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UNIVERSALITÉ OU CONTINGENCE DE L'ENSEIGNEMENT DE LA

GESTION LE CAS DE L'AFRIQUE


Émile-Michel Hernandez, Emmanuel Kamdem

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2007/9 n° 178-179 | pages 25 à 41


ISSN 0338-4551
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Émile-Michel Hernandez, Emmanuel Kamdem« Universalité ou contingence de
l'enseignement de la gestion Le cas de l'Afrique », Revue française de gestion
2007/9 (n° 178-179), p. 25-41.
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DOI 10.3166/rfg.178-179.25-41
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G L O B A L I S AT I O N DOI :10.3166/RFG.178-179.25-41 © 2007 Lavoisier, Paris

PAR ÉMILE-MICHEL HERNANDEZ,


EMMANUEL KAMDEM

Universalité
ou contingence de

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l’enseignement de la gestion
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Le cas de l’Afrique

S
S’intéresser à la formation ’intéresser aujourd’hui aux universités africaines
à la gestion en Afrique
fournit à l’observateur quelques raisons supplé-
c’est, certes, constater les
difficultés que connaît
mentaires de verser dans l’« afropessimisme » :
l’enseignement supérieur effectifs d’étudiants pléthoriques, personnel enseignant
mais aussi trouver des insuffisant en nombre et parfois en qualité, grèves,
établissements années « blanches », débouchés inexistants pour de
fonctionnant de façon tout nombreuses formations, titulaires d’une maîtrise voire
à fait satisfaisante. Cet
même docteurs chômeurs, etc. Y. O. Tolba (1993) estime
article présente d’abord à
travers une étude de cas,
que l’université de Mauritanie souffre d’un sérieux
l’Essec de Douala au manque de considération : « Conçue in vitro entre quatre
Cameroun, avec ses murs et dans l’improvisation totale par une administra-
réussites et ses difficultés, tion soucieuse du placement de nombreux bacheliers
la problématique de la
dont elle ne sait plus quoi faire, l’université maurita-
formation à la gestion en
Afrique. Une deuxième
nienne s’est immédiatement transformée en garderie, en
partie traite de la crèche pour adultes. » M. A. Quashie (1994) qualifie,
professionnalisation de elle, l’université togolaise de « système extrêmement
l’université, de son intérêt sélectif qui forme dans des conditions pédagogiques
mais aussi de ses limites. déplorables une minorité promise au chômage ». Quant
La conclusion, enfin, aborde
à P. J. M. Tedga (1988) dans son ouvrage intitulé Ensei-
la nécessité de renoncer
aux transferts ne varietur
gnement supérieur en Afrique noire francophone. La
de modèles occidentaux et catastrophe ? il qualifie le bilan de trente années
de proposer un modèle de d’enseignement supérieur dans l’« ancienne Afrique
gestion authentiquement noire française » de « gâchis considérable, de véritable
africain.
catastrophe ».
26 Revue française de gestion – N° 178-179/2007

Pourtant tout n’est pas négatif, loin s’en technique). Le mimétisme l’emporte donc
faut, dans le vaste univers des universités largement sur la contingence.
africaines, et malgré les difficultés incon- Si on souscrit à la conception de
testables rencontrées, quelques formations W. W. Rostow (1970) des étapes de la crois-
arrivent à fonctionner de façon satisfai- sance économique, la situation actuelle de
santes tant pour leurs enseignants que pour l’Afrique ne correspond qu’à un simple
leurs étudiants. Un précédent article retard destiné à terme à disparaître. Il n’y a
(Hernandez, 1997) avait présenté trois éta- donc aucune raison de former autrement les
blissements togolais à vocation profession- africains que selon les normes de la vulgate
nelle fonctionnant tout à fait correctement internationale.

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(l’École supérieure de secrétariat de direc- Si, par contre, on souscrit aux conceptions
tion, l’IUT de gestion, le Centre africain de de Chabal P. et Daloz J.-P. (1999) dévelop-
formation à la maintenance micro-informa- pées dans leur ouvrage L’Afrique est
tique). Des établissements de haut niveau partie ! Du désordre comme instrument
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existent en Afrique, la première partie de politique, présentant cette région du monde


cet article a pour ambition de le rappeler en comme « engagée dans une voie de moder-
présentant l’un d’entre eux, l’Essec de nisation… mais selon des modalités peu
Douala au Cameroun. propices à l’essor d’un ordre à l’occiden-
Traiter de la formation à la gestion en tale », il faut alors s’interroger sur la néces-
Afrique nécessite de s’interroger au préa- sité d’enseigner « une autre gestion » aux
lable sur ce qui doit l’emporter du mimé- africains. Cette « autre gestion » serait
tisme ou de la contingence. Les systèmes d’une part, plus proche des valeurs cultu-
d’enseignement supérieur africains sont relles africaines et d’autre part, des tissus
encore aujourd’hui fortement influencés par économiques locaux où les activités agri-
ceux des anciens colonisateurs. D. F. Idiata coles et informelles l’emportent largement
(2006, p. 77) indique : « En Angola, au sur le secteur dit « moderne », c’est-à-dire
Sénégal, au Mali, au Congo, au Gabon, en en fait occidentalisé.
Centrafrique, au Nigeria, etc., on a construit Une première partie de cet article présente,
des universités à l’image du modèle de réfé- comme il a déjà été indiqué, un cas, celui de
rence français, belge, anglais, portugais, en l’Essec de Douala. Les réussites et les diffi-
fonction de l’histoire coloniale. » Pour la cultés de cet établissement illustrent tout à
zone francophone plusieurs institutions fait la problématique de la formation à la
contribuent au maintien de l’influence du gestion en Afrique. Une deuxième partie
système français : CAMES (Conseil traite de la professionnalisation de l’univer-
africain et Malgache pour l’enseignement sité, de son intérêt mais aussi de ses limites.
supérieur), UREF (université des réseaux La conclusion, enfin, aborde la nécessité de
d’expression Française) devenu AUF renoncer aux transferts ne varietur de
(Association des universités francophones), modèles occidentaux et de proposer un
ACCT (Agence de coopération culturelle et modèle de gestion authentiquement africain.
Universalité ou contingence de l’enseignement de la gestion 27

