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cinéma
Christophe Germann
Dans Revue internationale de droit économique 2004/3 (t. XVIII, 3), pages 325 à 354
Éditions Association internationale de droit économique
ISSN 1010-8831
ISBN 2-8041-4451-8
DOI 10.3917/ride.183.0325
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à l’exemple du cinéma
Christophe GERMANN*
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1 Introduction
2 Commerce contre culture
3 L’état de la situation à l’OMC et à l’UNESCO
3.1 Les biens et services culturels à l’OMC
3.1.1 Qualification du cinéma comme bien ou service
3.1.2 Le régime du GATT
3.1.3 Le régime du GATS
3.1.4 Le régime des subventions
3.2 Les initiatives du Conseil de l’Europe et de l’UNESCO
3.3 Évaluation critique de l’avant-projet de convention sur la diversité culturelle de
l’UNESCO
4 Conclusions
Summary
* Avocat aux barreaux de Genève et Zurich, DEA (Master) en Études européennes (Université de
Genève), collaborateur scientifique à l’Institut de droit européen et de droit international économique
(IEW) de l’Université de Berne ; contact : info@germann-avocats.com ou christophe.germann
@iew.unibe.ch.
1 INTRODUCTION
Cette contribution aborde la question de la diversité culturelle au sein de l’Organi-
sation mondiale du Commerce (OMC) et de l’Organisation des Nations Unies pour
l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) après la Conférence ministérielle de
Cancún d’automne 2003, cela à la lumière du secteur audiovisuel et plus précisément
du régime juridique applicable aux biens et services cinématographiques. Il s’agit
d’un état des lieux sommaire de ce domaine du point de vue du droit et de l’économie
du commerce international ainsi que du droit de la diversité culturelle.1 De nombreu-
ses appréciations factuelles et de considérations juridiques et économiques dévelop-
pées ici pourront être appliquées par analogie aux autres domaines relevant des
industries dites « culturelles », à savoir le livre et la musique. En effet, ces moyens
d’expression font l’objet de reproduction, de distribution et de diffusion à grande
échelle, qui généralement les destinent également à l’exportation. Par conséquent, ils
tombent sous le champ d’application des règles de l’OMC, en premier lieu les accords
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GATT (commerce international des biens), GATS (commerce international des
services) et TRIPs (propriété intellectuelle liée au commerce international). Dans une
perspective plus large, il en ira de même pour les secteurs de l’éducation et des médias
en général, qui constituent également des biens et services soumis aux disciplines de
l’OMC tout en possédant une signification qui dépasse substantiellement la logique
purement marchande. Dans le contexte actuel de la mondialisation économique et de
la libéralisation du commerce, le postulat de la diversité culturelle représente ainsi un
univers vaste et complexe à explorer au niveau des faits et à composer au niveau du
droit.
Dans la troisième partie de cet article, nous analyserons les démarches adoptées
jusqu’à présent au sein de l’UNESCO, d’autres organisations vouées à la cause de la
culture, et de l’OMC. En particulier, nous analyserons de manière critique l’avant-
projet de convention internationale sur la protection de la diversité des contenus
culturels et des expressions artistiques de juillet 2004, qui a été élaboré par un groupe
d’experts en diversité culturelle mandatés par le Directeur général de l’UNESCO.
Cet avant-projet et les résultats de la procédure de consultation dont il fera l’objet
serviront de base au projet de convention qui sera soumis à la Conférence générale
de l’UNESCO en 2005.
1. Pour un aperçu en anglais de certains points traités dans cette contribution lire Christophe Germann,
Content Industries and Cultural Diversity : The Case of Motion Pictures, dans : Cultural Diversity
and Sustainable Developement, Culturelink (éd.), numéro spécial 2002/2003, p. 97-140
(www.culturelink.org). Cf. également Christophe Germann, Diversité culturelle et cinéma : une
vision pour un pays en voie de développement, dans : Libre-échange contre diversité culturelle : les
négociations de l’OMC en matière d’audiovisuel, Christoph Beat Graber et al. (éd.), Zurich 2004,
p. 77-108.
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investissements, d’une part, le principe du traitement national, en obligeant les
parties contractantes à concéder aux investisseurs étrangers les mêmes avantages
qu’aux investisseurs nationaux, et, d’autre part, la clause de la nation la plus favorisée
(NPF) qui exige d’appliquer le même traitement à tous les investisseurs étrangers. De
plus, il était prévu d’empêcher l’application de normes de performance particulières
(« performance measures ») aux investisseurs et un règlement multilatéral des
différends était proposé. L’application de clauses d’exception et de réserves avait
également été envisagée. Les thèmes controversés englobaient notamment l’impact
de l’accord sur l’environnement, sur les droits du travail, et, spécialement, sur la
capacité des gouvernements à appliquer des politiques de développement et de
promotion des secteurs stratégiques comme celui des industries culturelles. Finale-
ment, la France s’est retirée de cette négociation pour diverses raisons y compris son
désaccord avec le traitement envisagé des politiques culturelles. Dans une certaine
mesure, l’échec du projet d’AMI a mis en évidence le fait que le secteur de la culture
était l’un des points de friction névralgiques dans les négociations sur le commerce
international.4
2. Cf. Protocoles d’accession des nouveaux Membres depuis 1995, y compris les engagements
concernant les marchandises et les services (avril 2004), sur : http://www.wto.org/english/thewto_e/
acc_e/completeacc_e.htm#list.
3. Voir le tableau des engagements spécifiques concernant le secteur des services audiovisuels dans
l’accord GATS (état : novembre 2001) chez Christoph Beat Graber, Audiovisual Media and the Law
of the WTO, dans : Christoph Beat Garber et al. (éd.), Libre-échange contre diversité culturelle : les
négociations de l’OMC en matière d’audiovisuel, Bâle / Genève 2004, p. 23.
4. UNESCO, Culture, commerce et mondialisation – Questions et réponses, ad point 20, sur : http://
www.unesco.org/culture/industries/trade/html_fr/question20.shtml. Pour un aperçu des critiques
émises de la part des milieux cinématographiques, cf. Bruno Richaud, 3e Forum du Cinéma européen
de Strasbourg, dans : ecranoir.fr, sur : http://www.ecrannoir.fr/dossiers/ami/europe.htm (visité le 15
juin 2004).
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sur la diversité culturelle que l’UNESCO est en train d’élaborer. Après une longue
absence pour des raisons politiques, les États-Unis ont réintégré cette organisation en
2003 et y figurent à nouveau comme l’un des principaux bailleurs de fonds. On peut
s’attendre à ce que ce pays exerce de grandes pressions en vue d’empêcher
l’UNESCO d’adopter une convention en la matière, susceptible de promouvoir de
manière efficace et efficiente le postulat de la diversité culturelle vis-à-vis des règles
régissant le libre-échange.
L’oligopole des grands studios de la production et de la distribution cinémato-
graphique américaine, les multinationales d’Hollywood communément dénommées
« majors »,8 dont la majeure partie appartient à des groupes de sociétés dominant le
marché du divertissement, de l’information et de la culture à l’échelle planétaire,
induit le gouvernement des États-Unis à exercer de fortes pressions sur les autres pays
aux niveaux multilatéral et bilatéral en vue de libéraliser ce secteur et de renforcer la
protection de la propriété intellectuelle y afférente.9 En même temps, cet oligopole
5. Pour un aperçu, cf. OMC, Sur la Route de Doha et au-delà, Genève 2002, sur : http://www.wto.org/
french/res_f/booksp_f/roadtodoha_f.pdf.
6. Communication du Japon, The Negotiations on Trade in Services, S/CSS/W/42 (22 décembre 2000),
paragraphes 36-37, Communication du Canada, Initial Canadian Negotiating Proposals, S/CSS/W/
46 (14 mars 2001) et S/CSS/W/46/Corr.1 (23 mars 2001), Communication des États-Unis,
Audiovisual and Related Services, S/CSS/W/21 (18 décembre 2000), Communication du Brésil,
Audiovisual Services, S/CSS/W/99 (9 juillet 2001) et Communication de la Suisse, GATS 2000 :
Audiovisual services, S/CSS/W/74 (4 mai 2001) ; pour une brève analyse, lire Christoph Beat
Graber, Audiovisual Media and the Law of the WTO, op. cit., p. 16ss.
