Vous êtes sur la page 1sur 19

Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

LE CONTROLE FISCAL DES PRIX DE TRANSFERT AU MAROC :

APPROCHE COMPARATIVE AVEC LE REFERENTIEL OCDE

THE TAX CONTROL OF TRANSFER PRICING IN MOROCCO:


COMPARATIVE APPROACH WITH THE OECD GUIDELINES

Par

Tarik AIT EL MOUMEN

Doctorant à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales,


Souissi, Laboratoire de Recherche en Management des Organisations, Droit
des Affaires et Développement durable, Université Mohammed V-Rabat.
tarik.aitelmoumen@um5s.net.ma

&

Mustapha AIT KASSI

Professeur chercheur à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et


Sociales, Ain Chock, Membre du laboratoire Business, Intelligence et
Gouvernance des Organisations, Finance et Criminalité Financière,
Université hassan II-Casablanca.
mustapha.aitkassi@etu.univh2c.ma

&

Kaoutar EL MENZHI

Professeur Chercheure à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques


et Sociales, Souissi, Membre du laboratoire de Recherche en Management
des Organisations, Droit des Affaires et Développement durable, Université
Mohammed V-Rabat.
1
http://revues.imist.ma/?journal=FFI ISSN: 2489-1290
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

k.elmenzhi@um5s.net.ma

Résumé :

La fiscalité est considérée de plus en plus comme une préoccupation de haute


importance pour les entreprises, notamment les multinationales qui s’installent dans les
différents pays pour plusieurs raisons. Le présent article a pour objectif d’étudier la
thématique des prix de transfert qui constitue une problématique tant pour la filiale que pour
l’administration fiscale. Cependant les prix de transfert font systématiquement l’objet de
redressement lors de la vérification de la comptabilité d’une filiale installée au Maroc par
l’administration fiscale marocaine. A ce niveau plusieurs questions peuvent être posées : Quel
est le référentiel international régissant la problématique des prix de transfert ? Quelle est la
démarche et la logique marocaine en la matière, est-elle alignée avec la pratique
internationale ? Comment l’administration fiscale marocaine procède-t-elle aux redressements
des bases imposables dans le cadre d’un contrôle fiscal des prix de transfert ?

Mots clés : Prix de transfert, multinationales, OCDE, Fiscalité internationale, Principe de


pleine concurrence.

Abstract:

Taxation is increasingly a preoccupation for companies, especially multinationals that


set up business in different countries for a multitude of reasons. The purpose of this article is
to examine the topic of transfer pricing, whichis an issue for both the company's branch and
the tax authorities. However, transfer prices are always adjusted when the accounting of a
branch is audited by the Moroccan tax authorities, at this point several questions can be asked:
What is the international framework for transfer pricing problems? What is the Moroccan
approach and logic in this field, is it in accordance with international practice? How do the
Moroccan tax authorities adjust the taxable bases in the context of a transfer pricing tax
audit ?

Key-words :Transfer Princing, Multinationals, OECD, International Tax, Arm's length


principle.

2
http://revues.imist.ma/?journal=FFI ISSN: 2489-1290
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

INTRODUCTION

Selon l’OCDE1, le rôle des entreprises multinationales dans le commerce mondial


connaît un développement spectaculaire. Cela est prouvé par le fait que 70% des échanges
mondiaux sont le fait d’entreprises multinationales2.

Les prix de transfert sont les prix auxquels les services, les biens corporels et les biens
incorporels sont échangés entre parties ayant un lien de dépendance dans le cadre d’opérations
transfrontalières. Ces prix ont une incidence directe sur les bénéfices déclarés par chacune de
ces parties dans leur pays respectif.

La problématique des prix de transfert est née et s’est développée aux Etats-Unis.
Ensuite, elle s’est exportée, dans l’ordre chronologique, en Asie, au Canada, en Europe et
enfin, en Amérique latine. Les Etats-Unis jouent, en matière de prix de transfert, un rôle
précurseur.

Il en résulte que le Maroc ne peut rester insensible aux problèmes posés par les prix de
transfert. Outre la présence de nombreuses filiales de groupes américains, européens voire
même arabes, l’ouverture de l’économie qu’induira la multiplication des accords de libre-
échange ne peut que faire de la problématique des prix de transfert, un souci majeur, pour
l’administration fiscale marocaine3.

En matière du contrôle fiscal, la Direction générale des Impôts dispose en sa qualité


d’administration fiscale marocaine d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne les prix de
transfert pratiqués par les filiales, et ce à travers les dispositions fiscales prévues en la matière.

En vertu de ces dispositions, la Direction Générale des Impôts est en droit de procéder
à l’appréciation directe des prix pratiqués lors des transactions intra-groupes, sur la base des
informations dont elle dispose. Dans la pratique, elle utilise les indicateurs de profit net ci-
dessous :

- La marge d’exploitation ;
- Le résultat d’exploitation / Le chiffre d’affaires ;
- Le résultat d’exploitation / Les charges d’exploitation ;
- L’excédent Brut d’Exploitation
- La valeur Ajoutée ;
- La valeur Ajoutée / Le chiffre d’affaires.

Ainsi, afin de déterminer si un transfert indirect de bénéfice est opéré, la DGI compare
l’un de ces indicateurs réalisé par la filiale en vérification avec celui d’une autre entreprise
similaire.

