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Compliance : externalisation et tierce introduction en

matière de lutte anti-blanchiment


Iris M. Barsan
Dans Revue internationale de droit économique 2019/4 (t. XXXIII), pages 535 à 557
Éditions Association internationale de droit économique
ISSN 1010-8831
ISBN 9782807393219
DOI 10.3917/ride.334.0535
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 27/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.170.49.106)

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COMPLIANCE : EXTERNALISATION ET TIERCE
INTRODUCTION EN MATIÈRE DE LUTTE
ANTI-BLANCHIMENT 1

Iris M. BARSAN, LL.M. 2


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Résumé : Le périmètre de la lutte anti-blanchiment ne cesse de croître aussi bien
rationae materiae que rationae personae. Cette croissance semble, cependant, être
davantage quantitative que qualitative. Elle est, en tous cas, génératrice de coûts
pour les entités soumises. Pour atténuer ces coûts et dans un souci d’efficacité, cer-
taines entités peuvent externaliser la quasi-totalité de leurs obligations. Pourtant,
autrefois, uniquement les entités bancaires et financières pouvaient avoir recours à
la tierce introduction pour leurs obligations de vigilance à l’égard de la clientèle.
A côté de la tierce introduction, on a lentement permis l’externalisation des obli-
gations de vigilance à l’égard de la clientèle. En effet, le décret n° 2018-284 du
18 avril 2018, décret d’application de l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre
2016 transposant la quatrième directive de lutte anti-blanchiment, a totalement
libéralisé l’externalisation. Cette évolution soulève un certain nombre de questions
de légalité et d’égalité devant la loi et interroge surtout l’efficience de la démarche
française qui semble davantage attachée à une croissance quantitative que quali-
tative des obligations en matière de lutte anti-blanchiment.

1 Une lente prise d’autonomie de l’externalisation


1.1 Une admission limitée de l’externalisation
1.1.1 Au niveau européen
1.1.2 En droit français
1.2 Une admission sans limites de l’externalisation
1.2.1 En droit européen
1.2.2 En droit français

1. L’auteur remercie Arnaud Cabanes, Pauline Abbouche et Rita Jabbour pour leur relecture critique
de l’article.
2. Maître de conférences en droit privé (UPEC), Membre du LabEX ReFi, Ancienne élève de l’ENA
(promotion Willy Brandt).

Revue Internationale de Droit Économique – 2019 – pp. 535-556 – DOI: 10.3917/ride.334.0535


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2 Une appréciation critique


2.1 Une question de légalité et d’égalité
2.1.1 Limitations d’un décret d’application
2.1.2 Conformité au droit européen
2.1.3 Limitations rationae personae
2.2 Une question d’efficacité
2.2.1 Une ouverture rationae personae
2.2.2 Une ouverture rationae materiae

Sans intégrité, le système financier serait dysfonctionnel. En effet, si on laissait


prospérer l’argent sale sur les marchés financiers et plus généralement dans l’éco-
nomie, les acteurs honnêtes, respectueux des règles du jeu, seraient alors dissuadés
d’avoir recours au marché et seraient même tentés de ne plus respecter ses règles.
Il est pourtant primordial pour le crime organisé de réinsérer l’argent issu d’activi-
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tés illicites dans le circuit financier classique. Le blanchiment d’argent se déroule
ainsi en trois étapes : tout d’abord, le blanchisseur cherche à placer l’argent sale
dans le circuit bancaire et financier, ce qui se traduit très souvent par la démultipli-
cation de dépôts de faibles montants permettant la discrétion. La deuxième phase
consiste ensuite à dissimuler l’origine des fonds ; l’argent sale est alors investi
en biens matériels ou dématérialisés ou fait encore l’objet de transferts multiples.
Vient enfin la phase de conversion au cours de laquelle le blanchisseur tente de
réintroduire l’argent dans l’économie : sont ici prisés les emboîtements de sociétés,
les ventes de biens immobiliers ou encore l’utilisation de fausses factures import-
export visant à justifier la provenance de fonds de l’étranger.
Le crime organisé et le terrorisme s’affranchissent aisément des frontières et
utilisent même les particularismes nationaux pour blanchir plus aisément les fonds
en provenance d’activités illégales. Le but du jeu vise à conférer une apparence
légale à ce qui ne l’est pas. Ainsi, les criminels sont parmi les premiers à embras-
ser les innovations technologiques 3, juridiques et économiques, si celles-ci leur
permettent de mieux parvenir à leurs fins. Ce n’est pas surprenant que ces acteurs
soient bien au fait des montages en droit des sociétés 4 ou que la crypto-monnaie 5
ait la réputation d’être la monnaie du crime organisé. Dans ces conditions, il est
inutile d’insister sur l’importance de la lutte contre le blanchiment d’argent et le
financement du terrorisme (LAB/FT) et de mobiliser, à cette fin, l’ensemble des
outils permettant la traçabilité des fonds.

