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Compétence en matière de contrats conclus par les

consommateurs (règlement Bruxelles I)


Christelle Chalas
Dans Revue critique de droit international privé 2016/3 (N° 3), pages 485 à 492
Éditions Dalloz
ISSN 0035-0958
ISBN 9782995416035
DOI 10.3917/rcdip.163.0485
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JURISPRUDENCE

Compétence en matière de contrats conclus


par les consommateurs (règlement Bruxelles I)

Christelle Chalas
Maître de conférences à l’Université Paris VIII

Alors que le règlement (UE) no 1215/2012 que doit satisfaire l’accord litigieux pour
(dit « Bruxelles I bis ») étend le champ être considéré comme un contrat de
d’application personnel des règles de consommation et soumis, comme tel,
compétence spécifiques aux contrats à un régime de compétence juridic-
conclus par les consommateurs, doré- tionnelle dérogatoire destiné à assurer
navant opposables aux professionnels la protection du consommateur partie
domiciliés sur le territoire d’un État tiers faible. Ces conditions remplies, ce der-
à l’Union européenne (art. 18, § 1), la nier est assuré d’être attrait devant le for
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Cour de justice de l’Union européenne de son domicile lorsqu’il est défendeur
(CJUE) inscrit ses arrêts récents dans une à l’action intentée par son cocontractant 485
dynamique d’élargissement du champ professionnel (règl. Bruxelles I, art. 16,
d’application matériel de ces mêmes § 2 ; règl. Bruxelles I bis, art. 18, § 2), et
dispositions (sections 4 des règlements se voit offrir la possibilité d’attraire son
Bruxelles I et Bruxelles I bis). Derniè- cocontractant professionnel devant le
rement, ce sont deux arrêts rendus, for de son propre domicile lorsqu’il est
pour l’un le 23 décembre 2015, par la le demandeur à l’action en justice (règl.
CJUE (aff. C-297/14, Rüdiger Hobohm c/ Bruxelles I, art. 16, § 1 ; règl. Bruxelles
Benedikt Kampik Ltd & Co. KG, Bene- I bis, art. 18, § 1). Sont éligibles à ce
dikt Aloysius Kampik, Mar Mediter- régime juridictionnel de faveur les
raneo Werbe-und Vertriebsgesellschaft contrats visés à l’article 15, § 1, lettres
für Immobilien SL) et, pour l’autre le a) à c), du règlement Bruxelles I, tan-
4 novembre 2015 par la Cour de cassa- dis qu’en sont expressément exclus les
tion (no 14-19.981), qui illustrent cette contrats de transport visés à l’article 15,
dynamique d’élargissement ratione § 3, du même texte (art. 18, § 3). Les
materiae. Pourtant, le législateur euro- deux arrêts précités nous invitent à faire
péen a exclu d’attacher le bénéfice de le point sur les contrats de consomma-
ce régime protecteur de compétence à tion visés par l’article 15, § 1, du règle-
la seule implication d’un consommateur ment Bruxelles I, en particulier sous sa
dans un litige contractuel. Dans une lettre c), disposition dont l’interpréta-
rédaction dont les termes n’ont pas varié tion est la plus complexe (I), et sur les
entre le règlement Bruxelles I et le règle- contrats de transport exclus par l’article
ment Bruxelles I bis, l’article 15, § 1, du 15, § 3, disposition dont la simplicité
règlement Bruxelles I (règl. Bruxelles n’exclut pas l’interprétation (II).
I bis, art. 17, § 1) pose les conditions

Rev. crit. DIP - D - juillet-septembre 2016


JURISPRUDENCE Chronique

I – Les contrats de consommation visés (art. 15, § 1)

