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LA CRISE DE LA RÉGULATION PAR LA SANCTION EX POST : LES

NOUVELLES VOIES DE LA RÉGULATION FINANCIÈRE, DE LA CRISE DES


SUBPRIMES AU TRADING HAUTE FRÉQUENCE

Frédéric Marty, Thierry Kirat, Hugues Bouthinon-Dumas, Amir Rezaee

Lextenso | « Droit et société »

2020/1 N° 104 | pages 71 à 88


ISSN 0769-3362
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La crise de la régulation par la sanction ex post :
les nouvelles voies de la régulation financière,
de la crise des subprimes au trading haute fréquence

Frédéric Marty *, Thierry Kirat **, Hugues Bouthinon-Dumas ***, Amir Rezaee ****
* Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion (GREDEG), Campus Azur, 250 rue Albert Einstein - CS 10269
F-06905 Sophia Antipolis Cedex – CIRANO, Montréal, <frederic.marty@gredeg.cnrs.fr>
** Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales (IRISSO), Université Paris Dauphine, 602 bis Place du maréchal
de Lattre de Tassigny, F-75775 Paris cedex 16, <thierry.kirat@dauphine.psl.eu>
*** ESSEC Business School, avenue Bernard Hirsch, B.P. 50105, F-95021 Cergy, <bouthinondumas@essec.edu>
**** ISG Business School, 8 rue de Lota, F-75116 Paris, < amir.rezaee@isg.fr>

 Résumé Un fonctionnement non altéré des marchés financiers et la protection des


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investisseurs et des épargnants supposent la mise en œuvre d’une régula-
tion financière à même de prévenir et de sanctionner des pratiques illicites
consistant en des manquements ou en des abus de marché. La complexifi-
cation croissante des activités financières peut être de nature à rendre plus
difficile la caractérisation des pratiques illicites et donc leur dissuasion par
des sanctions pécuniaires ou financières dans le cadre de procédures con-
tentieuses. Cet article explore les intérêts et les limites de trois des voies qui
sont ouvertes au régulateur financier pour répondre à ces difficultés : le
recours à des procédures transactionnelles, la mise en œuvre de stratégies
de régulation procédurale et enfin le recours à des dispositifs de régulation
algorithmique.
Algorithmes – Incitation – Procédures négociées – Régulation financière –
Sanction.

 Summary The Crisis of the Regulation by the Ex Post Sanction: New Avenues of
Financial Regulation, from the Subprime Crisis to High Frequency Trading
Unaltered operation of the financial markets and the protection of investors
and savers require the implementation of financial regulation to prevent
and punish illicit practices such as failure to comply with rules and market
abuse. The increasing complexity of financial activities may make it more
difficult to characterize unlawful practices and thus deter them by financial
or pecuniary sanctions in litigation proceedings. This article explores the
interests and limitations of three of the ways in which the financial regulator
can respond to these challenges: the use of settlements, the implementation
of procedural regulation strategies, and the use of algorithmic regulation
devices.
Algorithms – Financial regulation – Incentive – Sanction – Settlements.

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F. MARTY, T. KIRAT, H. BOUTHINON-DUMAS, A. REZAEE

Le droit peut-il permettre de réguler la finance et empêcher que des pratiques


financières mènent à une crise financière ? Cet article proposera, sinon une illu-
soire réponse définitive, du moins des éléments de réponse, en mettant en exergue
la perte de portée d’un outil classique de la régulation financière : la sanction ex
post de pratiques illicites 1. Dans le monde réel, la sanction des comportements
illicites apparaît indispensable au bon fonctionnement des marchés financiers 2. La
crise des subprimes de 2007-2008 a renforcé la conscience de la nécessité de contrô-
ler et de mieux réguler la finance 3, alors que dans même le temps, nous le verrons,
les moyens d’action des autorités de régulation tendent à se réduire 4. Aussi bien
aux États-Unis qu’au Royaume-Uni et en France, la crise de la régulation financière
par la sanction ex post révèle combien il est difficile de trouver un équilibre entre deux
objectifs majeurs : prévenir, par des sanctions dissuasives, la diffusion de pratiques
(e.g. manipulation de cours) et de produits financiers (e.g. Credit Default Swaps) à
l’origine ou canaliseurs des crises financières ; ne pas contraindre outre mesure le
dynamisme et la liquidité du marché financier, le tout sans renforcement des moyens
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(et donc le budget) des autorités de régulation. De plus, on observe des pratiques
d’une grande complexité et la persistance d’une propension des acteurs à desserrer ou
contourner la contrainte émanant des règles de droit qu’ils sont censés respecter. Or,
aussi bien l’économie du droit que la pratique des régulateurs conduisent à considérer
classiquement que la dissuasion des manquements ou des abus de marché par les
acteurs financiers passe par leur sanction ex post. Les sanctions pécuniaires, les me-
sures disciplinaires ou les interdictions professionnelles sont en effet censées donner
un « signal de prix » à même de modifier ex ante les comportements des agents.
La répression des abus de marché (diffusion de fausses informations, manipula-
tion de cours, exploitation d’une information privilégiée…) a été renforcée par le
règlement européen n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché, transposé
en droit interne, par la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016. Outre les abus de marchés, la
réglementation française réprime les manquements aux obligations professionnelles.

1. Il fait écho, en des termes plus techniques, à la question sur la place du droit dans des situations de
crise que pose Antoine BAILLEUX, dans sa contribution au présent dossier, « Dissoudre l’événement ou
exposer la crise ? Le système, le répertoire et les clés juridiques d’une prospérité sans croissance ».
2. Ainsi, à titre d’exemple, les missions assignées à la première des autorités de régulation modernes, la
Securities and Exchange Commission (SEC) américaine sont d’assurer la protection des investisseurs, de
garantir un fonctionnement équitable, régulier et efficace des marchés et de faciliter le financement de
l’économie.
3. Aux États-Unis, les sanctions imposées après la crise des subprimes se sont significativement distin-
guées de celles prononcées après la faillite d’Enron en 2001. Les peines privatives de liberté, les sanctions
pécuniaires contre les personnes physiques ou encore les sanctions professionnelles ont été bien plus rares.
Malgré l’ampleur et la gravité de la crise des subprimes, peu d’affaires ont été réglées par voie contentieuse
et très peu de sanctions ont été prononcées contre des personnes physiques. Cf. Jed S. RAKOFF, « The Financial
Crisis: Why Have No High-Level Executives Been Prosecuted? », New York Review of Books, January 9, 2014.
4. Ce constat a été réitéré par le panel convié par l’American Economic Association à l’occasion des dix
ans de la crise en janvier 2019. Henry Paulson et Timothy Geithner, respectivement Secrétaire au Trésor des
gouvernements Bush et Obama et Ben Bernanke, directeur de la Fed durant la crise, ont insisté sur le fait
que leurs successeurs ne disposent plus des outils réglementaires qui leur avait permis de contenir la crise,
<https://www.aeaweb.org/webcasts/2019/tenth-anniversary-of-the-financial-crisis> (accès le 19 février 2020).