3. European Commission, « Report on the Assessment of the Risk of Money Laundering and
Terrorist Financing Affecting the Internal Market and Relating to Cross-border Activities »,
Brussels, 24 juillet 2019, COM(2019) 370 final, p. 3.
4. Tracfin, Tendances et analyses des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terro-
risme en 2017-2018, pp. 31 et s. ; depuis la transposition de la 4e directive LAB/FT, il faut identi-
fier les bénéficiaires effectifs, ce qui devrait avoir pour conséquence de rendre certains montages
en droit des sociétés moins attractifs.
5. Ibid., pp. 55 et s.
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Pour faire face à l’inventivité et à l’agilité de ces protagonistes, la lutte anti-


blanchiment doit rapidement et continuellement s’adapter à un environnement en
perpétuel mouvement. Il est, par ailleurs, nécessaire que les pratiques de la lutte
anti-blanchiment ne demeurent pas formalistes, mais évoluent davantage vers une
approche qualitative. Cela invite à s’interroger sur la pertinence de l’échelon natio-
nal afin de surveiller l’application des règles. De toute évidence, la mobilité des
organisations criminelles éprouve les limites des mécanismes de régulation natio-
naux. La proposition récente de constituer une autorité européenne supranationale
visant à lutter contre le blanchiment de fonds souligne la nécessité d’une évolution 6.
En effet, depuis le scandale Danske Bank 7, plusieurs pays européens militent en
faveur de la constitution d’une telle autorité afin d’assurer, d’une part, l’application
uniforme des règles en la matière 8 et, d’autre part, éviter des biais nationaux. Bien
que les régulateurs constatent que la lutte anti-blanchiment a tendance à s’étendre
aussi bien rationae personae que rationae materiae, l’évolution semble davantage
quantitative et formaliste que qualitative et finaliste. Il est vrai que, si les règles et
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les contrôles étaient appliqués de manière uniforme à l’ensemble des acteurs sou-
mis à la LAB/FT en Europe, la lutte anti-blanchiment gagnerait probablement en
efficacité et en qualité, quand bien même elle impliquerait la création d’une énième
autorité à laquelle les personnes assujetties devraient rendre compte. Positivement,
l’instauration d’une telle autorité allégerait les obligations de rendre des comptes
devant autant d’autorités que d’États membres. Plus encore, afin de renforcer l’effi-
cacité de la lutte anti-blanchiment, il faudrait également choisir des instruments
normatifs plus contraignants que les directives d’harmonisation minimale. Il paraît
en effet difficile de confier la surveillance de la LAB/FT à une autorité unique si les
dispositions qu’elle doit appliquer dépendent essentiellement de la transposition
qu’en a faite chaque État membre.
Cela fait un moment que la lutte anti-blanchiment n’est plus réservée à l’in-
dustrie bancaire et financière ou aux professionnels du droit et du chiffre. Elle
tend à s’étendre et touche désormais aussi bien les bijoutiers, les marchands d’art,
les prestataires exerçant une activité de domiciliation, que les agents sportifs, les
opérateurs de jeux et de paris ou encore les maisons de ventes aux enchères. Plus
récemment, le législateur a soumis les émetteurs de jetons et les prestataires de
services sur actifs numériques à cette obligation à travers la création d’un sta-
tut original dans la loi Pacte du 22 mai 2019 9, transposant ainsi partiellement la

