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CAPACITÉ DYNAMIQUE D'INNOVATION RESPONSABLE ET

PERFORMANCE GLOBALE : ETUDE LONGITUDINALE DANS UNE


PME INDUSTRIELLE

Sandrine Berger-Douce

ARIMHE | RIMHE

2014/3 - n° 12
pages 10 à 28

ISSN 2259-2490
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http://www.cairn.info/revue-rimhe-2014-3-page-10.htm
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Pour citer cet article :


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Berger-Douce Sandrine, « Capacité dynamique d'innovation responsable et performance globale : Etude longitudinale
dans une PME industrielle »,
RIMHE, 2014/3 n° 12, p. 10-28.
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Article de recherche
Capacité dynamique d’innovation responsable et
performance globale : Etude longitudinale dans une
PME industrielle
Sandrine BERGER-DOUCE1
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Résumé

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Si l’innovation est plébiscitée par tous comme gage de compétitivité, le défi
demeure une réalité pour les entreprises tant le changement culturel tarde à
s’imposer, d’où la nécessité du Plan Innovation annoncé en France pour l’été
2013. Parallèlement, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) constitue
une voie de plus en plus souvent adoptée par les organisations, notamment
les Petites et Moyennes Entreprises (PME). Aussi, l’objet de cet article est-il
d’analyser l’impact de la capacité d’innovation responsable sur la performance
globale (économique, sociale, sociétale, environnementale et personnelle)
(St-Pierre et Cadieux, 2011) dans le contexte des PME. D’un point de vue
méthodologique, le travail repose sur une étude de cas longitudinale menée
depuis quatre ans avec une entreprise industrielle du Nord de la France, Pocheco,
spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d’enveloppes depuis 1928.
Au sein de Pocheco, l’innovation est une réalité multiple traduite en termes
de produit (enveloppes éco-conçues, offre de service orienté « développement
durable »), de procédé (système innovant de conditionnement des enveloppes),
d’organisation (association de reboisement, ouverture d’une « Maison de
l’écolonomie ») et de méthodes commerciales (stratégie de marques, vente en
ligne). Les résultats montrent une forte articulation entre la capacité dynamique
d’innovation responsable de la PME et sa performance globale, à savoir sur les
volets économique (gains de productivité, amélioration du service au client, effet
de réputation), social (amélioration des conditions de travail, développement des
compétences), environnemental (limitation à la source des impacts, protection
de la biodiversité) et personnel (qualité de vie, estime des collaborateurs,
diffusion de son expérience au travers d’un essai) du dirigeant d’entreprise. Cet
article montre la possible existence d’une performance globale dans les PME. Le
recours à un cas unique implique de rester modeste quant aux leçons à en tirer.
Pour autant, le cas de Pocheco semble en mesure d’inspirer d’autres dirigeants
d’entreprise encore majoritairement frileux pour s’engager plus massivement
dans la voie du management responsable. A l’heure où la question du bien-être
au travail préoccupe tant, il semble pertinent de revoir les modèles de pensée
dominante fondés sur une quête effrénée de profit à court terme.
Mots clés : dirigeant, innovation, performance globale, PME, RSE.

1 - Professeure en sciences de gestion, Ecole des Mines de St-Etienne, Institut Henri Fayol / EPICE, Coactis
(EA 4161) - bergerdouce@emse.fr

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Article de recherche : Capacité dynamique d’innovation responsable et performance globale :
Etude longitudinale dans une PME industrielle - Sandrine BERGER-DOUCE
Abstract
If innovation is acclaimed by all as a guarantee of competitiveness, the challenge
remains a reality for enterprises because of the cultural change it requires,
hence the “Plan Innovation” announced in France for the summer 2013. At the
same time, Corporate Social Responsibility (CSR) constitutes a route that is
more and more often adopted by organizations, including small and medium-
sized enterprises (SMEs). Also, the purpose of this article is to analyze the
impact of a dynamic capacity oriented to responsible innovation on the global
performance (economic, social, environmental and personal performance) (St-
Pierre and Cadieux, 2011) in SMEs. From a methodological point of view, the
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work is based on a longitudinal case study that has been conducted for four

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years with an industrial company located in the North of France (Pocheco)
which has specialized in the manufacturing and selling of envelopes since 1928.
At Pocheco, innovation is a multiple reality translated in terms of product
(eco-designed envelopes, “sustainable development”-oriented consulting
services), process (innovative system for packaging of envelopes), organization
(association of reforestation, opening of a “House of the Ecolonomie") and
business methods (brand strategy, online sales). The results show a strong link
between the dynamic capacity of responsible innovation of this SME and its
global performance, namely the economic components (productivity gains,
improvement of the service to the client, reputation effect), social (improvement
of the working conditions, skills development), environmental (limitation to
the source of the impacts, protection of biodiversity) and personal components
for the entrepreneur (quality of life, collaborators’ esteem, dissemination of
experience through a book). This article shows the possible existence of a global
performance, this nuances the arguments of Capron and Quairel (2006). The use
of a single case implies to remain modest on the lessons to be learned. However,
the case of Pocheco seems to be able to inspire others still mostly risk-averse
business leaders to engage more strongly in the way of responsible management.
At a time when well-being at work has an impact on both approaches, it seems
relevant to revisit the dominant thought patterns based on a frantic quest for
short-term profit.
Key words : owner-manager, innovation, global performance, SMEs, CSR.

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Article de recherche : Capacité dynamique d’innovation responsable et performance globale :
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Introduction
Le baromètre 2014 de la FNEGE consacré aux attentes des entreprises en matière
de recherche en management indique l’innovation et la performance globale parmi
les cinq thèmes clés identifiés auprès d’un échantillon constitué majoritairement
de PME. Si les formes de l’innovation sont multiples, une approche par la notion
de capacité dynamique bien connue en management stratégique (Teece et al.,
1997) semble pertinente pour mieux comprendre l’articulation possible des
innovations dans un environnement en perpétuel changement soumis à des enjeux
sociétaux comme la transition écologique. Par ailleurs, les travaux se multiplient
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autour de la relation entre innovation et responsabilité sociétale des entreprises

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(RSE) (Mendebil et al., 2007 ; Castiaux, 2009 ; Berger-Douce, 2011 ; Bérard et
al., 2013 : Bocquet et Mothe, 2013). La notion de RSE, même controversée, fait
inéluctablement partie de la réalité des organisations tant les enjeux sociétaux
pèsent désormais sur leurs décisions stratégiques. La question de la compétitivité
est également posée en termes de RSE (Burke et Logsdon, 1996 ; OSEO, 2012). Si
la performance reste l’élément central des stratégies des entreprises, celle-ci tend à
devenir globale pour dépasser les limites inhérentes à la seule prise en compte des
aspects comptables et financiers. A l’instar de St-Pierre et Cadieux (2011), nous
adoptons une vision délibérément large de la performance en la situant dans divers
registres, à savoir : personnel, économique, social et environnemental (durable).
Quant aux PME, elles comptent parmi les acteurs économiques incontournables
dans nos économies et font l’objet d’une attention particulière de la part d’une
communauté de chercheurs en croissance, notamment s’agissant de leur prise
en compte des enjeux sociétaux actuels (qualité de vie au travail, préservation
de l’environnement, etc.). Si les spécificités des PME sont désormais identifiées,
de nombreuses pistes de recherche demeurent ouvertes de manière à mieux les
accompagner sur le chemin de la pérennité. La question de recherche de cet article
est alors : Quel est l’impact de la capacité dynamique d’innovation responsable sur
la performance globale des PME ? L’enjeu théorique de cette question s’appuie
sur l’exploration empirique de la relation entre capacité dynamique d’innovation
responsable et performance dans le contexte spécifique des PME. Dans cette
optique est proposée une étude de cas basée sur une approche méthodologique
qualitative et longitudinale. Nous avons suivi l’évolution de cette PME en croisant
diverses sources de données (entretiens, visites de site, documents internes, essai,
participation à des manifestations professionnelles, articles de presse).