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La crise de la régulation par la sanction ex post

La sanction des pratiques illicites de la part des professionnels des marchés finan-
ciers est essentielle sur plusieurs plans. D’abord, le premier enjeu est financier. À titre
d’élément de comparaison, Alexander Dyck, Adair Morse et Luigi Zingales estiment le
coût des violations des règles de marché par les grandes firmes cotées américaines à
360 milliards de dollars par an en moyenne entre 1996 et 2004 5. Ensuite, il y a un enjeu
du point de vue de l’efficacité de la répression. Ces mêmes auteurs estiment que la
probabilité de détection est d’un tiers et qu’une société cotée sur huit serait susceptible
d’enfreindre les règles. Le régulateur financier a donc un rôle majeur à jouer en termes
de détection et de sanction des comportements en cause. Cette « délinquance en col
blanc », en matière financière, met en jeu des personnes morales mais aussi des per-
sonnes physiques qui agissent de manière irrégulière non pas exclusivement pour
leur compte propre, mais souvent pour celui de la personne morale pour laquelle elles
travaillent (ce qu’expriment les notions de « corporate crime » ou d’« organizational
crime ») 6.
Si la sanction a un rôle déterminant pour la dissuasion, encore faut-il que les
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pratiques puissent être détectées et que les abus de marché et manquements puis-
sent être caractérisés. Le modèle microéconomique de la sanction optimale requiert
que la sanction soit ajustée en fonction de la probabilité de détection 7 : plus cette
dernière est faible, plus le montant de la sanction doit être élevé. Ce modèle met en
balance les coûts et les bénéfices de la sanction pour la collectivité : consacrer des
moyens publics à la détection et à la sanction de pratiques qui n’ont pas un impact
significatif sur le marché conduit à une allocation sous-optimale de ressources
publiques. Par ailleurs, même si une pratique suspecte est détectée, il est difficile de
la qualifier juridiquement dans le cadre de stratégies de marché de plus en plus
techniques, opaques, foisonnantes, sinon massives dès lors que l’on fait face à des
opérations de transactions à haute fréquence 8.
La Security and Exchange Commission (SEC) doit superviser 26 000 acteurs finan-
ciers habilités gérant 75 000 milliards de dollars d’actifs et les comptes de plus de
8 000 sociétés dont 4 100 sont cotées 9. L’étendue et le nombre des données infor-
matiques transférées dans le cadre de chaque enquête rendent de plus en plus
difficiles les procédures contentieuses d’autant que le recours aux méthodes de
trading algorithmique conduit à prendre en considération un nombre exponentiel
d’ordres et que la complexification des stratégies de marché impose de disposer de

5. Alexander DYCK, Adair MORSE et Luigi ZINGALES, « How Pervasive is Corporate Fraud? », Working Paper,
University of Chicago, 2017.
6. Arjan REURINK, « “White-Collar Crime”: The Concept and its Potential for the Analysis of Financial
Crime », European Journal of Sociology, 57 (3), 2016, p. 385-415. Voir p. 399 et suiv.
7. A. Mitchell POLINSKY et Steven SHAVELL, « The Economic Theory of Public Enforcement of the Law »,
Journal of Economic Literature, 38, 2000, p. 45-76.
8. L’essor des Fintechs, c’est-à-dire des entreprises innovantes qui, utilisant les algorithmes, les données
massives et l’intelligence artificielle offrent des applications en finance, pose un enjeu majeur de régula-
tion : quelle forme devra prendre la régulation financière dans un monde où de plus en plus de décisions
seront prises sur une base algorithmique et pour lesquelles il pourrait être de plus en plus difficile (sinon
vain) d’identifier des stratégies de violation des règles de marché ?
9. SECURITIES and EXCHANGE COMMISSION, Congressional Budget Justification and Annual Performance Plan
– Fiscal Year 2019, 2018.

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F. MARTY, T. KIRAT, H. BOUTHINON-DUMAS, A. REZAEE

personnels d’enquête extrêmement spécialisés et compétents. Alors que les coûts


et les délais induits par les enquêtes sont croissants, les moyens budgétaires des
autorités de régulation restent très contraints. Cet effet de ciseau contraint les régu-
lateurs à concentrer leurs ressources sur un nombre limité de cas ou à envisager le
recours à des modes de régulation alternatifs à la sanction ex post. Trois voies peu-
vent être considérées : les procédures négociées ; les stratégies de régulation procé-
durale et la régulation algorithmique.
L’article est structuré selon ces trois modes de régulation. La première partie
traite des enjeux liés à la place croissante des règlements négociés en matière de
régulation financière. La deuxième s’interroge sur les rôles que peuvent jouer la con-
formité et la régulation procédurale. La troisième s’attache au recours par la régula-
tion financière d’outils algorithmiques.

I. La place prédominante des procédures négociées en matière de régulation


financière
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Nous considérons successivement les déterminants économiques des procé-
dures négociées (I.1) et les tendances quant aux recours à celles-ci dans les cas fran-
çais, britannique et américain (I.2). Nous discutons enfin leurs conséquences pos-
sibles en termes incitatifs (I.3).

I.1. Les déterminants économiques de la décision d’engagement dans une procédure


négociée
Introduite par la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, qui
fait suite aux décisions prises dans le cadre du G20 réuni en septembre 2009 à
Pittsburgh pour coordonner les mesures de réforme bancaire et financière, la com-
position administrative a doté l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’un outil
additionnel de règlement des affaires relatives à des manquements 10. Son champ
d’application a été étendu aux abus de marché par la loi du 21 juin 2016 11.
Plusieurs autorités de régulation indépendantes disposent de procédures tran-
sactionnelles 12. Celles-ci présentent de nombreux intérêts : du côté des entreprises,
ces procédures sont censées permettre de diminuer les coûts liés à la défense ou en
termes d’attention du management 13. Elles permettent surtout de limiter le dom-
mage réputationnel lié à une éventuelle décision contentieuse, notamment en

10. Daniel LABETOULLE, « Régulation et transaction : quand le gendarme des marchés financiers transige »,
Revue juridique de l’économie publique, 703, 2012.
11. Thierry KIRAT, Hugues BOUTHINON-DUMAS, Frédéric MARTY et Amir REZAEE, « Une perspective d’économie
institutionnelle du droit sur les accords de composition administrative de l’Autorité des marchés financiers »,
in Jean-Jacques DAIGRE et Bertrand BRÉHIER (dir.), Droit bancaire et financiers, Mélanges AEDBF France,
volume VII, Paris : Revue Banque édition, 2018, p. 309-326.
12. Voir la contribution de Pauline Bégasse DE DHAEM, « Crise, banque et mondialisation : retour aux fonda-
tions et perspectives critiques sur l’empire des normes bancaires », dans le présent dossier.
13. David M. BECKER, « What More Can Be Done to Deter Violations of the Federal Securities Law? », Texas
Law Review, 90, 2012, p. 1849 et suiv.

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La crise de la régulation par la sanction ex post

termes d’impact sur le cours boursier 14. Du côté du régulateur, le recours à ces
procédures peut également présenter des avantages procéduraux 15.
Il permet aussi de réduire la charge administrative pour les autorités concernées
notamment en supprimant la phase contradictoire. L’introduction de la composi-
tion administrative reposait explicitement sur cet objectif 16. Il est également atten-
du une réduction de la durée de traitement des affaires. De plus, ces procédures
présentent l’avantage de faire disparaître le risque d’appel de la part de l’opérateur
concerné. Enfin, elles permettent de concentrer les commissions des sanctions des
autorités sur les cas les plus graves, qui appellent de plus lourdes sanctions ou qui
doivent faire l’objet de décisions contentieuses à des fins d’exemplarité et
d’enrichissement de la jurisprudence 17.
L’analyse des décisions de la Commission des sanctions de l’AMF après la crise
de 2008 confirme cette prémisse 18. L’AMF est de plus en plus sélective quant à ses
décisions de poursuivre. Entre 2005 et 2009, entre 22 et 30 % des enquêtes don-
naient lieu à des procédures de sanction ; ce pourcentage n’a pas dépassé 20 %
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entre 2010 et 2017 (tableau 1).

Tableau 1
Activité de l’Autorité des marchés financiers
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
Enquêtes
73 74 80 77 83 65 75 68
ouvertes
Enquêtes
90 91 105 96 95 80 74 78 74 83 68 75 71 55
terminées
Nombre
de notification 38 28 27 26 22 20 14 14 14 15 10 8 17 9
de griefs
Assorties d’une proposition
d’entrée en composition 2 4
administrative
Nombre de notification
de griefs/ 42,2 31,1 30,0 28,9 24,4 22,2 15,6 15,6 15,6 16,7 11,1 8,9 18,9 10,0
Enquêtes terminées (%)

Source : rapports annuels de l’AMF.