7. Doc. OMC S/C/W/40.
8. Actuellement : Walt Disney Company, Sony Pictures Entertainment Inc., Metro-Goldwyn-Mayer
Inc., Paramount Pictures Corporation, Twentieth Century Fox Film Corp., Universal Studios Inc. et
Warner Bros. ; voir www.mpaa.org pour les liens vers ces entreprises.
9. Cf. le site du groupe de pression des majors, la Motion Picture Association of America :
www.mpaa.org.
Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO 329
est activement engagé à soutenir les groupes de pression locaux présentant des
intérêts en commun avec les multinationales d’Hollywood.10 Toutefois, il sied de
mettre en exergue que la question de la diversité culturelle va au-delà de la relation
entre Hollywood et le reste du monde. Elle touche à l’essence même du rôle de l’État
vis-à-vis des industries culturelles dans la Société de l’information. À maintes
reprises durant l’histoire centenaire du cinéma, les pouvoirs publics ont joué un rôle
problématique dans ce domaine. Il suffit de citer comme exemple le cinéma allemand
et italien pendant le nazisme et le fascisme.
À la racine, la discussion porte sur la question de la nature du cinéma :
l’audiovisuel est-il une simple marchandise (« divertissement »), comme l’affirment
les États-Unis, ou possède-t-il une spécificité (« culture ») qui empêcherait de le
soumettre aux règles régissant communément le libre-échange ? En d’autres termes,
y a-t-il par exemple une différence entre le film antisémite « Jud Suess » de Veit
Herlan, qui a été un véritable « blockbuster » durant le régime nazi,11 et la voiture
Volkswagen, également un grand succès commercial dès la même époque ? – Il nous
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semble évident que l’impact du film « Jud Suess » sur les pensées et les émotions des
spectateurs est plus profond et plus néfaste que l’influence d’une Volkswagen sur
l’esprit et les sentiments des consommateurs de voitures. Ce sont le cinéma, le livre
et la musique, c’est-à-dire les biens et services des industries culturelles, qui nous ont
fait croire que les Martiens sont verts. Cet exemple est trivial, mais il est révélateur
de la propagation de préjugés de type raciste, qui ont toujours été présents dans
l’histoire du cinéma : c’est le « Jud Suess » qui a fait croire aux populations soumises
aux forces de l’Axe que les Juifs avaient les caractéristiques que leur attribuaient les
antisémites. Plus tard, ce sont les films « Western » qui ont célébré le génocide des
Indiens d’Amérique. Aujourd’hui se pose la question de l’image que propose
l’oligopole des grands studios hollywoodiens aux spectateurs de la planète par
rapport aux Arabes, Africains, Chinois, Asiatiques ou Latino-Américains. Ces
exemples illustrent l’une des plus graves dérives, face aux populations civiles, de la
représentation unique répandue par des films provenant d’une seule origine cultu-
relle largement homogène.
La jurisprudence de l’OMC touchant aux biens et services culturels se limite à
ce jour à un différend résolu par un Rapport du Groupe spécial et de l’Organe d’appel,
« Canada – Certaines mesures concernant les revues périodiques »12 et à une
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Conseil de l’Europe au niveau régional et l’UNESCO au niveau international. Le
dossier de l’audiovisuel stagne à l’OMC où les négociations sur les subventions, sur
les engagements à accorder le traitement national, sur la levée des exemptions au
principe de la nation la plus favorisée et sur l’introduction de règles multilatérales sur
la concurrence en la matière apparaissent comme bloquées. On peut, par contre,
constater aujourd’hui une nouvelle dynamique à ce sujet à l’UNESCO, qui est train
d’élaborer une convention sur la diversité culturelle.17 Si cette organisation veut
garder l’initiative, il lui faudra toutefois présenter un instrument à la hauteur des
règles du droit de l’OMC dont la mise en œuvre efficace et efficiente depuis
maintenant une décennie est remarquable en droit international public.
Vu la situation actuelle du marché cinématographique, la viabilité économique
des productions indépendantes dépend dans une très large mesure de l’aide publique.
Cette viabilité économique est nécessaire pour promouvoir et préserver la diversité
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majorité. Cette réalité ne touche pas seulement des individus, mais des sociétés
entières, ce qui ressort de manière exemplaire d’une constatation statistique sur les
échanges de biens et services culturels, formulée dans un rapport d’étude d’août 2004
intitulé « Les industries culturelles des pays du Sud : enjeux du projet de convention
internationale sur la diversité culturelle », établi par d’Almeida/Alleman avec la
collaboration de Miège/Wallon pour le compte de l’Agence intergouvernementale
de la Francophonie et du Haut Conseil de la Francophonie :
« Ce déséquilibre des échanges commerciaux de biens culturels et sa concentration sont
particulièrement manifestes dans les secteurs du cinéma, de la télévision, de la musique
et de l’édition.
Pour le cinéma, 13 pays assurent 80 % de la production et des échanges. Les États-Unis
sont le premier ou le deuxième partenaire de la plupart des pays en ce qui concerne
l’importation de films (66 pays sur 73 ayant des données statistiques disponibles sur la
période 1994-1998). Les recettes sur le marché mondial des majors concernant les films
américains atteignent 10,85 milliards de dollars en 2003, soit une augmentation de 5 %
par rapport à l’année précédente. Les films et émissions de télévision proviennent des
États-Unis à hauteur de 85 %. La plupart des pays importent plus de films qu’ils n’en
exportent. Font exception 8 pays dont l’Inde, la Chine et des pays comme les Philippines
et le Mexique.
Dans le domaine de la musique, quatre compagnies majeures dominent le marché
mondial : Sony (Japon) et BMG (Allemagne) récemment fusionnées, Universal (France),
EMI (Royaume-Uni) et Time Warner (USA) contrôlent 80 % du commerce de la
musique.
L’essentiel du commerce mondial des livres et imprimés (25,6 milliards de dollars en
1998) est le fait de 13 pays : États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Espagne,
Belgique, Pays-Bas, Canada, Singapour, Hong-Kong, Chine, Mexique et Colombie. Les
États-Unis et les pays d’Europe de l’Ouest contribuent à hauteur de 67 % de ce secteur. »18
18. P. 23, avec référence à PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2004, et UNESCO,
332 Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO
Il découle de ces chiffres que les facteurs de création et de production ainsi que les
facteurs de consommation de nombreuses et diverses origines culturelles sont
empêchés de se connaître au travers de biens et services culturels à cause de facteurs
de commercialisation imposant des biens et services culturellement largement
homogènes.
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culturelle qui se situerait sur pied d’égalité avec le droit du libre-échange. Elle a pour
but de développer une cohérence entre ces deux domaines juridiques au moyen d’un
dialogue jurisprudentiel entre l’UNESCO et l’OMC aux effets contraignants pour les
États.
Flux internationaux des biens culturels, 1980-1998, 2000. Ce rapport est disponible sur :
www.agence.francophonie.org.
19. Dans le cas particulier des services audiovisuels, le mode de prestation visé à l’art. 1 al. 2 lit a) GATS,
à savoir la fourniture d’un service en provenance du territoire d’un Membre et à destination du
territoire d’un autre Membre, pourrait en principe subir un blocage ou un brouillage de la
transmission de données. À des fins de censure, la Chine aurait ainsi empêché la transmission de
certains contenus étrangers par internet au moyen de procédés d’interception. En théorie, les États
pourraient utiliser ce genre de techniques pour prélever des droits de douane.
