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Moroccan Business Review Research - Volume 1 numéro 1 - octobre 2022 - ISSN: 2820-6940

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POLITIQUE DE LA CONCURRENCE ET
DEVELOPPEMENT
CAS DE LA LUTTE CONTRE LES ENTENTES
ANTICONCURRENTIELLES
AU MAROC

COMPETITION POLICY AND DEVELOPMENT


CASE OF THE FIGHT AGAINST ANTI-
COMPETITIVE AGREEMENTS IN MOROCCO

OUBEJJA KENZA

Professeure d’économie, Université Mohamed V, Rabat


k.oubejja@um5r.ac.ma

RESUME
Cet article tente d’évaluer la politique de la concurrence au Maroc dans une perspective de développement.
L’accent est mis sur la lutte contre les ententes anticoncurrentielles, pratiques particulièrement préjudiciables à
l’économie. Une perspective de l’analyse économique du droit est adoptée. Malgré des avancées indéniables, la
politique de la concurrence fait face à plusieurs défis. En particulier, le Maroc ne prend pas suffisamment la
dimension développement dans la détermination des objectifs de la politique de la concurrence. Par ailleurs, le
Conseil de la concurrence n’a pas atteint la masse critique d’expérience lui permettant de prendre des décisions
cohérentes et suffisamment justifiées, à même d’assurer sa crédibilité et la prévisibilité de ses décisions.

Mots-clés :
Politique de la concurrence, finalités, ententes horizontales, approche économique, développement, Maroc

ABSTRACT
This article attempts to assess competition policy in Morocco from a development perspective. Emphasis is
placed on the fight against anti-competitive agreements, practices particularly harmful to the economy. A
perspective of the economic analysis of law is adopted. Despite undeniable progress, competition policy faces
several challenges. In particular, Morocco does not sufficiently take into account the development dimension in
determining the objectives of competition policy. Moreover, the Competition Council has not reached the critical
mass of experience enabling it to take coherent and sufficiently justified decisions, able of ensuring its credibility
and the predictability of its decisions.

Key-words: Competition policy, purposes, horizontal agreements, economic approach, development, Morocco

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1. INTRODUCTION

La politique de la concurrence est un des instruments de politique économique des pouvoirs publics
dans leur fonction de régulation de l’économie. A l’instar de plusieurs pays développés et en
développement, le Maroc s’est doté d’un cadre légal sur la concurrence à partir de 2000 qu’il a
progressivement complété. La loi marocaine reprend à son compte plusieurs dispositions contenues
dans les textes européens. La comparaison des deux corpus, malgré une forte similitude, nous permet
de dégager certains déficits. Nous avons fait le choix de mettre l’accent sur les ententes, pratiques aux
effets anticoncurrentiels potentiels particulièrement pernicieux (CNUCED, 2014). Ce pari nous a
permis d’avoir un regard critique sur le traitement par le Conseil de la concurrence d’affaires récentes
concernant le marché des carburants.

Par ailleurs, l’accent mis sur le lien entre la politique de la concurrence et le développement a permis
de s’interroger sur la prise en compte de cette dimension dans la définition des objectifs de la politique
de la concurrence au Maroc. Cette optique aboutit à une question de recherche principale tenant à savoir
si les fonctions de la politique de la concurrence prennent en compte et si elles devraient prendre en
compte la dimension du développement dans un pays émergent tel le Maroc. Une problématique sous-
jacente consiste à considérer la question de la priorisation des objectifs de la politique de la concurrence
de manière à arbitrer entre différents enjeux en présence.

Quel est le rôle de la politique de la concurrence dans ce contexte économique libéralisé dans lequel
l’attractivité des investissements est une préoccupation majeure, alors même que ces investissements
tant souhaités peuvent avoir pour corolaire une plus grande concentration ? Où placer le curseur entre
l’exigence de compétitivité, qui pousse à accepter voire encourager les concentrations, et le souci de la
protection des consommateurs, qui conduit à moins de clémence de la part des autorités de concurrence
? et quid de la protection du tissu économique national majoritairement constitué d’acteurs de petite et
de moyenne taille ? Comment se placer par rapport au choix entre protection du processus
concurrentiel, des concurrents, de l’efficacité économique ou encore du bien-être des consommateurs ?
Sans répondre à l’ensemble de ces questions, ce papier tente de les mettre en perspective et d’apporter
des éléments de réponse.

Nous suivrons une méthodologie comparative pour dégager les aspects saillants de la politique de la
concurrence et des dispositifs normatifs instaurés pour lutter contre les ententes horizontales au Maroc.
Dans cette perspective, l’expérience et la pratique de nos partenaires européens seront mobilisées. Au
fur et à mesure, nous nous attacherons à discuter des problématiques posées et à analyser les éventuels
liens entre la politique de la concurrence et le développement. Un accent sera particulièrement mis sur
l’appréhension des ententes horizontales.

