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La violence économique dans l’espace OHADA

Yacouba-Sylla Koïta
Dans Revue internationale de droit économique 2020/3 (t. XXXIV), pages 297 à 318
Éditions Association internationale de droit économique
ISSN 1010-8831
ISBN 9782807394070
DOI 10.3917/ride.343.0297
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LA VIOLENCE ÉCONOMIQUE
DANS L’ESPACE OHADA1

Yacouba-Sylla KOÏTA2
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Résumé : Il y a violence économique lorsqu’un déséquilibre dans les droits et
obligations des parties à un contrat est la résultante de l’exploitation par l’une
d’elles de l’état de faiblesse (économique) de l’autre, au moment de la forma-
tion de la convention. Enjeu croissant de justice contractuelle, le phénomène
trouve de plus en plus fréquemment réponse dans les législations modernes.
Dans l’espace géographique couvert par l’OHADA, il demeure du ressort
des droits internes, renforcés par des législations d’origine communautaire
(UEMOA et CEMAC notamment) dans certains domaines spécifiques. Les deux
projets de textes de l’OHADA destinés à l’uniformisation du droit commun des
obligations abordent certes la question, mais suivant deux approches diffé-
rentes : l’un l’assimile au vice de violence tandis que l’autre l’associe à la
lésion. Le présent article s’intéresse ainsi au régime juridique de la violence
économique au sein de la zone de compétence de l’OHADA. Il commence par
sonder ce régime qui, de lege lata, n’est pas harmonisé et se révèle lacunaire.
Ce constat, associé à d’autres considérations d’ordre juridique et conjoncturel,
permet de déterminer, de lege ferenda, les fondements d’un régime juridique
uniforme optimisé.

1. Cet article est tiré d’une communication prononcée par l’auteur à l’occasion des
9es Doctoriades de l’Université de Toulon, au cours de l’atelier portant sur « Les violences »,
en octobre 2019.
2. Doctorant en droit privé, en cotutelle de thèse à l’Université de Toulon et à l’Université de
Genève.

Revue Internationale de Droit Économique – 2020 – pp. 297-318 – DOI: 10.3917/ride.343.0297


La violence économique dans l’espace OHADA 298

Introduction
1 De lege lata : un régime juridique lacunaire
1.1. La violence économique dans le droit des contrats
1.1.1. Le silence des textes
1.1.2. L’assimilation prétorienne à la violence morale
1.2. La violence économique dans le droit du marché
1.2.1. Une protection résiduelle du consommateur
1.2.2. Une protection inadéquate du concurrent
2 De lege ferenda : un régime juridique optimisé
2.1 Les fondements objectifs
2.1.1 L’exigence de cohérence normative
2.1.2 L’impératif de sauvegarde du contrat
2.2 Les fondements subjectifs
2.2.1 Les spécificités socio-juridiques de l’espace OHADA
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2.2.2 Les perspectives d’extension de l’espace OHADA
Conclusion

« Si l’argent est la monnaie établie pour faciliter les accords


entre particuliers, les lois sont la monnaie de la cité.
[Il faut se garder d’y introduire] des pièces de mauvais aloi… » 3

INTRODUCTION
Évoquer la violence économique du point de vue de l’OHADA4 n’a rien
de naturel a priori, en l’absence d’un droit positif harmonisé des contrats.
L’uniformisation en matière contractuelle représente en effet l’arlésienne du
droit dérivé de l’organisation. Elle est annoncée depuis deux décennies, mais
peine toujours à se réaliser, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes si l’on
considère que le contrat fournit le substrat du droit des affaires. La décision
initiale d’harmonisation a été prise en 2001 par le Conseil des ministres, lors de
sa réunion de Bangui 5. Une première tentative de concrétisation avait conduit

3. Démosthène, « Discours contre Timocrate », in Discours judiciaires, trad. C. Poyard, Paris,


Garnier Frères, 1905, p. 305, citant Solon.
4. Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, créée par traité le 17 oc-
tobre 1993 et fédérant à ce jour dix-sept États d’Afrique, en grande majorité de tradition
juridique civiliste.
5. V. compte rendu du Conseil des ministres de l’OHADA, Bangui, les 22 et 23 mars 2001,
Journal officiel de l’OHADA, n° 12, 28 février 2003, p. 7. Dans le vocabulaire du droit
OHADA, tel qu’employé dans le Traité fondateur, dans les documents officiels de l’organi-
sation ou encore dans la doctrine, la notion d’harmonisation est utilisée de façon interchan-
geable avec celle d’uniformisation, bien qu’il existe en réalité une nuance entre les deux et
que la seconde soit la plus appropriée en l’occurrence. L’OHADA réalise en effet, non pas
La violence économique dans l’espace OHADA 299

le Secrétariat permanent à solliciter, en 2002, l’expertise de l’Institut interna-


tional pour l’unification du droit privé (Unidroit). Au nom de cet organisme,
le Professeur Marcel Fontaine prépara un avant-projet d’Acte uniforme sur le
droit des contrats s’inspirant essentiellement des Principes d’Unidroit relatifs
aux contrats du commerce international. Cette première proposition ne connut
pas de suite. En 2007, le Conseil des ministres décida de la fusion des pro-
jets d’uniformisation portant respectivement sur le droit des contrats et sur le
droit de la preuve 6. C’est alors la Fondation pour le droit continental qui, sous
la plume des Professeurs Paul Gérard Pougoue, Joseph Issa-Sayegh et Filiga
Michel Sawadogo, élabora un second projet, au champ d’application plus large,
dit projet de texte uniforme portant droit général des obligations. Il fut transmis
au Secrétariat permanent en 2015.
Ainsi, à ce jour, le législateur de l’OHADA, dans le cadre de son projet
d’harmonisation du droit des obligations en général et du droit des contrats en
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particulier, se trouve face à deux propositions incarnant deux modèles globa-
lement différents, sinon opposés. La première, celle d’Unidroit, est à tendance
progressiste et prend le parti de la modernisation et de l’ouverture 7 dans un
contexte dans lequel le droit aussi se globalise 8. Elle emprunte pour ce faire
au droit privé uniforme et aux codifications modernes, telles que le Code civil
québécois. La seconde mouture, celle de la Fondation pour le droit continental,
apparaît au contraire conservatrice et reste fidèle au système civiliste, ce par
crainte des conséquences que pourrait engendrer un bouleversement de cette
tradition juridique profondément ancrée dans la quasi-totalité des États de la
zone OHADA9. Elle puise ainsi sa matière première essentiellement dans le
droit civil actuel desdits États, qui a relativement peu évolué par rapport au
droit hérité de l’Hexagone à l’heure des indépendances.

un simple rapprochement, mais une véritable fusion des législations des Etats parties, dans
les matières couvertes, par l’entremise de normes communes dites justement « actes uni-
formes ». V. en ce sens, H. D. Modi Koko Bebey, « L’harmonisation du droit des affaires
en Afrique : regard sous l’angle de la théorie générale du droit », Juriscope, Revue de l’ac-
tualité juridique, 2001, pp. 13-15, disponible sur http://www.daldewolf.com/documents/
document/20151221114452-47_29_droit_ohada_regard_sous_l_x27_angle_de_la_theorie_
generale_du_droit_modi_koko.pdf, consulté le 29 novembre 2019.
6. V. compte rendu de la réunion spéciale du Conseil des ministres de l’OHADA, Niger, les
26 et 27 juillet 2007, Journal officiel de l’OHADA, n° 19, 1er octobre 2009, p. 9.
7. V. M. Fontaine, « Note explicative à l’avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des
contrats », Rev. dr. unif., janvier 2008, vol. 13, n° 1-2, p. 565, disponible sur : http://academic.
oup.com, consulté le 26 octobre 2019.
8. V., y compris sur la manière dont les États adaptent leur droit aux standards internationaux
pour attirer de la richesse, B. Frydman, « Les défis du droit global », in C. Bricteux et
B. Frydman (dir.), Les défis du droit global, Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 9-10.
9. V. P.G. Pougoué, J. Issa-Sayegh et F.M. Sawadogo, « Projet de texte uniforme portant droit
général des obligations dans l’espace OHADA », pp. 4-6, disponible sur : https://www.­
fondation-droitcontinental.org, consulté le 26 octobre 2019 ; Adde P.G. Pougoué, « L’avant-
projet d’acte uniforme OHADA sur le droit des contrats : les tribulations d’un universitaire »,
Ohadata, 2007, D-07-41, pp. 7 et s.
La violence économique dans l’espace OHADA 300

