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CONSTRUIRE UNE CHAÎNE DE VALEUR « TOURISME DURABLE » SUR
UN TERRITOIRE : UNE APPROCHE PAR LA THÉORIE DE L’ACTEUR-
RÉSEAU
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Construire une chaîne de valeur « tourisme durable »
sur un territoire : une approche par la Théorie de
l’Acteur-Réseau1
Corinne VAN DER YEUGHT 2
Résumé
L’objet de cet article est de comprendre comment peuvent être créées
des chaînes de valeur « tourisme durable » sur les territoires. La Théorie
de l’Acteur-Réseau est mobilisée afin de saisir les différentes étapes
par lesquelles ont été établies les connexions entre participants de
plusieurs réseaux de tourisme responsable et solidaire en Provence
et en Méditerranée. À l’issue d’une analyse multi-sites, un modèle
de chaîne de valeur « tourisme durable » est proposé.
Abstract
The purpose of this paper is to clarify how “sustainable tourism”
value chains may be built on territories. The approach is based on
the Actor-Network Theory to identify the different stages whereby
connections have been established between the actors of several
networks of responsible and mutually beneficial tourism in Provence
and in Mediterranean territories. Following a multi-site analysis, the
model of a “sustainable tourism” value chain is proposed.
Introduction
1 Certains éléments de cet article ont fait l’objet d’une présentation au colloque de l’AFMAT
organisé les 12 et 13 mai 2015 à Strasbourg.
2 Corinne VAN DER Y EUGHT : Maître de conférences hors classe, IAE,
Université de Toulon, Groupe de Recherche en Management (GRM, EA 4711) -
corinne.van-der-yeught@univ-tln.fr
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définitions que l’Organisation Mondiale du Tourisme résume ainsi : « un tourisme qui
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tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux
actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’envi-
ronnement et des communautés d’accueil »3. Ce concept « valise » recouvre en réalité
différentes formes de tourisme telles que le tourisme responsable (qui implique une
démarche volontaire de responsabilité sociale et environnementale de la part des ac-
teurs économiques), l’écotourisme (qui valorise des activités fondées sur la nature),
le tourisme solidaire (qui associe la population locale au développement du projet
touristique), ou encore le tourisme équitable (qui met l’accent sur une répartition de
la rente touristique bénéficiant équitablement à la population). En France, le TD est
à présent reconnu comme une priorité stratégique (Conseil National du Tourisme,
2010) et il constitue un axe directeur parmi les cinq pôles d’excellence présentés par
le Ministre des Affaires étrangères lors des Assises Nationales du Tourisme en juin
2014. Dans les pays émergents, il est souvent considéré comme un levier économique
au service du développement local, mais ses impacts réels sont très variables selon les
pays, en particulier sur les populations les plus pauvres (Mitchell, 2012).
3 http ://sdt.unwto.org/fr/content/definition
4 Selon la classification retenue par la Commission européenne, les TPE (très petites entre-
prises) ont moins de 10 salariés et réalisent un CA annuel inférieur à 2 millions d’euros, les PE (petites
entreprises) ont entre 10 et 49 salariés et réalisent un CA annuel inférieur à 10 millions d’euros, les ME
(moyennes entreprises) ont entre 50 et 249 salariés et réalisent un CA annuel inférieur à 50 millions
d’euros.
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Construire une chaîne de valeur « tourisme durable » sur un territoire :
une approche par la Théorie de l’Acteur-Réseau
p. 8), puis de son image et de la perception qu’en ont les visiteurs (approche par la
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demande). L’article est structuré en trois parties. La première expose le cadre concep-
tuel et théorique retenu, fondé sur la chaîne de valeur et la Théorie de l’Acteur-Réseau
(TAR). La seconde est dédiée à l’étude empirique. La troisième présente et discute les
résultats, avant de conclure sur les limites et les perspectives de recherche futures.