1. Cadre théorique de l’étude


La première partie de l’article s’articule autour des notions de performance (1.1),
de capacité dynamique d’innovation responsable (1.2) qu’il convient de mettre en
perspective avec le profil du dirigeant de PME pour poser le cadre de travail (1.3).
1.1. La performance, une notion à géométrie variable
Historiquement mesurée par des données financières en raison de leur caractère
objectif, fiable et facilement opérationnalisable (Neely, 1999), la performance
ouvre la voie à un élargissement progressif de son acception, notamment dans le
domaine du management stratégique. Ainsi, Dumoulin et ses coauteurs (2010,

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p.141) précisent : « Pour la stratégie, la performance ne peut se concevoir que de


manière globale et sur la durée pour construire la compétitivité de l’entreprise
ou de l’organisation. ». En d’autres termes, la performance globale cherche un
savant équilibre entre plusieurs dimensions. Selon Capron et Quairel (2006,
p.5), « le concept de performance globale fonctionne surtout comme une utopie
mobilisatrice, susceptible de sensibiliser les différents acteurs de l’entreprise
aux préoccupations du développement durable et [que] la dissociation des
domaines de performances est la meilleure garantie du maintien d’objectifs
multidimensionnels ». Des outils financiers classiques comme le bilan montrent
ici leurs limites : « Le bilan financier ne permet pas à lui seul d’évaluer le bien-
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être dans l’entreprise, sa capacité à se développer, à innover, à s’adapter aux
évolutions du marché…. Alors même que tous ces éléments se traduisent in fine
aussi par une amélioration de sa position sur le marché et, donc par extension,
de sa situation financière. » (OSEO, 2012, p.24). Dans cette optique se sont
développés des outils dédiés à la performance globale comme celui du Centre
des Jeunes Dirigeants (CJD) baptisé « Performance Globale » depuis 2002
en France. Le CJD défend l’impérieuse nécessité de concilier la performance
économique (confiance des actionnaires et des clients mesurée par le bilan et le
compte de résultat), la performance sociale (des salariés acteurs dans l’entreprise
et accent mis sur la question du bien-être), la performance environnementale
(intégration de l’entreprise aux écosystèmes et capacité à réduire ses impacts
sur l’environnement naturel) et la performance sociétale (contribution au
développement du territoire et rôle de l’entreprise dans la société). S’agissant
des PME, St-Pierre et Cadieux (2011) proposent d’investiguer la perception de
la performance des dirigeants et la manière dont celle-ci est influencée par leur
profil entrepreneurial. Ces auteurs proposent une relecture de la performance
à l’aune d’une revue de littérature et distinguent trois types de performance :
personnelle, économique et durable (sociale et environnementale). Face
aux critiques récurrentes à l’égard des mesures purement financières de la
performance, St-Pierre et Cadieux proposent d’élargir le spectre en incluant
notamment des indicateurs relatifs à la satisfaction de certaines parties prenantes
externes comme les clients (performance économique), mais également internes
(les salariés dans la performance durable). Enfin, s’agissant de PME, des
éléments relatifs au dirigeant sont intégrés pour mieux saisir la réalité d’une
performance globale. Le tableau 1 reprend leur synthèse de la littérature sur
le sujet, reflétant une forte diversité parmi les indicateurs de performance.
L’enquête menée par St-Pierre et Cadieux (2011) auprès de 395 dirigeants de
PME au Québec confirme l’intuition initiale des auteurs, à savoir l’influence
des objectifs personnels des dirigeants sur leur conception de la performance,
ainsi que l’étendue des objectifs privilégiés par ces acteurs. Dans cet article, nous
utilisons le terme de performance globale en référence à l’approche du CJD pour
qualifier cette performance plurielle présentée par St-Pierre et Cadieux (2011).
En outre, cette notion de performance globale figure, tout comme l’innovation,
parmi les cinq thèmes retenus comme préoccupations majeures des entreprises
dans le baromètre de la FNEGE publiée en mars 2014. Ceci est intéressant à
souligner, car environ deux tiers des 182 répondants à l’enquête sont des PME.
La quête d’une performance globale implique indéniablement de questionner la
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capacité à innover des organisations, ce qui nous conduit à mobiliser le courant


des capacités dynamiques dans la continuité des travaux de Berger-Douce (2011).
Tableau 1 : Les types de « performance » selon les propriétaires dirigeants de PME
(St-Pierre et Cadieux, 2011, p.39)
Type de
Indicateurs utilisés dans la littérature Auteurs
performance
Performance Reconnaissance sociale Gray (2002)
personnelle Patrimoine personnel Greenbank (2001)
Qualité de vie LeCornu et al. (1996)
Indépendance et autonomie Reijonen et Komppula (2007)
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Walker et Brown (2004)
Performance Croissance Gertz et Petersen (2005)
économique Taille de l’entreprise Greenbank (2001)
Liquidités pour préserver l’autonomie et assurer la Gundry et Welsch (2001)
croissance de l’entreprise LeCornu et al. (1996)
Capacité de l’entreprise à générer des revenus Morris et al. (2006)
suffisants Székely et Knorsch (2005)
Santé financière Walker et Brown (2004)
Satisfaction des besoins des clients
Qualité du produit ou du service offert
Performance Maintien des emplois Getz et Petersen (2005)
durable Investissement dans la société Greenbank (2001)
Qualité de vie du personnel Gundry et Weksch (2001)
Réputation de l’entreprise Morris et al. (2006)
Equilibre entre santé financière, implication sociale Székely et Knorsch (2005)
et respect de l’environnement
1.2. La notion de capacité dynamique d’innovation responsable
La RSE n’est plus uniquement appréhendée comme un possible réducteur de
coûts pour les organisations, mais davantage comme un catalyseur d’innovation
(Nidumolu et al., 2009) porteur de création de valeur partagée (Porter et Kramer,
2011). Dès 1996, Burke et Logsdon précisaient que l’engagement en faveur de
la RSE permettait de créer des opportunités de création de valeur. Or, selon
Husted et Allen (2007, p.597) : « la création de valeur est nécessairement reliée
à l’innovation. » Pour Burke et Logsdon (1996), une telle création de valeur
suppose l’alignement positif entre cinq dimensions stratégiques : la centralité
(proximité et alignement des pratiques de RSE avec les missions et objectifs
de l’entreprise), la proactivité (degré d’anticipation des pratiques de RSE par
rapport aux tendances sociétales émergentes), le volontarisme (degré de prise de
décision discrétionnaire en matière de RSE et absence de contraintes externes
imposées), la visibilité (pratiques de RSE observables et reconnaissables par les
parties prenantes internes et externes) et l’appropriation (capacité à capturer
des bénéfices privés associés à la RSE par l’entreprise). A titre d’exemple
récent, le travail doctoral de Ferauge (2011) analyse la complémentarité entre
la RSE du dirigeant et l’innovation dans le contexte des PME. Dans son étude
de l’apprentissage organisationnel, March (1991) explique que la survie et la
prospérité d’une organisation reposent sur un savant équilibre entre l’exploitation
d’activités maîtrisées et l’exploration de voies nouvelles. L’approche en termes de
capacités dynamiques proposée par Teece et ses coauteurs (1997) dans le champ