Le droit uniforme OHADA applicable aux contrats, s’il devait effective-


ment voir le jour 10, résulterait sans doute d’une mixtion, au dosage que le légis-
lateur jugerait convenable, des deux modèles. Des choix tranchés s’imposeront
toutefois à certains égards. Il suit en effet de la différence d’orientation décrite
précédemment des divergences d’approche plus ou moins importantes de la
part des deux projets de textes quant à divers aspects de la théorie du contrat.
Ainsi de la notion de cause, des modalités de la résolution pour inexécution ou
encore de la question de la violence économique.
Cette dernière notion présente la particularité d’une relative nouveauté par
rapport aux autres, en tout cas du point de vue de son inscription dans le marbre
de la loi. Même des droits aussi avancés que celui de la France n’y ont procédé
que récemment 11. En fait, le sujet s’est progressivement imposé comme une
nouvelle exigence de justice contractuelle et de protection de la partie faible.
La notion de violence économique s’applique en effet à diverses situations dans
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lesquelles une partie tire un avantage abusif de la situation de dépendance (éco-
nomique) de son cocontractant au moment de la conclusion de la convention.
De ce point de vue, l’expression « violence économique », en usage dans la
doctrine, n’est, en fait, pas neutre ; elle conduit à percevoir d’office le phéno-
mène comme une des déclinaisons de la violence vice du consentement, au
sens où la conçoit le projet de texte uniforme portant droit général des obliga-
tions dans l’espace OHADA. Or cela ne va pas de soi, puisque l’avant-projet
d’Acte uniforme sur le droit des contrats, à l’instar de nombreuses législations
en vigueur, le traite plutôt au titre de la lésion. Si la notion de « contrainte éco-
nomique », qui a la préférence de la jurisprudence française, paraît quelque peu
plus satisfaisante, c’est celle, plus large, d’« abus de dépendance » qui semble
le mieux rendre compte de la réalité visée. Les trois dénominations seront tou-
tefois employées comme étant interchangeables dans la présente étude.
Quelle que soit l’appellation que l’on lui attribue, la prise en considération
du phénomène est de nature à renouveler la théorie de la formation du contrat
dans tout système qui s’en fait l’hôte. L’enjeu n’est pas mince. Aussi la pré-
sente réflexion s’intéresse-t-elle, dans la perspective de l’adoption d’un droit

10. Si, jusqu’à une période récente, et en dépit de tous les débats qu’il soulève, le projet d’harmo-
nisation du droit des contrats était encore défendu par les instances de l’OHADA, notamment
par le Secrétariat permanent (v. D.C. Sossa, « Pour une harmonisation du droit des contrats
dans les pays membres de l’OHADA », JCP G 2016, n° 4, p. 588), l’on ignore où il en est à
ce jour. Le nouveau Secrétaire permanent n’en fait pas spécialement mention au titre de ses
tâches, même s’il compte « consolider et maintenir les acquis » (« Interview du Pr. Emmanuel
Sibidi Darankoum, Secrétaire permanent de l’OHADA », Le Bulletin du bureau de l’adminis-
trateur de la Banque mondiale, novembre 2019, p. 20.). En tout état de cause et même dans
l’hypothèse d’un abandon du projet, la présente étude conserve sa pertinence, ne serait-ce
qu’au regard des législations nationales qui envisageraient une évolution.
11. V. infra, 1.1.1.
La violence économique dans l’espace OHADA 301

uniforme des obligations, au régime juridique applicable à la violence écono-


mique dans l’espace couvert par l’OHADA.
Il apparaît, de lege lata, que ce régime, non harmonisé, issu de sources
d’une certaine diversité formelle comme matérielle, présente de sérieuses
lacunes (1). Ce constat, corrélé à d’autres facteurs d’ordre normatif, légistique
et conjoncturel, permet d’apprécier et départager les approches suggérées à ce
jour au législateur de l’OHADA. Ce qui revient à définir, de lege ferenda, les
fondements d’un régime juridique uniforme optimal (2).

DE LEGE LATA : UN RÉGIME JURIDIQUE LACUNAIRE


1 
La question de la violence économique intéresse au premier chef le droit des
contrats, mais, parce qu’elle s’intègre à la problématique plus large de la pro-
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tection de la partie faible dans la vie contractuelle, elle irradie également les
droits liés au marché. Dans l’espace géographique que couvre l’OHADA, son
régime juridique ne relève pas à ce jour du droit uniforme de cette organisa-
tion ; la violence économique doit être envisagée du point de vue des droits
nationaux et des droits communautaires, du droit positif et du droit prospectif.
Elle n’en demeure pas moins globalement régie à la fois par le droit des contrats
(1.1) et le droit du marché (1.2). L’uniformisation en cours, quoique consacrée
au droit des obligations, doit prendre appui sur l’état de la question dans les
deux corps de règles.

1.1 La violence économique dans le droit des contrats


La violence économique demeure un des parents pauvres du droit des contrats
au sein des États membres de l’OHADA, puisqu’elle y est l’objet d’un vide
textuel (1.1.1). Toute chose qui résulte en son assimilation par les juges à la
violence morale (1.1.2).

1.1.1 Le silence des textes


Dans l’espace OHADA, la matière contractuelle demeure principalement l’af-
faire de législations nationales dont la filiation avec le droit hexagonal a déjà
été soulignée. Or le législateur français, avec la réforme du droit des obligations
intervenue en 2016 12, a consacré ce que les juges identifiaient déjà comme une
« contrainte économique » 13. Désormais, l’article 1143 du Code civil vise toute

12. V. ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du ré-
gime général et de la preuve des obligations, ratifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018.
13. V., par exemple, l’un des arrêts les plus remarqués sur le sujet, Civ. 1re, 30 mai 2000,
n° 98-15.242, D. 2000, jurispr. p. 879, note J.-P. Chazal, et D. 2001, somm. p. 1140,
La violence économique dans l’espace OHADA 302

partie qui, « abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocon-
tractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en
l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».
Si la disposition s’étend à toutes les formes de dépendance 14 – abandonnant par
là la restriction prétorienne à la seule dépendance économique –, elle ignore
d’autres situations de vulnérabilité qui figuraient dans les textes préparatoires,
telles que l’état de nécessité et l’état de faiblesse 15. Ce texte fait de la contrainte
économique une nouvelle variante du vice de violence, sa sanction étant égale-
ment l’annulation du contrat.
Les législations des pays civilistes de l’OHADA n’ont pas connu une évo-
lution similaire. Elles se réforment plus lentement. Dans la plupart des cas, la
théorie des obligations issue du Code napoléonien, dans sa version de 1804, n’a
pas connu de changement notable. Le vice de violence y reste marqué par la
binarité qui sépare la violence physique de la violence morale, la circonstance
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tenant à la dépendance économique étant indifférente 16.
Dans le cadre de l’OHADA, le droit en vigueur laisse certes apparaître
une réglementation spéciale de certaines opérations (par exemple, le contrat de
vente commerciale 17 et le contrat de transport de marchandises par route 18), qui
aborde directement certains aspects de la théorie générale 19. Mais ce droit spé-
cial ne traite pas de la contrainte économique 20. En revanche, les projets d’har-
monisation du droit commun des contrats s’y attaquent, mais d’une manière
clairement différente d’un texte à l’autre. Le premier texte, l’avant-projet
d’Acte uniforme sur le droit des contrats, opte pour une consécration générale
de la lésion comme cause d’annulation du contrat, l’abus d’état de faiblesse

obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2000, p. 827, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. p. 863, obs.
P.‑Y. Gautier ; Contrats, conc., consom. 2000, comm. n° 142, obs. L. Leveneur ; Defrénois
2000, p. 1124, obs. Ph. Delebecque ; Dr. et patrimoine 2000, n° 2652, obs. P. Chauvel ; JCP
2001, II, n° 10461, obs. G. Loiseau ; LPA 11 avr. 2001, p. 17, note L. Belmonte.
14. V. rapport au Président de la République, p. 10.
15. Sur le bien-fondé de telles exclusions, v. Y. Picod, « Rapport introductif », in Y. Picod et
D. Mazeaud (dir.), La violence économique. À l’aune du nouveau droit des contrats et du
droit économique, Thèmes & commentaires, Paris, Dalloz, 2017, p. 4.
16. V., par exemple, Code civil camerounais, art. 1111 et s. ; Code civil burkinabé, art. 1111 et s. ;
Code civil guinéen, art. 1059 et s. ; Code sénégalais des obligations civiles et commerciales,
art. 64 ; loi malienne du 29 août 1987 fixant le régime général des obligations, art. 39 et s. ;
décret congolais (RDC) du 30 juillet 1888 traitant « Des contrats ou des obligations conven-
tionnelles », art. 11 et s.
17. Acte uniforme révisé portant sur le droit commercial général (AUDCG), art. 234 et s.
18. Acte uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route (AUCTMR).
19. V. R.N. Temgwa, « Les contrats partiellement réglementés en droit OHADA », in Le droit
OHADA, bilan et perspectives, actes du colloque annuel du Diplôme inter-universitaire Juriste
OHADA, LPA, septembre 2015, numéro spécial, n° 192, pp. 41 et s. et A. Ghozi, P-E. Audit
et C. Grimaldi, « Esquisse d’un droit commun des contrats à partir des actes uniformes », in
Le droit OHADA, bilan et perspectives, ibid., p. 50.
20. V. A. Ghozi, P-E. Audit et C. Grimaldi, « Esquisse d’un droit commun des contrats à partir
des actes uniformes », loc. cit.
La violence économique dans l’espace OHADA 303

constituant un critère d’appréciation 21. En guise de sanction et alternativement