I. – L’ESSEC DE DOUALA centres d’examen à l’intérieur du pays, en


vue de susciter des candidatures dans toutes
1. Le cheminement historique, entre les régions du pays. L’École fonctionne
tradition bureaucratique et innovation d’abord avec un programme expérimental
managériale de formation en gestion, très largement ins-
Créée le 10 août 1979, par arrêté du prési- piré du modèle en vigueur dans les écoles
dent de la République du Cameroun, l’École françaises de gestion. Le programme, for-
supérieure des sciences économiques et mellement approuvé par un texte réglemen-
commerciales (Essec) est un établissement taire du ministre de l’Éducation nationale
public de formation en gestion initialement en novembre 1983, est largement orienté

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rattaché au Centre universitaire de Douala vers les sciences économiques et les disci-
devenu université de Douala suite à la plines quantitatives. Au départ, une seule
réforme de l’enseignement supérieur au filière de formation est ouverte conduisant
Cameroun en 1993. Cet établissement a pris au diplôme d’études supérieures de com-
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le relais de l’Institut d’administration des merce (DESC) après quatre années


entreprises (IAE) qui a été la toute première d’études (bac + 4) dont un tronc commun
structure de formation universitaire en ges- pendant les deux premières années et une
tion au Cameroun. Plusieurs objectifs spécialisation pendant les deux années
majeurs ont été assignés à l’Essec lors de sa suivantes dans les deux options : sciences et
création, par les autorités administratives techniques de gestion, sciences et tech-
camerounaises : rendre possible la formation niques commerciales. L’École a ainsi connu
en gestion au Cameroun des jeunes diplô- sa première promotion de diplômés en
més issus de l’enseignement secondaire et 1983 : 15 en sciences et techniques de ges-
de l’enseignement supérieur, compte tenu tion, 16 en sciences et techniques commer-
des coûts élevés de la formation à l’étranger ciales. La quasi-totalité de ces diplômés a
principalement en Europe et en Amérique ; connu une insertion professionnelle très
offrir aux entreprises et aux milieux rapide, compte tenu de la forte demande en
d’affaires des programmes de formation cadres gestionnaires dans le pays.
permanente en gestion pour le renforcement Une première réforme du statut et des pro-
des capacités managériales de leurs salariés ; grammes de l’École est entamée en 1988 et
animer la recherche appliquée en gestion, est finalisée respectivement en septembre
encore embryonnaire au Cameroun et en 1993 (décret du président de la République)
Afrique ; mettre en œuvre et accompagner et novembre 1993 (arrêtés du ministre de
les initiatives gouvernementales dans le l’Enseignement supérieur), dans le cadre de
cadre du développement économique et la réforme générale de l’enseignement
social du Cameroun. supérieur public au Cameroun. Le pays
L’École a effectivement ouvert ses portes connaît une profonde crise économique et
en octobre 1979, avec une première promo- politique à cette période, avec des consé-
tion de cinquante étudiants issus de l’ensei- quences considérables sur le marché du tra-
gnement secondaire et sélectionnés lors vail en pleine récession. Des milliers de
d’un concours d’entrée très compétitif orga- diplômés universitaires se retrouvent sans
nisé à l’échelle nationale, dans différents qualification professionnelle et sans emploi.
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C’est une situation très préoccupante pour nistration des affaires » qui conduit au
la stabilité sociale du pays et les risques de diplôme de master en administration des
conflits sociaux provoqués par le chômage affaires (MBA) ; de la filière « Études pro-
des diplômés universitaires sont croissants. fessionnelles en organisation et manage-
C’est donc dans ce contexte socioécono- ment » qui conduit au diplôme de maîtrise
mique et sociopolitique alarmant qu’une professionnelle en organisation et manage-
nouvelle filière de formation est créée pour ment (MPOM). Les diplômes concernés
remplacer la première. Cette nouvelle sont des diplômes professionnels équiva-
filière est justement dédiée aux diplômés de lents au master professionnel 2, dans le sys-
l’enseignement supérieur, titulaires d’une tème LMD (licence, master, doctorat). Les

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licence (bac + 3), recrutés également sur candidats à cette formation doivent avoir au
concours dans cinq options de spécialisa- moins deux années d’expérience profes-
tion : gestion financière et comptabilité, sionnelle et, si possible, être présentés par
gestion des ressources humaines, gestion leurs employeurs.
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marketing, gestion internationale et com- Une troisième réforme des programmes,


merce extérieur, gestion des systèmes d’in- engagée depuis octobre 2005, est en cours
formation et d’aide à la décision. La forma- de finalisation en vue de l’adéquation avec
tion dans cette nouvelle filière est le système LMD officiellement adopté lors
sanctionnée par le diplôme d’études profes- du conseil des ministres de l’Enseignement
sionnelles approfondies (DEPA). supérieur de la communauté economique et
Une deuxième réforme des programmes de monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC)
formation est engagée en juillet 2000 et lors de sa séance du 10 mars 2006 au cours
parachevée en novembre 2002. Elle se tra- de laquelle a été décidée l’application du
duit par la restructuration des filières exis- système LMD dans toutes les universités
tantes et la création de nouvelles filières, des pays membres de cette communauté.
principalement dans le domaine de la for- Les nouveaux programmes, élaborés selon
mation permanente diplômante. Il s’agit le modèle LMD, seront fonctionnels à par-
notamment de la filière « Études en admi- tir de la rentrée universitaire 2007/2008.