Dans la conception comme dans l’application du droit de la concurrence, l’analyse économique joue
un rôle prépondérant (partie 1). Après une mise en perspective des politiques de la concurrence où nous
examinons l’extension progressive et différenciée des politiques de la concurrence dans le monde, nous
faisons le point sur les avancées qu’a enregistrées le Maroc dans le domaine. L’accent est porté ensuite
sur le cas des ententes horizontales. Après avoir traité des préjudices généralement causés par ces
pratiques, nous procédons à un examen critique du cadre marocain, et du traitement d’affaires récentes
par le Conseil de la concurrence. Enfin, dans une dernière partie, nous discutons des défis auxquels fait
face la politique de la concurrence marocaine, notamment dans ses liens avec le développement, mais
aussi dans le sens d’une meilleure crédibilité et transparence du Conseil de la concurrence.
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2. FONDEMENT THEORIQUE : L’APPROCHE ECONOMIQUE EN DROIT DE LA


CONCURRENCE

S’il est un domaine dans lequel l’articulation entre droit et économie est très forte, c’est bien celui du
droit et de la politique de la concurrence (Spector, 2011). En témoigne la pléthore d’ouvrages et papiers
consacrés au sujet aussi bien par les économistes que par les juristes (Posner 1978, Kovacic et Shapiro
2000 et Combe 2020) et récemment en Europe, l’ampleur et la richesse des débats sur la ‘More
Economic approach to Competition law’.

Si aux Etats-Unis, la politique de la concurrence a été très tôt, fortement influencée par la science
économique, tant dans ses objectifs que dans ses méthodes (Kovacic et Shapiro 2000), l’intégration
systématique de l’analyse économique n’a véritablement commencé en Europe qu’à partir de la fin des
années 1990. Depuis, les débats sur l’approche économique en droit de la concurrence et les
renouvellements qu’elle a permis dans les textes juridiques et le traitement des cas de concurrence
figure parmi les principales sources d’évolution de la politique de la concurrence. L’introduction
généralisée de l’approche économique est même considérée comme le plus important apport à la
modernisation de la politique de la concurrence sur la décennie 2000-2010.

Au sein des Etats membres de l’UE et de la politique de la concurrence de l’Union européenne un tel
mouvement vers l’approche économique tient à plusieurs raisons. Tout d’abord, au début des
années 2000, le Tribunal de première instance des communautés européennes annulait, fait rare,
plusieurs décisions de la Commission européenne interdisant des opérations de concentration, au motif
que l'analyse économique était insuffisante et que des erreurs d'appréciation avaient été commises. Ces
revers se sont révélés bénéfiques à long terme, en ce sens que la Commission a renforcé sa capacité à
mener des analyses économiques plus complexes. Ensuite, l’objectif de développement de la
compétitivité européenne figurant dans le traité de Lisbonne, modifiant le traité sur l’Union européenne
et le traité instituant la Communauté européenne, entré en vigueur en décembre 2009, a naturellement
conduit à une réinterprétation des politiques de l’Union à la lumière de cette nouvelle orientation
(Canivet et Jenny, 2018). Enfin, la coopération entre les autorités américaine et européenne de la
concurrence, dans le sens d’une plus grande convergence afin d’éviter le développement de conflits
transatlantiques, a favorisé une interprétation du droit de la concurrence plus compatible avec la
pratique américaine résolument tournée vers l’analyse économique.

Il est à souligner que la défense de l’approche économique n’est pas le fait d’économistes soucieux de
se se ménager une place comme intervenants importants dans le cadre de la politique de la concurrence.
Il est édifiant de se rappeler qu’il revient au juge américain Richard Posner, par ailleurs professeur de
droit, d’avoir impulsé dans les années 1970, un courant de pensée et une discipline (Law and
Economics), à partir de l’université de Chicago. Cette impulsion a été manifeste dans le domaine de
l’antitrust (Posner, 1978). Dans une tradition juridique différente de la Commun Law, Guy Canivet,
Premier président de la Cour de cassation en France, s’est engagé fortement en faveur de l’analyse
économique dans le droit de la concurrence.

Cette orientation vers plus d’analyses et de considérations économiques trouve aussi sa justification
dans les développements fertiles de la science économique elle-même. Ainsi, l’Économie industrielle,
couronnée par le prix Nobel d’économie octroyé à Jean Tirole en 2014, fournit les instruments
d’analyse, les résultats théoriques et appliqués qui permettent d’éclairer les textes et les décisions des
autorités de la concurrence.

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Au Maroc également, la loi s’appuie sur des notions économiques. Ainsi en est-il par exemple de
l’appréciation de l’effet anticoncurrentiel d’une pratique, de la mesure des gains d’efficience pour
exempter les pratiques anticoncurrentielles ou encore de la notion de surplus des consommateurs. Cet
aspect sera analysé plus bas dans le cadre des fusions horizontales.

