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LE PRINCIPE JURIDIQUE DE NON-DISCRIMINATION APPLIQUÉ AU

DOMAINE LINGUISTIQUE. DE L’INTERDICTION DE DISCRIMINATION À


LA NÉCESSITÉ DE DIFFÉRENCIATIONS

Jean-Marie Woehrling

L'Harmattan | « Les cahiers de la LCD »

2018/2 N° 7 | pages 45 à 65
ISSN 2496-4956
ISBN 9782343152172
DOI 10.3917/clcd.007.0045
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Le principe juridique de non-discrimination
appliqué au domaine linguistique
De l’interdiction de discrimination à la
nécessité
de différenciations

Jean-MarieWOEHRLING

Ancien élève de l’ENA, ancien magistrat administratif, expert-


consultant auprès du Conseil de l’Europe, Jean-Marie Woehrling a
participé à l’élaboration de la Charte européenne des langues régionales
ou minoritaires et aux discussions relatives à sa mise en œuvre. Il est
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l’auteur de nombreux travaux sur le droit des langues et la promotion
des langues régionales.
jmwoehrl@noos.fr

Résumé (français) :
L’égalité formelle consistant à appliquer la même règle d’utilisation
d’une langue à des locuteurs de langues différentes peut conduire à
une discrimination, laquelle pourra cependant être regardée comme
légale si cette règle est regardée comme fondée sur des motifs
justifiés, tels que le statut de langue officielle. Il en résulte que le
principe de non-discrimination est d’une faible protection pour les
locuteurs de langues minoritaires, sauf à accorder en droit une
protection spécifique à de telles langues.

45
Zàmmefàssùng (Elsässerditsch – Dialecte alsacien) :
Wenn m’r d’Gebrüchsregle vùn’rer Sproch bi Sprecher vùn
verschiedener Sproche glichmässig ànwend, kànn’s zùr
Diskriminierùng fiehre. M’r kànn se àwwer g’setzlich ànerkenne,
wenn se àls e rechtfertiger Grùnd – z.B. àls Stàtüs vùn’rer offizielle
Sproch – àng’sähn wùrd. ‘s Prìnzip vùn d’Ùndiskriminierùng ìsch
àwwer nùmme e schwàcher Schùtz fer d’Sprecher vùn
Mìnderheitssproche, üsser wenn m’r ‘ne üs rechtlicher Sìcht üs e
spezìfischer Schùtz erteilt.

Abstract (anglais) :
Formal equality consisting in applying the same rule for the use of a
language to speakers of different languages can lead to discrimination,
which may however not been considered as illegal if the this rule is
considered as founded on justified grounds like the status owing to the
official language. Therefore the principle of non discrimination is a
weak protection for speakers of less used languages, unless a specific
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legal protection is granted to such languages.

Introduction
Le principe d’égalité et de non-discrimination constitue une
composante essentielle du système de l’État de droit et de la
protection des droits de l’homme. La non-discrimination en raison de
la langue est inhérente à ce principe même si les textes ne mentionnent
pas toujours explicitement la langue comme base d’une discrimination
prohibée. En effet, la langue est un élément de l’identité de la
personne ; sa méconnaissance constitue une atteinte à la personne dont
la protection est l’objectif ultime du système juridique. Le non-respect
de l’identité linguistique d’une personne peut porter atteinte à de
nombreux droits reconnus comme composantes des droits de
l’homme : droit à l’éducation, droit à la vie familiale, droit à la
culture, droit à l’accès à la justice, etc. L’égalité dans la jouissance de
ces droits est consacrée par les grands textes protecteurs des droits de
l’homme (CEDH, art. 14, prot. 12 ; Pacte International relatif aux
droits civils et politiques, art. 2 et 26 ; Traité sur l’UE, art. 2 et 3).
Dans un certain nombre de documents internationaux ou

46
constitutionnels, la discrimination fondée sur la langue est
expressément prohibée (Pacte International relatif aux droits civils et
politiques, art. 2 et 26 ; Constitution allemande, art. 3 ; Constitution
italienne, art. 3 ; Constitution grecque, art. 5, etc.). Ainsi, aux termes
de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne « est interdite, toute discrimination fondée notamment sur
le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les
caractéristiques génétiques, la langue, (…) ».
Pourtant il est assez rare que le principe d’égalité et de non-
discrimination en matière linguistique soit vraiment utile aux locuteurs
d’une langue autre que la langue dominante, que cette domination
résulte des faits ou d’une règle de droit. Ceci tient aux
caractéristiques, souvent méconnues par les non-juristes, de ce
principe.
Il est donc proposé d’analyser en premier lieu le contenu et la portée
de ce principe sous un angle général et du point de vue du droit
comparé (1). Le caractère peu protecteur de ce principe au regard des
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langues minoritaires apparaît tout particulièrement dans le cas du droit
français (2). Face aux insuffisances du principe de non-discrimination
en matière linguistique pour protéger les pratiques linguistiques
minoritaires, des instruments spécifiques ont été développés, dont la
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires [Charte]
constitue un exemple remarquable (3).

