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Finance & Finance Internationale N°18 janvier 2020

LA DETERMINATION DES PRIX DE TRANSFERT A LA FRONTIERE


ENTRE BONNE GOUVERNANCE ET EVASION FISCALE

Par

Mourad HARICI

Enseignant chercheur à l’ESCA EM – Casablanca.

Résumé :

Cet article tente d'apporter une vision différente de la problématique de la détermination des
prix de transfert dans les groupes multinationaux en précisant que cette question fait partie des
outils de management avant de constituer un stratagème visant à délocaliser un bénéfice,
géographiquement, à des fins d'optimisation fiscale et, souvent aussi, d'évasion fiscale. Son
contenu est orienté, principalement, vers le contexte marocain qui vit actuellement des
modifications majeures dans ce domaine complexe de la fiscalité internationale. En ce qui
concerne ce dernier point, l'article propose quelques recommandations visant à enrichir notre
doctrine en la matière.

Mots-clés : Fiscalité internationale, prix, taxation internationale.

Abstract :

This article attempts to bring a different vision to the problem of determining transfer prices
in multinational groups by clarifying that this question is part of the management tools before
constituting a stratagem aiming to relocate a profit, geographically, for tax optimization and,
often also, tax evasion. Its content is oriented, mainly; to the Moroccan context which is
currently undergoing major changes in this complex area of international taxation. Regarding
this last point, the article offers some recommendations aimed at enriching our doctrine on the
subject.

Keywords: International taxation, price, international taxation.

http://revues.imist.ma/?journal=FFI ISSN: 2489-1290

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1. Introduction

La détermination des prix de transfert de biens et services dans les groupes multinationaux a
toujours fait l’objet d’une surveillance accrue de la part des administrations fiscales des États
concernés. Elles le font afin de préserver l’un des principes fondamentaux en économie, celui
de la concurrence loyale. Les entreprises sont, théoriquement, toutes placées dans les mêmes
conditions lorsqu’elles produisent un bien ou un service avant de le distribuer. Elles doivent
tenir compte de leurs coûts de production et de commercialisation, déterminer leurs taux de
marge selon les usages ou une règlementation en vigueur avant de générer, le cas échéant, un
profit. Ces calculs sont de plus en plus facilités par les progrès réalisés en matière de
techniques quantitatives et qualitatives de gestion et nous pourrions presque affirmer que
l’entreprise qui ne réalise pas de profit est seule responsable de ses maux. Bien entendu, le
Marché demeure souverain et incontournable mais les sciences de gestion nous permettent de
manœuvrer avec suffisamment de clairvoyance pour garantir la pérennité de l’entreprise. Ceci
est d’autant plus exact que les difficultés que pourrait rencontrer l’entreprise sont aujourd’hui
« cataloguées », elles font l’objet d’une des branches du droit des affaires1.
Bien des managers sont capables de grandes prouesses pour maintenir leur entreprise dans des
zones confortables de profit tout en maîtrisant la question essentielle du « risque fiscal
latent2 ». Les autres sont convaincus que leur entreprise est bénéficiaire jusqu’au jour où une
vérification de l’administration fiscale leur démontre le contraire !
Lorsque les opérations de l’entreprise sont réalisées dans un périmètre qui ne dépasse pas les
frontières de l’État dans lequel elle est établie, ce risque est relativement facile à maîtriser.
Ce n’est pas le cas si l’entreprise réalise des opérations transfrontalières dans le cadre d’un
groupe multinational. Dans ce cas, en plus de veiller à une bonne gouvernance, l’entreprise
doit « surveiller » ses prix de transfert, conformément aux règles du droit international et des
usages admis par les institutions qui ont institué ces règles.
Selon la définition que nous livre l'Organisation de Coopération et de Développement
Economiques (O.C.D.E), les prix de transfert sont « les prix auxquels une entreprise transfère
des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ».
Les entreprises associées sont celles qui font partie d’un même groupe, ce terme pouvant
représenter des situations très variables, selon les droits des États, leurs jurisprudences ainsi
que les doctrines en vigueur. Ces derniers concepts sont d’une grande importance dans
l’élaboration de notre étude car, en vertu de ce qui a été admis par l’ensemble de la
communauté des affaires, la question qui nous intéresse suppose obligatoirement des
entreprises associées établies dans des pays différents. Par conséquent, point de problématique

1
Au Maroc, le Livre V de la loi n° 15-95 formant Code de Commerce traite exclusivement des difficultés des
entreprises
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Risque de redressement des résultats fiscaux générés par l’entreprise durant les exercices non prescrits
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sur la détermination des prix de transfert sans la présence d’un groupe multinational. Il est
vrai que cette situation faciliterait l’utilisation des prix de transfert à des fins uniquement
fiscales, notamment, lorsque les législations de certains États seraient plus clémentes et
favoriseraient une « optimisation fiscale globale » par le groupe multinational. C’est cette
propension à réduire l’impôt global qui constitue la lutte quotidienne des administrations
fiscales de la plupart des États. Certains le font en observant de la manière la plus stricte et
fidèle les recommandations de l’O.C.D.E. Ce sont habituellement les pays membres de cette
organisation3 qui ont décidé d’harmoniser une partie de leur droit avec les grands principes
édictés par l’O.C.D.E. afin de permettre aux entreprises concernées d’éviter des risques de
redressement important en cas de vérification de leurs comptes par une administration fiscale.

D’autres États ont opté pour l’institution d’une législation différente en matière de
détermination des prix de transfert, privilégiant la structure de leur système et leur niveau de
développement économiques. Ils ne commettent, ce faisant, aucune faute car les
recommandations de l’O.C.D.E. demeurent suggestives, elles n’ont pas le caractère impératif
de lois et la sanction, s’il en existe une, ne pourrait être qu’indirecte, comme un déficit dans
l’attractivité du pays envers l’investissement étranger. Ce sont donc des effets d’ordre
géopolitique, dont il faudrait évaluer l’importance lorsque les nations font l’objet de
classement4 !

Nous proposons dans cet article d’aider le lecteur à mieux comprendre la problématique des
prix de transfert. Nous en rappellerons les concepts incontournables et serons plus critiques en
abordant les questions fondamentales qui touchent la responsabilité sociale des entreprises
(R.S.E.), lorsque certaines d’entre elles pourraient être considérées comme fraudeuses si elles
utilisent des méthodes risquées de détermination de leurs prix. Nous nous efforcerons aussi de
clarifier cette question tout en apportant une contribution à la littérature que nous proposent
les organismes internationaux, notamment l’O.C.D.E., qui occupe une place prépondérante
dans l’environnement juridique de la question relative à la détermination des prix de transfert
des biens et services par les groupes multinationaux. Un regard critique sera porté sur les
critères habituellement utilisés en la matière afin de mettre en évidence ceux qui nous
semblent inadaptés aux situations courantes.

Cet article s’adresse en priorité à l’entreprise marocaine. De ce fait, une grande partie lui sera
spécialement dédiée car la législation de notre pays a évolué de manière originale en

3
Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Chili, Corée du Sud, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis,
Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Israël, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège,
Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède,
Suisse, Turquie.
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Exemple : Doing Business – Publication de la Banque Mondiale qui classe les différentes économies selon des
critères pertinents
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s’adaptant à l’environnement mondial. Nous nous questionnerons sur l’efficacité de cette


réforme et sur les situations qui ont amené nos autorités économiques à l’instituer. Sur ce
point précis, nous ne manquerons pas de mettre en évidence le lien entre le caractère parfois
incohérent du droit international et la nécessité pour le Maroc de mettre en place une
législation efficace qui répond aux difficultés du moment. Nous soulignerons que la procédure
de l’accord préalable instituée par la réforme n’a pas réussi de manière efficace à offrir aux
entreprises concernées la protection juridique et la sécurité fiscale recherchées dans les
opérations transfrontalières qu’elles réalisent. Tout cela pourrait ressembler à une
problématique dont l’issue serait très lointaine, une sorte de « quadrature du cercle » mais
nous sommes convaincus que le fait de poser les questions et de tenter d’y répondre fait
avancer notre doctrine qui demeure, malheureusement, très pauvre !
Cette publication ne pourrait pas jouer son rôle de contribution intellectuelle si elle ne
contient aucune recommandation susceptible d’aider notre communauté à progresser dans ce
domaine. Nos recommandations seront appuyées d’exemples concrets afin de réduire le
caractère aride de cette littérature.
Afin de permettre au lecteur de placer le contenu de cette contribution dans un environnement
légal et temporel adéquat, nous réserverons sa première partie à l’examen des conditions qui
ont conduit le Maroc à placer la question des prix de transfert parmi ses priorités. Cette
analyse comprend plusieurs volets liés à l’état des droits international et marocain en en
soulignant les aspects historiques qui ont marqué cette évolution. Nous n’oublierons pas de
rappeler dans cette même partie les difficultés que notre administration fiscale à dû affronter
afin de protéger l’assiette fiscale contre des opérations agressives d’optimisation menées par
certains groupes multinationaux.

Une seconde partie sera consacrée au thème proprement dit, à savoir la nécessité de
« désacraliser » la question des prix de transfert afin de permettre aux contribuables concernés
d’opérer dans la quiétude et la sérénité lorsque ces entreprises n’utilisent pas les prix de
transfert dans un objectif unique d’évasion fiscale, voire même de fraude. Nous sommes
conscients qu’il ne sera pas facile de « séparer le bon grain de l’ivraie » mais nous
maintiendrons notre objectif de donner une idée différente de cette question, celle d’une
technique de management, comme toutes les autres, qui contribue à générer les solutions
nécessaires à la bonne gestion de l’entreprise !
Nous insisterons dans cette partie sur les nombreux éléments que les entreprises
multinationales doivent affronter, qui pourraient constituer un obstacle dans le souhait de se
conformer aux directives internationales en matière de détermination des prix de transfert des
biens et services.

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2. Première partie – Examen de l’environnement légal de la problématique des prix de


transfert

La détermination des prix de transfert par les groupes multinationaux est une problématique
fiscale qui ne date pas d’hier ! En rappeler quelques éléments d’ordre historique nous aiderait
à mieux la comprendre et, surtout, à la placer dans un cadre temporel qui justifie les actions
prises à notre époque. Ce rappel historique sera, toutefois, bref afin de ne pas transformer
l’objectif de notre publication !

2.1. Historique

Cette problématique fiscale internationale tient son origine à la naissance des groupes
d’entreprises qui ont ressenti la nécessité d’unir leurs forces afin de mieux réussir la conquête
de nouveaux marchés à travers le monde. Déjà au XIXème siècle, des entreprises ont procédé
à des opérations de concentration et la révolution industrielle de ce siècle n’a fait qu’amplifier
et accélérer le phénomène. Il a touché principalement des entreprises établies dans les pays
industrialisés et les marchés les plus juteux étaient situés dans les pays en voie de
développement. La tendance à connu son apogée au XXème siècle lorsque le droit des
sociétés s’est intéressé à la question en lui offrant un véhicule juridique adapté, « le groupe
d’entreprises5 ». Plusieurs sociétés font partie du groupe, chacune étant juridiquement
indépendante6, et toutes étant sous contrôle d’une société unique. Ce contrôle s’exerce sous
des formes diverses, directement ou de manière indirecte7 et permet de concentrer le pouvoir
décisionnel sur l’ensemble du groupe.
N’oublions pas un fait historique majeur qui a joué un rôle crucial dans ce mouvement, les
guerres qui ont secoué notre planète, notamment la seconde guerre mondiale qui a été suivie
d’un effort monumental de reconstruction. Durant cette période de prospérité économique qui
a duré plus de 30 ans8, personne ne s’est beaucoup préoccupé de la chose fiscale, ni de la
manière dont les grands groupes organisaient leurs affaires au plan mondial !