14. Thierry KIRAT et Amir REZAEE, « How Stock Markets React to Regulatory Sanctions? Evidence from
France », Applied Economics, 51 (60), 2019, p. 1-9.
15. Thierry KIRAT, « La composition administrative devant l’Autorité des marchés financiers : complément
ou substitut de la sanction ? », in Juliette MOREL-MAROGER, Thierry KIRAT et Claudie BOITEAU (dir.), Droit et
crise financière. Régulation et règlement des conflits en matière bancaire et financière, Bruxelles : Bruylant,
2015, p. 159-169.
16. Antoine GAUDEMET, « La composition administrative », in ibid., p. 165-169.
17. Il s’agissait déjà de l’un des objectifs du projet de transaction, qui avait été porté par l’ancien président
de l’AMF, Michel Prada, qui préfigurait la composition administrative. Cf. Michel PRADA, Rapports annuels
AMF pour 2004, 2005.
18. Hugues BOUTHINON-DUMAS, Thierry KIRAT et Frédéric MARTY, « Crise financière et pratique décision-
nelle de la Commissions des sanctions de l’Autorité des marchés financiers », in Juliette MOREL-MAROGER,
Thierry KIRAT et Claudie BOITEAU (dir.), Droit et crise financière, 2015, op. cit., p. 187-204.

Droit et Société 104/2020  75


F. MARTY, T. KIRAT, H. BOUTHINON-DUMAS, A. REZAEE

La composition administrative peut également être conçue comme un instru-


ment de régulation du marché 19 en ce qu’elle peut être assortie d’obligations de
faire pour l’entité concernée, notamment en termes de mise en œuvre de procé-
dures de contrôle interne. Il peut donc être espéré que celles-ci participent de la
diffusion d’une culture de conformité au sein de l’entité concernée.
Pour le régulateur, un règlement négocié participe d’une politique de régulation.
Pour autant, il ne jouit pas d’une marge de discrétion infinie quant au recours à ces
procédures. Dans le cas de l’AMF, une proposition d’entrée en composition admi-
nistrative est conditionnée à des exigences en termes de caractérisation de la maté-
rialité des faits et à l’existence d’une pratique décisionnelle établie de la Commis-
sion des sanctions 20. Il s’agit d’éviter que les transactions portent sur des cas
faibles, c’est-à-dire ceux pour lesquels une procédure contradictoire ou le contrôle
juridictionnel pourrait conduire à une absence de sanctions. Il convient également
de fixer adéquatement les montants des transactions par rapport à ceux des sanc-
tions. Il est enfin nécessaire d’éviter l’émergence d’une « pratique décisionnelle »
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parallèle qui serait d’autant plus dommageable qu’elle porterait sur des cas nou-
veaux sur lesquels il n’existe pas de jurisprudence.

I.2. L’irrésistible ascension des règlements négociés


Les tendances observées en France en matière de recours aux procédures négo-
ciées 21 sont comparables à celles qui sont constatées au Royaume-Uni et aux États-
Unis.
Dans le cas américain, le recours à ces procédures a été observé dans des pro-
portions bien plus significatives après la crise des subprimes que dans les précé-
dentes crises par exemple. La SEC réglait au lendemain de la crise financière de
2008 environ 98 % de ses poursuites (accompagnées partiellement par d’autres
sortes de sanction ou non) par des accords négociés (settlements), soit entre 650 et
700 cas par an 22. Pour les firmes, il s’agissait, semble-t-il, avant tout d’éviter des

19. La procédure de composition administrative a un impact potentiel en termes institutionnels sur


l’équilibre entre le collège de l’Autorité et la Commission des sanctions (Thierry KIRAT, Hugues BOUTHINON-
DUMAS, Frédéric MARTY et Amir REZAEE, « Une perspective d’économie institutionnelle du droit sur les
accords de composition administrative de l’Autorité des marchés financiers », op. cit.). Comme le souligne
l’ancien président de la Commission des sanctions Daniel Labetoulle, le collège peut, après avoir notifié des
griefs, décider de ne pas les transmettre à la Commission des sanctions (ce qui conduirait à « l’ouverture
d’une procédure répressive ») mais de communiquer à l’opérateur concerné « une proposition d’entrée en
composition administrative ». Si les services du secrétaire général de l’AMF parviennent à un accord avec
l’opérateur, ce dernier est soumis à une validation par le collège et enfin à une homologation par la Com-
mission des sanctions. Le refus d’homologation entraîne une procédure de sanction. Ce cas de figure s’est
présenté en 2017 comme l’indique le Rapport d’activité 2017 de l’AMF (AMF, 2018, p. 86). Voir Daniel LABE-
TOULLE, « La Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers : un témoignage », Droit et
Société, 93, 2016, p. 337-355.
20. Antoine GAUDEMET, « La composition administrative », op. cit.
21. Thierry KIRAT, Hugues BOUTHINON-DUMAS, Frédéric MARTY et Amir REZAEE, « Une perspective
d’économie institutionnelle du droit sur les accords de composition administrative de l’Autorité des mar-
chés financiers », op. cit.
22. Ross McDONALD, « Setting Examples, Not Settling: Toward a New SEC Enforcement Paradigm », Texas
Law Review, 91, 2012, p. 419-447.

76  Droit et Société 104/2020


La crise de la régulation par la sanction ex post

sanctions disciplinaires ou pécuniaires à l’encontre de leurs cadres et dirigeants


mis en cause, applicables notamment depuis le Sarbanes-Oxley Act et renforcées
par le Dodd-Frank Act 23.
Cette attitude doit être mise en perspective avec l’augmentation des sanctions
encourues par les personnes physiques aux États-Unis depuis les années 1980. Cet
élément expliquerait aussi l’augmentation du montant médian des transactions
(1,47 million de dollars en 2011). Selon les rapports annuels de la SEC sur sa pratique
décisionnelle (Enforcement Reports), le taux d’accords comprenant une pénalité finan-
cière s’est accru depuis 2014 : de 80 % entre 2007 à 2013, il passe à 90 % entre 2014 et
2017 24. Mais, dans le même temps, le montant médian passe de 100 000 à 70 000 dol-
lars 25. Au Royaume-Uni, la Financial Conduct Authority (FCA) recourt également signi-
ficativement aux règlements transactionnels (tableau 2) : entre un tiers et 47 % des pro-
cédures sont closes par cette voie, et ce dans le contexte d’une politique de sanction
renforcée à l’encontre des firmes entre 2014 et 2016, pour une partie substantielle impu-
table à la répression des acteurs de la manipulation du LIBOR 26 (tableau 3).
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Tableau 2
Affaires de la Financial Conduct Authority closes par transaction

2013/2014 2014/2015 2015/2016 2016/2017

Nombre d’affaires terminées* 106 115 98 115

Propositions de transactions 60 45 48 18

Affaires réglées par transaction 50 39 40 13


Pourcentage d’affaires réglées par transaction
83 % 87 % 83% 72%
suite à propositions de transaction par la FCA
Transactions conclues / Nombre d’affaires terminées 47,2 33,9 40,8 11,3

* sauf celles portant sur des carences dans les relations avec la FCA (Threshold Conditions Team).
Source : Financial Conduct Authority, diverses sources.

Cependant, si l’augmentation des amendes versées par les entreprises (notamment


les banques) est spectaculaire, avec 56 milliards de livres de cumul au Royaume-Uni
entre 2011 et 2014 et 139 milliards de livres aux États-Unis entre 2012 et 2014 27, les
critiques sur leurs effets incitatifs ont été nombreuses.

