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MULTICANALISATION DES ENSEIGNES

Comment internet transforme les comportements en magasin

Régine Van Heems

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2012/8 N° 227 | pages 13 à 29


ISSN 0338-4551
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2012-8-page-13.htm
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VA R I A
RÉGINE VANHEEMS
Université de Paris I – Sorbonne

Multicanalisation
desenseignes
Comment internet transforme
les comportements en magasin
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Cet article1 analyse de quelle manière la proposition d’un site
internet par une enseigne physiquement implantée
transforme le comportement de ses clients en magasin. Une
étude qualitative met en exergue les profondes mutations
qu’une navigation préalable sur le site internet de l’enseigne
entraîne chez le client lorsqu’il se rend dans le magasin, que
ce soit en termes de définition de son problème de
consommation, d’exploration de l’offre, de magasinage,
d’expérience vécue ou de relation avec le personnel de vente.
Cette étude révèle également la modification des attentes des
clients internautes envers le point de vente associé.

DOI:10.3166/RFG.227.13-29 © 2012 Lavoisier

1. L’auteure tient tout particulièrement à remercier le Pôle des industries du commerce pour son aide dans l’élabo-
ration de ce projet de recherche ainsi que les deux enseignes de distribution qui lui ont permis de mener à bien son
étude.
14 Revue française de gestion – N° 227/2012

A
ppréhendé comme une véritable plantation d’un site internet par leur
révolution, internet devait attaquer enseigne. Cela se traduit par une inadapta-
de plein fouet le commerce de tion croissante de leur concept de distribu-
l’économie dite « traditionnelle » et même tion face à des clients hybrides, de plus en
peut-être provoquer sa disparition progres- plus nombreux, dont le comportement et les
sive. Au début de ce XXIe siècle, l’explosion attentes à l’égard du point de vente se sont
de la bulle internet a remis en cause aussi profondément transformés. Saisir ces trans-
rapidement qu’elle s’était « gonflée » la formations devient donc un enjeu fonda-
capacité de la toile à s’imposer comme mental pour les managers, qui devront pour
unique espace marchand. Souvent consi- s’y adapter, réinventer leurs magasins et
déré, comme un canal complémentaire aux revisiter les piliers traditionnels du marke-
canaux existants, internet s’inscrit comme ting de leurs points de vente (politique d’as-
un élément-clé des stratégies de distribution sortiment et de services, merchandising,
multicanal. L’implantation d’un site inter- gestion de la relation client, etc.).
net à côté de son ou de ses point(s) de vente Cet article se propose d’étudier, au travers
permet à une enseigne d’offrir à ses clients du personnel de vente, l’influence du site
un « libre-service élargi », tout comme internet d’une enseigne sur le comportement
l’hypermarché avait permis, dans les années de ses clients au sein du magasin. Après une
1960, aux consommateurs d’accéder à un revue de littérature sur les quelques travaux
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libre-service contraint toutefois par l’exi- entrepris sur cette problématique, il présente
guïté d’un même toit. Jouissant d’une les résultats d’une recherche qualitative
liberté étendue, les clients ont doucement menée auprès de ces observateurs privilé-
pris de nouvelles habitudes. Ils se sont mis giés du « terrain » que constituent les ven-
à naviguer entre les canaux au gré de leurs deurs en magasin. Il révèle que de nom-
désirs, de leur humeur et de leurs breux aspects du comportement du client en
contraintes du moment. Du point de vue des magasin que ce soit en termes de shopping,
managers, le site internet est généralement
d’exploration de l’offre ou de relation avec
appréhendé au sein de cet « espace élargi »
les vendeurs sont affectés par une visite
comme un prolongement du magasin de
préalable du site de l’enseigne.
l’enseigne. Une telle position s’explique
probablement par l’arrivée et l’histoire
I – VERS UNE MEILLEURE
récentes d’internet. Pourtant, du point de
CONNAISSANCE DU CLIENT
vue du consommateur, force est de consta- MULTICANAL
ter qu’une visite sur le site internet d’une
enseigne initie souvent un processus qui se 1. L’influence d’internet
poursuivra en magasin. Cette navigation sur le processus de décision du client
« on-line » est d’ailleurs loin d’être sans La proposition d’un site internet par une
conséquence sur son comportement au sein enseigne invite le consommateur à procéder
du point de vente associé. Les profession- à un arbitrage entre les canaux et fait ainsi
nels de la distribution ont rarement pris naître de nouveaux comportements. Cet
conscience de l’évolution du comportement arbitrage peut le conduire à utiliser plu-
des clients en magasin qu’entraîne l’im- sieurs canaux aux différentes étapes de son
Multicanalisation des enseignes 15

processus de décision (reconnaissance du connaissance acquise sur internet entraîne