à l’annulation, le texte permet au juge, à la requête de la partie lésée, de rééqui-
librer la convention 22. Quant au projet de texte uniforme portant droit général
des obligations, il propose tout autre chose : il considère comme étant vicié de
violence l’engagement souscrit par une partie en état de nécessité ou de dépen-
dance, lorsque son cocontractant a abusé de cette situation de faiblesse 23. Il
s’agit d’un retour à la conception française de la contrainte économique comme
vice du consentement. Quoi qu’il en soit, aucune des deux propositions n’étant
encore passée dans le droit positif, la question continue d’être l’objet d’un vide
législatif en droit des contrats.

1.1.2 L’assimilation prétorienne à la violence morale


En l’absence de textes en matière de contrainte économique, les tribunaux de
la zone OHADA qui, au demeurant, ne semblent pas fréquemment sollicités à
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ce propos, adoptent une attitude peu originale. Les rares décisions de justice
que nous avons pu consulter laissent en effet apparaître que les juges identifient
systématiquement et strictement à de la violence morale et traitent comme tel
l’abus exercé en des circonstances caractérisant à tout le moins un déséquilibre
économique. Il en a été ainsi, à titre d’exemple, dans une espèce mettant aux
prises un fournisseur de produits pharmaceutiques, la Société Laborex-CI, et
une de ses clientes, propriétaire d’une officine. Se fondant sur une reconnais-
sance de dette signée à son profit par la cliente, la Société Laborex-CI a obtenu
du Président du Tribunal de première instance d’Abidjan une ordonnance d’in-
jonction de payer à l’encontre de la débitrice. Cette dernière a échoué à obtenir
du Tribunal de première instance, puis de la Cour d’appel, l’annulation de la
reconnaissance de dette, annulation qu’elle réclamait pour n’avoir consenti à
l’accord que sous la menace de la Société Laborex-CI de ne plus approvision-
ner son officine. Invitée à se prononcer, la Cour suprême a, par un arrêt du
3 juin 2010, approuvé la Cour d’appel en estimant que la condamnation de
la cliente était conforme aux articles 1111 et 1112 du Code civil dès lors que
« la contrainte par elle alléguée [n’était] pas de nature à lui inspirer la crainte
d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent » 24.
En se déterminant ainsi, les juges ne semblent pas avoir pris en considé-
ration la dimension économique de la situation. Les relations contractuelles

21. Art. 3/10, 1° : « La nullité du contrat ou de l’une de ses clauses pour cause de lésion peut être
invoquée par une partie lorsqu’au moment de sa conclusion, le contrat ou la clause accorde
injustement un avantage excessif à l’autre partie. On doit, notamment, prendre en considéra-
tion […] le fait que l’autre partie a profité d’une manière déloyale de l’état de dépendance,
de la détresse économique, de l’urgence des besoins, de l’imprévoyance, de l’ignorance, de
l’inexpérience ou de l’inaptitude à la négociation de la première ».
22. Art. 3/10, 2°.
23. Art. 77.
24. Cour suprême, 3 juin 2010, n° 414.
La violence économique dans l’espace OHADA 304

litigieuses entre fournisseur et distributeur, comme celles entre employeur et


employé, en sont pourtant caractéristiques. Dans ces hypothèses, c’est davan-
tage de l’état de faiblesse économique de la partie contrainte que provient la
menace 25. Les juges ivoiriens auraient été bien inspirés de s’assurer que la
cliente ne se trouvait pas, à l’égard de son fournisseur, dans une posture fragile
résultant d’une dépendance ou d’une faiblesse économique propre à lui faire
craindre des répercussions effectives en cas de refus de signer la reconnaissance
de dette. En se contentant d’apprécier le caractère déterminant de la menace
qu’aurait employée la Société Laborex-CI, les juges ont procédé à une applica-
tion restrictive et peu innovante des critères régissant la violence morale, mal
adaptées à la circonstance.
Le dire ne revient toutefois pas à préjuger du résultat qui aurait été atteint
autrement. En effet, l’appréciation de la dépendance économique peut impli-
quer divers critères : la taille de chacun des contractants ; la possibilité pour la
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partie faible de s’engager avec un autre contractant, en l’occurrence de s’appro-
visionner auprès d’un autre fournisseur 26, au regard par exemple de l’inexis-
tence d’une clause d’exclusivité 27 ; les efforts déployés par ladite partie pour
trouver une telle alternative 28, etc. À cet égard, les circonstances de l’espèce
laissent penser que la décision des juges n’aurait pas varié même si ceux-ci
s’étaient intéressés au rapport de force économique entre les deux parties. Il
n’en demeure pas moins regrettable que la Cour suprême n’ait pas osé saisir
cette occasion pour reconnaître que le déséquilibre économique, dans la mesure
où il allait procurer à l’une des parties un avantage excessif, pouvait affecter
l’opération et, comme tel, donner lieu à sanction. En effet, comme pour un
grand nombre d’autres questions, en fait d’accueil de la violence économique,
c’est le juge qui, ailleurs, a donné le ton. Faute d’une telle évolution prétorienne,
le droit ivoirien conserve à ce sujet l’approche traditionnelle qui est aussi celle
des autres pays civilistes de l’espace OHADA. Le vide juridique ainsi constaté
n’est comblé que de manière peu satisfaisante par le droit du marché.

1.2 La violence économique dans le droit du marché


Traditionnellement, le droit du marché accorde une place de choix à la protec-
tion de la partie faible à travers ses différentes branches, notamment le droit de
la consommation et le droit de la concurrence, qui régulent à leur manière la
violence économique. Mais dans l’espace OHADA, cette protection apparaît

25. V. infra, 2.1.1.


26. Com., 9 oct. 2007, n° 06-16.744.
27. Civ. 1re, 18 févr. 2015, n° 13-28.278, D. 2015, p. 432 ; D. 2016, p. 566, obs. M. Mekki ; AJCA
2015, p. 221, obs. L. Perdrix ; RTD civ. 2015, p. 371, obs. H. Barbier.
28. Idem.
La violence économique dans l’espace OHADA 305

résiduelle pour ce qui est des consommateurs (1.2.1) et peu adaptée en ce qui
concerne les entreprises concurrentes en situation vulnérable (1.2.2), cela sans
mentionner le caractère peu effectif des normes entourant ladite protection dans
les deux cas 29.

