Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
2018/2 n° 98 | pages 7 à 23
ISSN 0762-7491
ISBN 9782749261799
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2018-2-page-7.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
L’avènement de l’individu hypermoderne
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
Gilles Lipovetsky : Au début des années 1980, j’ai avancé l’idée que
nous assistions à l’émergence d’un nouvel individualisme de type « narcis-
sique » et « postmoderne ». Si aujourd’hui le premier qualificatif me semble
toujours juste, il n’en va pas de même du second – celui de « postmoderne » –
auquel il faut renoncer : c’est pourquoi je lui substitue celui d’« hyper-
moderne ». Qu’est-ce qui justifie pareil changement de conceptualisation ?
Pour comprendre la métamorphose contemporaine de l’individu, il faut la
replacer dans le temps long de l’histoire de la modernité. L’individualisme
n’est pas un phénomène social-culturel absolument nouveau : on en trouve
des figures dans l’Antiquité grecque et l’une de ses premières manifesta-
tions modernes apparaît au XVIe siècle avec le protestantisme. Mais c’est
surtout au XVIIIe siècle que se constitue pleinement « l’idéologie indivi-
dualiste » pour reprendre la formulation de Louis Dumont, autrement dit
un système d’idée-valeur qui, pour la première fois, pose l’individu libre,
autosuffisant et égal aux autres, comme la valeur suprême de la société.
C’est dire que d’emblée, l’individualisme moderne est un individualisme
de type démocratique. Dans ce contexte, l’atome individuel est affirmé
comme autonome, indépendant, égal, et comme le fondement absolu de
l’ordre collectif. Les droits de l’homme et l’organisation démocratique de la
société en sont les concrétisations institutionnelles directes. Dès lors, les lois
qui régissent le monde social ne sont plus reçues de plus haut que soi ou
d’un principe « extérieur » (Dieu, ancêtres mythiques) mais voulues, déci-
dées, élaborées de bout en bout par les individus reconnus législateurs de
leur univers. C’est d’abord cela la culture de l’individu : chacun, reconnu
libre, détaché, a le droit d’ignorer les autres, d’exercer son libre examen,
de choisir sa vie, et les lois légitimes doivent être l’œuvre des individus
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
semblables en droit. À cet égard, l’idéologie individualiste constitue bien
« le code génétique » de la modernité démocratique. Le monde moderne,
c’est le monde de l’individu érigé en valeur prééminente et fondateur d’un
nouveau régime du rapport à soi, du rapport aux autres, du rapport social
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
et politique.
Cela étant, pendant plus de deux siècles, la dynamique de l’individu a été
freinée, contrecarrée par divers phénomènes sociaux et idéologiques, empê-
chant les principes d’autonomie individuelle et d’égalité d’aller jusqu’au
bout d’eux-mêmes. Quatre ordres de phénomènes ont été, sur ce plan, parti-
culièrement prégnants.
En premier lieu la persistance de différentes traditions locales et religieuses
dans des pans entiers de la société. Les mariages arrangés sont encore large-
ment pratiqués. L’emprise de l’Église sur les consciences et la morale reste
très forte en particulier dans le monde rural. Dans les campagnes les gens
d’Église sont toujours des directeurs de conscience, des femmes en parti-
culier. La morale religieuse domine même si en même temps s’affirme une
morale à fondement laïc.
En deuxième lieu, bien que la modernité repose sur les principes de
liberté et d’égalité, force est de constater qu’ils concernent les hommes et
fort peu les femmes. L’égalité citoyenne homme/femme est introuvable :
en France les femmes ne voteront qu’après la Seconde Guerre mondiale.
Les modes de socialisation des genres sont profondément inégalitaires en
matière de morale sexuelle (la virginité féminine avant le mariage est un
impératif moral), mais aussi d’éducation, de scolarisation, de travail : les
femmes ne doivent pas faire carrière, leur identité se construit au travers de
leur rôle de mère et d’épouse. Dans tous les milieux sociaux domine l’idéal
de la femme au foyer : même diplômées, les femmes cessent leur activité
professionnelle lorsqu’elles se marient.