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prestataires (Acquier et al., 2011), une chaîne de valeur en TD suppose des respon-
sabilités partagées entre les entreprises et le territoire ainsi que l’articulation des
différentes activités relevant des deux niveaux, micro et macro. À partir d’une étude
réalisée auprès de 25 tour-opérateurs, dont 4 ONG spécialisées dans le tourisme, Font
et al. (2008) expliquent ainsi comment les différents maillons de la chaîne de valeur
durable des tour-opérateurs sont étroitement reliés aux destinations. Les auteurs dis-
tinguent quatre grands groupes d’activités dans la chaîne de valeur TD : 1/ l’héber-
gement, 2/ les transports, 3/ les activités, excursions et visites, 4/ l’alimentation et
l’artisanat. Ils concluent sur l’imbrication des responsabilités entre les tour-opérateurs
et les destinations pour chacun des maillons. Dans les pays en développement, ce
sujet est particulièrement sensible en raison des nombreux enjeux du tourisme pour
les communautés et les individus qui participent (ou souhaiteraient participer) au
processus de création de valeur touristique. À l’issue d’une étude réalisée dans douze
pays en voie de développement, Mitchell (2012) montre, par exemple, que le tourisme
bénéficie de façon très variable aux populations les plus démunies, indépendamment
du type de tourisme pratiqué. Selon cette étude, aucun affichage « tourisme durable »
ne garantirait d’effets positifs sur le développement.
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Construire une chaîne de valeur « tourisme durable » sur un territoire :
une approche par la Théorie de l’Acteur-Réseau
servateur doit s’attacher à saisir les négociations et les ajustements qui interviennent
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entre les actants pendant le processus (Callon, 2006). Ce travail est facilité quand
existent des controverses car le chercheur peut alors saisir les argumentations et les
points de vue contradictoires exprimant des visions du monde différentes (Callon,
1986 ; Latour, 2006). Une traduction réussie permet d’aligner les positions (Walsh et
Renaud, 2010). Durant le processus, des intermédiaires interviennent qui véhiculent les
perspectives et les problématiques des actants. Les actants et les intermédiaires étant
trop nombreux pour être tous pris en compte individuellement dans le processus de
traduction, des porte-parole sont identifiés (Walsh et Renaud, 2010). Le succès de ces
derniers dépend de leur légitimité, car « traduire, […] c’est également exprimer dans
son propre langage ce que les autres disent et veulent, c’est s’ériger en porte-parole.
À la fin du programme, s’il a réussi, on n’entend plus que des voix parlant à l’unisson
et se comprenant mutuellement » (Callon, 1986, p. 204).
La TAR est avant tout une méthode « conçue pour suivre les collectifs en train de se
faire » (Callon, 2006, p. 275). Elle nécessite une approche diachronique, longitudinale,
dans laquelle les savoirs, leur construction, leur diffusion et leur appropriation jouent
un rôle central.
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Selon Walsh et Renaud (2010), l’enrôlement correspond à toutes les négociations mul-
tilatérales déployées pour faire aboutir l’intéressement. Pour Callon (1986, p. 189),
« l’enrôlement est un intéressement réussi ». Il conduit à la mobilisation des actants
qui deviennent des parties intégrantes du réseau en train de se constituer. Cette étape
suppose de nombreuses transactions, des négociations multilatérales, voire des combats
entre forces opposées avant de parvenir à un accord sur le changement désiré. Le tra-
ducteur doit persuader tous les actants que la solution apportée par la problématisation
est adaptée à leurs propres problématiques. L’enrôlement prend place au travers de
la participation active, souvent informelle, de certains destinataires du changement
qui vont ainsi co-construire le changement. Cela n’est possible que si des porte-pa-
role représentatifs sont identifiés. Progressivement, l’alignement des porte-parole par
l’échange et le dialogue se met en place (Walsh et Renaud, 2010).
4) La mobilisation des alliés : elle retrace les déplacements nécessaires pour parvenir
au soutien actif des actants enrôlés. Ces derniers s’expriment par le biais de porte-parole
représentatifs émergeant à différents niveaux selon une logique de cascade (Walsh et
Renaud, 2010). Si les porte-parole sont représentatifs, un vrai dialogue conduisant à
un alignement peut s’instaurer entre porte-parole par le biais du traducteur et de sa
problématisation. Quand les trois alignements (actants, intermédiaires, porte-parole)
ont atteint un niveau jugé suffisant par le traducteur, le changement peut être considéré
comme institutionnalisé. La chaîne d’intermédiaires aboutissant à un seul porte-parole,
par un jeu de traductions successives, constitue le réseau qui donne lieu à un nouvel
état du monde. Des controverses et des actions de dissidence sont encore possibles.