20. Voir supra note 13.
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Luxembourg, les Pays-Bas, l’Espagne et le Royaume-Uni, et une autre demande
concernant la directive « Télévision sans frontières » à la Communauté européenne,
faisant valoir dans les deux cas que les dispositions des textes en question concernant
les quotas de télévision européens étaient incompatibles avec leurs engagements aux
termes du GATT. En acceptant de donner suite à cette demande de consultations, la
Communauté européenne expliqua clairement qu’elle le faisait sous toutes réserves,
considérant qu’il s’agissait là d’une question relevant du commerce des services et
non pas du GATT.24
La distribution de copies faites sur place et leur projection peuvent être égale-
ment qualifiées de services. Dans ce cas, seul le support de base (copie négative,
« internegative » ou « master » vidéo) traverse physiquement la frontière, ce qui
réduit le commerce des biens en question à une seule unité, voire un nombre réduit
d’unités, tandis que la reproduction se fait à l’intérieur du territoire de destination. La
base pour les copies peut être également transmise par internet, soit par diffusion
terrestre, par câble ou par satellite, à savoir par un mode relevant du commerce des
services. Ces exemples illustrent la difficulté croissante de distinguer entre biens et
services pour les besoins de qualification juridique. Cette problématique ressort
notamment du cas « Canada – Revues périodiques » dans lequel le groupe spécial et
21. Turquie – Taxation de revenus de films étrangers, WT/DS43/3, Notification d’une solution
mutuellement acceptée, 24 juillet 1997.
22. Voir supra note 14.
23. Cf. Thomas Cottier, Die völkerrechtlichen Rahmenbedingungen der Filmförderung in der neuen
Welthandelsorganisation WTO-GATT, dans : ZUM Sonderheft 1994, p. 2, avec références à la
jurisprudence communautaire ; voir l’affaire 155/73 Ministère public c. G. Sacchi, [1974] ECR, 409,
410 ss.
24. GATT, doc. DS4/4, 8 novembre 1989 ; Ivan Bernier, Les exigences de contenu local au cinéma, à
la radio et à la télévision en tant que moyen de défense de la diversité culturelle : théorie et réalité,
p. 11.
334 Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO
l’Organe d’appel ont conclu à l’application parallèle des règles régissant les biens et
les services.25
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en précisant que le principe du traitement national ne peut pas avoir pour effet
d’interdire aux États de maintenir des contingents à l’écran favorisant la projection
des films d’origine nationale. Cette disposition renvoie à l’art. IV en vertu duquel les
Membres peuvent prévoir des quotas d’écrans en faveur des films nationaux
uniquement. Ces quotas constituent le seul obstacle quantitatif non tarifaire admis-
sible sous l’empire du GATT. Selon l’art. IV GATT, les Membres peuvent établir ou
maintenir une réglementation quantitative intérieure sur les films cinématographi-
ques, qui devra remplir certaines conditions énumérées dans cette disposition. Ainsi,
la lettre b) stipule qu’il ne pourra, ni en droit, ni en fait, être opéré de répartition entre
les productions de diverses origines pour la partie du temps de projection qui n’a pas
été réservée, en vertu d’un contingent à l’écran, aux films d’origine nationale. Cette
base ne permet donc pas l’instauration de contingents à l’importation des films
d’origine étrangère, mais uniquement des mesures internes de contingents à l’écran.
Cette condition interdit donc de causer une diversité de l’offre cinématographique au
moyen de contingents à l’écran, seule la protection du contenu local étant admissible,
cela sous réserve de droits acquis en vertu de la lettre c). En outre, selon la lettre d),
les contingents à l’écran devront faire l’objet de négociations tendant à en limiter la
portée, à les assouplir ou à les supprimer. Cette règle articule un compromis trouvé
dans le GATT de 1947 pour résoudre les tensions entre les États-Unis et les pays ayant
introduit des contingents à l’importation et des contingents d’écran pour protéger
25. OMC, Rapport de l’Organe d’appel, Canada – Certaines mesures concernant les revues périodiques,
WT/DS31/AB/R (30 juin 1997), para. IV ; voir également OMC, Rapport de l’Organe d’appel,
Communauté européenne – Régime pour l’importation, la vente et la distribution de bananes, WT/
DS27/AB/R (9 septembre 1997), para. IV.C.1.
26. OMC, Rapport de l’Organe d’Appel, « Communautés européennes – Classifications douanières de
certains équipements d’ordinateur », WT/DS62/AB/R, WT/DS67/AB/R, WT/DS68/AB/R, 5 juin
1998, paragraphes 74-99.
27. V. Rapport du Groupe spécial, « Turquie – Restrictions à l’importation de produits textiles et de
vêtements », WT/DS34/R, 31 mai 1999, paragraphe 9.63.
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quantitative n’est plus admissible dans le domaine du cinéma.31
28. Lire David Puttnam, The Undeclared War : The Struggle for Control of the World’s Film Industry,
New York / London 1997.
29. Lire Christoph Beat Graber, Audiovisual Media and the Law of the WTO, op. cit., p. 47-50.
30. Cottier, op. cit., p. 3.
31. Lire Cottier, ibid., au sujet des exceptions « grandfathering » qui étaient applicables en Suisse jusqu’à
l’entrée en vigueur du GATT 1994.
32. Il s’agit des États-Unis, de la République Centrafricaine, de la République Dominicaine, du
Salvador, de la Gambie, de Hong Kong, de l’Inde, d’Israël, du Japon, du Kenya, de la Corée, du
Lesotho, de la Malaisie, du Mexique, de la Nouvelle-Zélande, du Nicaragua, du Panama, de
Singapour et de la Thaïlande.
33. Les six sous-catégories englobent (1) production et distribution de cinéma et de vidéo, (2) services
de projections cinématographiques, (3) services de radio et de télévision, (4) services de transmission
par radio et télévision, (5) enregistrement de sons et (6) divers.
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pèse sur l’un des intérêts fondamentaux de la société. À notre avis, on peut soutenir
que le risque d’anéantissement systématique des identités culturelles et de la diversité
culturelle dans le domaine audiovisuel (« iconocide »), qui se répercute sur la
diversité des opinions et expressions, constitue une telle menace. Sur la base du
principe de précaution, les États peuvent prendre des mesures appropriées pour parer
à ce risque. Ce principe représente une sauvegarde contre des risques potentiels qui
ne sont pas, ou pas encore, identifiables dans la situation actuelle des connaissances
scientifiques. Il permet, en l’absence de certitude scientifique et en cas de risque de
dommage grave ou irréversible, de prendre des mesures pour empêcher un tel
dommage. Il implique donc une obligation de prendre des mesures dans certaines
circonstances. Dans le contexte de l’OMC, l’approche de précaution est considérée
comme un moyen de défense, c’est-à-dire comme une justification que l’on peut
alléguer pour imposer des restrictions commerciales ou ne pas respecter des obliga-
tions imposées par l’OMC. Toutefois, selon la doctrine dominante, le principe de
précaution n’est pas reconnu comme faisant partie du droit coutumier international
au stade actuel. Pour cela, il devrait remplir deux conditions : la pratique doit être
34. Ces 33 exemptions couvrant les services audiovisuels ont été inscrites par les pays suivants :
Australie, Autriche, Bolivie, Brésil, Brunéi Darussalam, Bulgarie, Canada, Chili, Colombie, Cuba,
Chypre, République tchèque, Équateur, Égypte, Communauté européenne, Finlande, Hongrie,
Islande, Inde, Israël, Liechtenstein, Nouvelle-Zélande, Norvège, Panama, Pologne, Singapour,
République slovaque, Slovénie, Suède, Suisse, Tunisie, États-Unis et Venezuela. Les huit exemp-
tions NPF de portée générale susceptibles d’avoir une incidence sur les services audiovisuels ont été
inscrites par le Salvador, la Malaisie, le Pérou, les Philippines, la Sierra Leone, la Thaïlande, la
Turquie et les Émirats Arabes Unis.
35. Doc. OMC, Conseil du Commerce des services, Note d’information du Secrétariat du 15 juin 1998
(S/C/W/40), p. 9.
