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III.

– Conflits de lois
Sabine Corneloup, Fabienne Jault-Seseke
Dans Revue critique de droit international privé 2015/2 (N° 2), pages 389 à 412
Éditions Dalloz
ISSN 0035-0958
DOI 10.3917/rcdip.152.0389
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III. — CONFLITS DE LOIS

Cour de cassation (Civ. 1re) – 22 octobre 2014

Contrat d’assurance – LOI APPLICABLE – CONVENTION DE ROME DU 19 JUIN


1980 – ABSENCE DE CHOIX – CESSION D’UN PORTEFEUILLE DE CONTRATS
D’ASSURANCE – OPPOSABILITÉ AUX TIERS

Convention de Rome du 19 juin 1980 – CONTRAT D’ASSURANCE – LOI


APPLICABLE – ARTICLE 4 – ARTICULATION ENTRE LA PRÉSOMPTION ET
LA CLAUSE D’EXCEPTION

A violé l’article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, la


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cour d’appel qui retient que le contrat d’assurance ne comporte aucun
choix exprès des parties sur la loi applicable et présente les liens les plus
étroits avec le Mali, sans rechercher au préalable si la présomption édictée
par ce texte, qui n’est écartée que lorsqu’il résulte de l’ensemble des cir-
constances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre
pays, ne trouvait pas à s’appliquer (1).

(L’Alliance nationale des mutualités chrétiennes et al. c. sociétés Allianz


et Colina)

LA COUR : – Sur le premier moyen pris en sa première branche : Vu l’ar-


ticle 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable
aux obligations contractuelles ; Attendu, selon ce texte, applicable en l’espèce,
qu’en l’absence de choix entre les parties, le contrat est régi par la loi du
pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ; qu’est présumé pré-
senter de tels liens celui où la partie qui doit fournir la prestation caracté-
ristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle,
ou, s’il s’agit d’une société, association ou personne morale, son adminis-
tration centrale, voire, si le contrat est conclu dans l’exercice de l’activité
professionnelle de cette partie, son principal établissement ; que cette pré-

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somption n’est écartée que lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances


que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays ;
Attendu que M. Frederik X… et Mme Marjolein X… ont assigné en
réparation du préjudice subi dans un accident de la circulation au Mali, la
société de droit français AGF (aux droits de laquelle vient la société Allianz),
assureur du véhicule où ils avaient pris place, qui a depuis cédé son por-
tefeuille de contrats d’assurance à la société de droit malien Colina ; que
l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, un organisme social de droit
belge, a demandé aux sociétés AGF et Colina le remboursement des frais
médicaux qu’elle avait exposés ; Attendu que, pour juger la loi malienne
applicable à l’accident survenu le 20 juillet 1994, déclarer la cession des
contrats de la société AGF à la société Colina opposable à l’Alliance natio-
nale des mutualités chrétiennes, Mme Margareta Y…, Mmes Marjolein et Lily
X…, M. Joachim X…, M. Robert Z… et Mme Anna A…, décider que la
société Allianz n’était pas tenue à garantie, et rejeter l’action directe exercée
contre la société Allianz par M. Frederik X… et Mme Marjolein X…, l’arrêt
retient que le contrat d’assurance du véhicule souscrit auprès de la société
AGF ne comporte aucun choix exprès des parties sur la loi applicable et
présente les liens les plus étroits avec le Mali ; Qu’en statuant ainsi, sans
rechercher au préalable si la présomption qu’il édicte ne trouvait pas à s’ap-
pliquer, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : – Casse.
Du 22 octobre 2014 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 13-14.653
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(inédit) – Mme Batut, prés., Me Foussard, SCP Célice, Blancpain et Soltner, av.

(1) L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rap-


pelle un principe bien connu, relatif à la loi applicable au contrat à défaut
de choix des parties, et il n’apprendra donc rien de nouveau aux lecteurs
de cette Revue : dans le cadre de l’article 4 de la Convention de Rome, le
juge ne peut recourir à la clause d’exception de l’alinéa 5 qu’après avoir
recherché au préalable si la présomption de l’alinéa 2 ne trouvait pas à s’ap-
pliquer (CJCE 6 oct. 2009, Intercontainer Interfrigo SC, aff. C-133/08, JCP
2009, n° 50, obs. L. d’Avout et L. Perreau-Saussine ; Rev. crit. DIP 2010.
199, note P. Lagarde ; D. 2010. 236, obs. F. Jault-Seseke ; v. déjà Com.
19 déc. 2006, n° 05-19.723, Rev. crit. DIP 2007. 592, note P. Lagarde).
Ce n’est pas le rappel de ce principe qui retient notre attention, mais l’af-
faire en elle-même. En effet, elle soulève des questions peu explorées en
droit international privé, sur lesquelles la cour d’appel de renvoi aura à
prendre position, sans malheureusement bénéficier d’un éclairage de la Cour
de cassation laquelle s’est servie d’une seule branche de l’un des trois moyens
soulevés par le pourvoi pour casser l’arrêt attaqué.
Le litige concerne un accident de la circulation qui s’est produit au Mali
et dans lequel plusieurs personnes ont été blessées. Un organisme social de
droit belge, l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, a remboursé aux
victimes des frais médicaux, ce qui laisse penser, mais l’arrêt ne le dit pas,
que les victimes avaient leur résidence habituelle en Belgique. Deux actions
ont été introduites devant le juge français. D’une part, les victimes directes

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et par ricochet ont agi en indemnisation contre l’assureur du seul véhicule


impliqué dans l’accident, afin d’obtenir une indemnisation intégrale de leur
préjudice et, d’autre part, l’organisme social belge a agi contre ce même
assureur pour obtenir le remboursement des frais médicaux exposés. Plus
précisément, il n’y avait pas qu’un seul assureur impliqué, mais plusieurs.
Le véhicule était assuré auprès de la société de droit français AGF. À une
date postérieure à la survenance de l’accident, AGF avait transféré un por-
tefeuille de contrats d’assurance, dont le contrat litigieux faisait partie, à la
société d’assurance de droit malien Colina. Par la suite, AGF a été absorbée
par le groupe allemand Allianz qui venait donc aux droits de la société
AGF. Les trois assureurs étaient présents dans la procédure. L’enjeu au fond
résidait dans le contenu du droit malien, dans sa version applicable à la
date de la conclusion du contrat d’assurance, qui excluait les membres de
la famille du conducteur de la garantie due par l’assureur, alors que ces
mêmes membres de la famille étaient qualifiés de tiers, et donc inclus dans
la garantie de l’assureur, non seulement en droit français (C. assur., art. L.
211-1, al. 5), mais également en vertu d’une loi malienne postérieure. Or,
deux enfants du conducteur avaient été éjectés du véhicule au moment de
l’accident et n’avaient donc pas bénéficié d’une indemnisation de la part
de l’assureur.
La cour d’appel a jugé la loi malienne applicable à l’accident et a déclaré
la cession du contrat d’assurance opposable aux victimes et à l’organisme
social belge, ce qui a eu pour conséquence qu’Allianz n’était pas tenue à
garantie et que l’action directe dirigée contre Allianz a été rejetée. Pour
aboutir à cette conclusion, la cour d’appel a appliqué l’article 3 de la Conven-
tion de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’acci-
dents de la circulation routière qui désigne la loi du lieu de survenance de
l’accident pour régir la responsabilité civile découlant de l’accident. Quant
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au contrat d’assurance, elle a estimé, après avoir écarté l’existence d’un choix
de loi qui était discutable compte tenu de la présentation des documents
contractuels, que le contrat présentait les liens les plus étroits avec le Mali,
puisqu’il avait été conclu au Mali, avec une assurée qui était une société
située au Mali, par l’intermédiaire d’un agent d’assurance malien, concer-
nant un sinistre survenu au Mali. Le long pourvoi de l’Alliance nationale
des mutualités chrétiennes et autres critiquait notamment la détermination
de la loi applicable au contrat d’assurance, à l’opposabilité du transfert de
portefeuille d’assurances aux tiers et aux formalités de publicité de ce même
transfert.
La solution de la Cour de cassation sur le terrain de la loi applicable au
contrat d’assurance n’appelle en elle-même que peu de commentaires (I).
En revanche, la cession du portefeuille de contrats d’assurance et son oppo-
sabilité aux tiers méritent une analyse plus approfondie (II).

I. – La loi applicable au contrat d’assurance


Le litige en l’espèce portait exclusivement sur l’étendue de la garantie
due par l’assureur. La loi applicable à la responsabilité, déterminée sur le
fondement de la Convention de La Haye de 1971, n’était donc pas en
question, pas plus que la loi applicable au recours de l’organisme social
ayant pris en charge une partie du dommage (en tant que gestionnaire d’un
service public, l’organisme applique seulement les règles de l’État dont il