Tableau 1
ÉVOLUTION DES RÉFORMES DES PROGRAMMES
Évolution des Année de Année de Durée
Objet
réformes démarrage finalisation (années)

Renforcement de la professionnalisation
Première réforme 1988 1993 5
de la formation initiale en gestion

Introduction de la formation permanente


Deuxième réforme 2000 2002 2 diplômante en gestion, dédiée aux
entreprises

Troisième réforme 2005 2007 2 Passage au système LMD


Universalité ou contingence de l’enseignement de la gestion 29

Comme on peut l’observer dans ce tableau, ainsi que sur l’ensemble du système éducatif
cinq années se sont écoulées entre l’élabora- universitaire public. Les difficultés grandis-
tion et la mise en œuvre de la première santes rencontrées par l’État pour faire fonc-
réforme. L’explication principale réside dans tionner ce système ont conduit à une lente et
le fait que l’enjeu majeur de cette réforme difficile libéralisation de l’enseignement
était la participation des milieux d’affaires et supérieur vers le secteur privé, depuis 2000.
du secteur privé dans l’organisation et le
fonctionnement de l’École. Sans aller jus- 2. Conditions humaines et matérielles
qu’à parler de privatisation, il était davan- de l’enseignement, précarité et pénurie
tage question de faire en sorte que ces der- Depuis sa création en 1979, l’Essec de Douala

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niers soient activement représentés dans les a déjà formé plus de 2 500 diplômés dans
structures organisationnelles et fonction- les différentes filières et options de forma-
nelles de l’École. L’objectif n’a malheureu- tion ouvertes. Le tableau 2 donne une indica-
sement pas été atteint, à cause de la détermi- tion de l’évolution de quelques effectifs
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nation manifeste de l’État camerounais à concernant les ressources humaines, à mi-


exercer un contrôle étroit sur cette école parcours de l’année académique 2006/2007.

Tableau 2
ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DES RESSOURCES HUMAINES AU COURS
DES 10 DERNIÈRES ANNÉES (DE 1998 À 2007)
Étudiants
Enseignant Personnel
Année Enseignants Étudiants
Formation Formation Total Ratio Diplômés administratif
Académique permanents finissants
initiale permanente /Étudiant et d’appui

1998-1999 22 544 47 591 1/27 114 62 46

1999-2000 22 374 62 436 1/20 145 83 47

2000-2001 25 612 69 681 1/27 276 118 45

2001-2002 26 445 128 573 1/22 254 166 42

2002-2003 28 519 203 722 1/26 395 166 48

2003-2004 39 702 235 937 1/24 270 298 45

2004-2005 36 676 271 947 1/26 300 261 46

2005-2006 44 700 289 989 1/22 362 262 48

2006-2007 44 / / 1215 1/27 / 50 48


30 Revue française de gestion – N° 178-179/2007

Tableau 3
RESSOURCES MATÉRIELLES DISPONIBLES

Type d’infrastructure Nombre Capacité totale d’accueil


(places assises ou postes de travail)

Amphithéâtre 2 300

Salles de classe 15 570

Salle de conférence 1 50

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Laboratoire informatique 2 50

Cellule informatique 1 2
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Bibliothèque 1 25

Cellule de reprographie 1 1

Bureaux des professeurs 10 60

Bureaux administratifs 25 50

Plusieurs commentaires se dégagent de la Économiques et de Gestion appliquée,


présentation du tableau 3. L’Essec de faculté des sciences Juridiques et Poli-
Douala utilise actuellement moins du quart tiques, faculté de Médecine et des sciences
de ses infrastructures d’origine. En effet, Pharmaceutiques).
suite à la réforme générale de l’enseigne- Par ailleurs, ces infrastructures construites et
ment supérieur au Cameroun, intervenue en utilisées depuis la création de l’École en
1993 et qui s’est traduite par la transforma- 1979 n’ont pas connu une réhabilitation
tion du Centre universitaire de Douala en d’ensemble et sont aujourd’hui dans un état
université de Douala, cette dernière a été de délabrement très avancé ; notamment au
provisoirement installée à l’Essec en atten- niveau des circuits d’électricité et de la
dant la construction d’un campus universi- plomberie. Cette situation compromet consi-
taire approprié. Ce qui n’est pas encore dérablement leur fonctionnalité optimale. Ce
réalisé à ce jour. Par conséquent, les infra- constat est encore beaucoup plus grave
structures administratives, pédagogiques et s’agissant des infrastructures dédiées à la
logistiques initialement dédiées à l’Essec recherche, notamment les 2 laboratoires
sont toujours utilisées en partage avec toute informatiques qui ont une capacité d’accueil
l’administration du Rectorat et celle de maximale de 50 places et la bibliothèque
quatre Facultés universitaires issues de dont la capacité d’accueil maximale est de
cette réforme (faculté des Lettres et 25 places pour une population étudiante
Sciences humaines, faculté des sciences totale de 1215 personnes. L’École ne dispose
Universalité ou contingence de l’enseignement de la gestion 31

pas encore d’une vidéothèque ou d’une trois faits majeurs. Premièrement l’Essec de
médiathèque équipée et fonctionnelle. Douala évolue, depuis sa création, dans le
Cependant il existe quelques appareils giron de l’administration publique came-
(vidéoprojecteur, rétroprojecteur) pour des rounaise. C’est dans ce cadre institutionnel
cours spécialisés nécessitant un tel équipe- qu’elle doit former et perfectionner des
ment ; notamment le cours de comportement cadres et dirigeants gestionnaires quasi
organisationnel dont une partie du support exclusivement destinés au secteur productif
est constitué de films pédagogiques. La privé (entreprise, association, organisme de
connexion internet existe depuis 2001, prin- consultation, etc.). De ce fait, elle opère
cipalement dans les bureaux administratifs et dans une situation de double contrainte