1. Le principe juridique d’égalité et de non-discrimination


appliqué à l’usage des langues
Les principes d’égalité et de non-discrimination ont le même contenu
juridique : en droit une discrimination réside dans une
méconnaissance non justifiable du principe d’égalité ; par suite,
l’action contre les discriminations ne peut se distinguer
significativement de la mise en œuvre du principe d’égalité1.

1
Le Conseil constitutionnel français assimile égalité et non-discrimination
(Cons. const., 18 janv. 1985, déc. n° 84-182 DC, loi relative aux administrateurs
judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d'entreprise :Rec., p. 27,
pt 13).

47
1.1. L’égalité ou la discrimination s’apprécient au regard d’une
règle ou d’une situation juridique
Le principe d’égalité est fondamentalement un principe d’égalité
devant la loi. Il en résulte que l’égalité est appréciée au regard du droit
ou en fonction d’une situation juridique. L’égalité ou l’inégalité
concrète ne constituent pas l’objet du principe d’égalité tant qu’une
règle de droit n’a pas fixé cette égalité ou la non-discrimination
comme objectif d’une règle de droit.
Ainsi en matière linguistique, une inégalité ou une discrimination ne
sont illégales que si elles heurtent une règle de droit. Si une règle de
droit prévoit (explicitement ou implicitement) une égalité des
locuteurs de langues déterminées concernant l’accès à l’enseignement
dans leur langue, le non-respect de cette égalité peut être invoqué. Par
contre, si aucune règle n’a prévu une égalité des locuteurs de langues
distinctes dans l’enseignement, le principe juridique d’égalité ne peut
être utilement invoqué même si dans les faits, la non-faculté
d’utilisation d’une langue peut conduire à un accès discriminatoire à
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ce service.
L’égalité ou la non-discrimination peuvent se comprendre
juridiquement de deux manières différentes : la même loi pour tous,
ou bien les mêmes droits pour tous. La première conception vise à
appliquer la même règle pour tous les sujets de droit, quelle que soit
leur situation particulière. Par exemple, la loi prévoit que dans l’accès
à la justice tous les justiciables doivent utiliser la même langue. La
deuxième conception tend à garantir à tous les sujets de droits la prise
en compte de leur situation particulière pour l’exercice d’un droit.
Dans cette hypothèse, la loi prévoit que tous les justiciables peuvent
utiliser leur langue devant la justice. Le principe d’égalité ne dit rien
sur la pertinence de l’une ou l’autre formule : c’est une règle
extérieure au principe d’égalité qui détermine quelle forme d’égalité
doit l’emporter. Aussi, les juristes considèrent-ils que le principe
d’égalité est une « notion vide » : ce sont des éléments extérieurs à ce
principe qui déterminent les critères de l’égalité ou de la
discrimination.
Prenons encore l’exemple de l’attribution d’une préférence de
recrutement pour les fonctionnaires locuteurs de la langue régionale :

48
si l’égalité est appréciée au regard de la situation des fonctionnaires,
un tel avantage donné aux locuteurs de la langue régionale constitue
une discrimination pour ceux qui ne parlent pas cette langue ; si
l’égalité est appréciée du point de vue de l’accès au service public, le
fait de favoriser l’engagement de fonctionnaires bilingues garantit
l’égalité d’accès des usagers quelle que soit leur langue2. Cet exemple
montre que ce qui est décisif dans le principe d’égalité, ce n’est pas le
principe lui-même, mais la norme qui sert à apprécier l’égalité (dans
l’exemple précédent : égalité des citoyens dans l’accès à la fonction
publique ou égalité des locuteurs dans l’accès à l’administration).
Un aspect essentiel dans la mise en œuvre du principe d’égalité réside
dans la distinction entre l’égalité formelle (la règle que l’on met en
œuvre est-elle égalitaire dans sa formulation et appliquée
uniformément à l’égard tous ses destinataires ?) et l’égalité appréciée
du point de vue de ses effets (la règle prend-elle en compte les
conditions de son application afin que celle-ci soit égalitaire pour des
destinataires différents ?). Dans l’évolution de la conception juridique
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du principe d’égalité, la conception formelle (la même loi pour tous,
quels que soient ses effets) a prédominé. Mais de plus en plus, la
doctrine et les tribunaux ont reconnu que la même loi appliquée à des
situations différentes pouvait conduire à des inégalités. Aujourd’hui,
la conception dominante est que la même règle doit s’appliquer aux
personnes se trouvant dans la même situation et que les personnes se
trouvant dans des situations dissemblables doivent faire l’objet de
règles différentes.
C’est cette conception différentialiste de l’égalité qui est mise en
lumière par la notion de discrimination : alors que le terme abstrait
d’égalité met l’accent sur la norme, le terme de discrimination insiste
sur les effets de l’application de la norme au regard de ses
destinataires. La notion de discrimination recouvre aussi bien le cas de

2
Cet exemple est illustré par deux jugements du Tribunal suprême espagnol du
25 janvier 1984 et du 3 mai 1984, statuant sur des décisions de gouvernements de
provinces basques attribuant des points supplémentaires aux candidats connaissant
la langue basque. Le Tribunal a jugé que cette mesure était discriminatoire pour les
citoyens espagnols ne connaissant pas le basque, alors même que la Constitution
espagnole reconnait la coofficialité du basque et le droit des citoyens d’utiliser cette
langue dans leurs relations avec l’administration.