23. Ibid.
24. Urska VELIKONJA, Behind the Annual SEC Enforcement Report: 2017 and Beyond (19 novembre 2017). En
ligne sur SSRN : <https://ssrn.com/abstract=3074073>.
25. Ibid.
26. Le LIBOR (London Interbank Offered Rate) correspond au taux d’intérêt sur le marché des prêts interban-
caires à Londres. À partir de 2005, il a fait l’objet de manipulations par des banques importantes sur le marché.
27. John K ASHTON, Tim BURNETT, Ivan DIAZ-RAINEY et al., « Has the Financial Regulatory Environment
Improved in the UK? Capture-Recapture Approach to Estimate Detection and Deterrence », Centre for
Competition Policy, Working Paper, 18-3, 2018, p. 3.

Droit et Société 104/2020  77


F. MARTY, T. KIRAT, H. BOUTHINON-DUMAS, A. REZAEE

Tableau 3
Sanctions pécuniaires de la Financial Conduct Authority
(montants en millions de £)
2009/ 2010/ 2011/ 2012/ 2013/ 2014/ 2015/ 2016/ 2017/
2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Nombre de sanctions
46 83 59 51 46 43 34 15 16
pécuniaires prononcées
Valeur totale des sanctions
pécuniaires prononcées 33,6 98,5 76,4 423,2 425,0 1409,8 884,6 181,0 69,9
(en millions de £)
Nombre de sanctions pécuniaires
nc nc nc nc 27 23 17 6 6
prononcées à l’encontre de sociétés
Valeur totale des sanctions
pécuniaires prononcées à
nc nc nc nc 421,1 1403,1 880,4 181,1 69,0
l’encontre de sociétés
(en millions de £)
Nombre de sanctions pécuniaires
prononcées à l’encontre nc nc nc nc 18 20 17 9 10
de personnes physiques
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Valeur totale des sanctions
pécuniaires prononcées
nc nc nc nc 3,9 6,7 4,2 0,9 0,9
à l’encontre de personnes
physiques (en millions de £)
Source : Financial Conduct Authority, diverses sources ; nc = donnée non connue.

L’opportunité, en termes incitatifs, de la plus forte sélectivité dans l’ouverture des


procédures peut être discutée. Paul A. Akerlof et Paul M. Romer ont montré que l’effet
dissuasif d’une régulation ne s’apprécie pas uniquement à partir des cas donnant lieu
à sanction mais également en fonction du nombre de procédures ouvertes ; la per-
ception du risque régulatoire est alors plus forte pour les entreprises concernées 28. La
réduction spectaculaire du montant des sanctions pécuniaires prononcées par la FCA
en 2017-2018 peut à ce titre s’expliquer plus par cette stratégie de dissuasion 29 que
par le retour à une régulation à la main légère (light touch regulation) 30.

Tableau 4
Activité de la Security and Exchange Commission

Année budgétaire 2011/2012 2012/2013 2013/2014 2014/2015 2015/2016 2016/2017

Nombre de nouvelles 76 63 109 84 109 282


procédures
Source : Erin B. MCHUGH, « Trends in Regulatory Enforcement in UK Financial Markets 2017/18 Mid-Year Report »,
NERA Economic Consulting, January 2018, p. 17.

28. Paul A. AKERLOF et Paul M. ROMER, « Looting: The Economic Underworld of Bankruptcy for Profit »,
Brookings Papers on Economic Activity, 2, 1993, p. 1-73.
29. La forte hausse du nombre d’affaires entamées par le FCA s’explique également par des facteurs insti-
tutionnels : la protection des consommateurs de services financiers est une compétence qui lui a été cédée
par l’Office of Fair Trading en avril 2014.
30. Erin B. McHUGH, « Trends in Regulatory Enforcement in UK Financial Markets 2017/18 Mid-Year Report »,
NERA Economic Consulting, janvier 2018.

78  Droit et Société 104/2020


La crise de la régulation par la sanction ex post

La limitation des ressources budgétaires et l’aversion au risque d’une décision


défavorable en cas d’appel jouent un rôle significatif dans les décisions des régula-
teurs financiers de privilégier ces procédures. Il faut souligner, qu’en 2011, un tiers
du budget global de la SEC était consommé par la division en charge de l’exécution
de la sanction des fraudes (enforcement). Chaque cas qui trouvait une issue conten-
tieuse coûtait en moyenne 580 000 dollars 31.
Le cas de la Division of Enforcement de la SEC est exemplaire de ces contraintes
budgétaires. Si elle compte en son sein 1 373 équivalents temps plein pour l’année
budgétaire 2018, elle a entamé, en 2017, 754 nouvelles procédures portant le stock
d’affaires en cours de traitement à 1 695 32. Les procédures négociées peuvent appa-
raître comme un moyen de gérer un tel stock 33. Un régulateur financier peut préférer
concentrer ses ressources sur les cas les plus importants. Il risque aussi de privilé-
gier les cas pour lesquels il y a de fortes chances de caractériser un abus ou de par-
venir à un règlement négocié 34. Un même biais a été mis en exergue pour le FCA
britannique pour lequel l’évaluation de la probabilité d’obtenir une issue favorable
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pèserait plus que le dommage causé, dans la décision d’ouvrir une procédure 35.
L’étude de la pratique de l’AMF en matière de composition administrative36
confirme les tendances observées pour les régulateurs britannique et américain.
Entre 2012 et 2016, les montants totaux des transactions se sont significativement
accrus, passant de 965 000 euros à 1,970 million. La durée d’un processus transac-
tionnel est presque deux fois moindre que celle d’une procédure de sanction. Juri-
diquement, les montants qui correspondent aux compositions administratives
peuvent être effectivement aussi élevés que ceux qui résulteraient d’une décision
contentieuse. L’article L. 621-14 du Code monétaire et financier dispose que le
montant maximum de la composition peut s’établir au niveau du plafond de la
sanction pécuniaire encourue. Les montants fixés dans le cadre des transactions
peuvent être particulièrement élevés en pratique, jusqu’à un demi-million d’euros,
ce qui témoigne de la préférence des acteurs de marché pour la certitude couplée
avec un règlement plus rapide des cas 37.

31. Ross McDONALD, « Setting Examples, Not Settling: Toward a New SEC Enforcement Paradigm », article cité.
32. SECURITIES and EXCHANGE COMMISSION, Congressional Budget Justification and Annual Performance Plan
– Fiscal Year 2019, op. cit.
33. Il conviendrait également de s’attacher à l’articulation de ces procédures avec les actions au civil
menées par les acteurs du marché ayant subi les effets des pratiques visées.
34. Don MAYER, Anita CAVA et Catharyn BAIRD, « Crime and Punishment (or the Lack Thereof) for Financial
Fraud in the Subprime Mortgage Meltdown: Reasons and Remedies for Legal and Ethical Lapses », American
Business Law Journal, 51 (3), 2014, p. 515-597.
35. Erin B. McHUGH, « Trends in Regulatory Enforcement in UK Financial Markets 2017/18 Mid-Year
Report », op. cit., p. 17.
36. Thierry KIRAT, Hugues BOUTHINON-DUMAS, Frédéric MARTY et Amir REZAEE, « Une perspective
d’économie institutionnelle du droit sur les accords de composition administrative de l’Autorité des mar-
chés financiers », op. cit.
37. Anne MARÉCHAL et Bertrand LEGRIS, « La composition administrative de l’AMF : un premier bilan très
positif », Bulletin Joly Bourse, décembre 2016, p. 539-542.