1
Organisme de coopération et de développement économiques
2
PELLEFIGUE J. (2012), Théorie économique de la réglementation des prix de transfert, p.10, CHICHE M., du contrôle des
services fonctionnels à l’usage de la facturation interne, p.11, AMAR J. (2010), Mission de documentation des prix de
transfert en PME, p.9.
3
M. CHRAIBI, La problématique des prix de transfert (Mémoire pour l’obtention du diplôme national d’expert comptable,
ISCAE 2005)

3
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

Le présent article sera scindé en quatre parties. Nous allons, tout d'abord, étudier le
dispositif marocain et sa logique en matière de rectification des bénéfices indirectement
transférés vers l'étranger. Ensuite, il sera question de comparer ce dispositif avec la pratique
OCDE. Certaines limites de ce dispositif seront, par conséquent, relevées. Finalement, une
présentation des résultats de l'étude sera effectuée.

1. Méthodologie du travail
Pour bien mener ce travail nous avons suivi les étapes énoncées ci-dessous :

- Définition des contours du sujet : les prix de transfert constituent un sujet vaste,
d’actualité. Nous avons choisi de traiter en premier lieu l’aspect fiscal de la thématique,
cet aspect revêt une haute importance tant pour les administrations fiscales que pour le
contribuable.
- Préparation de la bibliographie : Cette étape consiste à effectuer une recherche
documentaire. Cette recherche repose essentiellement sur les articles scientifiques, les
publications de l’OCDE et les textes législatifs marocains en la matière.
- Travail sur le terrain : Pour éviter que l’étude ne soit confinée au niveau de la revue de
littérature théorique, nous avons effectué un travail sur terrain en collaboration avec un
cabinet de conseil fiscal « KPMG Maroc » qui fait partie des big four4, afin de
confronter la théorie avec la pratique. Dans ce sens, nous avons effectué des entretiens
avec des professionnels pour asseoir la justification du sujet.Ces professionnels ont
répondu généreusement à nos questions, et nous ont permis de pratiquer l’aspect fiscal
des prix de transfert à travers l’élaboration des projets de réponses pour le compte des
sociétés ayant fait l’objet d’un contrôle fiscal et dont la problématique des prix de
transfert a été relevée.

Finalement, le présent article ne peut prétendre l’exhaustivité, il n’a pas pour objectifs
de présenter la démarche du contrôle fiscal au Maroc, ni de présenter une démarche d’audit en
matière des prix de transfert.

2. Principaux travaux théoriques:


L’acte de naissance de l’étude moderne des prix de transfert est la parution, en 1956,
de l’article « on the Economics of transfer pricing» de Jack Hirshleifer. Son étude est fondée
sur le modèle simple d’une firme qui comporte deux divisions, un producteur et un
distributeur, s’échangeant un bien intermédiaire.

L’objectif consiste à construire une procédure de détermination du prix de ce bien


intermédiaire, telle que la maximisation du profit de chacune des divisions conduise à
maximiser le profit consolidé de l’entreprise. Le processus suivi par Hirshleifer consiste
d’abord à déterminer de manière centralisée le volume de production optimal pour le bien
intermédiaire, puis à calculer le prix de transfert qui incite chaque division à produire et à
vendre exactement ce volume.

4
Les quatre plus grands groupes d’audit et de conseil au niveau mondial.

4
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

Le modèle de base d’Hirshleifer traite la problématique de la détermination du prix de


transfert optimal abstraction faite de la variable fiscalité. Or, plusieurs auteurs vont par la
suite proposer des modèles qui tiennent compte de la taxation des opérations intra-entreprises.

Ainsi que, une transaction entre deux entreprises associées implantées dans deux pays
différents A et B donnera lieu a une opération de charge admise en déduction fiscale sur A et
un produit imposable en B. Cette situation, et avec les différences de taxation existantes entre
les pays peut pousser les entreprises associées à utiliser les prix de transfert comme canal de
transfert indirect de bénéfice vers les Etats à faible taux de taxation.

En conséquence, Gubert et Mutti (1991) ainsi que Hines et Rice (1991) constatent une
corrélation négative entre les bénéfices déclarés par les IDE américains et les taux de taxation.
Ces résultats ont été confirmés par Huizinga et Laeven (2005) pour les entreprises
européennes. De même Clausing (2001-2006) utilisait les données sur les prix de transfert des
entreprises américaines et leurs filiales pour montrer que les transactions intra-groupe
réagissent aux différences de taxation contrairement aux prix des opérations sur le marché
libre.

De plus, l’étude réalisée par Overesch (2006) sur les données des entreprises
allemandes, montre la sensibilité des prix de transfert aux différences de taxation, et leur
utilisation comme canal de transfert de bénéfice.

De son tour, Senjaya Lall (1973) affirme dans son article que si les taux d’imposition
entre les Etats sont égaux, il n’y a aucune raison d’utiliser délibérément les prix de transfert
pour transférer des bénéfices d’un pays à l’autre.

Néanmoins, le Maroc ne peut rester insensible aux problèmes posés par les prix de
transfert. Outre la présence de nombreuses filiales de groupes américains, européens voire
même arabes, l’ouverture de l’économie qu’induira la multiplication des accords de libre-
échange ne peut que faire de la problématique des prix de transfert, un souci majeur, pour
l’administration fiscale marocaine.

3. La pratique OCDE en matière des prix de transfert


La présentation de la pratique internationale en matière des prix de transfert est faite
en se référant au manuel de l’OCDE5 relatif aux principes applicables en la matière à
l’intention des administrations fiscales et des contribuables. Cependant, ce manuel propose les
méthodes qui peuvent être utilisées pour déterminer si les conditions qui régissent les relations
commerciales ou financières entre entreprises associées sont conformes au principe de pleine
concurrence6. Ces méthodes visent toujours à trouver la méthode la plus appropriée dans un
cas spécifique sachant qu’il n’existe pas de méthode qui soit utilisable en toutes circonstances.

3.1. Méthodes traditionnelles fondées sur les transactions

5
Principes de l’OCDE applicables en matière des prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des
administrations fiscales.
6
Norme internationale qui, comme l’ont convenu les pays membres de l’OCDE, doit être utilisée pour la détermination des
prix de transfert à des fins fiscales.