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relève ; c’est donc également ce droit qui régit son recours). En effet, ni
la loi applicable à l’accident, ni la loi applicable au recours de l’organisme
social ne déterminent l’étendue de la garantie due par l’assureur, laquelle
dépend uniquement de la loi du contrat d’assurance. Devant les juges du
fond, les victimes avaient plaidé l’existence dans le contrat d’assurance d’un
choix implicite de la loi française, mais l’argument a été écarté puisqu’un
tel choix ne résultait pas de façon certaine des documents contractuels ce
qui, sauf dénaturation, ne pouvait être remis en cause devant la Cour de
cassation. Il fallait par conséquent déterminer la loi applicable à défaut de
choix, ce qui soulevait la question de l’applicabilité de la Convention de
Rome, qui exclut, dans son article 1er alinéa 3, de son champ d’applica-
tion seulement les contrats d’assurance couvrant des risques situés sur le
territoire des États membres, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En revanche,
on aurait pu douter de l’applicabilité dans le temps de la convention. En
effet, il y avait une ambiguïté dans le dossier quant à la date de conclu-
sion du contrat d’assurance. Le véhicule faisait partie d’une flotte et des
contradictions apparaissent dans les faits quant à l’identité exacte du véhi-
cule impliqué. Soit il s’agissait d’un véhicule assuré auprès d’AGF en 1987,
soit il s’agissait d’un autre véhicule qui était couvert par un contrat d’as-
surance dont on ne connaît pas la date de conclusion mais qui était assuré
également auprès d’AGF pour la période de mars 1994 à mars 1995. La
cour d’appel s’est référée dans sa motivation à une signature du contrat en
1987, mais elle a néanmoins appliqué la Convention de Rome, ce qui
revient à une application par anticipation puisque la convention est entrée
en vigueur seulement le 1er avril 1991. Quant au pourvoi, il était fondé
sur la Convention de Rome sans fournir d’explication sur ce point, et la
Cour de cassation approuve finalement le raisonnement, également sans
explication, en indiquant que la convention était bien applicable en l’espèce.
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En revanche, la suite du raisonnement est sans surprise : une fois que
la convention a été déclarée applicable, il fallait évidemment déterminer,
dans un premier temps, la loi désignée par la présomption de l’aliéna 2 de
l’article 4, qui était en l’espèce la loi française du lieu du principal éta-
blissement de l’assureur, avant de pouvoir l’écarter éventuellement sur le
fondement de l’aliéna 5 du même article. L’erreur commise par la cour
d’appel de Paris est assez surprenante puisque le mécanisme de l’article 4
est aujourd’hui bien connu. Pour conclure sur ce point, on notera que ce
raisonnement reste valable sous l’empire du règlement Rome I dont la règle
de conflit spéciale de l’article 7 ne s’applique pas aux contrats garantissant
des risques de masse situés en dehors du territoire de l’Union (v. P. Lagarde,
A. Tenenbaum, De la convention de Rome au règlement Rome I, Rev.
crit. DIP 2008. 727, n° 34). Ceux-ci relèvent toujours de la règle de conflit
générale de l’article 4.

II. – La loi applicable à l’opposabilité de la cession d’un portefeuille de


contrats d’assurance
La possibilité d’une action des victimes et de l’organisme social contre
Allianz, qui venait aux droits d’AGF, dépendait de l’opposabilité aux tiers
de la cession par AGF du portefeuille de contrats d’assurance à l’assureur
malien Colina. Si ce transfert est opposable aux tiers, ces derniers ne peu-
vent pas contester qu’AGF n’était plus titulaire du contrat d’assurance liti-

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CONFLITS DE LOIS 393

gieux lors de son absorption par Allianz. Seule Colina serait tenue à indem-
nisation. Dans le cas contraire, les demandeurs pourraient réclamer l’in-
demnisation à Allianz.
La cession de portefeuille d’assurances est l’une des rares hypothèses dans
lesquelles le droit admet la validité d’une cession de contrat entre vifs sans
que le cédé ne participe à l’opération, c’est-à-dire sans que le cédé ne donne
son consentement (v. par ex., E. Jeuland, Cession de contrat, Rép. civ. Dal-
loz, 2010 ; M.-L. Izorche, R. Boffa, Circulation du contrat, J.-Cl. Contr.
distr., fasc. 102, 2007, n° 37 s.). En droit français, la cession est admise,
lorsque le risque assuré est situé en France ou dans un autre État membre
de l’Union, selon les conditions des articles L. 324-1 et suivants du Code
des assurances. Dans un premier temps, la demande de transfert est portée
à la connaissance des créanciers par un avis publié au Journal officiel, qui
leur impartit un délai de deux mois pour présenter leurs observations. Ensuite,
le transfert doit être approuvé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de
résolution. L’approbation rend le transfert opposable aux tiers à partir de sa
publication au Journal officiel. Enfin, les assurés ont la faculté de résilier
leur contrat dans un délai d’un mois suivant la date de cette publication.
En l’espèce, le risque assuré était situé dans un État tiers à l’Union, et les
dispositions des articles L. 324-1 et suivants du code français n’étaient donc
pas applicables. En droit malien, la cession d’un portefeuille de contrats d’as-
surance est également admise et elle est régie, à quelques détails près, par
des dispositions tout à fait similaires (Code de la Conférence interafricaine
des marchés d’assurance, CIMA, art. 323). La demande de transfert est portée
à la connaissance des créanciers par un avis publié au Journal officiel et/ou
dans un journal d’annonces légales, qui fait courir un délai de trois mois
pour présenter des observations et un délai d’un mois durant lequel les
assurés peuvent résilier leur contrat. Le transfert doit être autorisé par la
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Commission de contrôle des assurances. Cette approbation rend le transfert
opposable aux tiers. En l’espèce, la convention de transfert avait fait l’objet
d’une publication dans un journal d’annonces légales (probablement un jour-
nal malien, mais l’arrêt de la cour d’appel ne le précise pas) et la Commis-
sion régionale de contrôle des assurances (l’organe régulateur de la CIMA)
avait donné un avis favorable au transfert. La cour d’appel, après avoir décidé
que les conditions d’opposabilité de la cession devaient être appréciées au
regard de la loi malienne en sa qualité de loi applicable au contrat d’assu-
rance cédé, a conclu que l’ensemble des conditions de la loi malienne avaient
été respectées et que la cession était donc opposable aux demandeurs. La
censure de la Cour de cassation portant uniquement sur la détermination
de la loi applicable au contrat d’assurance, aucune solution n’a été apportée
par elle à la question de la loi applicable à l’opposabilité aux tiers de la ces-
sion du portefeuille de contrats d’assurance. Or, la solution de la cour d’ap-
pel d’une application de la loi du contrat cédé ne relève pas de l’évidence
et mérite une analyse plus approfondie.
Ni la Convention de Rome, ni le règlement Rome I ne comportent en
effet une règle spécifique à la cession de contrat. En droit français interne,
dans une hypothèse légèrement différente de celle de l’arrêt commenté où
un courtier en assurances avait cédé un portefeuille d’assurances à un tiers
et où le régime spécial de l’article L. 324-1 du Code des assurances n’était
pas applicable, la Cour de cassation a jugé que l’opération « s’analyse en
une cession de contrats, c’est-à-dire une cession de créances, et non en une
cession de clientèle », ce qui entraîne selon la Cour l’application de l’ar-

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ticle 1690 du Code civil qui exige une signification de la cession au cédé
(Civ. 1re, 5 févr. 2009, n° 08-10.230, D. 2009. 842, obs. X. Delpech, note
L. Aynès). Si l’on suit en droit international privé cette assimilation à une
cession de créance (v. en ce sens B. Audit, L. d’Avout, Droit international
privé, Économica, 2013, n° 864), il convient de se tourner vers l’article 12
de la Convention de Rome (règl. Rome I, art. 14), qui soumet l’opposa-
bilité de la cession au débiteur cédé à la loi qui régit la créance cédée (alors
que les relations entre le cédant et le cessionnaire sont régies par la loi du
contrat de cession). En revanche, l’opposabilité aux autres tiers que le débi-
teur cédé n’a pas été réglée par le législateur européen et relève dès lors du
droit commun (v. sur la difficulté de trouver une solution adéquate, notam-
ment les travaux du Conseil allemand pour le droit international privé,
Rev. crit. DIP 2012. 676 ; D. Pardoel, Les conflits de lois en matière de ces-
sion de créance, LGDJ, 1997 ; E.-M. Kieninger, Das Statut der Forde-
rungsabtretung im Verhältnis zu Dritten, RabelsZ 1998. 678 ; M.-E. Ancel,
E.-M. Kieninger, H. C. Sigman, La proposition de règlement Rome I et
les effets sur les tiers de la cession des créances, Banque et Droit 2006-III.
39). Le litige dans l’affaire commentée concerne l’opposabilité aux tiers-
victimes ainsi qu’à l’organisme social subrogé dans les droits des tiers-vic-
times. Ces tiers-victimes ne sont pas parties au contrat d’assurance. Peut-
on les assimiler néanmoins au débiteur cédé dans le cadre de l’article 12
de la Convention de Rome, ou faut-il les traiter comme les autres tiers ?
Sur le terrain du conflit de juridictions, le règlement Bruxelles I bis traite
le bénéficiaire du contrat d’assurance de la même façon que le souscripteur
et l’assuré, et la jurisprudence semble transposer au tiers-victime un certain
nombre de principes applicables au bénéficiaire du contrat (v. art. 11, al.
1 b, qui est applicable, selon l’art. 13, al. 2, en cas d’action directe de la
victime ; art. 45, al. 1 e, i ; CJUE 13 déc. 2007, FBTO Schadeverzekerin-
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gen NV c/ Jack Odenbreit, aff. C-463/06, Rev. crit. DIP 2009. 360, note
E. Pataut ; Civ. 1re, 27 févr. 2013, Rev. crit. DIP 2013. 731, note S. Cor-
neloup), ce qui conduit à un rapprochement avec le régime applicable au
souscripteur et à l’assuré. Si l’on estime que cette assimilation au sous-
cripteur/assuré n’est pas justifiée sur le terrain du conflit de lois, il faudrait
appliquer la règle de conflit régissant l’opposabilité de la cession aux autres
tiers que le débiteur cédé, laquelle est aujourd’hui particulièrement incer-
taine, faute d’être régie par la Convention de Rome et faute de jurispru-
dence claire de la Cour de cassation. Au contraire, si l’on traite le tiers-vic-
time comme le souscripteur/assuré, on devrait appliquer la règle de conflit
régissant l’opposabilité de la cession au débiteur cédé. Au soutien de cette
dernière solution, on peut invoquer également le fait que les droits des
tiers-victimes sont dans la dépendance directe du contrat d’assurance, ce
qui rapproche la situation juridique des tiers-victimes de celle de l’assuré,
bien plus que de celle des autres créanciers de l’assureur cédant, surtout
dans un cas comme en l’espèce où la cession est postérieure à la survenance
du sinistre. Pour cette raison, nous allons suivre cette approche pour la
suite de notre réflexion et retenir par conséquent la loi du contrat cédé.
Cette règle posée par l’article 12 de la Convention de Rome conduit à un
résultat simple et tout à fait satisfaisant toutes les fois où la cession porte
sur un contrat unique. En revanche, dans le cas de la cession d’un porte-
feuille de contrats, il est possible que les contrats composant le portefeuille
ne soient pas régis par la même loi. L’opposabilité aux tiers de la cession
est alors régie par différentes lois, bien qu’il s’agisse d’une opération de