C’est dire la fertilité du croisement de l’analyse économique et juridique dans ce domaine. C’est la
perspective adoptée dans cet article

3. DEBAT AUTOUR DE LA GENERALISATION DES POLITIQUES DE LA


CONCURRENCE

A l’exception du cas américain, dont la politique antitrust remonte à la fin du 19ème siècle avec
l’adoption du Sherman Act (1890), la politique de la concurrence constitue une pratique relativement
récente. En Europe, les règles communautaires de concurrence énoncées dans le traité de Rome datent
de 1957. Ces règles se sont diffusées de manière très lente dans les pays à tradition fondée sur une
intervention forte de l’Etat dans l’économie, tels la France. En Hollande, il a fallu attendre 1993 pour
que les ententes sur les prix soient explicitement condamnées, et l’autorité de la concurrence n’a vu le
jour qu’en 1998.

Depuis le milieu des années 1990, les pays émergents et en transition mettent à leur tour en place ce
type de politiques, souvent sous l’impulsion d’organisations internationales ou dans le cadre de
processus d’intégration régionale, à l’image des pays de l’Est de l’Europe. Ils ont été suivis, non sans
hésitations, par les pays en développement. Deux thèses s’affrontent quant à l’opportunité d’une
politique de concurrence dans les pays en développement. Une première thèse préconise une mise en
place tardive et différenciée et met en avant des arguments liés à la nécessaire intervention de l’Etat
pour le décollage économique, au besoin d’accumulation du capital et donc des perspectives de profits
élevés pour les firmes qui investissent, et à l’existence dans les PED d’une oligarchie politique et
économique qui bloquerait l’application des règles antitrust en l’absence de réformes politiques
structurelles (voir par exemple Ajit Singh, 2002). Selon une seconde thèse, la politique de concurrence
constituerait plutôt une condition préalable au développement économique. Elle se base en premier
lieu sur des études empiriques qui concluent pour la plupart à une corrélation positive entre l’effectivité
de la politique antitrust et la croissance et à un lien positif entre l’intensité de la concurrence d’une part,
et la productivité et l’incitation à innover d’autre part. Cette thèse avance en outre un argument
pragmatique dans un contexte où les pays en développement, sous l’impulsion des règles multilatérales
et du régionalisme, sont engagés dans un processus de libéralisation économique conduisant à faciliter
l’accès du marché domestique aux firmes étrangères (OCDE, 2007). Dans cette situation, en l’absence
de politique de concurrence, les PED risquent de subir les effets néfastes des comportements de firmes
étrangères en matière de cartel et de position dominante, sans avoir les moyens juridiques de les
poursuivre. Enfin, sans politique de la concurrence, l’efficacité des vastes programmes de privatisation
des industries de réseaux mises en œuvre dans les années 1990 risque d’être remise en cause dans la
mesure où les gains des privatisations sont d’abord fonction de l’intensité de la concurrence et non de
la propriété du capital.

Actuellement, plus de 130 pays ont des lois de la concurrence. Un grand nombre sont des nouveaux
venus ; plus des deux tiers d'entre eux ont promulgué leurs premières lois sur la concurrence au cours
des vingt-cinq dernières années et la plupart de ces nouvelles lois de la concurrence proviennent des
pays en développement (Aydin et Buthe, 2016). Cette extension des politiques de la concurrence pose
des questions cruciales concernant les liens entre politiques de la concurrence et développement.
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Malgré l’intérêt de cette question, elle a reçu relativement peu d’intérêt dans la littérature et les études
empiriques sont quasi inéxistantes (Fox & Bakoum, 2019).

Du fait de ces trajectoires historiques différentes, mais aussi de priorités nationales divergentes, le
contenu concret de la politique de la concurrence varie d’un pays à l’autre. Trois volets principaux se
retrouvent en revanche dans la plupart des pays : la lutte contre les cartels, la répression des abus de
position dominante aussi appelés pratiques d’éviction et le contrôle des opérations de concentration.
Certaines législations traitent aussi des aides d’Etat et/ou des marchés publics. Outre ce domaine
d’intervention classique, les régulateurs ont une mission, en amont, de promotion de la concurrence.
Dans plusieurs domaines d’intervention, la réforme du cadre juridique marocain a apporté des avancées
considérables.

4. POLITIQUE DE LA CONCURRENCE AU MAROC : UNE MODERNISATION


IMPORTANTE
Le cadre légal régissant la concurrence a connu des avancées notoires. La loi 104-12 sur la liberté des
prix et de la concurrence a érigé le conseil de la concurrence en Autorité Administrative Indépendante
doté du pouvoir décisionnel. Elle prévoit par ailleurs de nouvelles procédures alternatives aux
procédures contentieuses marqués par la lourdeur et les difficultés probatoires.