49
la « discrimination directe », c'est-à-dire le cas où une règle comporte
directement et volontairement un motif de discrimination (par
exemple, les journaux en langue étrangère font l’objet d’une taxation
renforcée ; les journaux en langue vivante régionale ne perçoivent
aucune subvention d’aide à la presse) et les situations de
« discrimination indirecte » quand une norme est objectivement neutre
et même impartiale du point de vue de ses objectifs, mais aboutit dans
les faits à « discriminer », c'est-à-dire à créer une situation qui sera de
fait plus défavorable en fonction des capacités langagières (par
exemple, un examen comporte une épreuve d’expression littéraire qui
privilégie les native speakers).

2.2. Les motifs justifiant une règle uniforme ou des traitements


distincts
Mais toute discrimination directe ou indirecte n’est pas irrégulière. Il
existe des motifs justifiant la rupture de l’égalité. Selon le cas, on
considère alors qu’il n’y a pas de discrimination ou bien que la
discrimination est justifiée. Or, comme on a vu que la tendance
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actuelle consiste à apprécier une règle au regard de la diversité des
situations, l’enjeu principal du principe d’égalité ou de non-
discrimination est en fait de savoir quels sont les motifs justifiant soit
une règle uniforme malgré des effets différents sur ses destinataires,
soit des règles distinctes en fonction des spécificités des situations.
Cette discussion relative aux « motifs valables » justifiant une règle
uniforme, même indirectement discriminatoire ou des mesures
particulières rompant l’uniformité normative est tout particulièrement
importante en matière de langues. La promotion de la langue officielle
est clairement reconnue comme un motif légitime pour imposer cette
langue à l’école, comme le montre la célèbre affaire de la Cour
européenne des droits de l’homme relative aux écoles belges3.
Le fait est qu’il est aisé de trouver des justifications objectives et
raisonnables à l’attribution d’une position proéminente à la langue
commune ou dominante. Aussi, pour qu’un motif d’imposition d’une
langue soit valable, le droit de la non-discrimination exige non

3
CEDH, 23 juill. 1968, aff. nos 1474, 1677, 1691/62, 1769, 1994/63 et 2126/64,
affaire linguistique belge.

50
seulement qu’il soit rationnel, objectif et d’intérêt général, mais aussi
qu’il soit proportionné, c'est-à-dire adapté et nécessaire pour l’objectif
poursuivi et que les contraintes qu’il comporte ne soient pas
excessives au regard des autres intérêts en présence. Cette « balance
des intérêts » est assez subjective et très variable selon les pays et les
situations. On se trouve donc devant des options assez divergentes
dans la comparaison internationale quant aux motifs pouvant imposer
une langue commune ou à ceux ouvrant des droits aux locuteurs de
langues minoritaires.
Quelques exemples : la Cour suprême a admis que si en Californie
l’enseignement pour les enfants d’origine étrangère peut être effectué
en anglais, elle a cependant considéré comme discriminatoire
l’absence de toute adaptation dans la pédagogie pour tenir compte de
la situation linguistique particulière de ces enfants4. Au Royaume-Uni,
la cour d’appel a admis comme justifiée l’exigence de la connaissance
du gallois dans une collectivité du Pays de Galles5. Le comité des
droits de l’homme des Nations Unies a considéré que l’interdiction
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absolue de la langue anglaise au Québec pour l’affichage commercial
était contraire à la liberté d’expression, laquelle inclut le choix de la
langue d’expression6. Dans une autre affaire, ce comité a considéré
qu’était discriminatoire le fait pour les autorités namibiennes
d’interdire à leurs agents publics de communiquer dans une langue
autre que l’anglais avec des usagers locuteurs d’autres langues (en
l’occurrence l’afrikaans)7. La Cour de justice des communautés
européennes a estimé, dans une affaire irlandaise, que même si la
langue irlandaise (le gaélique irlandais) est langue nationale et
première langue officielle devant l’anglais, la politique de promotion
de cette langue devait se faire dans le respect de la liberté de
mouvement au sein de la Communauté européenne et sans
discrimination envers les citoyens des autres pays membres : par

4
42 USC par. 2000), d), 1982. V. North Carolina Central Law Journal (1992),
vol. 20, 1992, p. 86.
5
Jones vs Gwynedd County Council.
6
Communications, nos 359/1989 et 385/1989, Ballantyne, Davidson et McIntyre
c/Canada :CCPR/C/47/D/359/1989 et 385/1989/Rev. 1.
7
Communication n° 760/1997, J. G. A. Diergaardt et consort c/ Namibie :
CCPR/C/69/D/760/1997.