1.2.1 Une protection résiduelle du consommateur


Au rang des pratiques que prohibe classiquement le droit de la consommation,
figurent l’abus de faiblesse et les pratiques commerciales agressives. Dans les
deux cas, il s’agit de protéger le consommateur, présumé être en situation de
vulnérabilité dans les actes qu’il conclut, des manœuvres abusives de profes-
sionnels malhonnêtes qui chercheraient par là à provoquer son engagement.
L’on est bien en présence de pratiques qui auront tendance à recouper la notion
de contrainte économique 30.
Le droit de la consommation n’est cependant pas harmonisé dans l’espace
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OHADA. D’ailleurs la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) exclut
explicitement sa compétence quand il s’agit pour elle de connaître d’un litige
pouvant surgir à la suite d’une vente conclue à des fins de consommation 31. Un
avant-projet d’Acte uniforme sur le contrat de consommation, préparé par le
Professeur Thierry Bourgoignie, a pourtant été remis, en 2005, au Secrétariat
permanent de l’OHADA. Il consacrait notamment son article 23 à l’abus de
dépendance. Mais aucune suite ne lui a été donnée.
Que proposent donc les législations nationales ? Une majorité d’entre
elles ne comportent pas de textes spécifiques autonomes, voire pour certaines
de textes spécifiques tout simplement 32. Dans le reste des États de l’espace,
en dépit de l’existence de lois exclusivement dédiées à la protection des

29. V. M. Bakhoum, « Cohérence institutionnelle et effectivité d’une politique régionale de la


concurrence : le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) »,
RIDE 2011/3, pp. 310-311 ; Y. Kalieu Elongo, « Un nouveau règlement pour régir la concur-
rence dans la CEMAC », 24 juillet 2019, disponible sur : https://kalieu-elongo.com, consul-
té le 7 novembre 2019, et P.G. Pougoué et al., v° Actes uniformes, Encyclopédie du droit
OHADA, 2011, p. 118, n° 363.
30. V. C. Gavalda-Moulenat, « La violence économique et le droit de la consommation. L’abus
de faiblesse », in Y. Picod et D. Mazeaud (dir.), La violence économique. À l’aune du nou-
veau droit des contrats et du droit économique, op. cit., p. 76 ; V. Valette-Ercole, « Violence
économique et pratiques commerciales agressives », in Y. Picod et D. Mazeaud (dir.), ibid.,
p. 87 ; J. Julien, Droit de la consommation, 2e éd., Paris, LGDJ, 2016, pp. 157 et s. L’on
pourrait ajouter aux pratiques visées, mais dans une certaine mesure seulement, les clauses
abusives.
31. CCJA, 17 déc. 2015, n° 169/2015.
32. Il en va ainsi de la République démocratique du Congo, du Congo Brazzaville, de l’Union
des Comores, du Gabon, de la Guinée-Bissau, de la Guinée équatoriale, du Sénégal, du Togo,
du Burkina Faso et de la Centrafrique. Pour un inventaire complet des législations nationales
africaines en la matière, à jour à la date du 14 juillet 2018, v. K. Mouaffo-Kengne, « Le droit
de la consommation, un droit émergent en Afrique. Récapitulatif des textes », disponible sur :
https://www.legavox.fr/blog/dr-kamwe-mouaffo, consulté le 7 novembre 2019.
La violence économique dans l’espace OHADA 306

consommateurs, la place accordée à la contrainte économique est insignifiante :


cinq des législations concernées ne laissent apparaître aucune interdiction
expresse de l’abus de faiblesse ni des pratiques commerciales agressives en soi 33.
Seules font figure d’exception à cet égard les législations malienne 34 et
ivoirienne 35.
La source normative ultime, de ce point de vue, est celle des organisa-
tions sous-régionales d’intégration économique dont les zones de compétence
recoupent celle de l’OHADA. L’ensemble des États parties à l’UEMOA36 et
à la CEMAC 37 appartiennent en effet à l’espace OHADA et représentent qua-
torze des dix-sept États membres. Or, en ce qui concerne l’UEMOA, sa poli-
tique consumériste est partielle, ne concernant que certains types de contrats
(contrats d’assurance ou contrats électroniques) ou encore certaines pratiques
précises (concurrence déloyale) 38. Quant à la CEMAC, elle a adopté récem-
ment, le 8 avril 2019, une directive harmonisant la protection du consommateur
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en Afrique centrale. Ce texte moderne 39 consacre des dispositions à la prohibi-
tion de la violence économique 40. Toutefois ne s’agissant pas d’un règlement,
mais d’une directive, non seulement il faudra attendre sa transposition au sein
des États membres – qui ne semblent pas s’empresser pour l’heure –, mais cette
transposition se fera à la façon de chacun de ceux-ci 41. Autrement dit, il y a peu
de raisons de penser que l’on tende vers une politique consumériste effective
et harmonisée. En somme, au regard du droit positif, le consommateur apparaît

33. V. les textes de la Guinée (Loi L/94/003/CTRN du 14 février 1994 relative à la protection
des consommateurs, au contrôle des denrées, marchandises et services et à la répression
des fraudes commerciales), du Bénin (Loi n° 2007-21 du 16 octobre 2007 portant protec-
tion du consommateur en République du Bénin), du Tchad (Loi n° 005/PR/2015 du 4 février
2015 portant protection du consommateur au Tchad), du Cameroun (Loi-cadre n° 2011/012
du 6 mai 2011 portant protection du consommateur au Cameroun) et du Niger (Décret du
2 novembre 2018 portant modalités d’application de la loi déterminant les principes fonda-
mentaux de la protection du consommateur en République du Niger).
34. Loi n° 2015-036/ du 16 juillet 2015 portant protection du consommateur, notamment titre
IV, chapitre VI. V. A. Diabaté, « Réflexions sur la codification du droit de la consommation
au Mali : Contribution à la protection juridique des consommateurs », Ohadata, D-18-19,
disponible sur : http://www.ohada.com, consulté le 16 novembre 2019.
35. Loi n° 2016-412 du 15 juin 2016 relative à la consommation, notamment livre 1, titre 2, cha-
pitre 2.
36. Union économique et monétaire ouest-africaine.
37. Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale.
38. V. I. Zoungrana, Réflexions autour de la protection des consommateurs de la zone UEMOA
dans sa perspective d’intégration économique communautaire. Étude comparative avec le
droit européen (Français), Thèse de doctorat, Université de Perpignan, 2016, p. 238.
39. V. Y. Kalieu Elongo, « La Directive du 8 avril 2019 harmonisant la protection des consom-
mateurs dans la CEMAC : En attendant la mise en œuvre », 27 avril 2020, disponible sur :
https://kalieu-elongo.com, consulté le 18 novembre 2019.
40. En particulier l’article 40 (xii), (xiii) et (xiv).
41. V. traité fondateur de la CEMAC, art. 41. Adde Y. Kalieu Elongo, « La Directive du 8 avril
2019 harmonisant la protection des consommateurs dans la CEMAC : En attendant la mise
en œuvre », op. cit.
La violence économique dans l’espace OHADA 307

comme un « laissé pour compte » 42 dans l’espace OHADA, en particulier quand


il est question de le protéger contre la violence économique.

1.2.2 Une protection inadéquate du concurrent


En sanctionnant l’abus de dépendance économique mais aussi l’abus de posi-
tion dominante 43, le droit de la concurrence régule la contrainte économique.
Dans le système OHADA, la matière ne fait pas non plus l’objet d’une loi
uniforme et la CCJA se refuse à en connaître 44. La raison de cette abstention
de la part de l’OHADA est sans doute à rechercher dans la préexistence en la
matière de textes communautaires consistants – dans le cadre de l’UEMOA,
de la CEMAC comme de la CEDEAO 45 –, faits essentiellement de règlements,
complétés par les législations nationales.
Toutefois, ce dispositif normatif intègre la violence économique d’une
manière inadaptée. À l’échelle communautaire, l’abus de dépendance éco-
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nomique n’est, en effet, pas consacré en soi. De même, si l’abus de position
dominante est prohibé, ce n’est que dans la mesure où il affecte le marché 46.
Or une telle condition, si elle est finalement assez classique dans le droit de
l’abus de position dominante, peut en pratique servir d’échappatoire à l’entre-
prise dominante. Ainsi, même dans les hypothèses où le fait abusif ainsi que le
tort causé à une entreprise plus faible seraient concrets, l’entité mise en cause
pourrait toujours s’en affranchir si elle parvenait à jeter le doute sur la réalité
des risques encourus par le jeu de la concurrence. Cette conception de l’abus de
position dominante peut favoriser un certain laxisme à l’égard des entreprises
dominantes ainsi que l’illustre la jurisprudence récente de la Cour de justice de
l’Union européenne 47. Retenir ce standard dans la zone subsaharienne revient