5
Ensemble d'entreprises appartenant à des personnes physiques ou morales juridiquement distinctes et
indépendantes les unes des autres dont l'activité est contrôlée par une institution dite société mère, qui par
l'intermédiaire d'un ou de plusieurs dirigeants, détient sur chacune d'elles un certain pouvoir financier, de
gestion et d'administration économique.
6
Ayant la personnalité juridique. On dit aussi étant une personne morale
7
Par exemple via une société dite « société écran »
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Les trente glorieuses
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L’exemple de la firme américaine « Singer » illustre parfaitement ce mouvement. Selon un


article récent paru dans la Revue « Alternatives Économiques »9 Gérard Vindt écrivait :
« L'installation en Ecosse d'une filiale de la firme américaine Singer illustre le début du
déploiement de multinationales à la conquête de marchés. Des entreprises encore aujourd'hui
parties prenantes de l'internationalisation des économies comme des rivalités entre Etats ».
Ce mouvement s’est ensuite déployé dans les pays du Sud où les entreprises concernés sont
allées à la recherche de meilleurs coûts de production, tout en se rapprochant des marchés et
des matières premières.
L’Organisation de Coopération et de Développement Économique (O.C.D.E.) l’a
accompagné. Elle a vu le jour en 1948, sous une forme territorialement limitée à l’Europe10
avant d’être élargie aux pays de la planète les plus développés économiquement11. Mais ses
préoccupations étaient tout autres, il fallait construire les fondations d’une prospérité
économique mondiale durable !
Cette organisation n’a vraiment jugé nécessaire de mettre un peu d’ordre dans les transactions
financières des groupes multinationaux que récemment en multipliant recommandations et
directives en matière de détermination des prix de transfert.12
Ce changement a été motivé principalement par le constat du fossé qui sépare les pays à
économies développées et ceux qui demeurent en voie de développement ou d’émergence. Il
n’était plus éthiquement acceptable de permettre à des groupes internationaux d’optimiser
leurs coûts fiscaux sur la base de choix qui entraînent, automatiquement, la baisse des recettes
fiscales des pays en voie de développement qui ont accueilli leurs filiales ! Il y va de la
morale des affaires et de l’équilibre des échanges commerciaux !
Luiz C. Bresser Pereira a dénoncé cette situation dans un excellent article de la Revue « Tiers
Monde » en 1978 « Les entreprises multinationales et le sous-développement
industrialisé »13 !
Cette nouvelle vision a entraîné une véritable révolution dans l’environnement fiscal des
entreprises concernées, notamment en ce qui concerne les méthodes qu’elles utilisent dans la
détermination des prix de transfert des biens et services à l’intérieur des groupes, entre
sociétés dépendantes.
Nous allons, dans cette étude, privilégier l’évolution de l’environnement légal du Maroc en la
matière car cette publication concerne, avant tout, l’entreprise marocaine.

9
Gérard Vindt, Singer ou la naissance des multinationales industrielles, Revue « Alternatives Économiques »,
Dossiers Hors-Séries n° 07, 01 octobre 2008
10
Organisation Européenne de Coopération Économique
11
35 pays membres, aujourd’hui
12
Depuis les deux dernières décennies
13
Luiz C. Pereira, « Les entreprises multinationales et le sous-développement industrialisé », Revue « Tiers
Monde », 1978
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Mais il est évident que l’environnement international sera omniprésent en raison du fait qu’il
s’agit d’une problématique mondiale et que notre pays a dû se positionner en prenant en
considération tous les éléments pertinents, notamment sa politique économique de manière
générale et le système fiscal qu’il juge le mieux adapté à sa situation, de manière plus
particulière.

2.1.1. Détermination des prix de transfert et réforme fiscale au Maroc

- La législation en vigueur avant la grande réforme fiscale

La plupart des personnes intéressées ignorent que le Parlement marocain a légiféré en la


matière bien avant l’indépendance du pays !
À l’époque, les questions liées à l’imposition des bénéfices des entreprises relevaient de la loi
instituant « l’impôt sur les bénéfices professionnels – I.B.P.»14.
L’article 36 de cette loi abrogée précisait que « les entreprises dont le siège est situé hors du
Maroc doivent tenir, au lieu de leur principal établissement, la comptabilité de l'ensemble des
opérations effectuées au Maroc.
Dans le cas où ces entreprises se trouvent dans l'impossibilité de déterminer avec exactitude
les résultats réels réalisés au Maroc, les bénéfices imposables sont déterminés par
comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ».
Le contenu de cet article a constitué la position de l’administration fiscale marocaine durant
près d’un demi-siècle !
Il s’agit de vérifier si les entreprises qui n’ont pas leur siège au Maroc mais qui y ont un
établissement, déclarent les bénéfices découlant des activités effectuées au Maroc. Sinon,
l’administration fiscale peut déterminer ces bénéfices par comparaison avec des activités
similaires !
Bien que d’une clarté assez suffisante, de telles dispositions deviennent quasi-inapplicables
lorsqu’elles sont utilisées dans la pratique, lors d’un contrôle fiscal par exemple !
La preuve de cette dernière affirmation réside dans les dispositions fiscales instituées dans le
cadre de la réforme fiscale décidée par le Maroc. Comme nous le verrons, l’esprit de la loi au
sens de l’article 36 de la loi sur l’I.B.P. abrogée est présent dans les nouvelles dispositions.

- Le régime en vigueur institué par la nouvelle législation

Cette nouvelle législation a été adoptée au Maroc dans les années 80 dans le but de
moderniser et simplifier le système fiscal afin d’en faciliter l’utilisation par les contribuables,
toutes catégories confondues. Il était aussi question de procéder à l’élargissement de l’assiette

14
Dahir n° 1-59-430 du 31 décembre 1939
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des impôts et taxes en vigueur ou en cours d’adoption afin de permettre une baisse des taux
d’imposition jugés excessifs aussi bien par les contribuables marocains que les investisseurs
étrangers qui examinent l’opportunité de s’établir au Maroc. Comme nous le verrons, cette
dernière catégorie de personnes intéressées a sans doute pesé de tout son poids dans les
décisions qui ont été prises.
Cette publication n’est pas consacrée à ces considérations d’ordre historique mais leur
évocation nous semble indispensable pour permettre une compréhension globale par le
lecteur.
La réforme fiscale dont il s’agit a été, en fait, amorcée dans les années 80 et il est évident
qu’elle n’est pas encore finalisée à l’heure où nous rédigeons cet article. En témoigne les
travaux des Assises de la Fiscalité tenues au mois d’avril 2019 à Skhirat15 au cours desquelles
toutes les parties prenantes ont abondé en conseils et recommandations afin de modifier
complètement le système fiscal marocain. Les précédentes Assises de la Fiscalité avaient été,
nous le rappelons, consacrées spécialement à la question des prix de transfert, preuve de
l’importance de ce thème qui est, nous le verrons toujours à l’étude.

Rappelons brièvement la chronologie de ces réformes :

. Remplacement d’un système constitué de taxes et impôts « cédulaires »16 par trois impôts et
taxe : La Taxe sur la Valeur Ajoutée – L’Impôt sur les Sociétés - L’Impôt sur le Revenu ;

. Codification des dispositions fiscales en vigueur par l’institution d’un Code Général de
Impôts17 (C.G.I.)

Les dispositions liées à notre thème sont contenues, principalement, dans les articles du C.G.I.
consacrés à l’impôt sur les sociétés, notamment ceux qui traitent des opérations de
vérification fiscale.
L’examen détaillé de ces dispositions, accompagné de nos commentaires permettra au lecteur
d’avoir une idée claire et précise de l’évolution législative en matière de détermination des
prix de transfert des biens et services par les groupes multinationaux.
Auparavant, rappelons rapidement ce qu’il faut entendre par la notion de prix de transfert.
Nous donnerons, à ce titre, la définition proposée par l’O.C.D.E.

« Les prix de transfert sont les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des
actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées »

15
Troisièmes Assises Nationales de la Fiscalité – 03 et 04 mai 2019 – Skhirat - Maroc
16
Qui taxent différemment chaque catégorie de revenu en fonction de l’origine
17
Dahir n° 1-06-232 du 31 décembre 2006 complété chaque année par de nouvelles mesures fiscales
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Nous reviendrons sur les termes contenus dans cette dernière définition à chaque fois qu’il
s’avérera nécessaire de le faire au cours des développements qui suivent. Mais nous pensons
qu’il est d’ores et déjà indispensable de souligner que selon le droit international le transfert
des biens et services visés doit être effectué entre des entreprises associées. Ceci inclue,
évidemment toutes celles qui sont placées en situation de dépendance juridique en raison de
leur appartenance à un même groupe.
Notre législation n’a pas jugé nécessaire de suivre à la lettre cette définition de l’O.C.D.E. les
transferts entre entreprises locales étant également visés.
D’autre part, il semble que la doctrine de l’O.C.D.E. privilégie la notion de dépendance de
type capitalistique18.
Or nous verrons que cette dépendance pourrait exister en dehors de toute participation dans le
capital social.

La question qui nous intéresse fait l’objet de plusieurs dispositions comprises dans le premier
titre du Livre II du C.G.I. Ces dispositions concernent les « procédures fiscales » utilisées par
les services de l’administration dans le cadre du pouvoir de contrôle de l’impôt qui lui est
octroyé par la loi. Ceci nous donne un « avant-goût » de l’objectif visé par le législateur, celui
de placer cette question parmi celles qui génèrent, habituellement, des litiges fiscaux.

Voici ces dispositions :

Nous précisons que les dispositions légales qui sont citées ci-dessous ont été adoptées à des
périodes différentes. Elles ne seront pas citées dans un ordre chronologique. Certaines
existaient avant la mise en place de la « procédure de l’accord préalable – P.A.P. »19. D’autres
ont accompagné ou suivi l’institution de la P.A.P.
Nous pensons que ce « débit législatif » dénote les difficultés d’adapter l’environnement
juridique à la situation.

Article 2010 – Droit de contrôle

« Les entreprises ayant des liens de dépendance directe ou indirecte avec des entreprises
situées hors du Maroc, doivent mettre à la disposition de l'administration fiscale la
documentation permettant de justifier leur politique de prix de transfert, visée à l'article 214-
III-A ci-dessous, à la date de début de l'opération de vérification de la comptabilité ».

Article 214 – Droit de communication et échange d’informations

18
Basée sur une participation majoritaire dans le capital social de la société dépendante
19
Articles 234 bis et ter du C.G.I.
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III.-
A.- « Les entreprises ayant des liens de dépendance directe ou indirecte avec des entreprises
situées hors du Maroc visées à l’article 210 (5ème alinéa) ci-dessus doivent communiquer à
l’administration fiscale, par procédé électronique, la documentation permettant de justifier
leur politique de prix de transfert selon les modalités prévues par voie réglementaire,
comportant :
- les informations relatives à l'ensemble des activités des entreprises liées, à la politique
globale de prix de transfert pratiquée et à la répartition des bénéfices et des activités à l'échelle
mondiale ;
- les informations spécifiques aux transactions que l'entreprise vérifiée réalise avec les
entreprises ayant des liens de dépendance précitées.
B.- Pour les opérations effectuées avec des entreprises situées hors du Maroc, l’administration
des impôts peut demander à l’entreprise imposable au Maroc communication des informations
et documents relatifs :
1- à la nature des relations liant l’entreprise imposable au Maroc à celle située hors du Maroc ;
2- à la nature des services rendus ou des produits commercialisés ;
3- à la méthode de détermination des prix des opérations réalisées entre lesdites entreprises et
les éléments qui la justifient ;
4- aux régimes et aux taux d’imposition des entreprises situées hors du Maroc. La demande de
communication est effectuée dans les formes visées à l’article 219 ci-dessous.
L’entreprise concernée dispose d’un délai de trente (30) jours suivant la date de réception de
la demande précitée pour communiquer à l’administration les informations et les documents
demandés. A défaut de réponse dans le délai susvisé ou de réponse ne comportant pas les
éléments demandés, le lien de dépendance entre ces entreprises est supposé établi »..

Ces dernières dispositions ont été instituées très récemment20 et pourraient rendre la
procédure de l’accord préalable inutile sachant qu’il s’agit d’une obligation fiscale similaire.
Autrement dit, à priori, une entreprise qui procéderait à une documentation détaillée de sa
politique en matière de détermination des prix de transfert aurait-elle besoin de solliciter un
accord préalable ?
Cette dernière question nous semble essentielle !

Article 213 – Pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale

II.- « Lorsqu'une entreprise a directement ou indirectement des liens de dépendance avec des
entreprises situées au Maroc ou hors du Maroc, les bénéfices indirectement transférés, soit par

20
Article 7 de la loi de finances pour l’année budgétaire 2019
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voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen,
sont rapportés au résultat fiscal et/ou au chiffre d’affaires déclarés. En vue de cette
rectification, les bénéfices indirectement transférés comme indiqué ci-dessus, sont déterminés
par comparaison avec ceux des entreprises similaires ou par voie d’appréciation directe sur la
base d’informations dont dispose l’administration ».

III.- « Lorsque l'importance de certaines dépenses engagées ou supportées à l'étranger par les
entreprises étrangères ayant une activité permanente au Maroc n'apparaît pas justifiée,
l'administration peut en limiter le montant ou déterminer la base d'imposition de l'entreprise
par comparaison avec des entreprises similaires ou par voie d'appréciation directe sur la base
d’informations dont elle dispose ».