problème, recherche d’information, évalua- parfois un comportement de défiance
tion des alternatives de choix, achat, éva- envers les conseillers de vente. D’ailleurs
luation post-achat). De nombreux clients lorsque le client utilisateur de canaux à dis-
adoptent ainsi un comportement multicanal tance réintègre le canal traditionnel, il
naviguant on-line avant de visiter le point manifesterait, plus que les autres, une cer-
de vente de l’enseigne pour éventuellement, taine forme d’agressivité et témoignerait
y concrétiser un achat. À l’inverse, la visite d’un plus faible sentiment d’appartenance
sur internet est parfois le support à la maté- (Munos, 2003, 2006). Véritable « cyber-
rialisation d’une transaction dont le proces- shopper » (Vanheems, 2009b), ce client se
sus de décision a été initié en magasin. révèle par ailleurs très actif en matière de
D’ailleurs, pour des produits à très forte shopping et d’achat que cela soit on-line ou
implication (véhicules automobiles, par off-line et il serait plus pressé que les autres
exemple), le recours à internet peut faire clients (Johnson et al., 2006).
l’objet d’une affectation multiple et omni-
3. Client multicanal, perception
présente tout au long du processus de déci-
et comportement en magasin
sion, et ce tant à l’occasion d’une étape par-
L’acheteur qui visite le site internet de l’en-
ticulière que lors des moments d’indécision
et des va-et-vient interétapes (Badot et seigne en plus du magasin privilégie au
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Navarre, 2002). Un comportement multi- moment de l’évaluation de ce dernier,
canal se manifeste également lorsque le davantage une dimension hédoniste (atmo-
client fréquente plusieurs canaux pour une sphère du magasin) et utilitaire (besoin
même étape de son processus de décision d’assistance), que celui qui fréquente exclu-
(Vanheems, 2009a). Par exemple, alors sivement le magasin (Rolland, 2005). Cette
qu’un client était auparavant tenu d’effectuer modification des dimensions qui contri-
l’intégralité de la phase transactionnelle buent à la qualité perçue du magasin n’est
(commande, paiement, obtention du produit) pas influencée par le but poursuivi lors de la
au sein d’un même canal, il lui est désormais visite du site (recherche d’information ou
possible de passer commande ou de payer achat). Le niveau de qualité perçue du
sur le site d’une enseigne et de récupérer son magasin n’est pas plus élevé pour la clien-
produit dans le magasin associé. tèle qui fréquente le magasin et le site de
l’enseigne que pour celle qui fréquente le
2. Les particularités du client multicanal magasin de manière exclusive. Au-delà de
Les clients qui adoptent un comportement la perception, la navigation du client sur le
multicanal sont-ils différents des autres site internet d’une enseigne se répercute
clients ? Les écrits sur cette question sem- directement sur son comportement en
blent mettre en exergue des singularités magasin au moment où il concrétise sa tran-
chez cet acheteur. Bergadaà et Coraux saction. Elle modifie son comportement en
(2008) utilisent le terme de client rayon et le choix des marques (Belvaux,
« éclairé » pour qualifier ce client qui sait 2004, 2005). En effet ses activités d’explo-
se servir d’internet avant de venir échanger rations, d’arrêts, de vérifications des pro-
avec le personnel de vente en magasin. La duits… sont beaucoup plus réduites en
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magasin et il se concentre sur les quelques dans le cadre de produits impliquants justi-
produits qui sont entrés dans son ensemble fie ce choix. Une étude qualitative a été
de considération suite à la préparation de menée auprès de 35 vendeurs de deux
son achat sur internet. Son processus d’ac- grandes entreprises d’amélioration de l’ha-
quisition et de traitement de l’information bitat. Ces observateurs privilégiés du « ter-
s’en trouve considérablement limité. Pour rain » ont été interrogés au deuxième et
des produits à faible implication, l’achat ne troisième trimestre de l’année 2008, c’est-
donne lieu à aucune recherche d’informa- à-dire trois à quatre ans après que leur
tion complémentaire et le client se limite à enseigne ait implanté son site internet.
un repérage off-line du ou des produits Durant ces entretiens en profondeur, les
préalablement sélectionnés on-line. Le vendeurs étaient invités à décrire, au travers
comportement du client est donc plus plani- d’exemples concrets vécus ou observés, le
fié et il passe moins de temps en magasin à comportement des clients venant en maga-
choisir son produit (Belvaux, 2004). sin suite à une navigation sur le site internet
Le niveau d’achat en magasin est également de l’enseigne et à raconter leurs échanges
influencé selon que les clients recherchent avec ces derniers. Il leur a été demandé, éga-
ou non de l’information sur internet. Les lement à partir d’exemples, d’indiquer si,
consommateurs cherchant de l’information selon eux, leurs clients avaient changé suite
on-line augmentent leur niveau d’achat dans à l’arrivée du site. Spectateurs privilégiés de
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les points de vente (Ward et Morganosky, ce qui se passe en magasin, les vendeurs
2000). Par ailleurs, les avantages associés sont en effet les témoins d’une évolution et
respectivement aux canaux on-line et off-line les détenteurs d’une histoire qu’il convient
sont susceptibles d’avoir une influence sur la d’interroger avant que leur mémoire ne leur
satisfaction qu’ils retirent lorsqu’ils font permette de distinguer « ce qui était avant »
leurs courses (Shankar et al., 2003). Dans le de « ce qui est aujourd’hui ». Enfin, et de
domaine bancaire, dans le cadre de services manière corollaire, il leur a été demandé si
non routiniers, les clients associent à un sys- ils percevaient des différences entre un
tème multicanal composé d’un canal internet client multicanal et un client mono-canal.
performant et des employés agréables et Les vendeurs interrogés ont été sélectionnés
informés en agence une valeur ajoutée supé- selon certains critères préétablis et fixés
rieure à ce qu’est capable d’offrir un système avec les entreprises impliquées dans cette
monocanal (Van Birgelen et al., 2006). recherche. La méthodologie est décrite pré-
4. Objectifs et méthodologie cisément dans l’encadré suivant.
de la recherche
L’objectif général de cette recherche est II – UNE PROFONDE
d’analyser de quelle manière la proposition TRANSFORMATION DES
COMPORTEMENTS EN MAGASIN
d’un site internet par une enseigne trans-
forme le comportement de ses clients au L’analyse des entretiens révèle que les ven-
sein de son/ses magasin(s) associé(s). L’en- deurs en magasin perçoivent une profonde
jeu de ce questionnement pour les profes- transformation de leurs clients que ce soit
sionnels, couplé à une absence de travaux dans la définition de leur projet, la gestion
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Méthodologie de la recherche : une déMarche qualitative