Pour que le consommateur, agissant est entourée de suffisamment d’incer-


en justice contre son cocontractant pro- titude pour avoir concentré en premier
fessionnel, puisse profiter de la compé- lieu l’attention des juges et de la doc-
tence dérogatoire qui lui est offerte, à trine. Dans l’arrêt Pammer et Hotel
titre de protection, au for de son domicile Alpenhof (CJUE 7 déc. 2010, aff. jtes
par l’article 16, § 1, du règlement (CE) C-585/08, Peter Pammer et C-144/09,
no 44/2001 (Bruxelles I), il faut que les KG Hotel Alpenhof, Rev. crit. DIP 2011.
conditions posées à l’article 15, § 1, de 414, note O. Cachard ; RJ com. 2011. 250,
ce même texte soient remplies. Réguliè- obs. M.-E. Ancel ; Europe 2011. Comm.
rement rappelées par la Cour de justice, 96, L. Idot ; D. 2010. 5, obs. C. Manara ;
ces conditions sont au nombre de trois : D. 2011. 1381, obs. F. Jault-Seseke, 2373
le consommateur, pour être considéré obs. P.T.G. et 2441, obs. S. Bollée ; JCP
comme tel, doit avoir agi dans un cadre 2011. 129, note L. d’Avout), la Cour de
pouvant être considéré comme étranger justice a consacré la méthode dite de la
à son activité professionnelle ; un contrat « focalisation » (O. Cachard, note préc.,
doit effectivement avoir été conclu entre p. 431) selon laquelle l’activité profes-
le consommateur et le professionnel ; sionnelle est réputée « dirigée vers »
ledit contrat doit relever de l’une des le pays du consommateur lorsque le
catégories visées au paragraphe 1, sous professionnel, animé de la volonté
a) à c), de l’article 15. manifeste de démarcher les consom-
mateurs dudit pays, a procédé à un
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Chacune de ces conditions a fait déjà ciblage délibéré de ces derniers, ce
486 l’objet d’une interprétation de la part de que la simple accessibilité à son site
la Cour de justice, mais l’article 15, § 1 internet ne permet pas d’établir. Pour
sous la lettre c), est le volet de la dispo- autant, dans un arrêt ultérieur (CJUE aff.
sition qui a le plus mobilisé sa jurispru- C-218/12, 17 oct. 2013, Lokman Emreck
dence. Il prévoit l’élargissement, sous c/ Vlado Sabranovic, Rev. crit. DIP 2014.
condition, des règles de compétence 630, O. Boskovic ; D. 2014. 1977, obs.
spéciale protectrices du consommateur L. d’Avout), la Cour de justice a précisé
aux contrats de consommation innomés, que l’article 15, § 1, sous c), n’exige pas
c’est-à-dire qui ne relèvent pas de ceux l’existence d’un lien de causalité entre
qui sont spécialement visés en a) et b). le moyen employé pour « diriger » l’ac-
Indifférente à la nature de l’obligation tivité « vers » l’État membre du domi-
essentielle, la mise en œuvre de l’article cile du consommateur et la conclusion
15, § 1 sous c), ne se contente pas, au du contrat avec ce dernier. Lorsqu’il
demeurant, de la seule implication d’un existe, un tel lien de causalité consti-
consommateur dans le litige contractuel, tue, en revanche, l’un des indices d’une
mais exige la réunion de deux éléments. activité « dirigée vers » l’État membre
D’une part, le professionnel doit exer- du domicile du consommateur (points
cer ses activités dans l’État membre du 26 et 29 de l’arrêt Lokman Emreck,
domicile du consommateur, ou encore, préc.). Le lien de causalité vient ainsi
les « diriger vers » cet État et, d’autre s’ajouter à la liste des indices permet-
part, le contrat à l’origine du litige doit tant d’établir que la condition liée à la
entrer dans le cadre de telles activités. direction de l’activité est remplie. C’est
tout du moins ce qui ressort des motifs
Spécialement introduite dans le règle- de l’arrêt Lokman Emreck précité, car
ment Bruxelles I pour tenir compte des dans le dispositif de ce même arrêt,
impératifs du commerce électronique, « l’existence d’un tel lien de causalité
la notion d’activité « dirigée vers » l’État constitue un indice du rattachement du
membre du domicile du consommateur contrat à une telle activité ».