Elles peuvent remettre en cause la représentativité des porte-parole et contester le
changement généré. Il faut alors revoir le dispositif d’intéressement qui se révèle inef-
ficace à l’arrivée (Callon, 1986).
Nous proposons de mobiliser cette théorie afin de saisir les différentes étapes suscep-
tibles de donner lieu à une chaîne de valeur TD sur un territoire, et de comprendre
comment se font (ou ne se font pas) les associations requises pour y parvenir.
2. L’étude empirique
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Construire une chaîne de valeur « tourisme durable » sur un territoire :
une approche par la Théorie de l’Acteur-Réseau
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vers un tourisme durable. Cette méthode a été élaborée entre 2004 et 2006 par CT
avec l’aide d’un petit groupe de professionnels impliqués dans l’éducation à l’environ-
nement et au DD5. Entre 2007 et 2014, Éveil a fait l’objet d’une expérimentation sur le
Pays d’Aubagne et de l’Étoile (PAE). Il constitue le cas pilote dans l’analyse multi-sites.
Nous avons étudié l’évolution de ce réseau de façon longitudinale de 2009 à 2014, par
le biais de différentes méthodes : étude documentaire des différents supports produits
par l’association depuis 2007 ; observation simple et participante ; entretiens semi-di-
rectifs auprès des responsables de l’association CT (30 entretiens effectués) et auprès
des membres du réseau Éveil (enquêtes réalisées en 2012 et 2013). En 2012, le réseau
comptait 17 participants qui ont été interrogés à partir d’un guide d’entretien compor-
tant huit thèmes6. En 2013, nous avons complété les résultats de la vague précédente
en interrogeant 11 participants (3 avaient quitté le réseau entre-temps et 3 n’ont
pas répondu à nos sollicitations). Le guide d’entretien comportait exclusivement des
questions relatives à l’innovation7. La masse des données collectées autorise à présent
une analyse à deux niveaux : celui des petites organisations composant le réseau et le
niveau collectif intégrant différentes parties prenantes telles que l’association coor-
donnatrice, les autres fondateurs et les institutions locales.
5 Pour une présentation plus détaillée du cas Éveil, voir par exemple Van der Yeught (2014,
2015).
6 Les thèmes abordés étaient : les motivations pour entrer dans la démarche ; l’évolution perçue
par chaque participant depuis son entrée dans la démarche ; les éléments jugés les plus pertinents pour
l’évolution de l’organisation participante ; les éléments de la démarche à améliorer et à renforcer ; les
freins pour progresser dans la démarche ; la communication des participants vis-à-vis de leurs parties
prenantes ; les perspectives envisagées pour la démarche ; une conclusion sous forme d’évaluation glo-
bale et de suggestions à ajouter.
7 Les thèmes abordés étaient : les innovations réalisées, les difficultés rencontrées, les solu-
tions mises en œuvre, les projets innovants envisagés.
8 Le nom est aussi un clin d’œil au village d’Aremd, situé dans le Haut Atlas marocain, dans
lequel a été créé le réseau AREMDT en mai 2007. Le « T » final rappelle que le tourisme responsable et
solidaire en est le pivot. La Charte du réseau a été élaborée et rédigée sur place par les membres fonda-
teurs.
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puis nous avons effectué des entretiens via skype afin de préciser certains éléments.
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Nous avons ensuite procédé à l’analyse de ces données en les confrontant aux résultats
obtenus dans le cas pilote. L’analyse a été réalisée de façon manuelle pour les don-
nées concernant Éveil, puis le logiciel Nvivo a été utilisé pour l’analyse des données
d’AREMDT. La condensation a fait l’objet de plusieurs modèles de tableaux visant à
ne pas perdre toute la richesse du matériau collecté (Miles et Huberman, 2003). Une
synthèse est présentée en Tableau 1. Chaque entité étudiée fait l’objet d’un code qui
est précisé dans le tableau et rappelé dans les extraits de verbatim.
La particularité des réseaux étudiés réside dans la multiplicité et la variété des acteurs/
actants pris en compte. Quatre grandes catégories peuvent être distinguées :
(1) Les organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS, par la suite) : elles jouent
une fonction centrale dans le dispositif de création et de déploiement des chaînes de
valeur comme le montre l’analyse effectuée à l’étape 2.