L’éducation constitue un troisième frein. Tout au long de la moder-
nité, domine une éducation de type autoritaire : il faut élever les enfants,
comme on le dit alors, « à la dure », afin de les préparer à une vie difficile.
Une éducation autoritaire qui crée des personnalités bien caractéristiques,
celles-là même que va étudier la psychanalyse, et qui sont marquées par
le refoulement, la culpabilité, le surmoi. Ce qui est premier, c’est l’exigence
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
qu’eux-mêmes, à renoncer à leur libre arbitre, à se sacrifier pour la Nation,
la Révolution, le Communisme. On inculque aux enfants l’amour de la patrie
et « pour elle un Français doit mourir ». Le militantisme fonctionne sur un
mode radicalement anti-individualiste : dans les partis d’extrême droite ou
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
et hypertrophique : ou encore « narcissique ». Voilà pourquoi il faut parler
d’un individualisme hypermoderne et non postmoderne. Hyper parce que ce
qui se déploie n’est autre que l’exacerbation de la dynamique d’individuali-
sation délivrée des dispositifs holistes persistants.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
institutions régulaient et commandaient les comportements individuels :
aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse : ce qui domine c’est la famille, la religion,
la citoyenneté « comme je veux », « quand je veux ». Voici venu le temps de
l’individualisme désinstitutionnalisé ou « à la carte » : un individualisme
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
extrême, un hyperindividualisme.
de satisfactions privées. Nous voulons des objets à vivre beaucoup plus que
des objets-vitrines. La consommation pour soi l’emporte sur la consomma-
tion commandée par le souci de l’autre. L’hyperindividualisme coïncide dès
lors avec l’essor d’une consommation plus émotionnelle que statutaire, plus
hédoniste-ludique que prestigieuse.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
l’individualisation, mais n’y a-t-il pas d’autres causes ?
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
anti-communiste. » C’est le changement des modes de vie opéré par le
capitalisme consumériste qui nous a détachés de ces idéologies. Celui-ci
a substitué la visée du bonheur privé aux engagements militants et à la foi
dans les mégasystèmes idéologiques : chacun se centre sur lui-même, ses
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
intérêts, ses plaisirs, son bien-être ; le sens de la vie ne se trouve plus dans
les grandes visions idéologiques du monde mais dans l’épanouissement de
soi. Le culte des jouissances privées et présentes, largement stimulé par le
marché, a fait péricliter la foi dans les idéologies herculéennes et sacrificielles
de la première modernité.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
de groupe. Sous les « nous » communautaires c’est encore homo individualis
désenclavé, délié, législateur de sa propre vie qui est à l’œuvre. Le néo
tribalisme constitue une figure particulière du processus d’individualisation
hypermoderne.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
n’a pas été d’emblée jusqu’au bout d’elle-même. Ce à quoi nous assistons
aujourd’hui, précisément, c’est à la levée de ces freins, avec pour effet une
modernisation hypertrophique, exponentielle.
Cela est vrai pour la technoscience où peu à peu disparaissent toutes les
anciennes limites : l’époque est à la conquête de l’espace aussi bien qu’à la
conquête du nanomonde et de la vie elle-même. On voit bien que la dyna-
mique de la modernité technoscientifique ne semble pas avoir de limite.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
C’est d’ailleurs tout le problème lié au « transhumanisme » : les technologies
seront peut-être capables de changer l’homme. « L’homme est un pont »
disait Nietzsche et peut-être allons-nous connaître des formes d’hybridation
de la technique, de l’intelligence artificielle, de la génétique et de l’homme.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
Rien ne dit que les choses n’iront pas dans ce sens-là. Quoi qu’il en soit,
l’insuffisance du concept de postmodernité saute aux yeux, incapable qu’il
est de rendre compte de la logique hypertrophique de l’arraisonnement tech-
noscientifique. Il en va de même du marché. Il y a peu encore, de nombreux
domaines de la société restaient en dehors du marché, tels que le sport, les
rencontres amoureuses, l’art, les musées, les établissements éducatifs, l’équi-
libre individuel. Or, peu à peu, tout ce qui était hors du marché tend à entrer
dans la logique marchande. Le marché phagocyte toute chose : les musées,
au même titre que le sport, doivent être « rentables ». La marchandisation
ne cesse d’annexer de nouveaux territoires, y compris les fêtes religieuses, la
communication, le développement et l’épanouissement personnels. Parler,
être écouté, se relaxer, méditer, s’exprimer, sont devenus des secteurs
marchands. Non pas donc sortie de la modernité mais expansion de l’une
de ses grandes logiques constitutives.