Droit et Société 104/2020  79


F. MARTY, T. KIRAT, H. BOUTHINON-DUMAS, A. REZAEE

I.3. Discussion sur les effets incitatifs


Ces évolutions conduisent à s’interroger sur les incitations que ces procédures
produisent et sur le choix d’en faire un instrument de la régulation financière de
premier plan.
En premier lieu, si la sanction négociée devient relativement prévisible, elle
pourrait être intégrée par les firmes dans le cadre d’un calcul coût-avantage 38. Elle
deviendrait alors un simple coût d’activité (cost of doing business) 39 et perdrait ainsi
une partie de son effet dissuasif. En second lieu, le coût de la sanction négociée
pèse sur l’actionnaire et non sur le cadre dirigeant 40. Or, les études menées aux
États-Unis et au Royaume-Uni montrent que l’essentiel de l’effet dissuasif tient aux
sanctions encourues par les personnes physiques, en premier lieu les sanctions
conduisant à des interdictions professionnelles (bar), voire pour certaines pratiques
à des peines privatives de liberté 41. Ces procédures posent donc en filigrane la
question de l’effectivité de la dissuasion quant à la criminalité en col blanc commise
dans des organisations 42. On peut par ailleurs s’interroger sur la soutenabilité à
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long terme d’une régulation privilégiant les procédures négociées. Considérant que
les décisions de sanction devraient être exemplaires en termes de dissuasion et
d’information des acteurs du marché, la raréfaction des décisions contentieuses
susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel ne risque-t-elle pas
d’affaiblir la qualité de la jurisprudence, qui a les caractéristiques d’un bien public ?
En outre, l’incitation à s’engager dans un règlement transactionnel dépend de la pro-
babilité d’être sanctionné dans un cadre contentieux. En d’autres termes, la crédi-
bilité du risque d’une décision contentieuse est nécessaire à un développement
efficace des règlements négociés. Les affaires qui font l’objet d’un règlement con-
tentieux sont-elles techniquement plus complexes que celles qui font l’objet d’un
règlement négocié ? Les cas les plus techniques sont a priori ceux pour lesquels le
contentieux crée une valeur informative. Ils n’en sont pas moins plus difficiles et
coûteux à traiter. Ils sont aussi davantage susceptibles de recours en appel. Ces

38. Patrice BOUGETTE, Hugues BOUTHINON-DUMAS et Frédéric MARTY, « La prévisibilité et la négociabilité des
sanctions en droit de la concurrence. Réflexions à partir du cas Orange et de la procédure de transaction
introduite par la Loi Macron », Orizzonti del Diritto Commerciale, 2, 2016, <http://www.rivistaodc.eu/
Article/Archive/index_html?ida=51&idn=7&idi=-1&idu=-1>.
39. Pour reprendre les termes du juge Jed S. Rakoff de l’US District Court dont le jugement a bloqué le
règlement négocié entre la SEC et Citigroup en novembre 2011 : « As for common experience, a consent
judgment that does not involve any admissions and that results in only very modest penalties is just as fre-
quently viewed, particularly in the business community, as a cost of doing business imposed by having to
maintain a working relationship with a regulatory agency, rather than as any indication of where the real
truth lies. » Voir Hugues BOUTHINON-DUMAS et Frédéric MARTY, « Évaluer et manager le risque de sanctions
pécuniaires prononcées par les autorités de régulation », Management & Avenir, 74, 2014, p. 175-189 ;
Raymond PATERNOSTER, « How Much Do We Really Know About Criminal Deterrence », Journal of Criminal
Law and Criminology, 100 (3), 2010, p. 765-824.
40. Charles GOODHART, « Has Regulatory Reform Been Misdirected? », Journal of Financial Regulation and
Compliance, 25 (3), 2017, p. 236-240.
41. Andreas STEPHAN, « Hear no Evil, See no Evil: Why Antitrust Compliance Programmes May Be Ineffective at
Preventing Cartels », Centre for Competition Policy Working Paper, 09-09, 2009.
42. Colin KING et Nicholas LORD, Negotiated Justice and Corporate Crime: The Legitimacy of Civil Recovery
Orders and Deferred Prosecution Agreements, [s.l.] : Palgrave Macmillan, 2018.

80  Droit et Société 104/2020


La crise de la régulation par la sanction ex post

caractéristiques les orientent vers des règlements négociés. Seuls les cas des proies
faciles (les low hanging fruits), donneraient lieu à des décisions contentieuses 43,
alors qu’il s’agit des affaires pour lesquelles la valeur ajoutée d’une décision est la
plus faible. Ce biais de sélection pourrait à terme réduire la qualité de la régulation
sectorielle.

II. Conformité et régulation procédurale


Une autre option pour répondre aux difficultés évoquées précédemment passe
par le recours à des outils de supervision déléguée ou de régulation procédurale 44.
Globalement, ces techniques reviennent à faire porter la responsabilité à la firme,
dès lors que le contrôle interne a failli à prévenir la violation des règles de mar-
ché 45. La responsabilité du contrôle de l’agent passe du régulateur externe (le prin-
cipal) à la direction de l’entreprise qui devient un régulateur interne (un principal
délégué) dont la responsabilité est engagée (comme le prévoit la législation améri-
caine depuis le Sarbanes-Oxley Act de 2002 relatif à la comptabilité des sociétés
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cotées et à la protection des actionnaires). Le contrôle que réalisera le régulateur
externe pourra demeurer de nature purement procédurale : il supervisera ainsi les
modalités du contrôle exercé par le contrôleur interne.
Les avantages de cette supervision déléguée sont proches de ceux des procé-
dures négociées. Un premier atout tient à l’efficacité administrative. La régulation
déléguée concilie l’allègement du standard de la preuve, la réduction des délais de
traitement des affaires et la minimisation du risque de recours. Un deuxième tient à
l’efficacité économique : ce modèle reposant sur la prise en compte d’une double
relation d’agence, l’une externe à la firme, l’autre interne, il s’agit de jouer sur la
complémentarité ou la substituabilité des deux types de contrôle 46. Dans le cas
idéal, le contrôleur interne (le principal délégué) peut prévenir le dommage qui
pourrait découler du comportement de l’agent, ou du moins le sanctionner plus
rapidement et efficacement. Il peut jouir, en effet, d’un avantage informationnel par
rapport au régulateur pour vérifier plus efficacement et à moindre coût le comporte-
ment de l’agent, son salarié, et surtout pour le faire au jour le jour et non ex post.
Il convient également de noter que le contrôleur interne est aussi un agent vis-
à-vis du régulateur. Lui faire porter une responsabilité pour les manquements de
ses propres agents a des vertus incitatives. Cela peut prévenir le risque que les sys-
tèmes de rémunérations et de promotions qu’il met en place ne produisent des

43. Jonathan R. MACEY, « The Distorting Incentives Facing the U.S. Securities and Exchange Commission »,
Harvard Journal of Law and Public Policy, 33, 2010, p. 639 et suiv.
44. Julia BLACK, « Seeing, Knowing, and Regulating Financial Markets: Moving the Cognitive Framework
from the Economic to the Social », LSE Law, Society and Economy Working Papers, 24, 2013 ; Thierry KIRAT
et Frédéric MARTY, « The Regulatory Practice of the French Financial Regulator, 2006-2011. From Substan-
tive to Procedural Financial Regulation? », Journal of Governance and Regulation, 4, 2015, p. 441-450.
45. Xin YAN, Lawrence R. KLEIN, Viktoria DALKO et al., « Preventing Stock Market Crises (IV): Regulating
Trading by Corporate Insiders », in Lawrence R. KLEIN, Viktoria DALKO et Michael H. WANG (eds.), Regulating
Competition in Stock Markets, Hoboken : Wiley, 2012, p. 133-164.
46. Pierre FLECKINGER, Thierry LAFAY et Constance MONNIER, « Rémunération des dirigeants et risque de
fraude d’entreprise », Revue économique, 64 (3), 2013, p. 457-467. DOI : 10.3917/reco.643.0457.