4.1.Avancées du dispositif légal de la concurrence


Le Maroc s’est doté d’un cadre légal sur la concurrence à partir de 2000, avec l’adoption d’une loi sur
la liberté des prix et de la concurrence. Elle a consacré le principe de la liberté des prix, affirmé la
prohibition des pratiques anticoncurrentielles faussant le libre jeu de la concurrence, et prévu la création
d’une instance consultative. Le conseil a en effet été créé en 2008, et doté d’une mission consultative
dans le domaine de la concurrence. Cette configuration institutionnelle faisait obstacle à une régulation
effective de la concurrence et était en discordance avec la tendance internationale quasi unanime pour
conférer aux régulateurs de la concurrence un statut indépendant et les doter de pouvoirs importants.
La nouvelle constitution du Maroc (2011) donne une impulsion importante à la régulation de la
concurrence. D’une part, elle affirme la liberté de la concurrence qu’elle hisse au rang de principe
constitutionnel et d’autre part, elle consacre la mission de la régulation de la concurrence. La nouvelle
Constitution a, de ce fait, marqué la première étape d'une évolution importante de la politique de la
concurrence au Maroc.
Le cadre légal de la concurrence a connu, pour sa part, notamment en 2014, une mutation profonde,
qui s’est traduite par la consolidation de la régulation de la concurrence et le renforcement des
prérogatives de l’institution qui en est chargée. Une nouvelle loi, loi relative à la liberté des prix et de
la concurrence a été promulguée en juin 2014, qui abroge la loi 06-99 adoptée en 2000, et un décret
d’application a été également adopté fin 2014. Une deuxième loi spécifique au Conseil de la
concurrence a été adoptée à la même année et son décret d’application adopté en 2015.
Indéniablement, ce nouveau dispositif juridique apporte une modernisation importante dans le domaine
de la politique de la concurrence et répond à plusieurs insuffisances du cadre précédent.

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4.2.Renforcement des prérogatives du Conseil ; pouvoir de décision, et élargissement des


saisines
Le Conseil de la concurrence, qui disposait auparavant d’attributions exclusivement consultatives, a
acquis le statut d’autorité administrative indépendante dotée de pouvoirs de décision et de sanction
dans les domaines habituellement du ressort du droit de la concurrence : l’antitrust (ententes et abus de
position dominante), et le contrôle des concentrations.
D’autre part, les possibilités de saisine sont élargies. Le Conseil peut en effet être saisi directement par
les entreprises, ce qui contraste avec la configuration ancienne qui excluait ce type de saisine, pourtant
fondamental pour une action efficace dans le domaine de la concurrence. Le Conseil peut aussi
désormais intervenir de sa propre initiative. Cette prérogative permettra au Conseil de prendre une part
plus active dans la surveillance du fonctionnement des marchés.
Par ailleurs, de nouvelles compétences et de nouveaux pouvoirs sont reconnus au Conseil de la
concurrence. D’institution consultative, le Conseil a acquis le pouvoir décisionnel dans le domaine des
pratiques anticoncurrentielles. Les décisions du Conseil peuvent se traduire par des injonctions, des
mesures conservatoires et des sanctions administratives pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires
annuel de l’entreprise ou groupe d’entreprises contrevenantes. Il a en outre acquis la compétence dans
le domaine des concentrations anciennement dévolue au premier ministre qui conserve le pouvoir de
réviser les décisions du Conseil pour des motifs d’intérêt général, autres que la concurrence. Ce choix
est concordant avec la pratique de la majorité des pays européens où l’autorité indépendante instruit le
dossier de concentration et tranche, laissant au responsable politique un droit de veto pour les affaires
comportant des éléments stratégiques pour le pays.
Enfin, le Conseil est obligatoirement consulté par le gouvernement au sujet des projets de loi en relation
avec la concurrence. Cette obligation existait déjà dans l’ancienne loi mais elle acquiert une dimension
nouvelle dans le nouveau dispositif, puisqu’elle est assortie de l’obligation de publier ces projets de loi
accompagnés de l’avis du Conseil de la concurrence, et des motifs de refus de prise en compte, le cas
échéant, de ses propositions.
4.3.De nouvelles procédures sont introduites :
La modernisation du droit de la concurrence au Maroc se cristallise par l’adoption des procédures
négociées et par l’introduction d’une règle de Minimis exemptant les accords d’importance mineure.
Les procédures négociées se présentent comme des alternatives aux procédures contentieuses
classiques, lourdes et coûteuses. Il s’agit des programmes de clémence, de non contestation des griefs
et d’engagement.
Les programmes de clémence permettent à un membre d’une entente d’être amnistié de toute ou partie
des amendes en échange d’informations permettant de prouver celle-ci. Quelque soixante autorités de
la concurrence dans le monde considèrent désormais la clémence comme leur principal instrument de
détection des ententes. Dans tous les pays où ils existent, les programmes de clémence permettent aux
membres d’une entente de dénoncer eux-mêmes leur comportement illicite et de fournir des
informations et des preuves de l’infraction en contrepartie d’une immunité totale ou d’une réduction
des sanctions. La procédure de clémence ambitionne de lutter efficacement contre les cartels, pratique
particulièrement dommageable à l’économie mais difficile à détecter, en faisant révéler à moindre coût
l’information pertinente de la part des complices (OCDE, 2018).
La non-contestation des griefs consiste pour les entreprises de renoncer volontairement à contester les
griefs notifiés par le régulateur, en contrepartie d'une réduction de la sanction encourue. La procédure
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d'engagement permet aux entreprises d'élaborer, de façon volontariste et négociée, des solutions
répondant aux préoccupations de concurrence du Conseil de la concurrence. Les entreprises peuvent,
en vertu de cette procédure, s'engager à modifier leur comportement, voire leur structure et bénéficier,
d'une réduction de sanction (article 36 de la loi 104-12).

