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La procédure dans les droits de propriété intellectuelle

Jean-Christophe Galloux
Dans Revue internationale de droit économique 2015/4 (t. XXIX), pages 467 à 481
Éditions Association internationale de droit économique
ISSN 1010-8831
ISBN 9782807301191
DOI 10.3917/ride.294.0467
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.178.36.37)

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LA PROCÉDURE DANS LES DROITS
DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Jean-Christophe GALLOUX1

Résumé : Les fonctions de la procédure sont plus étendues en matière de propriété


industrielle qu’en matière de propriété littéraire et artistique, en raison de l’exis-
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tence d’un enregistrement effectué auprès d’un organisme étatique. Les droits de
propriété industrielle connaissent ainsi deux formes de procédures : procédures
relatives à la délivrance et procédures post-délivrance. Il devient impropre de qua-
lifier les premières d’« administratives » : beaucoup d’entre elles se rapprochent
des procédures judiciaires classiques et n’en diffèrent que par la connaissance que
les organes de recours internes aux offices en ont. Les secondes font essentielle-
ment appel à la procédure judiciaire de droit commun et n’en diffèrent que pour les
besoins d’efficacité de la lutte contre la contrefaçon.

1 Les procédures de type administratif : le contentieux de la délivrance


1.1 Les procédures d’acquisition des droits
1.2 Les procédures relatives à la validité des droits
2 Les procédures de type judiciaire : le contentieux post-délivrance
2.1 Les procédures relatives à la contrefaçon
2.2 Les procédures relatives à la titularité et à l’exploitation des droits

Analyser les fonctions de la procédure en matière de propriété intellectuelle oblige,


à titre liminaire, à évoquer la question de l’autonomie de cette branche du droit
vis-à-vis du droit commun. En effet, comme beaucoup d’auteurs l’ont relevé2 :
« L’idée selon laquelle le droit de la propriété intellectuelle se caractériserait par

1.  Professeur à l’Université de Paris II (Panthéon-Assas).


2. Voir, par exemple, Ch. Noiville, Ressources génétiques et droit. Essai sur les régimes juridiques
des ressources génétiques marines, Paris, Pedone, 1997, pp. 81 et s.

Revue Internationale de Droit Économique – 2015 – pp. 467-481 – DOI: 10.3917/ride.294.0467


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une certaine autonomie au sein du système juridique a été longtemps défendue3. »


Cette revendication d’autonomie qui n’est pas propre, avouons-le, à la propriété
intellectuelle, perdure malgré les efforts pour un retour au droit commun menés
notamment au plan européen. Elle se trouve très explicitement affirmée en droit des
brevets dont le caractère particulièrement technique et les objectifs ouvertement
économiques semblent le retrancher des grands mouvements d’harmonisation.
Cette attitude s’appuie d’abord sur le souci d’une division rationnelle du travail
juridique : les droits intellectuels ont été institués pour stimuler et protéger la créa-
tion sous toutes ses formes, esthétiques ou techniques. En poursuivant d’autres fins
que celles pour lesquelles ils ont été établis, les droits intellectuels tourneraient le
dos à leur rationalité. En sus de leur caractère souvent technique, les droits intel-
lectuels se sont ensuite parés d’une auréole de neutralité : ils se borneraient à faire
accéder une création à la reconnaissance juridique sur la base de critères objectifs,
sans porter de jugement sur la valeur sociale de cette création. Il appartiendrait
donc au législateur de ne recourir aux instruments juridiques du droit commun que
pour contrôler la circulation des créations. Sous cette revendication autonomiste, il
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est également permis de déceler des racines plus profondes. La liberté de création,
celle de l’artiste, mais aussi sa sœur, celle de l’inventeur qui s’affilie à la liberté
de recherche scientifique, relèvent l’une comme l’autre de la liberté de pensée et
d’expression proclamée par l’article 10 de la Convention européenne des droits
de l’Homme (CEDH). La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
protège désormais la propriété intellectuelle en son article 17, mais au titre d’une
forme de propriété davantage qu’au titre d’une liberté4. Cette origine « fondamen-
tale » ferait obstacle à une intégration plus complète au droit commun.
Le droit processuel de la propriété intellectuelle n’a pas complètement échappé
à ces tentations centripètes. Il y a toutefois lieu de préciser ce mouvement, voire
de le relativiser, dans le cas de la procédure : deux caractéristiques impriment au
cadre processuel des spécificités fortes qu’atténue le caractère transdisciplinaire
des droits fondamentaux.
La première spécificité réside dans le caractère « technique » revendiqué par la
matière : il est certes plus évident dans le domaine du droit des brevets que pour les
autres droits intellectuels, notamment ceux qui couvrent des signes distinctifs. D’un
point de vue procédural, il va parfois conduire, en droit des brevets, au recours à
des juges techniciens, plus à même d’appréhender la réalité scientifique de la situa-
tion litigieuse dans les contentieux de la validité et de la contrefaçon des titres5. Le
recours à des juges techniciens, notamment aux côtés de juges professionnels, est

