la contrefaçon.
http://www.challenges.fr/entreprise/20140717.CHA6227/lvmh-signe-un-accord-avec-ebay-contre-la-contrefacon.html
11 Entretien avec Elisabeth Ponsolle des Portes, déléguée générale du Comité Colbert, 12 Novembre 2015, Paris.

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Le partage dans le dernier rapport de la DG Taxud13, la cause
serait aussi due à une demande d’intervention
d’informations : « plombée par de la paperasserie de l’administration »
le « nerf de la guerre » selon Philippe Van Eeckhout. Il ajoute qu’ « il faut
de la coopération une description terrible des marchandises, cela est trop
précis. Il faut signifier tous les distributeurs agrées, les
privée/publique ? sous-traitants, avoir tous les licenciés... Et tout cela pour
peu de choses, on sait très bien que le vendeur final ne va
La demande d’intervention : pas être vérifié par les douaniers …14». Le souci princi-
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une prérogative de la coopération pal réside sur l’hésitation de certains détenteurs
de marque à demander ou renouveler leur
entreprises-douanes peu optimisée ? demande d’intervention. Pourtant, celle-ci se
présente comme un outil de coopération utile et
La coopération entre les acteurs se présente à
nécessaire dans l’optique d’une intervention des
travers un partage d’informations mutuel et
services douaniers au sein de l’UE, la procédure
nécessaire. A cette fin, des procédures existent
ex-officio15 étant très peu utilisée pour éviter
comme la demande d’intervention. Fondée sur la
tout risque de méprise lors d’un doute sur la
base juridique du récent règlement (UE)
marchandise : « Parfois, il s’agit en réalité de vraies
n°608/2013, celle-ci permet aux douaniers de
marchandises, alors le déclarant peut être fâché et les
procéder à une retenue de la marchandise
entreprises peuvent s’en prendre aux douanes16 ».
soupçonnée de contrefaçon au sein de l’espace
communautaire. Pour chacune d’entre elles, le
titulaire de droit donne des informations aux Une réticence dans le partage
services douaniers, à savoir les lieux de passage d’informations
de la marchandise, les noms des produits
concernés, leur apparence ainsi que la liste Malgré un effort des institutions pour inciter à la
complète des licenciés12. Passant de 10 260 coopération privée/publique, de « possibles tensions
demandes en 2007 à 26 865 en 2013, cette crois- notamment dans la divulgation d’informations et de son
sance fut stoppée en 2014 avec 20 929 demandes partage17 » persistent. Des réserves sont émises
d’intervention déposées. Si les demandes ne sont quant à l’actualisation des informations liées aux
pas reconduites, ce serait une conséquence du produits : « les représentants douaniers ont signalé que
règlement (UE) appliqué le 1er janvier 2014. les informations fournies dans une demande d’interven-
Certains titulaires de droit n’auraient tout simple- tion sont parfois de mauvaise qualité ou dépassées18 ».
ment pas renouvelé leur demande expirée durant Les titulaires de droits devraient de façon systé-
l’année 2014. Nonobstant cette explication émise matique avertir les douanes des nouveaux

12 http://ec.europa.eu/taxation_customs/resources/documents/customs/customs_controls/counterfeit_piracy/right_holders/manual-application-for-
action_fr.pdf
13 Report on a EU customs enforcement of intellectual Property Rights. Results at the UE border, 2014.
14 Entretien avec Philippe Van Eeckhout, consultant en stratégie et coordinateur opérationnel dans le domaine de la lutte anti-contrefaçon, le 10 Avril
2015, Paris.
15 La procédure ex-officio permet aux douaniers de retenir la marchandise sans le consentement du titulaire de droit pour une durée de 4 jours ouvra-
bles. Seul 1,73% sont des procédures ex-officio en 2014 et 3,06% en 2013. Source : DG Taxud, Results at the UE border 2014.
16 Entretien avec Roland De Meersmann, administrateur délégué de l’ABAC-BAAN, 26 février 2015, Bruxelles.
17 Idem
18 « Septième Congrès mondial sur la lutte contre la contrefaçon et le piratage », OMD ACTU N°71, juin 2013, Pages 48 à 50.