Il est important d’observer que ces procédures de transaction ; clémence et engagement, accélèrent le
traitement des dossiers d'entente et d'abus de position dominante, dans l'intérêt des régulateurs, qui
peuvent consacrer leurs ressources à l'instruction d'autres affaires. Elles sont donc en mesure de
concourir à l'efficacité de la régulation de la concurrence, au bénéfice des entreprises et des
consommateurs.
Il est indéniable que ce nouveau dispositif juridique modernise de manière importante l’encadrement
de la concurrence et répond à plusieurs insuffisances du cadre précédent. Ces avancées ne doivent
toutefois pas faire occulter les nombreux défis qui subsistent.

5. FOCUS SUR LA LUTTE CONTRE LES ENTENTES HORIZONTALES


Les ententes anticoncurrentielles causent des dommages colossaux à l’économie. Les consommateurs
sont particulièrement touchés par ces pratiques sournoises et en subissent un préjudice résultant de la
hausse artificielle des prix des produits et services. Les entreprises en pâtissent aussi puisque les
ententes opèrent souvent sur des marchés des produits intermédiaires. Les règles de prohibition des
ententes au Maroc présentent des similitudes remarquables avec celles prévues dans l’espace européen.

5.1.Préjudice causé par les ententes


Le terme “entente” renvoie à tout type d’accord entre entreprises, qu’il soit formalisé ou simplement
tacite. Les accords de coopération horizontale sont des accords conclus entre deux ou plusieurs
entreprises qui opèrent au même niveau sur le marché. Les entreprises sont nécessairement amenées à
tisser des liens entre elles ; tout accord entre entreprises ne peut donc pas être qualifié d’entente
illicite. Seuls le sont les accords qui freinent la concurrence.

La formule désormais célèbre d’un membre du cartel international de la lysine (1992-95) « Nos
concurrents sont nos amis ; nos clients nos ennemis » met à nu à quel point les pratiques collusives des
entreprises sont contraires aux principes mêmes de l’économie de marché et de la concurrence. Les
ententes anticoncurrentielles ont été qualifiées de « Mal suprême de l’antitrust »1 et ont à certains
moments constitué la priorité de la politique de la concurrence2.

Si les dégâts causés par les ententes à l’économie n’ont pas pu être estimés avec précision, elles sont
sans ambiguïté néfastes et causent un préjudice de plusieurs milliards chaque année. Elles affectent
tant les pays développés que ceux en développement, et leur effet peut être particulièrement pernicieux
pour les seconds (UNCTAD, 2014). L’Union européenne estime que l’existence des ententes opérant
à l’échelle communautaire ou dans un seul État membre de l’Union a un coût annuel compris entre 25
et 69 milliards d’euros. Étant donné que l’on suppose que seulement quelque 20 % des ententes sont
repérés, les dommages qu’ils provoquent sont certainement beaucoup plus importants (CNUCED,
2013). Les augmentations de prix causées par les ententes peuvent être substantielles. Dans le cas de

1
Décision Verizon Communications /Trinko, LLP(2004), cité par l’OCDE 2020 : Pénalisation des ententes et des soumissions
concertées : coup de projecteur sur les peines d’emprisonnement - Note de référence du Secrétariat - 9 juin 2020
2
Ceci a été le cas de l’ex commissaire européen, Mario Monti, chargé de la concurrence, voir Les Echos, Mario Monti veut faire de la
lutte contre les cartels une priorité, 12 juillet 2001.

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l’entente sur les électrodes en graphite utilisés dans la sidérurgie, cartel de portée mondiale sanctionné
à la fois en Europe et aux Etats-Unis, le cartel a réussi à augmenter les prix de 50 à 65% aux Etats-Unis
et jusqu’à 90% au Canada, (OCDE 2003).