36. Voir pour la liste des engagements spécifiques supra note 3.
Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO 337
uniforme et la notion doit prévaloir que cette pratique est suivie parce qu’elle est
acceptée comme étant le droit (ou opinio juris).37
À titre de comparaison, l’exception de l’art. XIV a) GATS s’avère plus complète
que l’exception figurant dans l’art. XX a) GATT puisqu’elle ajoute l’objectif du
maintien de l’ordre public. Cette disposition semble laisser une marge de manœuvre
importante aux Membres de l’OMC dans la définition de ce qu’est un intérêt
fondamental de la société. Cela peut être la protection des droits de l’homme comme
le maintien d’un système de sécurité sociale ou la conservation d’une culture et de
traditions.38 Le Conseil exécutif de l’UNESCO articule dans son Étude préliminaire
sur les aspects techniques et juridiques relatifs à l’opportunité d’un instrument
normatif sur la diversité culturelle, la signification de celle-ci comme suit :
« L’accélération du processus de mondialisation a fait surgir de nouveaux enjeux pour la
diversité culturelle, auxquels la communauté internationale s’est efforcée de répondre en
adoptant en novembre 2001 la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité
culturelle. Pour la première fois, la diversité culturelle a été reconnue comme “patrimoine
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commun de l’humanité”, dont la défense a été jugée un impératif éthique et concret,
inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. La notion de “diversité”
rappelle que la pluralité est le vivier nécessaire des libertés, que le pluralisme culturel
constitue de ce fait la réponse politique au fait même de la diversité culturelle, et qu’il est
indissociable d’un cadre démocratique. Dans ce contexte, la liberté d’expression, le
pluralisme des médias, le multilinguisme et l’égalité d’accès pour toutes les cultures aux
expressions artistiques, au savoir scientifique et technologique et la possibilité pour
celles-ci d’être présentes dans les moyens d’expression et de diffusion constituent des
garants essentiels de la diversité culturelle. Enfin, les politiques culturelles, véritable
moteur de la diversité culturelle, doivent créer les conditions propices à la production et
à la diffusion de biens et services culturels diversifiés. (…) Les articles 1 à 6 de la
Déclaration universelle sur la diversité culturelle établissent le lien entre la défense de la
diversité culturelle et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en
particulier les droits culturels, pour ce qui a trait notamment aux droits des personnes
37. Gabrielle Marceau, Le principe de précaution et les aspects juridiques de l’OMC, dans : Réseau
Environnement de Genève (éd.), La précaution de Rio à Johannesbourg : Programme des Nations
Unies pour l’environnement, Travaux d’une table ronde organisée par le Réseau Environnement de
Genève, Genève 2002, p. 26. ; cf. également du même auteur, Le principe de précaution et les règles
de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dans : Institut des hautes études internationales
(éd.), Le principe de précaution et le droit international, Paris 2001.
38. David Luff, Le droit de l’Organisation mondiale du Commerce, Analyse critique, Bruylant,
Bruxelles 2004, p. 651. On peut s’inspirer ici de la jurisprudence française en matière d’ordre public
dans le domaine du droit international privé concernant le droit moral de John Huston en relation avec
le film « Asphalt Jungle » dans l’affaire Angelica Huston / Turner Entertainment Co du 28 mai 1991
(Cour de cassation, [1992] ECC 334). Selon les juges de la Cour de cassation, la violation du droit
moral de l’auteur par une mutilation de son œuvre à des fins commerciales (coloriage d’un film
tourné en noir et blanc) viole l’ordre public international du point de vue français. Ce jugement place
les considérations de nature non économique au-dessus des considérations commerciales. Bien qu’il
s’agisse d’une jurisprudence nationale en matière d’ordre public dans le domaine du droit interna-
tional privé, elle pourrait inspirer une jurisprudence supra-nationale de droit international public.
338 Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO
On peut présumer que les États qui sont parties à la Déclaration universelle sur la
diversité culturelle partagent l’interprétation du Conseil exécutif sur l’importance de
l’objet de cet instrument. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que ces États
qualifieront la diversité culturelle comme partie intégrante de leur ordre public au
sens de l’art. XIV a) GATS en cas de litige ayant trait à une restriction du commerce
international de services audiovisuels basée sur des considérations de politiques
culturelles.
En outre, il faut relever un autre moyen de défense de la diversité culturelle dans
le cadre des règles de l’OMC que la doctrine en la matière n’a guère évoqué jusqu’à
présent : l’art. IX en relation avec l’art. VIII GATS donne certains moyens de droit
pour s’opposer à des pratiques commerciales de fournisseurs de services, autres que
ceux relevant d’un monopole d’État au sens de l’art. VIII GATS, qui peuvent limiter
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la concurrence et par là restreindre le commerce des services. Dans ce cas, le Membre
concerné devra se prêter à des consultations en vue d’éliminer ces pratiques, qui ne
sont toutefois pas susceptibles de faire l’objet de la procédure de règlement des
différends. À la lumière de la situation d’oligopole, notamment sur le marché
américain du cinéma, qui conditionne dans une certaine mesure la situation sur de
nombreux autres marchés nationaux, les États voulant sérieusement mettre en œuvre
la diversité culturelle devraient aujourd’hui envisager d’entammer une procédure au
sens de l’art. IX GATS à l’encontre des États-Unis. En effet, sur la base des
statistiques pertinentes et d’une bonne compréhension du fonctionnement de l’indus-
trie cinématographique des États-Unis, on doit conclure à un contrôle des facteurs de
distribution sur les facteurs de production et de consommation.40 Ce contrôle pourrait
39. Étude préliminaire du Conseil exécutif de l’UNESCO du 12 mars 2003 sur les aspects techniques
et juridiques relatifs à l’opportunité d’un instrument normatif sur la diversité culturelle, Doc.
UNESCO, 166 EX/28, points 2 et 13.
40. Dans cette optique, il s’agit en premier lieu de tenir compte du phénomène dit de « la stratégie des
blockbusters », c’est-à-dire la commercialisation de films qui jouissent d’un budget de 50 millions
de dollars en moyenne pour leur distribution et leur marketing (« stars, print & advertisement » –
vedettes, copie et publicité). Selon les données statistiques de la Motion Picture Association of
America (MPAA), le groupe de pression (« lobby ») de l’oligopole des majors américaines, les sept
studios ont produit et distribué 220 films en 2002. Les coûts moyens de production s’élevaient à USD
58,8 millions par film. Les coûts moyens de production des filiales des majors spécialisées dans la
production de films aux ambitions artistiques plus poussées (« studios classics divisions ») s’éle-
vaient cette même année à USD 34 millions. Le coût moyen, pour les copies et la publicité, par film
produit et distribué par les majors s’élevait à USD 30,62 millions (USD 3,31 millions pour les copies
et USD 27,31 millions en publicité ; ces montants ont atteint USD 39 millions en 2003), tandis que
celui de leurs filiales « classics divisions » à USD 11,18 millions (USD 1,42 millions en copies et
USD 9,76 en publicité ; en 2003, ces montants ont atteint USD 14,67 millions). À noter que ces
données statistiques saisissent les investissements liés aux vedettes (« stars ») sous la rubrique coûts
de production (« negative costs »). Les acteurs américains les plus cotés peuvent aujourd’hui
Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO 339
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tions à la production peuvent donner lieu à une action. Sans être prohibées, elles
peuvent être contestées par le biais soit du mécanisme multilatéral de règlement des
différends, soit d’une mesure compensatoire, au cas où elles auraient des effets
défavorables pour les intérêts d’un autre Membre. En cas de litige concernant l’aide
au cinéma, les États-Unis auraient à prouver des effets défavorables. Cet exercice
apparaît à première vue comme difficile à la lumière des parts de marché substantiel-
les des films américains, qui évincent les films locaux partout dans le monde, même
ceux qui sont subventionnés. Le cas échéant, des subventions conséquentes, notam-
ment financées par des impôts et autres contributions prélevés au secteur audiovisuel,
risquent d’être remises en cause au regard du droit de l’OMC, limitant ainsi la marge
de manœuvre des États en matière culturelle.
Deux catégories de subventions sont prohibées aux termes de l’article 3 de
l’Accord SMC. Les premières sont les subventions subordonnées, en droit ou en fait,
négocier des salaires entre 20 et 30 millions de dollars. La valeur marchande des stars est assimilable
à celle des marques (« trademarks »). Pour tenir compte de cette réalité économique, il faudrait, à
notre avis, ajouter les investissements en stars aux dépenses en copies et publicité, ce qui donne des
investissements moyens de USD 50 millions pour le marketing (« stars, print & advertisement »)
d’un seul blockbuster, et de USD 20 millions pour le marketing d’un film de la catégorie « classics ».