5
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

Les méthodes traditionnelles fondées sur les transactions sont utilisées pour appliquer le
principe de pleine concurrence. Il s’agit de la méthode du prix comparable sur le marché libre,
de la méthode du prix de revente et de la méthode du coût majoré.

Tableau 1: Présentation des méthodes traditionnelles

Méthode Principe Remarques

La méthode du prix comparable Pour appliquer cette


sur le marché libre consiste à méthode, il faut identifier
comparer le prix d’un bien des situations comparables,
transféré ou d’un service, dans le compte tenu des
cadre d’une transaction contrôlée caractéristiques des biens
à celui d’un bien ou d’un service et des services en cause,
transféré, dans des conditions des fonctions exercées et
comparables. S’il existe une des risques assumés, des
Prix comparable sur différence entre ces deux prix, clauses contractuelles, de la
le marché libre cela peut indiquer que les situation du marché et de la
« Comparable conditions des relations stratégie des entreprises.
uncontrolled price » commerciales et financières entre
les entreprises associées ne sont
pas des conditions de pleine
concurrence.

La méthode du prix de revient Cette méthode est plutôt


majoré consiste, comme son nom adaptée à des transactions
l’indique, à facturer avec une portant sur des produits
marge, tout ou partie des coûts de dont l’essentiel de la valeur
la société livrant des est constitué par les coûts
marchandises ou rendant des de production. C’est le cas
services à une société liée. Elle notamment des produits
suppose la définition d’une base semi-ouvrés qui, ne
de coûts à facturer ainsi qu’un trouvant pas de
niveau approprié de marge à comparables sur le marché,
Méthode du prix de appliquer à ces coûts. Selon les peuvent être valorisés en
revient majoré commentaires OCDE, cette appliquant une marge sur
« Cost plus » méthode convient lorsque des leur total de coûts.
produits semi-finis sont vendus
entre des entreprises associées,
lorsque des entreprises associées
ont conclu des accords de mise en
commun d’équipements ou
d’approvisionnement à long terme
ou lorsque la transaction

6
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

contrôlée est une prestation de


service.

Source : Par nos soins

3.2. Les méthodes transactionnelles de bénéfice


On peut identifier trois groupes de méthodes:

- La méthode du partage des bénéfices ;


- La méthode transactionnelle de la marge nette ;
- La méthode de répartition par formule préétablie.

Tableau 2 : Présentation des méthodes transactionnelles de bénéfice

Méthode Principe Remarques


Comme son nom l’indique, la La méthode de partage des
méthode de partage des bénéfices bénéfices ne se fonde pas,
consiste à partager un bénéfice en général, sur des
Partage des entre des sociétés liées. La transactions comparables et
bénéfices répartition se fait, en fonction peut, par conséquent, être
d’une base économiquement utilisée, dans des cas où de
valable, dans un accord réalisé en telles transactions n’ont pas
pleine concurrence. été identifiées.

La méthode transactionnelle de la Il n’est pas nécessaire de


marge nette consiste à déterminer, déterminer les fonctions
à partir d’une base appropriée exercées et les risques
Transactionnelle de (par exemple, les coûts, les ventes assumés par toutes les
la marge nette ou les actifs) la marge entreprises associées.
bénéficiaire nette que réalise une L’analyse repose sur une
entreprise, au titre d’une seule entreprise.
transaction contrôlée.

La méthode de la répartition Cette méthode repose


globale selon une formule généralement sur une
préétablie consiste à répartir les combinaison des coûts, des
Répartition globale bénéfices globaux d’un groupe actifs, des salaires et des
selon une formule multinational sur une base ventes.
préétablie consolidée entre les entreprises
associées localisées dans
différents pays au moyen d’une
formule prédéterminée et

7
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

automatique.

Source : Par nos soins

Il est en général conseillé de n’avoir recours à ces méthodes que lorsque les méthodes
précédentes, fondées sur les transactions et les marges de profit brutes, ne peuvent être
appliquées de manière suffisamment fiable. Ces méthodes sont plus souples quant au critère
de comparabilité.

3.3. Analyse de comparabilité


L’application du principe de pleine concurrence se fonde sur une comparaison entre
les conditions pratiquées pour une transaction entre entreprises associées et celles pratiquées
pour une transaction entre entreprises indépendantes. Pour qu’une telle comparaison soit
significative, il faut que les caractéristiques économiques des situations prises en compte
soient suffisamment comparables. En d’autres termes, il ne doit pas y avoir de différences
entre les situations comparées pouvant influer sur le prix ou la marge bénéficiaire ou alors des
correctifs peuvent être utilisés pour éliminer l’incidence des différences7.

Dans ce cadre, l’analyse de comparabilité a toujours pour objectif de trouver les


comparables les plus fiables. Par conséquent, lorsqu’il est possible de déterminer que
certaines transactions sur le marché libre ont un degré de comparabilité inférieur à d’autres,
elles devraient être éliminées. Pour que le processus soit transparent, l’OCDE considère
comme bonne pratique,le fait pour un contribuable qui utilise des comparables afin d’étayer
ses prix de transfert ou pour une administration fiscale qui utilise des comparables pour étayer
un ajustement des prix de transfert, de fournir des justificatifs adéquats permettant à l’autre
partie intéressée (contrôleur d’impôt, contribuable…) d’évaluer la fiabilité des comparables
employés.