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du management stratégique semble particulièrement éclairante. Ils définissent les


capacités dynamiques comme « la capacité d’une entreprise à intégrer, construire
et reconfigurer des compétences internes et externes pour répondre rapidement
à des environnements en perpétuel changement. » (Teece et al., p.516). Cette
approche par les capacités dynamiques apparaît pertinente en matière de RSE
dans la mesure où celle-ci renvoie à des enjeux sociétaux, par définition, larges
comme la transition écologique. S’appuyant sur ce courant, Chanal et Mothe
(2005) définissent une capacité dynamique d’innovation comme la capacité à
combiner innovations d’exploitation et d’exploration. Ainsi, l’organisation peut
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mener de front (1) des projets de conception de nouveaux produits ou services

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en ayant recours aux compétences existantes et maîtrisées de l’entreprise et
(2) des projets d’exploration inspirés par une logique de rupture et de création
de nouvelles compétences. Ces auteurs ouvrent la voie à des recherches sur
l’organisation ambidextre, une notion empruntée à Duncan (1976) et reprise
par Berger-Douce (2011). Dans cette étude, l’auteur montre, à partir d’une
étude de cas, qu’un management responsable associé à de fortes convictions du
dirigeant permet de concilier les deux types d’innovation. Fin 2013, Bérard et
ses coauteurs mobilisent les résultats de Berger-Douce (2011) et proposent une
étude quantitative auprès de 488 PME de la région Rhône-Alpes explorant les
relations entre la RSE et l’innovation dans ces entreprises. Les auteurs montrent
ainsi que les pratiques de RSE ne sont pas toutes susceptibles de développer
les capacités d’innovation des PME, d’où l’importance de porter une attention
particulière à ces pratiques pour orienter les trajectoires d’innovation de ces
entreprises. Quant à Bocquet et Mothe (2013), leur recherche qualitative auprès
de sept PME et filiales de grandes entreprises en Rhône-Alpes explore la relation
entre RSE et innovation technologique. Ces auteurs considèrent la RSE comme
un levier stratégique de l’innovation orientée produits et/ou procédés. Un résultat
essentiel de leur étude est que les PME semblent utiliser la RSE comme une
stratégie leur permettant d’améliorer leur politique d’innovation. En résumé,
l’adoption d’une RSE stratégique faciliterait le développement d’innovations
au sein des PME. Une innovation induite par un management guidé par des
pratiques de RSE peut être qualifiée d’innovation responsable (Ingham, 2011).
« L’innovation responsable ne concerne pas seulement la question du champ
social et environnemental, mais aussi la façon dont cette innovation est menée,
notamment en impliquant des parties prenantes. » (OSEO, 2012, p.29) Ceci
fait écho à l’importance des stratégies d’imitation potentiellement menées par
des entrepreneurs militants au sein de leur sphère d’influence. « La recherche
et l’innovation responsable est un processus transparent, interactif par lequel
les acteurs sociaux et les innovateurs s’ouvrent aux échanges mutuels dans la
perspective de l’acceptabilité (éthique), la durabilité et la désirabilité sociétale du
processus d’innovation et de ses produits commercialisables (afin de permettre
une intégration appropriée des progrès scientifiques et technologiques dans
notre société). » (Von Schomberg, 2011 p.9). En combinant la notion de capacité
dynamique d’innovation avec celle d’innovation responsable, nous proposons le
terme de capacité dynamique d’innovation responsable.

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1.3. L’articulation entre capacité dynamique d’innovation responsable et profil de


dirigeant de PME
Depuis quelques années, les travaux académiques se multiplient sur le thème
du lien entre innovation et RSE, même si ceux consacrés exclusivement aux
PME demeurent encore rares. Parmi ceux-ci, Kramer, Pfizer et Lee (2007)
dans leur étude d’une cinquantaine de PME danoises « responsables »
montrent un lien entre innovations « durables » et performance économique.
L’étude de Mendibil et ses coauteurs (2007), citée par Castiaux (2009), sur des
PME innovantes en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni indique une réelle
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proximité entre innovation et développement durable, sans pour autant pointer

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leurs liens de causalités respectives. Pourtant, un fort engagement vis-à-vis
des parties prenantes tant internes qu’externes apparaît comme un signe de
compétitivité. Jenkins (2009) mobilise la notion de capacités dynamiques (Teece
et al., 1997) dans son modèle d’opportunités d’affaires de la RSE en milieu
PME en accordant une place privilégiée à l’innovation. Plus récemment, dans
une précédente étude (Berger-Douce, 2011) nous nous sommes appuyée sur la
notion de capacité dynamique d’innovation durable pour souligner la manière
dont le développement durable peut constituer un véritable levier d’innovation
dans une PME, sans néanmoins faire le lien avec le concept de performance. Ceci
souligne le fait que les travaux centrés sur les relations entre stratégies durables
et performance en PME demeurent encore rares. Ce constat est paradoxal dans
la mesure où la RSE semble susceptible d’être un gage de compétitivité pour
les entreprises, indépendamment de leur taille et de leur secteur d’activité. « Il
est aujourd’hui possible de refonder un modèle économique et social gagnant,
appuyé sur nos qualités créatives et sur une association collective autour de
projets d’entreprise mieux partagés, portés par l’idée de responsabilité sociétale. »
(D’Humières, 2012, p.17). Soulignée par de nombreux auteurs depuis une
trentaine d’années (Julien et Marchesnay, 1988 ; Marchesnay, 2004 ; Jaouen,
2010), l’influence prépondérante du dirigeant de PME sur les stratégies de ces
organisations invite à mobiliser le profil du dirigeant pour éclairer la notion
de capacité dynamique d’innovation responsable. Souvent au service du projet
personnel du dirigeant, la PME est finalement un mode de réalisation de ses
objectifs personnels, ce qui renvoie explicitement à la dimension personnelle de
la performance dans le modèle de St-Pierre et Cadieux (2011). Une approche par
le profil du dirigeant semble ainsi pertinente dans les PME marquées du sceau
d’un management de proximité (Torrès, 2003) s’ajoutant à leurs caractéristiques
bien connues (Julien et Marchesnay, 1988) comme la gestion personnalisée, une
stratégie plutôt intuitive ou encore une communication interne rapide et peu
formalisée. Si en 1991, Kenner Thompson et Smith soulignaient une certaine
rareté des travaux académiques sur la RSE dans les PME, ce constat est
désormais à relativiser dans la mesure où les chercheurs sont de plus en plus
nombreux à se préoccuper de ces organisations (Courrent, 2012). En matière
de RSE, Paradas (2008) montre la place prépondérante du dirigeant dans les
initiatives prises dans les PME. Cet auteur renvoie à la théorie de l’intendance
(Davis et al., 1997) qui insiste sur l’importance des facteurs psychologiques
(donc liés aux convictions des dirigeants) dans l’étude des modes de gouvernance
des entreprises. Dans la même optique, Gendre-Aegerter (2008) analyse la
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perception du dirigeant de PME de sa RSE par le biais de la cartographie