Droit et Société 104/2020  81


F. MARTY, T. KIRAT, H. BOUTHINON-DUMAS, A. REZAEE

incitations collectivement négatives. En d’autres termes, le tenir pour responsable


de défauts de contrôle permet de le dissuader d’inciter ses agents à la prise de
risques.
La régulation procédurale n’en pose pas moins des questions juridiques et éco-
nomiques. Au niveau juridique, le modèle de supervision déléguée peut se conce-
voir en termes de réplication des règles issues de la régulation dans les procédures
internes 47. C’est un processus qui a pour effet de juridiciser le fonctionnement de
l’opérateur des marchés financiers au travers de l’intégration des recommanda-
tions du régulateur dans ses dispositifs de gestion internes. Le régulateur ne limite
alors pas son action à la répression des pratiques observées sur les marchés ; il
l’étend à la supervision de l’organisation interne des firmes financières 48.
Au niveau économique, la régulation procédurale peut être analysée en termes
incitatifs. Pour le principal délégué (i.e. l’organe de contrôle ou le manager), mettre
en œuvre des procédures permettant de prévenir les violations des règles est coû-
teux 49. Or, le risque de sanctions n’est pas dissuasif si la probabilité de sanction est
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très faible 50. Mais dans la mesure où la sanction repose sur l’absence de procé-
dures ou le non-respect de celles-ci, le coût de mise en œuvre de la régulation est
plus faible pour le régulateur extérieur. Ce risque élevé de sanction pousse le con-
trôleur interne (le régulateur délégué) à investir dans les procédures de contrôle
interne et à favoriser la diffusion d’une culture de conformité 51.
La politique de la conformité peut, si elle réussit, avoir un effet plus déterminant
que la menace de sanction sur le comportement des acteurs dans l’entreprise. Elle
peut changer leur perception quant à ce que sont des comportements légitimes ou
illégitimes. Le respect du droit peut en effet être altéré par la culture de certaines
entreprises ou par les valeurs partagées dans certaines communautés profession-
nelles 52. La culture de la conformité est d’autant plus importante que les profes-
sionnels mis en cause pour des violations des règles ont tendance à utiliser, pour
concilier leurs pratiques avec les normes sociales, un vocabulaire de l’ajustement
venant neutraliser le caractère illicite des pratiques. La régulation peut atteindre ses
objectifs de façon certes plus indirecte mais tout aussi efficace en agissant sur les
attitudes et la moralité sous-jacente aux comportements des opérateurs de marché 53.

47. Katherina PISTOR, « Toward a Legal Theory of Finance », Journal of Comparative Economics, 41, 2013,
p. 315-330 ; Marina TELLER, « Les fonctions de la procédure en droit bancaire et financier », Revue internationale
de droit économique, 4, 2015, p. 503-512.
48. Thierry KIRAT et Frédéric MARTY, « The Regulatory Practice of the French Financial Regulator, 2006-
2011. From Substantive to Procedural Financial Regulation? », article cité. Hugues BOUTHINON-DUMAS, « La
compliance : une inflation normative au carré ? », Management & Avenir, 4, 2019, p. 109-129.
49. Cécile AUBERT, Patrick REY et William KOVACIC, « The Impact of Leniency Programs on Cartels », International
Journal of Industrial Organization, 24 (6), 2006, p. 1241-1266.
50. A. Mitchell POLINSKY et Steven SHAVELL, « The Economic Theory of Public Enforcement of the Law », article cité.
51. Hugues BOUTHINON-DUMAS, « La quête de l’effectivité dans la régulation financière à travers les sanc-
tions dissuasives et la conformité », Revue internationale des services financiers, 2, 2017, p. 23-27.
52. Joseph HEATH, « Business Ethics and Moral Motivation: A Criminological Perspective », Journal of
Business Ethics, 83 (4), 2008, p. 595-614.
53. Kenworthey BILZ et Janice NADLER, « Law, Moral Attitudes, and Behavioral Change », in Eyal ZAMIR et Doron
TEICHMAN (eds.), Behavioral Economics and the Law, Oxford : Oxford University Press, 2014, p. 241-267.

82  Droit et Société 104/2020


La crise de la régulation par la sanction ex post

Pour autant, quid de l’effectivité d’un programme de conformité si les agents


savent que leur conduite est illégale 54 ? En effet, les cultures professionnelles comptent
parfois plus que les règles juridiques externes dans la définition des comportements
légitimes au sein d’une entreprise ou d’une communauté professionnelle 55.
L’accent sur la conformité, de même que le recours aux procédures négociées,
participe d’une logique de recherche d’un substitut au contrôle ex post des pra-
tiques pour mettre en évidence d’éventuels manquements du fait de la technicité
croissante des pratiques de marché. Le domaine des activités financières repose de
plus sur des décisions de plus en plus massives et automatisées qui peuvent rendre
difficiles sinon illusoires un contrôle ex post par un régulateur extérieur. Comment
ce dernier peut-il alors procéder ?

III. La régulation algorithmique


Aux États-Unis, les transactions à haute fréquence (THF) et le trading algorith-
mique (TA) représentent environ 70 % des échanges quotidiens sur le marché finan-
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cier. Elles peuvent être à l’origine de krachs éclairs (flash crashs), d’instabilité et de
volatilités financières 56. Les régulateurs financiers ont donc pris des initiatives pour
contrôler ces phénomènes sous la contrainte de la préservation des gains d’effica-
cités induits par ces nouvelles pratiques. L’AMF a déjà eu à traiter de telles affaires
reposant sur la mise en œuvre de processus de décisions algorithmiques. Il en fut par
exemple ainsi des décisions de la Commission des sanctions Virtu et Euronext du
4 décembre 2015 et Getco Europe Ltd du 8 juillet 2016. Dans cette dernière, un algo-
rithme mal paramétré était susceptible de constituer une manipulation de marché
en donnant de ce dernier une image fictive 57. Le régulateur doit non seulement
s’attacher à l’évaluation des effets des décisions algorithmiques mais également à la
compréhension de leur fonctionnement et à une démonstration de l’intention
d’une manipulation des cours.
Trois solutions sont possibles face à la difficulté de mettre en œuvre des poli-
tiques de dissuasion ex post dans le cadre de pratiques de marché reposant sur des
décisions algorithmiques. La première conduit à considérer que l’entreprise qui
met en œuvre l’algorithme supporte une responsabilité par défaut. La deuxième fait
peser les obligations de conformité sur les algorithmes eux-mêmes. La troisième

54. Andreas STEPHAN, « Hear no Evil, See no Evil: Why Antitrust Compliance Programmes may be Ineffective at
Preventing Cartels », op. cit.
55. Maurice E. STUCKE, « Am I a Price-Fixer? A Behavioral Economics Analysis of Cartels », in Caron BEATON-WELLS
et Arial EZRACHI (eds.), Criminalizing Cartels: A Critical Interdisciplinary Study of an International Regulatory
Movement, Oxford : Hart Publishing, 2011 ; David TAN, Lauren CHAPPLE et Kathleen WALSH, « Corporate
Fraud Culture: Re-examing the Corporate Governance and Performance Relation », Accounting & Finance,
57, 2017, p. 597-620.
56. Samuel BRANUM, « SEC to Increase Oversight of High Frequency Trading Firms Under a Proposed
Amendment to Rule 15b9-1 », Timely Tech, University of Illinois, 19 janvier 2017 <http://illinoisjltp.com/
timelytech/sec-to-increase-oversight-of-high-frequency-trading-firms-under-a-proposed-amendment-to-
rule-15b9-1/>.
57. Marina TELLER, « Du droit et des algorithmes. Libres propos sur la notion d’algorithmes, cet impensé du
droit », in Jean-Jacques DAIGRE et Bertrand BRÉHIER (dir.), Droit bancaire et financier, Mélanges AEDBF
France, volume VII, op. cit., p. 263-273.

Droit et Société 104/2020  83


F. MARTY, T. KIRAT, H. BOUTHINON-DUMAS, A. REZAEE

met l’accent sur la supervision du fonctionnement des algorithmes dans le cadre de


procédures périodiques de contrôle.