juillet-septembre 2016 - D - Rev. crit. DIP


Chronique JURISPRUDENCE

Un glissement s’opère, alors, vers la l’appartement a été remise à M. Kam-


seconde condition de l’article 15, § 1 c), pik et, au cours de l’année 2009, les
selon laquelle le contrat conclu entre époux Hobohm ont versé à M. Kampik un
le consommateur et le professionnel montant supplémentaire de 1 448,72 €.
qui dirige ses activités vers le pays du Des désaccords étant survenus entre les
domicile du premier « doit entrer dans parties au contrat de gestion d’affaires à
le cadre de telles activités ». Négligée, la suite de la faillite du promoteur, les
qualifiée même « de tout à fait secon- époux Hobohm ont révoqué la procura-
daire » par rapport à la condition princi- tion qu’ils avaient accordée à M. Kampik
pale de la direction de l’activité (O. Bos- et ont saisi la juridiction allemande du
kovic, note sous Lokman Emreck, réf. ressort de leur domicile d’une demande
préc., p. 637), cette condition fait enfin de remboursement des sommes ver-
l’objet d’une application intéressante sées. Le premier juge s’est déclaré
dans le dernier arrêt de la Cour de jus- incompétent et l’absence de compétence
tice portant sur l’interprétation de l’ar- territoriale a été confirmée en appel au
ticle 15, § 1 c), du règlement Bruxelles I motif que le contrat de gestion d’affaires
(CJUE 23 déc. 2015, aff. C-297/14, Rüdi- ne pouvait pas être directement rattaché
ger Hobohm c/ Benedikt Kampik Ltd & à l’activité d’intermédiaire « dirigée »
Co. KG, Benedikt Aloysius Kampik, Mar par M. Kampik « vers » l’Allemagne au
Mediterraneo Werbe-und Vertriebsge- sens de l’article 15, § 1 c), du règle-
sellschaft für Immobilien SL). ment Bruxelles I. Le recours en révision
introduit contre cette décision a conduit
Les faits à l’origine du litige étaient les la Cour fédérale de justice (Bundes-
suivants : au cours de l’année 2005, gerichtshof) à observer que le contrat
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les époux Hobohm domiciliés en Alle- de courtage, pour sa part, remplit les
magne ont conclu avec M. Kampik, qui conditions de l’article 15, § 1 c) en tant 487
exerce ses activités professionnelles qu’il a été conclu dans l’exercice de
en Espagne, un contrat de courtage l’activité de M. Kampik « dirigée vers »
pour l’acquisition d’un appartement au l’État membre du domicile des époux
sein d’un complexe touristique situé en Hobohm. En revanche, selon la juri-
Espagne. Les appartements ont été com- diction de renvoi, le contrat de gestion
mercialisés, notamment en Allemagne, d’affaires, considéré isolément, n’entre
au moyen d’un prospectus rédigé en pas dans le cadre d’une telle activité.
langue allemande. En juin 2006, le pro- Toutefois, la juridiction allemande relève
moteur du complexe touristique, Kampik qu’il existe un « lien matériel décisif »
Immobilien KGen, en qualité de vendeur, entre l’activité d’intermédiaire immobi-
et les époux Hobohm, en qualité d’ache- lier « dirigée » par M. Kampik « vers »
teurs, ont conclu le contrat de vente de l’Allemagne et la conclusion du contrat
l’appartement. Après l’acquittement des de gestion d’affaires ; ce lien découle-
deux premières tranches du prix d’achat, rait de la circonstance que le contrat
le promoteur a rencontré des difficultés de courtage et le contrat de gestion
financières qui ont compromis l’achè- d’affaires poursuivent le même objectif
vement des travaux de construction du économique. Pour lever l’ambiguïté, la
complexe touristique. M. Kampik a alors Cour allemande a préféré adresser à
proposé aux époux Hobohm de réaliser la Cour de justice une question préjudi-
les travaux de finition de leur appar- cielle portant sur l’application combinée
tement. Les époux se sont rendus en des articles 15, § 1 c), et 16, § 1, dans la
Espagne où ils ont signé avec M. Kampik situation qui vient d’être décrite.
un contrat de gestion d’affaires sous
la forme d’une procuration notariée lui La Cour de justice doit donc examiner,
confiant le soin de défendre leurs inté- d’une part, si l’existence d’un lien entre
rêts afférents au contrat de vente. La les contrats en cause permet de consi-
troisième tranche du prix d’achat de dérer que le contrat de gestion d’affaires,