(2) Les pouvoirs publics : ils peuvent jouer un rôle de facilitateurs (Fr-Éveil ; AJZ-Tu),
être quasiment absents des projets (Li-33N), ou encore représenter des obstacles plus
ou moins sérieux en raison des tracasseries administratives imposées aux microstruc-
tures touristiques (Ma-AZ ; Ma-Mi), voire des difficultés à reconnaître les droits des
communautés locales (Jo-Da). Dans certains cas, les conflits politiques d’un passé récent
constituent des éléments de contexte douloureux qui impactent encore les perceptions
des communautés et des porteurs de projets (Al-RA ; Bo-Al ; Li-33N). Même lorsqu’ils
apportent leur soutien, comme en France ou en Tunisie, l’immixtion de la dimension
politique est un réel facteur de risque, susceptible de compromettre le déploiement
des chaînes de valeur en TD comme en témoigne le gel du projet Éveil à la suite du
changement de majorité politique intervenu à Aubagne en 2014.
(3) Les communautés locales : elles constituent des ensembles hétérogènes. Seul le cas
Fr-Éveil s’appuie dès l’origine sur des professionnels du tourisme. Dans tous les autres
cas, il s’agit de populations vulnérables, souvent sans formation, parfois déstabilisées
par des conflits militaires ou politiques, qui souhaitent reprendre leur destinée en
main, assurer leur survie et contribuer au développement économique et social de
leur territoire. La notion d’empowerment est ainsi évoquée à six reprises par le cor-
respondant jordanien. L’éducation et l’émancipation économique des femmes sont au
centre des projets Marocains (Ma-Mi), Jordanien, Libanais et Algérien. L’autonomie
alimentaire et économique est recherchée en Bosnie. Dans tous les cas, le tourisme
est considéré comme un levier du développement local, créateur de richesses écono-
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Construire une chaîne de valeur « tourisme durable » sur un territoire :
une approche par la Théorie de l’Acteur-Réseau
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et éthiques en mesure de rallier les parties prenantes.
(4) Les actants non humains : ils sont illustrés dans tous les cas par les infrastructures
de base (routes, transports locaux, accès à l’eau, capacités d’accueil, traitement des
déchets…) et par la richesse du patrimoine naturel et/ou culturel. On trouve ensuite
les règlementations nationales jugées souvent trop tatillonnes et inappropriées aux
microstructures touristiques (Fr-Éveil ; Ma-AZ ; Bo-Al ; Tu-AJZ), voire injustes (Jo-Da).
En ce qui concerne les infrastructures, deux situations peuvent être distinguées en
fonction du développement du pays : tandis qu’en France, les membres du réseau Éveil
déplorent l’absence ou le coût des solutions assurant la durabilité de leurs activités
(pistes cyclables, technologies susceptibles de réduire les impacts environnementaux,
gestion des déchets), dans les autres pays, ce sont les infrastructures de base qui sont
déficientes et doivent préalablement être construites pour permettre la création d’une
chaîne de valeur TD.
Face aux enjeux des différents actants dans le contexte où ils se trouvent, le TD (et ses
déclinaisons) se présente comme le point focal de problématisations assurant la conver-
gence requise entre les actants. Dans tous les cas étudiés, le TD est considéré comme un
levier de développement économique et social, en tant qu’activité économique à part
entière (Fr-Éveil) ou comme source de revenus complémentaires (tous les autres cas).
Il est également porteur de valeurs assurant un large ralliement de parties prenantes.
Ces valeurs répondent aux aspirations des dirigeants des organisations touristiques
(Fr-Éveil), elles rassurent les résidents qui redoutent les effets pervers du tourisme de
masse (Ma-AZ), et plus largement, elles concilient des intérêts divergents (Fr-Éveil ;
Ma-Mi ; Jo-Da ; Bo-Al ; Tu-AJZ).
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ment clairement des besoins en commercialisation (Jo-Da ; Li-33N ; Tu-AJZ), voire la
nécessité de constituer une destination cohérente lorsque les délimitations adminis-
tratives posent problème au plan touristique (Ma-AZ ; Bo-Al). Les alliances constituées
visent alors à atteindre ces objectifs d’ordre économique.