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produits qui entrent sur les marchés, des risques Outre les aspects économiques (pertes de recette
de copie selon la demande, ainsi que des flux et d’emplois etc.), d’autres aspects sont évoqués :
de circulation et de distribution des produits lien avec la criminalité organisée, le terrorisme,
authentiques : « Certaines marques le font de façon la dangerosité du produit, liens avec des trafics
systématique, d’autres, et parmi les plus notoires, n’en illicites tels que la drogue, le blanchiment d’ar-
font pas une priorité » (Monot, 2009). Ce constat est gent… Les enjeux économiques inhérents à la
aussi mentionné dans le dernier rapport contrefaçon ne sont pas occultés, mais on évoque
EUROPOL/OHMI sur la contrefaçon : « Certains « l’impact sociétal notable20 », avec un commerce
membres du secteur privé ne sont pas disposés à s’en- illicite qui peut stimuler la corruption, accroître
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gager dans des mesures coercitives ou à partager des les coûts des services en charge de la répression
données commerciales avec les autorités chargées de et surtout les risques liés à la sécurité et la santé
l’application des lois. Cela peut être pour diverses raisons, des consommateurs. Ceci reflète une stratégie
mais les titulaires de droit ont tendance à se référer à des pour impliquer le plus grand nombre possible
«sensibilités commerciales » pour expliquer leurs réti- d’acteurs dont la coopération est un enjeu primor-
cences, et peut-être par peur d'endommager leur dial. La communication s’apparente à du lobbying
réputation si elles reconnaissent un problème de contre- ou du « Soft Power21 » auprès des instances inter-
façon19 ». Selon Roland De Meersmann, les nationales et des décideurs politiques de nature
titulaires de droit n’ont quant à eux pas la possi- à influer sur le cadre législatif et l’application des
bilité d’obtenir des informations concrètes et lois en matière de DPI. Outre les valeurs du luxe
précises sur le contrefacteur, sauf si le français à l’étranger, le comité Colbert exerce par
contentieux va en justice, et cela ne serait pas exemple une « stratégie d’influence22 ». Les entre-
bien perçu par les acteurs privés. prises d’un même secteur forment un certain
« consortium » afin de créer un collectif et émet-
La communication tre une voix plus importante pour se faire
entendre. Cet art de la communication se mani-
sur le danger de la feste aussi par des actions pilotées en France par
contrefaçon : la solution l’Unifab avec des opérations de distribution de
à une meilleure flyers et d’affiches sur les plages et dans les lieux
publics pour attirer l’attention des consomma-
coopération entre teurs sur les dangers de la contrefaçon23. L’IRACM
les parties prenantes ? met en place des plans de sensibilisation sur le
danger des médicaments contrefaits en proposant
Stratégie de communication comme des jeux éducatifs aux enfants en Afrique, mais
aussi en France avec la distribution de livrets
moyen de sensibilisation
d’information et de conseil pour prévenir des
dangers des faux médicaments24. Des entités

19 OHMI/EUROPOL, Situation Report on Counterfeiting in the European Union, April 2015.


20 Communication de l’ONUDC « Gros plan sur : le trafic illicite de biens contrefaits et la criminalité organisée »
https://www.unodc.org/documents/counterfeit/FocusSheet/Counterfeit_focussheet_FR_HIRES.pdf
21 Théorie de l’américain Joseph Nye, qui se définit par la capacité d’un Etat à influencer un autre Etat sans qu’il en soit conscient, et de manière non
coercitive. (Ici acteur économique ou étatique). Source : J. Nye, Soft Power: The Means to Success in World Politics, Public Affairs, 2004,
22 Entretien avec Elisabeth Ponsolle des Portes, déléguée générale du Comité Colbert, 12 Novembre 2015, Paris.
23 « L’Unifab, le CNAC et la Douane lancent leur 10ème campagne estivale de sensibilisation », Contrefaçon-Riposte.info. http://www.contrefacon-
riposte.info/campagnes/4300-l-unifab-le-cnac-et-la-douane-lancent-leur-10-campagne-estivale-de-sensibilisation
24 http://www.le-faux-medicament-kesako.com