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CONFLITS DE LOIS 395

transfert unique, ce qui signifie que les parties au contrat de cession doi-
vent respecter les exigences, notamment de publicité, d’une pluralité de lois.
Dans l’affaire commentée, on ne dispose d’aucune information sur ce point.
On ne peut donc raisonner que par rapport au contrat litigieux, ce qui
devrait conduire effectivement à l’application de la loi du contrat d’assu-
rance, comme l’avait affirmé la cour d’appel dans l’affaire commentée.
Par conséquent, si la cour d’appel de renvoi confirme l’application de
la loi malienne, en motivant cette solution de façon correcte au regard de
l’article 4 de la Convention de Rome par l’existence de liens plus étroits
avec le Mali qu’avec la France (à l’exception de l’établissement de l’assu-
reur, tous les autres éléments étaient en effet localisés au Mali), la cession
serait a priori considérée comme opposable aux tiers. Toutefois, il reste à
ce stade la question des mesures de publicité, comme l’a soulevé le pour-
voi qui soutenait qu’il convenait de s’interroger sur le point de savoir si,
au-delà des formalités accomplies au Mali conformément au droit malien,
des mesures de publicité n’étaient pas également requises en France, dès
lors que l’assureur cédant était une société française. L’argument sous-entend
une qualification de loi de police, dont le critère d’application serait le siège
du cédant. Pour apprécier la valeur de cet argument, il convient de s’in-
terroger sur la fonction des mesures de publicité en cette matière (v. notre
thèse, La publicité des situations juridiques, Une approche franco-allemande
du droit interne et du droit international privé, LGDJ, 2003). L’objectif est,
selon l’article L. 324-1 du Code des assurances, d’informer « les créan-
ciers », c’est-à-dire un public qui dépasse le seul cercle des assurés, notam-
ment afin que ceux-ci puissent présenter leurs observations sur le projet de
cession à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. En effet, cette
dernière n’autorise le transfert que si celui-ci ne préjudicie pas aux intérêts
des créanciers et des assurés. Dans la mesure où le cédant est généralement
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considéré comme l’acteur central de la cession, connu non seulement du
cédé mais également des autres tiers intéressés, l’accomplissement des mesures
de publicité dans l’État de son siège paraît constituer effectivement la solu-
tion la plus adéquate. Il convient, en outre, de garder à l’esprit que la loi
du contrat cédé peut être la loi d’autonomie et qu’elle n’est pas nécessai-
rement connue des tiers, alors que le siège du cédant ne présente pas le
même inconvénient. Une application du droit français au titre d’une qua-
lification de loi de police n’est, par conséquent, pas à exclure par principe.
Toutefois, en l’espèce, l’argument se heurte à une difficulté concrète qui
tient à la limitation du domaine spatial d’application de l’article L. 324-1
du Code des assurances aux seules cessions de contrats couvrant des risques
situés à l’intérieur de l’Union. En d’autres termes, l’article L. 324-1 ne
revendique pas son application au cas d’espèce. Une application en tant
que loi de police ne s’imposerait que si le contrat d’assurance était régi par
une loi étrangère et si le risque était situé en France ou sur le territoire
d’un autre État membre de l’Union.
La même difficulté se présente si la cour d’appel de renvoi aboutit à la
conclusion que le contrat d’assurance est régi par la loi française sur le fon-
dement de la présomption de l’article 4, alinéa 2. Dans ce cas, le droit
français est incontestablement applicable, mais on se heurte de la même
façon au critère spatial d’application de l’article L. 324-1 qui n’est pas réa-
lisé en l’espèce. Toutefois, lorsqu’on raisonne dans le cadre de la loi du
contrat, et non au regard d’une loi de police, la non-réalisation du critère
spatial d’application d’une règle ne remet pas en cause l’applicabilité du

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396 JURISPRUDENCE

droit français qui reste la loi du contrat. Il convient alors de déterminer


quelle est la règle complémentaire du droit français qu’il convient d’appli-
quer à sa place. Le raisonnement le plus plausible, nous semble-t-il, lorsque
le régime spécifique aux cessions de portefeuilles de contrats d’assurance
n’est pas applicable, est de soumettre l’opération litigieuse aux règles régis-
sant la cession de contrat de droit commun, ce qui conduit, selon l’arrêt
précité du 5 février 2009, à l’exigence d’une signification de la cession au
cédé, sur le fondement de l’article 1690 du Code civil, qui n’a pas eu lieu
en l’espèce. Le transfert ne serait donc pas opposable aux demandeurs et
Allianz serait tenue à garantie. De plus, en droit français, les membres de
la famille du conducteur ne sont pas exclus de la garantie de l’assureur et
ceux-ci auraient dès lors un droit à indemnisation. L’enjeu de la détermi-
nation de la loi du contrat d’assurance est donc fondamental pour l’issue
du litige.
Sabine CORNELOUP

Cour de cassation (Soc.) – 13 novembre 2014 – n° 13-19.095, 13-19.096,


13-19.097, 13-19.098, 13-19.099

Travailleur étranger – DÉTACHEMENT TEMPORAIRE – DIRECTIVE 96/71 RELA-


TIVE AU DÉTACHEMENT DE TRAVAILLEURS, ARTICLE 3, 7° – ARTICLE R.
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1262-8 DU CODE DU TRAVAIL – SOMMES VERSÉES AU TITRE DU DÉTA-
CHEMENT – INTÉGRATION AU SALAIRE MINIMAL

Dès lors qu’elles ne constituaient pas un remboursement de frais par


ailleurs pris en charge par l’employeur, les sommes versées chaque mois
au titre du détachement étranger devaient être prises en compte pour les
comparer au minimum conventionnel applicable (1).

(X. e.a. c. Société Meci)

LA COUR : – Vu la connexité, joint les pourvois n° Z 13-19.095, A 13-


19.096, B 13-19.097, C 13-19.098, D 13-19.099 ;
Sur le moyen unique : – Attendu, selon les arrêts attaqués (Riom, 9 avr.
2013) que M. X… et quatre autres salariés de la société Meci ont été
engagés en qualité de manœuvre selon des contrats de travail portugais et
détachés en France jusqu’en 2005 ; que leur rémunération comprenait le
paiement de sommes à titre de salaire de base, de détachement étranger et
d’indemnités de repas ; que ces salariés, soutenant que les sommes versées
au titre du détachement constituaient des remboursements de frais sup-

Rev. crit. DIP, 104 (2) avril-juin 2015


CONFLITS DE LOIS 397

plémentaires générés par la situation de grand déplacement qui devaient


être exclues de la comparaison au regard du minimum conventionnel, ont
saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de rappels de
salaire ;
Attendu que les salariés font grief aux arrêts de rejeter leur demande,
alors, selon le moyen :
1°/ que les employeurs détachant temporairement des salariés sur le terri-
toire national sont soumis aux dispositions légales et aux stipulations conven-
tionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche
d’activité établies en France, en matière de législation du travail, pour ce qui
concerne le salaire minimum ; que si les allocations propres au détachement
sont regardées comme faisant partie du salaire minimal, les sommes versées à
titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du déta-
chement, ainsi que les dépenses engagées par l’employeur du fait du détache-
ment telles que les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture en sont
exclues et ne peuvent être mises à la charge du salarié détaché ; que le salarié
soutenait dans ses écritures d’appel que l’indemnité litigieuse était versée en
remboursement de dépenses encourues à cause du détachement ; que pour dire
que la somme dénommée « deslocaçoes estrangeiro » versées par la société au
salarié devait être incluse dans les éléments du salaire pris en compte pour
apprécier si le minimum conventionnel avait été respecté, la cour d’appel s’est
fondée sur la circonstance d’une part que les frais de logement et de voyage
étaient pris en charge par l’employeur et que les frais de nourriture donnait
lieu au versement d’une indemnité de repas de sorte qu’il ne pouvait être sou-
tenu que la somme litigieuse constituait un remboursement de frais et, d’autre
part, qu’elle ne peut correspondre aux indemnités conventionnelles de grand
déplacement dont le salarié n’avait pas vocation à bénéficier ; qu’en statuant
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ainsi, sans rechercher et vérifier si, comme le soutenait le salarié, la somme
dénommée « deslocaçoes estrangeiro » ne venait pas compenser des charges que
celui-ci n’aurait pas engagées en dehors de l’exercice de sa mission ou s’il l’avait
effectuée dans son pays d’origine, donc les surcoûts du détachement – frais de
nourriture non couverts par l’indemnité de repas dite de demi panier, frais de
pension déduction faite du logement pris en charge –, la cour d’appel a privé
sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
2°/ qu’en jugeant que la somme dénommée « deslocaçoes estrangeiro » versée
chaque mois par la société au salarié détaché devait être incluse dans les élé-
ments du salaire pris en compte pour apprécier si le minimum conventionnel
avait été respecté alors que, d’un montant journalier forfaitaire, la somme n’avait
pas été déclarée au titre des salaires soumis à cotisations sociales, ce qui excluait
qu’elle indemnise la sujétion du salarié et, par conséquent, soit qualifiée d’al-
location propre au détachement, la cour d’appel a violé les articles L. 1262-4
et R. 1262-8 du Code du travail ;
3°/ qu’en ne s’expliquant pas sur le fait qu’elle n’était versée que les jours
calendaires effectivement travaillés, à l’exclusion des jours de congés payés, ce
qui excluait sa prise en compte au titre des éléments de salaire, la cour d’ap-
pel a encore privé sa décision de base légale au regard de ces dispositions ;
4°/ qu’en tout état de cause, il résulte de l’article 3 de la directive 96/71/CE
du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans
le cadre d’une prestation de services, que ne doivent pas être pris en compte,
en tant qu’éléments faisant partie du salaire minimal, les montants versés à titre
de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détache-