Ces dernières dispositions existaient avant l’institution de la PAP et ont été utilisées par
l’administration fiscale dans le cadre de vérifications des comptes de filiales de groupes
multinationaux. Cela a généré un volume considérable de litiges dont la presse spécialisée
s’était emparée en multipliant les critiques.
Les experts avaient, notamment, relevé le fait que les vérificateurs de l’administration
n’avaient pas agi dans la transparence en communiquant aux contribuables visés des
précisions suffisantes sur les bases d’imposition retenues issues « de comparaisons avec des
entreprises similaires ou d’appréciations directes sur la base d’informations dont dispose
l’administration ».

Ce lourd contentieux avait sérieusement porté atteinte à l’image du Maroc alors même que les
autorités financières tentaient d’améliorer le climat des affaires et attirer les investisseurs
étrangers.
Mais il est prudent de garder une objectivité suffisante dans l’analyse de cette question et ne
pas tomber dans la facilité, celle de condamner l’administration fiscale marocaine et de
considérer comme seules victimes les entreprises concernées. Cette question est une des plus
délicates car il est nécessaire, comme nous l’avons déjà dit, de « séparer le bon grain de
l’ivraie ». Contrairement à la plupart des publications parues, nous n’allons pas suivre le
chemin classique qui consiste à dénoncer le comportement de certains groupes multinationaux
en matière fiscale, ni proposer un « manuel » en matière de détermination des prix de
transfert. Cela a déjà été fait par des auteurs que nous n’oublierons pas de citer dans la
bibliographie de cet article.
Nous sommes convaincus que cette publication enrichirait davantage notre thème par une
approche innovante qui consiste à le placer dans un champ purement managérial que la
réforme entreprise au Maroc n’a pas beaucoup pris en considération !
L’O.C.D.E. n’a pas non plus jugé utile de considérer les contraintes de certaines entreprises
dont l’activité est transfrontalière pour maîtriser les questions relatives à la détermination de
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leurs coûts de production et, par voie de conséquence, leurs prix de transferts entre sociétés
dépendantes.
Le Maroc a réagi devant cette situation avec un certain retard qui pourrait expliquer les
difficultés qu’il a rencontrées en vue de proposer une réforme efficace.
Les autorités financières avaient le choix entre une législation adaptée à notre droit
conventionnel. Rappelons, à ce titre, que le Maroc est signataire avec plus d’une cinquantaine
d’États de conventions en vue d’éviter la double imposition. Toutes ces conventions ont été
établies selon le modèle de l’O.C.D.E. et leurs dispositions priment sur celles du droit interne
lorsqu’il s’agit de situations similaires.
Or, l’O.C.D.E. est omniprésente dans le champ des prix de transfert. Cette organisation
internationale a fourni des directives et recommandations aux pays membres et non membres
en la matière. Les pays membres ont tous institué une règlementation harmonisée à cette
doctrine afin d’éviter les dysfonctionnements.
Le Maroc s’est suffisamment engagé dans le droit fiscal conventionnel et une pure logique
aurait justifié la mise en place d’un système fiscal inspiré de ce droit international en matière
de détermination des prix de transfert par les groupes multinationaux. Ainsi, il aurait créé un
environnement harmonieux dans lequel les entreprises concernées se seraient reconnues.
D’autre part, les échanges d’information entre son administration fiscale et celle des États
avec lesquels il a conclu des conventions auraient été facilités. Tout cela aurait contribué à
une amélioration de la protection juridique des investisseurs étrangers et, par voie de
conséquence, une diminution des litiges fiscaux.
Il n’a pas opté pour cette voie en proposant une loi instituant l’accord préalable en matière de
prix de transfert.
Examinons, tout d’abord, les dispositions du C.G.I. avant d’émettre quelques remarques et
commentaires.
Elles sont comprises dans le cinquième chapitre du Livre II du C.G.I. qui prévoit deux courts
articles.

- Article 234 bis- Champ d’application de l’accord préalable

« Les entreprises ayant directement ou indirectement des liens de dépendance avec des
entreprises situées hors du Maroc, peuvent demander à l’administration fiscale de conclure un
accord préalable sur la méthode de détermination des prix des opérations mentionnées à
l’article 214-III ci-dessus pour une durée ne dépassant pas quatre (4) exercices. Les modalités
de conclusion dudit accord sont fixées par voie réglementaire ».

- Article 234 ter – Garanties et nullité de l’accord

http://revues.imist.ma/?journal=FFI ISSN: 2489-1290

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Finance & Finance Internationale N°18 janvier 2020

« L’administration ne peut remettre en cause la méthode de détermination des prix des


opérations mentionnées à l’article 214- III ci-dessus ayant fait l’objet d’un accord préalable
avec une entreprise, conformément aux dispositions de l’article 234 bis ci-dessus. Toutefois,
l’accord est considéré comme nul et de nul effet depuis sa date d’entrée en vigueur dans les
cas suivants :
- la présentation erronée des faits, la dissimulation d’informations, les erreurs ou omissions
imputables à l’entreprise ;
- le non-respect de la méthode convenue et des obligations contenues dans l’accord par
l’entreprise ou l’usage de manœuvres frauduleuses. Les cas visés ci-dessus ne peuvent être
invoqués par l’administration que dans le cadre des procédures de rectification des
impositions prévues aux articles 220 ou 221 ci-dessus ».

- Les faiblesses de cette nouvelle législation

L’adoption de cette législation a beaucoup tardé si l’on prend en considération la « demande »


des investisseurs et des experts de mettre fin au système incohérent qui l’a précédé. Elle a été
instituée dans le cadre de la loi de finances pour l’année budgétaire 2015.
L’article 234 bis prévoit la fixation des modalités de l’accord préalable par voie
règlementaire. Les personnes intéressées citées ont attendu dix-huit mois ce décret
d’application.
Cela démontre une certaine confusion. Le décret d’application n’apporte que des détails sur
formalisme qui entoure la demande d’accord préalable alors que nous attendions tous des
précisions concernant les garanties offertes au contribuable.

Il est vrai que l’article 234 ter indique que « l’administration ne peut remettre en cause la
méthode de détermination des prix des opérations concernée ayant fait l’objet d’un accord
préalable avec une entreprise ». Néanmoins, les contribuables attendaient de meilleures
garanties et espéraient une protection entière et totale durant les échanges liés à la procédure
et après l’accord préalable. De telles garanties pouvaient être institutionnalisées comme le
prouvent des procédures déjà en vigueur dans d’autres domaines21.
Or, selon les informations qui ont été diffusées par les services de la Direction Générale des
Impôts, le seul moyen de garantir les droits de l’administration est la vérification fiscale. Ceci
a été perçu comme une carence en matière de confiance !
Cette confiance aurait été la bienvenue d’autant plus que les opérations de demande d’accord
préalable seraient accompagnées par des experts comptables diplômés et, de ce fait, offriraient
une garantie de « technicité ». Le décret d’application aurait même pu envisager une

21
Accord préalable de l’Office des Changes pour le paiement d’opérations en devises étrangères par des
entreprises marocaines
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procédure de certification par un membre de l’ordre des experts comptables afin de mieux
protéger le contribuable tout en garantissant les droits de l’administration fiscale.
Dans un tel contexte, il serait inapproprié de soumettre le contribuable ayant obtenu un accord
préalable à une vérification fiscale en vue de s’assurer qu’il en respecte les conditions !
Cette attitude serait nouvelle et encouragerait un système placé sous une « présomption de
bonne foi » et la responsabilité du contribuable et son expert-comptable. Cela constituerait,
sans doute, une innovation majeure dans les rapports entre l’administration fiscale et les
contribuables22.
Il est très important de souligner que d’autres services de l’administration fiscale marocaine
ont expérimenté avec succès de tels outils23.
De plus, comme nous l’avons déjà souligné, même en cas d’accord préalable, le contribuable
demeure soumis à une obligation de documentation. La plupart des pays membres de
l’O.C.D.E. ont opté pour le régime de documentation. Les entreprises doivent, annuellement,
fournir selon des procédures fixées par voie règlementaire toutes les informations relatives à
la détermination des prix de transfert. Ces règlements sont institués en conformité avec les
directives et recommandations de l’O.C.D.E., notamment celles qui concernent le choix des
méthodes de détermination des prix de transfert et les politiques fiscales adaptées à ces choix.
Ces recommandations seront traitées dans des développements ultérieurs.
Il est donc impératif que l’administration marocaine finalise cette réforme sur la
détermination des prix de transfert afin d’atteindre les objectifs visés, à savoir la protection
des investissements et l’amélioration des recettes fiscales de l’État. Il n’est plus besoin de
légiférer mais seulement de mieux appliquer la loi existante et harmoniser les procédures avec
le droit conventionnel et la doctrine de l’O.C.D.E. en matière de prix de transfert. Cette
harmonisation sera très utile au le Maroc et démontrera son ouverture aux exigences de
transparence et de rigueur. Il n’est pas membre de l’O.C.D.E. mais pourra devenir, comme la
Chine, un observateur écouté et respecté de cette organisation internationale24 !

2.1.2. L’harmonisation de la règlementation marocaine sur les prix de transfert avec


l’environnement légal international

Il n’est pas envisageable de se doter d’une règlementation sécuritaire et innovante dans ce


domaine sans tenir compte de l’environnement international. Ce dernier est constitué de

22
Rappelons que l’amélioration des rapports entre l’administration fiscale et les contribuables constitue un des
objectifs permanents de la réforme fiscale
23
Catégorisation des entreprises par l’administration des douanes et des impôts indirects et la Direction
Générale des Impôts, procédure qui a eu comme résultat l’attribution d’un « label de confiance » aux
contribuables concernés
24 er
La République populaire de Chine a rejoint le Centre de développement de l’OCDE le 1 juillet 2018
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plusieurs éléments. Il faut tenir compte, principalement et avant tout, du droit conventionnel
qui a un caractère impératif car le Maroc a conclu, ratifié et publié au bulletin officiel, avec de
nombreux États, des conventions en vue d’éviter la double imposition25. Ses dispositions ont
donc force de loi et doivent être prises en considération de manière prioritaire, devant celles
du droit interne, dans des situations similaires.26 Par ailleurs, selon la logique qui devrait être
observée dans ce domaine, il est nécessaire de réserver la place qui lui revient à l’une des
sources de notre droit fiscal international, la doctrine de l’O.C.D.E. Elle est écrite par des
experts de cette organisation, sous forme de directives et recommandations et pourrait
constituer une référence utile, malgré le fait que ses dispositions n’aient aucun caractère
obligatoire, notamment pour les pays non membres de l’O.C.D.E. Nous en étudierons les
principales en essayant de garder un esprit critique. Cet esprit critique nous est presque
imposé par le caractère régional de notre publication. Bien que le Maroc ne soit pas membre
de l’O.C.D.E.27, il fournit de manière constante les efforts nécessaires afin d’observer cette
doctrine. Sans aller jusqu’à parler de « pression », cette organisation ne manque pas, à chaque
fois qu’elle le juge nécessaire, d’intervenir pour aider le Maroc à harmoniser son droit
économique.
Il existe un troisième élément qui intervient lorsqu’un État souhaite se doter du meilleur droit
en matière de détermination des prix de transfert des biens et services entre sociétés
dépendantes. Paradoxalement, ce troisième critère est étranger au droit car il concerne les
outils du management de l’entreprise. Si l’on y voit de plus près, la question qui nous
intéresse est davantage liée à la gestion des coûts qu’à la fiscalité. Beaucoup d’administrations
fiscales l’ont compris en instituant, comme nous l’avons précisé, une règlementation sous
forme d’obligation de documentation28. Celles qui ont opté pour une politique fiscale axée sur
le droit de contrôle peuvent tomber dans l’erreur d’assimiler détermination des prix de
transfert à évasion fiscale et, de ce fait, utiliser le principe de comparabilité sous l’angle
« bénéfices réalisés »29.
C’est une décision qui pourrait paraître difficile à assumer car la littérature a rarement versé
dans ce sens, compte tenu de préjugés véhiculés par la presse. Il n’existe pas de statistiques à
ce sujet mais il est certain que peu d’articles « qui font la part des choses » ont été publiés. La

25
51 conventions ont été signées à ce jour avec des pays de tous les continents et plusieurs autres sont en
négociation, notamment avec des pays africains
26
Principe universel de la primauté du droit international sur le droit interne
27
Les 36 pays membres de l’O.C.D.E. : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée du Sud, Chili,
Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Israël, Italie, Japon,
Lettonie, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République
slovaque, République tchèque, Royaume-Uni, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie.
28
Canada, Etats-Unis, France
29
De nombreux cas de comparaisons des bénéfices réalisés par des entreprises apparemment similaires ont
été constatés dans les litiges fiscaux au Maroc. Dans ces cas, les vérificateurs n’ont pas tenu compte des
méthodes de détermination des prix de transfert
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plupart présentent des chiffres sur des records d’optimisation fiscale réalisée par de grands
groupes multinationaux !