3. J.-Ch. Galloux, « Les droits fondamentaux de la procédure dans la propriété intellectuelle : vers
un syncrétisme européen », in Justice et droits fondamentaux. Études offertes à Jacques Normand,
Paris, Litec, 2003.
4. F. Benoît-Rhomer, « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », D. 2001, chr.
p. 1483.
5. Sur l’ensemble de cette question, S. Aroub, Le juge technicien en matière de brevets, Mémoire
Paris II, 2015.
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une très ancienne revendication des usagers du droit des brevets6 et elle serait de
nature à améliorer la qualité des décisions rendues7. Deux pays européens y ont
fait droit : l’Allemagne avec le Bundespatentgericht8 et la Suisse avec le Tribunal
fédéral des brevets de Saint-Gall entré en fonction le 1er janvier 20129. L’Accord
sur la juridiction unifiée des brevets, signé par 25 pays européens le 19 avril 2013,
prévoit également la présence de juges techniciens au sein des compositions de
cette nouvelle instance, aux côtés de « juges juristes »10.
On ne manquera pas de relever que le droit des brevets a constitué, en matière
procédurale, la matrice des autres droits de la propriété industrielle en raison des
innovations dont il a su se doter11. Cette inventivité trouve précisément sa justifica-
tion dans le caractère particulièrement technique de la matière.
La seconde particularité tient aux droits de propriété industrielle : le fait que
ces titres de brevet, marque, dessin ou modèle, certificat d’obtention végétale,
topographie de semi-conducteur, à la différence des droits de propriété littéraire
et artistique, font l’objet d’une délivrance de la part d’un organe étatique ou sur
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délégation d’un tel organe. Ce mode de délivrance emporte deux conséquences sur
le plan procédural. D’abord, il conduit à ce que pour partie, le contentieux de la
délivrance de ces titres soit attribué à des instances internes à ces organes étatiques
ou para-étatiques (c’est notamment le cas des procédures d’opposition, telles qu’on
les connaît dans le domaine des marques ou des brevets européens). Ensuite, le
contentieux de la validité de ces titres n’est pas en principe arbitrable. Cela résulte
du fait que la nullité ou la validité de ces titres étend ou restreint le domaine public
et met en cause la liberté du commerce et de l’industrie. Il paraît dès lors exclu de
saisir les arbitres à titre principal d’une action en nullité d’un brevet, d’une marque
ou d’un modèle ou d’une action en déchéance12.
Ces particularismes ne doivent pas faire oublier un facteur essentiel d’harmo-
nisation en droit processuel : celui des principes fondamentaux de la procédure
que toutes les instances ayant à connaître des droits intellectuels ont désormais
en partage. En effet, le caractère transdisciplinaire des droits fondamentaux est

6. Bulletin de la société d’encouragement pour l’industrie nationale, 2e série, tome 3, mai 1856,
pp. 264-267 ; plus récemment, A. Lefèvre, Rapport au Sénat n° 537 fait au nom de la Commission
des lois, 8 juillet 2009.
7. B. Schmidt, « How to Improve the Quality of Decisions (especially the Issue of the Composition of
the Court) », in Quel droit des brevets pour l’Union européenne, actes du colloque des 26-27 avril
2012, Paris, Ceipi/Litec, 2013, p. 110.
8. Article 65 § 2 de la loi allemande sur les brevets ; J.-P. Martin, « Contrefaçon de brevet d’inven-
tion : le système judiciaire allemand », RDPI, 2005, n° 47, p. 166.
9. Loi du 20 mars 2009 sur le Tribunal fédéral des brevets (LTFB).
10. J.-Ch. Galloux et B. Warusfel, « Le brevet unitaire et la future juridiction unifiée », Propr. intell.
2013, n° 47, p. 166.
11. On citera seulement, pour le droit français : la procédure de saisie-contrefaçon et les mesures
d’interdiction provisoire.
12. M. Vivant, Juge et loi du brevet, coll. CEIPI, Paris, Litec, 1977, n° 21.
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admis en propriété intellectuelle, même s’il ne l’est que du bout des lèvres13. C’est
que le phénomène est récent. Les premières décisions remontent à peine à une
dizaine d’années et le premier ouvrage d’envergure qui vient d’y être consacré, à
l’égard de la procédure de délivrance des brevets européens seulement, a été publié
voici deux ans tout au plus14. Il s’agit des principes tirés des articles 6 et 13 de la
Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) : autour de ce bloc s’éla-
bore une unification des droits processuels communautaires et européens pour les
droits intellectuels.
Les fonctions de la procédure dans le domaine de la propriété intellectuelle
sont nombreuses et diverses. Toutefois, cette diversité est plus importante dans le
domaine de la propriété industrielle : s’agissant de la propriété littéraire et artis-
tique, sa nature de droit subjectif privé et l’absence d’une procédure de délivrance
font que le droit processuel applicable est largement celui du droit commun à
l’exception notable de la constatation de la contrefaçon15. Cette césure entre pro-
priété littéraire et artistique et propriété industrielle est essentielle même au plan
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européen (cette matière ayant été peu harmonisée au demeurant). L’absence de for-
malisme pour l’acquisition de la première et la nécessité d’une procédure d’octroi
pour l’autre, conduit la propriété industrielle à se tourner vers deux types de règles
en raison d’un double contentieux, de type administratif et de type judiciaire, tandis
que le contentieux de type administratif est absent de la mise en œuvre du droit de
la propriété littéraire et artistique.

1 LES PROCÉDURES DE TYPE ADMINISTRATIF :


LE CONTENTIEUX DE LA DÉLIVRANCE
Si l’expression « de type administratif » est encore couramment employée, elle est
à notre sens désormais impropre. Certes, ces procédures présentent des caractères
« administratifs » que n’ont pas les procédures relevant de la seconde phase « de
type judiciaire » : ce sont, en principe, des contentieux engagés contre l’organe de
délivrance des titres tandis que les seconds sont inter partes ; par ailleurs, les pre-
mières résultent pour une large part des nombreuses formalités que les déposants
doivent accomplir, formalités largement absentes dans la phase post-délivrance.
Toutefois, on assiste à une hybridation de plus en plus grande de ces deux types de
procédures.