Rev. crit. DIP, 104 (2) avril-juin 2015


398 JURISPRUDENCE

ment ainsi que les sommes forfaitaires calculées sur une base autre que la base
horaire ; qu’en jugeant que la somme dénommée « deslocaçoes estrangeiro »
versée par la société au salarié devait être incluse dans les composantes du salaire
pris en compte pour apprécier si le minimum conventionnel avait été respecté
alors que, ainsi qu’elle le constatait, il s’agissait d’une somme forfaitaire cal-
culée sur une base autre que la base horaire, la cour d’appel a violé le texte
susvisé, ensemble les articles L. 1262-4 et R. 1262-8 du Code du travail ;
5°/ que selon l’article 4.1.2 de l’avenant du 24 juillet 2002 à la convention
collective nationale des ouvriers des travaux publics, sont exclues du montant
de la rémunération annuelle « les sommes constituant des remboursement de
frais (notamment indemnités de déplacement) » ; qu’en jugeant que la somme
dénommée « deslocaçoes estrangeiro » – détachement étranger – versée chaque
mois par la société au salarié devait être incluse dans les composantes du salaire
pris en compte pour apprécier si le minimum conventionnel avait été respecté
alors que les dispositions conventionnelles susvisées excluent du calcul de « la
rémunération annuelle » les indemnités de déplacement, la cour d’appel a violé
l’article susvisé et l’article R. 1261-1 du Code du travail ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article R. 1262-8 du Code du travail,
transposant en droit interne les dispositions de l’article 3 de la directive
96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs
effectué dans le cadre d’une prestation de services, les allocations propres
au détachement sont regardées comme faisant partie du salaire minimal à
l’exception des sommes versées à titre de remboursement des dépenses effec-
tivement encourues à cause du détachement ainsi que les dépenses engagées
par l’employeur du fait du détachement telles que les dépenses de voyage,
de logement ou de nourriture qui en sont exclues et ne peuvent être mises
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à la charge du salarié détaché ;
Et attendu qu’ayant retenu que les sommes versées chaque mois au titre
du détachement étranger ne constituaient pas un remboursement de frais
par ailleurs pris en charge par l’employeur, la cour d’appel en a exactement
déduit que ces sommes devaient être prises en compte pour les comparer
au minimum conventionnel applicable ; D’où il suit que le moyen n’est
pas fondé ;
Par ces motifs : – Rejette les pourvois ;

Du 13 novembre 2014 – Cour de cassation (Soc.) – Pourvois n°s 13-19.095,


13-19.096, 13-19.097, 13-19.098, 13-19.099 – M. Frouin, prés. – SCP Célice,
Blancpain et Soltner, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, av.

(1) Il est rare que la Cour de cassation ait à connaître de la directive


96/71 relative au détachement de travailleurs (sur laquelle, v. M.-A. Moreau,
Le détachement des travailleurs effectuant une prestation de services dans
l’Union européenne, JDI 1996. 889). Avant cet arrêt du 13 novembre 2014
(V. aussi, Dr. soc. 2015. 91, obs. J.-Ph. Lhernould), la seule fois où elle
eût à se prononcer sur son application, elle avait été conduite à l’écarter,
la demande étant relative à la rupture du contrat de travail, question que
la directive n’affecte pas (Soc. 18 janv. 2011, Rev. crit. DIP 2011. 447 et
la note).

Rev. crit. DIP, 104 (2) avril-juin 2015


CONFLITS DE LOIS 399

Cette fois, et c’est sans doute ce qui justifie la publication de l’arrêt au


Bulletin, la directive est applicable. La demande porte en effet sur le ver-
sement du salaire minimal prévu par les normes légales et conventionnelles
du pays d’accueil au sens de l’article 3 de la directive. En l’espèce, cinq
salariés, détachés par leur employeur portugais en France, ont saisi le juge
français d’une demande de rappels de salaires. Ils ont reçu différentes sommes
(salaire de base, sommes versées au titre du détachement, indemnités de
repas) mais estiment ne pas avoir perçu la rémunération minimale prévue
par la convention collective française applicable. Il est dès lors nécessaire
de déterminer les éléments à prendre en compte pour le calcul de la rémuné-
ration minimale. En l’occurrence, la qualification des sommes versées au
titre du détachement est discutée. Les salariés arguent qu’elles correspon-
dent au remboursement de frais générés par le détachement. La cour d’ap-
pel, relevant que les frais de logement et de voyage étaient pris en charge
par l’employeur et que les frais de nourriture donnaient lieu au versement
d’une indemnité de repas, a jugé que les sommes versées au titre du déta-
chement ne constituaient pas un remboursement de frais. En se fondant
sur la directive 96/71, les dispositions du code du travail qui la transpo-
sent en droit français, et la convention collective, les salariés reprochent à
la cour d’appel de ne pas avoir recherché si les sommes litigieuses ne cor-
respondaient pas à des frais occasionnés par la mission à l’étranger. Ils
contestent également la qualification de ces sommes en salaire en se fon-
dant sur différents indices : l’employeur ne les avait pas soumises à cotisa-
tions sociales, elles n’étaient versées que pour les jours travaillés alors que
le salaire doit également être versé pour les jours de congés payés ; elles
étaient forfaitaires et non calculées sur une base horaire.
La Cour de cassation rejette le pourvoi en se bornant à rappeler littéra-
lement les textes de transposition de la directive 96/71, précisément l’ar-
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ticle R. 1262-8 du Code du travail, dont il résulte que les allocations propres
au détachement sont des éléments du salaire, à moins qu’elles ne soient le
remboursement de dépenses effectivement encourues en raison du déta-
chement. Cette solution était directement dictée par l’article 3, 7° de la
directive. La cour d’appel, qui avait relevé que les dépenses liées au déta-
chement étaient prises en charge directement par l’employeur, avait en consé-
quence en retenant la nature salariale des sommes litigieuses correctement
appliqué ce texte. Au regard des textes, la solution est peu surprenante. La
seule possibilité de s’y soustraire eût été de démontrer que les sommes
versées au titre du détachement couvraient des frais qui n’avaient pas été
pris en charge par l’employeur. Mais la Cour de cassation n’avait pas à
répondre à cette question de fait.
Cette question de la qualification des sommes versées au salarié dans le
cadre d’un détachement, inédite pour la Cour de cassation, a déjà suscité
plusieurs prises de position de la Cour de justice (CJCE 14 avr. 2005, aff.
C-341/02, Commission c/ Allemagne, RTD com. 2005. 436, obs. G.
Jazottes ; RTD eur. 2005. 867, chron. C. Prieto ; Europe 2005. comm.
205, L. Idot ; CJUE, 7e ch., 7 nov. 2013, aff. C-522/12, Isbir c/ DB Ser-
vices GmbH, Europe 2014. comm. 24, L. Driguez ; RJS 2014, n° 2, p.
76, chron. E. Lafuma). Il s’agit d’une difficulté récurrente dans la mise en
œuvre de la directive qui s’explique en partie par l’absence d’harmonisa-
tion européenne des règles relatives à la rémunération. Mais ce n’est pas
parce que la notion de taux de salaire minimal est définie par la législation
nationale (en ce sens, dir. 96/71, art. 3,1°, dernier al.) qu’aucune exigence

Rev. crit. DIP, 104 (2) avril-juin 2015


400 JURISPRUDENCE

européenne ne trouve à s’appliquer. La Cour a ainsi été amenée à indiquer


les éléments à prendre en compte pour le calcul du salaire minimal. Elle a
opéré une distinction fondée sur le « rapport entre la prestation du tra-
vailleur et la contrepartie reçue ». Lorsque ce rapport est modifié, les sommes
versées ne sont pas considérées comme des éléments du salaire minimum.
C’est le cas des primes de qualité, de pénibilité, de dangerosité mais aussi
des sommes versées au titre de l’intéressement. Lorsque le rapport n’est pas
modifié, les sommes versées, un treizième mois par exemple, sont à prendre
en compte. La distinction peu élégante et surtout assez peu lisible de prime
abord (v. L. Driguez, note préc.) s’avère opérationnelle.
Cette distinction est dictée par le double objectif de la directive qui est
de garantir la protection des travailleurs et d’assurer une concurrence loyale
(v. not. M.-A. Moreau, article préc., p. 904). La définition des éléments à
prendre en compte pour le calcul du salaire minimal tient nécessairement
compte de l’approche concurrentielle. Plus les sommes versées par l’em-
ployeur intègrent facilement l’assiette du salaire minimal, moins il y a d’en-
trave à la libre prestation de services. Inversement, si les sommes versées
ne reçoivent pas la qualification de salaire, le coût de la main-d’œuvre déta-
chée augmente et est susceptible de fausser la concurrence.
Ce sont ces mêmes préoccupations qui sont à l’œuvre dans l’article R.
1262-8 du Code du travail qu’a appliqué ici la Cour de cassation : les
sommes versées à l’occasion du détachement doivent être prises en considé-
ration dans le calcul du salaire minimal si elles ne correspondent pas à des
frais engagés par le salarié. Toute autre solution renchérirait de façon injus-
tifiée le coût de la main-d’œuvre détachée et serait constitutive d’une entrave
à la libre prestation de services.
Fabienne JAULT-SESEKE
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Cour de cassation (Civ. 1re) – 28 janvier 2015 – pourvoi n° 13-50.059

Mariage – PERSONNES DE MÊME SEXE – CONDITIONS DE FOND – LOI APPLI-


CABLE – CONVENTION FRANCO-MAROCAINE DU 10 AOÛT 1981 –
ARTICLE 5 – LOIS NATIONALES RESPECTIVES – LOI PROHIBANT LE MARIAGE
HOMOSEXUEL – ARTICLE 4 – CONTRARIÉTÉ À L’ORDRE PUBLIC

Convention franco-marocaine du 10 août 1981 – ARTICLE 5 – CONDI-


TIONS DE FOND DU MARIAGE – MARIAGE DE PERSONNES DE MÊME SEXE
– LOI DÉSIGNÉE PROHIBITIVE – ARTICLE 4 – CONTRARIÉTÉ À L’ORDRE
PUBLIC – ÉVICTION DE LA LOI PROHIBITIVE – CONDITIONS

Si, selon l’article 5 de la convention franco marocaine du 10 août


1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopéra-

Rev. crit. DIP, 104 (2) avril-juin 2015


CONFLITS DE LOIS 401

tion judiciaire, les conditions de fond du mariage, telles que les empê-
chements, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui
des deux États dont il a la nationalité, son article 4 précise que la loi
de l’un des deux États désignés par la convention peut être écartée par
les juridictions de l’autre État si elle est manifestement incompatible avec
l’ordre public, comme tel est le cas de la loi marocaine compétente qui
s’oppose au mariage de personnes de même sexe dès lors que, pour au
moins l’une d’elles, soit la loi personnelle, soit la loi de l’État sur le ter-
ritoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet (1).