- Le droit conventionnel

Le Maroc a conclu sa première convention fiscale avec le gouvernement français le 29 mai


1970. Depuis, une cinquantaine d’autres conventions sont venues enrichir l’environnement
légal de l’entreprise marocaine, notamment celles qui font partie d’un groupe multinational.
Le principal objectif d’une convention fiscale et de tenter d’éliminer la double imposition que
pourraient subir un contribuable dont les activités sont transfrontalières. Selon le principe de
souveraineté fiscale, chaque État a le droit d’imposer un revenu généré sur son territoire par
une personne qu’elle y soit ou non établie. Mais la superposition des fiscalités de deux ou
plusieurs États constituerait, en soi, une injustice fiscale ! Par conséquent, il est souvent
nécessaire de procéder aux aménagements nécessaires afin d’éviter cette injustice. Les États
liés par une convention acceptent de prendre des mesures en vue de partager les revenus liés à
des opérations transfrontalières. Les critères utilisés dans cette répartition sont clairement
définis dans le texte de ces conventions. Nous ne dédions pas cette publication à la question
du partage de l’impôt qui a déjà été traité dans un de nos ouvrages 30. Nous consacrerons ces
développements à la place qui a été faite dans le droit conventionnel à la question qui nous
intéresse, la détermination des prix de transfert.
Pour cela, il serait inutile d’examiner le texte de chaque convention signée par le Maroc car il
existe un modèle qui a été proposé par l’O.C.D.E. afin de faciliter l’harmonisation de ce
droit31.

Nous passerons en revue les articles qui nous semblent liés à notre thème et vérifierons si
notre droit est compatible avec leur contenu.

Article 7-3 - Bénéfices des entreprises

« Lorsqu’un État contractant ajuste les bénéfices qui sont attribuables à un établissement
stable d'une entreprise d'un des États contractants et impose en conséquence des bénéfices de
l'entreprise qui ont été imposés dans l'autre État, cet autre État procède à un ajustement
approprié du montant de l'impôt qui a été perçu sur ces bénéfices dans la mesure nécessaire
pour éliminer la double imposition de ces bénéfices. Pour déterminer cet ajustement, les
autorités compétentes des États contractants se consultent si nécessaire ».

30
Mourad HARICI, La fiscalité internationale au service de l’entreprise, Editions La Croisée des Chemins - 2016
31
Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune – O.C.D.E. – Mise à jour juillet 2010
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Ces dispositions pourraient concerner une opération de vérification des comptes de la filiale32
marocaine d’un groupe multinational. Les redressements opérés par l’administration fiscale
marocaine pourraient entraîner une double imposition ce qui serait contraire au texte de la
convention.
Cette possibilité de consultation entre les autorités compétentes pourrait devenir indispensable
afin de mieux documenter les opérations visées et éviter toute décision injuste.

Article 9 – Entreprises associées

« 1. Lorsque :
. une entreprise d’un État contractant participe directement ou indirectement à la direction,
au contrôle ou au capital d’une entreprise de l’autre État contractant, ou que
. les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou
au capital d’une entreprise d’un État contractant et d’une entreprise de l’autre État contractant,
et que, dans l’un et l’autre cas, les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou
financières, liées par des conditions convenues ou imposées, qui diffèrent de celles qui
seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions,
auraient été réalisés par l’une des entreprises mais n’ont pu l’être en fait à cause de ces
conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en
conséquence.
2. Lorsqu’un État contractant inclut dans les bénéfices d’une entreprise de cet État et impose
en conséquence des bénéfices sur lesquels une entreprise de l’autre État contractant a été
imposée dans cet autre État et que les bénéfices ainsi inclus sont des bénéfices qui auraient été
réalisés par l’entreprise du premier État si les conditions convenues entre les deux entreprises
avaient été celles qui auraient été convenues entre des entreprises indépendantes, l’autre État
procède à un ajustement approprié du montant de l’impôt qui y a été perçu sur ces bénéfices.
Pour déterminer cet ajustement, il est tenu compte des autres dispositions de la présente
Convention et, si c’est nécessaire, les autorités compétentes des États contractants se
consultent ».

Ces dispositions s’inspirent de la doctrine de l’O.C.D.E. relative aux prix de transfert,


notamment du « principe de pleine concurrence » que nous examinerons de manière plus
détaillée dans le paragraphe suivant.
Nous remarquerons que le droit conventionnel considère la notion de dépendance de manière
très large. Cette idée de dépendance est très présente dans les entreprises associées mais
plusieurs législations ne la limitent pas aux situations capitalistiques33. Il est question très

32
Une filiale est un établissement stable au sens du droit international et des définitions de l’OCDE
33
Capital d’entreprises détenu majoritairement par une entreprise « holding »
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souvent de « dépendance de fait » que pourrait générer, par exemple, le fait pour une
entreprises d’avoir un seul fournisseur qui détient le monopole dans la commercialisation du
produit concerné ou de ne pouvoir vendre ses produits qu’à un seul client. De manière
générale, comme nous le verrons, la doctrine de l’O.C.D.E. semble privilégier la dépendance
directe de type capitalistique. Il est probable que cette position ait été atténuée lors de la
rédaction du modèle de convention afin de mieux tenir compte de la spécificité des
législations des États signataires.
La plupart de ces législations n’ont pas défini de manière assez précise la notion de contrôle34,
ni celle de dépendance laissant les faits et les circonstances agir librement. En effet, rien n’est
plus difficile que de cerner cette notion car les situations peuvent être diverses et le contrôle
pourrait s’exercer de manière indirecte sans participation dans le capital ni même une
situation contractuelle. Le lien peut provenir d’un partage d’intérêts par plusieurs entités.
Les situations sont parfois tellement opaques que les juges sont appelés à trancher pour
décider s’il y a ou non une dépendance et permettre aux administrations fiscales d’opérer des
ajustements de bénéfices minorés à l’aide de prix de transferts déterminés sous contrôle.
L’exemple le plus spectaculaire est la décision des juges français en faveur de la société
Google France concernant sa situation vis-à-vis de la société irlandaise du même nom. Ces
magistrats ont précisé dans un arrêt très récent qu’il n’existait aucun lien de dépendance entre
Google France et Google Irlande !
La grande firme de l’économie numérique membre du fameux club « GAFA35 » obtient
l’annulation, grâce à cette jurisprudence favorable, de plusieurs milliards d’euros de
redressements opérés par l’administration fiscale française en matière de prix de transfert.
La firme mondiale, c’est un « secret de polichinelle » a entrepris des opérations
d’optimisation fiscale sur la base de « montages » passant par plusieurs pays, dont les Pays-
Bas, Singapour, l’Irlande et les Bermudes.

Nous pouvons dire que le droit conventionnel devient de plus en plus inadapté, compte tenu
des nouvelles orientations de l’économie mondiale dans laquelle certaines multinationales ne
pourraient assurer leur suprématie que grâce à des outils nouveaux. Il est en est ainsi des
géants du numérique qui utilisent les prix de transfert pour atténuer leur impôt global36.
Le cas de ces entreprises est très particulier car leur activité n’est pas toujours facile à
contrôler et la règlementation en vigueur peine à s’adapter au caractère immatériel des
opérations qu’elles réalisent. Le fait que le principe de territorialité qui attribue à un État le
droit d’imposer, selon son droit interne et/ou le droit conventionnel, est ici très difficile à
élaborer rend la tâche encore plus complexe !

34
Il n’existe pas de dépendance sans un certain contrôle direct ou indirect. Aujourd’hui on parle d’entreprises
indépendantes lorsqu’elles ne sont soumises à aucune forme de contrôle.
35
Google, Amazon, Facebook et Apple
36
Impôt total payé par le groupe à l’échelle mondiale
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Il semblerait même que pour ces entreprises, tous les moyens mis en place par les
administrations afin d’empêcher des montages fiscaux agressifs qui les priveraient de recettes
fiscales importantes se sont avérés inefficaces.
L’O.C.D.E. a souligné l’existence de cette problématique en lui consacrant un rapport récent37
après des travaux de réflexion qui prolongent ceux qui ont été initiés avec le G2038 sur
« l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices ». La preuve de ce constat
réside dans le fait que l’on se dirige vers une forfaitisation de l’imposition des GAFA.
Sans nous permettre aucune remarque sur le fond qui a fait l’objet d’une décision judiciaire,
par respect de la « chose jugée », nous pouvons penser qu’il existe dans cette affaire une
présomption d’évasion fiscale à laquelle un État puissant n’a pas pu venir à bout en raison de
la complexité des montages réalisées et des précautions prises afin d’éviter la dépendance.
Qu’en serait-il d’États dont les législations seraient plus vulnérables devant de telles
optimisations agressives ?
Cette « fragilité » est due à son niveau de développement économique, sa capacité à se
défendre réellement devant de tels montages fiscaux agressifs et la pauvreté de son droit des
affaires en ce qui concerne les groupes de sociétés. Le fait que notre Direction Générale des
Impôts ait procédé à des modifications majeures dans son organisation et son fonctionnement
pourrait faciliter les mesures de contrôle mais il est très probable que notre droit des affaires
doit aussi être adapté à cette « révolution » afin de permettre des actions globales plus
efficaces
C’est probablement pour cette même raison que le Maroc vient de signer un accord historique
avec l’O.C.D.E. afin de mieux lutter contre l’évasion fiscale39.
Cet accord « fournit des solutions aux gouvernements pour combler les failles des règles
internationales existantes qui permettent aux entreprises de faire «disparaître» leurs bénéfices
ou de leur transférer artificiellement dans des environnements à fiscalité faible ou nulle, alors
que ces entreprises y ont peu, voire aucune activité économique ».
Enfin, la procédure de l’accord préalable en matière de prix de transfert instituée par nos
autorités financières constitue, malgré les inconvénients cités, une avancée au plan légal mais
il est à craindre qu’elle ne soit rapidement dépassée par l’évolution de l’économie !

- L’omniprésence des recommandations et directives de l’O.C.D.E.

Le rôle de l’O.C.D.E. ne date pas d’hier. Nous vous proposons dans ce paragraphe un résumé
historique de ce rôle en soulignant les principaux éléments doctrinaux proposés par cette
organisation internationale.

37
Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie – Rapport intérimaire 2018 – O.C.D.E.
38
Le Groupe des vingt (G20) est un groupe composé de dix-neuf pays et de l'Union européenne
39 ème
Accord signé à Paris le 25 juin 2019. Le Maroc est le 89 pays signataire de cet accord
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19
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L’ancêtre de l’O.C.D.E., l’Organisation Européenne de Coopération Économique (O.C.E.E.)


avait comme vocation principale la reconstruction d’un continent dévasté par la guerre40.
La convention de Paris de 1960 a transformé l’O.C.E.E. en O.C.D.E. en lui attribuant un rôle
de coopération intergouvernementale. La particularité de ce rôle réside dans le fait qu’il
prévoit l’expansion économique des pays membres, grâce à une coopération étroite mais aussi
celle des pays en voie de développement41.
Ses méthodes de travail sont innovantes. Les pays membres doivent coopérer en apportant,
chacun son expérience économique ou d’action publique dans le cadre d’un forum de
discussion. Ainsi, chaque membre mais aussi les pays tiers peuvent profiter des cas de réussite
et éviter les erreurs qui ont conduit à des échecs. La collecte et l’analyses de ces données se
sont avérées d’une grande efficacité et ont contribué à aider les États à améliorer leurs
politiques économiques.
Ce processus s’est accompagné d’un volume important de documents de synthèse publiés
régulièrement et disponibles facilement42.
L’un de ces documents qui date de 1976 a été diffusé sous forme de « déclaration » et contient
des principes directeurs à l’attention des entreprises multinationales43. La question des prix de
transfert n’est jamais citée de manière explicite mais il est évident qu’elle est sous-entendue
lorsque le texte évoque les obligations que les sociétés multinationales doivent observer
lorsqu’elles procèdent à des investissements en dehors du pays où est établi leur siège de
direction. Il est très significatif que le texte de cette déclaration utilise les mots « obligations
contradictoires », sans doute pour souligner le fait que les activités transfrontalières de ces
entreprises les exposent à des situations de juxtaposition de législations économiques dont
elles doivent respecter le texte et l’esprit. Il est évident que parmi ces obligations
contradictoires figurent celles qui concernent la déclaration des bénéfices réalisés dans chaque
État ou l’entreprise exerce des activités imposables. Or la naissance de la problématique des
prix de transfert remonte à la mise en place de stratégies d’optimisation fiscales qui consistent
à profiter de législations plus clémentes que d’autres.
Ce qui précède est plus que probable car certains auteurs ont abordé ce thème durant cette
même période. C’est le cas d’un article paru en 1976, dans la revue l’Actualité Économique.
L’auteur canadien, Lawrence W. Copithorne, propose une analyse mathématique qui défend
l’idée selon laquelle une entreprise multinationale pourrait suivre des modèles
macroéconomiques afin de placer toutes les sociétés dépendantes dans un système de
« concurrence parfaite »44. Il précise que cette analyse est aussi valable pour une entreprise

40
Plan Marshall
41
Une sorte de coopération Nord-Sud
42
La documentation de l’O.C.D.E. est disponible en ligne
43
La Déclaration sur l'investissement international et les entreprises multinationales
44
Selon la théorie de Léon Walras
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20
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nationale qui a créé plusieurs divisions. Cette phrase, extraite de son article résume
parfaitement l’objectif recherché :

« A l'encontre de la plupart des professeurs de commerce et de comptabilité, les économistes


préoccupés des affaires internationales considèrent les prix de transfert non pas tellement
comme un instrument permettant de réaliser une certaine efficacité économique à l'intérieur
de la grande firme décentralisée, mais plutôt comme un mécanisme influençant les taux et
revenus de taxation des entreprises et affectant la redistribution internationale des revenus. En
fait, dans mon article, je conclus que les prix de transfert sont généralement arbitraires ».