De ce qui précède, les lignes directrices de l’OCDE en matière des prix de transfert
décrivent le processus8 type d’une analyse de comparabilité qui se compose de neuf étapes.
Ce processus est considéré comme une bonne pratique, mais n’est pas obligatoire, et tout
autre processus de recherche permettant d’identifier des comparables fiables peut être
acceptable car ce qui importe le plus, c’est la fiabilité des résultats plutôt que la procédure
suivie. De plus, suivre le processus proposé par le référentiel OCDE ne garantit pas que le
résultat soit conforme au principe de pleine concurrence, et ne pas le suivre ne signifie pas
que le résultat ne sera pas conforme à ce principe. Toujours à ce niveau-là, dans la pratique,
ce processus n’est pas linéaire. Certaines étapes doivent parfois être mises en œuvre à
plusieurs reprises jusqu’à parvenir à une conclusion satisfaisante, c'est-à-dire jusqu’à ce que la
méthode la plus appropriée soit sélectionnée.

3.4. Documentation

7
Rapport OCDE, version 2017
8
Chapitre III des principes OCDE applicables en matière de prix de transfert

8
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

L’action 13 du plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le


transfert de bénéfices (Plan d’action BEPS) appelait à l’élaboration de « règles applicables à
la documentation des prix de transfert » afin d’accroître la transparence pour l’administration
fiscale, en tenant compte des coûts de discipline pour les entreprises9. On pourra notamment
imposer aux multinationales de communiquer à tous les pouvoirs publics concernés les
informations requises sur leur répartition mondiale du revenu, de l’activité économique et des
impôts payés dans les différents pays, conformément à un modèle commun. Cette obligation
est mise en place afin d’aboutir à trois objectifs à savoir :

- Evaluation par le contribuable de la conformité de sa situation au principe de pleine


concurrence : Cet objectif peut être étayé de deux façons importantes. Premièrement,
les administrations fiscales peuvent demander que les contribuables s’acquittent de
leurs obligations de documentation des prix de transfert de manière immédiate.
Autrement dit, la documentation serait préparée au moment de la transaction ou, en
tout état de cause, plus tard au moment où est complétée et soumise la déclaration
fiscale établie au titre de l’exercice durant lequel la transaction a eu lieu. La seconde
façon de favoriser le respect de la réglementation consiste à mettre en place des
régimes de sanctions en matière de prix de transfert destinés à encourager la
préparation en temps voulu d’une documentation des prix de transfert précise, et à créer
des incitations pour que les contribuables examinent de manière approfondie en temps
voulu leurs propositions en matière de prix de transfert.
- Evaluation des risques liés aux prix de transfert : Cela consiste pour les administrations
fiscales à identifier et d’évaluer efficacement les risques liés aux prix de transfert afin
de sélectionner les dossiers qui méritent de faire l’objet d’une vérification ou d’une
enquête, et d’axer ces procédures sur les questions les plus importantes. Dans la mesure
où les administrations fiscales disposent de ressources limitées, il est important qu’elles
déterminent avec précision, dès le tout début d’une procédure pouvant déboucher sur
un contrôle, si les dispositifs de prix de transfert d’un contribuable méritent un examen
approfondi et la mobilisation de ressources importantes par les autorités fiscales.
- Vérification des prix de transfert : Cet objectif consiste à fournir aux administrations
fiscales des informations utiles pour réaliser une vérification approfondie des prix de
transfert. Les procédures de vérification des prix de transfert tendent à mettre en jeu un
très grand nombre d’éléments. Elles passent souvent par des évaluations difficiles de la
comparabilité de plusieurs transactions et marchés. Elles peuvent exiger l’examen
approfondi d’informations financières, factuelles et sectorielles. La disponibilité
d'informations adéquates provenant de sources diverses au cours de la procédure de
vérification est essentielle pour faciliter un examen méthodique par l’administration
fiscale des transactions contrôlées du contribuable avec des entreprises associées, et
d’application des règles en vigueur en matière de prix de transfert.

Afin de réaliser les objectifs décrits ci-dessus, les pays devraient adopter une approche
normalisée de la documentation des prix de transfert. L’action 13 propose une structure à trois
niveaux qui consiste en un fichier principal contenant:

9
BEPS action 13 sur la documentation des prix de transfert

9
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

- Des informations normalisées relatives à l’ensemble des membres du groupe


multinational considéré ;
- Un fichier local faisant spécifiquement référence aux transactions importantes du
contribuable local ;
- Une déclaration pays par pays contenant certaines informations relatives à la
répartition mondiale des bénéfices de l’entreprise multinationale et des impôts qu’elle
acquitte, accompagnées de certains indicateurs concernant la localisation des activités
du groupe multinational considéré.

4. Evolution de la législation marocaine en matière des prix de transfert


Au Maroc, la thématique des prix de transfert est régie par le CGI10 et la Note
Circulaire N°717.
Nous consacrons cette partie pour la présentation du dispositif marocain en matière
des prix de transfert. En premier lieu, nous ne manquerons pas de rappeler le contenu de
chaque article régissant la matière. En second lieu, nous présenterons l’interprétation des
dispositions de chaque article.
4.1. Pouvoir d’appréciation
Selon le paragraphe 2 de l’article 213 du CGI : « Lorsqu'une entreprise a directement
ou indirectement des liens de dépendance avec des entreprises situées au Maroc ou hors du
Maroc, les bénéfices indirectement transférés, soit par voie de majoration ou de diminution
des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont rapportés au résultat fiscal et /ou
au chiffre d’affaires déclarés.

En vue de cette rectification, les bénéfices indirectement transférés comme indiqué ci-dessus,
sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires ou par voie
d’appréciation directe sur la base d’informations dont dispose l’administration. »

De ce fait, La Direction Générale des Impôts dispose en sa qualité d’administration


fiscale du pouvoir d’appréciation en ce qui concerne les prix de transfert pratiqués par les
entreprises marocaines ayant des liens de dépendance avec des entreprises situées au Maroc et
à l’étranger. Dans ce cadre, l’administration fiscale marocaine peut, conformément aux
dispositions dudit article précité, procéder au redressement de la base imposable suite à un
transfert de bénéfice ainsi comme suit11 :

- Soit par la comparaison avec des entreprises similaires ;


- Soit à travers les informations dont dispose la Direction Générale des Impôts en cas
d’absence de comparables.