(Procureur général près la cour d’appel de Chambéry c. René X.


et Mohammed Y.)

LA COUR : – Attendu, selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 22 oct. 2013),


que le ministère public a formé opposition au mariage de M. X…, de natio-
nalité française, et de M. Y…, de nationalité marocaine résidant en France,
sur le fondement de l’article 55 de la Constitution, de l’article 5 de la
convention franco marocaine, du 10 août 1981, relative au statut des per-
sonnes et de la famille et à la coopération judiciaire, et des articles 175 1
du Code civil, 422 et 423 du Code de procédure civile ; que MM. X…
et Y… ont saisi le tribunal d’une demande tendant, à titre principal, à l’an-
nulation, subsidiairement, à la mainlevée de l’opposition ;
Sur le premier moyen, […] : – Attendu que le procureur général fait grief
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à l’arrêt d’écarter la convention franco marocaine au profit des principes
supérieurs du nouvel ordre public international instaurés par la loi du 17
mai 2013 et en conséquence de ne pas reconnaître une supériorité du traité
sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes ;
Attendu que le motif de droit énoncé par l’arrêt pour ne pas reconnaître
la supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérar-
chie des normes ne peut constituer un des termes d’une contradiction don-
nant ouverture à cassation ; que le moyen est donc irrecevable ;
Sur le second moyen : – Attendu que le procureur général fait grief à
l’arrêt de donner mainlevée de l’opposition au mariage de MM. X… et
Y…, alors, selon le moyen :
1°/ que, selon l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, « les traités
ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité,
de son application par l’autre partie » ; que la convention bilatérale franco
marocaine du 10 août 1981 a été régulièrement ratifiée par la France, traduite
en droit français par le décret n° 83-435 du 27 mai 1983 et publiée au Jour-
nal officiel du 1er juin 1983, et a fait l’objet de réciprocité ; que dès lors, cette
convention a une valeur supra-légale ; qu’ainsi, en écartant l’application de l’ar-
ticle 5 de la convention prévoyant que « les conditions de fond du mariage
tels que l’âge matrimonial et le consentement, de même que les empêchements,
notamment ceux résultant des liens de parenté ou d’alliance, sont régies pour
chacun des futurs époux par la loi de celui des deux États dont il a la natio-

Rev. crit. DIP, 104 (2) avril-juin 2015


402 JURISPRUDENCE

nalité », pour faire prévaloir les dispositions prévues à l’article 202 1, alinéa 2,
du Code civil, instauré par la loi du 17 mai 2013 selon lesquelles « deux per-
sonnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l’une
d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle
a son domicile ou sa résidence, le permet », la cour d’appel a violé l’article 55
de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
2°/ que, selon l’article 3 du Code civil, « …les lois concernant l’état et la
capacité des personnes régissent les Français même résident en pays étran-
gers » ; que selon l’article 5 de la convention franco marocaine du 10 août
1981, « les conditions de fond du mariage tels que l’âge matrimonial et le
consentement, de même que les empêchements, notamment ceux résultant des
liens de parenté ou d’alliance, sont régis pour chacun des futurs époux par la
loi de celui des deux États dont il a la nationalité » ; que selon l’article 4 de
ladite convention, « la loi de l’un des deux États désignés par la présente
convention ne peut être écartée par les juridictions de l’autre État que si elle
est manifestement incompatible avec l’ordre public » ; que l’article 5 précité
n’est pas contraire ni manifestement incompatible à la conception française
de l’ordre public international tel qu’envisagé par la loi française du 17 mai
2013, en ce qu’il ne heurte aucun principe essentiel du droit français ni un
ordre public international en matière d’état des personnes ; qu’en écartant
l’application de la Convention franco marocaine au profit de principes supé-
rieurs d’un nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai
2013, la cour d’appel a violé l’article 3 du Code civil ainsi que les principes
du droit international privé ;
Mais attendu que si, selon l’article 5 de la Convention franco marocaine
du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la
coopération judiciaire, les conditions de fond du mariage telles que les
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empêchements, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui
des deux États dont il a la nationalité, son article 4 précise que la loi de
l’un des deux États désignés par la convention peut être écartée par les juri-
dictions de l’autre État si elle est manifestement incompatible avec l’ordre
public ; que tel est le cas de la loi marocaine compétente qui s’oppose au
mariage de personnes de même sexe dès lors que, pour au moins l’une
d’elles, soit la loi personnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel
elle a son domicile ou sa résidence le permet ; que, par ce motif de pur
droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, l’arrêt se trouve
légalement justifié ;
Par ces motifs : – Rejette le pourvoi
Du 28 janvier 2015 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 13-50.059 –
Mme Batut, prés., MM. Hascher, rapp., Sarcelet, av. gén. – SCP Meier-Bour-
deau, SCP Spinosi et Sureau, Mme Rémy-Corlay, av.

(1) Avertissement au lecteur


Au-delà de son caractère médiatique du fait de l’enjeu symbolique des
relations qu’il met en cause entre mariage pour tous et statut personnel
musulman, l’arrêt du 28 janvier 2015 (et son annexe que constitue le com-
muniqué de presse dont la Cour de cassation a voulu l’accompagner) pose
de nombreuses et intéressantes questions de droit. Pour les traiter, la Revue
a invité cinq auteurs à exprimer, en un espace limité pour garder des pro-

Rev. crit. DIP, 104 (2) avril-juin 2015


CONFLITS DE LOIS 403

portions raisonnables à ce forum compte tenu du nombre de plumes ainsi


mobilisées, leur point de vue sur tel ou tel aspect de la décision qui leur
paraît plus particulièrement remarquable. En acceptant de se prêter à l’exer-
cice, ces auteurs permettent aujourd’hui à la Revue, qui leur en sait gré,
de présenter un florilège d’observations sous la forme originale de notules
dans lesquelles l’appareil scientifique a été strictement réduit tandis que,
dans la formulation des idées et opinions, l’efficacité d’un langage bref a
été privilégiée.

Didier BODEN – L’arrêt du 28 janvier 2015 tranche la question de la
contrariété à l’ordre public français d’une loi étrangère n’autorisant pas le
mariage entre personnes de même sexe (I) et il en ravive deux autres : celle,
dans ce contexte particulier, de l’exigence – ou non – d’une Inlandsbezie-
hung pour que l’exception d’ordre public puisse être déclenchée (II), et celle
de l’identification des mariages célébrés à l’étranger dont la validité est recon-
nue par le nouveau droit français (III).
I. – Selon l’arrêt, « est […] manifestement contraire à l’ordre public [français]
(…) la loi marocaine compétente qui s’oppose au mariage de personnes de
même sexe dès lors que, pour au moins l’une d’elles, soit la loi personnelle,
soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence
le permet », cette règle générale étant énoncée dans le contexte particulier de
la célébration en France du mariage d’un Français et d’un Marocain.
Cette solution est calquée sur la règle bilatérale à rattachement alterna-
tif in favorem validitatis matrimonii du nouvel article 202-1 alinéa 2 du
Code civil (« deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage
lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de
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l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le per-
met »). La Cour aligne ainsi le droit conventionnel sur le droit commun :
à la désignation de principe de la loi nationale (C. civ., art. 202-1, al. 1er ;
convention franco-marocaine, art. 5) vient déroger, le cas échéant, l’une
des lois désignées par le rattachement alternatif précité (C. civ., art. 202-
1, al. 2 ; convention, art. 4, tel qu’il est interprété dans l’arrêt commenté).
Est-ce le législateur qui a déguisé une exception d’ordre public en règle
bilatérale dérogatoire, ou est-ce la Cour de cassation qui a déguisé une règle
bilatérale dérogatoire en exception d’ordre public, pour de simples raisons
de contraintes textuelles ? La question n’est pas scolaire.
II. – En effet, puisque l’article 202-1 alinéa 2 du Code civil n’est pas
formulé en termes d’exception d’ordre public, sa mise en œuvre ne néces-
site pas que soient remplis les critères habituels de déclenchement de cette
exception (sur ces critères, v. Didier Boden, L’ordre public, limite et con-
dition de la tolérance, th. Univ. Paris 1, 2002, p. 696-804). En revanche,
énoncer une règle de teneur identique en termes d’exception d’ordre pub-
lic pourrait sous-entendre qu’il faille, notamment, distinguer deux seuils
de tolérance selon qu’il s’agit pour les autorités françaises de créer une sit-
uation en France en application de la loi étrangère ou qu’il s’agit pour
elles, en application de la loi étrangère, de faire produire en France des
effets à une situation valablement créée à l’étranger et qui y a déjà pro-
duit ses principaux effets.
L’arrêt ne dit rien de ce possible sous-entendu. En particulier, il n’exige
ni ne relève la présence d’aucune Inlandsbeziehung, qui, selon un certain