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JURISPRUDENCE Chronique

sur lequel est fondée l’action en justice dans le contrat de gestion d’affaires,
du consommateur, entre dans le cadre la jouissance effective de l’immeuble
de l’activité « dirigée » par M. Kampik n’aurait pas été possible. Peu importe
« vers » l’Allemagne, et d’autre part, se l’absence d’interdépendance juridique
prononcer sur la nature de ce lien. La entre les deux contrats, c’est l’existence
Cour commence par reprendre la litanie d’une liaison économique qui compte
des objectifs poursuivis par le règlement (point 36). Celle-ci réside dans la réa-
(prévisibilité des règles, protection du lisation par le contrat subséquent de
consommateur et réduction du risque l’objectif économique visé, mais manqué,
de procédures contradictoires) et par par le contrat initial. Ce lien permet à
rappeler le caractère dérogatoire des la Cour d’observer que le contrat de
dispositions protectrices du consomma- gestion d’affaire, même s’il n’entre pas
teur qui, à ce titre, doivent faire l’objet en tant que tel dans le domaine de l’ac-
d’une interprétation stricte excluant une tivité commerciale ou professionnelle
protection absolue du consommateur. « dirigée » par le professionnel « vers »
Ceci fait, la Cour considère que l’ar- l’État membre du domicile du consom-
ticle 15, § 1 sous c), « est susceptible mateur, a néanmoins été conclu dans
de s’appliquer à un contrat tel que le le prolongement direct de cette activité
contrat de gestion d’affaires en cause (point 35). Tels sont donc les éléments
au principal, pour autant que ce dernier qui doivent être pris en compte par la
présente un lien étroit avec un contrat juridiction nationale afin de décider si
tel que le contrat de courtage » (point 33, le second contrat peut être soumis au
c’est nous qui soulignons). Voilà donc le même régime de compétence juridic-
célèbre critère du « lien étroit » employé tionnelle que le premier.
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dans une fonction jusque-là inédite. La
488 Cour s’applique alors immédiatement La solution est, à n’en pas douter, favo-
à en décrire les éléments constitutifs : rable au consommateur et, ce faisant,
les parties aux deux contrats doivent en cohérence avec l’objectif poursuivi
être les mêmes, que cette identité soit par l’article 15, « dans sa nouvelle for-
de fait ou de droit ; il doit exister une mulation moins restrictive, notamment
identité d’objectif économique poursuivi celui de la protection des consomma-
au moyen de ces contrats portant sur le teurs, parties faibles au contrat » (CJUE
même objet concret ; enfin, ces contrats 6 sept. 2012, aff C-190/11, Mühlleitner
doivent être complémentaires en ce sens c/ Yusufi, point 42, Rev. crit. DIP 2013.
que le second contrat (qui n’entre pas, 487, note A. Sinay-Citermann). Quant
en tant que tel, dans le domaine de à la garantie de prévisibilité des règles
l’activité « dirigée » par le professionnel de compétence juridictionnelle, autre
« vers » le pays du consommateur), doit objectif phare du règlement (considérant
cependant viser à ce que soit atteint l’ob- 11), la Cour de justice considère que le
jectif économique manqué par le pre- professionnel qui conclut avec le même
mier (qui entre dans le domaine d’une consommateur un deuxième contrat qui
telle activité). est censé atteindre l’objectif essentiel
poursuivi au moyen du premier « peut
Or, la Cour de justice estime que ces raisonnablement s’attendre à ce que les
conditions sont rassemblées en l’es- deux contrats soient soumis au même
pèce : le contrat de gestion d’affaires régime de compétence juridictionnelle »
a été conclu pour atteindre l’objectif (point 39).
économique visé par le contrat de cour-
tage, à savoir la jouissance effective de L’arrêt Hobohm c/ Kampik s’inscrit donc
l’appartement dont l’achèvement a été dans la lignée des arrêts rendus ces
compromis à la suite de la faillite du dernières années par la Cour de justice,
promoteur ; en effet, en l’absence des qui a placé la protection du consom-
travaux de finition, tels que convenus mateur au cœur de sa jurisprudence.