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publiques comme la DGCIS à travers l’INPI sensi- dernière opération du type (OPSON IV – décem-
bilisent les entreprises et les PME sur les enjeux bre 2014/Janvier 2015), 2 500 tonnes de denrées
liés à protection du DPI25. Souvent confié à des alimentaires non conformes ou contrefaites (35
intermédiaires pour préserver leurs images de tonnes de « faux beurre », des milliers de fausses
marque26, le travail de sensibilisation peut créer bouteilles de Vodka, etc.) ont été saisies.
un effet médiatique bénéfique, mais il s’agit aussi L’implication des acteurs pour ce type d’opération
de préserver l’image des marques et leur ne cesse de croître27. Selon le communiqué de
notoriété. presse d’INTERPOL, les objectifs de ce type
d’opérations sont clairs : « développer la coopération
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pratique entre les services nationaux chargés de l’appli-
Les bénéfices des opérations « coup de cation de la loi, les autorités chargées du contrôle de
poing » à l’international l’alimentation et des médicaments, et les sociétés privées.
Le but était aussi d’identifier les organisations crim-
Les organismes internationaux tels EUROPOL, inelles responsables de ce trafic et de sensibiliser les
INTERPOL, ou encore l’OMD - pour ne citer qu’eux - consommateurs et les gouvernements à cette forme de
ne cessent de communiquer sur les dangers de la criminalité28 ». Outre l’impact médiatique, ces
contrefaçon à travers les rapports rendus publics, opérations permettent aussi de renforcer la
mais aussi les opérations dites « coup de poing » coopération entre les acteurs privés et publics
qui s’orientent vers les contrefaçons entraînant dans des secteurs sensibles comme celui de l’al-
un risque potentiel sur la santé publique. A titre imentation : « Des opérations comme OPSON
d’exemple, EUROPOL et INTERPOL incitent les permettent de renforcer la coopération entre la police, la
différents acteurs à coopérer pour des opérations gendarmerie et la douane, c’est-à-dire entre les services,
internationales comme OPSON. Lors de la mais aussi avec les acteurs du secteur privé, ou sanitaire.

L’OPÉRATION OPSON : UNE IMPLICATION CROISSANTE DES ACTEURS

OPSON 1
2011
20 pays participants

OPSON II
2012 30 pays participants

OPSON III
2013 33 pays participants
OPSON IV
Décembre 2014 47 pays participants
Janvier 2015

0 50
Source : europol.europa.eu

25 Rapport « Etude Comparée sur les dommages et intérêts alloués dans le cadre des actions en contrefaçon en France, au Royaume-Uni et en
Allemagne », Ministère du redressement productif, Janvier 2014.
26 A titre d’exemple, on peut citer le Comité Colbert pour les marques de luxe, International Federation of Spirits Producers (IFSP) pour les groupes de
spiritueux.
27 Europol, « Record seizures of fake food and drink in INTERPOL-EUROPOL operation », 12 février 2015.
28 Communiqué de Presse d’INTERPOL du 14 décembre 2012 : « Une opération INTERPOL-Europol permet la saisie de produits alimentaires illicites et
de contrefaçons partout dans le monde »

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International
Ces acteurs n’ont pas l’habitude de se parler concernant
Le besoin de toujours
les aliments contrefaits. L’échange d’informations dans le
secteur de l’alimentaire n’est vraiment pas bon29 ». plus de coopération…
Preuve que le partage d’informations demeure
Le danger d’une gradation encore et toujours un défi de coopération, les
de la contrefaçon instances internationales ont mis en place des
plateformes de liaisons ces dernières années :
L’aspect dangerosité du produit et les risques liés l’Interface Public-Membres (IPM) de l’OMD, ou
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à la santé permettraient de reconnaître la contre- l’Enforcement Database (EDB) de l’OHMI. Ces
façon comme un délit et même un crime à interfaces permettent de simplifier l’échange et la
l’échelle mondiale (Delval, 2010). Néanmoins, coordination des informations (caractéristiques
cette stratégie qui consiste à faire une hiérarchi- des produits, de leurs itinéraires etc.) entre les
sation de la contrefaçon selon sa dangerosité a des services publics et les acteurs privés. Cela va dans
conséquences pour certains secteurs qui pour- le sens d’une volonté de simplifier et dématéri-
raient être moins concernés. Directeur juridique aliser les instruments de coopération pour inciter
du service PI de Lacoste, Zeeger Vink estime en les acteurs à s’impliquer d’avantage. Faute de ne
effet que « l’on ne devrait pas faire une différence entre pouvoir les contraindre, des dispositions institu-
les produits contrefaisant liés à l’atteinte à la santé tionnelles responsabilisent les acteurs concernés
publique et le reste (…) il s’agit d’un préjudice pour les de manière incitative et non coercitive comme la
industries du textile notamment30 ». Sans négliger mise en place des OEA (Opérateurs Economiques
l’importance de lutter ardemment sur des Agrées). Nommés dans le cadre du programme
produits pouvant nuire à la santé du consomma- « SAFE » de l’OMD, les acteurs privés sont invités
teur (ex : médicaments contrefaits/falsifiés), faire à coopérer de manière plus significative avec les
une différence présenterait certaines contre- administrations douanières pour bénéficier de
façons comme « innocentes », et mettrait certains « procédures de mainlevée rapides et simplifiées pour
secteurs d’activités à l’écart selon le représentant autant qu’ils fournissent un nombre minimum d’infor-
de la marque Lacoste. Cette tendance peut aussi mations34 ». Grâce à ce partenariat public-privé, les
conduire certains consommateurs à estimer que douaniers bénéficieraient notamment de données
l’achat des contrefaçons dites « folkloriques » commerciales parfois compliquées à obtenir.
bénéficie d’une certaine impunité par rapport à Malgré les nombreux outils à disposition, l’enjeu
des contrefaçons dites « dangereuses »31. Pourtant, majeur réside en l’implication des acteurs pour
comme le rappelle Stéphanie Le Berre d’EURATEX32, une coopération globale nécessaire. La communi-
« dès le départ que ce soit dans la loi Longuet ou les cation inhérente à la stratégie d’une lutte contre le
accords ADPIC33, il s’agit de mettre en relation la contre- trafic du faux ne doit pas dissimuler la délicatesse
façon à la sécurité du consommateur », et ce quel que d’un partenariat parfois fragile. L’efficacité d’une
soit le type de produit. coopération dépend en réalité pour beaucoup de