Il y a lieu de préciser que le champ d’application de cet article concerne, outre les
opérations transfrontalières, les opérations Morocco-marocaines, sous la réunion des deux
conditions suivantes :

10
Code Général des Impôts version 2020
11
Note circulaire 717, Tome III

10
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

- Le caractère anormal des prix pratiqués doit être dûment justifié ;


- Le transfert des bénéfices doit être motivé par l’intention d’éluder l’impôt.

Ainsi, cette justification n’est valablement admise que lorsque le transfert des
bénéfices s’opère :

- D’une entreprise bénéficiaire vers une entreprise déficitaire


- Ou d’une entreprise bénéficiaire vers une entreprise bénéficiant d’un régime fiscal de
faveur (exonération ou taux réduit).
4.2. Droit de communication :
Le paragraphe numéro 3 de l’article 214 du CGI stipule : « Pour les opérations
effectuées avec des entreprises situées hors du Maroc, l’administration des impôts peut
demander à l’entreprise imposable au Maroc communication des informations et documents
relatifs :
1) A la nature des relations liant l’entreprise imposable au Maroc à celle située hors du
Maroc ;
2) A la nature des services rendus ou des produits commercialisés ;
3) A la méthode de détermination des prix des opérations réalisées entre lesdites
entreprises et les éléments qui la justifient ;
4) Aux régimes et aux taux d’imposition des entreprises situées hors du Maroc.
La demande de communication est effectuée dans les formes visées à l’article 219 ci-
dessous. L’entreprise concernée dispose d’un délai de trente (30) jours suivant la date de
réception de la demande précitée pour communiquer à l’administration les informations et les
documents demandés.
A défaut de réponse dans le délai susvisé ou de réponse ne comportant pas les
éléments demandés, le lien de dépendance entre ces entreprises est supposé établi ».
Ainsi, l’article 214 prévoit l’obligation pour les entreprises imposables au Maroc de
communiquer à l’administration fiscale sur sa demande, les informations et documents
concernant les opérations effectuées avec des entreprises situées hors du Maroc. Cette mesure
s’inscrit dans le cadre de l’exercice du droit de communication, en vue d’établir l’existence de
liens de dépendance, et le cas échéant, de contrôler les bénéfices transférés à l’étranger.
Toutefois jusqu'en 2018, le législateur marocain ne parlait pas de la notion de « prix de
transfert » dans ses articles, il traitait en gros les opérations effectuées avec des entreprises
installées hors du Maroc. Il n’a donc pas délimité les contours d’application de ces
dispositions aux prix de transfert, ainsi qu’aucune disposition n’a été dédiée au traitement
direct de la problématique des prix de transfert dans l’article 210 du CGI relatif au droit de
contrôle attribué à l’administration fiscale marocaine.
Néanmoins, de nouvelles mesures ont été apportées par la loi des finances 2019, il
s’agit de l’insertion d’un paragraphe dans l’article 210 relatif à une nouvelle obligation du
contribuable vis-à-vis à l’administration fiscale lors de l’exercice de son droit de contrôle.
Ainsi, le législateur marocain a procédé à l’activation des textes législatifs donnant la

11
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

possibilité aux entreprises de conclure au préalable un accord sur les prix de transfert. Cette
mesure permettra au Maroc de gagner quelques points vis-à-vis des investisseurs étrangers.
Également, la loi de finance 2020 apporte une nouveauté concernant l’approbation de l’accord
multilatéral portant sur l’obligation des sociétés qui entrent dans le champ de l’application de
ladite loi de préparer un document dit « déclaration pays par pays ».
4.3. Documentation lors du contrôle :
Selon le nouveau paragraphe inséré dans l’article 210 du CGI : « Les entreprises ayant
des liens de dépendance directe ou indirecte avec des entreprises situées hors du Maroc,
doivent mettre à la disposition de l’administration fiscale la documentation permettant de
justifier leur politique de prix de transfert, visée à l’article 214-III ci-dessous, à la date de
début de l’opération de vérification de la comptabilité12 »
En effet, l’alinéa 4 de l’article 210 du CGI permet à la Direction Générale des Impôts
de renforcer son droit de communication en matière des prix de transfert, et ce par le biais de
l’obligation du contribuable à produire une documentation complète décrivant la politique et
les méthodes utilisées lors des transactions intra-groupe.
Les documents visés s’entendent de tout justificatif permettant d’évaluer la méthode
utilisée pour fixer les prix de transfert entre les filiales d’un groupe auquel appartient la
structure faisant l’objet du contrôle fiscal. La documentation en question est censée permettre
au fisc d’avoir une idée sur la répartition des bénéfices et un panorama des activités du groupe
à l’échelle internationale. Cette procédure vise également à évaluer les transactions entre les
filiales d’un même groupe.
4.4. Accord Préalable sur les Prix de transfert :
Avant de rappeler du contenu des articles régissant l’APP, il est légitime de présenter
une définition de ce terme. Les lignes directrices de l’OCDE en matière des prix de transfert
définissent l’APP en tant qu’un accord qui fixe préalablement à des transactions entre
entreprises associées, un ensemble approprié de critères tels que la méthode de calcul, les
éléments de comparaison ainsi que les correctifs à y apporter et les hypothèses de base
concernant l’évolution future.
En effet, les éléments susvisés permettent la détermination des prix de transfert
appliqués à ces transactions au cours d’une période déterminée. Un accord de fixation
préalable de prix de transfert peut être unilatéral lorsqu’il ne fait intervenir qu’une seule
administration fiscale et un contribuable ou multilatéral lorsqu’il fait intervenir l’accord de
deux ou plusieurs administrations fiscales.
Cette mesure est appliquée à partir du 1 janvier 2019, elle a pour objectif d’assurer une
sécurité juridique et une stabilité de l’environnement fiscal. Elle consiste à instituer au niveau
du titre premier du livre II concernant les procédures fiscales du CGI, un chapitre V dédié à la
procédure d’accord préalable en matière des prix de transfert. Ce chapitre est subdivisé en
deux articles 234 bis et 234 ter.

