C. Fattaccini, Le Rôle de L'avocat À La Cour de Cassation 2030

LE RÔLE DE L'AVOCAT À LA COUR DE CASSATION 2030
Carole Fattaccini
Dalloz | « Les Cahiers de la Justice »
2022/4 N° 4 | pages 641 à 648

ISSN 1958-3702
ISBN 9782996222048
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[] DOSSIER
Le rôle de l’avocat à la Cour de cassation 2030

par Carole Fattaccini
Carole Fattaccini, Avocate aux conseils.
Mots clés | COUR DE CASSATION – Avocats aux conseils – Technique de cassation – Procédure interactive
ouverte – Intervention volontaire d’un tiers
La Cour de cassation a connu et impulsé des évolutions profondes depuis sa création, relevant notam-
ment le défi de l’internationalisation du droit. Le rapport de la commission de réflexion sur la Cour de
cassation 2030, s’il ne remet pas en cause la technique de cassation, bien que suggérant de donner plus
de place aux faits en aval de la décision (traitement de l’urgence, procédure interactive ouverte) et en
amont de la cassation (élargissement de la cassation sans renvoi), répond à une quête de légitimité, en
proposant des moyens de rendre plus accessible le processus décisionnel, complétant en cela le travail
pédagogique de l’avocat à la Cour de cassation et facilitant son action pour les droits de la défense.
The lawyer’s role at the Court of Cassation 2030
The Court of Cassation has seen and driven some far-reaching changes since it was created, many of
which have concerned the internationalisation of the law. The report of the Study Committee on the
Court of Cassation in 2030, while it does not call into question the technique of cassation – although
it does suggest taking more account of the events prior to the decision (treatment of urgent situations,
open interactive procedure) and after the cassation (extension of the quashing of judgments without a
referral back to a lower court) –, responds to a search for legitimacy by proposing ways of making the
decision-making process more accessible, thereby complementing the educational role of the lawyer at
the Court of Cassation and facilitating their work of defending the rights of the defence.
L
’institution appelée successi- impulsé des évolutions profondes. À s’en
vement Conseil des parties, tenir à l’époque où elle portait déjà ce nom,
Tribunal de cassation établi la Cour de cassation a été maîtresse de l’exé-
auprès du corps législatif 1, puis gèse jusqu’à la fin du xixe siècle et a su faire
Cour de cassation 2, a connu et ensuite évoluer le droit privé « au-delà du
1. Art. 1er de la loi des 27 nov./1er déc. 1790. À l’époque du Tribunal de cassation, les avocats aux conseils n’eurent pas de
monopole de représentation, mais grand nombre d’entre eux occupèrent les fonctions nouvellement créées d’avoués près le
Tribunal de cassation. V. G. J. Guglielmi, cité supra note 1.
2. Sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII, art. 136.
Les Cahiers de la justice - # 2022/4 641 []