51
conséquent, toute exigence en matière de connaissance de cette langue
devait être proportionnelle à l’objectif visé, sans quoi elle serait
discriminatoire et irait à l’encontre du droit communautaire8. Une
autre illustration peut être donnée par l’affaire, désormais ancienne,
des « écoles albanaises » jugée par la Cour permanente de justice
internationale en 19359 : la protection d’une minorité linguistique
impose de conserver à cette minorité la possibilité de disposer à ses
frais d’écoles enseignant dans sa langue.
Au total, la protection des locuteurs de langues minoritaires par le
principe d’égalité et de non-discrimination reste assez mince. Elle ne
prend quelque peu corps que lorsque la protection de la langue
s’intègre dans la protection de l’identité culturelle d’un groupe ayant
bénéficié d’une reconnaissance par un acte de protection spécifique
(traité, constitution ou loi reconnaissant à une minorité linguistique le
droit d’entretenir son identité culturelle). Même dans ce cas, la simple
inaction de l’État ne protège pas efficacement la pratique linguistique
contre des discriminations de fait. Il faut que l’État engage des actions
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positives pour réaliser une véritable protection.

2. L’approche française de l’égalité et de la non-discrimination en


matière linguistique
La France qui a inscrit le principe d’égalité au fronton de ses
bâtiments publics se veut exemplaire dans la lutte contre les inégalités.
Mais en même temps, elle a conservé de son histoire particulière une
lecture du principe d’égalité qui la distingue par rapport à la manière
dont la question des discriminations est abordée dans d’autres pays
européens. Cette différence est à la fois révélée et atténuée par le
développement d’un droit européen.

8
Groener c/ Minister for Education and the City of Dublin Vocational Educational
Committee, [1989] ECR 3967, [1990] I CMLR 401.
9
CPJI, 3 avr. 1935, avis consultatif. Selon cet avis, une cohabitation harmonieuse
entre majorité et minorité implique le respect d’une authentique égalité et la
préservation des caractéristiques notamment linguistiques des minorités.

52
2.1. L’approche traditionnelle : une conception « uniformisante » de
l’égalité
S’il est admis de manière générale qu’une discrimination (une rupture
de l’égalité) consiste à traiter de manière différente les personnes se
trouvant dans une situation semblable10, il n’y a pas en revanche pour
le Conseil constitutionnel comme pour le Conseil d’État
méconnaissance du principe d’égalité si des personnes qui se trouvent
dans des situations différentes sont traitées de manière identique11.
On retrouve ici l’inspiration révolutionnaire de 1789 : la loi doit être la
même pour tous12. Le principe d’égalité siège essentiellement dans la
généralité de la règle. On a pu parler à cet égard d’un héritage culturel
« centralisateur »13. Le principe d’égalité est perçu comme un élément
constitutif de l’État unitaire. L’idée d’unicité linguistique et
d’invisibilité du peuple est considérée comme une composante
fondatrice de « l’identité républicaine ». L'article 1er de la
Constitution, la République qui « assure l'égalité devant la loi de tous
les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion »
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s'oppose à toute discrimination opérée sur le fondement d'une
« communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance »14.
L’usage unique de la langue française a été reconnu par le Conseil
constitutionnel comme le corollaire de l’unicité du peuple français,
dont la valeur constitutionnelle a été consacrée en199915 à l’occasion
du contrôle de la Charte. Le Conseil constitutionnel a de surcroît
dégagé un principe constitutionnel s'opposant à ce que soient reconnus

10
Pélissier G. (1996), Le principe d’égalité en droit public, LGDJ.
11
V. CE, 28mars 1997, Ste Baxter :RFDA 1997, p. 450 – CE, 13 mars 2002, Union
fédérale des consommateurs :RFDA 2003, p. 785.
12
Le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle du principe
d’égalité sur la Déclaration des droits de l’homme de 1789 (Cons. const., 27 déc.
1973, n° 73651 DC ,taxation d’office :Rec., p. 25).
13
Rapp. du CE sur le principe d’égalité, 1996, p. 36.
14
Cons. const., 15 juin 1999, n° 99-412 DC, citée supra n° 12, consid. 6 ; Cons.
const., 19 nov. 2004, n° 2004-505 DC, consid. 16.
15
Déc. n° 99-412 DC, 15 juin 1999, cons. n° 5.

53
des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une
communauté de langue16.
Dans l’approche française, l’utilisation d'une langue commune
préserve l'égalité. Ce principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que soient
prises en compte des différences de situations dès lors que n’est pas en
cause une mise en œuvre des libertés publiques17. En revanche, il
n'existe pas de droit à la différenciation : si, en règle générale, le
principe d'égalité impose de traiter de la même façon des personnes
qui se trouvent dans la même situation, il n'oblige pas, pour autant, à
traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations
différentes18. Autrement dit, la variété des situations linguistiques
n'impose pas l'adoption de mesures adéquates pour rétablir une égalité
matérielle19.
L'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public,
aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service
public20, mais aussi aux personnes privées dans leurs relations avec
des autorités publiques ou des services publics21.
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Aucun citoyen ne doit être contraint à utiliser une langue autre que le
français. Dès lors, l'enseignement de langues régionales ou
minoritaires ne saurait, sans méconnaître le principe d'égalité, revêtir
un caractère obligatoire pour les élèves, de même qu'il ne saurait
soustraire les élèves scolarisés dans les établissements du territoire
aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des
établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont
associés à celui-ci22, c'est-à-dire à l’usage du français. Ce « principe
16
Déc. n° 2004-505 DC, 19 nov. 2004,Traité établissant une Constitution pour
l'Europe.
17
Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC, consid. 29.
18
Cons. const., 29 déc. 2003, n° 2003-489 DC, consid. 37.
19
Cons. const., 29 juill. 1994, n° 94-345 DC, consid. 4.
20
Cons. const., 9 avr. 1996, n° 96-373 DC, consid. 92 ; Cons. const., 15 juin 1999,
n° 99-412 DC, consid. 8 ; Cons. const., 6 déc. 2001, n° 2001-452 DC, consid. 16 ;
Cons. const., 27 déc. 2001, n° 2001-456 DC, consid. 48 ; Cons. const., 28 sept.
2006, n° 2006-541 DC, consid. 5.
21
Idem.
22
Cons. const., 9 mai 1991, n° 91-290 DC, consid. 37 ; Cons. const., 9 avr. 1996,
n° 96-373 DC, n° 18, consid. 93 ; Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC,
consid. 24.