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404 JURISPRUDENCE

courant d’idées, serait nécessaire au déclenchement de l’exception d’ordre


public (pour une critique de ce courant, v. Didier Boden, op. cit., note 56
et n° 642, 684, 749-753 ; Khalid Zaher, Conflit de civilisations et droit
international privé, th. Univ. Paris 1 [2007], Paris, L’Harmattan, 2009, p.
146-182 et 208-209 ; Léna Gannagé, L’ordre public international à l’é-
preuve du relativisme des valeurs, Trav. Comité fr. DIP 2006-2008. 205-
241 ; Sylvain Bollée et Bernard Haftel, infra, p. 405). L’arrêt requiert une
Beziehung (la loi qui permet le mariage doit être désignée par l’une des
branches du rattachement alternatif précité) sans requérir d’Inland (la loi
qui permet le mariage n’est pas nécessairement la loi française). Ajouter une
exigence d’Inlandsbeziehung en rompant l’heureuse uniformité créée par l’arrêt
aurait l’inconvénient d’obliger les tribunaux français, en méconnaissance
des obligations européennes de la France, à annuler le mariage qu’auraient
conclu en Belgique une Belge et une Marocaine, alors que ce même mariage,
célébré en France, ou un mariage franco-marocain célébré en Belgique,
n’auraient, eux, rien à craindre des tribunaux français.
III. – La portée de l’arrêt dépasse en effet le seul cas des mariages célébrés
en France, et touche la question de la reconnaissance en France des mariages
célébrés à l’étranger en violation de la loi nationale d’au moins un des con-
joints. Dans ce cas, la situation est boiteuse avant même que les autorités
françaises soient saisies, et il leur faut choisir d’épouser le point de vue de
l’un ou de l’autre des deux États déjà impliqués.
À cet égard, le droit commun n’a pas toujours été bien compris, l’ar-
ticle 21 de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de per-
sonnes de même sexe pouvant donner l’impression fausse d’épuiser la ques-
tion de la reconnaissance en France des mariages conclus à l’étranger avant
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le 19 mai 2013, et de ne permettre la reconnaissance que des mariages
unissant deux personnes dont l’une au moins aurait été française. En réa-
lité, le nouveau droit commun impose, sans distinction de nationalité ni de
date de conclusion, que tous les mariages conclus à l’étranger avant le 19
mai 2013 soient reconnus en France s’ils sont valables selon les lois dési-
gnées par les articles 202-1 et 202-2 du Code civil. L’article 21 vient sim-
plement rendre explicite ce qui, autrement, serait resté incertain : la diffé-
rence de sexe exigée par l’état antérieur du droit français ne fera pas obstacle
à la reconnaissance. En d’autres termes, le nouveau droit n’impose la recon-
naissance que des mariages conclus hier à l’étranger qui auraient pu être conclus
aujourd’hui en France.
Si la Cour de cassation a procédé le 28 janvier 2015 à un alignement
du droit conventionnel sur le droit commun, l’article 4 de la convention
franco-marocaine doit être appliqué de façon telle que la France reconnaisse
le mariage de deux Marocains conclu avant le 19 mai 2013 dans un État
tiers autorisant le mariage entre personnes de même sexe alors qu’ils y rési-
daient. En décider autrement (par exemple au nom d’une absence d’In-
landsbeziehung), pour ensuite autoriser ces mêmes personnes à se remarier
en France (comme le leur permet le présent arrêt) reviendrait à reprocher
à l’État tiers d’avoir fait ce que la France s’empresserait de faire à sa suite.
Reconnaître le mariage sera moins déroutant.


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CONFLITS DE LOIS 405

Sylvain BOLLÉE – Bernard HAFTEL – Une impression nette se dégage de


l’arrêt : la Cour voulait faire primer le règlement du conflit de lois de l’ar-
ticle 202-1 alinéa 2 du Code civil sur celui de l’article 5 de la convention
franco-marocaine, et l’ordre public de proximité – ou ce qui y ressemble
– a fait figure d’expédient.

I. – S’il s’agissait d’un ordre public de proximité classique, fondé sur un


rattachement sérieux avec la France, la solution serait déjà discutable.
On commencera par les réserves que peut inspirer, en général, l’ordre
public de proximité. Par hypothèse, la loi étrangère est désignée par la règle
de conflit. Il s’agit donc, d’après les vues du droit français, de la loi la plus
appropriée pour régir la situation, désignée à raison de sa vocation et non
de sa teneur. Toutefois, le contenu de cette loi apparaît aux yeux de l’ordre
juridique français tellement « odieux », selon le mot de Bartole, que le juge
français considère qu’il y a lieu de l’écarter au profit du droit français, c’est-
à-dire d’un droit par hypothèse sans lien prépondérant avec la situation,
qui n’est appliqué qu’à raison de sa teneur et non de sa vocation. Dans ce
schéma, pourquoi les liens de la situation avec la France auraient-ils une
quelconque incidence ? La loi étrangère n’est ni plus ni moins odieuse sui-
vant que la situation a ou non des liens avec la France. Reste certes la pos-
sibilité, une fois constaté que la loi étrangère est bien odieuse, de renon-
cer à s’en émouvoir en considérant que l’éloignement justifie un désintérêt
de l’ordre juridique français. Mais cette philosophie de l’indifférence – « ils
ne sont pas des nôtres : ce n’est pas notre affaire » (v. D. Boden, L’ordre
public : limite et condition de la tolérance – Recherches sur le pluralisme juri-
diques, th. Paris I, 2002, p. 791) – apparaît difficilement acceptable, puis-
qu’elle revient à abandonner des individus à l’application de normes réputées
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choquantes, et même à admettre que l’ordre juridique français s’en fasse le
bras armé.
À quoi s’ajoute ici que ce qui est en cause est, sinon un authentique
droit de l’homme (la Cour de Strasbourg l’a écarté, encore récemment, v.
CEDH 24 juin 2010, n° 30141/04, Schalk et Kopf c/ Autriche), du moins
un dérivé du principe fondamental d’égalité. C’est en effet par souci d’é-
galité que l’accès au mariage a été ouvert « pour tous ». Or on peine à
comprendre comment la volonté de faire prévaloir cette forme d’égalité
pourrait être puissante au point d’écarter les lois étrangères contraires…
mais seulement au bénéfice de certaines personnes en fonction de leur natio-
nalité, domicile ou résidence. Curieuse figure que celle de cette discrimi-
nation dans la mise en œuvre d’un principe égalitariste. On voit là le résul-
tat d’un compromis bancal entre la démarche localisatrice propre à la règle
de conflit et la démarche substantielle propre à l’ordre public ; à l’arrivée,
aucune d’elle n’y trouve son compte.
Le résultat atteint est d’autant moins convaincant ici qu’en reprenant
les termes de l’article 202-1, la Cour de cassation se contente d’un lien
particulièrement ténu, tenant à la nationalité, au domicile ou à la résidence,
même non qualifiée, de l’un des époux. La discrimination, déjà critiquable
en soi, se fait donc sur la base de critères particulièrement malléables, voire
manipulables.

II. – Mais c’est encore ce que la solution consacrée par l’arrêt a d’aty-
pique qui apparaît le plus discutable. De manière frappante, les termes de

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406 JURISPRUDENCE

la décision indiquent que l’ordre public a vocation à intervenir même en


l’absence de liens avec la France, du moment que la condition de ratta-
chement – nationalité, domicile ou résidence – est satisfaite à l’égard d’un
État étranger dont la loi autorise le mariage homosexuel. La discrimination
prend ainsi un relief original : deux marocains bénéficient des faveurs de
l’ordre public si l’un d’eux réside en Belgique, par exemple, mais non s’ils
sont domiciliés en Italie, en Grèce ou encore en Allemagne… Bien sûr, on
voit une explication s’esquisser : sans doute s’agit-il d’attacher des consé-
quences à une communauté de valeurs constatée avec un ordre juridique
avec lequel la situation a des liens. Seulement, le bien-fondé d’une telle
approche est des plus douteux.
D’abord, parce qu’il s’agit alors de faire prévaloir, entre les points de
vue de deux ordres juridiques ayant un lien avec la situation – celui de la
nationalité, désigné par l’article 5 de la convention franco-marocaine, et
celui dont les conceptions sont semblables aux nôtres – celui qui est sup-
posé être le moins pertinent (selon la règle de conflit dudit article 5), et
même celui que l’ordre juridique français s’est conventionnellement engagé à
tenir pour le moins pertinent.
Ensuite, et plus simplement, parce que l’on comprend mal pourquoi
l’ordre public international français serait davantage concerné par la situa-
tion des nationaux, domiciliés ou résidents belges que par celle de leurs
homologues de quelque pays que ce soit. On rejoint là, à vrai dire, un
axiome de la théorie générale du conflit de lois : les exigences d’un ordre
juridique étranger ne sont pas supposées entrer en ligne de compte lorsque
le juge doit décider de déclencher ou non l’exception d’ordre public inter-
national. Ceci s’explique d’ailleurs fort bien, car encore une fois il serait
paradoxal que les vues de la loi étrangère désignée par la règle de conflit
s’effacent devant celle d’une autre loi qui a priori n’a aucune raison parti-
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culière de s’appliquer.
Le caractère fortement atypique du modus operandi de l’ordre public
international, dans l’arrêt du 28 janvier 2015, n’est pas, il est vrai, une
objection en soi : après tout, il est parfois bon que les méthodes évoluent
et se renouvellent. Mais le problème se pose en des termes particuliers lors-
qu’il en va, comme ici, du sens à donner aux termes d’une convention
internationale. Sauf à considérer que ceux-ci n’ont pas de signification propre
et que les juridictions de chaque État contractant peuvent en faire n’im-
porte quelle lecture, même la plus inattendue, le respect des engagements
internationaux de la France s’accommode mal d’une application aussi peu
orthodoxe de la clause de réserve de l’ordre public. Cela est d’autant plus
vrai que cette clause est rédigée en des termes étroits dans la convention
franco-marocaine (art. 4 : la loi étrangère doit être « manifestement incom-
patible avec l’ordre public »), et que son dévoiement vise en fait à contour-
ner l’autorité du traité pour faire prévaloir le règlement du conflit de lois
issu de la loi du 17 mai 2013. La solution est sans doute conforme aux
idées du moment, mais il n’est guère rassurant que celles-ci autorisent de
tels accommodements avec l’exigence élémentaire du respect des normes
supranationales.


