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Les enjeux de la réforme fiscale

Noureddine BENSOUDA
Directeur Général des Impôts

Thème universel, la réforme fiscale a toujours fait l’objet de débats.


Aujourd’hui, sa mise en œuvre devient plus pressante et rallie tous les
suffrages, mais son contenu fait rarement l’unanimité. Le seul élément de
convergence est celui qui milite pour « une décroissance globale des
prélèvements fiscaux ». C’est d’ailleurs l’objectif affiché par toutes les
réformes engagées à travers le monde et le Maroc s’est inscrit dans cette
logique.

La libéralisation des économies et l’internationalisation des échanges ont été


à l’origine de cette tendance, qui met les systèmes fiscaux de la plupart des
Etats en concurrence. Notre pays, pour sa part, est attentif à l’incidence des
impôts sur l’efficacité de l’économie, dans la mesure où sa position dans la
compétition internationale en dépend.

La question est donc de savoir quels sont les objectifs de la réforme et


comment la mener, car « tout impôt a des effets complexes tant sur
l’efficacité globale de l’économie que sur la répartition des richesses et des
revenus ». 1

I- Les objectifs de la réforme :

On assiste à un mouvement généralisé de baisse des taux d’imposition. Le


Maroc s’est inséré dans ce sillage avec la ferme volonté de rendre son
système fiscal plus efficace économiquement et d’instaurer une plus grande
équité entre les contribuables.

1
Thierry de MONTBRIAL, « l’action et le système du Monde », éd. PUF, Paris 2002, p.314.

1
Par ailleurs, dans un contexte de plus en plus internationalisé, l’amélioration
de l’attractivité du pays devient un atout majeur auquel la fiscalité participe
incontestablement.

Ainsi, pour que le programme de réformes soit cohérent, il est important de


prendre en compte aussi bien les contraintes d’ordre interne qu’externe.
Dans ce cadre, il faut bien le souligner, l’augmentation du nombre de
paramètres qui entrent en jeu ne fait qu’accentuer la complexité de la
matière et rend les choix plus difficiles.

Avant de s’intéresser à la réforme présente, il est important de rappeler que


le Maroc a connu sa grande réforme fiscale dans les années 1980. En effet,
c’est la loi cadre adoptée en 1984 qui a programmé la mise en place
progressive du système fiscal actuel, articulé autour de l’introduction de la
taxe sur la valeur ajoutée en 1986, de l’impôt sur les sociétés en 1987 et de
l’impôt général sur le revenu en 1990.

Cette réforme résultait de la politique d’ajustement structurel imposée par


une crise aiguë des finances publiques et la nécessité de faire face aux
charges de la dette extérieure. L’amélioration du rendement fiscal constituait
alors l’un de ses principaux objectifs.

Parallèlement, le système incitatif, composé de codes d’investissement


couvrant la majorité des secteurs d’activité, a été réaménagé en 1988 dans
le sens d’une réduction des avantages fiscaux, et pour donner plus de
neutralité à l’impôt.

L’impôt retrouvait ainsi sa fonction classique qui consistait à procurer des


ressources pour couvrir les charges publiques.

Ce principe de neutralité n’a pas résisté longtemps aux multiples


sollicitations, puisqu’en 1996 a été institué une charte des investissements
prévoyant des mesures fiscales incitatives en faveur de certains secteurs
considérés comme prioritaires. Bien entendu, d’autres catégories de

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contribuables ont réagi exigeant, à leur tour, des avantages fiscaux qu’ils ont
fini par obtenir.

Tous ces régimes dérogatoires ont fini par altérer le sens de la réforme initiale
avec pour conséquence « une aggravation des distorsions économiques et
sociales ». L’impôt devenait de plus en plus interventionniste et l’équité
fiscale perdait tout sens face au pouvoir des groupes d’intérêts.