cognitive, soulignant encore l’importance des aspects psychologiques. Plus
récemment, Berger-Douce et Schmitt (2013) s’appuient sur une étude de cas
pour montrer que le profil du dirigeant de PME constitue l’un des facteurs clés
de succès de la stratégie d’innovation durable de l’entreprise Ecodas qui réussit à
concilier les trois dimensions du développement durable grâce à son dirigeant. Si
la notion de performance globale n’est pas explicitement mentionnée dans leur
étude, celle-ci est cependant présente en filigrane, de sorte que le cas Pocheco
s’inscrit dans cette continuité. Nous proposons dans la partie suivante de mettre
en perspective ce cadre théorique avec la réalité du terrain des PME.
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2. Une étude empirique longitudinale : le cas de l’entreprise Pocheco
Dans cette partie, après une présentation des aspects méthodologiques de la
recherche et une présentation du cas étudié (2.1), nous proposons de préciser la
capacité dynamique d’innovation de l’entreprise Pocheco (2.2).
2.1. Présentation de la méthodologie et du cas Pocheco
La méthodologie de recherche est de nature qualitative (Hlady Rispal, 2002)
en raison du caractère émergent de la problématique à traiter (Wacheux, 1996).
Une recherche qualitative est par essence un travail d’artisanat (Wacheux, 1996,
p.15) : « La mise en œuvre d’un processus de recherche qualitatif, c’est avant
tout vouloir comprendre le pourquoi et le comment des événements dans des
situations concrètes ». S’agissant d’un thème émergent, nous avons privilégié
une méthodologie qualitative centrée sur une étude de cas unique (Yin, 1994 ;
Hlady-Rispal, 2002). L’unité d’analyse, au sens de Yin (1994), est ici la PME
Pocheco. L’étude de cas a été constituée sur la base de traitement de données
secondaires : articles de presse, sites internet, essai2 rédigé par le dirigeant
de Pocheco, documents internes (discours des conventions de 2007, 2009 et
2011), témoignages lors d’événements professionnels (Journée Annuelle DD et
Entreprises 2008 à Lille et tour de France de l’ISO 26000 en mai 2010 à Arras) et
de données primaires. Ces dernières ont été collectées lors de plusieurs entretiens
semi-directifs avec le dirigeant (durée moyenne de deux heures) sur une période
de quatre années portant sur (1) les activités de l’entreprise ; (2) les pratiques
en faveur du DD ; (3) le parcours et les convictions du dirigeant ; (4) la vision
stratégique du dirigeant (repreneur) et d’entretiens non directifs avec des salariés
de la PME (responsable des ventes ; responsable du marketing ; responsable
qualité-sécurité-environnement ; chef d’équipe ; assistante qualité ; deux
stagiaires) (durée moyenne d’une heure), ainsi que lors de visites du site industriel
en 2010 et 2011. Fondée en 1928 près de Lille, Pocheco, PME de 114 salariés
est un fabricant d’enveloppes de mise sous pli automatique. Elle produit deux
milliards d’enveloppes chaque année (soit 10% de la production nationale) pour
un chiffre d’affaires de 22 millions d’euros en 2012 (sur un marché pourtant en
régression). Ses clients, principalement des grandes entreprises (Gaz de France,
SFR, Orange, La Poste…), utilisent ces enveloppes pour l’acheminement des
factures et autres relevés (cas de l’assurance maladie). En 1997, après neuf
2 - « Ecolonomies – Entreprendre et produire autrement », Editions Pearson, Paris, 2012.

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années d’expérience professionnelle dans de grandes entreprises, le dirigeant


décide de changer radicalement de vie et de devenir entrepreneur à 32 ans. En
2008, il rachète l’entreprise dont il est désormais l’unique actionnaire. Depuis
des années, Pocheco est récompensée par des prix dédiés à son engagement en
matière de pratiques de RSE, notamment dans le domaine de l’environnement
(Trophée de la Responsabilité Environnementale décerné par la Société
Générale 2011 ; Trophée argent 2014 de DAF Magazine dans la catégorie
Développement Durable). Par ailleurs, la stratégie de la PME semble marquée
par une accélération du rythme des innovations depuis l’obtention de la triple
certification QSE (Qualité Sécurité Environnement) en 2008. Elle a donc pu
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jouer un rôle de catalyseur de la capacité dynamique d’innovation responsable
dans l’entreprise par une volonté toujours plus affirmée de concilier les trois
piliers du développement durable (politique QSE 2013-2014 de Pocheco).
2.2. La capacité dynamique d’innovation responsable, une réalité multiple chez Pocheco
Chez Pocheco, la capacité dynamique d’innovation responsable correspond à une
réalité multiple organisée autour des quatre formes d’innovation identifiées par le
Manuel d’Oslo (2005) : innovations de produit, de procédé, organisationnelles et
commerciales. L’innovation est omniprésente dans les produits proposés par
Pocheco car développer une offre environnementale par l’écoconception est un
moyen de créer de la valeur sur un marché en mutation : « On a à cœur de proposer
à nos clients des produits toujours novateurs. » (Responsable marketing), d’où une
création de valeur partagée au profit des clients. La démarche a été récompensée
en 2012 par le Prix du concours régional de l’Ecoconception. Les enveloppes éco-
compatibles représentent un marché potentiel important. Depuis une dizaine
d’années, la PME développe des enveloppes innovantes entièrement recyclables,
produites avec des encres à base d’eau, disposant de fenêtres en papier cristal,
composées de fibres naturelles non traitées et non blanchies. Toujours en quête
d’innovation comme source d’avantage compétitif, la PME propose également
une enveloppe dite « transpromotionnelle », un concept importé des pays anglo-
saxons. Le document transactionnel (relevé de compte, facture) contient un
message promotionnel destiné aux clients, ce qui permet de limiter les envois et
donc les frais induits, une solution appréciée des entreprises en ces temps de
restrictions budgétaires. Parallèlement, la PME a lancé en 2009 une marque de
pochettes d’emballage personnalisables à décliner en petites séries entièrement
façonnés à la main. Cette offre s’inscrit au cœur des principes du DD, car outre le
fait que les matériaux utilisés soient tous « durables », le façonnage à la main est
assuré par des détenus dans le cadre de leur projet de réinsertion professionnelle.
Cette activité sert alors de vecteur de création de valeur partagée au profit de
communautés extérieures à l’organisation. La PME ne se contente pas d’innover
dans son métier, la fabrication d’enveloppes puisqu’elle s’est lancée début 2010
dans une innovation de service, en l’occurrence une diversification vers le conseil
en DD aux PME, une manière de pérenniser son activité tout en partageant son
savoir-faire. Forte de son expérience du DD, la PME propose divers services
comme l’analyse du cycle de vie, l’écoconception, la préparation de l’audit QSE ou
encore le diagnostic énergétique : « L’idée est d’accompagner des responsables de
PME dans leur réflexion en leur montrant que c’est possible d’être profitable en

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respectant l’environnement et en mettant l’humain au centre de ses préoccupations.»