G. L. : S’il faut parler d’hypermodernité, c’est aussi parce que les rejets
et affrontements radicaux relatifs à la démocratie moderne se sont effacés.
Il n’y a plus de refus rédhibitoire de la démocratie libérale. À part les
terroristes, plus aucun parti politique n’a à son programme la destruction
de la démocratie et des droits de l’homme. Les élites politiques suscitent
massivement la défiance des citoyens et l’on observe peu d’amour ardent
pour les institutions démocratiques. Reste qu’à peu près personne ne rêve
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
d’en sortir.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
à celles-ci a changé : nous assistons à l’individualisation ou à la subjectivisa-
tion du rapport à l’englobant social. Chacun se pose comme le législateur de
sa vie rapportant tout à lui seul, comme un individu focalisé sur lui-même.
Encore une fois, les pôles de référence sociale existent toujours, mais ils sont
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
vus à travers le prisme du moi érigé en pôle de référence ultime. C’est dans
ce contexte que la notion de narcissisme s’impose, même si ce n’est pas tout
à fait dans le sens où l’entendait Freud.
Tout indique ainsi qu’un nouveau mode de fonctionnement psychique
s’impose. Cela fait à écho à ce que Melman appelle la « nouvelle économie
psychique ». Le néo-narcissisme est le système psychique dans lequel le moi
est devenu centre de gravité de l’existence, « mesure de toutes choses » : rien
n’est plus important que ce qui bonifie les expériences du moi, permet la
réalisation de soi, donne des satisfactions subjectives. Priorité est donnée à
l’accomplissement de nos désirs, à ce qui nous touche et nous séduit indivi-
duellement. C’est ainsi que la séduction apparaît comme la règle de conduite
prédominante des individus autocentrés. Dans le mythe grec, Narcisse est
tellement séduit par lui-même qu’il rejoint son image et c’est ce qui l’en-
gloutit. Mais aujourd’hui, le principe séduction va bien au-delà de l’image
de soi. Narcisse hypermoderne se détermine en fonction de ce qui l’attire,
ce qui le séduit et indépendamment de tout sentiment d’obligation envers
le dehors. Le néo-narcissisme c’est le régime de soi dans lequel la séduction
s’impose comme le principe directeur de l’existence.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
corporelles que procurent par exemple les spas, les massages, les activités de
forme, le fitness. Les nouveaux sports, telles les pratiques de glisse, illustrent
également cette poussée narcissique. Dans ce cas il n’y a pas d’adversaire, il
n’y a pas non plus de compétition avec l’autre. Ce sont des « sports icariens »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
l’hygiène, de la santé, de la beauté, de la consommation en général.
C’est dans ces conditions que la culture de l’individu autocentré
se déploie selon un mode activiste croissant. Partout il s’agit d’optimiser
son potentiel, de faire reculer les dégâts de l’âge, de conserver la jeunesse du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
corps, de changer son mode de vie afin d’éviter ou de limiter les risques liés
à la santé. L’heure est au travail performatif de soi sur soi par des activités
de protection, de prévention, d’entretien, de valorisation du capital-corps.
D’un côté, l’époque nous délivre de la culture autoritaire, des impositions
collectives et des morales sacrificielles ; de l’autre, elle engendre de nouveaux
impératifs de prévention et d’autoconstruction de soi-même (jeunesse,
beauté, sveltesse, forme, sport, sexe) qui créent un état d’inquiétude et de
mobilisation permanente de soi. En apparence cool, Narcisse hypermoderne
est en réalité, un activiste performatif, anxieux et fragile.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
E. G. : Ce que vous évoquez me fait penser à un autre « revers » de
l’hypermodernité, qu’est le sentiment de solitude. Qu’en pensez-vous ?