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pédagogiques et pas encore dans les salles de (publique et privée). Deuxièmement son
classe dont la précarité des équipements fonctionnement n’est pas figé ou statique ; il
limite considérablement le développement obéit à un souci permanent de remise en
des méthodes pédagogiques innovantes et cause et de renouvellement institutionnel et
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interactives (vidéoprojection, numérisation pédagogique qui s’inscrit dans les muta-


pédagogique, télé-enseignement, etc.). tions et les innovations observées dans les
En définitive, on peut résumer la situation milieux socioprofessionnels et dans les
des ressources et des infrastructures maté- milieux universitaires, au Cameroun, en
rielles en termes de vétusté et de pénurie. Afrique et dans le monde. En effet, les trois
Les différentes réformes des programmes, réformes majeures (institutionnelles et
présentées plus haut, n’ont eu qu’un impact pédagogiques) engagées depuis la création,
limité sur le renouvellement et l’enrichisse- respectivement en 1993, 2002 et 2005, ont
ment des équipements matériels. Cette été menées suivant un fil conducteur : per-
situation affecte considérablement le déve- mettre le développement de l’École sous la
loppement des innovations pédagogiques double contrainte de l’enracinement (came-
susceptibles de permettre une avancée qua- rounais et africain) et de l’ouverture (parti-
litative dans l’organisation et l’animation cipation effective à la mondialisation des
des enseignements. En dépit de ces diffi- savoirs en gestion). Troisièmement la per-
cultés manifestes, l’École a continué à sistance d’un paradoxe manifeste entre les
fonctionner et à susciter toujours plus d’at- difficultés connues par l’École et l’attracti-
tractivité chez les étudiants en quête de vité qu’elle continue de susciter sur le plan
formation en gestion, chez les acteurs éco- national et international.
nomiques dans les milieux socioprofession- Un éclairage est utile pour élucider cette
nels, chez les partenaires nationaux et situation fortement complexe. Nous le
étrangers intéressés par la coopération uni- ferons en revisitant la grille de lecture pro-
versitaire institutionnelle. posée par P. Bernoux et J.-M. Servet (1997)
sur la construction sociale de la confiance
3. Défis et enjeux des réformes des dans les organisations. La question centrale
programmes d’enseignement, confiance au cœur de la présente réflexion est la sui-
et visibilité vante : comment l’Essec de Douala a-t-elle
De tout ce qui vient d’être dit dans les pages fait pour surmonter toutes les difficultés
antérieures, on retiendra principalement matérielles et infrastructurelles rencontrées
32 Revue française de gestion – N° 178-179/2007

et pour continuer à bénéficier de la bale, J.-M. Servet (1997, p. 25) définit la


confiance des demandeurs de formation en confiance ainsi :
gestion (étudiants) et des utilisateurs des « La condition d’une personne, d’un groupe
produits de la formation en gestion (entre- ou d’une institution à un moment et en un
prises) ? La réponse à cette question lieu donnés, fondée sur des éléments affec-
conduit ainsi à s’intéresser à la signification tifs, intuitifs ou sur un ensemble d’informa-
de la notion de confiance ainsi qu’aux pro- tions et de croyances, de préjugés et par des
cessus de sa construction. Cette notion, lar- processus d’apprentissage face à un objet,
gement répandue dans le discours popu- un mécanisme, un animal, un environne-
laire, a pourtant connu un développement ment physique, un individu, un groupe de

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tardif dans la littérature aussi bien dans les personnes ou une organisation de toute
sciences sociales que dans les sciences éco- nature, et dont la connaissance permet d’an-
nomiques et de gestion. Son émergence ticiper avec un degré plus ou moins élevé
récente dans les théories organisationnelles d’incertitude leur devenir ou leur réaction
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se justifie, selon P. Bernoux (1997), par la ou comportement dans telle ou telle situa-
nécessité de dépasser l’analyse stratégique tion ».
fondée sur les jeux et les enjeux du pouvoir Il complète cette définition en montrant que
en vue de résoudre la double contrainte de la confiance est également une relation ou
la division du travail et de la coordination un sentiment dynamique et hiérarchisé qui
des activités. Par ailleurs, les limites avé- se construit, qui varie en intensité et que
rées d’une vision uniquement instrumentale l’on peut inscrire sur une ligne ordinale
et marchande du lien social ont beaucoup dont les principaux points d’ancrage vont
contribué au retour du thème de la de la défiance à la foi, en passant par la
confiance dans le fonctionnement des orga- méfiance et la confiance. Comme éléments
nisations. Ce retour est notamment marqué constitutifs de la construction de la
par l’importance considérable, quoique confiance, il en identifie principalement
longtemps occultée, des ressorts psycholo- trois qui sont successivement : la foi (fon-
giques de la confiance (Birouste, 1997). dée sur la légitimité et le respect des règles,
Selon Servet (1997, p. 17-38), cette notion la croyance dans l’autre et la transparence),
a des origines lointaines qui la rapprochent la validation et la formalisation de la
du mot latin confidentia dont la significa- parole donnée (ce qui implique l’existence
tion est polysémique (assurance, espérance, d’un document écrit), la mémoire (entrete-
audace). C’est à partir du XVIIe siècle que nue par le retour à l’histoire, l’accumulation
la langue française privilégie l’usage domi- et la mobilisation des expériences passées).
nant du mot confiance, tandis que la langue L’analyse de l’expérience de l’Essec de
anglaise utilise deux mots différents : l’un, Douala permet de constater que les
confidence, est dérivé du latin confidentia réformes antérieures des programmes d’en-
pour exprimer la capacité à honorer une seignement (respectivement en 1993 et
obligation ; l’autre, trust, est porteur d’un 2000), ainsi que celle actuellement en cours
fort contenu psychologique et suggère une depuis 2005, ont été élaborées et mises en
dimension spirituelle (croyance, foi) dans la œuvre à une période pendant laquelle un
construction du lien social. De manière glo- doute certain et une méfiance manifeste
Universalité ou contingence de l’enseignement de la gestion 33