54
d’égalité » est étendu à tous les participants au service public : si
l'enseignement de la langue corse est prévu dans le cadre de l'horaire
normal des écoles maternelles et élémentaires, « il ne saurait revêtir
pour autant un caractère obligatoire ni pour les élèves, ni pour les
enseignants »23. Ces derniers ne peuvent être contraints à enseigner sur
une partie du territoire ce que d'autres n'enseignent pas ailleurs ou
dans une langue qui n'est pas obligatoire ailleurs. Le Conseil d'État
adopte une position identique au visa de l'article 2 de la Constitution24
au terme duquel le français est la langue de la République.
La reconnaissance et la promotion des langues régionales ou
minoritaires n'ont dans ce contexte qu'un caractère facultatif pour les
autorités publiques. S'appuyant sur l'article L. 312-10 du Code de
l'éducation, selon lequel un enseignement de langues et cultures
régionales « peut être dispensé tout au long de la scolarité », le juge
administratif estime que l'administration n'est pas obligée d'organiser
un tel enseignement 25.
L'article 75-1 de la Constitution, qui déclare que « les langues
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régionales appartiennent au patrimoine de la France », n’a pas
modifié la situation, car, selon le Conseil constitutionnel, il ne crée pas
de droits et n’impose pas d’actions concrètes aux pouvoirs publics afin
d'assurer la protection de ce patrimoine, ni de favoriser la sauvegarde
des langues régionales.
La méfiance vis-à-vis des langues régionales ou minoritaires se traduit
également dans l’attitude de la France dans la formulation de réserves
à l'occasion de la ratification de traités internationaux visant la
protection des minorités, notamment sur le plan linguistique. La
France a ainsi émis une réserve sur l'article 27 du pacte international
relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, qui stipule
que :
« Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou
linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être

23
Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC.
24
CE, 11 févr. 2004, n° 248224, Sté des agrégés de l'université.
25
CE, 15 avr. 1996, n° 165114, Assoc. Parents d'élèves pour l'enseignement du
breton.

55
privées du droit d'avoir (…) leur propre vie culturelle, de professer et de
pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue »

ou encore sur l'article 30 de la convention relative aux droits de


l'enfant du 20 novembre 1989, qui dispose que :
« Dans les États où il existe des minorités (…) linguistiques (…), un enfant (…)
appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d'avoir sa
propre vie culturelle (…) d'employer sa propre langue en commun avec les
autres membres de son groupe ».

Quant à la Déclaration des droits des peuples autochtones, résolution


pourtant non contraignante adoptée en 2007 par l'Assemblée générale
des Nations Unies, elle a suscité de vives réticences de la France,
notamment en raison des articles traitant des droits linguistiques.
Enfin, comme l’on sait, le Conseil constitutionnel s’est opposé à la
ratification de la Charte adoptée le 5 novembre 1992 malgré
l'abstention de la France.

2.2. La nécessaire évolution du droit français sous l’influence du


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droit européen
Dans la plupart des pays européens, le principe d’égalité (et donc aussi
celui de non-discrimination) est conçu comme une prohibition de
l’arbitraire26, qui exclut aussi bien de traiter de manière différente des
personnes se trouvant dans des situations semblables que de traiter de
manière identique des personnes se trouvant dans des situations
différentes. Cette position est aussi celle de la Cour de justice de
l’Union européenne (CJUE), ce qui place le droit français dans une
position délicate27 et le conduit progressivement à évoluer.
L’enjeu concerne en particulier l’hypothèse d’une discrimination
indirecte du fait de la non-prise en compte de situations spécifiques. Il
ne suffit pas qu’une règle soit formellement dépourvue de
discrimination puisqu’elle traite selon un critère objectif toutes les
personnes qu’elle concerne. Encore faut-il que les effets réels de cette

26
Voir l’ouvrage de Jouanjan O. (1992), Le principe d’égalité devant la loi en droit
allemand, Economica.
27
Debout E. (2005), L’article 13 du traité de la Communauté européenne, La clause
communautaire de lutte contre les discriminations, Bruylant.