Petra HAMMJE – C’est une réponse en trompe l’œil que l’arrêt du 28
janvier 2015 donne à la question de l’articulation de l’article 202-1 alinéa

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CONFLITS DE LOIS 407

2 du Code civil et de la convention franco-marocaine du 10 août 1981.


À première vue, la solution emporte l’adhésion, car elle semble mettre fin
au traitement différencié réservé aux ressortissants de pays liés à la France
par une convention internationale. Mais sous un autre angle, elle crée le
doute sur l’obtention effective du résultat affiché, et surtout sur le respect
de la convention franco-marocaine : le fondement apparent de l’ordre public
international (I) révèle en réalité une application préférentielle de l’article
202-1 alinéa 2 (II).

I. – Fondé en apparence sur l’article 4 de la convention franco-maro-


caine, l’arrêt intègre l’article 202-1 alinéa 2 à l’exception d’ordre public
dont il devient une composante. Mais c’est précisément de cette délimita-
tion du périmètre de l’article 4 au regard de l’article 202-1 alinéa 2 que
naît la distorsion, car les deux textes répondent à des logiques différentes.
À suivre la Cour de cassation, la condition d’indifférence de sexe fait
dorénavant partie de l’ordre public international, volte-face dans la teneur
des (volatils) principes essentiels du droit français qu’il sauvegarde. Sur ce
terrain, la condition rejoindrait les autres conditions de fond du mariage,
défendues dans la même mesure par l’article 4 de la Convention. Mais la
teneur de l’ordre public est en réalité tout autre : c’est avant tout la « liberté
fondamentale de se marier » ouverte à tout individu, qu’il s’agit de sauve-
garder (comme le souligne le communiqué accompagnant l’arrêt). Le degré
d’exigence de l’ordre public est rehaussé au niveau supérieur des droits fon-
damentaux, pour défendre « le droit au mariage de personnes de même
sexe ». On entrevoit une défense renforcée et spécifique de l’indifférence
de sexe.
Effectivement, ce supplément d’exigence affecte ici les conditions de déclen-
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chement de l’ordre public, empruntées à l’article 202-1 alinéa 2, où, on le
sait, elles assurent un champ d’application maximal à la nouvelle orienta-
tion du droit français du mariage, par un abaissement du seuil d’interven-
tion de l’ordre public. L’objectif de la Cour est clair : la réaction doit s’opé-
rer dans les mêmes conditions face à toute loi étrangère prohibitive, contexte
conventionnel ou non. L’apparence d’égalité cesse cependant là, puisque le
communiqué de l’arrêt évoque la nécessité de liens de proximité fort diffé-
rents : il faudrait que « le futur époux marocain (ait) un lien de rattache-
ment avec la France, tel que son domicile ». Double modification par rap-
port l’article 202-1 alinéa 2 : c’est en la personne du futur époux étranger
que s’apprécie la proximité ; celle-ci devrait exister spécifiquement avec la
France. Double rupture d’égalité : alors que le texte français permet à un
couple franco-étranger de se marier en France, même si le conjoint étran-
ger n’a aucun lien avec la France, cela serait impossible au conjoint maro-
cain ; alors qu’il aurait permis au conjoint marocain résidant en Belgique,
voire au couple résidant au Maroc, de se marier en France, cela devient ici
impossible faute de lien avec le France.
Ce grand-écart entre la lettre de l’arrêt et l’interprétation qu’en donne
la Cour de cassation elle-même peut se comprendre au regard du fonde-
ment exprès retenu, à savoir l’article 4, et par une volonté d’afficher un
respect de la convention elle-même. La nécessité d’un lien du conjoint
marocain avec la France serait l’expression de la contrariété « manifeste »
avec l’ordre juridique français, spécialement dans le cadre conventionnel a
priori favorable et face à l’absence de consensus international quant au mariage

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408 JURISPRUDENCE

homosexuel. Outre que l’on peut ne pas adhérer au principe même d’un
tel ordre public devenu d’éloignement, surtout s’il s’agit de défendre un
« droit au mariage », la solution est fortement discutable en l’espèce dans
son résultat, car elle maintient une défense à deux vitesses du « droit au
mariage pour tous ».
S’il est permis de s’en tenir à la lettre de l’arrêt, la solution serait satis-
faisante en termes d’égalité entre conjoints de loi nationale prohibitive. Mais
c’est en termes de méthode qu’elle devient discutable, car elle ne peut plus
s’expliquer par le jeu de l’ordre public prévu par l’article 4.

II. – Si on change de perspective pour examiner à partir de l’article 202-


1 alinéa 2 lui-même l’utilisation qu’y en est faite pour définir les contours
de l’ordre public au sens de l’article 4, apparaît au grand jour la véritable
différence de méthodes entre les deux dispositions, qui conduit en réalité
la première chambre civile, par une application préférentielle du texte français,
à évincer la convention franco-marocaine.
L’ambiguïté découle de la nature de la règle posée par l’article 202-1
alinéa 2, et donc du sens que revêtent les conditions de rattachement qu’il
retient. Contrairement à l’article 4, le texte n’est pas l’expression d’une
simple exception d’ordre public (comp. avis av. gén. Sarcelet, Gaz. Pal. 5
févr. 2015. 11 qui le qualifie de « règle de conflit », « règle matérielle »
ou de « modification de l’ordre public international »). Sa formulation posi-
tive indique qu’il impose un résultat - « deux personnes de même sexe peu-
vent contracter mariage » – à certaines conditions de lien avec un État le
permettant. Qu’on y voie une règle matérielle (v. en ce sens D. Bureau et
H. Muir Watt, Droit international privé, t. II, 3e éd. 2014, spéc. n° 723,
p. 181) ou un ordre public de rattachement, les conditions de rattache-
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ment qu’il pose ne sont pas des facteurs de modulation de l’ordre public,
expression de sa relativité. Partie intégrante du présupposé d’une règle maté-
rielle ou critère spécifique de rattachement, ces conditions de proximité
sont indissociables du résultat recherché. Par là même, elles ne peuvent être
extraites de leur contexte pour venir en l’espèce moduler l’intervention de
l’article 4, sauf à ce que celui-ci excède sa propre portée. Ainsi, quand l’arrêt
envisage une proximité extérieure aux deux États liés par la convention,
donc pas seulement « franco-marocaine », il fausse le jeu bilatéral de la
convention en favorisant la position du droit français, élargie à tous les
États permissifs. On comprend alors le besoin précédemment évoqué de
réintroduire une proximité restreinte à la France, seule justification admis-
sible dans le contexte conventionnel à l’éviction du droit marocain au nom
du « mariage pour tous ».
En conséquence, se référer même implicitement à l’article 202-1 alinéa
2 pour nourrir l’article 4 conduit, inévitablement, à sortir du cadre de l’ex-
ception d’ordre public ouvert par ce dernier : l’article 4 est absorbé par
l’article 202-1 alinéa 2 qui s’impose directement. Ce n’est plus alors la seule
loi marocaine, mais la règle de conflit de l’article 5, donc la Convention
franco-marocaine, qui est écartée – tout comme l’alinéa 2 de l’article 202-
1 met à l’écart la règle de conflit de principe de son alinéa 1er, en formu-
lant une règle de rattachement dérogatoire. En cela l’arrêt du 28 janvier
2015 amplifie les réserves déjà suscitées par l’article 202-1 alinéa 2 du Code
civil : la volonté de défendre le choix législatif français justifie-t-elle une

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CONFLITS DE LOIS 409

instrumentalisation des mécanismes du droit international privé et à pré-


sent le non-respect des engagements internationaux ?

Pascal de VAREILLES-SOMMIÈRES – L’opposition formée par le ministère
public au mariage en France d’un Français et d’un Marocain, du fait de la
contrariété de l’union projetée avec la loi marocaine, compétente selon l’ar-
ticle 5 de la convention franco-marocaine de 1981 et prohibitive du mariage
entre personnes de même sexe, conduit la Cour de cassation, à statuer, l’air
de rien, sur la portée et la nature d’une des dispositions les plus comba-
tives de la loi française sur le « mariage pour tous » : l’article 202-1, alinéa
2, du Code civil. En y décidant que « Deux personnes de même sexe peu-
vent contracter mariage lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi per-
sonnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou
sa résidence le permet », le législateur français a donné un rayonnement
atomique à sa frappe : la nouvelle règle validant le mariage homosexuel
n’est pas conçue comme un simple élément du statut personnel des Français,
dans la tradition de l’article 3, alinéa 3, du même code – consolidée par
l’article 202-1, alinéa 1er – mais voit son domaine spatial élargi de façon
peu commune pour des dispositions de droit de la famille. L’effet de levier
donné, dans l’ordre international, par l’article 202-1, alinéa 2, à la valida-
tion française du mariage homosexuel est triple :
– dans l’esprit de l’article 309 du Code civil concernant le divorce, il
étend la portée de la loi française à des étrangers qui se rattachent à la
France par leur domicile ou leur résidence. Alors même que leur loi per-
sonnelle serait prohibitive d’un mariage homosexuel, le bienfait de la loi
française leur sera prodigué, l’union célébrée étant soustraite à la contesta-
tion de ce chef ;
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– pour l’étranger de statut personnel prohibitif qui ne se rattacherait pas
lui-même à la France par son habitation, il suffira que le conjoint de même
sexe soit français, ou qu’il habite en France pour que l’irrégularité du mariage
causée par l’identité de sexe soit exclue. C’est désormais le bienfait de la
loi française applicable à l’autre prétendant qu’on étend à une personne
dépourvue elle-même de liens significatifs avec la France ;
– lorsqu’aucun de ces contacts directs ou indirects de l’étranger avec la
France n’existera, l’article 202-1, alinéa 2, le libère encore de l’allégeance
à son statut personnel prohibitif en secondant la validation d’une union
homosexuelle par la loi étrangère de l’État auquel il se rattacherait, direc-
tement par son lieu d’habitation, ou indirectement par la nationalité, ou
l’habitation de son conjoint.
Par le rayon d’action ainsi reconnu aux dispositions nationales suppri-
mant la différence de sexe de la liste des conditions du mariage, le législa-
teur français se mue en véritable militant de la cause du mariage pour tous
et utilise sa loi comme un vecteur transfrontière des standards familiaux qu’il
édicte, suivant ainsi l’exemple donné par d’autres (1). Son prosélytisme le

(1) La démarche française rappelle celle suivie en Belgique par l’article 46 du Code
de droit international privé : « L’application d’une disposition du droit désigné en vertu
de l’alinéa 1er est écartée si cette disposition prohibe le mariage de personne de même
sexe, lorsque l’une d’elles a la nationalité d’un État ou a sa résidence habituelle sur le
territoire d’un État dont le droit permet un tel mariage ».