42. P.G. Pougoué et al., V° Actes uniformes, Encyclopédie du droit OHADA, op. cit., p. 118, n° 359.
43. N. Dorandeu, « Violence économique et droit de la concurrence », in Y. Picod et D. Mazeaud
(dir.), La violence économique. À l’aune du nouveau droit des contrats et du droit écono-
mique, op. cit., pp. 70 et s.
44. CCJA, 3e ch., 22 nov. 2018, no 206/2018, LEDAF, n° 112g8, juill. 2019, p. 4 (sommaire), obs.
K. Mouaffo.
45. Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
46. V., par exemple, Règlement CEMAC relatif à la concurrence, art. 33, al. 1.
47. Dans la retentissante affaire Intel où le géant américain des microprocesseurs s’est vu infliger
une amende de 1,06 milliard d’euros par la Commission européenne pour abus de position
dominante, la CJUE a annulé l’arrêt confirmatif du Tribunal de l’Union européenne, au motif
notamment que l’article 102 TFUE applicable en la matière « ne vise pas non plus à assurer
que des concurrents moins efficaces que l’entreprise occupant une position dominante restent
sur le marché […] Ainsi, tout effet d’éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu
de la concurrence », CJUE, 6 sept. 2017, Intel Corp. Inc. c. Commission européenne, aff.
C-413/14. En l’espèce, la CJUE a estimé que l’appréciation de l’existence d’une atteinte au
jeu de la concurrence devait passer notamment par le test du concurrent aussi efficace, dit
test AEC. Or ce test, destiné à établir si la pratique litigieuse est susceptible de restreindre la
compétition des concurrents aussi efficaces que l’entreprise dominante, est d’une pertinence
fort douteuse (M. Malaurie-Vignal, Droit de la concurrence interne et européen, 8e éd.,
Paris, Sirey, 2019, p. 277) et est réputé favorable à l’entité dominante (J.-Chr. Roda, Droit de
la concurrence, Paris, Dalloz, 2019, p. 125).
La violence économique dans l’espace OHADA 308

à en minimiser les spécificités. Les marchés africains présentent en effet une


configuration telle que l’économie informelle est largement dominante et que,
plus qu’ailleurs, une masse d’entités locales plus ou moins modestes se trouve
souvent à la merci d’une poignée de grands groupes internationaux. Ces réalités
imposent de développer une véritable politique de protection des entreprises en
situation de faiblesse au travers, pour ce qui est du sujet traité, des mécanismes
de sauvegarde de l’équilibre des conventions, indépendants de toute considéra-
tion de nature macro-économique et qui forment ce qu’il est convenu d’appeler
le « petit droit de la concurrence » 48. Pour le Professeur Laurence Boy,
« dans cette conception […], les relations concurrentielles sont analysées comme
s’inscrivant, non comme un monde clos et distinct du droit des relations inter-indi-
viduelles, mais comme prenant directement naissance dans le droit des contrats.
[…] seul un contrôle de l’équilibre contractuel entre partenaires économiques est
susceptible de conduire à un droit général de la concurrence équilibré » 49.
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Le droit sénégalais illustre une telle forme de politique juridique, puisqu’il
aborde l’abus de position dominante, mais aussi l’abus de dépendance écono-
mique, comme des pratiques anticoncurrentielles individuelles, leur sanction
n’étant pas subordonnée à une atteinte quelconque au marché 50. Le cas sénéga-
lais ne reflète cependant pas l’état général des législations de l’espace OHADA,
qui, pour une très grande majorité, imposent les conditions traditionnelles.
Finalement, à défaut d’un droit de la concurrence suffisamment protecteur
contre la violence économique, il est souhaitable que les entreprises vulnérables
puissent trouver dans le droit commun un fondement alternatif adapté. Plus
généralement, les carences – voire l’absence à certains égards – tant du droit
économique que du droit des contrats devraient représenter, pour le futur droit
uniforme des obligations de l’OHADA, l’une des données clefs de l’élaboration
d’un régime juridique satisfaisant en matière de contrainte économique.

DE LEGE FERENDA :
2 
UN RÉGIME JURIDIQUE OPTIMISÉ
Sur quels déterminants, critères ou fondements pourrait reposer une régulation
optimale de la violence économique dans le cadre de l’OHADA ? Il est pos-
sible d’identifier, dans un premier temps, des fondements objectifs, c’est-à-dire

48. L. Boy, « Quel droit de la concurrence pour l’Afrique francophone subsaharienne ? », RIDE
2011/3, p. 272.
49. Ibid., p. 278.
50. V. loi sur les prix, la concurrence et le contentieux économique précitée, art. 27. Adde
L. Boy, « Quel droit de la concurrence pour l’Afrique francophone subsaharienne ? », op. cit.,
pp. 272-273.
La violence économique dans l’espace OHADA 309

intrinsèques au droit des contrats, indépendants de toute contingence (2.1). À


ceux-ci, s’ajoutent des fondements extrinsèques, subjectifs, qui tiennent à l’en-
vironnement socio-juridique de l’OHADA (2.2).

2.1 Les fondements objectifs

Face aux approches divergentes qui lui sont proposées pour appréhender l’abus
de dépendance, le législateur de l’OHADA devrait avant tout se fier à l’exi-
gence objective de cohérence normative – et légistique – (2.1.1) : la contrainte
économique doit s’insérer harmonieusement dans la théorie de la formation du
contrat, sans donner lieu à aucune malfaçon. L’autre impératif est celui, dicté
par le principe de l’autonomie de la volonté, de sauvegarder autant que faire se
peut la convention des parties (2.1.2).
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2.1.1 L’exigence de cohérence normative
La violence économique est caractérisée lorsqu’un déséquilibre dans les droits
et obligations des parties est la résultante de l’exploitation par l’une d’elles
de l’état de faiblesse (économique) de l’autre, au moment de la formation du
contrat. La situation est irrégulière parce que l’un des engagements n’est pas
libre et éclairé, au moins en apparence ; mais elle l’est aussi, car le contenu
de la convention manque d’équilibre. Dès lors, se pose la question de savoir
si la violence économique est un vice du consentement ou un vice du contrat.
Autrement dit, s’agit-il d’un vice subjectif ou d’un vice objectif 51 ? Ce pro-
blème théorique du rattachement de la violence économique, qui a donné lieu
à des débats nourris dans la doctrine de droit français à la faveur de la der-
nière réforme du droit des obligations, soulève subséquemment et d’un point
vue légistique et concret, la question de sa localisation dans un texte légis-
latif : la contrainte économique doit-elle s’insérer dans les dispositions rela-
tives aux vices du consentement ou encore parmi celles dédiées au contenu
du contrat ?
La nature propre – et partant le rattachement – de la contrainte économique
n’est pas aisée à déterminer. Celle-ci paraît toutefois mettre en cause à la fois
la justice contractuelle et la liberté des parties, mais souvent davantage la pre-
mière que la seconde. Ainsi que le relève un auteur, la volonté du contractant
faible reste, en réalité, éclairée dans la mesure où celui-ci agit en connaissance
de cause : il opte de façon consciente pour la moins préjudiciable de deux

51. Th. Revet, « La violence économique dans la jurisprudence », in Y. Picod et D. Mazeaud


(dir.), La violence économique. À l’aune du nouveau droit des contrats et du droit écono-
mique, op. cit., p. 23.
La violence économique dans l’espace OHADA 310

situations défavorables 52. De même, le caractère libre de son consentement


n’est pas affecté en toutes circonstances. En effet, les rapports de force ainsi
que l’état de besoin sont de l’essence même du marché : chacun, au moment de
contracter, est d’une certaine façon contraint 53, sans que cet état de fait n’altère
nécessairement sa volonté. Contrairement aux cas de violence classique dans
lesquels la menace est le fait (exclusif) du cocontractant ou d’un tiers, dans la
contrainte économique, la pression est d’abord liée à cette situation de besoin,
de dépendance de l’une des parties. Certes, cette pression est susceptible d’être
aggravée par le comportement abusif de l’autre partie, au point d’influencer de
manière déterminante la formation du consentement 54. Toutefois, cela n’advient
pas dans tous les cas : l’abus n’est pas toujours actif. Il peut être peu caractérisé,
voire passif 55, et ne pas consister en une menace au sens où celle-ci s’entend
traditionnellement dans le vice de violence. Il peut, par exemple, résider dans
le fait d’avoir eu connaissance de la situation de dépendance ou de vulnérabi-
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lité de son cocontractant et d’en avoir tiré ou accepté d’en tirer un avantage
excessif 56. Ce qui est en réalité reproché à la partie puissante, c’est davantage
l’exploitation d’une situation de déséquilibre que les pressions qu’elle aurait
exercées à l’encontre de l’autre partie 57. D’ailleurs, le comportement abusif du
cocontractant en position de force est souvent présumé dès lors qu’existe un
déséquilibre considérable dans les prestations 58. Ce déséquilibre en revanche
est incontestablement déterminant comme critère 59 et doit de ce fait être claire-
ment établi. Ainsi, si le consentement n’est pas, en pratique, vicié dans toutes les