6. E. Lederer et Th. Madelin, « L’offensive en faveur d’une autorité européenne anti-blanchiment est
relancée », Les Échos, 14 novembre 2019, https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assu-
rances/loffensive-en-faveur-dune-autorite-europeenne-anti-blanchiment-est-relancee-1147920.
7. E. Lederer, « Blanchiment : deux ans pour désamorcer la bombe Danske Bank », Les Échos,
26 juin 2019, https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/blanchiment-deux-
ans-pour-desamorcer-la-bombe-danske-bank-1032578.
8. V., par ex., European Commission, « Report on the Assessment of Recent Alleged Money
Laundering Cases Involving EU Credit Institutions », Brussels, 24 juillet 2019, COM(2019) 373
final, pp. 8 et s.
9. Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, JO,
n° 119, 23 mai 2019.
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cinquième directive LAB/FT 10 tout en dépassant les exigences de la directive


ou des recommandations du Groupe d’action financière (Gafi) 11. L’ordonnance
n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre
le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et ses deux décrets
d’application 12 ont, par ailleurs, parachevé la transposition de la cinquième direc-
tive LAB/FT.
S’agit-il pour autant d’une amélioration qualitative de la lutte anti-blanchiment ?
Bien souvent, les obligations de compliance – analyse ou cartographie des risques 13,
procédures internes, formation du personnel, obligations de déclaration, etc. – pré-
sentent une contrainte pour les personnes assujetties et représentent un coût certain.
Beaucoup de sociétés jouent le jeu formellement, mais embrassent-elles pour autant
la logique préventive de la compliance 14 ? Si une galerie d’art peut évidemment
mettre en place des procédures, former son personnel et identifier sa clientèle, com-
ment s’assurer qu’elle ne vendra pas une œuvre à un client particulièrement exposé
alors que les ventes ne sont pas quotidiennes dans de nombreuses galeries ? Bien
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souvent, les personnes obligées par le Code monétaire et financier, sans être pour
autant des spécialistes de la finance, ne savent pas toujours remplir leurs obliga-
tions en matière de LAB/FT. Aussi partent-elles fréquemment du postulat erroné
que cela n’arrive qu’aux autres, malgré la diffusion régulière de guides et de bonnes
pratiques 15 par les autorités de contrôle. Pour autant, comme pour toute règle de
droit, et plus particulièrement dans le cadre d’une obligation légale de conformité,
l’organisation de poursuites et l’application de sanctions en cas de non-conformité
constituent la pierre angulaire de la régulation. Le terme anglais enforcement 16 tra-
duit l’importance de la contrainte et de la coercition comme garantes de l’efficience
d’une règle de droit. Cesare Beccaria, philosophe des Lumières, l’avait exprimé
dès 1764 : « Plus que la sévérité du châtiment, c’est sa certitude qui décourage
le crime » 17. Il est vrai qu’en l’absence de contrôles et de sanctions crédibles, la

10. Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, JOUE, L 156,
pp. 43 et s.
11. Gafi, Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du ter-
rorisme et de la prolifération, Recommandations du Gafi 2012, mises à jour juin 2019, http://www.
fatf-gafi.org/media/fatf/documents/recommendations/pdfs/FATF%20Recommendations%20
2012.pdf ; en effet, ni le Gafi ni les directives LAB n’exigent qu’on soumette des émetteurs de
jetons à des obligations de compliance en matière de LAB/FT.
12. Décrets n° 2020-118 et n° 2020-119 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte
contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, JO, n° 37, 13 février 2020.
13. M.-A. Frison-Roche, « Théorie juridique de la cartographie des risques, centre du droit de la
compliance », D., 2019, pp. 2432 et s.
14. M.-A. Frison-Roche, « Le droit de la compliance », D., 2016, pp. 1871 et s.
15. V. les différents guides du Gafi : http://www.fatf-gafi.org/fr/publications/recommandationsgafi/?h
f=10&b=0&s=desc(fatf_releasedate) ; v., par ex., les lignes directrices conjointes de Tracfin et des
autorités de tutelle compétentes sur les obligations LAB, https://www.economie.gouv.fr/tracfin/
lignes-directrices ; ou v. encore le guide pratique sur la LAB du barreau, 2017 : https://www.cnb.
avocat.fr/sites/default/files/documents/cahier_blanchiment_2ed.pdf.
16. Le terme anglais enforcement a été emprunté du vieux terme français « enforcement » et fait réfé-
rence à la force (rendre plus fort), à l’autorité, à la puissance ou encore à la violence.
17. C. Beccaria, Dei delitti e delle Pene, Livourne (Italie), 1764.
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compliance risquerait de rester lettre morte. Au regard des dépenses nécessaires pour
se conformer à la loi, il n’est pas surprenant que les acteurs soumis à de telles obli-
gations évaluent avec pragmatisme le risque de sanction, qu’elle soit civile, adminis-
trative, pénale ou de réputation.
Pour diminuer ce coût et faciliter la mise en place de la compliance en matière
de LAB/FT, le législateur concède, il est vrai, un peu de souplesse : d’une part,
il est dans une certaine mesure possible de se fier à l’identification de la clien-
tèle effectuée par un tiers et, d’autre part, d’externaliser certaines obligations en
matière de LAB/FT. À l’évidence, il serait fastidieux de procéder à une réidentifi-
cation systématique d’un client ayant déjà fait l’objet d’une identification. Dans ces
conditions, il serait pertinent de pouvoir s’appuyer sur des solutions techniques ou
organisationnelles que des tiers spécialisés proposent. Ces possibilités existent bien
que leur évolution ait été quelque peu semée d’embûches.
L’identification de la clientèle est cruciale dans la lutte anti-blanchiment. La
tierce introduction permet à cet effet de se reposer et de réutiliser l’identifica-
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tion d’un client effectuée par une autre personne soumise aux obligations LAB/
FT. Enfin, lorsque les compétences ne sont pas disponibles en interne, il est par-
fois préférable d’externaliser certains volets d’un dispositif de compliance. Pour
autant, ces deux outils ne se sont pas toujours imposés par l’évidence et ne peuvent,
aujourd’hui encore, être utilisés par l’ensemble des acteurs soumis à la LAB/FT.
Malgré les avantages de ces deux outils, ils pourraient favoriser une attitude pure-
ment formaliste des personnes soumises à ces obligations au détriment de l’effi-
cience et de la qualité du dispositif de lutte anti-blanchiment.
Si la tierce introduction et l’externalisation ont un début de vie commun, le pre-
mier dispositif était plutôt visible, ancré dans la partie législative du Code moné-
taire et financier alors que le second dispositif, plus limitatif, passait relativement
inaperçu, relégué à la partie réglementaire du même code. Surtout, la différence
entre tierce introduction et externalisation des obligations d’identification de la
clientèle est ténue 18. Cette notion, qui provient, d’ailleurs, d’abord du Groupe d’ac-
tion financière 19, a ensuite été reprise par les directives européennes en matière de
lutte anti-blanchiment avant d’être transposée en droit français. Aussi bien la tierce
introduction que l’externalisation permettent d’utiliser les informations collectées
par un tiers sur le client. Dans le premier cas, toutefois, ce tiers doit lui-même
être soumis aux obligations LAB/FT et respecter son propre cadre de compliance
alors que, dans le second, le tiers intervient au nom et pour le compte de l’entité
soumise à ces obligations et doit respecter le cadre de compliance de cette entité 20.