2) Pour réaliser leurs objectifs, les communautés ont besoin de ressources financières
et de nouvelles compétences et capacités. C’est là qu’interviennent les coordonnateurs,
tous issus de l’économie sociale et solidaire (ESS) : ils obtiennent des financements
pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros, ils créent des centres de
formation (Ma-Mi ; Jo-Da ; Bo-Al ; Li-33N ; Al-RA ; Tu-AJZ) et ils aident les acteurs éco-
nomiques à améliorer leurs répertoires de compétences et de capacités. Ces résultats
s’expliquent par : (1) la force des réseaux de l’ESS qui confortent la légitimité de leurs
membres et favorisent ainsi les octrois de fonds, et (2) leurs capacités à mutualiser
des ressources, mobiliser des compétences individuelles et générer des compétences
collectives grâce aux nombreuses expérimentations mutualisées au sein des réseaux.
Dans tous les cas étudiés, des porte-parole représentatifs sont identifiés à différents
niveaux (communautaire, territorial, national et international). Plusieurs répondants
citent des noms de personnalités locales particulièrement actives qui n’hésitent pas
à investir leur temps et leur argent dans les projets collectifs, voire à s’opposer aux
autorités locales afin de défendre des intérêts collectifs qu’elles jugent légitimes. La
9 Pour une présentation détaillée de chaque charte, consulter les sites : http ://www.aremdt.
org/content/charte et http ://www.eveil-tourisme-responsable.org/content/charte-et-principe
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Construire une chaîne de valeur « tourisme durable » sur un territoire :
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nous déduisons que les connexions ont déjà été établies aux échelons inférieurs quand
l’adhésion à AREMDT est actée. Toutefois, les situations ne sont pas figées. Des jeux
de pouvoir et des controverses agitent certaines communautés et peuvent encore
compromettre les processus de traduction en cours.
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Réseau AREMDT France Maroc Jordanie Bosnie Liban Algérie Tunisie
Interlocuteurs Citoyens de SODEV : association Dana : coopéra- Alterural : 33 North : entre- Res’Art : réseau AJZ : Association
AREMDT la Terre : Membre du réseau marocain de l’ESS tive communau- Association de prise de tourisme de femmes des Jeunes de
Association (REMESS) taire locale de promotion du alternatif (créée artisanes, asso. Zammour
(créée en 2001) Dana et Qadisiyah tourisme rural en 1996) « Femmes en (créée en 1991)
(créée en 1994) (créée en 2009) communication »
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Réseaux et com- Réseau Éveil AZMOTER Melouia Dana and Territoire de Al kwakh eco- Res’Art Alger AJZ Région de
munautés étudiés Pays d’Aubagne Commune rurale Douar de Qadisiyah Local Crepolsko lodge (Hermel) (2003) Zammour – Béni
(périodes de et de l’Étoile de Aoufous Boukhalfa Community Bukovik et Deir el Ahmar Khédache (début
lancement) (PAE) (Années 2000) (Missour) (1999) Cooperative Nahorevo (2009) (plaine de Bekaa) des années 1990)
(2007-2014) (1994) (1990), entrée
dans le réseau
plus récente
Codes utilisés Fr-Éveil Ma-AZ Ma-Mi Jo-Da Bo-Al Li-33N Al-RA Tu-AJZ
Contexte initial Sensibilisation Recherche Communauté Création réserve Territoire monta- Forte instabilité Pays très marqué Instabilité poli-
accrue du public de revenus rurale souhai- naturelle de Dana gneux à fort po- politique depuis par la guerre tique depuis 2011
au DD complémentaires tant assurer son (1993) => évic- tentiel touristique la guerre civile civile et le ter-
Contexte poli- développement tion des commu- sans cohérence Toutes les activi- rorisme. Grande
tique favorable Besoin de se fédé- en particulier, nautés locales administrative tés économiques méfiance chez
(Agenda 21 local) rer pour obtenir grâce à l’accueil et des activités Importants dépendent du les porteurs de
les autorisations touristique traditionnelles dommages liés à secteur privé projets privés.