Dans ce même courant d’idées un rapport du Comité des Affaires Fiscale de l’O.C.D.E., paru
en 1979, évoque pour la première fois le « principe de pleine concurrence »45.

En voici quelques extraits qui reflètent une prise de conscience réelle de l’organisation
internationale. Vous remarquerez l’utilisation d’un vocabulaire qui démontre son caractère
nouveau :

« L’un des phénomènes caractéristiques de cette évolution est l’extension de ce que l’on
appelle communément les entreprises multinationales, c’est-à-dire des groupes d’entreprises
associées dont les activités s’étendent au-delà des frontières nationales et qui deviennent, de
plus en plus, des entités économiques puissantes ayant leur propres stratégies…. ».

Ce qui suit est encore plus explicite :

« ….les prix fixés pour ces transferts ne sont pas forcément le résultat du libre mécanisme du
marché ; pour des raisons diverses et notamment du fait qu’une entreprise multinationale est
en mesure d’adopter les principes qui conviennent le mieux au groupe, ces prix peuvent
s’écarter fortement de ceux qui auraient été convenus entre des entreprises indépendantes,
pour des transactions identiques ou similaires sur le marché libre que l’on appellera les prix de
pleine concurrence. La nature et le montant des paiements effectués entre membres du groupe
pourront être influencés par des considérations d’ordre fiscal car il est vraisemblable que les
entreprises multinationales seront plus attentives aux montants de leurs revenus nets
d’impôt… ».

En ces termes, d’une prudence remarquable, ce rapport a posé l’ossature de toute la doctrine
de l’O.C.D.E. en matière de prix de transfert.

45
Prix de transfert et entreprises multinationales – Rapport du Comité des Affaires Fiscales de l’O.C.D.E. –
janvier 1979
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Finance & Finance Internationale N°18 janvier 2020

Les périodes de crises économiques que notre planète a traversées a conduit les experts de
l’O.C.D.E. à approfondir ce premier constat et poser des questions fondamentales. Les
échanges économiques étaient-ils déséquilibrés au point d’alimenter cette crise et obliger la
majorité des pays à demeurer dans une situation de sous-développement ?
Ce constat a été formalisé comme le montre un extrait du rapport de du Centre de Politique et
d’Administration Fiscales de l’Organisation46.
C’est l’une des premières réflexions de l’O.C.D.E. dans laquelle la problématique des prix de
transfert est clairement évoquée mais il est très curieux de constater que la question demeure
posée sous l’angle des risques de double imposition que pourraient générer des activités
transfrontalières auxquels le droit conventionnel ne pourrait pas remédier.
Cette position est très singulière mais il est probable qu’elle augure, en fait, une action
beaucoup plus large de l’O.C.D.E. en la matière.
Au plan chronologique, c’est le début du XXIème siècle qui marquera des avancées notables
dans la doctrine de l’O.D.E. concernant la détermination des prix de transfert des biens et
services entre sociétés dépendantes. Nous avons jugé que cette déclaration de l’O.C.D.E.
mérite un encadrement car elle témoigne de cette prise de conscience.

Aspects prix de transfert des réorganisations d’entreprises

Les opérations de réorganisation menées par des groupes multinationaux sont un phénomène très fréquent
depuis quelques années. Elles impliquent un redéploiement transnational de fonctions, actifs et/ou risques entre
entreprises associées, avec les effets qui en découlent sur le potentiel de profits et de pertes dans chacun des
pays. Une réorganisation d’entreprise peut impliquer le transfert à l’étranger d’actifs incorporels de valeur, et
elles ont notamment consisté en la transformation de distributeurs de plein exercice en distributeurs limités ou
en commissionnaires agissant pour une entité associée susceptible de jouer le rôle de donneur d’ordre ; la
transformation de fabricants de plein exercice en sous-traitants ou façonniers pour une entité associée
susceptible de jouer le rôle de donneur d’ordre ; et la rationalisation et/ou spécialisation d’activités. Comme
démontré lors d’une table ronde sur les réorganisations d’entreprises, organisée par le Centre de Politique et
d’Administration Fiscales de l’OCDE en janvier 2005, ces réorganisations soulèvent des questions complexes
en matière de conventions fiscales et de prix de transfert pour lesquelles l’OCDE ne donne actuellement pas
suffisamment d’orientations, que ce soit dans le cadre des Principes de l’OCDE applicables en matière de prix
de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales (les « Principes
directeurs ») ou dans celui du Modèle de convention fiscale de l'OCDE concernant le revenu et la fortune («
Modèle de convention fiscale »). Ces problèmes, qui concernent essentiellement l’application des règles
relatives aux prix de transfert au moment de la réorganisation et/ou après, la détermination de l’existence
éventuelle d’un établissement stable (ES) et l’attribution de bénéfices audit établissement, ainsi que la
reconnaissance ou requalification des transactions, peuvent, en l’absence d’entente sur une interprétation
commune, être à l’origine d’une grande insécurité juridique pour les entreprises et les pouvoirs publics et de
des réorganisationsPrenant acte19deseptembre
la nécessité
2008 –d’accomplir des
46
situations dededouble
Projet rapport imposition
sur les aspectsou
prixdededouble
transfertnon-imposition. d’entreprises 19
février 2009
travaux dans ce domaine, le Comité des affaires fiscales (CAF) a décidé de lancer un projet pour élaborer des
http://revues.imist.ma/?journal=FFI
orientations sur les aspects liés aux prix de transfert et aux conventions fiscales. ISSN: 2489-1290

22
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Finance & Finance Internationale N°18 janvier 2020

Nous avons sélectionné un rapport de l’O.C.D.E.47 qui résume parfaitement sa nouvelle


doctrine et en rappellerons les éléments principaux accompagnés de quelques commentaires
qui permettront de mieux articuler la seconde partie de cet article.

Nous tenons à souligner avant tout une nouveauté essentielle. L’O.C.D.E. s’adresse pour la
première fois aux administrations fiscales et non plus seulement aux entreprises
multinationales. Ceci démontre le souci d’impliquer les personnes qui sont chargées du
contrôle des aspects fiscaux des opérations transfrontalières. Les administrations concernées
sont, avant tout, celles des pays membres de l’organisation internationale. Elles doivent se
conformer à ces recommandations. Nous avons déjà évoqué le fait que la plupart des pays
membres se sont dotés d’une règlementation adaptée au droit international sous forme
d’obligations déclaratives. Les entreprises de ces pays doivent, notamment, documenter leurs
prix de transfert et indiquer leurs choix en matière de détermination de ces prix.
Mais il est évident que ces recommandations pourraient être observées par les pays non
membres qui font face à cette problématique. Ces pays seraient encore plus concernés s’ils ont
ouvert leurs économies à l’investissement direct étranger et conclu des conventions fiscales
avec d’autres pays afin d’éviter la double imposition, conventions nous le rappelons toutes
rédigées selon le modèle de l’O.C.D.E.
Le Maroc fait partie de ce groupe de pays et, de ce fait, aurait tout intérêt à intégrer les
recommandations de l’O.C.D.E. qu’il juge adaptées aux situations que son administration
fiscale rencontre.
Nous avons précisé, ci-dessus, les nouvelles obligations déclaratives instituées par la loi
fiscale marocaine, qui complètent celles qui proposent un cadre juridique exceptionnel, la
déclaration préalable.
Nous aurons l’occasion de revenir sur cet aspect important dans le seconde partie de cette
publication qui est pourrait être considérée comme un test, celui qui consiste à s’assurer que
les recommandations de l’O.C.D.E. sont adaptées à tous les cas qui relèvent du management
de l’entreprise.

Deux concepts essentiels constituent la doctrine que l’O.C.D.E. a proposé dans le volumineux
rapport de juillet 2010. Le principe de pleine concurrence et la détermination des prix de
transfert. Ces deux concepts sont utilisés en interconnexion dans le cadre de l’examen de
situations concrètes qui justifient l’utilisation d’une méthode déterminée. Autrement dit,
quelle que soit la méthode de détermination des prix de transfert utilisée par l’entreprise, le
principe de pleine concurrence doit être observé.

47
Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales
et des administrations fiscales - 2010
http://revues.imist.ma/?journal=FFI ISSN: 2489-1290

23
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. Le principe de pleine concurrence

Le premier paragraphe de l’introduction de ce rapport donne une indication générale


importante48 :

« Ce chapitre expose le principe de pleine concurrence, norme internationale qui, comme en


sont convenus les pays membres de l’OCDE, doit être mis en oeuvre à des fins fiscales par les
groupes multinationaux et les autorités fiscales pour la fixation des prix de transfert. Il s’agira
d’examiner ce principe, de rappeler sa valeur de norme internationale et d’énoncer des lignes
directrices pour son application ».

Le respect du principe de pleine concurrence est précisé de manière contradictoire. Les


transactions réalisées par des entreprises indépendantes sont régies par des mécanismes
générés par le marché. Celles qui sont membres d’un même groupe sont dites dépendantes et,
par conséquent, doivent agir comme si elles ne l’étaient pas. Dans le cas contraire, les
fixations des prix de transferts des biens qui font l’objet de transactions pourraient être
considérés comme non conformes au principe de pleine concurrence.
L’O.C.D.E. a mis en garde contre la tentation de présumer, de manière systématique, qu’il y a
eu « manipulation » des prix de transfert dès que la transaction est réalisée entre entreprises
dépendantes.
Cette remarque est révélatrice de la difficulté d’agir dans un domaine, le management, où les
situations similaires ne sont souvent qu’apparentes. Malgré ce souci évident de traiter sur un
pied d’égalité les opérations réalisées par les groupes multinationaux et celles entreprises par
des sociétés indépendantes, il subsiste une « zone grise » dans laquelle des injustices fiscales
pourraient être commises entraînant des défaillances !
Nous n’allons pas revenir sur la notion de dépendance qui a déjà fait l’objet de
développements. Nous retiendrons seulement qu’il serait inapproprié de limiter la situation de
dépendance à des rapports d’ordre capitalistique. Une société pourrait être plus dépendante
que la filiale d’une autre société en raison de rapports commerciaux exceptionnels ou d’une
situation de monopole.
Cette notion de pleine concurrence, présentée comme essentielle, pourrait être relativisée par
les faits. Les entreprises concernées devraient en tenir compte dans la détermination des prix
de transfert. Nous pensons que ceci est envisageable car la doctrine de l’O.C.D.E. est loin
d’être figée. Nous analyserons brièvement cet aspect en décrivant les principales méthodes
proposées à ce jour.

48
Les définitions contenues dans cette introduction, relatives au principe de pleine concurrence, s’inspirent de
l’article 9 du modèle de convention fiscale de l’O.C.D.E.
http://revues.imist.ma/?journal=FFI ISSN: 2489-1290

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24
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. Méthodes de détermination des prix de transfert proposées par l’O.C.D.E.

Deux groupes de méthodes sont présentées : Les « méthodes traditionnelles » fondées sur les
transactions et les « méthodes transactionnelles des bénéfices ». Ces deux méthodes supposent
que les entreprises associées observent le principe de pleine concurrence. Les méthodes
traditionnelles sont considérées comme celles qui déterminent directement si ce principe est
respecté. Celles qui se basent sur un partage de bénéfices ne sont justifiées que dans les cas
d’activités intégrées faisant participer plusieurs entreprises associées.
D’autre part, il est très important de souligner qu’il s’agit de dispositions doctrinales qui
n’ont, en principe, aucun caractère impératif. De ce fait, les groupes multinationaux
pourraient utiliser une méthode de leur choix sous réserve qu’elle respecte le principe de
pleine concurrence.
Mais il est bon aussi de retenir que cette doctrine pourrait constituer un véritable guide en
matière de vérification par une administration fiscale, même si cette dernière est celle d’un
État non membre de l’O.C.D.E. Lorsque c’est le cas et que l’entreprise a suivi les
recommandations de l’O.C.D.E., il est certain que les opérations de vérification seraient
largement facilitées.