56
règle n’aient pas de conséquences discriminatoires. Le droit européen
est de ce point de vue plus exigeant que l’approche française
traditionnelle.
La question de la différence entre conceptions formelle et substantielle
de l’égalité constitue un point clé de tout dispositif anti-
discrimination, puisqu’elle est à la base de la détermination des
discriminations indirectes et du concept d’action (ou de
discrimination) positive. Pour la CJUE, une discrimination a lieu s’il y
a application de la même règle à des situations (objectivement et
substantiellement) différentes28.
Le droit français doit s’adapter à ce cadre européen d’autant que le
droit européen s’impose à lui. Une discrimination indirecte en matière
de langue peut être contestée devant la Cour européenne des droits de
l’Homme et une législation française non compatible avec un
règlement ou une directive européenne en matière de non-
discrimination devra être écartée comme non-conforme au droit
européen.
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C’est pour se conformer au droit européen que le Parlement français a
adopté la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation
au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les
discriminations. Cette loi définit les discriminations directes et
indirectes et modifie le Code du travail, le Code pénal et le Code de la
mutualité en vue de mieux sanctionner les discriminations fondées sur
le sexe, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à
une ethnie ou une race, la religion ou les convictions, le handicap,
l’apparence physique, l’état de santé, l'âge ou l'orientation sexuelle, en
matière d'affiliation et d'engagement dans une organisation syndicale
ou professionnelle, de la grossesse ou de la maternité. Elle a été
complétée par une loi du 22 décembre 2016 de modernisation de la
justice du XXIe siècle qui pose la règle nouvelle que constitue
désormais une discrimination, toute distinction opérée entre les
personnes physiques sur le fondement de leur « capacité à s'exprimer
dans une autre langue que le français ». Cette nouvelle disposition

28
CJCE, 14 févr. 1995, aff. n° C-279/93, Finanzamt Köln-Altstadt : Rec., p. I-225,
pt 30.

57
législative a suscité une grande attention. Pour les uns, la France avait
enfin consacré une interdiction de créer des discriminations sur la base
de la langue, espérant que les langues minoritaires sont désormais
mieux protégées. Pour les autres, cette disposition ruine la position du
français29.
En pratique, cette disposition n’est pas spécialement propice aux
langues autres que le français puisqu’elle signifie à titre principal que
ni la connaissance ni la méconnaissance d’une langue autre que le
français ne saurait être un motif de traitement défavorable. En
particulier, la connaissance d’une langue autre que le Français ne
saurait constituer un critère de recrutement que si la connaissance de
cette langue répond à une exigence professionnelle essentielle et
déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence
proportionnée (C. trav., art. L. 1133-1). Serait par contre également
prohibé un refus de recrutement fondé sur le fait qu’un candidat
connaît certaines langues autres que le français, ce qui révélerait son
appartenance ethnique ou culturelle. Mais une telle discrimination
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était déjà couverte par les dispositions antérieures relatives à
l’interdiction de tenir compte de l’origine d’une personne. Enfin, cette
nouvelle norme anti-discrimination se trouve circonscrite au secteur
de l’emploi.
On voit qu’en matière linguistique, l’impact de la législation anti
discrimination reste de portée très limitée comme le montre a
contrario la loi sus-évoquée de 2008. La protection des langues non
officielles ou non nationales n’est pas assurée par la seule absence
d’actions négatives à leur encontre.

29
V. not. l’article de Redeker P. (27 janvier 2017), Le Figaro, figarovox : « Notre
pays est pris depuis une décennie d'une folie anti-discriminatoire ravageuse. On
oublie ainsi l'essentiel : certaines discriminations sont fondées, utiles au bien public
ou à la cohérence historique de la nation. C'est que l'anti-discrimination est devenue
un absolu, une idéologie absolutiste au lieu de rester un outil dont il faut savoir
faire un usage modéré. Sans discriminations aucune société ni aucun corps politique
ne peuvent se constituer. Être, c'est tracer des frontières, délimiter un dedans et un
dehors, inclure et exclure, c'est donc discriminer. Poussé jusqu'à son terme, le délire
antidiscriminatoire est dissolvant: il communautarise et atomise les unités
politiques, les fait exploser. (…) ».

58
3. La démarche de la Charte
La Charte, bien que souvent mentionnée, reste fréquemment mal
comprise (J.-M. Woehrling, 2005) comme le montre la position
adoptée à son sujet par le Conseil constitutionnel français30. Son
approche originale apporte des réponses pragmatiques à la question de
la discrimination en matière linguistique.

3.1. Les principes caractérisant la Charte


La Charte entend établir une protection des langues régionales et
minoritaires elles-mêmes, au-delà d’une protection des locuteurs. La
protection qu’elle entend mettre en œuvre concerne un bien culturel
européen, à savoir la diversité linguistique constituée par les langues
régionales et minoritaires. La Charte se distingue ainsi clairement de
la démarche traditionnelle de protection de groupes minoritaires pour
s’orienter dans le sens de la protection des langues elles-mêmes31.
La Charte n’institue pas, comme le fait la Convention européenne des
droits de l’homme, des droits au bénéfice de certains sujets de droits
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déterminés. Elle institue par contre des obligations juridiques à la
charge des États adhérents. Elle s’adresse à des instances publiques
pour les amener à prendre des engagements en faveur de la protection
des langues régionales et minoritaires et de la richesse culturelle que
représentent ces langues. Ces engagements sont plus ou moins précis
selon les différentes parties de la Charte. Dans une partie II, figurent
des principes généraux que les États doivent concrétiser par des
politiques dont il leur revient de définir les modalités. Dans une
partie III, figurent des engagements optionnels, mais précis, une
batterie de mesures concrètes et détaillées parmi lesquelles les États
peuvent faire un choix, mais qui s’imposent à eux une fois ces
engagements souscrits.
La Charte demande aux États une politique active et positive de
promotion, au-delà de la seule élimination de mesures défavorables ou