13. Voir notamment M. Vivant, « Propriété intellectuelle et ordre public », in Mélanges Jean Foyer,
Paris, PUF, 1997, p. 307.
14. E. Waage, L’application de principes généraux de procédure en droit européen des brevets, Paris,
Litec 2000.
15. J. Foyer, « Le droit processuel de la propriété industrielle », in Mélanges Gérard Cornu, 1994,
p. 147.
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Ainsi, les recours contre les décisions rendues au cours de la phase de déli-
vrance sont dévolus, au moins pour partie, à un organe judiciaire16 ; les tiers sont
de plus en plus souvent admis à intervenir au cours de la phase de délivrance ;
le développement de la procédure d’opposition lance un pont entre les phases de
délivrance et post-délivrance ; enfin, les procédures relatives à la validité des droits
se répartissent parfois entre les organes administratifs et les instances judiciaires17.
C’est en effet que les nouveaux offices issus de l’harmonisation européenne
en matière de propriété industrielle, l’Office européen des brevets (OEB)18, l’Of-
fice d’harmonisation du marché intérieur (OHMI)19 et l’Office communautaire des
obtentions végétales (OCVV)20 ont adopté une forme d’organisation « intégrée »21
dans laquelle les recours formés contre les décisions de l’office sont dévolus non
pas à une juridiction judiciaire ou administrative extérieure de droit commun, mais
à des instances indépendantes internes22, fonctionnant « à la manière d’un tribu-
nal ». Cette forme d’organisation a ainsi conduit les offices à se doter de règles de
procédure très complètes. Ces règles, très détaillées, vont pour la plupart figurer
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dans les règlements d’exécution des textes de base instituant ces offices.
Les procédures de la phase de délivrance regroupent traditionnellement les
procédures d’acquisition des droits et celles relatives à la validité des droits.

1.1 Les procédures d’acquisition des droits

Les procédures d’acquisition de droits actuellement en vigueur en Europe, notam-


ment pour les marques, les dessins et modèles communautaires et les certificats
d’obtention végétale, et dans une moindre mesure, pour les titres nationaux, sont
largement inspirées du modèle de l’Office européen des brevets (OEB), issu de la
Convention sur le brevet européen (CBE). Cette acculturation du modèle de l’OEB
par le système communautaire s’est opérée par le truchement de la Convention

16. Par exemple, en droit français, les décisions de l’INPI font l’objet d’un recours devant la Cour
d’appel (art. L. 411-4 CPI) ; les décisions des chambres de recours de l’OHMI, en matière de
marques ou de dessins et modèles communautaires, sont appelables devant le Tribunal de l’Union.
17. Tel est le cas pour les marques et dessins ou modèles communautaires : les actions en nullité sont
de la compétence de l’OHMI tandis que les défenses en nullité soulevées à l’occasion d’une action
en contrefaçon restent de la compétence du tribunal saisi.
18. Organisme institué par la Convention sur le brevet européen (CBE), signée à Munich le 5 octobre
1973.
19. L’OHMI a été institué afin d’enregistrer à la fois des marques de l’Union européenne, aux termes
de l’article 2 du règlement n° 40/94 du 20 décembre 1993 (RMC), et des dessins et modèles de
l’Union européenne, selon l’article 2 du règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001 (RDMC).
20. L’OCVV a été institué par le règlement n° 2100/94 du 27 juillet 1994 (RPOV). Il est doté de la
personnalité juridique et assume la mission principale de recevoir et d’examiner les demandes de
certificats d’obtention végétale communautaire.
21. Toutefois, à la différence de l’OHMI et de l’OCVV, l’OEB n’est pas un office communautaire.
22. Sur l’historique de cette construction, E. Waage, L’application de principes généraux de procé-
dure en droit européen des brevets, op. cit., pp. 10 et s.
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de Luxembourg sur le brevet communautaire (CBC)23 qui n’est jamais entrée en


vigueur, mais dont les dispositions ont, sur ce point, été reprises par le RMC, le
RDMC et le RPOV24. Les offices de propriété industrielle de « type OEB » font
donc coexister en leur sein deux sortes d’organes : ceux que l’on pourrait qualifier
de « purement administratifs » et ceux chargés des aspects contentieux. Leur cor-
respondent deux types de règles de procédure. Les premiers organes regroupent les
sections de dépôt, les divisions de recherche, les divisions d’examen et la division
juridique, pour ce qui concerne l’OEB ; des examinateurs, de la division de l’ad-
ministration des marques (ou des dessins et modèles) et des questions juridiques
compétentes, pour ce qui concerne l’OHMI ; de comités techniques s’agissant de
l’OCVV. Les seconds organes comprennent la division d’opposition, les chambres
de recours et la Grande chambre de recours à l’OEB ; les divisions d’opposition et/
ou les chambres de recours à l’OHMI et à l’OCVV.
Les règles de procédure devant l’OEB, l’OHMI et l’OCVV présentent de très
fortes similarités : comme le note très justement E. Waage, ce parallélisme révèle
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« l’existence d’un véritable modèle de procédure européenne pour tout le domaine
de la propriété industrielle »25. Il n’y a là rien de surprenant, car les règles mises en
place à l’OEB ont servi de modèle pour les offices communautaires.
Les règles « purement administratives », et qu’il faudrait plutôt dénommer
« formalités », qui concernent le dépôt des demandes, les recherches d’antério-
rité, l’examen formel, puis au fond des demandes de titres, les notifications, les
révisions préjudicielles, tirent leur origine d’une part des quelques règles inter-
nationales qui pouvaient exister au début des années 1970, c’est-à-dire les règles
du Traité de coopération en matière de brevet (Traité PCT)26 dans un but évident
d’harmonisation27, et des droits nationaux les plus avancés en la matière (allemand,
néerlandais et suisse, avec une prédominance certaine du premier).
Ces formalités sont spécifiques à chacun des droits en cause, car bien évidem-
ment si les règles de dépôt sont très semblables28, les formalités d’examen sont
bien différentes entre le brevet, la marque ou l’obtention végétale. Ces formalités