Échantillon
Collecte de l’information : 35 entretiens en profondeur sont réalisés en face à face au
deuxième et troisième trimestre de l’année 2008 auprès de conseillers de vente dans 7 maga-
sins (en province et à Paris) appartenant à deux entreprises d’amélioration de l’habitat.
Durée des entretiens : entre trois quarts d’heure et 1 heure 30.
Choix des répondants : des vendeurs officiant dans des rayons de produits impliquants sus-
ceptibles de susciter une demande de conseil de la part de la clientèle (chauffage, aménage-
ment, décoration murale, outillage, rangement, abris de jardin, cuisine et salle de bain).
Conduite de l’entretien : restitution de cas concrets vécus ou observés de clients qui après
être allés sur le site internet de l’enseigne se rendent en magasin, perception d’une transfor-
mation des clients suite à l’implantation du site internet, perception de différences entre
clients multicanal et monocanal.
La période de référence : les vendeurs sont invités à décrire, à partir d’exemples concrets, si
l’implantation du site (ayant eu lieu 3 ou 4 ans plus tôt selon l’enseigne) avait, selon eux, eu
une influence sur le comportement des clients.
L’historique du vendeur au sein de l’enseigne a systématiquement été contrôlé (date de
recrutement dans l’entreprise).
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Retranscription des entretiens : les entretiens sont enregistrés puis intégralement
dactylographiés.
Analyse des entretiens
Une analyse de contenu thématique est réalisée conformément à la procédure présentée par
Bardin (2007). Elle est donc effectuée en deux phases :
– un déchiffrage structurel centré sur chaque entretien individuel. Il s’agit de mettre à jour
les types de structuration discursive, les thématiques, la dynamique personnelle du discours
et les répétitions thématiques des vendeurs interrogés. Cette phase permet en outre de prépa-
rer la seconde étape de l’analyse.
– la transversalité thématique consiste à balayer l’ensemble des entretiens. Elle permet de
mettre en évidence les constances, ressemblances, régularités entre les différents discours
des vendeurs.

de leur budget ou leur comportement en 1. La singularité des clients qui adoptent


magasin. Internet semble ainsi avoir modifié un comportement multicanal
en profondeur leur façon d’aborder l’offre, Le site web de l’enseigne a indéniablement
leur comportement de shopping et de déam- transformé l’état d’esprit dans lequel le
bulation en magasin ainsi que la nature de la client se trouve lorsqu’il se rend dans le
relation avec le personnel de vente. point de vente associé. Les qualificatifs uti-
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lisés par les conseillers de vente pour décrire conseillers de vente. Les achats de ces
la façon dont le client a évolué dans sa façon clients plus « autonomes » sont également
de résoudre un problème de consommation plus réfléchis et moins impulsifs qu’ils ne
sont multiples. Le client est ainsi devenu l’étaient. Leur détermination en magasin se
plus « autonome », « débrouillard », « cu- double d’une meilleure organisation : « Ils
rieux », « déterminé » « expert », « aguer- sont mieux organisés, puisqu’ils se sont
ri », « avancé », « exigeant », « pointil- renseignés sûrement sur le site, mieux orga-
leux », « plus précis », « ayant des attentes nisés donc ils ont leurs plans en tête, ils ont
différentes », « plus au fait des opérations », leurs devis en tête aussi ». D’ailleurs, ils
« mieux organisé », « pressé », « moins « ont souvent leur petite note… parce qu’ils
béat », « seul », « zen », « impatient »… ont noté ce qu’ils ont vu sur internet ».
Présentés pêle-mêle, ces qualificatifs peu- Quelle que soit la forme que prend ce
vent sembler contradictoires. En réalité, le « pense-bête » (impression de page, réfé-
client n’est pas en même temps « pressé », rence du produit, idée de produit ou d’am-
« impatient » et « zen » comme nous allons biance repérée sur internet), il suggère une
le voir dans la suite de cet article. Le client forme de retour à la liste d’achat qui facilite
peut passer d’un état à un autre en fonction le déroulement de la visite au sein du point
de l’étape du processus de décision à de vente et qui participe probablement à
laquelle il se trouve et des contraintes non réduire les achats d’impulsion.
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anticipées qui s’imposent à lui. Ce n’est
également pas toujours du même client dont Une meilleure définition de leur projet
personnel et une meilleure gestion
il s’agit. de leur budget
Ces nombreux qualificatifs qui caractéri-
Leur projet personnel d’amélioration de
sent ce client révèlent que l’introduction
l’habitat est également plus abouti et mieux
d’internet dans son processus de décision a
défini. La gestion de leur budget semble
modifié en profondeur la manière qu’il a de
plus réfléchie. Une réflexion sur leur projet
définir son projet d’achat, d’aborder l’offre,
à partir d’une navigation sur internet cou-
d’en définir des solutions.
plée à un défrichage des offres susceptibles
Des clients déterminés et organisés de « rentrer » dans leur budget se traduit par
Une initialisation du processus de décision une meilleure capacité à gérer ce budget
sur internet se traduit en premier lieu par le lorsqu’ils se rendent au sein du point de
fait que désormais lorsqu’il arrive en maga- vente : « Ils sont plus renseignés sur ce
sin, l’acheteur a « déjà identifié son qu’ils veulent, ont une petite idée, un budget
besoin » et « déjà fait sa vente lui-même ». défini, donc ils sont moins surpris de ce
La préparation de son achat sur internet lui qu’on peut leur donner comme tarif et en
permet d’être « plus avancé dans son acte général ils ne perdent pas de temps. » Plus
d’achat » et très « déterminé » en magasin. précis dans leur demande (ils veulent de « la
Ces clients qui « savent ce qu’ils veulent » faïence 10 x 10 blanche plutôt que du carre-
et « changent difficilement d’avis » se révè- lage mural »), ils ont déjà « des idées bien
lent parfois bornés même si ce terme n’est construites » et témoignent d’une meilleure