caractérisaient les relations entre l’École et gestion financière et comptabilité, gestion


les différents acteurs institutionnels impli- internationale et commerce extérieur, ges-
qués dans son développement (administra- tion des systèmes d’information et d’aide à
tion de l’enseignement supérieur, adminis- la décision). Cette réforme s’est avérée
tration interne de l’université et de l’Essec, salutaire pour la poursuite, jusqu’à son
organisation patronale, organisation repré- terme normal en décembre 1996, de la
sentative des étudiants, institution universi- coopération institutionnelle entre l’Essec de
taire partenaire). De ce point de vue, il est Douala et l’École des hautes études com-
donc possible d’affirmer que ces réformes merciales (HEC) de Montréal, Canada.
constituent une parade contre la perte de Quant à la deuxième réforme, commencée

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confiance dont ces différents acteurs ont en 2000 et finalisée en 2002, elle a princi-
perçu quelques signes annonciateurs, à tra- palement innové par l’introduction et le
vers notamment les critiques de plus en plus renforcement de la formation permanente
accentuées des milieux d’affaires et du sec- dédiée aux personnes justifiant déjà d’une
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teur privé concernant, par exemple, la qua- expérience professionnelle. Pour la pre-
lité et la professionnalisation de la forma- mière fois, dans l’environnement universi-
tion. Le renouvellement et la réactualisation taire camerounais, des cadres et des
du contenu des programmes d’enseigne- dirigeants des entreprises et des administra-
ment ont crée une certaine assurance chez tions pouvaient ainsi suivre à l’Essec de
ces différents acteurs et contribué au ren- Douala une formation en gestion sanction-
forcement de la confiance mutuelle. née par un diplôme universitaire et consti-
Quelques exemples concrets permettent de tuant un atout majeur pour l’évolution de
justifier cette affirmation. leur plan de carrière. Cette réforme a donc
La première réforme des programmes d’en- permis l’ouverture de deux nouvelles
seignement, engagée en 1988 et terminée filières de formation permanente : celle pré-
en 1993, a permis la multiplication et la parant au diplôme de maîtrise profession-
diversification des filières de formation. On nelle en organisation et management
est ainsi passé d’une seule filière fonction- (MPOM), sanctionnant une formation pro-
nelle depuis la création de l’École en 1979 fessionnelle en gestion de niveau bac + 4 ;
pour la préparation du diplôme d’études et surtout celle préparant au diplôme de
supérieures de commerce (DESC), avec Master of Business Administration (MBA),
deux options de spécialisation respective- diplôme très prisé sur le plan national et
ment en sciences et techniques de ges- international. Cette réforme a donc conso-
tion ainsi qu’en sciences et techniques com- lidé le retour de la confiance qui a permis la
merciales, à une filière de formation très signature, en novembre 2002, d’un partena-
orientée vers la professionnalisation et pré- riat stratégique entre l’Essec de Douala et la
parant au diplôme d’études profession- principale organisation patronale du pays, à
nelles approfondies (DEPA) avec cinq savoir le Groupement interpatronal du
options de spécialisation (gestion des res- Cameroun (GICAM). Ce partenariat a
sources humaines, gestion marketing, considérablement permis de renforcer le
34 Revue française de gestion – N° 178-179/2007

rayonnement et la visibilité de l’Essec 187 340 000 francs CFA1. Ces ressources
auprès des milieux d’affaires et du secteur propres permettent actuellement de couvrir
privé. environ 60 % du budget de fonctionnement
La troisième réforme, engagée en 2005 et de l’École ; le reste étant couvert par les
qui doit être parachevée en 2007, va consa- subventions directes de l’État camerounais.
crer le passage définitif au système LMD C’est ainsi que des entreprises fortement
(licence, master, doctorat) devenu désor- implantées dans le pays et dans la sous-
mais la référence dans les milieux universi- région d’Afrique centrale sollicitent régu-
taires camerounais, africains et interna- lièrement l’inscription de leurs collabora-
tionaux (Fédry, 2006 ; Idiata, 2006 ; teurs dans des filières de formation