23. La Convention relative au brevet européen pour le marché commun (Convention sur le brevet
communautaire), faite à Luxembourg le 15 décembre 1975, suivie de l’Accord en matière de
brevets communautaires, fait à Luxembourg le 15 décembre 1989.
24. J. Foyer, « Le droit processuel de la propriété industrielle », op. cit., p. 151.
25. E. Waage, L’application de principes généraux de procédure en droit européen des brevets,
op. cit., p. 24.
26. Signé à Washington le 19 juin 1970, le Traité PCT (Patent Cooperation Treaty) vise deux objectifs
essentiels : améliorer les procédures de délivrance des brevets notamment dans les pays qui ne
disposent pas d’un office pouvant exercer un contrôle sérieux des demandes en mettant en place
une coopération internationale ; permettre une meilleure diffusion de l’information technique. La
procédure de dépôt de brevet est centralisée auprès de l’OMPI où s’effectuent l’examen formel de
la demande et la recherche d’antériorité et, facultativement, l’examen préliminaire international.
Puis la demande éclate en un faisceau de demandes nationales vers tous les pays désignés, lesquels
se chargent de la procédure finale de la délivrance.
27. J.-M. Mousseron, Traité des brevets, Paris, Litec, 1984, p. 552, n° 541.
28. Article 78 CBE, 26 RMC, etc.
La procédure dans les droits de propriété intellectuelle 473

accompagnent chaque temps de la procédure de délivrance devant ces offices, dont


les rouages sont parfois complexes : elles sont indispensables pour son bon dérou-
lement. Ce formalisme est d’autant plus pointilleux et nécessaire que les offices
européen et communautaires sont appelés à traiter un nombre très important de
demandes29 et qu’ils travaillent dans un environnement international. Sur ce dernier
point, l’un des aspects essentiels de ces formalités réside dans la gestion des traduc-
tions : l’OEB travaille en trois langues (allemand, anglais et français) tandis que
l’OHMI travaille en cinq langues (allemand, anglais, espagnol, italien et français).
La systématisation et l’uniformisation des règles de délivrance des titres de
propriété industrielle se sont poursuivies sur un plan mondial cette fois : c’est dans
le cadre de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) que deux
traités « de procédure » ont été adoptés au cours des deux dernières décennies, en
matière de marques, puis de brevets.
Le Traité sur le droit des marques (TLT)30 a pour objectif de rendre les sys-
tèmes nationaux et régionaux d’enregistrement des marques plus faciles à utili-
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ser en simplifiant et en harmonisant les procédures contribuant ainsi à rendre les
demandes d’enregistrement de marques et l’administration des enregistrements de
marques dans plusieurs pays moins complexes et plus prévisibles. La grande majo-
rité des dispositions du TLT concerne la procédure auprès d’un office. Elles se
décomposent en trois phases principales : la demande d’enregistrement, les chan-
gements après enregistrement et le renouvellement. Les règles relatives à chacune
de ces phases sont conçues de manière à définir clairement les conditions à remplir
pour une demande.
Le Traité sur le droit des brevets (PLT)31 a pour objet, comme son cousin le
TLT, l’harmonisation internationale des conditions de forme s’appliquant aux
demandes de brevets et aux brevets dans le cadre des différents systèmes nationaux
et régionaux. Il permet aux usagers de bénéficier de procédures simples et connues
d’avance pour déposer des demandes nationales et régionales de brevets et main-
tenir les titres obtenus. Il énonce les exigences relatives à l’attribution d’une date
de dépôt et définit des procédures permettant d’éviter une perte de la date de dépôt
découlant de l’inobservation des autres conditions de forme. Il propose une série de
conditions de forme normalisées au niveau international applicables aux demandes
nationales et régionales, fondées sur les exigences relatives aux demandes inter-
nationales selon le PCT. Il établit des formulaires normalisés qui doivent être
acceptés par tous les offices. Le PLT simplifie un certain nombre de procédures
devant l’office, contribuant ainsi à réduire les coûts tant pour les déposants que

29. En 2014, l’OHMI a reçu 117 456 demandes d’enregistrement de marques communautaires et


23 682 demandes d’enregistrement de dessins et modèles communautaires ; l’OEB a reçu 274 000
demandes de brevets.
30. Ce traité a été conclu sous l’égide de l’OMPI à Genève, le 27 octobre 1994, sur le droit des
marques.
31. Adopté le 1er juin 2000, entré en vigueur le 28 avril 2005.
La procédure dans les droits de propriété intellectuelle 474

pour les offices. Il permet d’éviter la perte accidentelle de droits matériels et le


rétablissement des droits découlant de l’inobservation des conditions de forme. Il
facilite enfin la mise en œuvre du dépôt électronique.
Les recours formés contre les décisions rendues par les offices européen et
communautaires à ces divers stades sont de la compétence des instances internes
(les chambres de recours notamment), selon des règles processuelles qui seront
communes au contentieux suivant, celui de la validité des titres. En effet, tant la
CBE que le RMC, le RDMC que le RPOV contiennent des dispositions générales
de procédure qui ont vocation à s’appliquer à toutes les procédures suivies devant
les offices32.
Dans certains droits nationaux dont les offices de propriété industrielle ne pos-
sèdent pas des instances judiciaires intégrées, comme en droit français, les déci-
sions de rejet prises pendant la phase de délivrance font l’objet d’un recours devant
une instance judiciaire – et non pas administrative –, mais selon une procédure
qui, sur de nombreux points, déroge au droit commun de la procédure d’appel, de
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manière à tenir compte de la qualité des parties (en l’espèce, le recours est dirigé
contre l’INPI, l’office français, une personne morale de droit public).