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
avec le pouvoir qu’avec l’impouvoir sur soi.
Ne perdons pas de vue toutefois, l’autre face du monde individualiste
hypermoderne : celui-ci a fait reculer de manière considérable le niveau
de violence physique dans les relations sociales. Aujourd’hui, les conflits
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
et par là, le souci de l’autre, la participation émotionnelle aux malheurs
de ceux qui ne nous sont rien et que nous ne connaissons pas. L’individu
hypermoderne n’est pas plus égoïste, plus « inhumain » qu’autrefois : dans
le monde rural des sociétés traditionnelles l’envie rongeait les êtres ; quant au
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
sacre du devoir, il n’a réussi à empêcher ni les guerres mondiales ni les camps
d’extermination. Gardons-nous d’idéaliser les temps pré-individualistes et
ceux qui exaltaient les idéaux sacrificiels et les morales péremptoires.
À la vérité, la sensibilité altruiste n’est pas morte. Mais, en même temps,
la culture du devoir absolu et sacrificiel n’a plus aucun écho, à la seule excep-
tion, notable il est vrai, des adeptes de Daech. C’est dans ce contexte que se
développe une éthique du « troisième type » ou « indolore », comme on le
voit par exemple lors du Téléthon, où les gens se montrent généreux mais
ponctuellement, circonstanciellement, comme ils veulent, un peu pour se
donner bonne conscience, un peu pour se sentir utiles. Reste que près d’un
Français sur deux se montre solidaire en donnant de l’argent à une asso-
ciation. Nous voulons une société éthique, juste, mais la religion du devoir
inflexible en moins.
De fait, nous assistons à deux mouvements contraires : d’un côté, l’essor
d’un individualisme irresponsable, désorganisateur et sans règle, ignorant et
niant le droit des autres (fraude et évasion fiscale, délinquance, corruption,
criminalité, absence de conscience professionnelle, dégradation de l’éco
sphère, etc.). Mais nous voyons aussi bien s’affirmer des figures d’un indivi
dualisme responsable soucieux des valeurs morales et prenant en compte le
droit des autres (solidarité envers les plus démunis, engagement caritatif,
bénévolat, responsabilité envers les générations futures, respect des enfants,
lutte contre la corruption, contre les violences faites aux personnes, etc.).
Et partout se développent les comités d’éthique et les réflexions éthiques et
déontologiques. Force est de constater que le néo-narcissisme n’a pas conduit
à l’éradication du principe de la responsabilité et des valeurs morales. Loin
de provoquer une anarchie morale complète, il conduit à une démultiplica-
tion des éthiques, ainsi qu’à une large réflexivité éthique. Voyez les débats
très vifs autour de la peine de mort, le mariage gay, les naissances in vitro, la
pédophilie ou encore l’adoption d’enfants par les homosexuels. Cela exprime
la persistance de l’exigence éthique, fût-ce sous un régime d’un nouveau
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
ment leur traduction sociale se fait dans le dissensus. Cela n’équivaut pas à
un naufrage moral. Les critères du bien et du mal n’ont pas été éradiqués :
les crimes, les tueries de masse, la cruauté, les attentats, l’excision, le viol,
les sévices psychologiques, les enfants battus, autant de phénomènes qui
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Sud 11 - - 129.175.97.14 - 10/11/2018 10h46. © ERES
Résumé
Gilles Lipovetsky explique comment nous sommes passés de la postmodernité
à l’hypermodernité. Il définit les spécificités de l’hypermodernité et expose son
fonctionnement. Il s’intéresse notamment au « néo-narcissime » et à l’éthique de la
responsabilité.
Mots-clés
Hypermodernité, individualisme, responsabilité, narcissisme, marchandisation.
Abstract
Gilles Lipovetsky explains how we have moved from postmodernity to hyper
modernity. He identifies the specificities of hypermodernity and how it functions,
focusing in particular on neo-narcissism and the ethics of responsibility.
Keywords
Hypermodernity, individualism, responsibility, narcissism, commodification.