Voici un aperçu de cette doctrine49 :

. Méthodes traditionnelles fondées sur les transactions

Méthode du prix comparable sur le marché libre

« La méthode du prix comparable sur le marché libre consiste à comparer le prix d’un bien ou
d’un service transféré dans le cadre d’une transaction contrôlée à celui d’un bien ou d’un
service transféré dans des conditions comparables. S’il existe une différence entre ces deux
prix, cela peut indiquer que les conditions des relations commerciales et financières entre les
entreprises associées ne sont pas des conditions de pleine concurrence et qu’il peut être alors
nécessaire de remplacer le prix pratiqué dans le cadre de la transaction contrôlée par celui
pratiqué dans le cadre de la transaction sur le marché libre »50.

C’est la méthode qui semble la plus simple, bien qu’il puisse exister des difficultés dans la
comparabilité des prix. Il est aussi très probable que cette méthode soit plus facile à appliquer
lorsqu’il s’agit d’opération de vente de biens ou services sans aucune transformation. La
49
Ces descriptions ne sont pas un élément majeur de cette publication qui se veut peut descriptive et plus
analytique
50
Rapport de l’O.C.D.E. 2010 page 69
http://revues.imist.ma/?journal=FFI ISSN: 2489-1290

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comparaison serait encore plus aisée lorsque le prix du bien fait l’objet d’un cours officiel ou
est facilement déterminable selon les usages.
D’éventuels ajustements seraient, de ce fait, plus abordables.

Méthode du prix de revente

Comme la précédente, cette méthode est très efficace lorsqu’elle est appliquée à des
opérations de commerce, sans transformation.
Il est en effet possible de connaître le prix de revente d’un bien en prenant en considération
les charges habituelles, les risques encourus et le bénéfice « convenable ». Ce dernier mot est
emprunté à la doctrine de l’O.C.D.E. Nous pensons que le caractère convenable d’un bénéfice
est parfois très difficile à vérifier.51
Les opérations de prestations de services sont, à notre avis très peu adaptées à l’utilisation de
cette méthode car l’intervention du revendeur constitue un élément essentiel.

Méthode du prix majoré

Assez proche de la méthode du prix de revente. Sa particularité réside dans le fait que l’on se
concentre davantage sur les coûts supportés par le fournisseur des biens ou services à une
entreprise associée afin de mieux évaluer sa marge bénéficiaire et son prix « approprié ». Le
fait que le fournisseur majore son prix afin de tenir compte de coûts suppose que les
entreprises associées ont conclu des « accords de mise en commun d’équipement ou
d’approvisionnement à long terme ».52
Il est évident que plus de tels accords existeront, moins la comparaison avec des transactions
réalisées par des entreprises indépendantes sera aisée !
Les experts de l’O.C.D.E. recommandent, dans ce cas, de comparer les marges sur coûts en
analysant les catégories de dépenses afin que les éventuels correctifs soient plus fiables.
La fiabilité doit surtout concerner des décisions prises par une administration fiscale lors
d’opérations de contrôle car ces vérifications pourraient entraîner des redressements et, par
conséquent, des rappels d’impôts. Plusieurs exemples de pondération ont été indiqués dans ce
rapport de l’O.C.D.E. Ils consistent tous en l’utilisation de ratios53 ou de comparaisons.54
Elles doivent toutes être utilisées avec précaution afin d’éviter les abus.
L’administration fiscale marocaine a eu beaucoup de mal à faire admettre des redressements
opérés dans le cadre de vérifications de comptes de groupes multinationaux basés sur des
comparaisons avec des données dont elle dispose.

51
Situations de monopole
52
Selon la doctrine de l’O.C.D.E.
53
Avec le chiffre d’affaires, les actifs utilisés, les charges courantes…etc.
54
Avec d’autres entreprises indépendantes
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. Méthodes transactionnelles des bénéfices

« Les méthodes transactionnelles de bénéfices examinent les bénéfices générés lors de


transactions réalisées entre entreprises associées. Les seules méthodes de bénéfices qui
satisfont au principe de pleine concurrence sont celles qui sont conformes à l’article 9 du
Modèle de Convention fiscale de l’OCDE et qui répondent à l’exigence d’une analyse de
comparabilité telle que décrite dans ces Principes ».

Ces dispositions sont, à notre avis, loin de pouvoir répondre complètement et clairement à la
question qui nous préoccupe. Nous examinerons chacune des méthodes proposées afin de
trouver, le cas échéant, de meilleures références d’analyse.

Méthode transactionnelle de la marge nette

La mise en application de cette méthode s’apparente à celles du coût majoré et du prix de


revente. Comme ces méthodes, elle consiste à déterminer le bénéfice net à partir d’une base
de données constituée, notamment, de coûts de production, d’éléments d’actifs utilisés ou de
volumes de ventes. Ces données sont, en principe, très objectives et conduisent à des résultats
fiables. C’est ce qui fait la force de cette méthode de détermination.

Méthode transactionnelle du partage des bénéfices

L’utilisation de cette méthode suppose l’élimination de toute condition spéciale, convenue ou


imposée entre entreprises associés, qui pourrait influencer la détermination des bénéfices.
Cela suppose l’identification du bénéfice global réalisé de manière « intégrée »55 à l’intérieur
du groupe et des conditions de sa répartition. Ce qui semble une force est en réalité un
ensemble de difficultés sachant que chaque entreprise associée utilise ces moyens dans un
pays différent.
Nous sommes ici au cœur de notre problématique car il est devenu habituel de parler de
bénéfice global lorsque l’on se réfère aux groupes multinationaux et des stratégies qui
pourraient être mises en place afin de « géo-localiser » ce bénéfice selon les systèmes fiscaux
en vigueur.

55
Intégration signifie ici le fait d’utiliser des moyens uniques et communs pour réaliser le bénéfice global
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27
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Mais pourrait-on véritablement utiliser le terme « stratégie » lorsqu’il est simplement fait
usage de stratagèmes56 pour placer le bénéfice dans une zone peu ou pas fiscalisée, par
l’intermédiaire de facturations dont les montants seraient minorés, majorés ou même fictifs.
De telles situations extrêmes sont très visibles et font l’objet de toute l’attention des
administrations fiscales en cas de vérification.

3. DEUXIЀME PARTIE – Une approche managériale de la problématique des prix de


transfert

3.1 La notion de prix de transfert abstraction faite du groupe

Toute la règlementation relative à la détermination des prix de transfert, ainsi que la doctrine
émanant principalement de l’O.C.D.E. s’appuie sur la comparaison entre des opérations
réalisées à l’intérieur d’un groupe d’entreprises dépendantes et des opérations similaires que
des entreprises non liées réaliseraient.
Ce critère général est compréhensible car, certains groupes multinationaux l’ont démontré,
des stratégies d’optimisation fiscale agressive pourraient être organisées sans tenir compte des
règles que le marché nous dicte.
Mais nous pourrions mieux analyser cette problématique en faisant abstraction de la situation
de dépendance que le groupe crée. Cela nous permettrait de privilégier les critères relevant du
management et, parfois, d’écarter la conclusion selon laquelle les prix de transfert ont été
déterminés dans des conditions non conformes à la règlementation, aux usages en vigueur et à
la doctrine internationale.
L’activité entrepreneuriale comprend de nombreux objectifs, dont la réalisation du profit. Dire
que ce profit n’est pas celui qui aurait dû être réalisé en se basant uniquement sur la
comparaison avec d’autres entreprises non liées pourrait conduire à de sérieux
dysfonctionnements.
Nous sommes conscients que cette approche pourrait en choquer plusieurs car nous avons fini
par admettre que dès qu’il y a faiblesse du profit réalisé à l’intérieur d’un groupe
d’entreprises, il y a une très forte présomption de « manipulation » des prix de transfert dans
le cadre d’une stratégie agressive d’optimisation.
Farid Toubal, Ronald B. Davies, Julien Martin et Mathieu Parenti, dans un Billet paru le 22
décembre 2014 dans le blog du « Centre d’études prospectives et d’informations

56
Le mot stratagème désigne habituellement la ruse, qui ne fait pas partie des outils de management de
l’entreprise !
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28
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internationales (CEPII)57 », nous ont livré une opinion très intéressante à propos des
différentes manipulations utilisées par les groupes multinationaux afin de « délocaliser » leurs
bénéfices. La prudence avec laquelle ces chercheurs ont abordé cette problématique nous
démontre que l’approche qui est la nôtre est défendable. C’est la question de l’utilisation des
paradis fiscaux qui est évoquée d’une manière très relative, comme le montre cet extrait :

« Une étude récente révèle que l’utilisation des prix de transfert à des fins d’optimisation
fiscale concerne les exportations d’une poignée de très grandes entreprises vers un
nombre réduit de paradis fiscaux. Les pertes en termes de recettes fiscales potentielles sont
néanmoins substantielles ».

Cette thèse n’est donc pas tout à fait isolée.


D’autre part, la notion de dépendance, soutient principale de la doctrine de l’O.C.D.E., fait
l’objet du même traitement. Bien que de manière assez timide, certaines législations
contiennent des dispositions qui permettent de relativiser le critère de la dépendance.
Le droit français, par exemple, précise « qu’il appartient à l’administration d’apporter la
preuve du caractère anormal de la transaction ». Le fardeau de la preuve incombe donc
entièrement aux vérificateurs.
Les commentaires qui ont été élaborés à propos de ces dispositions légales vont dans le sens
de cette analyse. Il est précisé que si la preuve du lien de dépendance ne pose pas de
difficultés particulières, il n’en est pas ainsi de celle qui doit être apportée à propos du
transfert indirect de bénéfice.
La loi fiscale en vigueur en France est assez claire et fournit des éléments très objectifs
concernant le fait que les opérations visées ne sont pas réalisées selon les conditions du
marché…...« soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit
par tout autre moyen »58.
Cette position a été confirmée par une jurisprudence constante. La plus haute juridiction
administrative de France, le Conseil d’État, s’est prononcée en limitant le droit de
l’administration fiscale de procéder à des réintégrations. Elle ne pourrait le faire que «
lorsqu’elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise
étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d’autres
clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires
exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet
écart ne s’explique par la situation différente de ces clients ». Cette dernière précision
nous semble très pertinente car elle permet de défendre la thèse selon laquelle les prix de

57
Farid Toubal, Ronald B. Davies, Julien Martin et Mathieu Parenti, « Prix de transfert et optimisation fiscale : le
fait d’un faible nombre d’entreprises multinationales dans les paradis fiscaux » - Centre d’études prospectives
et d’informations internationales, 22 décembre 2014
58
Article 57 C.G.I. France
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29
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transfert de biens et services à l’intérieur d’un groupe de sociétés peuvent être différents de
ceux qui sont déterminés dans une opération similaire en l’absence de lien de dépendance.
La situation pourrait être différente et justifier un prix plus élevé ou plus bas.
L’un des principaux outils intervenant dans le management est la comptabilité. Au-delà des
obligations légales en la matière, les entreprises qui souhaitent se doter d’un moyen efficace
de management adoptent des systèmes comptables analytiques afin, notamment, de connaître
leurs coûts de revient de manière suffisamment précise.