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Chronique JURISPRUDENCE

Le principe d’interprétation restrictive, quement à verser le prix au consom-


quoique rappelé par la Cour (point 32), mateur). C’est encore le lien entre les
n’empêche pas cette dernière d’élargir contrats conclus entre une touriste, une
au fil de ses derniers arrêts le champ agence de voyage et un tour opérateur,
des dispositions protectrices du consom- qui a conduit la Cour à considérer dans
mateur. Il est remarquable, à cet égard, l’arrêt Maletic que le cocontractant du
de lire dans le dispositif du présent arrêt professionnel peut être regardé comme
qu’est soumis à l’article 15, § 1 c), du étant « l’autre partie au contrat » visée
règlement Bruxelles I un contrat conclu à l’article 16, § 1, du règlement et donc
entre un consommateur et un profes- se voir opposer par le consommateur la
sionnel « qui n’entre pas en tant que tel compétence du tribunal de son domi-
dans le domaine de l’activité commer- cile (CJUE 14 nov. 2013, aff. C-478/12,
ciale ou professionnelle “dirigée” par ce Rev. crit. DIP 2014. 639 et la note ;
professionnel “vers” l’État membre du D. 2014. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon
domicile du consommateur, […] » (point et F. Jault-Seseke ; CCE no 1, janv. 2014.
41, c’est nous qui soulignons). Cette Chron. 1, M.-E. Ancel ; Procédures, no 1,
idée d’un « lien » entre deux contrats, le janv. 2014. Comm. 8, C. Nourissat).
premier étendant au second, comme par
capillarité, son régime de compétence Dans la continuité de cette notion de
juridictionnelle, se retrouve en filigrane contrats liés, et présentant de sur-
dans plusieurs décisions de la Cour croît des points communs avec l’affaire
de justice. Dans sa riche jurisprudence Hobohm c/ Kampik, il est intéressant de
relative aux loteries publicitaires, la Cour se rappeler de l’arrêt Jet Air NV c/ Époux
de justice justifie l’action du consom- X rendu le 30 avril 2014 par la Cour
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mateur en réclamation du gain promis, de cassation (Rev. crit. DIP 2015. 181,
devant les juridictions de son domicile, note M.-C. De Lambertye-Autrand). Des 489
par l’existence d’un lien entre la pro- époux blessés lors d’un accident de la
messe de gain et la commande passée circulation survenu à bord d’un autobus,
par le consommateur, et ce, malgré le pendant une excursion réalisée au cours
fait que l’obtention du gain ne soit pas d’un voyage organisé à Cuba, avaient
conditionnée par la commande et que assigné devant la juridiction française
cette dernière ne soit pas à l’origine du de leur domicile la société Jet Air, éta-
litige (CJCE 11 juill. 2002, aff. C-96/00, blie en Belgique, en sa qualité de tour
Rudolf Gabriel, Rev. crit. DIP 2003.484, opérateur, sur le fondement de l’article
note P. Rémy-Corlay ; JDI 2003. 651, 1147 du Code civil. Pour retenir la com-
obs. F. Leclerc ; CJCE 20 janv. 2005, aff. pétence des juridictions françaises sur
C-27/02, Petra Engler, JCP 2005. I. 183, le fondement de l’application combinée
no 18, obs. E. Jeuland ; Dr. et patr. 2006, des articles 15, § 1 c), et 16, § 1, du
no 145, obs. M.-L. Niboyet ; Procédures, règlement Bruxelles I, la cour d’appel
2005, no 210, obs. C. Nourissat ; CJUE relève que le contrat allégué par les
14 janv. 2009, aff. C-180/06, Ilsinger, époux relatif à l’excursion litigieuse se
D. 2010. Pan. 1592, obs. F. Jault-Seseke ; rattache accessoirement au contrat prin-
Europe 2009. Comm. 290, obs. L. Idot). cipal conclu par eux avec la société Jet
Autrement dit, la commande passée par Air ; elle ajoute que ladite société dirige
le consommateur insère la promesse de ses activités vers le territoire français
gain dans un cadre contractuel qui lui et que l’excursion au cours de laquelle
fait défaut à titre autonome (V. cepen- a eu lieu l’accident entre dans le cadre
dant, CJUE 14 mai 2009, Ilsinger, préc., des activités de la société Jet Air. Cette
dans lequel la Cour de justice affirme solution est retoquée par la Cour de
qu’en dépit de l’absence de commande, cassation au motif que la cour d’appel
le consommateur peut agir en réclama- aurait dû « rechercher si l’action liti-
tion du gain, à condition toutefois que gieuse était fondée sur l’existence d’un
le professionnel se soit engagé juridi- engagement librement assumé de la