30
V. note 15, supra.
31
On peut comparer cette démarche à celle qui consiste en droit de l’environnement
à protéger non les personnes ou les collectivités auxquelles appartiennent des biens
environnementaux, mais à garantir ces biens eux-mêmes comme la diversité
naturelle des espèces, des paysages, des semences, etc.

59
négatives. Elle ne se satisfait pas de prohiber des comportements
négatifs de la part des États, tels que des répressions linguistiques ou
des discriminations directes à l’encontre des locuteurs de langues
régionales ou minoritaires. La seule prohibition de tels comportements
négatifs n’est actuellement plus suffisante pour sauvegarder ces
langues affaiblies. Il faut obtenir des autorités publiques des
engagements positifs, une politique active de soutien et de promotion
à l’égard de ces langues.
La Charte est fondée sur un principe de différenciation des régimes de
protection des langues impliquant des règles particulières, en fonction
de la situation concrète de chaque langue, au-delà d’une égalité
uniforme et formelle. La reconnaissance par la Charte de l’égale
dignité des langues et cultures ne nie pas la différence de position
juridique et de fonction sociale de ces différentes langues et cultures.
Respecter d’une manière égale toutes les langues et cultures
européennes n’implique pas de vouloir leur appliquer le même statut,
les mêmes protections juridiques ou la même position au plan des
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instances politiques. Il est donc légitime de prévoir des régimes
juridiques différenciés selon les langues, selon leurs fonctions dans la
société, l’étendue de leur rayonnement, le nombre des locuteurs, la
place qu’elles ont pu acquérir dans la réalité sociale, etc. La Charte
admet donc, et soutient même, la démarche consistant à ne pas traiter
toutes les langues selon les mêmes règles, à condition de respecter la
situation objective des langues et de procéder à ces distinctions dans le
meilleur intérêt des langues concernées.
Il en résulte que les principes qui animent la Charte se distinguent de
manière significative des instruments juridiques classiques de
prohibition de la discrimination. La Charte abandonne clairement
l’idée que la non-discrimination puisse être atteinte par une
application uniforme de mesures générales. Mais elle reste attachée à
l’idée fondamentale d’un principe d’égalité compris comme signifiant
que chaque langue doit bénéficier du cadre juridique et des meilleures
mesures de promotion correspondant à sa situation.

60
3.2. La Charte et le principe de non-discrimination
La question de la non-discrimination est abordée de manière explicite
à l’article 7-2 de la Charte32. L’aspect le plus important, c’est qu’elle
prend en considération la discrimination qui affecte les langues tout en
admettant des distinctions justifiées. La Charte désigne, comme objet
même de la clause anti-discrimination, la pratique de la langue elle-
même et demande que ne soit entreprise aucune mesure ou action
défavorable à cette pratique.
Chaque État adhérent doit par conséquent examiner sa législation et
s’interroger sur le fait qu’y figurent des éléments qui sont de nature à
influencer négativement la pratique d’une langue régionale ou
minoritaire, indépendamment des effets de ces mesures sur les droits
individuels des locuteurs tels qu’ils sont protégés par d’autres
conventions internationales.
La Charte incite à prendre des mesures particulières et différenciées de
promotion en faveur des langues régionales ou minoritaires sans que
ces mesures ne soient considérées comme des discriminations à
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l’encontre d’autres langues. La préférence pour le traitement
particulier se manifeste tant à travers l’idée que chaque langue
régionale ou minoritaire peut faire l’objet d’un soutien spécifique que
dans les propositions de mesures de promotion spécifiques des
langues régionales ou minoritaires par rapport à la langue officielle.
La Charte ne demande pas de développer les mêmes efforts pour une
langue pratiquée par plusieurs millions d’habitants et pour une langue
qui n’est parlée que par quelques centaines de personnes, même si ces
langues ont également droit au respect. Pour une langue dont le
nombre de locuteurs est très réduit, il peut être légitime que les efforts
déployés par l’État adhérent soient moindres que pour une langue

32
« Les Parties s'engagent à éliminer, si elles ne l'ont pas encore fait, toute
distinction, exclusion, restriction ou préférence injustifiées portant sur la pratique
d'une langue régionale ou minoritaire et ayant pour but de décourager ou de mettre
en danger le maintien ou le développement de celle-ci. L'adoption de mesures
spéciales en faveur des langues régionales ou minoritaires, destinées à promouvoir
une égalité entre les locuteurs de ces langues et le reste de la population ou visant à
tenir compte de leurs situations particulières, n'est pas considérée comme un acte de
discrimination envers les locuteurs des langues plus répandues. »