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Pougoué, 2007). L’une des retombées permanente, en accompagnant les dossiers
directes de cette réforme, à l’Essec et à de candidature du chèque destiné au paie-
l’université de Douala, est la structuration ment de la totalité des droits universitaires
des écoles doctorales et singulièrement de (pour deux années d’études) avant même
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l’École doctorale en sciences de gestion que les listes d’admission ne soient officiel-
dont l’Essec abrite déjà une des unités de lement publiées. Ce qui ne manque pas
formation doctorale. Une des retombées d’ailleurs de poser un problème d’ordre
positives de cette réforme en cours de fina- éthique (confiance en l’école, tentative
lisation, qui peut être inscrite sur le registre d’influence des dirigeants avant la tenue
de la confiance, est la signature en mars des jurys de sélection ?).
2007 d’un accord de coopération entre Pour terminer cette analyse, comment ne
l’Essec (université de Douala) et la faculté pas évoquer ici quelques structures de
de sciences Économiques et de socialisation dont l’existence et le fonction-
Gestion (université Louis Pasteur de nement ont considérablement contribué au
Strasbourg). Plusieurs activités sont pré- renforcement de la confiance au sein de
vues dans l’exécution de cet accord, notam- l’établissement. Il s’agit par exemple de la
ment l’échange des programmes d’ensei- Semaine de l’Entreprise, événement annuel
gnement, la mobilité des étudiants organisé par la direction de l’École en
doctorants et des professeurs invités, la collaboration étroite avec l’Association des
conduite des projets de recherche mutuelle- étudiants, les entreprises partenaires et qui
ment élaborés, etc. permet une animation scientifique et com-
Une autre source d’explication de la merciale (pendant une dizaine de jours) de
confiance et de l’attractivité réside dans la l’École et de toute l’université. On peut en
mobilisation croissante des ressources dire autant de la cérémonie de parrainage
financières propres. Entre 1999 et 2006, les professionnel au cours de laquelle est rendu
ressources financières principalement officiel le lien de solidarité entre le parrain
constituées des droits universitaires payées (diplômé de l’École en activité dans une
par les étudiants ont été multipliées par plus entreprise) et son filleul (étudiant en forma-
de dix ; passant de 16 300 000 francs CFA à tion à l’École). Il en est de même de la

1. 1 euro = 655 franc CFA


Universalité ou contingence de l’enseignement de la gestion 35

mutuelle de solidarité du personnel de l’origine des lieux de rassemblement des


l’Essec dont les membres se recrutent savants, et non pas des lieux destinés à
parmi les dirigeants de l’École, les ensei- accueillir une population estudiantine.
gnants et le personnel administratif. En Cette fonction initiale est encore très pré-
quelques années de fonctionnement, cette sente actuellement. Ainsi, les carrières des
mutuelle a réussi une mobilisation finan- universitaires sont fonction essentiellement
cière considérable sous forme d’épargne de leurs travaux de recherche, les éven-
dont le montant total actuel déjà collecté est tuelles qualités pédagogiques, ou d’anima-
de l’ordre de 8 000 000 francs CFA. Cette teur de filières professionnalisées, entrant
épargne permet de faire des prêts rembour- très peu en ligne de compte. Puis dans un

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sables aux adhérents de la mutuelle, de les deuxième temps, les universités sont deve-
assister moralement et financièrement lors nues des lieux de diffusion d’un savoir de
des événements familiaux heureux ou mal- haut niveau. Ce n’est que récemment
heureux (naissance, décès, maladie, etc.). qu’elles sont devenues le lieu d’accueil
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Une telle structure de socialisation, fondée quasi systématique de bacheliers, souvent


sur la confiance partagée entre ses membres peu motivés et peu aptes aux études supé-
dans leur milieu professionnel, a une fonc- rieures, dont le seul souci, tout à fait légi-
tion véritablement existentielle surtout dans time d’ailleurs, est de suivre une formation
une société au sein de laquelle l’assurance débouchant le plus sûrement possible sur
maladie et le remboursement des frais un emploi en fin de cursus. On demande
médicaux sont un luxe accessible aux donc, aujourd’hui, aux universités, en plus
seules personnes financièrement et maté- de leur mission initiale, de produire et dif-
riellement aisées ou prises en charge par fuser un savoir de haut niveau, de remplir
leurs employeurs. Ce qui n’est pas encore le une nouvelle fonction, délivrer des forma-
cas pour les personnes en service dans les tions professionnalisées, qui leur posent de
universités camerounaises. nombreuses difficultés d’adaptation. Et ceci
est vrai aussi bien en France qu’en Afrique.
II. – LA PROBLÉMATIQUE DE Si l’institution universitaire opte clairement
LA PROFESSIONNALISATION pour la voie de la professionnalisation, ce
DE L’UNIVERSITÉ qui n’est pas encore le cas actuellement,
elle devra faire évoluer ses compétences et
Qu’il s’agisse des pays occidentaux, ou des ses pratiques. Une véritable formation pro-
pays en voie de développement (PVD), le fessionnelle est faite de savoir, de savoir-
thème de la professionnalisation de l’uni- faire et de savoir-être ou comportement.
versité est, sans conteste possible, d’actua- Ainsi, EDF utilise cette trilogie classique
lité. Certains y voient même la solution à pour décrire tous ses postes de travail. Si
tous les maux dont elle souffre actuelle- l’université est parfaitement à l’aise pour
ment. délivrer du savoir, elle l’est beaucoup
Il faut d’abord rappeler la vocation origi- moins pour le savoir-faire et plus du tout
nelle des universités. En Occident, les pre- pour le savoir-être. Or, en entreprise, les
mières universités (La Sorbone, Oxford) deux dernières composantes sont essen-
apparaissent au Moyen-Age. Ce sont à tielles. Et si elles trouvent la plupart du
36 Revue française de gestion – N° 178-179/2007

Tableau 4
COMPÉTENCE DE L’UNIVERSITÉ/EXIGENCE DE L’ENTREPRISE

Composantes Compétence de Exigence de l’entreprise


l’université

Savoir +++ +

Savoir-faire + ++

Savoir-être – +++

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temps la formation théorique des étudiants connaissances propositionnelles. Ce sont
largement suffisante, voire même parfois des énoncés sur quelque chose, aussi bien
excessive, elles sont plus critiques pour le une loi chimique ou physique qu’une
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reste. Des qualités de comportement méthode ou une procédure. Le mode procé-