III.1. Un régime de responsabilité de plein droit


La logique à l’œuvre est celle de la régulation procédurale décrite plus haut 58 : il
s’agit de sanctionner l’opérateur de marché pour défaut de diligence en matière de
définition et de bonne mise en œuvre des règles de supervision interne (voir les
règles introduites en ce sens par la directive MiFID II 59). Le management de l’entre-
prise est utilisé comme un principal délégué. Il est tenu pour responsable car il est en
capacité d’exercer un contrôle plus aisément et efficacement que le régulateur
externe. Ce contrôle peut s’exercer au jour le jour sur l’ensemble des opérations. Il
peut donc potentiellement prévenir la survenance du dommage ou de l’infraction
alors que la supervision externe ne peut que les sanctionner ex post. Cette techno-
logie de régulation peut également être envisagée sous l’angle de son administrabi-
lité. Compte tenu du déficit informationnel du régulateur vis-à-vis des opérateurs
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régulés, il s’agit d’éviter de devoir ouvrir la boîte noire de l’algorithme.
Il reste à cerner le périmètre de la responsabilité. Aux États-Unis, la Financial
Industry Regulatory Authority (FINRA, l’instance d’autorégulation des agents de
change) et la SEC ont entrepris, depuis 2015, d’incorporer dans le champ d’appli-
cation de la réglementation financière les acteurs du trading algorithmique qui y
échappaient antérieurement au nom d’une règle, depuis réformée, qui dispensait
d’enregistrement auprès de la SEC les acteurs d’une bourse locale intervenant
ponctuellement sur d’autres marchés financiers locaux. Cette règle (dite « 15b9-1 »)
du Securities and Exchange Act a été réécrite en 2015 de manière à soumettre à l’obli-
gation d’enregistrement, donc au contrôle de la FINRA, tous les acteurs de la finance.
En outre, cette dernière autorité a, en avril 2016, précisé ses règles d’enregistrement
pour y inclure deux catégories d’acteurs nouveaux : ceux qui « développent des stra-
tégies de trading algorithmique » (les développeurs) et ceux qui sont « responsables
de la supervision quotidienne ou de la direction de ces activités » (les traders) 60. La
responsabilité peut désormais peser aussi bien sur les traders que les développeurs.

III.2. Une conformité par conception


Dans le cadre d’une exigence de conformité par conception (by design), les règles
devraient être intégrées directement dans l’algorithme. Le contrôle de conformité peut
également passer par des procédures d’évaluation préalable des algorithmes. La
directive européenne MIF2 de 2014 exige que les opérateurs conservent l’ensemble

58. Thierry KIRAT et Frédéric MARTY, « The Regulatory Practice of the French Financial Regulator, 2006-
2011. From Substantive to Procedural Financial Regulation? », article cité.
59. Amir REZAEE, « Le THF ne laisse personne indifférent en Europe. Comment les pays européens appré-
hendent-ils le trading haute fréquence ? », Revue Analyse financière, 66, 2018, p. 76-77.
60. K. Braeden ANDERSON, « Regulating Robo-Finance: An Exposé of the SEC Approach to Algorithmic Trad-
ing », Anderson Law Journal, 12 July 2018, <https://medium.com/anderson-law-journal/regulating-robo-
finance-an-expos%C3%A9-on-recently-ratified-sec-rule-requiring-algorithmic-trading-f27c8eb5b338>.

84  Droit et Société 104/2020


La crise de la régulation par la sanction ex post

des ordres passés, leurs algorithmes et un ensemble de 37 paramètres décrivant


l’activité 61.
Les risques induits par certaines pratiques de marché algorithmiques, tels les
krachs éclairs, peuvent également donner lieu à des mesures de régulation algo-
rithmique « préventives ». Le développement d’outils de simulation numérique
permet de disposer d’indicateurs avancés de tels effondrements. Ceci rend pos-
sibles des modèles de régulation qui ne fonctionnent plus comme des coupe-circuits
(circuit breakers) qui empêchent le marché de se stabiliser de lui-même. À l’inverse, ces
nouveaux modèles fonctionnent comme des signaux donnés aux marchés sur un mode
du « ralentissement plutôt qu’arrêt brutal » (slow down, rather than stop) 62. Ils limitent
donc le dommage sans risquer de l’aggraver comme cela est le cas aujourd’hui. La régu-
lation n’interviendrait plus dès lors ex ante ou ex post mais de façon automatisée, con-
tinue et proactive. De telles perspectives s’inscrivent dans le développement possible
des outils technologiques de régulation (RegTech).

III.3. Des procédures de contrôle périodiques


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La solution de tester le fonctionnement des algorithmes dans le cadre de procé-
dures de contrôle ex post a pu être proposée dans le domaine des politiques de
concurrence. Par exemple, Ariel Ezrachi et Maurice E. Stucke ont suggéré de tester
la propension d’algorithmes de prix développés par des concurrents à converger
vers des équilibres « coopératifs » en utilisant des incubateurs de collusion algo-
rithmique permettant d’évaluer les trajectoires possibles à partir de scenarii de
marché et de simulations numériques 63.
En matière financière, la supervision passe par un contrôle ex post de la part du
régulateur 64. L’entité régulée peut être invitée à justifier des décisions prises par
l’algorithme qui pourraient être suspectées de relever de manipulations de marché
ou apparaître comme inexplicables aux yeux du régulateur à l’issue de son contrôle.
L’analyse ex post des décisions prises et de leurs paramètres, basée sur l’analyse des
données massives, permet de constater d’éventuelles anomalies, conduisant l’entre-
prise à engager des audits internes et le régulateur à requérir une explication 65.

61. Ilarion PAVEL et Jacques SERRIS, Modalités de régulation des algorithmes de traitement des contenus,
rapport du Conseil Général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, mai 2016 ; Claire
CASTANET et Camille PLANES, « Finance et intelligence artificielle : une révolution en marche », Enjeux numériques.
Annales des Mines, 1, 2018, p. 15-21.
62. Wes BETHEL, David LEINWEBER, Olivier RÜBEL et al., « Federal Market Information Technology in the
Post-Flash Crash Era: Roles for Supercomputing », The Journal of Trading, 7 (2), 2012, p. 9-25.
63. Ariel EZRACHI et Maurice E. STUCKE, « Algorithmic Collusion: Problems and Counter-Measures », OECD
Roundtable on Algorithms and Collusion, DAF/COMP/WD(2017)25, juin 2017.
64. Les opérateurs doivent également notifier leurs algorithmes à l’AMF depuis le 1er janvier 2015 (article
L. 451-4 du Code monétaire et financier).
65. L’article L. 451-4 du Code monétaire et financier impose également aux opérateurs actifs dans le trading à
haute fréquence d’« [a]ssurer une traçabilité de chaque ordre envoyé vers un marché réglementé ou un
système multilatéral de négociation, conserver pendant une durée fixée par le règlement général de
l’Autorité des marchés financiers tout élément permettant d’établir le lien entre un ordre donné et les algo-
rithmes ayant permis de déterminer cet ordre, conserver tous les algorithmes utilisés pour élaborer les ordres
transmis aux marchés et les transmettre à l’Autorité des marchés financiers lorsqu’elle en fait la demande ».

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Les règles de conformité par conception facilitent ce type de contrôle. De par


leur conception, les algorithmes peuvent permettre de collecter en temps réel
l’ensemble des données traitées par les opérateurs de marché ainsi que leurs déci-
sions et de les agréger d’une façon facilitant leur contrôle ex post par le régula-
teur 66. Ces supervisions ex post des décisions des algorithmes peuvent prendre la
forme d’enquêtes sectorielles, telles que les met en œuvre la Competition and Markets
Authority britannique. Celles-ci peuvent déboucher sur des remèdes (comporte-
mentaux ou structurels) que les entreprises sont invitées à proposer 67. L’analyse des
données massives permet par « induction » de repérer des phénomènes a priori inex-
plicables en regard d’un comportement normal de marché qu’il s’agit de justifier 68.