Dossier Le rôle de l’avocat à la Cour de cassation 2030
code civil, mais par le code civil », selon la nique de cassation. La quête de légitimité
célèbre expression de Saleilles 3. Bien avant de la Cour de cassation est en revanche au
le Conseil d’État, elle a relevé en 1975 le centre du rapport.
défi de l’internationalisation du droit en
reconnaissant la supériorité des traités sur
le droit interne. I – Le rapport et la technique
La nécessité en résultant de tenir de cassation
compte des droits fondamentaux n’a pas été
étrangère au fait que, depuis une trentaine Le rapport propose d’enrichir la tech-
d’années, elle assume de plus en plus pleine- nique de cassation, sans aucunement envi-
ment son rôle normatif. Ce qui a notamment sager sa suppression. Mais au moins une des
conduit la Cour de cassation à moduler dans propositions pourrait peut-être influer sur
le temps ses revirements de jurisprudence 4, cette technique à préserver.
à expliquer ses décisions de principe par une
motivation enrichie et à exercer le contrôle A – Une technique enrichie
de proportionnalité qu’imposent désormais La technique de cassation s’est
des principes supérieurs à la loi 5. construite autour de la distinction du fait
Une nouvelle étape semble devoir être et du droit. En principe, la Cour de cassation
franchie avec le « rapport de la commission « ne connaît pas du fond de l’affaire », elle
de réflexion sur la Cour de cassation 2030 » ne juge que l’application du droit par la
qui décline trente-sept propositions ordon- décision déférée. Cela ne signifie nullement
nées en trois thèmes : que les faits soient absents de la procédure
- une Cour suscitant l’adhésion à son de cassation.
autorité ; La distinction entre les contrôles
- une Cour à la hauteur de la complexité lourd et léger, le contrôle de base légale, le
du droit ; contrôle de motivation ou encore le contrôle
- une Cour visible, intelligible, de dénaturation constituent autant de leviers
accessible. permettant de déplacer le curseur, toujours
Du point de vue de l’avocat à la Cour de en mouvement, entre le fait et le droit 6.
cassation, il est frappant de constater que le C’est la Cour de cassation elle-même qui,
rapport n’évoque pas explicitement la tech- dans une large mesure, détermine le contenu
3. Préface, in F. Gény, Méthodes d’interprétation et sources en droit positif, Paris, 1919, p. XXV.
4. L’annexe 1.13 présente un état des lieux de cette jurisprudence.
5. S. Guinchard, F. Ferrand et T. Moussa, Une chance pour la France et le droit continental : la technique de cassation,
vecteur particulièrement approprié au contrôle de conventionnalité, D. 2015. 278.
6. « Entre la règle de droit à l’état brut et le fait pur on peut imaginer qu’un curseur se déplace plus ou moins pour fixer
les domaines respectifs de ces deux éléments », J.-L. Aubert, La distinction du fait et du droit dans le pourvoi en cassation
en matière civile, D. 2005. 1115.
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Le rôle de l’avocat à la Cour de cassation 2030 Dossier
de cette distinction, avec une souplesse qui sation pour décider de radier ou non un
a d’ailleurs toujours permis à la Cour de pourvoi, qui n’est par principe pas suspensif.
cassation de s’adapter à l’évolution du droit, Faits sociaux ensuite, notamment 9 au
en dernier lieu avec le contrôle de pro- travers de l’instauration d’une « procédure
portionnalité. Toute la complexité de la interactive ouverte ». L’on sait que, depuis
technique de cassation tient à cet art du longtemps, la Cour de cassation s’ouvre dis-
positionnement du curseur. 7. crètement à la cité, notamment à travers
Le rapport ne propose pas de toucher son parquet général. Les avocats généraux
à ces leviers traditionnels. Il propose en « peuvent puiser à toutes les sources, recueil-
revanche d’agrémenter la procédure de cas- lir des documents, consulter des spécialistes,
sation de nouvelles possibilités de prise en entendre des organisations professionnelles,
compte des faits. s’informer des solutions de nos voisins […] Ils
En amont de la décision, c’est un enri- peuvent aussi interroger les ministères » 10.
chissement indéniable. Le rapport propose Le recours à un amicus curiae, désormais
ainsi de tenir compte des faits de l’espèce prévu à l’article L. 431-3-1 du code de l’or-
d’abord, à travers la proposition tendant à ganisation judiciaire 11, n’est pas seulement
« mieux identifier et développer le circuit une source d’informations pour le juge ; il
de l’urgence de la Cour » 8. Cette propo- est également, comme le sera la « procédure
sition pourrait impliquer « le pouvoir de interactive ouverte », une « source impor-
prononcer des mesures provisoires durant tante de légitimité » 12.
l’instance se déroulant devant elle, en cas Une telle ouverture de la Cour de cassa-
d’atteinte grave et immédiate à une liberté tion à la cité pour trancher des questions de
fondamentale ». principe à fort enjeu sociétal est un corollaire
Ce serait là un prolongement de la bienvenu de la reconnaissance du pouvoir
procédure de l’article 1009-1 du code de normatif dont elle dispose, en l’absence de
procédure civile dans le cadre de laquelle solution découlant clairement de la loi. Et
les incidences concrètes de l’inexécution tel est aujourd’hui régulièrement le cas quand
de la décision attaquée sont examinées par il s’agit de mettre en œuvre des droits fon-
le premier président de la Cour de cas- damentaux ou des valeurs fondamentales 13.
7. Sur cette question, v. ég. J.-L. Aubert, Le fait et la Cour de cassation, in Mél. Philippe Simler, Litec et Dalloz, 2007,
p. 843 ; Ph. Blondel, Le fait, source de droit, in Mél. Drai, Dalloz, 2000, p. 203 ; D. Louis-Caporal, Réflexions sur l’avenir de
la distinction du fait et du droit au Quai de l’horloge, in Mél. Marie-Laure Mathieu, Bruylant, 2019, p. 447 s.
8. Proposition no 23 développée au 3.2.2.3.
9. Signalons également la proposition no 18 d’assurer une veille intellectuelle sur des « sujets d’intérêt public majeur ».
10. M. Jéol, Discours, audience de rentrée 1995, site de la Cour de cassation.
11. Issu de la loi no 2016-1547 de modernisation de la justice du xxie siècle #J21 du 18 nov. 2016.
12. P. Deumier, Rép. Civ., Jurisprudence – Élaboration de la jurisprudence, no 66.
13. Ch. Soulard, Le juge et les valeurs fondamentales : pour une éthique de la discussion, Cah. just. 2002. 65.