Rev. crit. DIP - D - juillet-septembre 2016


JURISPRUDENCE Chronique

société Jet Air envers les époux X, se d’excursion dont l’existence a d’ailleurs
rapportant à l’excursion en cause, […] ». été récemment reconnue par la cour
La Cour de cassation refuse donc de d’appel de renvoi (Amiens, 17 mars 2016,
reprendre à son compte le raisonnement no 14/02749, JurisData n° 2016-006527).
suivi par la cour d’appel reposant sur Une fois l’existence de ce second contrat
l’existence d’un lien entre un contrat de établie, le lien existant (le cas échéant)
voyage principal et un contrat accessoire avec le premier contrat pourrait retrou-
relatif à l’excursion litigieuse, le premier ver un rôle à jouer : il servira à établir
rattachant le second au même régime de que le second contrat entre, lui aussi,
compétence juridictionnelle. La solution par contagion du premier avec lequel il
retenue par la Cour de cassation peut est lié, dans le cadre de l’activité « diri-
sembler, à première vue, en contra- gée » par le professionnel « vers » l’État
diction avec le récent arrêt Hobohm c/ membre du consommateur. Les ensei-
Kampik de la Cour de justice. Pourtant, gnements de l’arrêt Hobohm c/ Kampik
contrairement à ce qu’une lecture rapide sur les éléments constitutifs d’un tel lien
pourrait donner à penser, l’arrêt précité étroit pourraient alors s’avérer précieux.
de la Cour de justice ne dément pas la
solution retenue en 2014 par la Cour de Si le domaine des contrats de consom-
cassation. En effet, cette dernière n’a mation innomés couverts par l’article
pas eu à se prononcer sur le lien unis- 15, § 1 c), ne cesse de s’étendre, cer-
sant, le cas échéant, les deux contrats, tains contrats de consommation sont, en
et partant, sur les conséquences à en revanche, expressément exclus de l’ap-
tirer en terme de compétence juridic- plication des dispositions de la section 4
tionnelle ; en effet, l’existence même du règlement Bruxelles I. En cohérence
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d’un second contrat, qu’il fût ou non avec l’interprétation généreuse adop-
490 lié au premier, était contestée. Il fal- tée de l’article 15, § 1, l’exclusion des
lait donc, d’abord, établir l’existence du contrats de transport, prévue à l’article
contrat relatif à l’excursion sur lequel les 15, § 3, du règlement fait, logiquement,
touristes fondaient leur action ; contrat l’objet d’une interprétation étroite.