12
Code Général des Impôts, version 2020

12
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

Selon le nouveau article, 234 bis du CGI : « Les entreprises ayant directement ou
indirectement des liens de dépendance avec des entreprises situées hors du Maroc, peuvent
demander à l’administration fiscale de conclure un accord préalable sur la méthode de
détermination des prix des opérations mentionnées à l’article 214-III ci-dessus pour une durée
ne dépassant pas quatre (4) exercices. Les modalités de conclusion dudit accord sont fixées
par voie réglementaire ».
Par ailleurs, en application des dispositions de l’article 234 bis, l’entreprise ayant
directement ou indirectement des liens de dépendance avec des entreprises situées hors du
Maroc et qui désire conclure un accord préalable sur les prix de transfert sur la méthode de
détermination de ces prix pour des opérations effectuées avec lesdites entreprises ainsi que les
éléments qui la justifient, doit déposer au siège de l’administration fiscale une demande et ce,
au moins six mois avant l’ouverture de l’exercice concerné par l’accord.
Préalablement, au dépôt de sa demande, il est recommandé à l’entreprise de se
rapprocher des services compétents de l’administration fiscale pour examiner les conditions
dans lesquels l’accord pourra être conclu, notamment le type et la nature des informations
nécessaires à l’analyse de la politique des prix de transfert, le calendrier prévisionnel des
réunions, ainsi que les questions relatives aux modalités de conclusion de l’accord.
De plus, l’article 234 ter stipule : « L’administration fiscale ne peut remettre en cause
la méthode de détermination des prix des opérations mentionnées à l’article 214-III ci-dessus
ayant fait l’objet d’un accord préalable avec une entreprise, conformément aux dispositions de
l’article 234 bis ci-dessus. Toutefois, l’accord est considéré comme nul et de nul effet depuis
sa date d’entrée en vigueur dans les cas suivants :
- La présentation erronée des faits, la dissimulation d’informations, les erreurs ou
omissions imputables à l’entreprise ;
- Le non-respect de la méthode convenue et des obligations contenues dans l’accord par
l’entreprise ou l’usage de manœuvres frauduleuses ».
Néanmoins, l’article 234 ter souligne les garanties octroyées aux entreprises en
précisant que l’administration fiscale peut remettre en cause l’accord conclu avec les
entreprises sur la méthode convenue, dans le cas où l’entreprise présente des données
erronées, dissimule des informations, ou ne respecte pas la méthode stipulée et les obligations
contenues dans l’accord.
Le fait de signer un accord préalable sur les prix de transfert pour une période de
quatre ans ne met pas à l’abri de la vigilance de l’administration fiscale. Toutefois,
l’entreprise ayant conclu un APP doit déposer annuellement à l’entité chargée des APP au
siège de la Direction Générale des Impôts un rapport de suivi. De plus, le défaut de
production du rapport annuel et documents y annexés stipulés dans l’accord, peut entraîner
son annulation à compter de l’exercice au titre duquel les éléments exigés n’ont pas été
présentés à l’administration fiscale.
4.5. Déclaration pays par pays
Selon le premier paragraphe de l’article 154 ter du CGI : « Toute entreprise soumise à
l’impôt sur les sociétés au Maroc et remplissant les conditions du deuxième alinéa ci-après,
13
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

est tenu tenue de déposer auprès de l’administration fiscale, dans les douze (12) mois suivant
la clôture de l’exercice comptable, par procédé électronique selon un modèle établi par
l’administration, une déclaration dite « déclaration pays par pays », comportant la répartition
pays par pays des données fiscales et comptables et des informations sur l’identité, le lieu de
l’exercice et la nature des activités relatives au groupe d’entreprises multinationales auquel
elle appartient… »
Suite à l’adhésion du Maroc au cadre inclusif pour la mise en œuvre du projet sur
l’érosion de la base imposable et le transfert de bénéfice, le Maroc est engagé à mettre en
œuvre la norme minimale de l’action 13 relative à la déclaration pays par pays. Voilà
pourquoi la loi de finance a complété les dispositions de l’article 154 ter afin d’instituer
l’obligation pour les groupes d’entreprises multinationales de déposer cette déclaration
conformément aux dispositions dudit article. Cette nouvelle déclaration a pour objet
d’informer la Direction Générale des Impôts sur les données fiscales, comptables, l’identité et
la nature des activités relatives au groupe d’entreprises multinationales auquel appartient
l’entreprise marocaine.
5. Comparaison avec la pratique internationale :
Dans cette partie, nous sommes sur le point de traiter les points de divergence et de
convergence entre l’arsenal marocain en matière des prix de transfert et la pratique OCDE,
plus précisément au niveau du contrôle et la vérification des prix de transfert.

Tableau 3 : Points de convergence et de divergence avec la pratique OCDE

Les points de divergence Les points de convergence

Les pratiques internationales décrivent Les deux dispositifs adoptent le principe


étape par étape le processus type pour de concurrence comme référence afin
procéder aux études comparatives afin de d’apprécier les prix utilisés lors des
mettre en œuvre le principe de pleine transactions intragroupes.
concurrence. Or le dispositif marocain ne
précise pas en quoi le contribuable doit
veiller afin de se conformer aux
dispositions des articles traitant la
problématique des prix de transfert.