pas utilisé de manière explicite par les « capacité à verbaliser leurs besoins ».
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Une expertise et des critères de choix deuse, peut-être pas ! ». Les verbatims de ce
plus périphériques type sont récurrents dans le discours des ven-
Conséquence logique d’une navigation sur deurs. À cet égard, les travaux de Degeratu et
internet, ces clients plus « experts » al. (2000) et Phau et Poon (2000) révèlent
connaissent mieux les produits de la une tendance des consommateurs à utiliser
concurrence et cette connaissance s’ex- des critères d’évaluation différents et plus
prime au sein du point de vente. En effet, nombreux sur un site marchand qu’en
les clients qui sont allés sur internet ont magasin. Nul doute que la sophistication de
« pleinement conscience du choix et de la la procédure d’évaluation de l’offre sur la
concurrence, ils ont connaissance de l’offre « toile » accompagne le client lorsqu’il
et vont donc être beaucoup moins déçus car quitte son ordinateur et accède à l’offre en
ils pourront le trouver ailleurs ». Au-delà de magasin. Les critères de choix rendus déter-
cette connaissance du marché, ils ont égale- minants par internet semblent se propager à
ment une meilleure connaissance des pro- l’intérieur de l’espace commercial physi-
duits et de l’enseigne (procédures, services quement implanté, les mondes virtuels et
de l’enseigne, etc.). Ils sont plus curieux : réels étant étroitement imbriqués. Au-delà
« Oui ils ont changé, ils sont plus curieux et de cette modification et de cet enrichisse-
puis ils vous demandent les choses qu’en ment des critères de choix, le client multi-
règle générale vous avez le moins ». Ayant canal serait plus sensible au prix et effectue-
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la connaissance et le choix, ces clients sont rait une comparaison plus poussée des
également plus « exigeants », « plus poin- offres sur la base de ce critère. Il serait éga-
tilleux, exigeants aussi dans la demande de lement « plus regardant sur la qualité, sur le
renseignements ». Plusieurs conseillers de rapport qualité/prix ».
vente soulignent le caractère original et aty-
pique de leur demande d’information. Pro- Des clients plus ingénieux et aguerris
bablement en raison de l’expertise qu’ils Certains clients internautes sont indéniable-
ont acquise sur internet, ces clients n’hési- ment ingénieux et semblent même pouvoir
tent pas à demander de l’information sur être qualifiés de véritables « lead-user »,
des caractéristiques qui sont parfois très c’est-à-dire « d’utilisateurs à l’avant-garde
éloignées du « cœur » du produit. Leur d’un domaine, ayant un fort intérêt à inno-
demande de renseignements se révèle ainsi ver pour eux-mêmes, imaginant et dévelop-
parfois très éloignée de celle d’avant et de pant des solutions qui répondent à des
celle émanant de leurs homologues non attentes qui pourraient se généraliser par la
internautes. Comme le souligne Bertrand suite » (Von Hippel, 1999). Ils n’hésitent
parfois interloqué par les demandes de ces pas à détourner un produit de son rayon ou
clients nouvelle génération : « ils veulent de son usage. Il leur arrive par exemple de
des infos qu’ils n’ont pas eues sur le site, ils demander pour leur usage personnel un pro-
veulent les avoir par le vendeur, ou sinon, duit qui est habituellement destiné aux pro-
ils vous posent des questions. Mais ça peut fessionnels ou qu’ils ont repéré sur le site
être des questions bêtes, comme “à com- d’un fabricant : « …Ils disent “tiens c’est
bien tourne le moteur?” Pour une voiture de du matériel professionnel, mais j’ai envie
sport, c’est intéressant mais pour une ton- de l’avoir chez moi… Ce ne sont pas des
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produits qui leur sont destinés, mais ça crée est devenu plus rapide et ils manifestent
le besoin”. Cette perméabilité des marchés désormais un besoin d’accès plus rapide
pourrait avoir un effet amplificateur sur le « au produit repéré sur le site web de l’en-
panier du client. Plus ingénieux et “aguerris seigne ». Ils sont plus « pressés », « plus
aux techniques de vente”, ces clients antici- speed ». Tout se déroule comme si le budget
pent les promotions et attendent les news- de temps total à consacrer à l’achat d’un
letters développant ainsi mémorisation et produit était fixe et qu’ils cherchaient désor-
apprentissage des opérations commerciales mais à répartir ce temps entre les deux uni-
qui ont été réalisées en magasin. Leurs tés de vente. La durée de passage en rayon
visites sur la page d’accueil du site de l’en- semble être une variable d’ajustement,
seigne permettent de les tenir au courant résultant d’une contrainte de temps global et
des opérations commerciales, la newsletter du temps déjà passé sur « la toile » : « il a
de les leur rappeler et leur comportement passé du temps à chercher sur internet donc
passé auprès de l’enseigne de les anticiper. il ne va pas passer du temps à chercher dans
Cette mémorisation et cet apprentissage des la surface de vente ». Le besoin d’un accès
opérations commerciales grâce à une pré- rapide aux produits est source d’insatisfac-
sence sur les différents canaux de l’entre- tion si tout n’est pas mis en œuvre en maga-
prise, couplés aux discussions sur les sin pour le satisfaire. La singularité de la
forums pourraient être des éléments clefs de situation réside dans le fait que cette acces-
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la fidélisation des clients. » (voir encadré) sibilité n’est pas perçue uniquement par rap-
port à un parcours en magasin mais égale-
2. Le comportement de shopping ment par rapport à un parcours initialisé sur
en magasin
internet, et dans la continuité duquel le
Une réorganisation du temps de shopping magasin s’inscrit. Ce qui complique l’imbri-
entre les unités de vente cation entre le site internet de l’enseigne et
Le déroulement de la visite en magasin est le magasin. Par exemple, un client sera très
également transformé lorsque les clients ont insatisfait si la consultation du site de l’en-
navigué sur internet. Leur passage en rayon seigne l’amène à rechercher le produit dans