comme la créativité, l’autonomie, la qualité dural est intégré dans nos comportements.
relationnelle, la civilité, etc., font parfois Les savoirs s’expriment dans l’activité
défaut ; de même que des notions comme la plutôt que dans le langage naturel ou sym-
qualité sociale, comportementale ou bolique, ils sont inclus dans nos manifesta-
éthique, déterminantes dans l’univers orga- tions comportementales.
nisationnel spécifique qu’est l’entreprise. Cette évolution des universités devra aller
Un tableau 4 résume cette inadéquation de pair avec un changement des mentalités
compétence de l’université/exigence de estudiantines face au marché du travail. Ils
l’entreprise. devront passer d’une attitude quasi systé-
G. Le Boterf (1994) a consacré un ouvrage matique de demandeur d’emploi, à une atti-
à la notion de compétence professionnelle. tude d’offreur de services, d’apporteur de
Pour cet auteur, elle consiste à mobiliser compétences. Aujourd’hui, de nombreux
des savoirs qu’elle a su sélectionner, inté- étudiants (mais aussi des jeunes sans for-
grer et combiner. Elle puise dans un équi- mation, des cadres ayant dépassé la cin-
pement pouvant être considéré comme un quantaine, etc.) éprouvent des difficultés à
pôle de ressources. Il identifie six types de s’intégrer comme salariés dans le monde du
savoir présentés dans le tableau 5. travail. Ils oublient que le modèle salarial
La lecture de ce tableau fait ressortir l’inap- est excessivement récent sur le plan histo-
titude de l’éducation formelle, initiale ou rique. Dans les pays occidentaux, il est né
continue, comme mode principal d’acquisi- au XIXe siècle. Dans les pays africains, il
tion. Or, en entreprise, les savoir-faire pro- est encore plus récent. Il date surtout des
céduraux, expérientiels ou sociaux sont indépendances, c’est-à-dire une cinquan-
souvent plus importants que le savoir théo- taine d’années, et concerne un pourcentage
rique. Le Boterf oppose mode de manifes- de la population beaucoup moins élevé que
tation déclaratif et procédural. Le mode dans les pays développés. Certains pays
déclaratif exprime les savoirs en termes de africains intégraient systématiquement dans
Universalité ou contingence de l’enseignement de la gestion 37

Tableau 5
LES TYPES DE SAVOIR

Type Fonction Mode principal Mode de


d’acquisition manifestation

Éducation formelle
Savoirs Savoir comprendre
Formation initiale Mode déclaratif
théoriques Savoir interpréter
et continue

Éducation formelle

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Savoirs Savoir comment
Formation initiale Mode déclaratif
procéduraux procéder
et continue

Savoir-faire Savoir procéder Expérience


Mode procédural
procéduraux Savoir opérer professionnelle
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Savoir-faire Savoir y faire Expérience


Mode procédural
expérientiels professionnelle

Savoir-faire Savoir se comporter Expérience sociale Mode procédural


sociaux Savoir se conduire et professionnelle

Savoir traiter Éducation formelle


l’information Formation initiale
Savoir-faire Savoir raisonner et continue Mode déclaratif
cognitifs Savoir nommer ce que Expérience sociale et et mode procédural
l’on fait professionnelle analysée
Savoir apprendre

Source : Le Boterf (1994, p. 115).

leur administration tous les diplômés sor- Face à la désalarisation de la société, il va


tant de leurs universités. Les contraintes leur falloir passer de l’auto-emploi subi
budgétaires les ont amenés à renoncer à (aujourd’hui), à l’auto-emploi choisi
cette pratique. Et, aujourd’hui, les Plans (demain).
d’ajustement structurel (PAS) imposés par Et des auteurs, le plus souvent américains,
la Banque mondiale, contraignent ces décrivent avec un enthousiasme, parfois
mêmes pays à réduire leurs effectifs de excessif, un monde futur du travail où le
fonctionnaires, alors qu’en Afrique, le sec- salariat sera l’exception et l’indépendance,
teur public (ou parapublic), constituait la la règle. Aubrey (1994), développe une
principale source d’emplois salariés. nouvelle vision du développement indivi-
Aussi, en Afrique comme en Occident, duel qui se situe dans le cadre d’une trans-
devant les difficultés croissantes du modèle formation fondamentale du travail qu’il
salarial, les étudiants devront être de plus qualifie d’« entreprise de soi ». Bridges
en plus nombreux à envisager de travailler (1995) indique, lui « comment gérer Moi
comme indépendant, de s’auto-employer. S.A. ». Les étudiants devront abandonner
38 Revue française de gestion – N° 178-179/2007

un comportement passif face aux enseigne- référence assez peu contestée. Or, d’une
ments qui leurs sont délivrés. Ils devront part, ce modèle est aujourd’hui extrê-
développer leur propre autonomie, et plutôt mement critiqué dans les pays qui l’ont vu
qu’apprendre, apprendre à apprendre. Pour naître (cf. les nombreux mouvements
A. Kabou (1991), l’enseignement en sociaux dans les universités françaises), et
Afrique aurait « tout à gagner à former des d’autre part, il est trop coûteux pour les
individus suffisamment créatifs pour pays africains. Il absorbe une part trop
s’auto-employer ». D. Etounga-Manguelle importante (entre 25 et 30 %) des dépenses
(1991), parle lui de la nécessité pour l’en- totales d’éducation par rapport aux effectifs
seignement africain de développer les qua- concernés. Ceci doit amener les universi-

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lités qui conditionnent le progrès : « l’ima- taires africains à engager une véritable
gination, le non-conformisme, la créativité ; réflexion visant à rapprocher leurs institu-
le professionnalisme et la compétence, le tions des réalités et des besoins de leur
sens des responsabilités et des devoirs, pays.
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l’amour du travail bien fait ». Quant à La conception linéaire du développement