En fait, le principal défaut des régimes dérogatoires résulte du fait que leur
adoption n’est pas toujours le résultat d’une politique claire. Leur octroi, qui
ne procède pas toujours d’une logique socio-économique d’ensemble, et la
diversité des instruments utilisés (lois, règlement convention, accord-cadre,
charte, circulaire 2…) sont à l’origine d’une dispersion et d’un
chevauchement des avantages fiscaux.

C’est pour engager une réflexion sur le nouveau sens à donner à notre
système fiscal que des Assises nationales sur la fiscalité ont été organisées, en
novembre 1999. Cette rencontre, de deux jours, a permis de recueillir les avis
et positions de représentants politiques, experts fiscaux, opérateurs
économiques et universitaires marocains et étrangers sur l’évolution de notre
système fiscal.

Les recommandations issues de ces Assises ont commencé à être mises en


application rapidement. Ainsi, entre 2000 et 2001, certaines taxes cédulaires
ont été supprimées et d’autres intégrées dans l’impôt général sur revenu ou
l’impôt sur les sociétés.

Au fil des lois de finances, d’autres changements plus ou moins importants ont
été apportés au système fiscal. On peut citer, à cet égard, la refonte totale
des droits d’enregistrement en 2004. Ces derniers n’avaient pas été
concernés par la réforme fiscale des années 1980.

2
Loi de finances, accord cadre sur l’enseignement privé, convention d’investissements…

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Enfin, la révision du barème de l’impôt sur le revenu a été décidée en 2007.
Dans ce cas, il s’est plutôt agi d’une baisse des taux du barème que d’une
véritable réforme de l’impôt sur le revenu.

En fait, le taux marginal peut paraître élevé par rapport à ceux en vigueur
dans d’autres pays, mais il faut savoir que l’assiette de l’impôt sur le revenu
est fortement réduite par le jeu des abattements opérés. Cet élément est
souvent oublié lors des comparaisons internationales alors que le revenu
imposable n’est pas toujours calculé de la même manière d’un pays à
l’autre.

Cette modification de taux a permis de réduire la charge fiscale de


l’ensemble des contribuables soumis à l’impôt sur le revenu, sans pour autant
toucher aux différents abattements et déductions dont ils bénéficient, et
285 000 d’entre eux ont été ainsi totalement exonérés.

Cette mesure, qui a coûté 2,5 milliards de dirhams au budget de l’Etat a pu


être décidée grâce aux recettes fiscales exceptionnelles réalisées en 2006. En
effet, pour cette période, l’I.S. a augmenté de 28 %, l’I.R. de 4,6 %, la T.V.A.
de 30,7 % et les droits d’enregistrement de 13,7 %.

Ces réalisations sont incontestablement le fruit de l’élargissement de l’assiette


obtenu grâce aux mesures législatives adoptées dans les dernières lois de
finances et aux actions de l’administration.

Malgré les efforts accomplis dans ce domaine, pour certains, ces


changements ne sont que de simples aménagements techniques et ne
constituent pas des étapes dans la réforme.

Rappelons également le travail important de codification qui a été entrepris


ces dernières années et qui a abouti à l’adoption, en 2007, d’un code
général des impôts reprenant, dans un seul document, les principaux textes
fiscaux en vigueur.

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II- Le contenu et la démarche

Il importe, tout d’abord, de préciser qu’il n’existe pas, dans ce domaine en


particulier, de modèle qui soit valable pour tous les pays et en toute époque.
En effet, la réforme des années 1980 ne peut être identique à celle des
années 2000.

Chaque pays doit agencer ses impôts de sorte qu’ils soient compatibles avec
son niveau de développement, ses contraintes économique et sociale. Sur le
plan financier, le contexte actuel est plus favorable. Mais si les finances
publiques s’améliorent, les efforts doivent se poursuivre.

Il est clair que la contrainte budgétaire limite considérablement les possibilités


d’action en matière fiscale. En effet, même si les recettes fiscales
domestiques augmentent, la consolidation des finances publiques reste une
priorité pour les pouvoirs publics.

Alain JUPPE le disait clairement en septembre 1995 : « je ne sais pas réduire le


déficit, augmenter les crédits et baisser les impôts ».