les éléMents de fidélisation des clients

« Il est fidèle à l’enseigne. Il y a des forums qui leur permettent de communiquer entre eux.
Tandis que le client qui n’a pas l’habitude d’aller sur le site de l’enseigne car il ne se rappelle
plus que ça existe, peut-être que le fait d’avoir la newsletter ça l’incite à y aller plus et ça
fidélise le client. Sur la page d’accueil, on a les opérations commerciales, les opérations pro-
duits, et peut-être que le client serait intéressé par une tondeuse à gazon… »
« Le client Internet est peut-être plus au fait de ces opérations et il attend avant d’acheter. Il
se dit que ce produit sera peut-être en promotion dans peu de temps. Il a changé par rapport
à sa décision d’achat. On sait très bien qu’il reviendra acheter ces produits qui seront encore
en promotion pendant deux mois. »
Multicanalisation des enseignes 21

un rayon donné du magasin alors que l’orga- a besoin ». Son parcours est beaucoup plus
nisation des rayons de ce dernier n’est en linéaire et direct et son comportement se
fait pas calquée sur celle du site. Pensant concrétise en magasin par une absence de
gagner du temps suite à une navigation sur butinage. La linéarité de son parcours se
le site (connaissance de la proximité entre double, ou s’explique, par une assurance
les catégories de produits), il en perd en réa- plus grande dans la conduite de sa visite en
lité puisqu’il doit se réorienter après une magasin. Faisant preuve d’une meilleure
première recherche infructueuse. Ces clients capacité à se diriger et à s’orienter, il est
sont également « impatients » d’avoir le moins perdu en magasin. Il « sait comment
produit d’où une forte insatisfaction si le est fait le magasin quand il entre, donc il sait
produit sélectionné sur le site n’est pas dis- se diriger » et « sait directement dans quel
ponible en magasin. rayon rechercher et il perd moins de temps.
Donc il va aller directement en rayon et
Un parcours atypique de shopping quand il arrive, il est moins énervé ». Ces
et de déambulation en magasin
clients n’hésitent d’ailleurs pas à faire appel
Les clients qui ont navigué sur internet à un vendeur pour accéder encore plus rapi-
savent davantage ce qu’ils veulent et se dement au produit, objet de leur convoitise.
révèlent être des acheteurs bien plus que des Ils agissent parfois comme si s’ils ne
butineurs. Contrairement à avant ou à son voyaient pas les produits en magasin, insen-
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homologue non internaute, il ne fait pas le sibles à l’offre et à sa présentation (« Si ça se
tour du rayon et ne déambule pas dans le trouve, il est passé devant, il ne l’a même
magasin. En effet le client non internaute pas vu et il vient nous demander directe-
« fait un petit tour du rayon que ce soit avec ment »). Ces résultats révèlent, contraire-
ou sans le vendeur avant d’orienter son ment à ceux de Rolland (2005), que les
choix ». Il est plus sensible à l’atmosphère clients qui sont allés sur internet sont moins
du point de vente et se laisse submerger de sensibles à la dimension hédonique (atmo-
manière beaucoup plus intense par les sti- sphère) du point de vente. L’enseigne de
muli qui émanent de l’environnement com- culture et loisir de centre-ville étudiée par
mercial au sein duquel il est d’ailleurs plus Rolland est probablement plus propice à un
propice à la déambulation. Il manifeste ainsi achat hédoniste, ludique que ne le sont les
« une forme de béatitude ». Contrairement enseignes de bricolage situées en périphérie
au client qui est allé sur internet, il des villes. Les périodes de collecte de don-
« découvre l’offre en magasin, se laisse sub- nées peuvent également expliquer les diver-
merger par les présentations et le merchan- gences constatées. Il est, en effet, tout à fait
dising et réalise un parcours moins linéaire possible que, depuis la collecte d’informa-
et moins direct en magasin ». Il semble ainsi tion de Rolland en 2002, le consommateur
« davantage se laisser guider par ses émo- ait pris de nouvelles habitudes qui se tradui-
tions ». Il « va rentrer va regarder de droite, sent aujourd’hui par un comportement plus
de gauche, il marche doucement, il roule pas rationnel. La visite « on-line » s’inscrirait
droit avec son caddie ». Au contraire, le alors dans une véritable stratégie mise en
client qui est allé sur internet est « moins œuvre par le client pour être plus efficace
béat » et il « va directement au rayon dont il lors de sa visite au sein du point de vente.
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De la sérénité » à la crispation, milieu familial. Certains produits d’amélio-


il n’y a qu’un pas ration de l’habitat très impliquants font tra-
La préparation de l’acte d’achat en dehors du ditionnellement l’objet d’une recherche
magasin se matérialise par une sérénité du d’information extensive et d’une comparai-
client au sein du point de vente. Le client est son approfondie des alternatives de choix.
mieux assuré dans son choix et plus connais- Le processus de prise de décision est alors
seur. Ces clients sont plus sereins que les long : le client souhaite voir et revoir le pro-
autres si tout se déroule « conformément à ce duit et considérer les différentes alternatives
qu’ils avaient planifié » (« parce que, quand de choix qui s’offrent à lui. Cela suppose
le produit est là, ce sont des gens plutôt beau- plusieurs visites en magasin, visites qu’il
coup plus zen que les autres : ils ont vu le doit organiser, planifier et inscrire dans son
produit, ils connaissent le produit, ils vien- planning personnel. L’opportunité de réali-
nent le chercher, il est là… »). Cette sérénité ser des allers-retours virtuels vers l’enseigne
est en revanche très fragile. Tout élément qui grâce à son site, lui permet désormais d’évi-
compromet la projection du déroulement de ter certains déplacements physiques en
leur visite en magasin est mal vécu et magasin. Elle accélère sa capacité à
entraîne une profonde insatisfaction à résoudre son problème de consommation, à
l’égard d’une enseigne incapable de s’ins- effectuer son choix et réduit son délai de
crire dans une mécanique qu’ils ont antici- prise de décision. Par ailleurs, les échanges
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pée. Tout ne se déroule pas comme prévu et avec les autres membres du foyer qui parti-
ces individus « soupes au lait » ont l’impres- cipent à la prise décision peuvent prendre
sion de perdre la maîtrise de leur environne- place suite à une visite collective et/ou à des
ment alors qu’ils ont pris soin de le baliser en visites individuelles sur le net. Cet enchevê-
allant sur le site de l’enseigne. De la sérénité trement des visites physiques et virtuelles
à la crispation, il n’y a ainsi qu’un pas, d’une auprès de l’enseigne accélère le processus
grande satisfaction à la frustration et l’éner- de prise de décision. De fait, certains délais
vement envers l’enseigne, il n’y a pas loin. de prises de décision peuvent-ils être consi-
Ces clients sont « plus zen sauf si il y a un dérablement réduits grâce à l’utilisation
“couac”. « … S’il y a une erreur, un petit d’internet. Par exemple, alors qu’un client
truc qui ne va pas, ces gens-là s’emportent ; aurait pu prendre une semaine, voire même
ce que je peux comprendre parce que, si on a quinze jours pour choisir un produit, il peut
passé une heure sur internet, qu’on s’est désormais aller sur le net le matin (au
déplacé, qu’on a mis une demi-heure pour bureau) afin d’y faire un premier défrichage
venir et qu’après, en magasin, on passe deux des offres commerciales, venir en magasin
entre midi et deux, retourner sur le net
heures pour commander un truc, c’est clair
l’après-midi pour confronter le discours du
que là, ça ne le fait pas du tout. »
vendeur au site puis après échange télépho-
Une accélération et une modification nique ou mail avec son épouse elle-même
du processus d’achat familial sur internet décider de repasser en magasin
L’introduction d’internet dans le processus le soir pour acheter le produit. Cette accélé-
de décision des clients fait également évo- ration du processus de prise de décision
luer leurs schémas de prise de décision en limite considérablement les risques de pro-
Multicanalisation des enseignes 23