Il est à signaler que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ne profite pas qu'aux
consommateurs ; les ententes peuvent aussi impacter les autres entreprises situées en aval - notamment
les PME - en favorisant la hausse du prix des produits intermédiaires et par conséquent de leurs coûts
de production. Une étude sur les cartels détectés par la Commission Européenne a montré que 60%
d'entre eux affectent des marchés de biens intermédiaires et impactent donc directement la
compétitivité des entreprises en augmentant le coût de leurs intrants.
La collusion dans les échanges et sur les marchés publics a des effets néfastes sur tous les
consommateurs, mais frappe les pauvres de manière disproportionnée (CNUCED, 2013), et notamment
les ententes qui portent sur les marchés de produis essentiels, tels que les produits alimentaires, les
médicaments ou les carburants. Les ententes qui agissent du côté de la demande peuvent également
avoir des effets néfastes, en particulier sur les paysans pauvres qui commercialisent leurs productions
agricoles. Certains pays, comme le Kenya, soulignent dans leur politique l’importance de la promotion
et de la défense de la concurrence pour éliminer la pauvreté.

Estimation des hausses de prix et des pertes de production causés par les ententes dans les PED
Source : UNCTAD, 2014

5.2.Similitudes entre droit marocain et européen


L’article 6 de la loi 104-12 sur la liberté des prix et de la concurrence ainsi que l’article 101 du traité
sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)3 prohibent les accords interentreprises qui
faussent ou restreignent le jeu de la concurrence par leur objet ou leur effet4. La distinction entre les
restrictions par objet et par effet résulte de ce que certaines formes de collusions entre
entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement
du jeu normal de la concurrence. En effet, une restriction de concurrence par objet présente un tel degré
de nocivité pour le jeu de la concurrence que l’examen de ses effets n’est pas nécessaire. Elle est donc

3
L’article 82, devenu 102, traite des abus de position dominante, alors que l’article 81, devenu 101, est relatif aux accords et ententes
entre entreprises.

4
L’infraction par l’objet est celle qui produit de manière certaine ou quasi-certaine des effets nocifs ; l’infraction par l’effet est celle
qui produit des effets nocifs avec un degré de certitude insuffisant : ils doivent donc être prouvés.

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interdite per se, sans avoir à apporter des preuves de ses effets. Si l’accord n’a pas un objet
anticoncurrentiel, il convient d’analyser ses effets restrictifs sur la concurrence, en tenant compte aussi
bien des effets actuels que des effets potentiels. Il faut, pour établir l’effet concurrentiel, se livrer à une
analyse économique et juridique détaillée du contexte de la pratique.

Les deux articles de loi, marocaine et française, citent ensuite une liste d’exemples de pratiques notoires
d’accords anticoncurrentiels. Il s’agit des accords fixant les prix de vente, de ceux qui limitent ou
contrôlent la production (mais aussi les débouchés, le développement technique ou les investissements)
et des accords de répartition des marchés et des sources d’approvisionnement. Ce sont là des pratiques
graves dont l’objet est de retreindre la concurrence en vue d’augmenter les profits des firmes parties à
l’accord. Les économistes le savent, de telles pratiques faussent voire bloquent la concurrence,
réduisent le surplus des consommateurs et le bien-être collectif.

En plus de ces trois types de cartel, l’article 101 du TFUE cite deux autres pratiques qui se classent
dans le cadre des accords ou contrats restrictifs de la concurrence. Au Maroc, les pratiques restrictives
sont traités dans le titre VI de la loi 104-12 soit les articles 47 à 55. Ils ne font pas partie du cadre de
cet article.

Malgré ses effets anticoncurrentiels fréquents (effets négatifs sur les prix, la production, l’innovation
ou la diversité et la qualité des produits), il arrive qu’une coopération horizontale produise des
avantages économiques substantiels. Il en est ainsi lorsqu’elle devient un moyen de partager les risques,
de réaliser des économies de coûts, d’accroître les investissements, de mettre en commun un savoir-
faire, d’améliorer la qualité et la diversité des produits et de lancer plus rapidement des innovations sur
le marché. Un grand nombre de lois de la concurrence permettent de faire un arbitrage entre ces deux
effets et d’exempter, sous conditions, les accords qui produisent des gains d’efficacité importants.
Critères d’appréciation prévus à l’article 101, paragraphe 3, du TFUE et l’article 8 de la loi 104-12
S’il est prouvé qu’un accord restreint la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, il est
possible d’invoquer l’article 101, paragraphe 3, du TFUE à titre de défense. Parallèlement, au Maroc,
si un accord restreint la concurrence au sens de l’article 6, ces auteurs peuvent invoquer l’article 8 en
prouvant que l’accord contribue au progrès économique et remplit d’autres conditions qui se trouvent
être similaires à ceux prévus par l’article 101 du TFUE. Quatre conditions cumulatives doivent être
remplies pour que les accords de coopération bénéficient d’une exemption :

• L’accord restrictif doit générer des bénéfices économiques, c’est-à-dire entraîner des gains
d’efficacité ;
• Les restrictions doivent être indispensables pour atteindre ces gains d’efficacité ;
• Les consommateurs doivent recevoir une partie équitable des gains d’efficacité réalisés au
moyen des restrictions indispensables ;
• L’accord ne doit pas donner la possibilité aux parties d’éliminer la concurrence pour une partie
substantielle des produits en cause.