nécessaires la guerre Forte inertie de
l’administration
PPO Tourisme respon- Tourisme Tourisme Tourisme soli- Tourisme Tourisme respon- Tourisme Tourisme respon-
sable et solidaire : solidaire : solidaire et daire, équitable et solidaire et sable et solidaire : solidaire : sable, solidaire et
les actions volon- force : « on résout Il faut assurer le Il faut défendre Il faut exploiter la initiatives locales moderniser et Il faut satisfaire
taires et concrètes les obstacles en- développement et maintenir richesse du pa- afin d’améliorer commercialiser les membres de la
de développement semble, on simpli- économique et les droits de la trimoine naturel les conditions de l’artisanat fé- communauté et
touristique du- fie les procédures social grâce à communauté et culturel local vie des commu- minin algérien plus largement le
rable en tenant pour chacun » l’éducation des locale en l’aidant afin de créer une nautés concernées afin d’améliorer territoire
compte des jeunes, la forma- et en la formant. micro-destination la participation
motivations et tion des femmes, L’écotourisme doit de tourisme rural des femmes à
Tableau 1 - Synthèse de la condensation des données
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Dispositif Apports en compé- Accompagnement Obtention de Obtention de Allocation de mi- Obtention de Formation, ac- Apports en
d’intéressement tences par AREMDT financements financements. cro-subventions financements compagnement, compétences
Mise en réseau Capacité collective Création d’activi- Apports en compé- Aide à la com- Formation commercialisation Amélioration des
Valeurs (Charte pour obtenir des tés économiques tences et capacités mercialisation Aide à la création Mise en réseau conditions de
Éveil) autorisations Développement Commercialisation Création de lien de produits tou- travail
administratives. de compétences et Réseautage entre des acteurs ristiques et à la Création d’évè-
Sensibilisation aux capacités souvent isolés commercialisation nements et
valeurs du TD Soutien individuel d’expositions
Porte-parole Oui, actifs à plu- Oui, actifs mais Oui aux niveaux Oui, la coopé- Oui, aux niveaux 33 North aux Oui, quelques Oui, niveaux
représentatifs sieurs niveaux : non officiels communautaire, rative assure réseau, territoire, niveaux national et membres actives + local, national et
réseau, terri- local, national, cette fonction à et international international chef de projet qui international
toire, national et international différents niveaux Localement, anime le réseau et
international local, national, coopératives de assure l’interface
international femmes internationale
Mobilisation Oui, participa- Le réseau manque Oui, participation Oui, la communau- Réseau très jeune Les coopératives Le réseau n’a pas Mobilisation de
tion active des d’objectifs depuis importante de té parvient à réali- en phase de fonctionnent bien cessé de croître compétences pour
membres du que les autori- la population ser ses objectifs et construction Absence de réseau depuis sa création surmonter les dif-
réseau sations ont été aux activités de à prospérer formel Mobilisation régu- ficultés, création
délivrées l’association De nouveaux lière de quelques d’une charte pour
villages intéressés membres harmoniser les
par le tourisme comportements
solidaire
une approche par la Théorie de l’Acteur-Réseau
Controverses Gestion des Individualisme et L’État veut contrô- Défendre les droits Tensions commu- Forte instabilité Opportunisme et Tensions interper-
déchets, opportunisme de ler les activités de la communauté nautaires politique manque de profes- sonnelles
Commercialisation certains acteurs associatives locale Réglementation Utilisation des ré- sionnalisme des Réglementation
Technologies inadaptée seaux sociaux très femmes artisanes inadaptée
durables Division adminis- peu d’Internet
trative pénalisante
Institution- Forte dépendance Absence de projet Oui : création Oui : la coopéra- Création d’une as- Des coopératives Oui, le réseau Oui, l’expérience
nalisation à la politique du collectif de nombreuses tive a atteint ses sociation et d’une actives, pas de perdure et il béné- réussie de
territoire : gel du La pérennité coopératives et objectifs et elle fait charte envisagées réseau formel ficie d’une bonne Zammour fait
projet en 2014 du réseau est activités viables des émules reconnaissance actuellement des
compromise nationale émules dans la
région de Chenini
Construire une chaîne de valeur « tourisme durable » sur un territoire :
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3. Résultats et discussion
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3.1. Modélisation d’une chaîne de valeur tourisme durable
L’accent mis par la TAR sur le dispositif d’intéressement et sur les controverses per-
met d’identifier certaines fonctions essentielles d’une chaîne de valeur TD à l’échelle
d’un territoire et de comprendre comment les connexions requises sont (ou devraient
être) réalisées. Dans les cas étudiés, ces fonctions sont, en grande partie, assumées
par des organisations de l’ESS qui ne se limitent pas au rôle de porte-parole. Quatre
grandes fonctions interdépendantes se révèlent déterminantes dans les processus de
traduction observés :
10 Les capabilities « expriment la liberté réelle qu’a une personne de choisir sa vie parmi les
différentes vies qu’elle peut mener » (Sen, 1993, p. 218).