1.2 Les procédures relatives à la validité des droits

Cette phase procédurale est désormais de nature hybride puisque le contentieux de


la validité des titres, en droits européen et communautaire, se trouve partagé entre
les instances spécialisées des offices et les juridictions nationales. On ne sait donc
s’il s’agit d’un phénomène de déjudiciarisation de ce contentieux ou, à l’inverse,
d’un phénomène de judiciarisation de la phase habituellement « administrative » de
délivrance. Cette hybridation se trouve particulièrement cristallisée dans la procé-
dure d’opposition dont le modèle a été lancé par l’OEB et qui se trouve reprise par
certains droits nationaux en marques ou dessins et modèles. Elle montre combien
la distinction « procédure administrative » - « procédure judiciaire » se trouve
dépassée. Certes, comme nous l’avons déjà relevé, il y a d’un côté une procédure
ex parte et de l’autre une procédure inter partes, mais ne faut-il pas placer ces deux
phases dans un même continuum régit par les mêmes règles et concernant le même
objet (le titre de propriété industrielle) ?
La procédure d’opposition, mise en place pour la première fois par la CBE
devant l’OEB, a pour objet de remettre en cause la conclusion de l’examen.
L’intérêt est de vider un éventuel contentieux dans un délai relativement court après
la délivrance et directement au niveau européen, au sein de l’OEB. Ce système qui

32. « Dispositions générales de la procédure » de la CBE, 7e partie ; Titre IX, « Dispositions de pro-


cédure » du RMC ; IVe partie, « Procédure devant l’Office » pour le RPOV ; titre IX, « Procédure
devant l’Office » pour le RDMC.
La procédure dans les droits de propriété intellectuelle 475

permet d’obtenir la révocation ou la limitation du brevet qui vient d’être délivré,


avec l’annulation ab initio des effets prévus, évite d’une part les effets désastreux
des instances tardives dont l’issue peut remettre en cause rétroactivement des
années d’exploitation, et d’autre part la multiplication des instances en annulation
devant les juridictions nationales avec le risque de contrariété entre les décisions
rendues. C’est une procédure inter partes, ouverte aux tiers, dans les neuf mois de
la publication de la délivrance du titre européen. Cette procédure suit les règles
processuelles générales fixées pour toutes les instances de l’OEB par la CBE et
son règlement d’exécution. Le règlement sur la marque communautaire (RMC)
aménage un même type d’opposition avec recours devant une chambre de recours
de l’OHMI, procédure imitée de l’appel en matière gracieuse du droit français, lui-
même d’origine allemande.
Usant de la liberté laissée à cet égard par la directive d’harmonisation, le légis-
lateur français a introduit une procédure d’opposition dans les articles L. 712-4 et
L. 712-5 du Code de la propriété intellectuelle. L’examen pratiqué par l’INPI ne
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porte pas sur la disponibilité du signe. En effet, l’examen des antériorités aurait
constitué, pour l’INPI, une tâche très lourde, de nature à retarder sensiblement l’en-
registrement. Le législateur a considéré qu’il était plus simple et plus économique
de charger les tiers qui estimeraient avoir des droits antérieurs de nature à rendre
nulle une marque déposée par autrui de faire opposition à l’enregistrement dans un
délai de deux mois à compter de la publication de la demande d’enregistrement33. Il
est statué sur cette opposition directement par l’INPI. Comme toutes les décisions
du Directeur de l’INPI, les décisions statuant sur une opposition à l’enregistrement
d’une marque sont susceptibles d’un recours devant la cour d’appel.
Si la procédure d’opposition devant l’OEB est difficilement qualifiable de
simple continuation de la procédure d’examen34, mais plutôt comme une forme
d’« attaque centrale » contre un brevet européen35, tel ne semble pas être le cas de
la procédure devant l’INPI.
Les procédures en annulation ou en déchéance pour les titres européens sont
exclusivement conduites devant les juridictions nationales et selon les règles de
procédure du droit commun puisque ces titres européens « éclatent » en autant de
titres nationaux que de pays visés lors de la procédure de dépôt. Les procédures
d’annulation des titres nationaux de propriété industrielle sont également justi-
ciables des tribunaux nationaux selon les règles de procédure de droit commun.
Enfin, la procédure d’annulation des titres communautaires se trouve distribuée
entre les instances des offices communautaires et les tribunaux nationaux recom-
posés en « tribunaux des marques ou des dessins et modèles communautaires »,