52. R. Cabrillac, « La violence économique : perspectives de droit comparé », in Y. Picod et


D. Mazeaud (dir.), La violence économique. À l’aune du nouveau droit des contrats et du
droit économique, ibid., p. 35.
53. V., en ce sens, G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, Paris, LGDJ, 1949,
n° 46, cité par J-P. Chazal, « La contrainte économique : violence ou lésion ? », D. 2000,
p. 880, n° 5 : « Tout homme se trouve plus ou moins dans la société en état de nécessité de
contracter, car il ne peut vivre sans contracter ».
54. Dans certaines affaires, les juges français ont clairement posé l’abus, l’abus caractérisé,
comme condition sine qua non de l’admission de la contrainte économique : Civ. 1re, 3 avr.
2002, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 2002, p. 1860, note J.-P. Gridel et note J.-P. Chazal ; ibid.,
p. 2844, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2002, p. 502, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com.
2003, p. 86, obs. A. Françon ; Defrénois 2002, p. 37607, n° 65, note E. Savaux ; Com. 16 oct.
2007, n° 05-19.069 ; Com. 7 juill. 2009, n° 08-114.362.
55. V., en ce sens, G. Loiseau, « La violence économique : du vice à la vertu », Cah. soc., mars
2015, p. 157.
56. CA Aix-en-Provence, 19 fév. 1988, Bull. Cour d’Aix 1988, n° 24 ; RTD civ., 1989, p. 535,
obs. J. Mestre ; Civ. 2e, 3 mars 2011, n° 09-72.968.
57. Th. Revet, « La violence économique dans la jurisprudence », in Y. Picod et D. Mazeaud
(dir.), La violence économique. À l’aune du nouveau droit des contrats et du droit écono-
mique, op. cit., p. 17, n° 8 et p. 19, n° 11.
58. V., par exemple, CA Poitiers, 7 nov. 1979, D. 1980, inf. rap., p. 265, obs. J. Ghestin ; Com.,
29 janv. 2008, n° 06-20.808.
59. V. Th. Revet, « La violence économique dans la jurisprudence », in Y. Picod et D. Mazeaud
(dir.), La violence économique. À l’aune du nouveau droit des contrats et du droit écono-
mique, op. cit., pp. 21-22, n° 17.
La violence économique dans l’espace OHADA 311

hypothèses dans lesquelles la contrainte économique est invoquée, l’existence


d’un déséquilibre contractuel sera en revanche toujours recherchée. Ainsi que
l’écrit le Professeur Thierry Revet, « sans lésion, aucune possibilité n’existe
d’annuler un contrat pour “violence économique” » 60. C’est ainsi la notion de
lésion qui semble la plus à même de rendre compte de la pratique sanctionnée.
Il s’agit précisément d’une lésion « qualifiée » 61 en ce qu’elle est censée résul-
ter de l’abus de puissance commis par l’une des parties.
Une analyse comparative permet de constater que c’est cette approche
mixte, à la fois objective et subjective – mais parfois plus objective que sub-
jective – qui, moyennant des nuances de formulation, prévaut dans la plupart
des législations nationales 62 comme des textes ou projets de codification régio-
naux 63 et internationaux 64 du droit des contrats. L’article 1406 du Code civil
québécois est particulièrement caractéristique de ce point de vue : « [l]a lésion
résulte de l’exploitation de l’une des parties par l’autre, qui entraîne une dis-
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proportion importante entre les prestations des parties ; le fait même qu’il y ait
disproportion importante fait présumer l’exploitation ». Aussi est-il troublant
de constater que certains de ces textes insèrent, malgré tout, leurs dispositions
relatives à l’abus de dépendance dans une subdivision traitant de la validité du
consentement 65, alors qu’une localisation dans celle réservée au contenu de la
convention paraît naturelle et est préférée par la plupart des droits.
Il reste que les dispositions qui assimilent l’abus de dépendance au vice de
violence de façon franche, c’est-à-dire à la fois par leur rédaction et par leur
position dans le texte, sont rares. Le droit néerlandais 66 et le droit français en
sont des illustrations. L’article 1143 du Code civil français, en particulier, se
traduit comme une validation de la solution prétorienne de l’assimilation de
la contrainte économique à la violence 67. Le projet de texte uniforme OHADA
portant droit général des obligations ne fait pas autre chose. Certaines des

60. Ibid., p. 23, n° 19.


61. J.-P. Chazal, « La contrainte économique : violence ou lésion ? », op. cit., n° 8 ; D. Mazeaud,
V° « Lésion », Rép. civ., 2018, pp. 7-8, n° 8.
62. V. Code suisse des obligations, art. 21 ; Code civil du Québec, art. 1406 ; Code civil italien,
art. 1448 ; Code civil luxembourgeois, art. 1118 ; Code civil du Brésil, art. 156 ou encore
BGB (Bürgerliches Gesetzbuch), § 138 al. 2, qui dispose : « Est nul un acte juridique par
lequel une personne se fait promettre ou accorder, soit à elle-même, soit à une autre personne,
en contrepartie d’une prestation, des avantages patrimoniaux en disproportion flagrante avec
sa prestation, et cela par l’exploitation de l’état de nécessité de l’inexpérience, du défaut de
capacité de jugement de la grande faiblesse de caractère d’autrui ». En France, le projet Terré
allait dans ce sens, mais n’a pas été suivi.
63. V., par exemple, les Principes du droit européen des contrats (PDEC), art. 4:109.
64. V. les Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, art. 3.2.7.
65. V. le Code civil luxembourgeois et les PDEC.
66. Code civil néerlandais, art. 44.
67. Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation affirmait déjà que « la contrainte écono-
mique se rattache à la violence et non à la lésion ».
La violence économique dans l’espace OHADA 312

raisons qui peuvent faire douter de la cohérence d’une telle option ont déjà été
indiquées. On peut ajouter que, traditionnellement, pour que le vice de violence
soit admis, la pression exercée par le cocontractant, si elle est nécessaire, est
suffisante comme condition. C’est la liberté et l’intégrité du consentement qui
sont appréciées, indépendamment de la teneur de la convention. Cela n’est pas
le cas pour l’abus de dépendance qui doit en outre avoir procuré à son auteur un
avantage excessif. Ainsi, la violence économique n’est pas de la violence. Le
parti pris du législateur français de la confirmer comme vice du consentement
est à regretter et a été critiqué par la doctrine 68. Le législateur de l’OHADA
n’y trouverait donc pas une source d’inspiration pertinente. Si vice il y a en
matière d’abus de dépendance, il affecte au moins autant le contenu du contrat
que le consentement des parties. Il conviendrait donc de reconnaître à l’abus de
dépendance son caractère sui generis, sa nature mixte, que le régime inhérent à
la lésion qualifiée préserve tout en permettant de satisfaire le besoin de sauve-
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garde du contrat qui peut s’imposer en la matière.

2.1.2 L’impératif de sauvegarde du contrat


À l’opposé des entraves à la liberté du consentement, sanctionnées par l’annu-
lation du contrat, la lésion donne normalement lieu à une intervention du juge
pour le sauver. D’un point de vue objectif, cette solution paraît adaptée à la
réalité contractuelle : il apparaît légitime de préserver la volonté des parties de
contracter aussi longtemps que chacune d’elles peut être placée dans la situa-
tion qui aurait été la sienne en des circonstances normales de formation de la
convention. Autrement dit, les engagements, les droits et obligations respectifs
méritent de subsister, fût-ce au prix d’un rééquilibrage neutralisant peu ou prou
le biais qui les a affectés. La solution revêt sans conteste une efficacité parti-
culière face à l’abus de dépendance, dans la mesure où un anéantissement du
contrat n’emporterait pas les mêmes conséquences pour l’une et l’autre partie.
Le contractant économiquement fort, surtout dans les relations d’affaires, en
sera très peu, voire pas du tout, affecté, en ce qu’il n’éprouvera pas de diffi-
culté à trouver un nouveau partenaire. Au contraire, la victime en situation de
dépendance ne dispose souvent, par définition, d’aucune alternative. L’idéal
pour une telle partie est donc le maintien de la relation, mais à des conditions
plus favorables. Toutefois, pour tenir compte du caractère hybride de l’abus
de dépendance, mais également des limites de la révision, celle-ci devrait être
doublée de la solution de l’annulation.
Concrètement, l’intervention du juge pour rééquilibrer le contrat devrait
constituer la solution de principe, l’annulation n’intervenant que dans les cas

68. V., par exemple, D. Mazeaud, « La violence économique à l’aune de la réforme du droit des
contrats », in Y. Picod et D. Mazeaud (dir.), La violence économique. À l’aune du nouveau
droit des contrats et du droit économique, op. cit., pp. 29-30, n° 15.
La violence économique dans l’espace OHADA 313

où la révision serait impossible. Telle était déjà la formule proposée, mais non
retenue, par le projet Terré en France. Or la nécessité de sauvegarder le contrat
se fait encore plus impérieuse dans un espace dédié au droit des affaires comme
celui de l’OHADA. Mais le dire, c’est déjà aborder les aspects subjectifs que le
législateur devra considérer.