Conclusion
Les réorientations imprimées par les régulateurs financiers vers des modes alter-
natifs de régulation tenant à des procédures négociées, à des stratégies de régula-
tion procédurale ou déléguée, à des politiques de conformité ou encore à des dis-
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positifs de contrôle algorithmique ex post, s’expliquent par deux problèmes de
fond. Le premier tient à la complexité des stratégies de marché et à la masse des
ordres qui rendent un contrôle ex post difficile et une caractérisation des manque-
ments des plus aléatoires. Le second tient aux moyens limités dont disposent les auto-
rités. L’exemple de la SEC est significatif : le 27 octobre 2017, dans un entretien donné
au Wall Street Journal, le directeur de la mise en œuvre des règles (l’enforcement)
annonçait qu’elle ne pourrait plus mettre en œuvre la stratégie de poursuite systéma-
tique (dite du carreau cassé) qu’elle avait suivie les années précédentes. La contrainte
budgétaire conduit à une plus forte sélectivité dans le déclenchement d’enquêtes et
d’engagement de poursuites.
Un second point concernant la politique de la SEC est particulièrement impor-
tant. Les procédures négociées doivent-elles impliquer une reconnaissance de
culpabilité ou non ? Entre 2014 et 2017, sur 2 063 cas ayant fait l’objet de tels règle-
ments, seuls 22 ont conduit à l’admission d’une faute par les entreprises concer-
nées. Cette tendance peut apparaître comme surprenante sachant qu’en juin 2013 la
SEC avait décidé d’abandonner sa politique de no-admit / no-deny. David Rosenfeld
notait que : « The change was a reaction to stinging criticism that the agency was
willing to sweep wrongdoing under the rug, or even worse, that it was acting collu-
sively with wrongdoers, allowing them to escape responsibility for their actions by
paying a fine—to companies, a mere cost of doing business—without ever having to
own up to the wrongfulness of their acts 69. »

66. José Manuel GONZÀLES-PÀRANO, « Financial Innovation in the Digital Age: Challenges for Regulation and
Supervision », Financial Stability Journal, 32, 2017, p. 9-37.
67. Ariel EZRACHI et Maurice E. STUCKE, « Algorithmic Collusion: Problems and Counter-Measures », op. cit.
68. AUTHORITY of FINANCIAL MARKETS, Five Years of Market Abuse Supervision – An European Regime in
Development, novembre 2010.
69. David ROSENFELD, « Admission in SEC Enforcement Cases: The Revolution That Wasn’t », Iowa Law
Review, 103, 2017, p. 113.

86  Droit et Société 104/2020


La crise de la régulation par la sanction ex post

Des craintes s’étaient alors exprimées quant aux effets de cette nouvelle poli-
tique sur la propension des firmes à s’engager dans des règlements négociés. Or, il
s’avère que le succès de cette réorientation n’a pas été au rendez-vous. Les opéra-
teurs du marché ont continué à s’engager dans des procédures de transaction sans
que la SEC puisse obtenir des reconnaissances de culpabilité. Le succès d’une poli-
tique de règlement négocié paraît donc comme difficilement conciliable avec une
exigence de reconnaissance de responsabilité…
L’un des risques principaux induit par un règlement des affaires passant essentiel-
lement par ces mécanismes est de faire en sorte que le paiement lié au règlement
négocié soit autre chose qu’un coût normal d’activité (the cost of doing business).
Nous sommes bien loin des recommandations de Ross McDonald 70 en faveur de
plus de règlements contentieux et de mises en cause de personnes physiques. Les
difficultés rencontrées par les procédures contentieuses renforcent l’attractivité
relative des modèles de régulation procédurale et de contrôle algorithmique.
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70. Ross McDONALD, « Setting Examples, Not Settling: Toward a New SEC Enforcement Paradigm », article cité.

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F. MARTY, T. KIRAT, H. BOUTHINON-DUMAS, A. REZAEE

 Les auteurs
Frédéric Marty est chargé de recherche au CNRS, rattaché au Groupe de Recherche en
Droit, Économie et Gestion (Université Côte d’Azur) et chercheur au sein du CIRANO
(Montréal). Spécialiste du droit et de l’économie de la concurrence, ses recherches actuelles
portent sur l’histoire des politiques de concurrence et sur les pratiques anticoncurren-
tielles basées sur les algorithmes. Parmi ses publications récentes :
— « Plateformes numériques, algorithmes et discrimination », Revue de l’OFCE, 164,
2019 (à paraître) ;
— « Algorithmes et décision concurrentielle : risques et opportunités » (avec Sophie HARNAY
et Joëlle TOLEDANO), Revue d’économie industrielle, 166, 2019 ;
— « Plateformes de commerce en ligne et abus de position dominante : réflexions sur
les possibilités d’abus d’exploitation et de dépendance économique », Revue juridique
Thémis de l’Université de Montréal, 53, 2019.
Thierry Kirat est directeur de recherches au CNRS et membre de l’Institut de recherche
interdisciplinaire en sciences sociales (Université Paris Dauphine). Spécialiste des rela-
tions entre le droit et l’économie, ses recherches actuelles portent sur la régulation finan-
cière, la pénétration d’idées économiques dans la régulation publique et les décisions algo-
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rithmiques. Parmi ses publications récentes :
— « Déjudiciariser les licenciements. Des économistes au législateur », Revue de droit
du travail, 4, 2019 ;
— « How Stock Markets React to Regulatory Sanctions? Evidence from France » (avec
Amir REZAEE), Applied Economics, 51 (60), 2019 ;
— « Une comparaison d’applications de “justice prédictive”. Le cas du contentieux de
l’indemnisation du licenciement abusif » (avec Morgan SWEENEY), La semaine juridique,
éd. Générale, 2019.
Hugues Bouthinon-Dumas est professeur associé de droit à l’ESSEC Business School.
Ses travaux de recherche portent principalement sur le droit financier, le droit des sociétés
et la gouvernance et sur le pénal des affaires. Il s’intéresse également à la pédagogie juri-
dique, à l’accessibilité du droit (legal design), ainsi qu’au déploiement des activités juri-
diques dans l’espace. Parmi ses publications récentes :
— « La compliance : une inflation juridique au carré ? », Revue Management et Avenir, 4,
2019 ;
— « La place juridique de Paris » (avec Bruno DEFFAINS), Recueil Dalloz, 1, 2019 ;
— « La vulgarisation d’un droit d’application quotidienne. L’exemple des baux d’habitation
conclus par des profanes », Cahiers Jean Moulin, 5, 2019.
Amir Rezaee est professeur associé en finance à l’ISG Business School. Spécialiste en finance
de marché, dans ses études interdisciplinaires, il s’intéresse à la microstructure et à la régula-
tion ainsi qu’à l’histoire des marchés financiers. Il étudie également les nouveaux outils de la
finance durable et verte. Dans ces récentes études, il aborde l’étude du marché de l’art sur la
longue durée et sous l’angle financier. Parmi ses publications récentes :
— « How Stock Markets React to Regulatory Sanctions? Evidence from France » (avec
Thierry KIRAT), Applied Economics, 51 (60), 2019 ;
— « Le THF ne laisse personne indifférent en Europe. Comment les pays européens appré-
hendent-ils le trading haute fréquence ? », Revue Analyse financière, 66, 2018 ;
— « “Quand dire c’est réguler” Discours et communication de l’Autorité des marchés finan-
ciers » (avec Thierry KIRAT, Frédéric MARTY et Hugues BOUTHINON-DUMAS), Économie &
Institutions, 25, 2017.

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