À l’instar du législateur, la Cour de L’article 1015 du code de procédure

cassation, quand elle crée du droit, doit civile, dans sa rédaction issue du décret
« rechercher le droit dans le fait » 14, c’est- no 2017-396 du 24 mars 2017 16, prévoit
à-dire arbitrer entre les intérêts en présence. que la Cour de cassation peut « demander
Et cela suppose que la Cour en ait une aux parties de communiquer, dans le respect
connaissance précise. En revanche, en aval du principe de la contradiction et selon les
de la cassation, une décision qui porterait à modalités qu’ils définissent, toute pièce utile
la fois sur les faits et le droit pourrait influer à la décision sur le fond envisagée ». Ces
sur la technique de cassation, qui doit être textes ouvrent donc déjà la possibilité pour
préservée. la Cour de cassation de se livrer elle-même
à des investigations de fait pour trancher
B – Une technique à préserver le litige au fond après cassation 17.
Les dispositions de l’alinéa 2 de l’ar- Le rapport propose de « faire que le
ticle L. 411-3 du code de l’organisation pourvoi en cassation soit pleinement une
judiciaire, issues de l’article 38 de la loi voie d’achèvement […] en étendant le
« J21 » du 18 novembre 2016, permettent champ de la cassation sans renvoi » 18. La
commission, « tout en ayant conscience
« À l’instar du législateur, la Cour de cassation,
des difficultés de l’exercice, pour une Cour
quand elle crée du droit, doit "rechercher le droit
[
dans le fait", c’est-à-dire arbitrer entre les intérêts appelée généralement à statuer uniquement
en présence. Et cela suppose que la Cour en ait sur des questions de droit, souhaite encou-
une connaissance précise. En revanche, en aval
rager l’usage de cette possibilité par la Cour
de la cassation, une décision qui porterait
à la fois sur les faits et le droit pourrait influer de cassation dans deux situations : d’une
sur la technique de cassation, qui doit être préservée. » part, "dans des matières qui nécessitent,
par nature, un traitement rapide (famille et
à la Cour de cassation, en matière civile, état des personnes, surendettement, procé-
de statuer au fond « lorsque l’intérêt d’une dures collectives, référé)" et, d’autre part,
bonne administration de la justice le jus- comme le fait le Conseil d’État, "pour des
tifie » 15. motifs de politique jurisprudentielle", lors-
14. Expression heureuse utilisée par F. Zenati-Castaing, La juridictionnalisation de la Cour de cassation, RTD civ. 2016. 511,
à propos de l’amicus curiae.
15. Sur cette réforme, v. E. Piwnica, Commentaire des dispositions de la loi J21 relatives à la Cour de cassation, Gaz. Pal.
31 janv. 2017, no 285b2, p. 76 ; S.-L. Texier, Réflexions sur le règlement du litige au fond par la Cour de cassation, D. 2017.
63 ; F. Ferrand, La Cour de cassation dans la loi de modernisation de la justice du xxie siècle, JCP 2016. 1407 ; L. Cadiet,
La loi « J21 » et la Cour de cassation : la réforme avant la réforme ?, Procédures 2/2017. Étude 3.
16. Le décret no 2021-1341 du 13 oct. 2021 a apporté de nouvelles modifications à ce texte qui sont étrangères à la
question étudiée.
17. L’article L. 411-3 COJ n’exigeant pas de cassation préalable au jugement sur le fond, v. à ce propos B. Massignon et
R. Maman, Le règlement au fond devant la Cour de cassation, Just. et cass. 2020. 423.
18. Proposition no 17 avec des explications au 3.1.1.4.2.