Dans ce contexte, deux contraintes majeures, qui compliquent la conception


et la mise en œuvre de la réforme fiscale, doivent être prises en
considération :

- les besoins en développement économique et social sont importants et


s’ajoutent aux attentes de plus en plus fortes des citoyens ;

- la nécessité de compenser les pertes de recettes douanières résultant


du programme de démantèlement des barrières tarifaires (accords de
libre échange).

Ainsi, le contenu de la réforme dépend avant tout des moyens nécessaires à


son financement et qui peuvent être mobilisés, soit par une suppression des
régimes dérogatoires, soit par une rationalisation des dépenses publiques. Le
choix est donc à faire entre dépenses budgétaires et dépenses fiscales. Cette

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démarche implique au préalable un changement de culture imprégnant
aussi bien les décideurs que les citoyens.

Les dépenses, est-il nécessaire de le rappeler, sont généralement


incompressibles, même si un effort a été fait avec l’opération de départ
volontaire des fonctionnaires lancée, en 2004, par le Gouvernement et qui a
permis une réduction des dépenses de fonctionnement.

A l’heure actuelle, la réduction des dépenses fiscales apparaît comme la


meilleure option. En effet, avec un manque à gagner évalué à 21,5 milliards
de dirhams, en 2006, l’Etat dispose d’une marge de manoeuvre. Encore faut-
il préparer les esprits à la réforme et convaincre les bénéficiaires que celle-ci
doit nécessairement passer par la remise en cause des avantages fiscaux.

Elle constitue, en effet, une condition indispensable au changement,


puisqu’elle permet un élargissement de l’assiette susceptible de compenser
la perte de recettes découlant d’une réduction de taux d’imposition.

Pour progresser dans la mise en œuvre d’une véritable réforme fiscale, il faut
élaborer des projets et les évaluer en faisant deux choix préliminaires qui
touchent à la durée de la réforme et à sa conception.

Concernant la durée, il est utile de se demander si l’on doit s’engager dans


une stratégie de décroissance globale des prélèvements fiscaux sur une
période de temps plus ou moins longue ou, au contraire, engager une
réforme globale en une seule fois.

A priori, la démarche progressive apparaît comme la mieux adaptée à


notre contexte dans la mesure où elle permet au budget d’intégrer
graduellement les effets, souvent imprévisibles, engendrés par une baisse de
taux d’imposition.

Quant à la conception, c’est en réalité le cœur du sujet, puisque concevoir


une réforme n’est pas chose aisée et exige une démarche éprouvée.
Actuellement deux impôts sont à l’ordre du jour : la T.V.A. et l’I.S.

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La réforme de la T.V.A se poursuit, mais les contours du véritable
changement n’ont pas été bien définis. La suppression des exonérations est
un fait établi, reste à savoir si le délai pour y parvenir sera respecté compte
tenu des oppositions qu’elle soulève.

S’agissant de l’I.S., la réforme est nécessaire mais la question est de savoir si


l’on doit réduire les taux uniquement ou agir également sur la matière
imposable (l’assiette).

A ce propos, il est important de savoir que si l’on agit sur les deux
paramètres, en même temps, on peut parvenir à rapprocher le taux facial
du taux réel en gardant la pression fiscale inchangée. C’est en fait une
option car, au Maroc, les taux de l’I.S., comparés aux taux en vigueur
ailleurs, paraissent élevés mais cela est compensé par des bases fiscales qui
sont relativement étroites et des régimes dérogatoires avantageux.

La multiplicité des questions montre à quel point la démarche est


compliquée. Elle explique pourquoi, la fiscalité est le domaine où la
confrontation est forte entre les experts, qui s’intéressent au traitement
technique, et le pouvoir politique, traversé par des sensibilités diverses,
chargé d’arbitrer.

Pour ce faire, la comparaison avec d’autres pays, surtout ceux qui évoluent
dans notre environnement est nécessaire, mais sans être astreint à épouser la
même démarche. En effet, une surenchère dans la réduction de l’imposition
n’est pas une solution viable pour le Maroc.