Les rémunérations des stars sont typiquement investies par les producteurs, tandis que les coûts liés
aux copies et à la publicité sont assumés par les distributeurs. Dans le cas des majors, les rôles du
producteur et du distributeur se confondent souvent. Le nombre des copies, qui permettent de
montrer simultanément le même film sur de nombreux écrans, et les investissements en publicité sont
des éléments cruciaux de la « stratégie des blockbusters ».
41. Lorsqu’il est entré en vigueur, l’Accord SMC prévoyait une troisième catégorie, celle des subven-
tions ne donnant pas lieu à une action. Cette catégorie, de même qu’une sous-catégorie établissant
la présomption de l’existence d’un préjudice grave causé par certaines subventions, ne devait rester
en vigueur qu’à titre provisoire pendant cinq ans, soit jusqu’au 31 décembre 1999, sauf si,
conformément à l’article 31, le Comité SMC décidait par consensus de prolonger son existence. Au
31 décembre 1999, un tel consensus n’existait pas.
340 Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO
soit exclusivement, soit parmi plusieurs autres conditions, aux résultats à l’exporta-
tion (« subventions à l’exportation »). Une liste détaillée des subventions à l’expor-
tation est annexée à l’Accord SMC. Les secondes sont les subventions subordonnées,
soit exclusivement, soit parmi plusieurs autres conditions, à l’utilisation de produits
nationaux de préférence à des produits importés (« subventions liées à la teneur en
éléments d’origine nationale »). Comme exemple de subventions prohibées, on peut
mentionner les avantages fiscaux octroyés aux exportateurs américains dans l’affaire
« États-Unis – Régime fiscal des “Foreign Sales Corporations” » (« FSC »).42 Le 7
mai 2003, l’OMC a approuvé la demande de l’Union européenne d’imposer des
contre-mesures à hauteur de USD 4 milliards contre les États-Unis. Dans ce cas, la
Communauté européenne a attaqué les réductions fiscales octroyées par les États-
Unis, qui atteignaient jusqu’à 30 % pour certains articles d’exportation. Vu l’impor-
tance des exportations cinématographiques, les industries du « divertissement »
représentant le deuxième poste d’exportation le plus important de l’économie
américaine après l’aéronautique, on peut supposer que les majors ont également
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bénéficié substantiellement de cette forme de subvention interdite.43
En matière de subvention, le GATS donne une certaine marge de manœuvre aux
Membres. Cet accord oblige en principe les Membres d’octroyer le traitement de la
nation la plus favorisée (NPF) en vertu de l’art. II :1. Ceux-ci peuvent toutefois se
soustraire à cet engagement en faisant figurer les mesures incompatibles avec le
traitement NPF dans une annexe à cet effet, la liste des exemptions NPF. L’annexe
en question est applicable uniquement aux mesures inscrites au moment de l’entrée
en vigueur du GATS pour le Membre en question. Le GATS prévoit que les
exemptions NPF doivent être réexaminées à partir de 2000. En outre, l’annexe
prescrit que les exemptions ne devraient « en principe » pas dépasser une période de
dix ans.
Si un Membre prend sur une base volontaire des engagements spécifiques
concernant l’octroi du traitement national ou l’accès au marché dans un secteur de
service donné (art. XVII GATS), ce Membre ne pourra pas refuser le bénéfice des
programmes de subventions concernant les services audiovisuels aux fournisseurs
étrangers de tels services, qui sont présents sur son territoire, à moins qu’il n’ait
inscrit une réserve expresse limitant cet avantage à ses seuls nationaux.44 En vertu de
42. Rapport de l’Organe d’appel du 14 janvier 2002, WT/DS108/AB/RW. Une compilation du matériel
pertinent peut être consultée sur http://trade-info.cec.eu.int/wtodispute/show.cfm?id=152&code=1
(avril 2004).
43. Le rapport « The Migration of U.S. Film and Television Production Impact of “Runaways” on
Workers and Small Business in the U.S. Film Industry » du 19 janvier 2001 (http://www.ita.doc.gov/
media/migration11901.pdf), p. 87, fait état d’un programme de garantie à l’exportation proposé par
l’institut Ex-Im Bank et l’American Film Marketing Association (AFMA) pour des productions de
films américains indépendants. Cette sécurité sera garantie par le gouvernement américain. Si cette
intervention étatique fournit des conditions plus favorables que le marché, la garantie en question
devra être qualifiée de subvention à l’exportation prohibée par l’Accord SCM.
44. Ivan Bernier, Chronique 6, Les subventions aux services audiovisuels dans le cadre du GATS :
Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO 341
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subventions dans le cadre du GATS ont suscité des propositions tendant soit à
éliminer toutes les exemptions au traitement de la nation la plus favorisée, y compris
celles concernant les accords de coproduction,45 soit à établir un régime particulier.46
Il sied de mettre en exergue la position du Brésil qui, tout en admettant que des
mécanismes d’aides publiques dans le secteur de l’audiovisuel en vue d’atteindre des
objectifs de politiques culturelles méritent d’être considérés, fait valoir les intérêts
des pays en voie de développement : « Dans tous les cas, il serait important de veiller
à ce que ces mécanismes créent le moins de distorsions possible pour le commerce,
compte tenu des disparités entre les Membres du point de vue de leur capacité de
subventionnement. » À notre avis, l’intervention étatique au moyen de subventions
cause toutefois des problèmes également aux pays nantis (par exemple le clienté-
lisme).
Dans le secteur audiovisuel, selon l’opinion dominante, l’élimination ou la
réduction des mesures incompatibles avec le traitement NPF aurait pour effet de
prohiber la pratique des accords de coproduction cinématographique. Bernier
rappelle dans ce contexte que les accords de coproduction sont très courants « non
seulement entre pays développés mais aussi entre pays développés et pays en
développement, et qu’ils opèrent dans ce dernier cas un net transfert de ressources
financières et de technologies des premiers vers les seconds ».47 Les accords de
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de politiques culturelles équivalentes.
L’érosion des prérogatives nationales en matière de politiques culturelles prend
diverses formes. Ainsi, les États-Unis exercent des pressions considérables sur les
candidats à l’accession concernant l’application NPF aux services audiovisuels en
vue d’empêcher le maintien et la prolifération d’accords de coproduction. En outre,
dans le domaine des services, les États-Unis remettent en cause les catégories
actuellement utilisées pour le secteur des services audiovisuels.49 Une nouvelle façon
de classifier les divers types de services liés au secteur audiovisuel tend à transférer
certaines activités d’une catégorie pour laquelle un Membre ne s’est pas engagé vers
une autre où il s’est déjà engagé, par exemple des services de diffusion télévisuelle,
auxquels de nombreux Membres ne veulent pas appliquer le traitement national pour
des raisons de politiques culturelles, vers les services de télécommunication, qui sont
déjà libéralisés dans beaucoup de pays.