qu’elle entend montrer par une application Mais cette règle de droit, impersonnelle, ne
concrète la portée qu’elle veut donner à sa se confondra pas avec le fait, contingent à
jurisprudence ». chaque affaire.
La commission n’a certes pas suivi En incitant les parties – car ce sera
l’opinion du premier président Canivet, l’effet nécessairement induit – à former des
qui, dans son audition annexée au rapport 19, pourvois, persuadées qu’elles auront à leur
a proposé d’interpréter aussi largement que disposition un troisième degré de juridiction
possible les nouvelles dispositions de l’ar- capable de corriger les erreurs factuelles et
ticle L. 411-3, alinéa 2, du code de l’orga- les injustices qu’elles imputent aux juges
nisation judiciaire. La cassation avec renvoi du fond, les faits s’immisceront inélucta-
« deviendrait l’exception » 20. Il serait en blement dans le contrôle de cassation tel
quelque sorte présumé qu’il est dans l’intérêt qu’il est opéré aujourd’hui.
d’une bonne administration de la justice de La technique de cassation, qui seule
juger l’affaire au fond. permet à la Cour de cassation de jouer son
La détermination des contours de la rôle unificateur et régulateur, s’en trouverait
notion de l’intérêt d’une bonne administra- atteinte.
tion de la justice est, quoiqu’il en soit, un Il est d’ailleurs remarquable que la Cour
enjeu de taille. Car si la Cour de cassation de cassation n’ait jusqu’à présent fait qu’un
devait devenir sa propre cour de renvoi, la usage marginal de cette faculté de casser
technique de cassation fondée sur la distinc- sans renvoi et de juger l’affaire au fond dans
tion du fait et du droit pourrait perdre sa l’intérêt d’une bonne administration de la
raison d’être. Il y a entre le fait et le droit justice 21, en la réduisant à des hypothèses
une différence fondamentale de nature car extrêmement limitées (ancienneté du litige
le fait est par lui-même insusceptible de et/ou question à juger circonscrite et/ou
créer la règle de droit ainsi que l’énonçait faits évidents).
le philosophe Gabriel Marcel : « On ne Il apparaît en tout cas nécessaire d’en-
peut pas déduire du nombre de vols, le cadrer le développement, si développement
droit au vol et du nombre d’agressions le il doit y avoir, de la pratique de la cassation
droit au meurtre. » sans renvoi. Sous le bénéfice de cette obser-
La formulation d’une règle de droit vation, l’avocat à la Cour de cassation ne
exige toujours un jugement de valeur, peut qu’approuver et accompagner la Cour
d’ordre éthique, politique ou social qui de cassation 2030 dans la mise en œuvre
variera selon les temps et selon les pays. des nouvelles techniques proposées.
19. Annexe 2.3.