Mais force est de constater que les systèmes fiscaux ont connu, ces deux
dernières décennies, des changements profonds qui ont contribué à les faire
converger et la tendance générale se caractérise par une baisse de la
pression fiscale.

En Allemagne, par exemple, le taux d’imposition global des entreprises est


ramené à 29,83% contre 39% précédemment. Cette baisse de taux a été

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adoptée après une hausse de 3 points de la T.V.A. en janvier 2007, passant
ainsi de 16% à 19%.

D’autres pays ont décidé de procéder à la diminution de l’I.S., en plusieurs


étapes ; c’est le cas de l’Espagne qui prévoit une baisse qui s’échelonnera
de 2007 à 2011 et qui ramènera le taux de l’I.S. de 35% à 30% pour les
grandes sociétés et de 30% à 25% pour les P.M.E.

En fait, la vraie problématique d’une réforme fiscale ne se résume pas à une


question de taux d’imposition, c’est principalement une question de niveau
de prélèvement fiscal par rapport au P.I.B.

D’ailleurs, il est des réalités statistiques que nous devrions prendre en compte
dans toute refonte devant être menée au Maroc et les chiffres dont nous
disposons le confirment clairement.

Il est donc important de souligner que les recettes fiscales proviennent d’un
nombre limité de contribuables. Ainsi, en 2006, 50 sociétés ont versé 56%
des recettes totales de l’I.S.

La part du secteur public représente à elle seule 17,5%, celle du secteur des
télécommunications 13,4%, soit un total de 30,9%. C’est dire l’étroitesse de
l’assiette imposable en matière d’impôt sur les sociétés.

Le même constat peut être fait en matière de T.V.A. à l’intérieur. En 2006, sur
les 50 sociétés citées précédemment, 32 seulement ont effectué des
versements qui ont atteint 48% des recettes totales de la T.V.A. Les 18
sociétés restantes n’ont fait aucun versement.

Il y a lieu de préciser à ce titre que le ratio TVA /PIB s’est maintenu pendant
une longue période autour d’un taux variant entre 5,6% en 1995 et 5,4% en
2000. Il n’a commencé à enregistrer une progression plus marquée qu’à partir
de 2005, date du début de la réforme de la T.V.A engagée en partenariat
avec l’Union Européenne.

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A cet égard, rappelons que dans les pays de l’O.C.D.E et de l’U.E,
l’augmentation de la fiscalité indirecte exprimée par le ratio TVA/PIB qui est
passé, à titre d’exemple, de 5,2% en 1995 à 6,3% en 2005 en Espagne, de
7,1% à 8,1% au Portugal et de 4,5% à 8,4% en Turquie, a favorisé la baisse de
la pression fiscale directe à partir des années 2000. Ainsi, le ratio I.S/P.I.B est
passé de 3,6% en 2000 à 3,2% en 2005 dans les pays de l’O.C.D.E.

Au Maroc, les résultats déjà obtenus en matière de T.V.A. confortent la


démarche suivie et militent pour la poursuite de la réforme en cours. Il
convient d’ajouter qu’à fin août 2007, le taux d’accroissement des recettes
totales de la T.V.A a atteint 23,1% dont 18,4% pour la T.V.A à l’intérieur et 27
% à l’importation.

Il est clair que les voies de réforme sont nombreuses et le Maroc doit trouver le
meilleur dosage entre les différents impôts qui fondent son système fiscal
pour, tout à la fois, garantir les ressources nécessaires au financement des
dépenses publiques, élargir la base imposable, assurer l’équité fiscale et
favoriser l’attractivité du pays.

La finalité du système fiscal dans sa globalité doit intégrer les finalités de


chaque impôt. En effet, tous les impôts n’ont pas la même portée et ne
poursuivent pas le même but. Les deux interventions qui vont suivre et qui
sont consacrées aux enjeux de la T.V.A et de l’I.S vont approcher le sujet dans
le détail.

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