61
comprenant un grand nombre de locuteurs tous les autres facteurs
étant identiques.
La partie III de la Charte applique cette philosophie et demande aux
États la ratifiant de définir un statut adapté pour chaque langue
relevant de cette partie. De plus, la Charte admet que toutes les
langues régionales ou minoritaires ne sont pas dans une situation
adaptée à la mise en œuvre effective de la partie III. Le comité
d’experts chargé de la mise en œuvre de la Charte a eu fréquemment
l’occasion de souligner que les États ne doivent pas retenir des
modalités uniformes de protection de langues régionales qui sont dans
des situations sensiblement différentes.
De même, en ce qui concerne la détermination des paragraphes
applicables à chaque langue retenue au titre de la partie III, si le choix
des paragraphes par les États pour chaque langue est libre, ce choix ne
doit cependant pas être arbitraire. Les États sont invités à rechercher
les engagements les mieux adaptés au regard de la situation
particulière de chaque langue et compte tenu du contexte qui existe
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dans l’État en question.
La Charte va par ailleurs au-delà du principe d’égalité lorsqu’elle
demande des actions positives en faveur des langues régionales ou
minoritaires, ce qui signifie de prendre des mesures privilégiant une
langue régionale par rapport à la langue plus répandue. Cette mesure
de faveur vise à compenser la faiblesse de la langue régionale et à lui
assurer une meilleure perspective de développement, en vue de
réaliser l’objectif d’intérêt public de sauvegarde de la diversité
linguistique. Par exemple, le nombre d’élèves par classe pour les
filières de la langue régionale sera maintenu plus bas que pour les
filières de la langue plus répandue, afin de créer une attractivité
supplémentaire des premières filières ; des ressources financières
particulières sont mises à la disposition de productions d’œuvres
culturelles en langue régionale ou minoritaire ; les agents publics
locuteurs d’une langue régionale ou minoritaire bénéficieront d’un
droit de priorité pour exercer un emploi dans un territoire où cette
langue pourra être utilisée ; ou enfin, collectivité territoriale et État
consacrent des ressources particulières à la création et au maintien de
radios, télévisions, journaux en langue régionale ou minoritaire, et

62
prennent des mesures spécifiques d’encouragement de production et
de diffusion d’œuvres culturelles en langues régionales ou
minoritaires…
Ces différentes mesures spécifiques de soutien sont proposées par la
Charte aux États et l’article 7-2 précise que ces mesures ne doivent
pas être considérées comme des mesures discriminatoires envers les
locuteurs des langues plus répandues.

Conclusion
Quel est en fin de compte l’apport du principe de non-discrimination
pour la protection des langues régionales et minoritaires ? On a vu que
le principe de non-discrimination se ramène en pratique à la
prohibition de mesures arbitraires. Mais la compréhension de ce qui
est arbitraire est variable et incertaine, de sorte que la protection que
les langues régionales peuvent retirer d’une notion aussi incertaine est
aléatoire et souvent décevante.
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C’est pourquoi il faut, comme le fait la Charte, aller au-delà du
principe de non-discrimination en préconisant des mesures
particulières en faveur des langues régionales ou minoritaires. Mais
afin de ne pas tomber dans le travers de créer de ce fait une nouvelle
forme d’inégalité entre les locuteurs des diverses langues d’un même
État, il y a lieu, comme le fait la Charte, d’organiser une protection
particulière concernant l’ensemble des langues elles-mêmes en tant
que richesse commune.

Bibliographie
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
Encrevé P., Guillorel H. et Woehrling J.-M. (2003), « Quelle a été la
politique de l’État français à l’égard des langues depuis cinquante
ans ? – La Charte : conceptions et perspective françaises », Langues
régionales : langues de France, langues d’Europe, Éditions de la
Bibliothèque publique d’information, pp. 14-30.

63
Higgins N. (mars 2003), “The Right to Equality and Non-
Discrimination With Regard to Language”, Murdoch University
Electronic Journal of Law, vol. 10, n° 1.
Martel P. (1994), « Les langues de France et l’Europe », Revue
internationale d’éducation de Sèvres, n° 3.
Paz M. (2013), “The Failed Promise of Language Rights : A Critique
of the International Language Rights Regime”, Harvard International
Law Journal, vol. 54, n° 1.
Viaut A. (2002), « Apport et réception française de la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires : approche
sociolinguistique », Revue d’études comparatives Est-Ouest, n° 33/1,
pp. 9-48.
de Witte B. (déc. 1995), “Lingustic equality a study in comparative
constitucional law”, Revista de Llengua i Dret, n° 6.
Woehrling J.-M. (2005), La Charte européenne des langues
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régionales ou minoritaires. Un commentaire analytique, Éditions du
Conseil de l’Europe.

64
« LA SEULE PROHIBITION DE COMPORTEMENTS
NÉGATIFS N’EST ACTUELLEMENT PLUS SUFFISANTE
POUR SAUVEGARDER CES LANGUES AFFAIBLIES. IL
FAUT OBTENIR DES AUTORITÉS PUBLIQUES DES
ENGAGEMENTS POSITIFS, UNE POLITIQUE ACTIVE DE
SOUTIEN ET DE PROMOTION À L’ÉGARD DE CES
LANGUES. »

JEAN-MARIE WOEHRLING
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