- Détermination du coût de revient des biens et services

Dans sa forme la plus usuelle, le coût de revient est déterminé en additionnant des charges
directes et indirectes. Mais ce calcul peut revêtir une grande complexité lorsqu’il s’agit de
prendre en considération des charges indirectes qui ont été engagées par l’entreprise et qu’elle
doit rattacher à plusieurs produits et services ou qu’il soit nécessaire de faire la distinction
entre des charges fixes et variables. Selon la méthode comptable qui sera utilisée, on peut
obtenir des coûts de revient différents. Le fait que les activités de l’entreprise soient
transfrontalières constitue un élément supplémentaire de complexité.
L’activité de l’entreprise est également à prendre en considération lors de l’évaluation des
prix de transfert. Il n’existe, à ce titre, aucune commune mesure entre une activité
commerciale de produits dont les prix et les coûts pourraient être déterminés assez facilement
et une firme industrielle qui intervient à l’échelle mondiale. Certaines activités, comme
l’industrie pharmaceutique font face à des coûts extrêmement élevés de recherche et
développement qu’elles répercutent de la manière la plus proportionnelle sur les différentes
filiales. De ce fait, certaines de ses filiales pourraient se retrouver, temporairement, en
situation de déficit ou de faible profit, notamment si elles n’ont pas une totale maîtrise des
prix de vente des produits finis fabriqués sous licence59.
Les difficultés que rencontrent les entreprises concernées dans ce domaine comptable et que
la tenue d’une comptabilité analytique qui est destinée aux calculs de coûts de revient de biens
et services n’est pas toujours obligatoire. Il existe cependant des exceptions à cette règle,
comme le cas de l’Algérie dont la Direction Générale des Impôts a diffusé une note de service
pour faciliter l’application de dispositions fiscales relatives au contrôle des prix de transfert60.
Voici un extrait de cette note de service :

59
C’est le cas lorsque le prix du produit est fixé en accord avec les autorités gouvernementales (comme au
Maroc)
60
La Direction Générale des Impôts du gouvernement algérien a diffusé une note de service, en application de
la loi de finances pour l’année budgétaire 2017 dans laquelle elle rend obligatoire la tenue d’une comptabilité
analytique. L’objet de cette note de service adressée aux administrations est : « Dispositions contenues dans la
loi de finances pour 20L7 relatives au contrôle des prix de transfert ».
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30
30
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« Il est rappelé que la comptabilité analytique est un outil de gestion qui éclaire l’entreprise
sur les prises de décision à travers le calcul et l'analyse des coûts, les informations sur la
fixation des prix de vente, la rentabilité de certaines activités ainsi que la part de chaque
produit ou activité dans le résultat global. Pour ce faire, l'entreprise peut utiliser plusieurs
méthodes de calcul de coûts la comptabilité analytique. A cet égard, il est précisé que les
dispositions des articles 8 et 44 suscités, prévoient la possibilité d'accéder aux éléments de la
comptabilité analytique et ce, indépendamment de la méthode de comptabilité analytique
adoptée par l’entreprise ».
En dehors de telles exceptions, les vérificateurs des administrations fiscales ne demandent pas
la communication de ces états lors des contrôles qu’ils effectuent. Pourtant ces documents
sont absolument indispensables pour comprendre les conditions dans lesquelles les prix de
transferts ont été déterminés, à partir des coûts de revient correspondants.
Une comptabilité analytique constituerait une information importante qui compléterait
utilement celle qui doit être adressée aux administrations fiscales en dehors de tout contrôle61.

- Concurrence loyale et principe de libre concurrence

Toute entreprise doit rechercher un équilibre entre ces deux principes. Dans un système
d’économie libérale elle peut, théoriquement, vendre au prix qu’elle fixe en toute liberté.
C’est la loi du marché et si ses prix sont jugés excessifs c’est ce marché qui la sanctionnera.
Mais c’est surtout la situation inverse qui pose problème, à savoir le fait de fixer un prix bas.
Dans les situations normales62, sauf si le prix fait l’objet d’une règlementation spécifique,
l’entreprise peut fixer son prix de vente aussi bas que possible en évitant une vente à perte63.
La vente à bas prix n’est pas considérée comme une pratique de concurrence déloyale.
Par contre, en présence d’une situation transfrontalière et d’un groupe d’entreprises, des prix
de transfert seraient considérés comme non conformes au principe de libre concurrence sur la
base d’éléments qui, par ailleurs, sont autorisés, parfois même encouragés par les règles du
management, notamment celles du marketing64 !
Mais ce constat serait établi lors de la vérification des comptes de l’une des entreprises
concernées ou à l’examen d’une documentation communiquée à l’administration fiscale. Dès
lors, l’un des grands principes économiques de la libre concurrence65 serait totalement
sacrifié, à tort dans l’hypothèse où l’entreprise en question a observé les règles du marché

61
Comme le prévoit l’article 214 du Code Général des Impôts au Maroc
62
Par rapport à notre thème
63
Les ventes à un prix inférieur au coût de revient sont interdites dans la plupart des pays, sauf en période de
vente promotionnelle
64
La fixation des prix de vente constitue un élément primordial du marketing mix
65
Système économique où chacun dispose de la liberté d'exercer une activité, de produire et de vendre aux
conditions qu'il souhaite et où l'Etat n'intervient que pour garantir le libre jeu des règles de l'économie
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31
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sans chercher à nuire, ni à « localiser » ses bénéfices de manière artificielle en profitant des
meilleures législations fiscales.
Dans le domaine international, les abus en matière de concurrence loyale, comme ceux liés à
des positions dominantes sont moins sensibles aux règles qui sont utilisées à l’échelle des
États. Lorsque l’on parle de « firme mondiale », ces mots contiennent de manière intrinsèque
une position dominante dans un marché planétaire. Par conséquent, il n’est pas toujours aisé
de mettre en place des outils qui limiteraient la concurrence à l’échelle mondiale. Or, toute la
règlementation relative à la détermination des prix de transfert est adossée à cette logique !
Loin de nous l’idée de supprimer toute règlementation susceptible de limiter la libre
concurrence. Nous souhaitons seulement développer l’idée selon laquelle la problématique
relative à la détermination des prix de transfert ne peut pas être résolue entièrement par
l’intermédiaire des principes de l’O.C.D.E. Ces principes sont, certes, très efficaces dans
certaines situations mais ils présentent l’inconvénient de privilégier des procédures basées sur
les comparaisons entre des profits réalisés par des entreprises similaires sans tenir compte
suffisamment des spécificités de chaque firme et chaque activité !
Peut-on, d’ailleurs, parler d’entreprises similaires ? Il n’est pas facile de répondre à cette
question car, dans les faits, chaque entreprise est unique. Au-delà des biens qu’elle produit,
l’entreprise réunit des caractéristiques qui ont font un être moral singulier. Citons, par
exemple, les personnes physiques qui la gèrent et celles qui y travaillent, qui peuvent adopter
des principes, des comportements et observer des règles d’éthique qui formeront leur
« culture organisationnelle ». Les règles concernant la réalisation du profit sont indissociables
de l’entreprise mais elles pourraient être considérées après ces principes liées à la culture.
Combien d’entrepreneurs ont renoncé à des bénéfices alléchants par souci du respect de règles
d’éthique.
Il est, de ce fait, prudent de laisser les administrations fiscales juger en se basant sur tout ce
dont ils pourraient disposer.
Notre administration fiscale a entrepris cette réforme courageuse afin de mettre un terme à
une pratique qui s’est malheureusement généralisée, celle de procéder à la vérification des
comptes de filiales de groupes multinationaux établies au Maroc en privilégiant la
comparaison de leurs résultats avec ceux d’entreprises similaires « selon des données dont
elles disposent ».
Cette nouvelle législation sera-t-elle le début d’une ère nouvelle où des données moins
subjectives seront mises en application en matière de prix de transfert ?

- Le contrôle exercé par d’autres organismes internationaux

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32
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La problématique des prix de transfert concerne principalement66 les transactions


transfrontalières. De ce fait, les entreprises concernées doivent toujours procéder à une
déclaration en douane des marchandises importées ou exportées.
Dans de nombreux pays, dont le Maroc, un service de l’administration des douanes est chargé
de contrôler les valeurs déclarées. Ces valeurs sont parfois contestées lorsqu’il est établi
qu’elles différent de manière substantielle d’un référentiel utilisé par l’administration.
Cette question relève de la compétence de l’O.C.D.E. mais d’autres institutions ont également
été amenées à émettre des recommandations. C’est le cas de la Chambre Internationale de
Commerce (C.I.C.) basée à Paris qui est qualifiée de « Chambre de Commerce Mondiale ».
Dans un rapport assez récent, l’accent a été mis sur les difficultés que rencontrent plusieurs
entreprises lors des « passages en douane ».

En voici un extrait :
« Dans le cadre des transactions entre parties liées, les entreprises internationales font face à
des difficultés concernant la détermination de la valeur des marchandises du fait des
réglementations douanières et fiscales divergentes. ICC appelle à plus d’uniformité et formule
des propositions concrètes en vue d’assurer une évaluation fiscale et douanière harmonisée
des transactions entre parties liées dans un contexte international ».

Et l’une des recommandations :


« Reconnaissance par l’administration douanière du fait que les entreprises qui déterminent
les prix entre parties liées conformément au principe de pleine concurrence (tel que posé à
l’article 9 du Modèle de convention fiscale de l’OCDE) ont en général démontré que leurs
liens n’ont pas influencé les prix payés ou à payer, et que ces prix peuvent servir de base à la
valeur en douane »67.

D’autres organismes internationaux peuvent également intervenir dans les questions liées aux
prix de transfert. C’est le cas, à titre d’exemple, de l’Organisation Mondiale du Commerce
(O.M.C.). Bien que n’étant pas une agence spécialisée des Nations-Unies, l’O.M.C. entretient
avec cette dernière des relations très étroites afin de mieux mener à bien sa tâche, réguler les
échanges commerciaux entre les États membres. Elle est donc très souvent amenée à traiter
des questions liées à la détermination des prix de transfert lorsque les règles du marché et de
la concurrence loyale sont faussées en raison du versement de subventions versées par des
États à des entreprises ou de « dumping »68, l’O.M.C. s’intéresse aux prix déclarés en douane.

66
La législation fiscale marocaine sur les prix de transfert vise aussi les opérations réalisées localement
67
Prix de transfert et valeur en douane - politique et pratiques commerciales – Chambre Internationale de
Commerce - 2015
68
Ventes à perte
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Finance & Finance Internationale N°18 janvier 2020

Ces exemples démontrent la nécessité d’élargir le champ d’intervention des acteurs qui
doivent intervenir dans la problématique relative à la détermination les prix de transfert. Ceci
permettrait d’éviter les abus de part et d’autre, ceux des administrations fiscales qui pourraient
avoir tendance à utiliser des principes basés sur des recommandations de l’O.C.D.E. sans tenir
compte de la situation réelle sur le terrain, et ceux des contribuables.
Cela permettrait aussi de transformer cette question en diminuant l’aspect litigieux et en
augmentant le côté purement managérial. Comme nous l’avons déjà précisé, plus les
transactions transfrontalières sont complexes et plus le risque de litige est élevé. Cette
équation est encore plus difficile à résoudre lorsque l’administration fiscale qui contrôle n’est
pas celle d’un pays membre de l’O.C.D.E. ou n’a pas jugé nécessaire d’inclure les principes
de l’O.C.D.E. dans sa législation fiscale.
À ce titre, le cas du Maroc est très particulier car sa législation relative aux prix de transfert
est « hybride », composée de quelques références aux principes de l’O.C.D.E. et d’une
procédure exceptionnelle, celle de l’accord préalable. Cette particularité est probablement
justifiée par la position de tous les pays en développement ou en émergence qui ont décidé
d’adopter une économie d’ouverture envers les investisseurs étrangers. Ces derniers sont
pleinement conscients du défi que représente cette question, attirer ces investisseurs tout en
évitant qu’ils entreprennent des planifications fiscales agressives susceptibles de réduire
considérablement les recettes fiscales du pays hôte !

L’O.C.D.E. est aussi consciente de ce problème comme le prouve cet extrait69 :

« Compte tenu de la nature universelle et parfois controversée des prix de transfert, il est
important d’établir des principes admis au plan international afin d’aider chaque pays à lutter
efficacement contre les transferts abusifs de bénéfices à l’étranger, tout en limitant le risque
de double imposition de ces bénéfices. Telle est la raison d’être du principe de pleine
concurrence. L’expérience acquise s’enrichira à mesure que grandira le nombre de pays qui
l’appliquent. C’est là une étape décisive pour bâtir une économie mondiale plus forte, plus
saine et plus juste ».

3.2. La gestion globale des opérations transfrontalières et ses contraintes

Dans la littérature abondante qui a été publiée dans divers supports à propos des activités
entreprises par les groupes multinationaux, il est rarement fait références aux contraintes que
69
Caroline Silberztein, centre de Politique et d'Administration fiscales de l'OCDE - L'Observateur de
l'OCDE N° 276-277, décembre 2009-janvier 2010

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ces derniers doivent affronter qui pourraient constituer un élément réducteur en matière de
réalisation de bénéfices.
Parmi ces contraintes, l’élément géographique occupe une place prépondérante.