33. Article L. 712-3 CPI.


34. En ce sens, la décision de la Grande chambre de recours de l’OEB 1/84, JO OEB 1985, p. 299,
point 9.
35. J. Foyer et M. Vivant, Droit des brevets, Paris, PUF, 1991, p. 233.
La procédure dans les droits de propriété intellectuelle 476

selon que la demande est faite par voie d’action ou par voie reconventionnelle ou
d’exception, dans le cadre d’un litige en contrefaçon du titre en cause.
Devant les offices communautaires, les règles de procédure sont celles déjà évo-
quées. Si, d’un point de vue organique, les divisions d’annulation de l’OHMI ne
sont pas reconnues comme étant des juridictions36, il n’est pas discutable du point
de vue matériel qu’elles exercent une juridiction contentieuse37, en témoignent
la reconnaissance à leur égard, par les textes qui en gouvernent la procédure, du
mécanisme de l’autorité de la chose jugée38 et le fait également que les droits de
propriété industrielle constituent une matière dont le contentieux est par ailleurs
tranché par les tribunaux nationaux. Le refus de la Cour de justice de leur recon-
naître ce statut trouve sans doute sa justification dans le fait que ces instances
dépendent d’elle en dernier recours.
Les chambres de recours de l’OEB se sont, quant à elles, décerné la qualité de
juridiction pour leurs activités : « elles se considèrent comme des instances judi-
ciaires chargées d’assurer le respect du droit dans l’application de la CBE »39. Il
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est vrai qu’à la différence de leurs homologues de l’OHMI ou de l’OCVV, elles ne
dépendent pas en dernier recours de la CJUE.

2 LES PROCÉDURES DE TYPE JUDICIAIRE :


LE CONTENTIEUX POST-DÉLIVRANCE
Une partie substantielle du contentieux de la propriété intellectuelle a trait à la
défense et à l’exploitation des droits. Ici, nous retrouvons les droits de la propriété
littéraire et artistique que nous avions abandonnés dans le cadre de la première
partie qui ne les concernait pas.
En cette matière dominent les juridictions civiles nationales de droit commun
et la procédure civile nationale de droit commun. Toutefois, un travail d’harmo-
nisation important a été fourni par l’Union européenne dans le domaine des pro-
cédures de lutte contre la contrefaçon par le biais de la directive n° 2004/48 du
29 avril 2004. En revanche, le contentieux de la titularité et celui de l’exploitation
se développent totalement en dehors de règles processuelles d’origine communau-
taire ou supranationales.

36. TPICE, 12 décembre 202, aff. T-63/01 ; sur l’ensemble de la question, M. Mouncif-Moungache,


Les dessins et modèles en droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 275 et s.
37. J. Foyer , « Le droit processuel de la propriété industrielle », op. cit., p. 155.
38. Articles 96.2 RMC et 90.57 RDMC.
39. E. Waage, L’application de principes généraux de procédure en droit européen des brevets,
op. cit., p. 21 ; Décision G 1/86, JO OEB 1987, p. 449, point 14.
La procédure dans les droits de propriété intellectuelle 477

2.1 Les procédures relatives à la contrefaçon

Les procédures permettant la lutte contre la contrefaçon sont de trois natures :


civile, pénale et douanière.
Nous écarterons d’emblée la procédure pénale : elle ne présente en la matière
aucune particularité, du moins dans la plupart des pays européens, par rapport au
droit commun. C’est d’ailleurs son point faible : il conviendrait certainement de
l’adapter aux contraintes de la lutte contre la contrefaçon pour la rendre plus attrac-
tive. Pour l’heure, les autorités européennes ont renoncé à une quelconque harmo-
nisation en la matière.
Le contentieux douanier entretient des rapports étroits avec le droit pénal sans
se confondre avec lui : c’est d’abord un contentieux de nature fiscale dont certaines
incriminations se trouvent par ailleurs pénalement réprimées. Le droit douanier
communautaire laisse subsister un droit douanier national qui conserve toute sa
vigueur : l’un comme l’autre ont adopté des procédures spécifiques pour la lutte
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contre la contrefaçon. L’Union a largement harmonisé ce secteur avec le règlement
(UE) n° 608/2013 du 12 juin 2013 concernant le contrôle, par les autorités doua-
nières, du respect des droits de propriété intellectuelle40. Retenons que ces pro-
cédures douanières, qu’elles soient conduites au plan communautaire ou au plan
national, s’articulent parfois difficilement avec la procédure civile41.
Quant au contentieux civil de la contrefaçon, il se trouve soumis à deux mou-
vements contraires : un mouvement de communautarisation, qui touche en principe
l’ensemble de la propriété intellectuelle, et un mouvement de décommunautarisa-
tion qui touche le droit européen et – paradoxalement – communautaire des bre-
vets. Ces deux mouvements trouvent toutefois leur fondement dans les règles de
l’annexe ADPIC des Accords de Marrakech dont la directive n° 2004/48 est la
transposition en droit de l’Union, et plus particulièrement la Partie III du texte
(articles 41 à 51). Il s’agit pour l’essentiel de mesures procédurales dont les carac-
téristiques se trouvent énoncées par l’article 41 : « Les Membres feront en sorte
que leur législation comporte des procédures destinées à faire respecter les droits
de propriété intellectuelle telles que celles qui sont énoncées dans la présente par-
tie, de manière à permettre une action efficace contre tout acte qui porterait atteinte
aux droits de propriété intellectuelle couverts par le présent accord, y compris des
mesures correctives rapides destinées à prévenir toute atteinte et des mesures cor-
rectives qui constituent un moyen de dissuasion contre toute atteinte ultérieure.
Ces procédures seront appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au
commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif. »

40. Et abrogeant le règlement (CE) n° 1383/2003, JOUE n° L 181, 29 juin 2013.


41. J.-Ch. Galloux, « Douanes, lutte anti-contrefaçon et droits fondamentaux », in Douanes et lutte
anti-contrefaçon, Paris, Irpi/LexisNexis, 2014 pp. 79 et s.
La procédure dans les droits de propriété intellectuelle 478