(Responsable QSE). En outre, depuis l’installation des quatre premières ruches sur
la toiture végétalisée de l’usine en 2011, la première récolte de miel est en vente
depuis l’automne 2012 dans le coin boutique de la PME. Les profits sont
exclusivement destinés aux associations à but non lucratif de Pocheco. Afin de
réduire les déchets d’emballage, Pocheco a développé en 1999 un système de
conditionnement des enveloppes en bobines réutilisables et consignées, un exemple
de technologie environnementale. Cette technologie d’enroulage brevetée permet
une réutilisation des jantes et chariots assurant le transport et le stockage des
enveloppes. En dix ans, ce procédé a permis d’économiser deux millions de boîtes
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en cartons et 30.000 palettes. Début 2011, environ un tiers des enveloppes produites
par la PME pour cinq gros clients utilisent ce système. Au-delà des économies de
carburant réalisées grâce la rationalisation des flux logistiques, cette technologie
contribue à diminuer la manutention (suppression d’un poste pénible sur la
chaîne) et donc les maladies professionnelles (canal carpien des opérateurs). Par
ailleurs, elle s’inscrit dans une politique plus globale de modernisation de l’outil de
production : « L’automatisation est un sujet qui fait peur au personnel, car ils
redoutent de perdre leur emploi. Par exemple, on avait avant des receveuses en bout
de chaîne qui avaient un travail très pénible, avec au final de nombreux troubles
musculo-squelettiques (TMS). Dans le cadre de la modernisation des ateliers, on a
investi depuis 2003 dans des machines de mise en boîte automatique des enveloppes.
Ces femmes (sans qualification) ont été formées au métier de contrôleuses qualité. »
(Dirigeant) Cette décision a permis la requalification de ces salariés tout en
assurant un haut niveau de qualité de la fabrication. Parallèlement, les innovations
sociétales se multiplient comme la création d’une association loi 1901 : « On a
aussi fondé une association qui a pour ambition de contribuer au reboisement du
Nord Pas-de-Calais (la région ne compte que 7% de surfaces boisées contre 27% au
niveau national). On essaye de micro-agir pour faire bouger les choses… »
(Dirigeant). L’association fédère, sensibilise et implique les habitants de la région
autour de projets de reboisement de leur environnement de proximité, synonymes
là encore de création de valeur partagée. En six mois, une dizaine de projets de
plantation ont été réalisés et ont bénéficié d’une couverture médiatique régionale
et nationale. La PME est également impliquée dans un projet transfrontalier
baptisé IODDE (Innovations et Opportunités de Développement Durable pour
votre Entreprise), soutenu financièrement par l’Union Européenne. Ce programme
de sensibilisation et d’accompagnement (2011-2013) est destiné aux PME des
zones du Hainaut-Namur en Belgique et du Nord de la France. Le dirigeant de
Pocheco a ainsi présenté les réalisations concrètes et chiffrées mises en place dans
sa PME lors de la conférence de presse de lancement du projet IODDE mi-février
2011. Selon les projets identifiés dans les prochains mois, Pocheco pourra être
sollicitée comme expert pour accompagner des dirigeants d’autres PME de l’euro
région. Lors des conventions de mai 2011, a été officiellement annoncé le projet de
création d’une Maison de l’écolonomie pour 20123 : « Une association qui encourage
ce qui semble atypique, et fait la promotion de l’alternative. La Maison de l’écolonomie
montre par les faits, que changer nos modes de vie est possible. En d’autres termes,
3 - Initialement prévue pour 2012, l’ouverture de la Maison de l’Ecolonomie a été reportée à 2013 en raison
de l’incendie d’un entrepôt de stockage fin 2011.
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Article de recherche : Capacité dynamique d’innovation responsable et performance globale :
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que vivre de façon plus écologique est plus économique. » (Coordinateur de


l’association). La Maison de l’écolonomie sera installée dans l’ancienne
boulangerie de la commune rachetée par la PME qui proposera un café citoyen et
un espace réservé aux associations de manière à « recevoir le public et transmettre
nos connaissances en matière d’écolonomie » (Dirigeant). Enfin, la rénovation du
site industriel s’inscrit dans une volonté d’une meilleure intégration dans
l’environnement naturel de la PME tout en réalisant des économies substantielles
sur les factures énergétiques. Cet engagement est d’ailleurs soutenu par la Banque
Populaire du Nord qui salue « l’approche innovante de Pocheco pour rentabiliser ses
investissements immobiliers en intégrant des actions positives sur l’environnement 4».
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Une meilleure isolation des ateliers permet de réduire les nuisances sonores pour
les riverains tout en préservant la biodiversité locale. Ces bénéfices pour les
riverains vont de pair avec les avantages pour les ouvriers en termes d’amélioration
de leurs conditions de travail, gage d’une création de valeur partagée au profit des
salariés, tout en permettant des économies d’énergie importantes, signe d’une
possible conciliation entre intérêts économiques, sociaux et environnementaux.
La rénovation du bâtiment administratif (datant de 1848) avec la création d’un
open space lumineux ouvert sur la nature améliore les conditions de travail, d’où
un moindre stress pour les salariés, mais également une réduction des factures
d’électricité. Depuis 2007, la PME développe une stratégie de marque visant à
améliorer la gestion de son portefeuille de marques. Ce management des marques
consiste à revisiter les marques détenues par l’entreprise dans une optique de plus
grande cohérence et de visibilité accrue pour les clients et les salariés (machines
dédiées à la fabrication de tels produits repeintes selon le code couleur des
produits). La démarche s’est accompagnée de la refonte du site internet décidée au
printemps 2010 dont l’un des objectifs est explicitement de clarifier l’offre de
produits. Le nouveau site internet mis en ligne fin 2010 se distingue par sa
convivialité et son esthétique directement inspirée de la nature avec le symbole de
l’arbre comme fil directeur des différentes rubriques. La boutique en ligne est
davantage mise en valeur, de même que les résultats en temps réel de l’engagement
de la PME, notamment en matière d’écolonomies réalisées avec un compteur en
temps réel des arbres replantés par Pocheco grâce aux commandes de ses clients.
Ces innovations constituent pour la PME une véritable révolution dans la manière
d’appréhender ses marchés, signe de sa volonté de revisiter en profondeur son
métier. La présentation du cas Pocheco montre la possible conciliation
d’innovations responsables d’exploitation et d’exploration. Indépendamment de
leur nature, toutes les innovations déployées par le dirigeant et son équipe reposent
sur de fortes convictions mises au service de la création de valeur partagée en
interne et en externe. Ces innovations ont tendance à se renforcer mutuellement au
fil des années, donnant naissance à un cercle vertueux. La capacité d’innovation
responsable de Pocheco a-t-elle un impact sur la performance globale de cette
PME ?