Le rapport de l’OCDE dispose de manière L’administration fiscale marocaine se base


détaillée des correctifs et des ajustements sur les études comparatives afin de
devant s’appliquer afin d’aboutir à une redresser les sociétés faisant l’objet de
comparaison fiable et juste. Exemple : vérification en matière des prix de
ajustement du fonds de roulement. transfert.
Le dispositif marocain ne prévoit ni
ajustements ni correctifs afin de fiabiliser
l’étude comparative.

14
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

Les pratiques internationales mettent les Le dispositif marocain prévoit la


entreprises dans l’obligation de fournir une possibilité de conclure avec la Direction
documentation détaillée afin de permettre Générale des Impôts un accord préalable
aux administrations fiscales d’évaluer les en matière des prix de transfert, et ce à
risques liés aux prix de transfert. Or, travers l’insertion de deux nouveaux
l’administration fiscale marocaine ne articles.
dispose pas de circulaire décrivant les
obligations du contribuable en matière de
documentation des prix de transfert.

Le référentiel international prévoit des


considérations particulières applicables
aux actifs incorporels et aux services, aux
services de faibles valeurs ajoutées entre
les entreprises associées.

Les pratiques internationales disposent


d'alternatives applicables en cas d’absence
de transaction comparable sur le marché
libre afin de vérifier le respect du principe
de pleine concurrence.
Source : Par nos soins

6. Résultat de l’étude
Dans le cadre de ce travail de recherche nous avons, en collaboration avec le cabinet
KPMG-Maroc, effectué une étude pratique sur le contrôle fiscal des prix de transfert. Étalée
sur trois mois, l’étude a été concrétisée par des entretiens réguliers avec les consultants
fiscaux du cabinet et par la consultation et l’étude des dossiers d’une dizaine de sociétés ayant
fait l’objet d’un contrôle fiscal en matière des prix de transfert. Plus du tiers de ces sociétés
opèrent dans le secteur commercial.

Par ailleurs, la Direction Générale des Impôts procède aux redressements en matière
des prix de transfert à travers la comparaison directe avec des entreprises qu’elle considère
comme similaires. Or être comparable signifie qu’aucune des différences éventuelles entre les
situations comparées ne pourrait influer de manière significative sur l’élément examiné de
point de vue méthodologique. Ainsi en cas d’existence de ces différences le service
vérificateur doit effectuer des ajustements et des correctifs visant à fiabiliser l’approche
comparative de l’Inspecteur Vérificateur. Or nous avons constaté l’insuffisance, voire
l’absence de l’utilisation de ces ajustements malgré les différences entre les éléments
comparés. Ainsi, le service vérificateur de l’administration fiscale marocaine procède à
l’utilisation de comparables non nationaux en absence de données lui permettant de procéder
en toute connaissance de cause à une comparaison fiable. Les caractéristiques qui doivent être

15
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

prises en compte par le service vérificateur sont : La localisation géographique, les


dimensions des marchés, le degré de concurrence, le pouvoir d’achat des consommateurs, le
niveau de l’offre et de la demande sur l’ensemble du marché.

Toujours dans ce cadre, et en matière de limitation des charges intragroupes, nous


avons observé que le service vérificateur procède à la limitation de certaines charges qui sont
liées au niveau d’activité des sociétés sous prétexte que lesdites charges génèrent des marges
déficitaires. Or, il est légitime de chercher d’autres éléments exogènes ayant causé aux
sociétés des résultats déficitaires.

En outre, durant la période de collaboration avec « KPMG Maroc », nous avons


constaté qu’une grande partie des redressements effectués par le service vérificateur sont à la
base des prix de transfert. Ceci montre qu’ils posent un véritable souci aux multinationales
ainsi qu’à l’administration fiscale marocaine.

Figure 5 : Répartition des redressements opérés par l'Inspecteur Vérificateur

Autres redressements
8%

Redressement
relatif aux
des prix de transfert
92%

Source: par nos soins

Il y a lieu de signaler que, face aux contraintes dictées par la durée limitée de
collaboration avec le cabinet et par les délais nécessaires à l’aboutissement de la procédure du
traitement du dossier par la CNRF13, nous n’avons pas pu suivre ces dossiers en assistant à
leurs examens par les membres de cette instance pour être fixés sur le sort du litige soumis à
son appréciation. Cependant, la curiosité et le désir du savoir nous ont poussés d’aller
recueillir des informations dans les dossiers similaires sur lesquels la CNRF a déjà statué.

Ainsi, les investigations effectuées ont permis de constater que pour la plupart des
dossiers vérifiés des grandes entreprises, notamment les multinationales, le règlement du litige
les opposant à l’administration fiscale se fait dans le cadre d’un arrangement à l’amiable
négocié entre les deux parties tant que la CNRF ne statue pas sur le litige. En effet, l’option
pour ce genre d’accord tient compte des considérations suivantes :

13
Commission Nationale du Recours Fiscale

16
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

- Pour le contribuable, il lui permet d’économiser le temps et les coûts inhérents aux
délais des recours devant les différentes instances compétentes (CNRF, tribunal…),
comme il lui offre une opportunité d’établir des bonnes relations avec l’administration.
- Pour l’administration fiscale, en premier lieu elle lui permet d’atténuer l’impact négatif
des délais des traitements de dossiers devant les instances sur les recettes fiscales, ainsi
elle préfère encaisser aujourd’hui un montant négocié qu’attendre des années pour un
encaissement incertain. En second lieu, elle permet d’offrir au contribuable la
possibilité d’activer le règlement du litige l’opposant à l’administration pour se
consacrer à l’exercice de ses activités et d’encourager l’attractivité des investisseurs
étrangers au Royaume.