crastination. L’initialisation sur internet du perçus comme assez faciles et plus rapides.
processus de prise de décision familial Ayant préparé leur achat avant de venir en
transforme également l’expérience d’achat magasin, ils sont souvent moins deman-
au sein du point de vente. Traditionnelle- deurs en conseils ou renseignements. Le
ment, les membres du couple ou de la conseiller de vente n’a donc pas besoin de
famille participant à la décision devaient se mettre en place la procédure habituelle
rendre ensemble en magasin afin que cha- d’identification des besoins et de présenta-
cun puisse se faire une idée du ou des pro- tion des alternatives de choix en réponse à
duits répondant à leur besoin. À partir du ces besoins. En effet, ces clients ont déjà
moment où une réflexion a déjà été initiée souvent formulé eux-mêmes leurs besoins
sur internet, la visite collective en magasin et comparé les offres grâce à une navigation
ne s’impose plus systématiquement et l’un préalable sur internet. C’est donc une vente
des membres de la famille peut se déplacer très peu assistée, qui peut même se révéler
seul pour vérifier les derniers éléments du être un véritable « bonheur » pour certains
produit et concrétiser la transaction. conseillers. Ces résultats peuvent paraître
D’ailleurs « Bien souvent, ils sont seuls en contradiction avec les éléments avancés
alors que les clients qui viennent acheter en précédemment, les clients étant décrits
magasin, ils viennent souvent par couple, comme « plus pointilleux, exigeants aussi
parce que le monsieur, ce sont les dimen- dans la demande de renseignements ». En
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sions et la madame, c’est la couleur, une fois fait, il semble que les vendeurs soient
qu’ils ont vu leur produit sur internet, ils confrontés à deux catégories de clients :
viennent seuls, c’est oui ou c’est non et ils – d’une part, des clients qui ont passé du
repartent. » temps sur le net, qui possèdent une connais-
sance très poussée de l’offre (sur la trip-
3. L’échange et la relation
avec les vendeurs tyque produit/ enseigne/marché) et qui sou-
haitent aller encore plus loin lors de leur
Dans la mesure où les clients ont changé,
rencontre avec les vendeurs en magasin.
suite à l’arrivée d’internet, où leur compor-
Ayant acquis une connaissance grâce à
tement en magasin a évolué, leur relation
internet, ils attendent davantage de leur ren-
avec les représentants de l’enseigne s’en est
contre avec le personnel de vente et exigent
trouvée considérablement transformée.
une information plus pointue en magasin.
Une vente très peu assistée sauf en cas – d’autre part, des clients pour lesquels la
de nécessaire réinterprétation connaissance acquise sur internet constitue
L’un des éléments récurrents dans le dis- un moyen de perdre le moins de temps pos-
cours des vendeurs réside dans le fait que la sible en magasin et d’accéder rapidement
vente leur paraît aujourd’hui très peu assis- au produit sélectionné sur le site. Le contact
tée. Face à des clients « déterminés » dans avec le vendeur permet de confirmer leur
leur choix, la vente se révèle quasi achevée choix et de les rassurer avant passage à
comme le révèle Denis dont le discours est l’acte d’achat. Notons qu’au-delà des indi-
partagé par la majorité des vendeurs : vidus, ces comportements peuvent égale-
« C’est quasiment une vente achevée. Il y a ment être liés au contexte, à la situation
juste à la conclure ». Ces clients sont ainsi d’achat et au produit acheté.
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Toutefois, cette facilitation du processus de vendeur peut fournir un complément d’in-


vente pour le conseiller n’est pas systéma- formation sur le produit ou proposer des
tique. En cas de mauvaise interprétation par produits accessoires et complémentaires, la
l’internaute de l’information mise à sa dis- dérive de vente apparaît en revanche, très
position sur le site internet de l’enseigne, le délicate, les consommateurs multi-canal
conseiller de vente se trouve, cas plus rare, demeurant très souvent attachés au produit
face à la nécessité de faire comprendre au présélectionné sur internet.
client qu’il n’a pas tout à fait compris,
Une relation de nature différente
chose délicate et longue, et ensuite de avec ces clients ?
démonter le cheminement intellectuel pris
Les clients qui sont allés sur internet témoi-
par le bricoleur. Il doit ensuite lui présenter
gneraient, chose étonnante au vue de résul-
le raisonnement qu’il convient d’adopter et
tats antérieurs (Munos, 2003, 2006) d’une
lui présenter les offres qui correspondent le
moins grande agressivité au sein du point
mieux à sa problématique. Au-delà de la
de vente. Ainsi le « client qui est allé sur le
diplomatie, cette situation suppose une cer-
net est moins agressif : il trouve plus facile-
taine pédagogie et du temps, le processus
ment le produit, il sait dans quel rayon aller,
complet étant remis à plat.
il perd moins de temps ». « Il a le sourire et
Un besoin de confirmation et une il est moins énervé ». Par ailleurs, une mise
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difficulté de générer de la dérive de vente à niveau du client grâce à internet permet
Parce qu’ils se sont déjà renseignés sur une meilleure compréhension du discours
internet, qu’ils savent où ils vont et ce qu’ils technique des conseillers, ce qui facilite les
vont acheter, les clients internautes vien- échanges. Notons toutefois que cette vision
nent souvent rechercher en magasin une du client multicanal n’est pas partagée par
confirmation de « ce qu’ils ont vu ». Ils tous. Au-delà d’une plus grande curiosité,
viennent afin d’être réconfortés dans leur d’un caractère plus pointilleux, d’une exi-
choix et le vendeur joue le rôle de réassu- gence plus grande dans la demande de ren-
rance. Ainsi ce dernier a pour mission de les seignements, certains vendeurs indiquent
réconforter sur le ou les deux ou trois pro- que ces clients peuvent manifester une plus
duits qu’ils ont préalablement sélectionnés. grande méfiance à leur égard. Certes ils
« En général, ils viennent après pour avoir sont véritablement à l’écoute au moment de
un second avis, pour savoir si le produit est l’échange. Toutefois ils décodent les dis-
valable et si ça vaut le coup de l’acheter cours en fonction de la connaissance qu’ils
pour ce qu’ils veulent faire ». À l’inverse et ont déjà acquise sur internet et ne se laissent
de manière corollaire, cette détermination pas influencer pas le « baratin » des ven-
se traduit par une véritable difficulté à les deurs. Cette méfiance, peut se traduire, si le
faire changer d’avis. Étonnant constat pour discours du conseiller n’est pas conforme à
ces consommateurs qui font l’effort de celui du site, par une remise en question de
demander un conseil au vendeur, qui vien- la compétence du vendeur, le discours du
nent confronter leur avis à un spécialiste site étant considéré comme le « vrai » dis-
pour des produits impliquants, et qui pour- cours même si « des coquilles peuvent aussi
tant refusent de changer d’avis ! Ainsi si le se glisser sur le site ». D’ailleurs, le client
Multicanalisation des enseignes 25