Lorsque ces quatre critères sont satisfaits, on peut considérer que les gains d’efficacité générés par un
accord compensent ses effets restrictifs sur la concurrence.
La loi marocaine ajoute comme possibilités d’exemptions, les accords qui résultent de l'application
d'un texte juridique ainsi que des accords qui ont pour objet d'améliorer la gestion des PME ou la
commercialisation par les agriculteurs de leurs produits.
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Il apparaît donc que le traitement juridique des accords de cartels horizontaux présente de fortes
similitudes entre le Maroc et l’UE. Il reste en revanche qu’en dépit des similitudes existantes entre le
cadre marocain et européen, leur comparaison se heurte à des limites.

5.3.La comparaison a ses limites


Si les textes juridiques traitant des ententes ont de fortes similitudes, il n’en demeure pas moins qu’au
Maroc, la politique de la concurrence en général souffre de déficits à même d’entraver son efficacité,
mais aussi la prévisibilité des décisions du Conseil de la concurrence.
En effet le conseil de la concurrence ne peut compter sur des lignes directrices à même d’orienter le
traitement des affaires de concurrence. A contrario, la Commission européenne a adopté un ensemble
de documents qualifiés de lignes directrices qui détaillent extensivement les différents aspects
d’application de la loi.

Dans le domaine des ententes horizontales, les lignes directrices de la Commission (Commission
européenne, 2011) apportent des éclaircissements sur l’application de l’article 101 du TFUE. Ainsi, y
trouve –t-on, par exemple, une discussion sur la notion importante de pouvoir de marché et ses liens
avec les caractéristiques du marché tels que la nature des coûts, la répartition des parts de marché, les
barrières à l’entrée, la probabilité d’autres entrées sur le marché ou encore la puissance compensatrice
des acheteurs et fournisseurs. Les échanges d’information pour les besoins de l’accord sont
abondamment analysés, ainsi que l’effet d’éviction concurrentielle susceptible d’en résulter. Y sont
également rappelés les principaux facteurs favorisant la collusion, qui sont autant de résultats des
recherches tant théoriques qu’empiriques de la théorie de l’organisation industrielle (Tirole,
1993) (Belleflame et Peitz, 2010). Ainsi, les entreprises sont plus susceptibles de parvenir à une
collusion sur des marchés oligopolistiques, qui sont suffisamment transparents, concentrés, non-
complexes (produits homogène), stables et symétriques.

Par ailleurs, de longs développements sont consacrés à l’application du paragraphe 3 de l’article 101
relatif aux conditions susceptibles d’exempter les accords de coopération horizontale, sachant que des
règlements d'exemption par catégorie fondés sur l'article 101, paragraphe 3, ont été adoptés en faveur
de certains accords tels ceux de la R&D dans des décisions indépendantes. Ainsi, les méthodes et les
principes permettant d’apprécier les gains d’efficacité, les répercussions sur les consommateurs ainsi
que l’absence d’élimination de la concurrence sont analysés. De nombreux exemples détaillés,
hypothétiques et réels, sont présentés.

Ce manque de lignes directrices qui orienteraient l’application du droit, allié au relatif déficit
d’expérience du Conseil de la concurrence (compte tenu de son jeune âge entre autres) qui n’a traité
qu’un nombre très limité d’affaires jusqu’à présent, est susceptible d’entraver l’effectivité de la
politique de la concurrence. C’est peut-être là qu’on devrait chercher l’explication de la confusion qui
a entouré le traitement du dossier des carburants au Maroc.

En avril 2022, le Conseil de la concurrence, par autosaisine, souhaitait répondre à la question de savoir
si les hausses constatées sur le marché national de carburants étaient liées aux éléments exogènes
relatifs à la flambée des prix du gasoil et essence importés ou à des comportements collusifs des
distributeurs. Dans son avis, publié en septembre dernier, le Conseil ne conclut pas à l’existence ou
l’absence de collusion entre les opérateurs, même s’il note des dysfonctionnements du marché et une
forte concentration. Ainsi en est-il du comportement des distributeurs dans un contexte marqué en 2018
et 2019 par la baisse des cours des produits énergétiques. Pourtant, en cette période-là, "les sociétés de
distribution n’auraient pas profité de la forte chute du cours sur le marché international pour gagner
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des parts de marché par le jeu de la libre concurrence et auraient opté pour une augmentation de leurs
marges".