Jusqu’à présent, les défenseurs de la diversité culturelle ont montré générale-
ment une grande hostilité à l’égard des projets d’accords multilatéraux sur les
investissements. Ainsi, l’accord TRIMS est resté embryonnaire faute d’entente lors
du Cycle d’Uruguay et l’AMI n’a jamais vu le jour. En même temps, ces milieux
prônent traditionnellement une protection élevée par le droit de la propriété intellec-
tuelle. Il ne semble toutefois pas qu’ils aient saisi que le droit de la propriété
intellectuelle représente aujourd’hui le principal outil pour protéger les investisse-
ments excessifs que des industries culturelles hautement concentrées dédient à la
commercialisation (distribution et publicité) de biens et services culturels, ce qui leur
permet de dicter et par là uniformiser la création et la consommation. L’accord TRIPS
fait ainsi figure de palliatif pour un accord multilatéral sur les investissements. Le lien
entre un haut niveau de protection octroyé par le droit d’auteur, les droits voisins et
le droit des marques d’une part et la mise en danger grave de la diversité culturelle
d’autre part n’a guère été analysé jusqu’à présent. S’il existe une réelle volonté de
mettre en œuvre le postulat de la diversité culturelle, cela nécessite un changement
de paradigme visant un nouvel équilibre adapté aux spécificités des industries
culturelles. L’oligopole des majors impose aux spectateurs ses blockbusters à coups
de massue publicitaire. La mise en œuvre du copyright et du droit des marques
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protégeant les investissements en marketing est liée à des coûts importants pour les
États (entretien d’un système judiciaire, douanier et policier). On peut soutenir que
ces dépenses ne sauraient être justifiées lorsqu’elles contribuent à nuire à des
politiques culturelles légitimes. En l’espèce, il est absurde de dépenser des deniers
publics pour protéger la propriété intellectuelle d’un oligopole qui pratique systéma-
tiquement et à l’échelle planétaire de la discrimination culturelle.50 Dans ce contexte,
le remède des subventions pour promouvoir l’identité et la diversité culturelle
apparaît comme dérisoire même pour les pays européens disposant de resources
confortables. En 2001, les budgets des principaux fonds publics nationaux et
régionaux dans le secteur cinématographique de l’Europe des vingt-cinq atteignaient
un total d’environ 1,2 milliard d’euros ;51 à titre de comparaison, pendant cette même
année, les majors ont dépensé plus de 10 milliards de dollars en vedettes, copies et
publicité rien que pour vendre leurs films.52 Les subventions sont octroyées par les
États de manière discriminatoire dans le sens où elles favorisent les œuvres audiovi-
suelles nationales ou régionales.53 Ce caractère discriminatoire est également inhé-
rent aux quotas de programmation. Dans le contexte européen, ces mesures étatiques
sont, dans les faits, dirigées principalement contre les films d’origine hollywoo-
dienne. Le maintien de l’identité et de la diversité culturelle au moyen de subventions
50. Lire à ce sujet, en relation avec le rôle de la critique de cinéma, Sandra Vinciguerra, Hollywood
pratique une discrimination culturelle à l’échelle planétaire, dans Le Courrier, 13 octobre 2003, p. 8-
9, sur : http://www.lecourrier.ch/.
51. Voir Annuaire 2002 de l’Observatoire européen de l’Audiovisuel, Volume 3, p. 100 pour les chiffres
de l’année 2001.
52. MPA Worldwide Market Research, U.S. Entertainment Industry : 2002 MPA Market Statistics, op.
cit., p. 19-22, et pour les données de 2003 lire Observatoire européen de l’Audiovisuel, Focus 2003,
sur : http://www.obs.coe.int/online_publication/reports/focus2003.pdf.en.
53. Les programmes « MEDIA » de l’Union européenne et « Eurimages » du Conseil de l’Europe
constituent des exemples de fonds régionaux ouverts uniquement aux pays qui participent à ce mode
de financement public.
344 Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO
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commercialisation puisse être appropriée pour réaliser le postulat de la diversité
culturelle dans le domaine cinématographique. Les autres formes d’interventions
étatiques présentent également de graves inconvénients : ainsi, en pratique, les
coproductions sont lourdes à gérer, ce qui les rend problématiques sur le plan de
l’efficacité économique et de la liberté artistique. Quant aux systèmes de quotas, il
faut relever leur image négative auprès du public qui peut se sentir mis sous tutelle,
cela même lorsque ces systèmes sont censés corriger des dysfonctionnements du
marché empêchant les spectateurs de choisir librement les films à voir. Finalement,
on peut douter que le modèle français, qui fonctionne le mieux en termes de parts de
marché revenant à la production locale, soit exportable dans le contexte politique
actuel.54 Par conséquent, il est indiqué d’explorer des voies complémentaires, voire
des alternatives aux instruments classiques que sont les subventions et les quotas,
cela pour promouvoir de manière durable non seulement l’identité, mais également
la diversité culturelle au cinéma.
que toutes les sociétés démocratiques fondées sur la prééminence du droit ont, par le
passé, pris des mesures pour soutenir et protéger la diversité culturelle dans le cadre
de leur politique culturelle et de leur politique des médias. Il estime que le contexte
mondial commun du développement exige l’élaboration d’une série de principes
offrant un cadre d’action cohérent pour préserver et favoriser la diversité culturelle
à tous les niveaux. Selon l’art. 1.1 de cette Déclaration, la diversité culturelle
s’exprime dans la coexistence et les échanges de pratiques culturelles différentes et
dans la fourniture et la consommation de services et de produits culturellement
différents. La Déclaration exige que les politiques culturelle et audiovisuelle qui
favorisent et respectent la diversité culturelle soient considérées comme un complé-
ment nécessaire de la politique commerciale (art. 2.1). Par conséquent, elle invite les
États membres à examiner les moyens à mettre en œuvre pour préserver et promou-
voir la diversité culturelle et linguistique dans le nouveau contexte de la mondialisa-
tion (art. 3.1).
Au niveau international, la 31e session de la Conférence générale de l’UNESCO
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a adopté le 2 novembre 2001 la Déclaration universelle sur la diversité culturelle.56
Celle-ci stipule dans son article premier que la diversité culturelle est, en tant que
source d’échanges, d’innovation et de créativité, pour le genre humain, aussi
nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant. En ce sens, elle constitue le
patrimoine commun de l’humanité et elle doit être reconnue et affirmée au bénéfice
des générations présentes et des générations futures. Cette Déclaration plaide aux art.
8 à 10 en faveur de la spécificité des biens et services culturels ainsi que de la
souveraineté des États en matière de politiques culturelles et dénonce le déséquilibre
actuel dans les échanges culturels au niveau mondial. Ainsi, selon ce texte, face aux
mutations économiques et technologiques actuelles une attention particulière doit
être accordée à la diversité de l’offre créatrice, à la juste prise en compte des droits
des auteurs et des artistes ainsi qu’à la spécificité des biens et services culturels qui,
parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être
considérés comme des biens et des services de consommation comme les autres. Tout
en assurant la libre circulation des idées et des œuvres, les politiques culturelles
doivent créer les conditions propices à la production et à la diffusion de biens et
services culturels diversifiés, grâce à des industries culturelles disposant des moyens
de s’affirmer à l’échelle locale et mondiale. Il revient à chaque État, dans le respect
de ses obligations internationales, de définir sa politique culturelle et de la mettre en
œuvre par les moyens d’action qu’il juge les mieux adaptés, qu’il s’agisse de soutiens
opérationnels ou de cadres réglementaires appropriés. Face aux déséquilibres que
présentent actuellement les flux et les échanges des biens culturels à l’échelle
mondiale, la Déclaration exige de renforcer la coopération et la solidarité internatio-
nales destinées à permettre à tous les pays, en particulier aux pays en développement
et aux pays en transition, de mettre en place des industries culturelles viables et
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l’histoire des relations conflictuelles entre la culture et le commerce au niveau du
droit aborde une nouvelle étape qui promet d’être cruciale. En effet, grâce à une
domination presque totale du marché international du cinéma, le pouvoir des majors
américaines de fidéliser les spectateurs en uniformisant culturellement les contenus
et les formes audiovisuels atteint aujourd’hui un point culminant. L’Union euro-
péenne, menée par la France, entend s’opposer à cette hégémonie sur les esprits et les
émotions, ce qui ressort de la nouvelle Constitution européenne approuvée à
Bruxelles le 18 juin 2004. Ce traité, qui nécessite encore la ratification des 25
membres pour entrer en vigueur, prévoit notamment la règle de l’unanimité en
matière d’accords commerciaux sur les biens et services culturels et audiovisuels.
L’Union européenne, qui affiche en ligne le mot « unie dans la diversité » sous son
emblème, consacre la diversité culturelle à l’art. 151 du Traité, au préambule et à l’art.
22 de la Charte des Droits Fondamentaux. Ces articles s’ajoutent aujourd’hui aux
dispositions traitant de manière prééminente de la culture et de la diversité culturelle
dans la nouvelle Constitution.59
57. Lire le rapport « The Migration of U.S. Film and Television Production Impact of “Runaways” on
Workers and Small Business in the U.S. Film Industry » du 19 janvier 2001, p. 87, sur : http://
www.ita.doc.gov/media/migration11901.pdf.