20. Audition en annexe 2.3, p. 10.
21. Entre janvier et juin 2022, on en compte sur Legifrance 177, soit environ un tiers de l’ensemble des décisions en ce sens
rendues depuis l’entrée en vigueur du texte en 2016.

II – L’avocat à la Cour de et de « rendre progressivement plus fréquente la

cassation et la légitimité de la publication du rapport du conseiller rapporteur
Cour de cassation 2030 et de l’avis de l’avocat général » 23.
Une telle prise en main par la Cour de
S’agissant de la légitimité de la Cour de cassation de sa propre communication pro-
cassation auprès des justiciables et du public longera une mission que l’avocat à la Cour
spécialisé, l’avocat à la Cour de cassation a de cassation assume traditionnellement. Par
toujours joué un rôle important, en expliquant la connaissance qu’il a de la technique de
la mission et le fonctionnement de la Cour cassation, l’avocat à la Cour de cassation a
de cassation et sa jurisprudence. toujours été un interprète privilégié de la juris-
Par la nature des choses, il n’entre pas prudence de la Cour de cassation. Au service
dans le rôle de l’avocat à la Cour de cassation de ses clients et de ses correspondants bien
d’impulser la recherche d’une légitimité accrue sûr, auxquels il transmet d’ailleurs systémati-
de la Cour de cassation auprès du grand public, quement, dans les affaires qui les concernent,
recherche dont le rapport souligne l’importance. le rapport du conseiller rapporteur et l’avis
Il l’accompagnera néanmoins, en particulier dans de l’avocat général, mais également vis-à-vis
le cadre des procédures interactives ouvertes. du public, surtout spécialisé.
Souvent en agissant de son initiative indi-
A – L’avocat pédagogue viduelle, estimant que cette mission fait partie
Le rapport fait de nombreuses proposi- intégrante de sa charge 24. Mais aussi à travers
tions tendant à mieux faire connaître la Cour son Ordre, notamment avec sa revue théma-
de cassation et son fonctionnement. tique annuelle « Justice et cassation », qui met
Il propose ainsi de « renforcer substan- en lumière des sujets à fort intérêt général tels
tiellement les moyens matériels et humains que, pour ne citer que quelques parutions, la vie
du service de communication », de « doter la privée, la laïcité, l’égalité, la santé, revue dans
Cour d’une fonction de porte-parole » et de laquelle quelques décisions phares de l’année
« créer la Web TV de la Cour » 22. Le rapport rendues par la Cour de cassation sur le thème
propose également d’« utiliser plus souvent la abordé sont mises en lumière et accompagnées
motivation enrichie, en y intégrant non seu- du rapport du conseiller rapporteur et de l’avis
lement la dimension juridique de l’arrêt mais de l’avocat général. Ou encore lorsque l’Ordre
également des explications destinées à faciliter des avocats au Conseil d’État et à la Cour de
sa compréhension par le plus grand nombre » cassation organise des conférences ou participe
22. Propositions 34 à 36.

23. Propositions 3 et 22.
24. Les publications des confrères cités dans cette contribution en témoignent. Il convient de rappeler en outre, à titre
d’exemple particulièrement illustre, le rôle de l’avocat aux conseils Désiré Dalloz. V. not. le bel ouvrage de Thibault de Ravel
d’Esclapon, Désiré Dalloz, Dalloz, 2019.