II – Les contrats de consommation exclus (art. 15, § 3)

L’article 15, § 3, du règlement Bruxelles I « pour un prix forfaitaire, combinent


prévoit que les contrats de transport sont voyage et hébergement ». Cette excep-
exclus de l’application des règles de com- tion à l’exclusion des contrats de trans-
pétence de la section 4. Les contrats de port a fait l’objet d’un arrêt de la Cour de
transport relèveront ainsi soit des règles justice de l’Union européenne. Dans la
de compétence ordinaire des règlements décision déjà citée Pammer c/ Reederei
européens, soit des conventions propres Karl Schlüter GmbH & Co (aff. C-585/08,
aux transports internationaux (H. Gau- préc), la Cour de justice a qualifié de
demet-Tallon, Compétence et exécution « voyage à forfait » la prestation offerte
des jugements en Europe, LGDJ, 5e éd., à bord d’un navire de commerce (cargo)
2015, no 287). En l’absence de précision comprenant le transport et le logement
du règlement, il y a lieu de considérer pour un prix forfaitaire, permettant ainsi
que sont exclus aussi bien les contrats au voyageur/consommateur déçu d’agir
de transport de personnes que de biens. devant le for de son domicile pour obte-
nir le remboursement du prix acquitté
En revanche, le même article 15, § 3, pour ce voyage dont les conditions de
précise que ne sont pas exclus de l’ap- confort ne correspondaient pas à celles
plication du règlement les contrats qui, annoncées sur le site internet de la

juillet-septembre 2016 - D - Rev. crit. DIP


Chronique JURISPRUDENCE

société maritime étrangère. Opérant un Rejetant le premier moyen du pourvoi


rapprochement avec la directive 90/314 qui prétendait que la disposition de l’ar-
qui définit la notion de « voyage à for- ticle 16, § 2, était inapplicable au contrat
fait », il a suffi à la Cour de justice d’ob- de déménagement, la Cour de cassation
server que le voyage excédait 24 h, que retient que « si le contrat de déména-
le logement était compris et que le prix gement inclut certes le transport des
à acquitter était constitutif d’un forfait. marchandises, son objet n’est cependant
pas limité au transport, puisqu’englobant
Dans un arrêt rendu le 4 novembre 2015 la manutention, voire le rangement du
(no 14-19.981), la Cour de cassation vient mobilier, de sorte qu’il peut être qualifié
alimenter la catégorie des contrats qui, à ce titre de contrat d’entreprise ».
combinant le transport avec une autre
prestation, échappent à l’exclusion dic- Le contrat d’entreprise est classi-
tée par l’article 15, § 3, et relèvent quement défini comme le contrat par
au contraire du champ d’application du lequel l’une des parties (l’entrepreneur)
règlement et de ses dispositions protec- se charge de faire quelque chose pour
trices du consommateur. l’autre (le client ou maître de l’ouvrage)
en toute indépendance et moyennant
Il s’agissait dans cette affaire d’un une rémunération. La Cour de cassation
contrat de déménagement conclu entre laisse donc entendre que seul le contrat
une société italienne et un particulier qui se « limite » au transport de per-
quittant l’Italie pour venir s’installer en sonnes ou de biens est exclu du champ
France. La société italienne de déména- d’application de la section 4 du règle-
gement avait saisi le tribunal de Rome ment. En revanche, le contrat qui « com-
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pour réclamer le paiement du solde du bine » ou « englobe » le transport avec
prix du contrat de déménagement. Le une autre prestation, même autre que 491
jugement italien enjoignant au défen- le logement, semble devoir échapper à
deur de payer s’est toutefois vu refuser l’exception qui ne concerne donc que les
la force exécutoire en France au motif contrats de transport stricto sensu.
que la société demanderesse n’avait pas
saisi le tribunal du domicile du consom- Il n’apparaît pas dans l’arrêt de la
mateur, en méconnaissance de l’ar- Cour de cassation que le contrat liti-
ticle 16, § 2, du règlement. L’article 35 gieux englobant le transport, mais ne
du règlement Bruxelles I autorise en s’y limitant pas, doive avoir été conclu
effet les juridictions de l’État requis à pour un prix forfaitaire, à l’instar de
contrôler la compétence indirecte des ce que prévoit l’article 15, § 3, pour le
juridictions d’origine dans l’objectif de « voyage à forfait ». C’est néanmoins le
s’assurer que n’ont pas été violées les cas du contrat de déménagement dont
dispositions des sections 3 (compétence le prix comprend outre le transport du
en matière d’assurances), 4 (compé- mobilier, la manipulation des meubles à
tence en matière de contrats conclus leur enlèvement et à leur déchargement,
par les consommateurs) et 6 (compé- mais encore l’éventuelle mise en cartons
tences exclusives). Le non-respect de du petit mobilier et le rangement de
ces règles de compétence dérogatoire celui-ci dans le nouveau logement.
conduit à refuser de reconnaître, et par-
tant de déclarer la force exécutoire, dans La solution doit être approuvée. L’ex-
l’État membre requis de la décision ren- clusion des contrats de transport doit
due dans l’État membre d’origine. être entendue strictement et il importe
peu que la prestation accompagnant le
La Cour de cassation était ainsi amenée transport, et formant un tout contractuel
à se prononcer sur la qualification du avec celui-ci, apparaisse, le cas échéant,
contrat de déménagement au regard de de moindre importance que le service de
l’article 15, § 3, du règlement Bruxelles I. transport lui-même.