apprécie une forte continuité entre le dis- l’analyse révèle, que si le discours du ven-
cours du site et celui du vendeur. Elle le ras- deur n’est pas cohérent avec celui du site
sure dans son choix. Au-delà de cette internet, le client se méfie. L’information
méfiance, certains clients recherchent de acquise sur le site semble constituer une
l’information sur internet pour éviter d’af- sorte de filtre qui lui permet de déterminer si
fronter les vendeurs au sein du point de le vendeur doit être relégué au rang de
vente. « baratineur » ou au contraire, s’il est cré-
dible. La continuité cognitive entre le dis-
De la construction d’une confiance en soi
cours du site et celui du vendeur semble
à un accompagnement du conseiller
de vente… constituer une condition sine qua non de la
crédibilité perçue du vendeur. Au-delà de
La notion de « fierté » a été suggérée à plu-
cette continuité cognitive, la capacité du ven-
sieurs reprises dans les entretiens. Au-delà
deur à prolonger un vécu entamé sur la
du comportement de défiance évoqué dans
« toile » constitue une forme d’échange pro-
la littérature, l’acquisition d’une connais-
pice à une nouvelle complicité. En accompa-
sance sur internet semble résulter, dans cer-
gnant son client sur le net, de sa propre ini-
tains cas, d’un désir des clients d’acquérir
tiative ou à la demande du client, le vendeur
une confiance en eux avant de rencontrer le
fait avec lui un « petit bout de chemin ». Ce
vendeur sur son terrain. Cette nécessité est
petit bout de chemin réalisé ensemble est un
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soulignée pour les hommes plutôt que pour
moment partagé qui se révèle être, dans cer-
les femmes sur un terrain qui leur est tradi-
tains cas, une véritable source de connivence
tionnellement légitime (le bricolage). Cette
entre les protagonistes.
connaissance facilite la compréhension du
discours du vendeur, permet au néophyte
d’être sur la même longueur d’onde que le CONCLUSION
vendeur et de fait, elle facilite les échanges. L’objectif de cet article est d’analyser en
Le client est ainsi plus confiant comme le quoi une navigation sur le site internet
souligne Vincent : « Dans la réalisation de d’une enseigne a une influence sur les
leur projet ils sont plus confiants, ils sont clients et leur comportement en magasin.
moins longs en magasin, ils nous demandent Une recherche exploratoire qualitative
juste des infos sur l’application, etc. ». Cer- auprès d’observateurs privilégiés sur le ter-
tains discours mettent également en exergue rain a permis d’identifier les principales
une inversion de la logique d’accompagne- transformations auxquelles la multicanali-
ment. Ce peut être le client qui accompagne sation de l’enseigne a donné naissance. Plus
le vendeur et non l’inverse. Une relation d’un « aguerris, autonomes, avancés, avec des
nouveau type se met alors en place et attentes différentes, confiants, curieux,
l’échange est fondé sur le partage mutuel. La débrouillards, déterminés, exigeants,
relation se révèle singulière, l’échange des experts, impatients, moins béats, poin-
connaissances pouvant se traduire par une tilleux, plus précis, plus au fait des opéra-
certaine complicité. Cette complicité peut tions, organisés, pressés, rapides, seuls, zen,
sembler étonnante avec le « baratin » perçu les nombreux qualificatifs mettent en
du vendeur évoqué précédemment. En fait, exergue de profondes évolutions dans leur
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manière de résoudre leur problème de sin, la nécessité de supprimer les coutures