Enfin, nous avons également relevé qu’en matière du contrôle fiscal des
multinationales, deux principaux redressements ont un caractère répétitif à savoir : les
redressements en matière des prix de transfert des biens importés et la limitation des charges
(frais de siège).

Conclusion

A la lumière des dossiers étudiés, nous avons constaté que l’approche adoptée par
l’administration fiscale marocaine dans le cadre du contrôle fiscal présente des limites et des
insuffisances et ce pour le manque d’objectivité, et le non-respect des règles et des préalables
de comparabilité édictées par l’OCDE. Ceci est de nature à compromettre le principe de
comparabilité qui est le seul outil permettant d’apprécier les politiques des prix de transfert
par la Direction Générale des Impôts. Par ailleurs, le régime fiscal marocain en la matière ne
dispose pas d’un processus type à appliquer afin de mettre en œuvre l’analyse de
comparabilité. Nous avons constaté la négligence de l’ensemble des circonstances du
contribuable (mauvaise conjoncture du marché, dégradation du pouvoir d’achat…) qui
consiste à analyser le secteur d’activité, la concurrence, les facteurs économiques et
réglementaires qui permettent au service vérificateur de mieux comprendre le contribuable et
son environnement.

En définitive les relations entre les sociétés d’un même groupe doivent respecter ce
que Jérôme Turot14 appelle la règle de « l’égoïsme sacré ». Ainsi et afin d’atténuer l’effet des
limites précitées, l’administration fiscale marocaine devrait augmenter les diligences vis-à-vis
des contribuables opérant dans des secteurs tels que l’industrie, tout en veillant à maintenir le
niveau d’attractivité du Maroc vis-à-vis des capitaux étrangers. Cette attractivité est étayée par
le biais de l’alignement avec les pratiques internationales visant à lutter contre la fraude et
l’évasion fiscale.

14
Avocat français et membre du Cercle des fiscalistes

17
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

Références Bibliographiques :

Ouvrages:

Carasco P.Y, (2016), Prix de transfert et stratégies d’optimisation fiscale de la firme


multinationale, Paris, France : L’Harmattan

Daluzeaux X., Gelin S., Gibert B., Le boulanger A., (2016), Prix de transfert : détermination,
justification et gestion des différends, France : Francis Lefebvre.

Articles scientifiques :

Hirshleifer J., On the Economics of Transfer Pricing, The journal of Business, (Jul., 1956),
Vol. 29 N°3, P.172-184.

Hines J. R., Lessons from Behavioral Responses to International Taxation, National Tax
Journal, June 1999, Vol 52, N°2, P.305-322.

Clausing K. A., Tax-motivated transfer pricing and US intrafirmtradeprices, Journal of


Public Economics, Dec 2003, Vol 87, P.2207-2223.

Madiès T., Prix de transfert optimaux et comportement stratégique des multinationales,


Recherches Economiques de Louvain, 2003, Vol 69, P. 387-406.

Overesch M., Transfer Pricing of Intrafirm Sales as a profit shifting Channel- Evidence from
Germanfirm data, Centre for european Economic research, Dec 2006.

Hines J. R., Rice E. M., Fiscal Paradise : Foreign Tax Havens and American Business, The
Quarterly Journal of Economics, Feb 1994, Vol 109, P.149-182.

Grubert H., Mutti J., Taxes, Tariffs and Transfer Pricing in Multinational Corporate Decision
Making, The Review of Economics and Statistics, May 1991, Vol 73, N°2, P.285-293.

Lall S., Transfer Pricing by multinational manufacturing firms, Oxford Bulletin of Economics
and Statistics, Aug. 1973, Vol. 35 N°3, P. 173-195.

Rapports gouvernementaux :

OCDE. (2017), Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des


entreprises multinationales et des administrations fiscales.

OCDE. (2015), Projet G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices,
Rapports finaux.

OCDE. (2015), Projet G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices,
Exposé des actions.

Direction Générale des Impôts. (2020), Code Général des Impôts.

Direction Générale des Impôts (2008), Note circulaire N°717 Tome I.

18
Finance & Finance Internationale Volume 1, N°23 janvier 2022

Direction Générale des Impôts (2019), Note circulaire N°72.

Mémoires et thèses :

Chraibi M. (2005), La problématique des prix de transfert, mémoire pour l’obtention du


diplôme national d’expert-comptable, ISCAE.

Magali Guimaraes De F. (2010), les prix de transfert pratiqués par entreprises transnationales
françaises et brésiliennes de 1994 à 2010 « cas des droits de la propriété incorporelle », thèse
pour l’obtention du grade docteur, Université Paris-Est.

Articles de presse :

El Arif H. (2019), Prix de transfert : le fisc bétonne son droit de communication,


L’économiste, https://www.leconomiste.com/article/1039426-prix-de-transfert-le-fisc-
betonne-son-droit-de-communication

El Arif H. (2019), Tout sur les prix de transfert, L’économiste,


https://www.leconomiste.com/article/1054702-tout-sur-les-prix-de-transfert

El Arif H. (2020), Prix de transfert : les nouvelles règles du jeu, L’économiste,


https://www.leconomiste.com/article/1070044-prix-de-transfert-les-nouvelles-regles-du-jeu

Masmoudi K. (2018), Prix de transfert : L’accord préalable ne protège pas du contrôle,


https://www.leconomiste.com/article/1038397-prix-de-transfert-l-accord-prealable-ne-
protege-pas-du-controle

19

Vous aimerez peut-être aussi