2.2 Les fondements subjectifs


Ici, l’on peut proposer deux critères : d’une part, les spécificités juridiques et
sociologiques de l’espace OHADA (2.2.1) et, d’autre part, les perspectives
d’extension de l’OHADA (2.2.2).

2.2.1 Les spécificités socio-juridiques de l’espace OHADA


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Les spécificités juridiques de la zone ressortent d’abord de l’état des lieux pré-
cédemment dressé, à savoir les carences à la fois du droit des contrats et du droit
économique en matière de régulation de la violence économique. En outre, les
législations de la zone se réforment lentement ; les chances de voir émerger à
court terme un véritable régime de protection de la partie faible sont réduites.
L’adoption du texte uniforme de l’OHADA sur le droit des obligations repré-
sentera probablement la prochaine évolution significative à ce sujet et devra
être adaptée en conséquence. Cela implique concrètement que le texte adopte
une conception extensive de la notion de contrainte économique. Évidemment,
il ne s’agira pas pour le droit commun des contrats d’aller jusqu’à empiéter
sur le domaine réservé aux droits spéciaux. Mais les circonstances permettant
la caractérisation de la violence économique ne devraient pas se limiter à la
dépendance économique, mais intégrer les autres formes de vulnérabilité : la
dépendance technologique, la dépendance psychique ou psychologique, l’état
de faiblesse, l’état de santé ou encore l’âge.
Quant aux données sociologiques, elles concernent de prime abord la
grande faiblesse du taux d’alphabétisation ainsi que de la culture juridique dans
la zone de compétence de l’OHADA. Or l’on sait que l’aptitude d’un individu à
comprendre et mesurer les implications réelles de son engagement constitue un
élément important quand il est question de déterminer l’existence d’un déséqui-
libre contractuel permettant de caractériser la violence économique. L’on peut
en dire autant de la position d’une partie – en particulier d’une entreprise – dont
le manque de ressources, de structure, d’expérience peut affecter sa capacité à
conduire convenablement des négociations avec son cocontractant. Or l’autre
caractéristique de la zone OHADA, comme cela a déjà été souligné, réside
justement dans la prévalence d’une économie informelle animée par les petites
et moyennes entreprises (PME), entités vulnérables face aux entreprises multi-
nationales en particulier.
La violence économique dans l’espace OHADA 314

Il s’ensuit que des situations comme l’état d’ignorance, l’inaptitude à la


négociation ou encore l’inexpérience devraient rejoindre la liste des circons-
tances pouvant donner lieu à la qualification d’abus de dépendance. Le champ
d’application de la violence économique serait alors plus étendu en droit
OHADA que dans la plupart des autres législations. Les projets de texte uni-
forme OHADA proposent déjà un domaine relativement large. Toutefois, l’ou-
verture ne devrait pas être sans limite. Des notions, qui ont pu être retenues par
certaines législations, mais qui paraissent si floues qu’elles pourraient remettre
en cause la sécurité juridique, devront être écartées : c’est le cas, par exemple,
du « besoin urgent ». Le droit des obligations harmonisé devrait finalement
combler le vide constaté dans le droit commun des pays de l’espace, tout en
offrant un fondement supplémentaire et adéquat à la protection des consom-
mateurs et des entreprises concurrentes 69, en matière de violence économique.
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2.2.2 Les perspectives d’extension de l’espace OHADA
L’OHADA entend étendre son système au plus grand nombre d’États.
L’adhésion à son traité fondateur est ouverte à tout État membre de l’Union
africaine et même à tout État non membre de l’Union à condition que ce dernier
y soit invité à l’unanimité des États parties 70. Apparaît dès lors une exigence
de politique juridique : le droit OHADA doit intégrer des solutions et concepts
dans lesquels sont susceptibles de se reconnaître d’éventuels candidats à l’ad-
hésion qui appartiendraient à une tradition juridique autre que le droit civil,
en pratique la common law 71. Il s’agit là d’une exigence transversale qui doit
influencer l’élaboration de toutes les normes uniformes à venir 72, y compris
celles du futur droit des obligations 73.
S’agissant spécifiquement de l’abus de dépendance, trois concepts de
common law s’en rapprochent : l’economic duress, l’undue influence et
l’unconscionability. Si, dans les systèmes occidentaux tels que celui de la

69. Cela sous réserve des applications potentielles, suivant le cas, du principe specialia generali-
bus derogant.
70. V. Traité OHADA, art. 53, al. 1.
71. Le nouveau Secrétaire permanent de l’OHADA semble conscient de cette nécessité de
« mettre en place les convergences entre le Common law et le Civil Law » (« Interview du
Pr. Emmanuel Sibidi Darankoum, Secrétaire permanent de l’OHADA », op. cit., p. 20).
72. V. S. Date-Bah, « The UNIDROIT Principles of International Commercial Contracts and
the Harmonisation of the Principles of Commercial Contracts in West and Central Africa.
Reflections on the OHADA Project from the Perspective of a Common Lawyer from West
Africa », Unif. L. Rev., 2004, n° 2, p. 271.
73. Déjà en 2002, lorsqu’il demandait à Unidroit de lui proposer un avant-projet d’acte uniforme
sur le droit des contrats, le Secrétariat permanent de l’OHADA avait précisé que le texte à
élaborer « devra[it] […] intégrer aussi bien les préoccupations des systèmes juridiques roma-
no-germaniques que celles de la Common Law ». V. « Préparation par Unidroit d’un projet
d’acte uniforme Ohada sur le droit des contrats », disponible sur : www.unidroit.org, consulté
le 1er décembre 2019.
La violence économique dans l’espace OHADA 315

Grande-Bretagne 74, ces notions alimentent vigoureusement les débats théo-


riques, au pire, et trouvent une place en droit positif, au mieux, il n’en est pas
toujours ainsi dans les droits africains tels que ceux du Nigeria ou de l’Afrique
du Sud, pour ne retenir que ces deux exemples.
L’economic duress ne semble en effet trouver de fondement propre ni en
droit nigérian 75 ni en droit sud-africain 76. C’est la duress (contrainte) de façon
générale que ces systèmes consacrent expressément. L’economic duress peut
en fait s’interpréter comme une simple extension du régime de la contrainte
morale à des cas où sont en jeu les intérêts économiques de l’une des parties.
En dépit des apparences, elle ne correspond donc pas à la violence économique
au sens d’abus de faiblesse discuté ici. L’economic duress implique nécessai-
rement un recours à la contrainte et ne requiert ni l’existence d’un déséquilibre
dans les rapports de force ni la preuve que le cocontractant mis en cause ait
effectivement tiré avantage de la transaction ou encore que celle-ci soit désé-
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quilibrée. De ce point de vue, le dispositif traditionnellement prévu contre la
violence en matière contractuelle, dans les États africains de droit civil comme
de common law, paraît satisfaisant et aisément adaptable par les tribunaux aux
situations s’apparentant à de l’economic duress, le cas échéant. Tout au plus,
le législateur de l’OHADA pourrait-il, par souci de sécurité, inscrire expressé-
ment cette possibilité dans les textes en cours d’élaboration. Mais l’intérêt de
la question reste limité dans la mesure où, d’une part, le contentieux qu’elle
suscite est restreint 77 et, d’autre part, l’undue influence offre un fondement plus
large et représente celui qui est retenu dans bien des cas 78.
Historiquement, la doctrine de l’undue influence a justement été dévelop-
pée par l’equity pour compléter celle de l’economic duress. En ce sens, elle
avait vocation à s’appliquer aux cas dans lesquels l’engagement de l’un des
cocontractants avait été déterminé par un comportement abusif de la part de
l’autre, sans qu’une réelle menace ait pu être caractérisée 79. De ce point de