à des colloques propres à diffuser et à éclairer sion finalement prise soit « abstraitement et
la jurisprudence de la Cour de cassation. impersonnellement juste, mais concrètement
La Cour de cassation 2030 et l’avocat à injuste » 27. L’avocat à la Cour de cassation
la Cour de cassation se compléteront donc
]
« La dimension politique incompressible de la
utilement. fonction de juger a été trop occultée par le passé. En
La dimension politique incompressible de l’assumant davantage, la Cour de cassation renforcera
la fonction de juger a été trop occultée par la légitimité des normes jurisprudentielles. »
le passé. En l’assumant davantage, la Cour de
cassation renforcera la légitimité des normes pourra d’autant mieux contribuer à ce qu’il n’en
jurisprudentielles 25. C’est la meilleure réponse soit pas ainsi si les termes du débat sont exposés
au spectre du « gouvernement des juges » 26 publiquement. Cependant, les modalités de
encore trop souvent agité dans le débat public. cette ouverture envisagée posent question. Le
rapport indique que « les conditions de receva-
B – L’avocat interactif bilité des interventions volontaires pourraient
La nouveauté dans l’idée de recourir à une être assouplies ». Elles sont pour l’instant relati-
« procédure interactive ouverte » ne réside pas vement strictes 28. Un tel assouplissement n’est
tant dans la prise en compte des faits sociaux, sans doute pas absolument indispensable pour
que dans la manière d’opérer de façon trans- la mise en place de la procédure interactive
parente. C’est assurément une bonne nouvelle ouverte, dans laquelle la volonté d’ouvrir le
pour le respect des droits de la défense. débat vient de la Cour de cassation elle-même.
En effet, le risque existe que la focalisation La formule de l’article L. 431-3-1 du code
du débat sur des enjeux sociétaux fasse perdre de l’organisation judiciaire (« toute personne
de vue les éléments du dossier et que la déci- dont la compétence ou les connaissances sont
25. « Une juridiction démocratique est celle qui tient sa légitimité moins du statut institutionnel de ses juges (le concours)
que de la motivation de ses décisions, celle-ci devant être à la fois remise sur le métier à intervalles réguliers et exprimée
en des termes accessibles au plus vaste auditoire possible, afin d’autoriser un éventuel débat public. En définitive, en tenant
mieux compte des faits, la Cour de cassation a des chances de se démocratiser », Ph. Jestaz, J.-P. Marguénaud et Ch. Jamin,
Révolution tranquille à la Cour de cassation, D. 2014. 2061.
26. L’expression, forgée par E. Lambert, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis (1921),
connaît un succès singulier depuis l’émergence des droits fondamentaux en France. Pour une analyse critique remarquable de
la notion, v. D. de Béchillon, Le gouvernement des juges : une question à dissoudre, D. 2002. 973.
27. Crainte exprimée par J. Théron, La Cour de cassation, garante de l’État de droit, JCP 2021. 794.
28. Elles doivent appuyer les prétentions d’une partie, ce qui pose un problème lorsque, comme dans l’affaire Mennesson,
le ministère public partie à l’instance ne formule aucune prétention. De plus, l’intérêt à agir du tiers intervenant est entendu
strictement. V., par ex., Civ. 2e, 22 janv. 2009, no 07-20.140, Caisse d’épargne et de prévoyance de Midi-Pyrénées (Sté) c/
Caisse nationale du régime social des indépendants, D. 2009. 572 ; JCP S 2009, no 1204, obs. G. Vachet (« Attendu que le
pourvoi formé par la caisse d’épargne et de prévoyance de Midi-Pyrénées est dirigé contre un arrêt qui a rejeté sa demande
tendant au remboursement d’une somme versée au titre de la contribution sociale de solidarité des sociétés ; que le MEDEF
ne justifie pas d’un intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir la partie demanderesse au pourvoi »). V. ég. Civ. 1re,
11 mai 2016, no 15-18.731 P, D. 2016. 1545, note J.-F. Martini et K. Parrot ; ibid. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F.
Jault-Seseke ; RTD civ. 2016. 587, obs. J. Hauser ; D. actu. 25 mai 2016, obs. M. Kebir ; Soc., 10 mars 2010, no 08-44.964,
FS-P+B, JCP Soc. 2010. 1237, note S. Brissy ; Soc. 6 juill. 2016, no 15-12.188 P.