4 - Extrait du magazine « Cockpit » - hiver 2012, p.90.

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3. Analyse et discussion du cas Pocheco en termes de performance globale


La troisième partie de l’article analyse le cas de l’entreprise Pocheco à la lumière
de la typologie de St-Pierre et Cadieux (2011). La performance économique (3.1),
la performance durable (sociale et environnementale) (3.2) puis la performance
personnelle du dirigeant (3.3) sont détaillées. Une synthèse est ensuite proposée
en termes d’innovations et de performance globale (3.4).
3.1. Une PME industrielle économiquement performante
Partie intégrante de la performance globale, la performance économique de
Pocheco se veut le garant de l’engagement en matière de RSE et de la liberté
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d’action de son dirigeant (Berger-Douce, 2011). Dans cette étude, des indicateurs

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classiques comme le résultat, la rentabilité commerciale, la rentabilité des actifs et
la rentabilité des capitaux propres ont été retenus. La performance économique
se traduit dans les chiffres clés de l’entreprise (tableau 2).
Tableau 2 : Chiffres clés de Pocheco (2007-2012) (source : Pocheco)
Données 2007 2008 2009 2010 2011 2012
Effectif 91 97 95 101 104 114
Chiffre
20.199.998 20.621.168 20.861.612 20.929.670 21.142.872 21.486.279
d’affaires
Résultat 262 150.008 1.136.755 1.015.342 998.017 2.693.573
ROS 0.001% 0.73% 5.45% 4.85% 4.72% 12.54%
ROA 0.002% 1.19% 8.56% 6.58% 5.27% 13.29%
ROE 0.004% 2.14% 14.79% 11.98% 10.88% 23.17%
Légende : Chiffre d’affaire en euros ; ROS : Return on Sales (Rentabilité commerciale) ; ROA : Return
on Assets (Rentabilité des Actifs) et ROE : Return on Equity (Rentabilité des capitaux propres).

Au-delà des chiffres issus de la comptabilité, d’autres éléments sont


incontournables pour souligner la performance économique imputable à
l’engagement de l’entreprise dans les démarches de RSE. Ainsi, Pocheco
a-t-elle survécu dans un contexte économique difficile lié à la numérisation
croissante des échanges, en particulier la dématérialisation de factures et relevés
de compte. Grâce aux écolonomies réalisées, la PME nordiste a, selon son
dirigeant, pratiquement doublé sa profitabilité. De plus, des gains en termes de
parts de marché, synonymes de satisfaction des besoins des clients (St-Pierre
et Cadieux, 2011) sont à relever et ce, notamment grâce aux efforts en matière
de communication externe : « Avant que l’on communique sur nos actions, la
croissance du chiffre d’affaires était de +0,5% par an (avec un marché en baisse de
-5% par an). Depuis que l’on communique, la croissance de notre chiffre d’affaires
est de +3% par an (sur un marché en régression de -3 à -5% par an. » (Dirigeant).
Globalement, ce sont 500.000 euros d’économies de fonctionnement réalisées
sur le site industriel. Chez Pocheco, les bons résultats financiers de la PME
sont considérés comme des moyens d’entreprendre et non comme une fin en
soi. En ce sens, « ils sont une garantie de pérennité pour nos clients, nos salariés
et nos prestataires. » (Extrait de la politique QSE de Pocheco 2013-2014). La
dimension de centralité de Burke et Logsdon (1996) est donc particulièrement
forte chez Pocheco, l’objectif premier de la PME n’est explicitement pas d’être

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Article de recherche : Capacité dynamique d’innovation responsable et performance globale :
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rentable à tout prix. Un élément clé de la performance économique renvoie


à l’effet de réputation de la PME au regard de ses parties prenantes externes
(riverains, autres PME, banques et assurances, organismes publics) (OSEO,
2012). En effet, la réputation constitue un actif immatériel de premier plan, un
élément du capital relationnel externe décrit par l’Ordre des Experts Comptables
en 2011. « L’investissement dans le capital immatériel a quant à lui des influences
indirectes sur la productivité et la compétitivité. S’il est possible de l’identifier,
d’en mesurer l’intérêt pour l’entreprise, il n’est pas toujours évident de pouvoir
le chiffrer en termes financiers. Il recouvre, en outre, différentes dimensions : le
capital humain porté par les femmes et les hommes de l’entreprise, le capital
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structurel interne lié à l’entreprise comme une organisation collective et le capital
externe des relations avec le monde extérieur, les parties prenantes de l’entreprise
et sa sphère d’influence. » (OSEO, 2012, p.23)
3.2. Une performance durable (sociale et environnementale) omniprésente
La performance humaine tant individuelle que collective comme résultat d’un
management de proximité affirmée (Torrès, 2003) prend tout son sens chez
Pocheco. La fierté des salariés de l’entreprise est ainsi un signe probant du
bon climat social régnant au sein de la PME qui affiche un turnover de 2,3%.
Le dirigeant insiste sur « la qualité du rapport à l’autre au sein de l’entreprise.
On a réussi à mixer des ouvriers avec des formations de technicien et d’autres
sans formation ; des ingénieurs ; des littéraires ; des historiens… Résultat, des
collaborateurs très responsables dans leurs actes, attentifs à la parole donnée,
dynamiques, productifs, chaleureux, vivants… ». Cette fierté transpire d’une vidéo
réalisée en 2012 dans la PME où les salariés ont été invités à s’exprimer sur
leur vie dans l’entreprise et leur adhésion à son projet. La PME se caractérise
par une mobilisation de tous au service de la performance, signe d’un processus
d’appropriation réussi par les salariés de Pocheco, confirmant l’existence de cette
dimension stratégique de la création de valeur (Burke et Logsdon, 1996). Pour
le dirigeant : « Plus les initiatives se développent et plus elles sont prises en main
par tous, c’est de la vraie performance globale ! Dans tous les domaines : la qualité
des produits, la diminution du taux de non-conformité, les gains de productivité, les
gains de part de marché… ». Ce travail collaboratif apparaît comme un puissant
levier de la RSE et constitue une capacité dynamique au sens de Teece et al.
(1997). Un exemple de l’adhésion au projet collectif est la mobilisation des
salariés de Pocheco suite à l’incendie de l’entrepôt de stockage produits finis
fin novembre 2011. Aucun blessé n’a été déploré, ni aucune conséquence sur
l’environnement grâce au choix de produits naturels. Les clients de la PME
l’ont soutenue dans cette épreuve, un signe supplémentaire de leur confiance
gagnée au fil du temps par l’engagement de Pocheco sur son territoire (OSEO,
2012). Enfin, face aux craintes des riverains de l’usine, le dirigeant de Pocheco
a pris l’initiative atypique de présenter ses excuses lors d’une réunion publique
pour les nuisances (notamment olfactives) liées à l’incendie. La performance
environnementale de Pocheco s’inspire des principes de l’écolonomie (Druon,
2012) soutenue par la triple certification QSE depuis 2008 et l’implication plus
récente dans l’ISO 26000. Cet engagement en matière de certification constitue
un élément fort de visibilité comme dimension stratégique (Burke et Logsdon,