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Construire une chaîne de valeur « tourisme durable » sur un territoire :
une approche par la Théorie de l’Acteur-Réseau
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à des compromis. Dans plusieurs cas étudiés, les délimitations administratives ne sont
pas cohérentes au plan touristique et, sans management centralisé, la commercialisation
de l’offre touristique est problématique.
H
E
Apports en compétences, capacités, valeurs éthiques
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communautés locales et territoires (Flagestad et Hope, 2001 ; Porter et Kramer, 2006,
2011 ; Font et al., 2008 ; Mitchell, 2012). Quoique importants, ces éléments paraissent
toutefois insuffisants pour expliquer les processus de construction d’une chaîne de
valeur TD complexifiée par l’implication de nombreux acteurs/actants aux objectifs
potentiellement divergents, ce qui justifie le recours à la TAR. Deuxièmement, en mobi-
lisant la TAR, cette recherche permet de compléter et de clarifier certains aspects de la
littérature. La méthode suivie fait ainsi apparaître des fonctions essentielles, rarement
envisagées dans la littérature (transferts de compétences et de capacités, constitution
de réseaux, convergence par les valeurs) ou considérées comme acquises (contexte
favorable, préexistence du tissu économique, des infrastructures et des technologies
durables, management centralisé et commercialisation de l’offre touristique). Cinq ca-
tégories d’activités secondaires relevant de l’organisation territoriale sont identifiées,
elles complètent et précisent la littérature existante (Flagestad et Hope, 2001). En outre,
le distinguo établi entre activités primaires et secondaires est ici très net. Les activités
primaires sont classées en cinq catégories bien distinctes quand la littérature a tendance
à effectuer des regroupements induisant de la confusion (Flagestad et Hope, 2001 ;
Font et al., 2008). Par exemple, le modèle de l’éventail de valeur de Flagestad et Hope
(2001) intègre parmi les activités primaires des prestations très diverses telles que
les services médicaux et bancaires ou encore la police qui, selon nous, constituent des
activités de soutien au sens de Porter (1986) car elles ne participent qu’indirectement à
l’attractivité touristique et ne créent de valeur qu’en liaison avec les activités primaires.
En conclusion, la TAR mobilisée dans cet article permet de révéler des aspects de la
chaîne de valeur TD généralement passés sous silence dans la littérature et pourtant
indispensables à sa réalisation. Les fonctions identifiées sont particulièrement per-
tinentes dans les territoires offrant un riche patrimoine naturel et culturel, mais ne
disposant pas d’un système de management centralisé susceptible d’assurer un dé-
veloppement touristique durable dont bénéficierait l’ensemble des parties prenantes
(Flagestad et Hope, 2001 ; Mitchell, 2012). L’étude présente toutefois deux principales
limites d’ordre méthodologique. D’une part, la collecte des données n’a pas encore pu
être réalisée aux deux niveaux (organisationnel et réticulaire) dans tous les cas et seul
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le cas pilote fait, à ce jour, l’objet d’une étude longitudinale approfondie. D’autre part,
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nous ne disposons pas de données portant sur les visiteurs qui permettraient d’évaluer
leur ressenti face aux efforts déployés dans les différents sites. De ce fait, l’étude s’est
concentrée sur l’offre et elle ne prend pas en compte les effets des actions engagées
sur les visiteurs (participation active ou pas, degré de satisfaction). Cette recherche
pourra donc être poursuivie par des enquêtes menées au plus près des communautés
concernées et de leurs clients, ce qui nécessite des ressources humaines et financières
supplémentaires. Par ailleurs, les résultats obtenus suscitent de nouveaux questionne-
ments. En particulier, la plupart des projets étudiés ne sont pas parvenus à un niveau
d’institutionnalisation garantissant leur pérennisation. L’instabilité politique dans les
pays arabes, la difficulté croissante à obtenir des financements, les opportunismes
individuels, peuvent remettre en cause ces programmes. L’innovation sociale étant
un marqueur génétique des organisations de l’ESS, il y a fort à parier que de nouvelles
réponses seront apportées et partagées au sein de ces réseaux, ouvrant ainsi sur des
perspectives de recherches futures.
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