- L’utilisation de l’espace géographique par les groupes multinationaux

Cet élément n’est pas toujours facile à gérer dans la réalité. Le lieu d’implantation des
entreprises membres du groupe multinational fait l’objet d’études minutieuses incluant tous
les critères pertinents comme l’état de la législation, la stabilité du pays concerné, l’état de ses
infrastructures et de ses moyens de communication, le niveau de confort matériel que
pourraient y trouver les salariés expatriés du groupe…..etc.
La situation idéale serait constituée par de « bons » critères et un rapprochement des marchés
visés ou des lieux d’extraction de la matière première70.
Mais l’idéal n’est pas toujours au rendez-vous et, parfois, les groupes multinationaux doivent
composer avec de sérieuses contraintes allant de l’isolement total au plan géographique à la
nécessité de mettre en place des mesures de sécurité importantes et coûteuses71.
Dans l’industrie pharmaceutique, les firmes sont confrontées à une problématique, la qualité
des activités de recherche et développement dont dépend leur réussite commerciale.
Ces activités sont extrêmement onéreuses et, souvent, certaines firmes organisent des
regroupements afin de réduire les coûts. Se pose, alors, la question du choix du lieu. Dans un
souci d’optimisation, le lieu le mieux adapté est celui où se trouvent les meilleures ressources
humaines. Or ce lieu n’est pas toujours proche du lieu d’exploitation, ce qui entraîne des coûts
supplémentaires. Marie Claude Bélis-Bergouignan a très bien expliqué l’étendue de cette
contrainte dans son article « Coopération inter-firmes en recherche et développement et
contraintes de proximité : Le cas de l’industrie pharmaceutique72.
Généralement, les études menées par les groupes multinationaux afin de déterminer le
meilleur choix du pays d’implantation sont élaborées sous formes de stratégies et ont parfois
conduit à la mise en place d’une véritable hiérarchisation des pays hôtes, selon les avantages
qui sont offerts et les économies de coûts qui pourraient être réalisées. Tout cela a un prix qui
doit être pris en considération. L’O.C.D.E. l’a appelé « le prix d’obtention de l’information ».
Ce prix, avouons-le pourrait difficilement faire l’objet de comparaisons !
Ana Colovic et Ulrike Mayrhofer se sont penchés sur cette question dans un article paru en
2008 dans la Revue Française de Gestion.

70
Ce critère est entendu au sens le plus large que pourrait prendre le terme matière première (minerais,
produit de la pêche ou de l’agriculture….etc.).
71
Des mesures qui vont jusqu’à envisager des « coopérations » avec les forces de sécurité du pays hôte
72
Revue d’économie industrielle – n° 81 - 1997
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L’une de leur première constatation est relative aux changements dans les espaces
géographiques qui pourraient accueillir les investissements réalisées par les firmes
multinationales.
« Dans un contexte de mondialisation économique et d’intégration croissante des espaces
économiques régionaux, de nombreuses firmes multinationales sont amenées à réviser la
localisation de leurs activités dans le but d’optimiser leur chaîne de valeur globale ».

Le cas du référendum proposé au Royaume-Uni le 23 juin 2016 afin d’envisager la sortie de


l’Union Européenne73 est un excellent exemple. 51,9% des électeurs interrogés ont exprimé
leur souhait de quitter l’U.E. Le fait que le Royaume-Uni ne fasse plus partie de l’intégration
économique la plus puissante au monde va, sans aucun doute, entraîner de profondes
modifications dans la stratégie des groupes multinationaux britanniques et celle des filiales
des firmes multinationales d’autres pays établies au Royaume-Uni.
Toutes ces modifications et considérations d’ordre géopolitique se traduisent par des coûts et
ces derniers sont pris en considération dans les prix de transfert.
L’objectif d’optimisation fiscale est toujours présent dans le choix du lieu de l’implantation
d’une filiale d’un groupe multinational et ce souci est constant chez tout entrepreneur. On
peut même affirmer que les moyens mis en œuvre par l’entreprise afin de réduire l’impôt
constituent un droit. Les juges de la Cour Suprême du Canada l’ont affirmé dans une vieille
décision demeurée célèbre74. Mais il n’est pas raisonnable de lui donner une place
prépondérante dans les stratégies d’implantation des entreprises concernées. Ces dernières
doivent utiliser bien d’autres critères pour faire le bon choix, comme la disponibilité d’une
main d’œuvre qualifiée et la stabilité politique et sociale du pays hôte.
Et ces critères s’inscrivent dans une démarche plus globale qui consiste à suivre,
géographiquement, les groupes considérés comme concurrentiels !
Thierry Mayer et Jean-Louis Mucchielli traité cette problématique dans un article paru dans la
Revue Économie et Statistique. Ils ont développé un modèle économétrique de hiérarchisation
du choix d’implantation dans lequel le critère fiscal n’a pas été inclus75.
Or toute la quasi-totalité de la doctrine en matière de détermination des prix de transfert est
basée sur le bénéfice et l’impôt !

- L’écart entre les législations fiscales

73
British exit from the European Union (Brexit).
74
Arrêt Duc de Westminster – Cour Suprême du Canada - 1936
75
Thierry Mayer et Jean-Louis Mucchielli - La localisation à l'étranger des entreprises multinationales. Une
approche d'économie géographique hiérarchisée appliquée aux entreprises japonaises en Europe – Revue
Économie et Statistique – 1999

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L’une des plus grandes difficultés rencontrées lors de l’élaboration d’un droit international,
quelle que soit la discipline concernée, est l’harmonisation des législations des différents
États. Si cela a été plus facile en droit commercial, par exemple, en raison de la souplesse des
législations et de la liberté qui caractérise le commerce international, la fiscalité n’a pas été un
terrain très favorable. En raison de la finalité des règles du droit fiscal, intimement liées aux
préoccupations budgétaires des États, il est le plus autonome, développant des principes et
procédures spécifiques, compatibles avec le pouvoir régalien nécessaire à la levée de l’impôt.
Cette indépendance est proportionnelle à la souveraineté que l’État souhaite conserver en la
matière et, plus il harmonisera sa législation fiscale avec celles d’autres pays, plus il devra
consentir un abandon total ou partiel de sa souveraineté.
Dans cette équation, des plus difficiles à résoudre, l’État voudra obtenir une compensation
rapide à l’effort d’harmonisation en termes d’investissements directs réalisés par des
entreprises étrangères, souvent des groupes multinationaux.
Mais dire, dans ce contexte, que le droit fiscal est harmonisé est une vue de l’esprit ! Il ne l’a
pas été entièrement même dans les espaces géographiques les plus intégrés. Le meilleur
exemple est celui de l’Union Européenne. L’harmonisation de la fiscalité des États qui la
composent est envisagée depuis plusieurs années mais elle demeure encore de la compétence
nationale, exception faite de la taxe à la consommation où une taxe sur la valeur ajoutée
européenne a été instituée. Et l’accroissement des pays membres n’arrange rien !
Ceci démontre que les groupes multinationaux doivent affronter un obstacle de taille, celui de
la superposition des législations fiscales applicables à leurs activités transfrontalières qui
s’accompagne d’un risque très élevé de double imposition. Ce dernier risque est, certes,
atténué par l’existence d’un droit conventionnel mais, dans la pratique, très souvent, les
procédures d’application de l’imputation d’un impôt étranger demeurent assez complexes.
Parfois même, l’imputation est impossible en raison d’un usage. À titre d’exemple, lorsqu’un
État applique une retenue à la source sur un revenu de valeur mobilière76, l’entreprise qui a
fait l’objet de cette retenue à la source ne peut en récupérer le montant par imputation sur
l’impôt qu’elle doit acquitter dans un autre État, que si le montant dudit impôt est suffisant.
S’il ne l’est pas, l’entreprise en question pourrait perdre une partie ou la totalité de l’impôt
retenu à la source. Il en serait ainsi si le résultat dans l’autre État est faible ou déficitaire. Dans
ces conditions, les dispositions conventionnelles n’auraient pas réussi à faire respecter le
principe de partage d’impôt77 et de ce fait, la double imposition serait maintenue.
Il existe bien d’autres dysfonctionnements dans le traitement fiscal des opérations
transfrontalières dues, principalement, du degré faible d’harmonisation des législations
fiscales, même en présence de conventions fiscales tendant à éviter la double imposition.

76
Dividende : part d’un bénéfice réalisé et distribué après impôt
77
Principe selon lesquels l’imposition de certains revenus est opérée par les deux États, la double imposition
étant annulée par un système d’imputation directe
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Malgré l’utilisation d’un modèle, pratiquement imposé78 la spécificité de la fiscalité de chaque


État crée des distorsions. Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, le Maroc a fourni un effort
considérable afin d’adapter son droit fiscal à sa politique économique d’ouverture. Mais cet
effort comporte des limites qui sont constituées par le besoin de stabilité de ses recettes
fiscales. S’il décide de compenser le « manque à gagner » découlant, par exemple, d’une
baisse des taux d’imposition par un programme de vérification « agressif » en matière de prix
de transfert, il en résulterait des effets pervers qui pourraient gêner sa politique globale visant
à rendre le pays plus attractif aux yeux d’investisseurs étrangers potentiels. Comme nous le
savons tous, en raison de situations d’instabilité politique, voire même d’états de guerre, dans
plusieurs régions de la planète, les choix du lieu d’implantation sont devenus rares et il ne
serait pas bon que le Maroc devienne un « choix par défaut » !
Par conséquent, il est urgent de trouver un équilibre dans la problématique qui nous intéresse
en abandonnant cette tendance à privilégier la comparaison des résultats dans les missions de
vérifications des comptes de filiales de multinationales. Il est plus difficile mais beaucoup
plus « payant » à terme, de développer des usages mieux adaptés aux pratiques de
management et aux stratégies de développement des groupes multinationaux.
Pour leur part, les entreprises concernées doivent veiller à intégrer ces nouvelles données dans
leur gestion fiscale et, le cas échéant, mieux évaluer le risque fiscal latent79.
La gestion fiscale des groupes multinationaux devrait, donc, considérer l’écart entre les
législations des pays dans lesquels ils ont décidé de s’implanter comme une donnée
importante qui pourrait faire l’objet d’une atténuation. Le fait de se sentir à l’abri de
vérifications fiscales qui pourraient entrainer des redressements abusifs80 constituerait, sans
doute, une source de protection inestimable.
Les administrations fiscales sont dans leur droit d’appliquer des procédures internes d’alerte
afin de surveiller les opérations réalisées par tous les contribuables. Elles peuvent aussi
dresser la liste d’opérations suspectes81 qui faciliterait l’établissement du programme annuel
de contrôle mais il serait nécessaire d’assainir les missions de vérification en les adoptant au
contexte international et en permettant aux groupes multinationaux de mieux gérer la
superposition des législations.
À l’heure où nous rédigeons cet article, l’administration fiscale marocaine vient de franchir un
nouveau pas dans l’amélioration et la modernisation de ses procédures de contrôle de l’impôt.

78
Modèle de convention fiscale type O.C.D.E.
79
Montants d’impôts que l’entreprise aurait à prendre en charge si certains évènements venaient à se
produire, notamment une vérification fiscale qui entraînerait des redressements justifiés. Le meilleur outil
utilisé pour procéder à une évaluation du risque fiscal latent est la mission d’audit fiscal
80
De telles informations sont diffusées, habituellement, par la presse spécialisée qui vérifie le caractère
probant à travers les cabinets de conseil qui ont accompagné l’entreprise lors de la vérification ou, parfois
même, par l’entreprise
81
Exemple : Situations déficitaires prolongées ou chroniques, opérations exceptionnelles visant les détenteurs
de l’entreprise, passage d’une situation bénéficiaire à une situation déficitaire ou l’inverse….
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Depuis l’année 2017, toutes les déclarations fiscales ont été digitalisées ce qui permet de
meilleurs recoupements d’informations. Nous apprenons, cette semaine, qu’elle s’équipe
d’algorithmes puissants afin d’intégrer l’intelligence artificielle dans ses processus 82.

4. Conclusion

Il serait probablement plus raisonnable de considérer cette publication comme un essai de


contribuer à l’évolution d’une problématique qui n’a pas encore pu être définitivement résolue
depuis si longtemps. Ceci est dû au fait que l’environnement dans lequel elle évolue ne cesse
de se transformer suivant les données techniques mais aussi la géopolitique. Les tentatives
visant à apporter une contribution à la doctrine internationale doit, ne l’oublions pas, prendre
en considération un fait majeur, la puissance de certains contribuables concernés qui ont
démontré la facilité qu’ils ont à déjouer les règles en vigueur83. Mais ce serait une grave erreur
de considérer que toutes les entreprises multinationales ont cette puissance et agissent avec
cette facilité. Certaines, malgré leur activité transfrontalière n’ont ni puissance, ni autorité !
Pourtant, il existe une fâcheuse tendance à parler de « la multinationale » comme un être
moral exceptionnel capable de faire pression sur les sociétés civiles et les gouvernements.
Il est certain que cet article sera suivi d’autres publications dès que l’environnement s’y
prêtera, cela nous permettra de demeurer en veille et ne pas répéter une longue période de
léthargie qui a duré près d’un demi-siècle !

82
Selon la presse nationale
83
Par exemple, le cas de Google France / Google Irlande cité dans cet article
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BIBLIOGRAPHIE

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République Française
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