de nature à éclairer utilement [la cour] sur la L’avocat à la Cour de cassation qui
solution à donner à un litige ») est en effet souhaiterait renforcer son argumentation en
suffisamment compréhensive pour entendre sollicitant l’intervention volontaire d’un tiers
toute sorte d’intervenant que la Cour de cas- devrait pouvoir le faire, tout comme les tiers
sation souhaite entendre. qui souhaitent peser sur une décision de prin-
Un élargissement des possibilités de tierce cipe, quand bien même l’affaire ne serait pas
intervention n’en est pas moins souhaitable. éligible à la procédure interactive ouverte.
L’amicus curiae (« l’ami de la cour ») est choisi Cette hypothèse resterait sans aucun doute
par la Cour. Il n’intervient ni de sa propre ini- exceptionnelle, mais elle n’est pas à exclure.
tiative ni à la demande des parties. Or, l’esprit
d’ouverture qui devrait animer la procédure
interactive ouverte peut sembler s’opposer à ***
ce que la Cour de cassation choisisse seule
qui elle accepte d’entendre. Le rapport de la commission de réflexion
Bien sûr, cela ne lui interdit nullement sur la Cour de cassation 2030 propose l’évolu-
d’écarter des interventions de personnes qui tion d’une institution qui se comprend claire-
n’ont pas d’intérêt légitime, entendu largement comme la bouche du Droit et non uni-
ment, à intervenir. L’intervention volontaire quement comme celle de la loi, selon ce que
aux conditions élargies serait cependant un préconisait Montesquieu dans l’Esprit des lois.
moyen procédural plus démocratique d’écouter S’il est incontestable que la Cour de
des avis extérieurs, plus respectueux de l’égalité cassation ne peut rester sourde à son envi-
des armes que ne l’est le recours à l’amicus ronnement, que la transparence répond à un
curiae. Ces deux mécanismes n’étant bien sûr besoin légitime de comprendre, qui permet
pas exclusifs l’un de l’autre. d’accepter, l’adaptation ne doit pas aller jusqu’à
En outre, le choix d’avoir recours à la pro- une perte d’identité. En particulier, la tech-
cédure interactive ouverte ne coïncidera pas nique de cassation, forgée par un pouvoir royal
nécessairement avec l’existence d’un intérêt à absolu, mais maintenue sous la Révolution et
ouvrir le débat à des intervenants extérieurs. affinée depuis, demeure « une chance pour la
Si l’on veut être cohérent, il faut admettre que France et le droit continental » 29.
des affaires soulevant des questions de principe, La Cour de cassation doit continuer à
mais qui n’intéressent pas pour autant un large assurer avec efficacité sa fonction essentielle
public ou dans lesquelles les parties s’oppose- de juge du droit, tout en gagnant en légiti-
raient à la procédure interactive ouverte en mité. Les propositions d’évolutions faites par
raison de sa médiatisation, peuvent également le rapport, en ce qu’elles vont en ce sens,
mériter une ouverture du débat. sont à saluer.
29. S. Guinchard, F. Ferrand et T. Moussa, op. cit., note 5.

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Le rôle de l’avocat à la Cour de cassation 2030

Carole Fattaccini, Avocate aux conseils.

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[] 642 Les Cahiers de la justice - # 2022/4

Les Cahiers de la justice - # 2022/4 643 []

À l’instar du législateur, la Cour de L’article 1015 du code de procédure

[] 644 Les Cahiers de la justice - # 2022/4

19. Annexe 2.3.

Les Cahiers de la justice - # 2022/4 645 []

II – L’avocat à la Cour de et de « rendre progressivement plus fréquente la

22. Propositions 34 à 36.

[] 646 Les Cahiers de la justice - # 2022/4

Les Cahiers de la justice - # 2022/4 647 []

29. S. Guinchard, F. Ferrand et T. Moussa, op. cit., note 5.

[] 648 Les Cahiers de la justice - # 2022/4

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