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1996). Comme l’explique le dirigeant de la PME : « En l’espace de 15 ans, on


a démontré la viabilité par les chiffres de l’écolonomie (le fait que travailler de
manière écologique soit aussi plus économique, un concept cher à Corinne Lepage).
L’exemple dont je suis le plus fier, c’est que l’on soit parvenu à une autarcie en
ressources hydriques grâce à la toiture végétalisée ; la récupération des eaux de
pluie pour le nettoyage des machines, mais aussi les sanitaires ; la bambouseraie de
phytoremédiation à l’entrée de l’usine… Le point le plus flagrant, c’est le rapport
de notre activité à l’écologie. On a pratiquement réduit à zéro nos impacts sur
l’environnement. » Les projets concrets se multiplient depuis quelques années :
- la toiture végétalisée de l’entreprise (220 m2 au-dessus des bureaux depuis
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2009 et 800 m2 au-dessus des ateliers depuis 2011) dont les plantes mellifères
ont été rigoureusement sélectionnées parmi les variétés locales en étroite
coopération avec le conservatoire botanique national de Bailleul ; - l’installation
de ruches depuis 2011 sur la toiture de l’usine avec pour objectif de préserver ces
insectes menacés, un exemple de micro-action en faveur de la préservation de la
biodiversité locale ; - le développement d’une approche de haute performance
énergétique : sur 9.000 m2 de surface couverte, 4.000 m2 sont dotés de panneaux
producteurs d’énergie (panneaux photovoltaïques hybrides et systèmes naturels
de rafraîchissement d’air adiabatiques). La rénovation du site industriel a
également permis l’installation de puits de lumière naturelle et la révision complète
de l’isolation du bâtiment de manière à éviter les déperditions énergétiques, mais
aussi à améliorer le confort des salariés. Ces exemples concrets de réalisations
peuvent être mis au crédit d’une performance environnementale soutenue par
une capacité dynamique d’innovation responsable. Ainsi, des pratiques de RSE
hétérogènes (combinant initiatives sociales et environnementales) permettent
d’atteindre une performance durable plus forte et correspondent à des PME
ambidextres confortant les résultats de Bérard et al. (2013). S’agissant de la
relation entre RSE et innovation, le cas Pocheco invite à nuancer la conclusion
de Bocquet et Mothe (2013) qui suggèrent l’existence d’un effet sectoriel fort,
visiblement absent dans la PME étudiée. En effet, ces auteurs précisent que la
relation serait plus directe pour des entreprises opérant dans des secteurs où les
compétences sociales et environnementales constituent des déterminants clés de
l’avantage concurrentiel. Or, Pocheco ne répond pas explicitement à ce portrait
d’entreprise dans la mesure où la PME évolue dans le secteur de la production
d’enveloppes et n’est donc pas, à proprement parler, une éco-entreprise. Ceci
souligne la forte proactivité de l’entreprise en matière de RSE (Burke et Logsdon,
1996).
3.3. La performance personnelle du dirigeant de Pocheco
Enfin, s’agissant de la performance personnelle, le dirigeant de Pocheco est
à la recherche d’une qualité de vie (comme « le plaisir d’aller courir en forêt
pendant la pause déjeuner à proximité immédiate de l’usine ») et d’une autonomie
garantie par le fait d’être l’unique actionnaire de la PME. Ce qui lui importe
finalement, c’est l’estime de ses collaborateurs : « Quand vous traitez les gens
avec estime, vous êtes traité avec estime » (Dirigeant). La reconnaissance sociale
ne l’attire pas particulièrement, il se qualifie parfois lui-même de « type pas très
social ». Pour autant, il prend sur lui pour communiquer sur les pratiques et les

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résultats obtenus par sa PME uniquement dans l’optique de transmettre au plus


grand nombre ses convictions, comme dans le cadre de diverses manifestations
professionnelles régionales, des activités de Pocheco Canopée Conseil ou encore
de la future Maison de l’écolonomie, renforçant la visibilité de ses démarches
(Burke et Logsdon, 1996). En d’autres termes, son implication personnelle dans
des écosystèmes d’affaires constitue un facteur clé de succès pour la PME (OSEO,
2012 ; Berger-Douce et Schmitt, 2013). Dans la même veine, il s’est lancé dès
2010 dans un ambitieux projet d’écriture destiné à consigner ses expériences et à
les partager. Dans cet essai publié en août 2012, le dirigeant de Pocheco défend
une autre vision de l’Entreprise et de son rôle dans la société, sans pour autant
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négliger les aspects économiques. S’agissant de management responsable, les PME
constituent, pour cet entrepreneur, « un formidable terrain d’expérimentation ».
Son ambition est de contribuer à créer « l’industrie du 21ème siècle, l’industrie
(circulaire) de la réparation des erreurs des révolutions industrielles des siècles
passés » (Druon, 2012, p.40). Plus récemment, en décembre 2012, le dirigeant
de Pocheco s’est impliqué dans l’initiative « Global Union for Sustainability »,
pour faire progresser les idées du développement durable dans la société. Son
engagement personnel en faveur de la RSE confirme les résultats de Paradas
(2008), de Gendre-Aegerter (2008) et de Berger-Douce et Schmitt (2013) s’agissant
de l’influence prépondérante des convictions du dirigeant sur sa stratégie de RSE.
Les motivations pour entreprendre du dirigeant de Pocheco s’inscrivent assez bien
dans le portrait de l’entrepreneur du 21ème siècle esquissé ci-après : « La quête
de pérennité, le développement de son image ou de sa réputation en relation
avec ses valeurs et croyances, la recherche d’une fierté personnelle, l’imbrication
entre la sphère privée (accroissement de la pression sur le citoyen) et la sphère
professionnelle, le rejet d’expériences de pratiques malheureuses, voire même
l’affichage de ce que l’on pourrait appeler un « badge d’honneur » sont autant de
préoccupations qui poussent les dirigeants à évoluer hors des sentiers classiques
d’un modèle dominant. » (Berger-Douce et Paradas, 2012, p.61). Le lien avec
la stratégie d’innovation en filigrane de cette PME se retrouve naturellement si
l’on adhère à l’idée défendue par Segrestin et Hatchuel (2012, p.42) : « Et c’est
finalement à l’aune des capacités d’une entreprise à innover que sont évaluées les
qualités de son dirigeant. ». S’agissant de Pocheco, la proactivité de son dirigeant
en matière de RSE est telle qu’elle contribue à une véritable création de valeur
partagée (Porter et Kramer, 2011).
3.4. Synthèse des innovations de la PME et impacts sur sa performance globale
Le tableau 3 propose une synthèse des innovations de Pocheco et des impacts sur
la performance globale de la PME, reprenant la typologie de St-Pierre et Cadieux
(2011). Il montre dans le cas Pocheco la possible articulation harmonieuse
des différents types de performance identifiés dans la littérature, performance
soutenue par l’alignement des cinq dimensions stratégiques de la relation entre
RSE et innovation de Burke et Logsdon (1996).