74. V. E. McKendrick, Contract Law. Text, cases and materials, 8th ed., Oxford, Oxford
University Press, 2018, pp. 615 et s. et N. Andrews, Contract Law, 2nd ed., Cambridge,
Cambridge University Press, 2015, pp. 286 et s.
75. Pour traiter de la question, les auteurs nigérians évoquent la jurisprudence anglaise. V., par
exemple, F.F. Aare, The Law of Contract in Nigeria II, 2nd ed., Lagos, National Open
University of Nigeria, 2014, pp. 42-43, qui se réfère à l’affaire North Ocean Shipping Co.
Ltd. v. Hyundai Construction Co. Ltd., [1979] QB 705 ; [1978] 3 All ER 1170.
76. D. Hutchison et al., The Law of Contract in South Africa, 3rd ed., Cape Town, Oxford
University Press Southern Africa, 2017, p. 143 : « Whether a threat to a purely economic
interests of the other party can constitute duress in our law remains an open question ».
77. Idem.
78. V. Gerolomou Constructions (Pty) Ltd. v. Van Wyk, 2011 (4) SA 500 (GNP).
79. Pour une étude détaillée de la question, v. A.P. Bell, « Abuse of a Relationship: Undue
Influence in English Law and French Law », European Review of Private Law, 2007, n° 4,
p. 555.
La violence économique dans l’espace OHADA 316

vue, l’undue influence peut s’analyser en un prolongement des vices du consen-


tement 80. Mais il ne s’agit là que d’une catégorie connue sous l’appellation
d’actual undue influence, qu’il convient de distinguer de la presumed undue
influence dans laquelle l’existence d’une relation spéciale entre les parties
associée à la nature inhabituelle de la transaction laissent présumer l’abus 81.
Dans les deux cas, la convention reste valide, mais est annulable (voidable) à la
requête de la partie lésée.
À la différence de l’economic duress, l’undue influence bénéficie d’un
ancrage solide dans les droits africains de common law. Le droit sud-­africain,
par exemple, pose des conditions de mise en œuvre précises. Si elles ne semblent
pas tenir particulièrement compte de la distinction établie en droit anglais entre
les différentes catégories d’undue influence, ces conditions se rapprochent des
critères de l’abus de dépendance dans sa conception mixte adoptée par la plu-
part des droits et exposée précédemment 82. Depuis l’affaire Patel en effet, la
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partie qui entend se prévaloir de l’undue influence doit établir trois éléments :
son cocontractant doit avoir exercé une influence sur elle, cette influence doit
avoir réduit son pouvoir de résistance et, enfin, ce cocontractant doit avoir
exploité cette influence de façon à l’amener à conclure un contrat qui lui est
préjudiciable et qu’elle n’aurait point conclu en l’absence de toute influence 83.
Comme dans la lésion qualifiée, ces critères traduisent une conception à la fois
subjective (volonté des parties) et objective (contenu du contrat) de la protec-
tion recherchée.
Mais un troisième concept, proche de la presumed undue influence,
accorde encore davantage d’intérêt à l’équilibre substantiel du contrat : c’est
l’unconscionability. Défendu par Lord Denning dans l’affaire Lloyds Bank Ltd.
v. Bundy 84, il est censé jouer lorsqu’une convention inéquitable est le fruit d’un
déséquilibre dans le pouvoir de négociation des contractants, exploité par la
partie en position de supériorité 85. Toutefois, la théorie a été rejetée dans son
principe par les juges anglais 86, bien qu’en réalité ceux-ci n’hésitent pas, dans

80. V. R. Cabrillac, Droit européen comparé des contrats, Paris, LGDJ, 2ème édition, 2016,
p. 92.
81. A.P. Bell, « Abuse of a Relationship: Undue Influence in English Law and French Law »,
op. cit., pp. 557-562.
82. V. supra, 2.1.1.
83. Patel v. Grobbelaar, 1974 (1) SA 532 (A).
84. [1975] QB 326.
85. Lord Denning exprimait ainsi sa doctrine de l’inequality of bargaining power dans les termes
suivants : « English law gives relief to one who, without independent advice, enters into a
contract on terms which are very unfair or transfers property for a consideration which is
grossly inadequate, when his bargaining power is grievously impaired by his own needs or
desires, or by his own ignorance or infirmity, coupled with undue influences or pressure
brought to bear on him or for the benefit of the other », Lloyds Bank Ltd. v. Bundy.
86. National Westminster Bank v. Morgan, [1985] AC 686 ; [1985] 1 AII ER 821. Adde R. Sone
and J. Devenney, The Modern Law of Contract, 11th ed., London, Routledge, 2019, p. 384. La
La violence économique dans l’espace OHADA 317

de nombreux cas, à sanctionner des transactions qui leur paraissent inéqui-


tables 87. Sans opposer la résistance du droit anglais, certains des droits africains
entretiennent, sur la question, tantôt le silence tantôt l’incertitude 88.
En somme, tous ces régimes propres à la common law peuvent susciter
la confusion et se montrer difficiles à démêler, au point qu’une unification a
pu paraître souhaitable 89. Il n’appartient évidemment pas au droit OHADA de
les accueillir indistinctement, mais de faire en sorte que le régime qu’il défi-
nira pour les situations visées, tout en comblant le vide laissé par les législa-
tions internes de droit civil sur ce sujet, ne soit pas complètement étranger aux
juristes de common law. Une approche hybride de l’abus de dépendance, à la
fois subjective et objective, devrait permettre d’y parvenir, en couvrant la plu-
part des situations pouvant tomber sous les qualifications de presumed undue
influence et d’unconscionability.
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CONCLUSION
En définitive, dans le futur texte uniforme de l’OHADA relatif au droit des
obligations, l’abus de dépendance devrait idéalement se concevoir comme
une lésion qualifiée. Une définition large devrait lui permettre de couvrir le
plus grand nombre de situations. Sa sanction serait, par principe, la révision du
contrat et, par exception, son annulation. Elle devrait s’insérer dans la subdivi-
sion réservée au contenu du contrat. Plus concrètement encore, la disposition
qui la consacrerait pourrait faire suite à une autre disposition similaire à celle
par laquelle le Code civil proclame traditionnellement le principe général de
l’exclusion de la lésion. L’abus de dépendance se concevrait ainsi comme une
exception à ce principe.
L’OHADA s’est donné pour mission de construire un droit certes adapté,
mais également moderne 90. Les craintes exprimées, à propos du droit uniforme
des obligations en gestation, quant aux conséquences possibles d’une disrup-
tion dans la culture juridique de la zone, sont légitimes à certains égards ; elles
ne devraient toutefois pas conduire à un hermétisme aveugle. Dans le sillage de
la globalisation, la convergence des droits entraîne une dynamique qui, par la
minimisation des clivages normatifs et le renforcement de la sécurité juridique

doctrine fera pourtant son chemin en droit américain où elle est appliquée. V. C. McCullough,
« Unconscionability as a Coherent Legal Concept », University of Pennsylvania Law Review,
2016, vol. 164, n° 3, p. 779.
87. E. McKendrick, Contract Law. Text, cases and materials, op. cit., p. 684 et Contract Law,
London, Palgrave Macmillan, Eleventh edition, 2015, p. 306.
88. D. Hutchison et al., The Law of Contract in South Africa, op. cit., p. 143.
89. Cela représentait également le projet de Lord Denning dans l’affaire Lloyds Bank.
90. Traité OHADA, Préambule.
La violence économique dans l’espace OHADA 318

des opérations transfrontières, facilite la circulation des biens et des personnes.


L’OHADA – dont l’autre finalité est de favoriser les investissements au sein
de l’espace qu’elle couvre – ne saurait rester en marge de ce mouvement. Sur
certaines questions, une évolution paraît nécessaire. C’est le cas de la violence
économique.

SUMMARY: ECONOMIC VIOLENCE IN THE OHADA


AREA
Economic violence occurs when an imbalance in the rights and obligations
of the parties to a contract results from the exploitation by one of them of the
other’s situation of (economic) weakness at the time of conclusion of the agree-
ment. As a growing issue in contractual justice, the phenomenon is increas-
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ingly being addressed in modern legislation. In the geographical area covered
by OHADA, it remains a matter for domestic law, reinforced by legislation of
community origin (WAEMU and CEMAC in particular) in certain specific ar-
eas. The two OHADA draft texts intended to standardize the general law of
obligations certainly address the issue, but from two different approaches: one
associates it with duress, and the other with lesion. This article thus focuses
on the legal regime of economic violence within the OHADA area. It begins by
assessing this regime which, de lege lata, is not harmonized and proves to be
deficient. This observation, combined with other legal and situational consid-
erations, makes it possible to determine, de lege ferenda, the foundations of an
optimized uniform legal regime.

Mots clés : violence économique, abus de dépendance, OHADA, droit des


contrats, droit du marché

Keywords: economic violence, abuse of dependence, OHADA, contract law,


market law

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