Sans arguer des suites de l’affaire des éventuelles ententes sur le marché des carburants instruite par le
Conseil relativement, il est primordial de se doter de guidelines à même d’orienter et favoriser la
prévisibilité et la stabilité des normes concurrentielles. La politique de la concurrence en gagnerait en
efficacité et en crédibilité.
Malgré les avancées du cadre normatif marocain des insuffisances subsistent. Les efforts des pouvoirs
publics devraient être guidés autour de certains défis d’ordre structurel et institutionnel pour orienter
la politique de la concurrence nationale vers la prise en compte de l’intérêt de la collectivité.

6. DEFIS DE LA POLITIQUE DE LA CONCURRENCE AU MAROC


Malgré les avancées, la politique de la concurrence au Maroc devrait relever de nombreux défis. Il en
est ainsi du renforcement des capacités du Conseil pour la mise en œuvre du cadre juridique, de
l’articulation entre régulation sectorielle et régulation de la concurrence et de la formation des juges
appelés à trancher les affaires de concurrence. Pour s’acquitter de ses nouvelles missions, qui ne
manqueront pas d’accroitre les plaintes de la part des opérateurs économiques, le régulateur doit
disposer de moyens humains, et matériels appropriés. Si le Conseil est en train d’étoffer ses équipes,
encore faut-il qu’il arrive à attirer les profils adéquats, avec des compétences juridiques et économiques
en accord avec ses missions.

Par ailleurs, le Conseil n’a pas l’exclusivité de l'application des règles de concurrence. Des régulateurs
sectoriels, dans les télécommunications par exemple, possèdent des prérogatives importantes dans le
domaine de la concurrence. Si le nouveau cadre de la concurrence prévoit des consultations mutuelles
entre les deux régulateurs, il ne tranche pas le problème de l’articulation des compétences. Faute de
mécanisme explicite d’articulation de compétence, le chevauchement non résolu de compétence risque
de déboucher sur des différences d’interprétation et d’application des principes de concurrence.
Un autre défi a trait à la formation des juges qui sont des acteurs importants de la régulation. Un enjeu
important à ce sujet consiste en la formation économique des juges car l’approche économique devient
comme on l’a vu, une composante fondamentale de la régulation de la concurrence. Sous l’influence
de cette approche, les prohibitions deviennent moins basées sur des catégories juridiques préétablies
mais sur des analyses largement inspirées de la théorie économique. Cela amplifie d’autant plus le
besoin de formation des juges comme des analystes du Conseil de la concurrence.

D’autres pistes doivent être discutés pour asseoir la crédibilité de la politique de la concurrence. Ainsi,
à coté de sa fonction répressive, la politique de la concurrence devrait poursuivre aussi une fonction
préventive et informative. Par ailleurs, le succès de la mission répressive nécessite de mener une
réflexion et concertation sur les sanctions, tant en ce qui concerne leur ampleur que leur champ
d’application.

Enfin, le coût de mise en œuvre de la politique de concurrence est un défi de taille qui découle des
précédents.

Au-delà de ces aspects certes importants, une réflexion en amont sur les objectifs de la politique de la
concurrence est nécessaire. Cette question n’a pas reçu au Maroc l’intérêt qu’elle mérite, à peine une
allusion dans le très court préambule de la loi 06-99 à l’objectif de l'efficience économique et
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l'amélioration du bien-être des consommateurs. Or, l’examen du rôle de la politique de la concurrence
dans les pays émergents dans une perspective de développement montre la présence d’enjeux différents
de ceux des pays développés (Singh, 2002). Cet auteur suggère, de manière intéressante, les concepts
suivants pour aborder les dimensions développementales de la politique de la concurrence :

§ La nécessité de mettre l'accent sur l'efficacité dynamique plutôt que statique comme objectif
principal de la politique de la concurrence du point de vue du développement économique ;
§ Le concept de « degré optimal de concurrence » (par opposition à la concurrence maximale ou
parfaite) pour promouvoir la croissance à long terme de la productivité ;
§ Le concept connexe de « combinaison optimale de concurrence et de coopération » pour
parvenir à une croissance économique rapide à long terme ;
§ L'importance cruciale du maintien de la propension du secteur privé à investir à des niveaux
élevés et donc la nécessité d'une croissance régulière des bénéfices ; qui peut à son tour
nécessiter des mesures afin d'éviter la surcapacité et la baisse des bénéfices ;
§ L'importance cruciale de la politique industrielle pour réaliser les changements structurels
nécessaires au développement économique ; cela nécessite à son tour une cohérence entre les
politiques industrielles et de concurrence.

Selon cette approche, la dimension développement serait donc loin d'être pleinement prise en compte
par les suggestions selon lesquelles tout ce dont les pays en développement ont besoin est un délai pour
être en mesure de mettre en œuvre la politique de concurrence de type américain ou européen. Le
Maroc ne peut se permettre de faire l’économie de cette réflexion concernant les objectifs à assigner à
la politique de la concurrence pour contribuer à répondre à l’impératif de développement dans
l’ensemble de ses dimensions.

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