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n°12 - mai/juin/juillet 2014
Article de recherche : Capacité dynamique d’innovation responsable et performance globale :
Etude longitudinale dans une PME industrielle - Sandrine BERGER-DOUCE

Tableau 3 : Innovations chez Pocheco et impacts sur la performance globale


Innovations Impacts sur la performance globale
Performance économique
Rénovation des toitures (gains d’isolation Réduction des dépenses
thermique ; remplacement des chaudières à gaz
par des panneaux photovoltaïques) ; stockage des
encres de couleurs primaires ; centre de tri intégré
(valorisation économique des déchets papier) ;
bambouseraie de phytoremédiation
Machines d’emballage automatique des Gains de productivité
enveloppes ; technologie d’enroulage brevetée
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Technologie d’enroulage brevetée ; enveloppes Amélioration du service au client

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transpromotionnelles (principe du 2 en 1)
Enveloppes éco-compatibles (produits éco- Réponse marketing à une demande croissante
responsables); pochettes personnalisables
(personnalisation de l’offre)
Association pour le reboisement ; technologie Effet de réputation
d’enroulage brevetée (image de pionnier) ;
enveloppes transpromotionnelles (pionnier) ;
essai publié chez Pearson sur les écolonomies
Activités de conseil en DD Diversification
Performance durable
Machines d’emballage automatique des Amélioration des conditions de travail des
enveloppes ; technologie d’enroulage brevetée ; opérateurs
stockage des encres (réduction des risques) ;
récupération des déchets papier (réduction
des poussières) ; rénovation des toitures
(luminosité naturelle) ; création d’espaces verts
(bambouseraie)
Machines d’emballage automatique des Développement des compétences
enveloppes (métiers du contrôle qualité) ;
technologie d’enroulage brevetée
Peinture des machines des ateliers aux couleurs Implication des salariés dans le projet d’entreprise
des marques de la PME ; intéressement aux
résultats de l’entreprise
Technologie d’enroulage brevetée ; récupération Limitation des impacts environnementaux à la
par aspiration des déchets papier pour le centre source
de tri du site
Enveloppes éco-compatibles ; enveloppes Utilisation de matériaux naturels et labellisés
transpromotionnelles ; pochettes personnalisables
Rénovation des toitures par le choix de la Protection de la biodiversité locale
végétalisation ; association pour le reboisement
régional
Bambouseraie de phytoremédiation (infiltration Limitation des transports des eaux usées
des eaux usées sur place)
Performance personnelle
Activités de conseil auprès des PME régionales Diffusion des bonnes pratiques de DD
Implication dans le projet IODDE Mission de traduction auprès d’autres dirigeants
de PME
Pochettes d’emballage personnalisables Soutien à des projets d’insertion professionnelle
de détenus
Rédaction d’un essai sur les écolonomies publié Diffusion du concept d’écolonomies auprès
chez Pearson (2012) d’autres dirigeants de PME
Rénovation des toitures (réduction des nuisances Prise en compte et sensibilisation des riverains de
sonores) ; association pour le reboisement la PME
(implication des populations locales dans les
actions sur le terrain) ; Maison de l’Ecolonomie
(2013)
RIMHE,
Implication dans Revue
l’initiative Interdisciplinaire
« Global Union for Management, Homme(s)
Reconnaissance sociale &
deEntreprise
son implication de 25
Sustainability » n°12 - mai/juin/juillet
dirigeant2014
de PME
Article de recherche : Capacité dynamique d’innovation responsable et performance globale :
Etude longitudinale dans une PME industrielle - Sandrine BERGER-DOUCE

Conclusion
L’apport original de cet article basé sur une étude qualitative longitudinale de
quatre années réside dans sa contribution en matière d’impact de la capacité
dynamique d’innovation responsable sur la performance globale de Pocheco. En
effet, les études identifiées dans la littérature se contentent d’analyser le lien entre
innovation et RSE, sans en étudier l’impact sur la performance des entreprises.
Dans cette optique, la RSE chez Pocheco est un puissant levier d’innovation
permettant une création de valeur partagée (Porter et Kramer, 2011) grâce à
l’alignement positif des cinq dimensions stratégiques de Burke et Logsdon
(1996) : la centralité, la proactivité, le volontarisme de l’implication, la visibilité
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des démarches engagées et leur appropriation réussie par les parties prenantes tant
internes qu’externes de la PME. Par ailleurs, la quête de créativité du dirigeant de
cette PME renvoie à l’un des leviers du modèle de Jenkins (2009) pour identifier
des opportunités durables. Autrement dit, la posture entrepreneuriale de ce
dirigeant s’inscrit dans un régime d’innovation continue, régime soutenu par
des valeurs humanistes prônées par Jenkins (2009) comme socles d’un nouveau
modèle économique basé sur la RSE. La politique QSE de Pocheco renvoie
explicitement à une volonté d’atteindre une performance globale au travers de
(1) la réduction de l’impact sur l’environnement et la prévention des pollutions,
(2) la réduction du risque au travail et la baisse de la pénibilité des postes et (3)
l’amélioration de la productivité de l’activité et du site industriel. Plus largement,
« La réinvention de l’entreprise […] doit aussi répondre aux enjeux contemporains
de la compétition par l’innovation. » (Segrestin et Hatchuel, 2012, p.116). La
démarche de Pocheco s’inscrit dans cette quête de rupture avec le déterminisme
ambiant des indicateurs à tout crin. Ainsi, des expérimentations régionales se
développent dans le Nord Pas-de-Calais, les Pays de Loire ou encore la Bretagne
pour accompagner cette mutation de la notion même de performance tout en
fournissant « une légitimité démocratique à sa pluralité » (Jany-Catrice, 2012,
p.159). D’un point de vue managérial, nos résultats contribuent à une meilleure
compréhension des mécanismes à l’œuvre en matière d’innovation au service
de la performance globale. Ces notions d’innovation et de performance globale
apparaissant comme importantes pour les entreprises, notamment les PME
(FNEGE, 2014), les acteurs de l’accompagnement de ces entreprises pourraient
s’inspirer du cas de Pocheco pour illustrer de manière très pragmatique une
trajectoire possible d’innovation responsable. Notre article présente plusieurs
limites dans la mesure où certaines variables ne sont pas intégrées à l’analyse
comme l’identité du dirigeant ou encore le métier de la PME. De plus, les
conditions nécessaires à une réplication de la trajectoire de Pocheco dans d’autres
PME n’ont pas été explorées. Ces éléments pourront faire l’objet de futurs
travaux. Par ailleurs, il semble pertinent de poursuivre l’analyse longitudinale
menée en coopération étroite avec cette PME atypique depuis 2010, d’autant
qu’elle est en permanence engagée dans des initiatives innovantes (évaluation
selon la norme de RSE ISO 26000 et test national de l’affichage environnemental
depuis fin 2012, plantation d’un verger à l’automne 2013). Enfin, une approche
par les trajectoires stratégiques d’innovation en comparaison avec d’autres PME
pourrait affiner l’analyse menée.

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