29 Entretien avec la section « Economic Crime » (Europol) en 2013.


30 Entretien avec Zeeger Vink, le 17 Avril 2014, Paris.
31 Ces termes ont été évoqués lors de la conférence de Presse « Opération Biyela 2 » du 22 Septembre 2014 à Paris.
32 Basée à Bruxelles, EURATEX (European Apparel And Textile Confederation) est une association représentant les industries du textile et l’habillement
au niveau européen. Entretien avec Stéphanie Le Berre le 25 novembre 2014.
33 Les accords ADPIC (TRIPS en anglais) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce à l’échelle mondiale. La loi
Longuet (loi n°94-102 du 5 Février 1994) est considérée comme la loi anti-contrefaçon en France.
34 OMD, Cadre de normes SAFE visant à sécuriser et faciliter le commerce mondial, Juin 2012.

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la cohérence d’un positionnement stratégique Organisation Mondiale des Douanes, « Cadre de normes SAFE
- trop souvent à court terme - des acteurs, qui se visant à sécuriser et faciliter le commerce mondial », Juin
2012.
dessine en fonction du budget alloué à la lutte
contre la contrefaçon et de leur sensibilité sur le Organisation Mondiale des Douanes, « Dossier Spécial
sujet. Au même titre que la coopération interna- Partenariat Douane-Entreprises », OMD ACTU N°61,
Février 2010.
tionale entre entités étatiques, la coopération
entre acteurs publics et privés est indispensable, Taxation et Union Customs, « Report on a EU customs
mais sa mise en œuvre est difficile et apparaît enforcement of intellectual Property Rights. Results at the UE
border 2014 », Octobre 2015.
encore et toujours comme un défi d’aujourd’hui
et de demain. n
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Jérémy Lachartre,
doctorant à l’Institut Français de Géopolitique (Paris 8)

Bibliographie
P. Delval, Le marché mondial du faux : crime et contrefaçon,
Editions CNRS, Paris, 2010.

A. De Montgolfier, P. Dallier, « Les douanes face au commerce


en ligne : une fraude fiscale importante et ignorée. »,
Commission des Finances, Rapport d'information n° 93, 23
Octobre 2013.

Ministère du redressement productif, Etude Comparée sur les


dommages et intérêts alloués dans le cadre des actions en
contrefaçon en France, au Royaume-Uni et en Allemagne,
Janvier 2014.

B. Monot, La guerre contre la contrefaçon : le grand pillage des


marques, Ellipses, Paris, 2009.

OHMI/EUROPOL, « Situation Report on Counterfeiting in


the European Union », Avril 2015.

ONUDC, « Gros Plan sur : le trafic illicite de biens contrefaits


et la criminalité transnationale organisée », 2014.

https://www.unodc.org/documents/counterfeit/FocusSheet/Co
unterfeit_focussheet_FR_HIRES.pdf

Organisation Mondiale des Douanes, « Commerce illicite »,


OMD ACTU N°71, juin 2013.

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