consommation. Leur comportement en inconfortables invite à « raccorder » correc-
magasin, l’organisation de leur shopping, tement les canaux afin de favoriser la qua-
leur parcours de déambulation et leur rela- lité des allers et retours du client entre ces
tion avec les représentants de l’enseigne derniers. Cela suppose le remodelage du
sont également transformés par une naviga- site internet, en fonction non pas unique-
tion sur le site préalablement à une visite du ment de l’expérience qu’il offre intrinsè-
point de vente. Leur état d’esprit est égale- quement à l’internaute, mais également de
ment assez différent : ils semblent moins l’expérience qu’il stimulera au sein du
sensibles aux variables d’atmosphère et magasin associé. Envisager le site internet
plus détendus en magasin. L’adoption d’un comme un vecteur d‘expériences prolon-
comportement d’achat multicanal se traduit gées, comme l’antichambre confortable et
par une accélération non seulement de leur accueillante d’une expérience d’achat atten-
temps de passage en rayon mais également due et étendue auprès des points de vente de
de leur processus de prise de décision en l’enseigne devient un enjeu majeur. Au-delà
milieu familial. Ce qui conduit les clients de la satisfaction des clients, l’assemblage
internautes, à y venir plus souvent seuls et à des canaux doit être également envisagé de
y conclure plus rapidement leur transaction. manière à répondre aux objectifs habituels
Parce qu’il influence le contenu et la nature des distributeurs à savoir un développement
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de l’échange, internet modifie en profon- de leur panier d’achat et de leur fréquence
deur leur relation avec les conseillers de d’achat. Quelques exemples de propositions
vente. opérationnelles sont présentés dans l’enca-
Les résultats de cette recherche soulèvent dré suivant.
différentes implications managériales. En Notons que si les décisions mercatiques
particulier, le point de vente doit être conçu doivent être prises afin d’imbriquer
comme le prolongement d’une expérience espace virtuel et physique et ainsi procu-
entamée sur internet. Réinventer le magasin rer au client une expérience de qualité
dans la continuité d’un canal « influent » au auprès de l’enseigne, elles ne doivent pas,
domicile du client constitue un défi majeur pour autant, polluer les éléments mis en
pour les professionnels de la distribution. Il place par les enseignes pour satisfaire leur
s’agit de construire le magasin de manière à clientèle traditionnelle. Cette nécessité de
accueillir favorablement ce client en quête satisfaire deux catégories de clients diffé-
d’expériences singulières. De nombreuses rentes implique une réflexion quant à la
décisions mercatiques fondamentales sont conception des espaces de vente (virtuel
concernées : politique merchandising et et physique) selon deux grilles de lecture
d’assortiment, gestion de la relation client, différentes.
expérience de shopping en magasin, rela- Le principal apport de cette recherche est
tion avec les vendeurs … autant d’éléments de mettre en évidence, à travers une écoute
clefs de la stratégie marketing qui devront des acteurs au cœur de la relation client, les
être revus pour satisfaire cette vague de principales mutations du client internaute et
clientèle et rendre plus agréable leur nou- d’identifier ses nouvelles attentes et nou-
velle expérience d’achat. Au-delà du maga- veaux comportements au sein du point de
Multicanalisation des enseignes 27

quelques Modifications opérationnelles


des espaces physiques et virtuels

Magasin
Mettre en place une zone de retrait en magasin : ou un concept de « drive », avec ou sans
conseils de vendeurs.
Merchandising : permettre un accès rapide en magasin à un produit sélectionné ou présélec-
tionné sur le site de l’enseigne. Vers un marchandising en magasin calqué sur celui du site ?
Bornes interactives en magasin : proposition de bornes interactives en magasin permettant
de rentrer la référence du produit sélectionné sur le site afin de localiser le produit très rapi-
dement au sein du point de vente (indication du n° d’allée, etc.)
Offrir une information adaptée aux attentes du client multicanal : être capable de fournir sur
le point de vente une information cohérente et/ou complémentaire à celle collectée sur le site.
Un personnel de vente adapté au nouveau processus de vente multicanal :
Le vendeur doit par exemple : 1) avoir un discours cohérent avec le site Internet de l’en-
seigne, 2) être capable de prendre en cours de route un processus de décision déjà enclenché
sur le site, 3) rassurer le client 4) lui fournir les informations complémentaires, nécessaires
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à sa prise de décision en magasin.

Site internet de l’enseigne


– si le consommateur souhaite faire des essais de produits ou avoir des informations très tech-
niques, il sera possible de l’orienter vers le magasin le plus adapté (cf : stratégie de la Fnac à
Paris ayant des points de vente spécialisés par type de produit au sein desquels officient des
vendeurs très spécialisés) ;
– proposition d’un plan indiquant où le client pourra retrouver le produit dans le magasin de
son choix ou indication de l’allée dans laquelle il pourra trouver le produit ;
– indication du nom ou des noms des vendeurs spécialistes du produit (si produit impliquant)
que l’on pourra retrouver et possibilité d’inscription à des rendez-vous avec ces vendeurs ;
– le site internet pourra aider le client à préparer sa visite en magasin. Il pourra indiquer au
client où sont les promotions, animations, démonstrations, ateliers au sein de son magasin.et
les aider à préparer leur venue au sein du point de vente.

vente associé. Cette vision issue du terrain, nels de la distribution. Cette recherche per-
quelques années après l’implantation du met d’enrichir notre connaissance du client
site internet par leur enseigne, permet de multicanal à travers une restitution d’expé-
déceler, à partir d’exemples, de profondes riences en magasin.
transformations chez le client, transforma- L’une des limites de ce travail réside dans le
tions souvent ignorées par les profession- fait que l’étude de l’influence d’un site sur le
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comportement des clients en magasin, s’ef- modifie le comportement ou si c’est parce


fectue par le regard des vendeurs. Ce sont que la population est différente qu’elle
des observateurs privilégiés du terrain, mais adopte un comportement multicanal. Diffé-
ils possèdent une vision imprécise et incom- rentes voies de recherches peuvent être sug-
plète de ce qui « se passe en magasin ». gérées. D’une part, cette recherche étant de
Cette première vision indirecte du comporte- nature qualitative, une recherche complé-
ment du client en magasin devra donc être mentaire devrait permettre de quantifier les
complétée par une étude auprès de la clien- comportements observés. D’autre part,
tèle. Par ailleurs, les résultats présentés s’ex- cette recherche, dont l’objet est d’analyser
priment dans un contexte particulier qui est des comportements en magasin, se prive
celui du bricolage. Ce secteur d’activité, qui d’une vision plus globale du processus de
reste masculin et fortement utilitaire, rend décision du client puisqu’elle n’intègre pas
délicate toute généralisation à des contextes ce qui se passe chez lui avant sa venue en
plus hédoniques, ludiques et féminins. magasin. Étudier la continuité des compor-
Enfin, ce travail ne permet pas d’identifier tements de visites des sites commerciaux et
si les clients qui consultent internet avant de de fréquentations des magasins physiques
venir en magasin présentent des profils dif- constitue, à ce titre, un objet particulière-
férents de ceux qui ne le font pas (niveau ment stimulant, qui invite à aller voir ce qui
d’implication, niveau d’instruction, statut se passe au domicile du client avant de l’ac-
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social). Il n’est par ailleurs pas possible de compagner au sein du point de vente,
préciser si c’est l’exposition au site qui durant sa visite.

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