Y. O. Tolba (1993), à propos de l’université formulée par W. W. Rostow est aujourd’hui
mauritanienne, il parle de la nécessité battue en brèche. La plupart des écono-
« d’introduire à l’esprit d’entreprise dans mistes du tiers-monde se refusent à consi-
l’enseignement supérieur ». dérer le sous-développement comme un
La professionnalisation constitue pour les simple retard, comme un phénomène natu-
universités africaines une voie intéressante rel de l’histoire de toute société. Ils le
où des résultats positifs peuvent être obte- considèrent comme situation spécifique,
nus. Mais elle n’est pas généralisable. Elle produit de l’histoire que n’ont pas connue
connaît, en effet, trois limites principales : les pays développés.
elle est coûteuse, elle ne peut concerner, Il appartient donc maintenant aux univer-
pour des raisons de débouchés, que des sitaires africains, gestionnaires et autres,
effectifs limités, et toutes les formations de renoncer aux modèles organisationnels
universitaires ne sont pas professionnali- importés, aux modèles exogènes, d’aban-
sables. Aussi une réflexion d’ensemble donner la tentation mimétique, et de
concernant ces universités s’impose-t-elle construire une université spécifique,
aujourd’hui. adaptée à une situation historique
De tous les degrés, l’enseignement supé- spécifique.
rieur est, en Afrique, celui qui a les modèles
de référence les plus explicitement occiden- CONCLUSION
taux. Au niveau de l’éducation de base, les
contenus et l’organisation pédagogique ont Traiter de la formation à la gestion en
pu être conçus localement en tenant compte Afrique c’est aussi s’interroger sur quelle
des réalités du milieu. Et l’époque où les gestion enseigner ? Les experts en gestion,
instituteurs parlaient aux petits africains de et autres consultants internationaux, ont
leurs ancêtres gaulois est maintenant révo- longtemps prétendu imposer en Afrique
lue. Par contre, pour l’enseignement supé- « la » bonne façon de manager, oubliant que
rieur, le modèle occidental constitue une les présupposés culturels implicites de ce
Universalité ou contingence de l’enseignement de la gestion 39

modèle étaient fort éloignés du contexte comparaison internationale des modes d’or-
africain et réduisaient ainsi à néant ses ganisation, et le recours aux économies de
chances d’y réussir. la grandeur de L. Boltanski et L. Thévenot
Face à ces échecs l’étape suivante a (1991) nous ont permis de définir un
consisté pour les experts à préconiser un modèle implicite d’organisation pour l’en-
changement de mentalité. Ce n’était pas au treprise africaine : la famille. Divers aspects
management de s’adapter à l’Afrique, mais de la mise en œuvre de ce modèle implicite
aux Africains de faire table rase de leur ont été étudiés : la structure-stratégie de
culture pour s’adapter au management l’entreprise, le système de production et le
occidental. Ce souhait illégitime n’a pas mode de contrôle social (cf. Hernandez,

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dépassé le stade du vœu pieux. 2000).
Un modèle de management africain ne peut Si P. d’Iribarne (1989) a présenté les orga-
réussir que s’il prend véritablement en nisations françaises comme fonctionnant
compte le contexte culturel local. Il ne selon la logique de l’honneur, les organisa-
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s’agit pas de détailler ici les caractéristiques tions américaines selon celle du contrat, et
de la culture africaine, on renverra pour les organisations hollandaises selon celle du
cela le lecteur par exemple à l’ouvrage de consensus ou de la coopération, nos propres
D. Etounga-Manguelle (1991), mais de se recherches en Afrique montrent des organi-
limiter à un rappel de quelques contradic- sations fonctionnant selon la logique de la
tions entre les formes africaines de vie en communauté ou de la relation d’où la pro-
société et les attitudes nécessaires à position du modèle présenté dans la
l’application des principes occidentaux figure 1.
d’organisation. Ce modèle utilise la notion de facteur
La recherche du consensus est essentielle « C » introduite par L. Razeto (1991). Pour
dans les sociétés africaines, elle se traduit cet auteur il n’y a pas que le capital et le
par des difficultés à gérer les situations pou- travail à prendre en compte comme fac-
vant entraîner des affrontements ouverts. teurs économiques, il existe aussi un « fac-
Les oppositions sont considérées comme teur C » (pour Coopération, Communauté,
une remise en cause des personnes et non Collaboration) générateur de productivité
pas comme une simple critique de situa- et possédant une existence propre. Dans
tions factuelles. une entreprise classique, le but est de
L’intention des individus est plus impor- valoriser le capital, de le faire croître, de
tante que l’effet objectif de leurs actes. l’accumuler. Dans une entreprise organi-
Aussi les méthodes de gestion qui mettent sée en fonction du « facteur C », le but est
l’accent sur les résultats obtenus plus que de le valoriser, en générant des revenus
sur la bonne volonté des intéressés, ou qui mais aussi en intensifiant les relations au
supposent une capacité à s’opposer ouver- sein du groupe. Il existe donc des organi-
tement sans rentrer pour autant dans des sations économiques caractérisées par une
rapports d’hostilité, échouent quasi systé- multiplicité d’objectifs d’ordre écono-
matiquement. mique, social ou culturel où « la non-
L’utilisation des travaux de G. Hofstede maximisation du profit est liée non pas à
(1994) et de F. Trompenaars (1994) sur la l’irrationalité mais à la volonté de consoli-
40 Revue française de gestion – N° 178-179/2007

Figure 1
MODÈLE DE MANAGEMENT POUR L’ENTREPRISE AFRICAINE

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der le groupe ». L’accumulation de bonne marche de l’organisation. Le mana-


« facteur C », l’amélioration de la cohé- gement métis doit prendre en compte ce
sion sociale ont une valeur en soi, indé- « facteur C » dont l’importance est indé-
pendamment du fait qu’elles facilitent la niable dans les sociétés africaines.

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