La communautarisation de la procédure contentieuse de la contrefaçon repose


pour une part substantielle sur la directive n° 2004/48, mais également sur les dispo-
sitions contenues dans les règlements relatifs aux différents titres communautaires.
Si l’harmonisation progressive du droit matériel de la propriété intellectuelle
avait permis de faciliter la libre circulation entre les États membres, les moyens de
faire respecter les droits de propriété intellectuelle n’avaient jusqu’alors pas fait
l’objet d’une harmonisation. Telle est la justification de cette directive. Elle oblige
les États membres à prévoir les procédures nécessaires pour assurer le respect des
droits de propriété intellectuelle et appliquer des mesures appropriées contre les
auteurs de contrefaçon et de piratage. Ces mesures et procédures doivent être suf-
fisamment dissuasives pour éviter la création d’obstacles au commerce légitime et
offrir des garanties contre leur usage abusif. Ces mesures concernent l’ensemble
des droits de propriété intellectuelle42.
La méthodologie suivie par les autorités communautaires a consisté à piocher
dans les différents droits nationaux les instruments procéduraux considérés comme
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les plus efficaces dans la lutte contre la contrefaçon, et à en étendre l’usage à tous les
autres pays. La directive se présente donc comme une sorte de patchwork procédu-
ral. On y trouve des mesures probatoires : comme la saisie-contrefaçon, empruntée
du droit français, le droit d’information, adaptation timide de la procédure anglaise
de la discovery ; des mesures provisoires ex parte et inter partes, inspirées du référé
français, du Kort Geding néerlandais ou de l’Anton Piller Order. Bien que la direc-
tive n’affecte pas le droit substantiel de la propriété intellectuelle43, ses dispositions
relatives aux sanctions de la contrefaçon ne sauraient pourtant être considérées
comme de nature procédurale. L’acculturation de ces dispositions par les systèmes
procéduraux nationaux n’est pas chose facile : elle constitue incontestablement un
frein à l’harmonisation voulue par les autorités communautaires. L’exemple de la
procédure de saisie-contrefaçon est de ce point de vue exemplaire : les pratiques
françaises et allemandes divergent de manière significative.
La communautarisation procédurale ne s’arrête pas là pour le contentieux de
la contrefaçon. Même si ce dernier se trouve attribué, pour les titres communau-
taires de marque, dessin et modèle et certificat d’obtention végétale aux juridic-
tions nationales « communautarisées », ce qui implique l’application des règles

42. Déclaration 2005/295/CE de la Commission concernant l’article 2 de la directive n° 2004/48/


CE du Parlement européen et du Conseil relative au respect des droits de propriété intellectuelle
(JOUE L 94, 13 avril 2005). Entrent dans le champ d’application de la directive relative au respect
des droits de propriété intellectuelle : le droit d’auteur ; les droits voisins ; le droit sui generis d’un
fabricant de base de données ; les droits du créateur des topographies d’un produit semi-conduc-
teur ; les droits des marques ; les droits des dessins et modèles ; les droits des brevets, y compris
les droits dérivés de certificats de protection supplémentaires ; les indications géographiques ; les
droits en matière de modèles d’utilité ; la protection des obtentions végétales ; les dénominations
commerciales, dans la mesure où elles sont protégées en tant que droits de propriété exclusifs par
le droit national concerné.
43. Voir le considérant 15.
La procédure dans les droits de propriété intellectuelle 479

processuelles nationales44, les règlements européens contiennent quelques dispo-


sitions de cette nature qui s’y substituent : règles particulières de compétence en
matière de contrefaçon, défense au fond, demande reconventionnelle, mesures pro-
visoires et conservatoires, connexité45. Le modèle en a été celui de la Convention
de Luxembourg sur le brevet communautaire, parfois copié jusqu’à l’identique sur
certains points.
Paradoxalement, le contentieux de la contrefaçon du brevet européen à effet
unitaire (que les règlements n° 1257/2012 et 1260/2012 du 17 décembre 2012 ont
établi, en remplacement de l’ex-brevet communautaire qui n’a jamais vu le jour) et
celui du brevet européen ne suivront pas ce modèle, lorsque l’Accord sur la juridic-
tion unifiée des brevets (AJUB)46 sera entré en vigueur. En effet, cette juridiction,
dont la compétence sera exclusive pour connaître des contentieux de la validité
et de la contrefaçon des brevets européens et des futurs brevets européens à effet
unitaire, a élaboré son propre code de procédure sous la forme d’un règlement de
procédure qui ne comprend pas moins de 382 articles47 !
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Il est assez stupéfiant de constater que les rédacteurs n’ont pas retenu comme
socle les règles procédurales du droit communautaire. Ainsi en était-il des règle-
ments d’exécution en vigueur devant le TPICE et devant la CJCE, les règles
les composant présentant le double avantage d’être particulièrement précises et
d’avoir déjà donné lieu à de la jurisprudence qui pourrait être intégralement reprise.
La réserve selon laquelle ces règles ne seraient pas adaptées au contentieux des bre-
vets, car le contentieux dévolu aux juridictions communautaires ne concerne pas
deux parties privées, ne pouvait être retenue à titre général : une analyse plus fine
était nécessaire. Il en est de même de la directive n° 2004/48 dont les dispositions
auraient dû être intégralement et littéralement reprises dans le projet de règles de
procédure, ce qui n’est pas le cas, ouvrant à des problèmes d’interprétation.
Les rédacteurs ne se sont pas davantage interrogés sur le niveau de précision
que devait atteindre le règlement de procédure commune en matière de brevet : ils
sont allés dans les détails les plus infimes, en témoigne le nombre d’articles (382).
Deux mécanismes auraient pu servir d’alternative à une trop grande précision dans
le détail : le renvoi à la loi nationale (dont il est rappelé que, sur des points impor-
tants, elle est déjà harmonisée au plan communautaire, telles les mesures provi-
soires, les procédures probatoires, etc.) ; un plus grand pouvoir prétorien. Dans
cette dernière hypothèse, il était nécessaire de prévoir un mécanisme d’appel dévo-
lutif afin qu’un contrôle effectif de cette activité prétorienne soit mis en place.