58. Pour un aperçu de l’histoire récente de la préservation et de la promotion de la diversité culturelle,
lire Ivan Bernier, A UNESCO International Convention on Cultural Diversity, dans : Christoph Beat
Garber et al. (éd.), Libre-échange contre diversité culturelle : les négociations de l’OMC en matière
d’audiovisuel, Zurich 2004, p. 65-76.
59. Lire le préambule ainsi que les art. 3 ch. 3, 16, 31, II-22, II-25, III-56, III-181, III-182, III-186 et III-
217 du projet de Constitution dans la version du 18 juillet 2003, doc. UE 2003/C 169/01, sur : http:/
/europa.eu.int/eur-lex/fr/search/search_treaties.html. Cf. également Bruno de Witte, Trade in Cul-
ture : International Legal Regimes and EU Constitutional Values, dans : Gráinne de Búrca / Joanne
Scott (éd.), The EU and the WTO, Legal and Constitutional Issues, Oxford / Portland 2001, p. 249-
255.
Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO 347
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session de la Conférence générale le 2 novembre 2001, les projets de convention des
organisations non gouvernementales Cultural Industries Sectoral Advisory Group on
International Trade (SAGIT) et du Réseau international pour la Diversité culturelle
(RIDC) ainsi que du groupe intergouvernemental Réseau international sur la Politi-
que culturelle (RIPC).63
Dans son étude préliminaire sur la question, le Conseil exécutif cerne divers
domaines susceptibles de bénéficier d’une action normative plus contraignante de la
part de l’UNESCO dans le but de concrétiser la Déclaration sur la diversité culturelle.
L’un de ces domaines vise la protection de la diversité des contenus culturels et des
expressions artistiques véhiculées par les industries culturelles. Ces contenus et
expressions, auxquels se réfèrent les articles 8 à 11 de la Déclaration, semblent
particulièrement menacés à l’heure de la mondialisation. Selon le Conseil exécutif,
le nouvel instrument devrait être en mesure de garantir la protection de la diversité
culturelle dans une multiplicité de secteurs de l’activité culturelle. Il devrait favoriser
une dynamique interactive entre les différents contenus culturels et expressions
artistiques, ainsi qu’entre ces derniers et d’autres domaines qui leur sont étroitement
liés, à savoir le multilinguisme dans la création culturelle, le développement des
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En juillet 2004, le Directeur général de l’UNESCO a fait parvenir aux États membres
pour consultation un avant-projet de convention sur la protection de la diversité des
contenus culturels et des expressions artistiques (ci-après « APEXDC »).65 Cet
avant-projet contient un corpus de règles juridiques qui pointent dans la bonne
direction. Toutefois, à notre avis, les experts se sont arrêtés à mi-chemin : ils refusent
à leur projet un développement jurisprudentiel conséquent. Ce refus a pour consé-
quence d’accentuer les faiblesses des dispositions contenues dans l’APEXDC, voire
de les rendre juridiquement inopérantes et par là « lettres mortes ». On pourrait même
soutenir que, par ce refus, l’APEXDC nuit plus à la cause de la diversité culturelle
qu’il ne contribue à la promouvoir. En effet, comme le Projet du Réseau international
sur la Politique culturelle (RIPC) de juillet 2003, l’APEXDC programme certains
conflits avec le droit du commerce international (art. 5 – 8), sans toutefois fournir de
solutions efficaces à ces conflits en faveur du postulat de la diversité culturelle (art.
19 et 24).
À notre avis, les experts de l’UNESCO semblent avoir perdu de vue certaines de
leurs intentions initiales, qui ont été articulées dans les rapports de leurs deux
premières réunions, mais qui ne se retrouvent plus dans l’APEXDC. Au lieu de traiter
le déséquilibre en matière d’échange de biens et services culturels à la racine,
l’APEXDC reste fixé sur les symptômes. Les moyens proposés par l’APEXDC
reposent essentiellement sur les « politiques culturelles » des États (art. 5, 6 et 14
APEXDC). Ce cadre d’intervention serré semble être conditionné par la remise en
question de l’intervention étatique par la « métarègle » de l’interdiction de discrimi-
ner économiquement en fonction de la nationalité, qui est le fondement du droit du
libre-échange et qui est rendue opérationnelle par les principes du traitement national
et de la nation la plus favorisée dans le droit de l’OMC. L’art. 6 APEXDC s’oppose
à ces principes en consacrant la compétence des États en matière de promotion de la
diversité culturelle au moyen des « politiques culturelles » décrites à l’art. 4 ch. 7.
Cette disposition risque d’être réduite à un simple palliatif pour États nantis et fera
probablement l’objet de litiges à l’OMC si son application nuit aux intérêts des
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facteurs de commercialisation dominant le marché. Ce conflit sera une cause perdue
d’avance pour la diversité culturelle dès lors que l’APEXDC refuse de se donner les
moyens d’être un instrument de force contraignante équivalente en termes de
mécanisme de résolution des différends et de sanctions. L’APEXDC dans sa teneur
actuelle se réduit par là à un simple « incitant » à discuter – sans engagement véritable
– sur les mérites de la diversité culturelle dans les enceintes du droit et de l’économie
du libre-échange, cela sur la base d’objectifs aux définitions pour la plupart abstraites
et floues, qui ne jouiront pas d’une dynamique jurisprudentielle à même de leur
donner une signification juridique concrète et claire. L’introduction de la métarègle
de l’interdiction de discriminer culturellement et sa mise en œuvre par les principes
du « traitement culturel » et de la « culture la plus favorisée » nous apparaissent ainsi
être des moyens juridiques à adopter pour stimuler un changement de paradigme en
faveur de l’idéal de la diversité culturelle.
Par conséquent, nous proposons d’amender l’APEXDC selon les huit points
suivants66 :
1 Ad art. 1 APEXDC : recentrer les objectifs, les principes directeurs et le champ
d’application du projet sur les « industries culturelles » en exprimant que la conven-
tion envisagée a pour but de promouvoir la diversité de la « culture marchandisée »
sans nuire à la diversité de la « culture non marchandisée » ;
2 ad art. 2 APEXDC : clarifier le terme d’« expressions artistiques » et introduire une
définition de la « culture marchandisée », de la « culture non marchandisée », des
« facteurs de création et de production », des « facteurs de commercialisation » et
des « facteurs de consommation » ;
3 ad art. 7 al. 1 et 19 APEXDC : contribuer à un nouvel équilibre entre les facteurs de
création, de production, de commercialisation et de consommation et interdire la
66. Propositions soumises à la Commission suisse pour l’UNESCO le 12 août 2004, voir : http://
www.unesco.ch/work-f/diversite.htm.
350 Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO
discrimination culturelle par les États et les industries culturelles au moyen des
approches suivantes :
3.1 axer la mise en œuvre du postulat de la diversité culturelle sur le principe
directeur (« métarègle ») de l’interdiction de discriminer culturellement, en
introduisant les principes du « traitement culturel » et du « traitement de
la culture la plus favorisée », qui sont inspirés des principes du « traitement
national » et du « traitement de la nation la plus favorisée » du droit de l’OMC ;
3.2 obliger non seulement les États, mais également les entreprises culturelles
privées et d’économie mixte à respecter les principes du « traitement culturel »
et de la « culture la plus favorisée » ;
3.3 inviter les États à instrumentaliser le droit de la concurrence, qui est hors du
champ d’application du droit de l’OMC, pour réaliser la diversité culturelle en
adaptant ce droit aux spécificités de ce postulat ;
4 ad art. 7 al. 2 let. b APEXDC : thématiser les conséquences néfastes d’une protection
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de la propriété intellectuelle trop élevée sur la diversité culturelle et soumettre
l’obligation de l’art. 7 al. 2 let. b APEXDC à la condition que les bénéficiaires de la
protection de la propriété intellectuelle contribuent activement à réaliser la diversité
culturelle ;
5 ad art. 19 APEXDC : biffer le premier paragraphe et les mots « sérieux » et
« sérieuses » dans le deuxième paragraphe de la variante A et biffer entièrement la
variante B de l’art. 19 APEXDC ;
6 ad art. 24 APEXDC : prévoir un mécanisme de résolution des différends équivalent
au système en vigueur sous le GATT 47, à savoir qu’une sentence doit être approuvée
à l’unanimité des États pour être adoptée, et ultérieurement modifier ce système dans
le sens plus incisif en vigueur actuellement en droit de l’OMC ;
7 nouveau : prévoir des sanctions touchant à la mise en œuvre du droit de la propriété
intellectuelle des entités pratiquant de la discrimination culturelle illégitime, c’est-
à-dire qui ne serait pas justifiée par le choix du public ;
8 ad art. 19 et 20 à 24 : institutionnaliser les relations entre l’organisation chargée
d’administrer la convention sur la diversité culturelle et l’OMC au moyen d’une
« dialectique jurisprudentielle » et soumettre à arbitrage les jurisprudences de ces
deux organisations qui seraient contradictoires.