Rev. crit. DIP - D - juillet-septembre 2016


JURISPRUDENCE Chronique

La qualité de consommateur du défen- appartient au juge saisi d’apprécier la


deur ne faisant pas de doute, de même présence du domicile d’une partie sur
que le caractère professionnel de la son territoire en application de sa loi
société de déménagement demande- interne. Elle reprochait ainsi à la cour
resse, l’action en paiement dérivant du d’appel d’avoir caractérisé le domicile
contrat de déménagement aurait donc du défendeur en France du fait de son
dû être portée devant la juridiction fran- déménagement, sans vérifier si cette
çaise du domicile du consommateur appréciation correspondait à la notion
conformément à l’article 16, § 2, du de domicile au sens de la loi italienne
règlement. On remarquera en passant et sans tenir compte des constatations
que l’article 16, § 2, eut-il été inappli- de fait sur lesquelles le juge italien avait
cable, la règle de compétence générale basé sa propre compétence. Le pourvoi
énoncée à l’article 2 aurait de la même est rejeté au motif que la cour d’appel
façon conduit à désigner les juridictions « a caractérisé le domicile de Mme X sur
françaises du domicile du défendeur ; la base d’éléments de fait conformé-
quant à l’option de compétence offerte ment aux objectifs et aux buts du règle-
par l’article 5, § 1, il semblerait raison- ment CE n° 44/2001 du 22 décembre
nable de situer en France le lieu d’exé- 2000 pour les compétences en matière
cution de la prestation de service de de contrats conclus par les consom-
déménagement. Quoi qu’il en soit, l’ar- mateurs ». Là encore la solution doit
ticle 16, § 2, était applicable et la société être approuvée. Il est bien évident que
de déménagement ne pouvait ignorer la l’élection de domicile chez son avocat
nouvelle adresse du particulier dont elle romain pour les besoins de la procé-
avait assuré le déménagement. dure, n’avait pas pour effet de situer
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le domicile du consommateur en Italie,
492 La société italienne n’avait toutefois tandis que le contrat de déménage-
pas manqué, dans un second moyen, de ment constituait, à l’inverse, un indice
faire valoir qu’aux termes de l’article 35, de poids pour caractériser un domicile
§ 2, du règlement, l’autorité requise est en France au sens des dispositions de
liée par les constatations de fait sur les- compétence uniforme concernées, sans
quelles la juridiction de l’État membre qu’il y ait lieu de vérifier si cette notion
d’origine a fondé sa compétence et que, de domicile correspondait à celle de la
selon l’article 59, § 1, du même texte, il loi italienne.

juillet-septembre 2016 - D - Rev. crit. DIP

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