44. Ainsi en matière de marques communautaires, les règles de procédure mises en œuvre par les
tribunaux des marques communautaires sont celles du droit national en raison du renvoi opéré par
l’article 97 du règlement n° 40/94.
45. Voir, par exemple, le titre X du RMC, « Compétence et procédure concernant les actions en justice
relatives aux marques communautaires », articles 94 à 108.
46. Voir J.-Ch. Galloux et B. Warusfel, « Le brevet unitaire et la future juridiction unifiée », op. cit.
47. 18e version du règlement de procédure, adopté en octobre 2015.
La procédure dans les droits de propriété intellectuelle 480

Il est donc à craindre que le choix d’une procédure commune nouvelle en


matière de contentieux des brevets européens et communautaires dégénère en auto-
nomie procédurale poussée et éloigne le droit des brevets du droit communautaire
et du droit commun processuels de la propriété intellectuelle péniblement mis en
place.

2.2 Les procédures relatives à la titularité et à l’exploitation


des droits

Les contentieux relatifs à la titularité des droits de propriété intellectuelle mettent


en œuvre, pour l’essentiel, des règles procédurales de droit commun des droits
nationaux, quel que soit le type de droit concerné. Sur ce plan, l’harmonisation de
la propriété intellectuelle est plus avancée que les solutions du droit substantiel qui
sont, quant à elles, très diverses48. La seule particularité procédurale tient à l’exis-
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tence, en droit français, d’une procédure de conciliation, en matière de brevets et
d’obtentions végétales : cela n’est guère surprenant, car les questions de titularité
sont au carrefour de la propriété intellectuelle et du droit du travail.
La situation est la même s’agissant de l’exploitation des droits : les droits de
propriété intellectuelle sont considérés comme des biens meubles dont le régime
suit le droit national auquel ils se trouvent rattachés, même dans le cas d’un titre
communautaire. Les contrats portant sur des droits de propriété intellectuelle ne
font pas en principe l’objet de règles processuelles particulières. À titre d’excep-
tion, on relèvera bien quelques règles dans le domaine très étroit des contrats admi-
nistrés : licences et cessions obligatoires, portées par les législations nationales,
mais aussi communautaires49.
Le regretté Jean Foyer notait déjà, voici une vingtaine d’années, que le droit
processuel de la propriété industrielle « ne ressemblait pas à un jardin dessiné par
Lenôtre »50. Si l’on file la métaphore qu’il nous propose, ce jardin processuel res-
semblerait-il davantage à un jardin anglais ? Si l’on y retrouve en effet des chemi-
nements sinueux, et en nombre, nous ne saurions affirmer qu’ils ouvrent sur des
points de vue « pittoresques ». Il s’agirait plutôt d’un « jardin en mouvement »,
une sorte de « friche apprivoisée »51 comme les jardiniers contemporains aiment
à les construire  : le jardinier se contente d’infléchir «  les énergies en présence

48. Le droit des brevets, des obtentions végétales et des logiciels connaît un mécanisme de création de
salariés qui permet à l’employeur d’être titulaire des droits sur ces créations, alors que le système
est inverse pour le reste du droit d’auteur et pour les dessins et modèles, par exemple.
49. Pour le Brevet européen à effet unitaire : article 8 du règlement n° 1257/2012 ; mais surtout le
règlement (CE) n° 816/2006 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006 concernant
l’octroi de licences obligatoires pour des brevets visant la fabrication de produits pharmaceutiques
destinés à l’exportation vers des pays connaissant des problèmes de santé publique.
50. J. Foyer, « Le droit processuel de la propriété industrielle », op. cit., p. 159.
51. Cl. Gilles, « La friche apprivoisée », Urbanisme, septembre 1985, n° 209, pp. 91-95.
La procédure dans les droits de propriété intellectuelle 481

– croissances, luttes, déplacements, échanges » pour « les tourner à son meilleur


usage sans en altérer la richesse ». En d’autres termes, le dessin du jardin se modifie
au fil du temps et dépend de celui qui l’entretient : il ne résulte plus d’une concep-
tion d’atelier. Voilà une ambition qui devrait rassurer le législateur européen.

SUMMARY
The functions of the procedure are more diverse for industrial property rights than
for copyright and neighboring rights, due to the existence a registration procee-
ding before national or supranational Offices. Industrial property rights know two
types of procedures: procedures for the granting and post granting procedures.
Qualification of “administrative procedure” for granting proceedings is improper
as many of them are close to normal judicial proceedings and differ only by the fact
that bodies internal to Offices deal with them. The latter are essentially identical to
judicial procedure under ordinary law and differ only for the sake of efficiency in
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the fight against counterfeiting.

Mots clés : brevet, marques, certificats d’obtention végétale, dessins et modèles,


propriété intellectuelle, procédure

Keywords: patent, trademark, plant variety rights, designs, intellectual property,


procedure

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