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410 JURISPRUDENCE

conduit, avec l’article 202-1, alinéa 2, à puiser sans trier dans l’arsenal du
droit international privé pour en tirer les armes avec lesquelles il entend
mener son combat et faire remporter ses victoires au mariage homosexuel.
Le texte est en effet animé par une double logique, conflictuelle et sub-
stantielle, méritant bien la dénomination de « dispositif spécifique » rete-
nue par le Conseil constitutionnel (2). Sur le terrain conflictuel, la reven-
dication de compétence pour la loi française transparait clairement chaque
fois qu’un lien pertinent avec la France existe. Sur le terrain substantiel, la
neutralisation, pour motif de contenu, des statuts prohibitifs étrangers, même
présentant avec la situation un lien qui suffirait à déclencher la compétence
législative française s’il reliait la situation à la France, souligne l’affinité de
la mesure avec l’exception d’ordre public. Mais aucune de ces deux logiques
n’est parfaitement respectée : contrairement à l’orthodoxie conflictuelle, l’ar-
ticle 202-1, alinéa 2, n’abandonne pas le règlement de la question de droit
substantiel à une loi sélectionnée en fonction des liens que l’État l’édictant
entretient avec la situation. Ces liens ne sont validés comme facteurs de rat-
tachement que si la loi désignée permet le mariage homosexuel. Et alors
même que cette donnée suggère un certain rapprochement du dispositif
avec l’exception d’ordre public, une analyse plus précise nous en éloigne (3) :
il ne s’agit pas seulement, comme dans une version proximiste de l’ordre
public, de stériliser en France, du fait des liens de la situation avec notre
pays, les statuts étrangers prohibitifs revendiquant de s’appliquer : ces sta-
tuts sont aussi bloqués lorsque la situation qu’ils visent présente des liens
pertinents avec un pays étranger validant l’union homosexuelle. L’idée d’un
égard dû à la position de ce pays en raison de ces liens renvoie à la logique
répartitrice de la règle de conflit, non à celle régulatrice de l’exception
d’ordre public. L’hésitation persiste donc sur la nature exacte de l’article
202-1, alinéa 2 (4) : règle de conflit à coloration substantielle ? Ou bien
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principe d’ordre public à coloration conflictuelle ?
On comprend, vu cette indétermination, que le sort de la disposition eu
égard à la convention franco-marocaine fasse difficulté. Cette convention
pose en effet une règle de conflit spéciale pour les conditions de fond du
mariage (art. 5), tout en admettant la neutralisation, par le juge du for, de
la loi étrangère désignée en cas d’atteinte à l’ordre public (art. 4). Si on ana-
lyse l’article 202-1, alinéa 2, en termes d’ordre public, l’article 4, loin d’empê-
cher nos juges d’en tenir compte, le leur permet expressément. Si, inverse-
ment, on l’analyse comme une disposition conflictuelle, la solution qu’elle
retient, de source interne, apparait comme anti-conventionnelle. Dans l’af-
faire examinée, le procureur, en s’opposant au mariage, retenait [conformé-
ment à la circ. du 29 mai 2013 (5)] une lecture conflictualiste de l’article
202-1, alinéa 2, et faisait prévaloir la règle de conflit conventionnelle de l’ar-

(2) Décis. n° 2013-669 DC, 17 mai 2013, Rev. crit. DIP 2013. 753, n° 29.
(3) V. doutant de la pertinence d’une analyse en termes d’ordre public, D. Bureau,
Le mariage international pour tous à l’aune de la diversité, Mélanges B. Audit, LGDJ,
2014, n° 27.
(4) V. les interrogations et divergences entre P. Hammje (« Mariage pour tous » et
droit international privé, Rev. crit. DIP 2013.784), D. Bureau (op. cit., n° 27 et 28) et
H. Fulchiron (Le mariage entre personnes de même sexe en droit international privé au
lendemain de la reconnaissance du « mariage pour tous », JDI 2013. 1065-1067).
(5) Rev. crit. DIP 2013. 1044.

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CONFLITS DE LOIS 411

ticle 5. La Cour de Chambéry (6) avait, elle, ordonné la mainlevée de l’op-


position, en se fondant – assez maladroitement – sur la neutralisation de la
Convention franco-marocaine au titre du « nouvel ordre public internatio-
nal » émanant de l’article 202-1, alinéa 2, lequel était ainsi doté d’un effet
qu’il n’avait pas. La Cour de cassation maintient l’arrêt en l’appuyant sur
un motif de pur droit, substitué : est contraire à l’ordre public réservé par
l’article 4, « la loi marocaine compétente qui s’oppose au mariage de per-
sonnes de même sexe dès lors que, pour au moins l’une d’elles, soit la loi
personnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile
ou sa résidence le permet ». L’alignement des conditions de déclenchement
de l’exception d’ordre public sur celles posées par l’article 202-1, alinéa 2,
est frappant : tapie dans l’ombre où le motif la cantonne, cette disposition
façonne l’ordre public dans ses dimensions substantielle et spatiale.
En opportunité, on notera que l’analyse ainsi donnée de l’article 202-1,
alinéa 2, en termes d’ordre public, aboutit à une interprétation qui accroit
encore (7) le rayonnement international de la réforme de 2013, nonobs-
tant les « longs bras » dont son concepteur l’avait déjà affublée. En contre-
partie, la Cour concède implicitement que l’exigence d’une indifférence au
sexe des prétendants n’a pas, en tant que telle, brutalement rejoint l’ordre
public international tel qu’exprimé depuis 2013 par la France puisque, lorsque
les conditions spatiales spécifiées par notre règle feront défaut, le statut pro-
hibitif marocain demeurera efficace en France (8).
En droit, on soulignera deux points.
Dans le cadre de la convention franco-marocaine (9), d’une part, on
peut se demander ce à quoi la France s’est engagée vis-à-vis du Maroc si
elle s’estime libre, par la construction unilatérale d’un ordre public à colo-
ration conflictuelle, de vider la règle de conflit conventionnelle : il est para-
doxal de dire que la loi marocaine prise comme loi nationale de l’un des
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prétendants est compétente, et d’affirmer en même temps que la loi per-
sonnelle de l’autre prétendant, ou la loi du domicile ou de la résidence de
l’un d’eux, même étrangère, prévaut sur elle en France dès lors qu’elle valide
l’union.
Plus généralement, d’autre part, le lien fait, sous l’empire de la conven-
tion, entre l’article 202-1, alinéa 2, et l’ordre public soulève bien des ques-
tions qui dépassent ce cadre : l’application de la loi étrangère validant le
mariage homosexuel à la place du statut personnel prohibitif compétent
ferait-il basculer la France dans le camp des pays (10) qui admettent l’ap-
plication d’une loi autre que la loi du for au titre de l’effet positif de l’ex-
ception d’ordre public ? L’ordre public étranger ne se verrait-il pas recon-
naitre un effet boomerang par la France lorsque cette dernière prive d’effet
chez elle le statut personnel prohibitif étranger compétent mais heurtant
un droit tiers permissif ? Faudra-t-il lire aussi en termes d’ordre public

(6) 22 oct. 2013, D. 2013. 2576, entretien H. Fulchiron.


(7) Au-delà même des souhaits du ministère de la Justice (circ. préc.).
(8) Des nuances s’imposent face à certaines affirmations catégoriques parfois rencon-
trées (C. Bidaud-Garon, Mariage pour tous : la circulaire !, JCP 2013. 729, § 2).
(9) Ou d’autres conventions bilatérales similaires (énumérées par la circ. préc., § 2.1.2 ;
et, v. distinguant selon les dispositifs conventionnels, rép. min., Rev. crit. DIP 2013. 1054).
(10) Belgique (Code de droit international privé, art. 21) ; Italie (L. n° 218/1995,
art. 16).

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412 JURISPRUDENCE

d’autres dispositions ressemblant à l’article 202-1, alinéa 2, comme, en droit


de la filiation, l’article 311-17 ?
L’impression s’installe que, quel que soit l’esprit dans lequel la Cour
livre ici son interprétation (accompagner le législateur lorsqu’il se positionne
dans l’avant-garde en matière de famille, alors qu’elle refuse d’être avant-
gardiste à sa place, comme le montre sa jurisprudence sur la gestation pour
autrui ; ne pas se sentir trop liée par une convention bilatérale elle-même
malmenée par l’autre partie ?), le moyen employé entrouvre une boite de
Pandore, de laquelle la haute juridiction fera bien de s’employer à filtrer
ce qui sort…
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