contenues dans l’APEXDC suivront le même sort si leur violation n’est pas passible
d’une peine à la mesure de l’importance de la diversité culturelle. À notre avis, la
mise en œuvre effective de l’APEXDC dépend essentiellement du respect des
obligations contenues à l’art. 7 al. 1. Pour favoriser ce respect, nous proposons une
approche visant à limiter la mainmise des facteurs de commercialisation sur les
facteurs de création et de production ainsi que sur les facteurs de consommation et
à rétablir un équilibre entre ces trois facteurs. Nous axons cette approche sur le
principe directeur (« métarègle ») de l’« interdiction de discriminer culturellement »
et nous introduisons les principes du « traitement culturel » et du « traitement de
la culture la plus favorisée ». Nous puisons notre inspiration dans les principes du
« traitement national » et du « traitement de la nation la plus favorisée », qui mettent
en œuvre la métarègle de l’interdiction de discriminer économiquement dans le cadre
du droit du GATT et de l’OMC depuis maintenant plus d’un demi-siècle. Vu les
spécificités de la culture, il incombera non seulement aux États, mais également aux
entreprises culturelles privées de respecter ces principes. Pour illustrer cette propo-
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sition innovante en droit de la culture, nous avons adapté les art. II et XVII GATS sur
le traitement de la nation la plus favorisée et le traitement national et ajouté une
limitation à ces principes basée sur la volonté des consommateurs :
Article I
Traitement de la culture la plus favorisée
En ce qui concerne toutes les mesures couvertes par le présent accord, chaque facteur de
commercialisation public, privé ou mixte d’une origine culturelle accordera immédiate-
ment et sans condition aux expressions culturelles et aux facteurs de création et de
production culturelles de toute autre origine culturelle un traitement non moins favorable
que celui qu’il accorde aux expressions culturelles similaires et aux facteurs de création
et de production culturelles similaires de toute autre origine culturelle.
Article II
Traitement culturel
Chaque facteur de commercialisation public, privé ou mixte accordera aux expressions
culturelles et aux facteurs de création et de production culturelles de toute autre origine
culturelle, en ce qui concerne toutes les mesures affectant la commercialisation de biens
et services culturels, un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde à ses
propres expressions culturelles similaires et à ses propres facteurs de création et de
production culturelles similaires.
Article III
Maintien d’une mesure culturellement discriminatoire
Les facteurs de commercialisation publics, privés ou mixtes pourront maintenir une
mesure incompatible avec les articles I et II pour autant que celle-ci soit effectivement
voulue par les facteurs de consommation.
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politiques culturelles comparable à celle qui a été réalisée dans le domaine des
politiques commerciales, cela dans le but de donner au postulat de la diversité
culturelle une importance au moins égale à celle dont jouit aujourd’hui le libre-
échange.
4 CONCLUSIONS
À notre avis, l’UNESCO devrait adopter un instrument véritablement novateur qui
permette le dialogue institutionnel sur pied d’égalité entre cette organisation et
l’OMC, cela au moyen du langage jurisprudentiel portant sur les questions juridiques
liées à la diversité culturelle et au commerce international. L’avant-projet de
l’UNESCO de juillet 2004 ne nous paraît pas être un instrument approprié pour
mettre en place ce dialogue contraignant qui permettrait d’établir un système basé sur
un contrôle réciproque et un équilibre constant (« check and balance ») entre
institutions chargées d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques économiques et
des politiques culturelles au niveau international. Cela implique de rechercher une
langue vivante et un langage commun en droit. Il s’agit de créer un cadre à une
« dynamique jurisprudentielle » inspirée du droit du GATT et, depuis 1994, de
l’OMC, qui permette de développer le contenu de la convention sur la diversité
culturelle afin de la mettre en œuvre de manière concrète et efficace. Dans ce sens,
on peut instrumentaliser la logique du droit du commerce international en faveur de
la promotion de la diversité culturelle, cela dans l’esprit « fonctionnaliste » de la
construction européenne.
67. Cf. le préambule ainsi que les art. 3 ch. 3, 16, 31, II-22, II-25, III-56, III-181, III-182, III-186 et III-
217 du projet de Constitution dans la version du 18 juillet 2003, doc. UE 2003/C 169/01, sur : http:/
/europa.eu.int/eur-lex/fr/search/search_treaties.html.
Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO 353
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bodies such as the European Union and the Council of Europe intervene today in the
audiovisual sector by way of subsidies and other forms of public support. At the same time,
the United States, driven by the oligopoly of the Hollywood Majors, seek to remove, or
at least to reduce to a minimum, such intervention within the WTO, arguing that public
aid distorts competition. In reality, however, one can argue that there is no level playing
field in the audiovisual sector between the Majors’ motion pictures and the ones from
other cultural origins. Overwhelming market domination by Hollywood Majors drives
most competitors out of business.
To avoid a « pensée unique » in cinema and, on the rebound, in literature and music,
states must take action. This paper argues that international agreements containing mere
programmatic and declaratory clauses on cultural diversity will not be sufficient. It
therefore advocates further exploring the potential of competition and intellectual
property laws and policies to contribute to improve the situation. Anti-trust legislation
that is specifically designed for the audiovisual sector may also contribute to create a
level playing field that grants equal opportunities to content producers from various
cultural origins. For the time being, WTO member states remain fully competent to
legislate in this area. When competition rules are set on the negotiation agenda of the
WTO, states advocating cultural diversity in cinema should mobilize to draft an
agreement that is specifically designed to promote cultural concerns by way of
predictable and enforceable rules. With respect to content industries, such an agreement
should work as a legal safeguard against abuses of dominant market positions that may
damage freedom of speech and, eventually, the functioning of democracy.
This contribution outlines the situation of the audiovisual market with a focus on film
industries and the legal issues at stake with respect to cultural diversity. It further
describes the status quo in the WTO, the UNESCO as well as in other relevant
organizations concerning the interactions of culture and trade laws and policies after the
ministerial conference of Cancún of fall 2003. Eventually, it proposes to further explore
an innovative legal framework in order to materialize cultural diversity based on a set of
rules prohibiting the newly introduced concept of « cultural discrimination ». This
approach is inspired by the prohibition of economic discrimination that underlies WTO
354 Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO
law and is articulated in the basic principles of national treatment and most favorite
nation. This approach is intended to establish an institutional dialogue based on case-law
between the WTO and an international organization in charge of cultural matters, for
example the UNESCO.
In this context, legislators should address the issue of intellectual property protection.
High standards of intellectual property protection are incentives to proceed to excessive
marketing expenditures for the Hollywood Majors’ films, and, therefore, detrimental to
films that do not enjoy comparable investments to accede to the audience. In this sense,
too much copyright and trade mark protection contributes to drive films from other
cultural origins than the dominant one out of competition. On the other hand, certain
standards of protection in the form of authors’ rights should remain in place as incentive
for creativity and in order to guarantee to filmmakers more independence from subsidies
granted by, and from corresponding control of, the state. Legislators who are eager to
promote cultural diversity in cinema will therefore have the task of finding a new balance
with respect to the standards of intellectual property protection. The TRIPs agreement
should provide flexibility to achieve this goal.
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In the light of these considerations, this paper provides a critical assessment and
recommandations with respect to the preliminary draft International Convention on the
Protection of the Diversity of Cultural Contents and Artistic Expressions of July 2004 that
was submitted by a group of experts in cultural diversity set up by the Director-General
of the UNESCO.