18. ACPR, « Lignes directrices relatives à l’identification, la vérification de l’identité et la connais-


sance de la clientèle », 18 février 2019, https://acpr.banque-france.fr/lignes-directrices-relatives-
lidentification-la-verification-de-lidentite-et-la-connaissance-de-la.
19. V. Recommandation 17 du Gafi ainsi que la notice d’interprétation.
20. Dans la note interprétative de la recommandation 17 du Gafi, on peut lire ceci : « Cette recom-
mandation ne s’applique pas aux relations de sous-traitance ou de mandat. Dans le cas du recours
à un tiers, celui-ci devrait être soumis à des obligations de vigilance relatives à la clientèle et de
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Cela implique corrélativement que l’entité qui externalise ses obligations doive
soigneusement choisir le tiers sous-traitant et le contrôler 21.
En dépit de cette parenté et de ce début de vie commun, l’externalisation
semble amorcer un début d’autonomie à l’égard de la tierce introduction.
Initialement, et compte tenu de la parenté entre ces deux instruments et de leur
emplacement dans le Code monétaire et financier, la doctrine et la pratique avaient
logiquement déduit un principe d’interdiction de l’externalisation (tout comme de
la tierce introduction) en dehors des cas prévus par la loi. Peu à peu, le législateur
a élargi les possibilités d’externalisation. Celle-ci semble ainsi se détacher totale-
ment de la tierce introduction en ce sens qu’il est désormais possible d’externaliser
quasiment toutes ses obligations en matière de LAB/FT. Si le recours très limité à
l’externalisation reste critiquable, un élargissement presque sans limites l’est tout
autant, mais pour des raisons différentes.
Cette évolution soulève plusieurs questions. Tout d’abord, on peut s’interroger
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sur la méthode à l’œuvre : s’agissant de la limitation de la liberté du commerce et
de l’industrie 22, qui se traduit par la liberté d’organiser son entreprise de la manière
dont on l’entend, il est quelque peu surprenant que les limites relatives à l’externa-
lisation aient été introduites par voie de décret et continuent à ne figurer qu’au sein
de la partie réglementaire du Code monétaire et financier. Ce d’autant plus que les
lois et ordonnances qui renvoient au décret ne semblent pas envisager explicite-
ment l’externalisation. Se pose donc une question de légalité de l’externalisation en
matière de LAB/FT. Ensuite, on peut s’interroger sur la pertinence des acteurs, qui
ont le droit de recourir à l’externalisation, et sur les limites de cette externalisation,
qui ont été progressivement élargies. Enfin se pose la question de l’efficience du
système. Bien que l’objectif de souplesse soit compréhensible, encore faut-il que
les acteurs soumis à la LAB/FT prennent la mesure de leurs obligations et évitent
l’attitude formaliste qui consiste à cocher les cases sans réellement embrasser le
sujet. Est-ce réellement envisageable lorsque l’externalisation de la quasi-totalité
des obligations est possible ? Par ailleurs se pose la question de la délimitation et
du contournement potentiel du dispositif de tierce introduction, qui reste étonnam-
ment stable par rapport à l’évolution de l’externalisation.

conservation des documents conformément aux recommandations 10 et 11 et être réglementé,


contrôlé ou surveillé. En général, le tiers a avec le client une relation d’affaires en cours indé-
pendante de la relation existant entre le client et l’institution qui recourt au tiers, et applique ses
propres procédures pour mettre en œuvre les mesures de vigilance relatives à la clientèle. Ce
scénario peut s’opposer aux cas de sous-traitance ou de mandat dans le cadre desquels l’entité
sous-contractante applique les mesures de vigilance relatives à la clientèle pour le compte de l’ins-
titution financière délégante conformément aux procédures de celle-ci et est soumise au contrôle
par l’institution financière délégante de la mise en œuvre efficace de ces procédures. » ; v. aussi
D. Dedieu, « Le “bénéficiaire effectif” et la “tierce introduction” du dispositif de la lutte contre
le blanchiment de capitaux à la lumière des nouvelles lignes directrices de l’AMF », Bull. Joly
Bourse, 2013, n° 5, p. 255.
21. ACPR, « Lignes directrices relatives à l’identification, la vérification de l’identité et la connais-
sance de la clientèle », op. cit.
22. Loi 2-17 mars 1791, dite décret d’Allarde, et Loi Le Chapelier, 14-17 juin 1791.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 541

Afin de bien comprendre cette évolution, il faut, dans un premier temps, retra-
cer les différentes étapes à la fois de la tierce introduction et de l’externalisation
(1.). Ce n’est que dans un second temps qu’il conviendra de formuler un certain
nombre d’observations critiques par rapport à ce dispositif (2.).

1 UNE LENTE PRISE D’AUTONOMIE


DE L’EXTERNALISATION
La tierce introduction comme la possibilité d’externaliser des obligations relatives à
la LAB/FT ont été introduites par la troisième directive LAB/FT 23. L’externalisation
n’était admise que de manière très limitative (1.1.). Mais avec la transposition de
la quatrième directive LAB/FT, elle semble désormais possible sans limites (1.2.).
Cette évolution paraît se poursuivre avec la transposition de la cinquième directive
LAB/FT qui élargit encore le cercle des personnes qui peuvent y recourir.
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1.1 Une admission limitée de l’externalisation

L’externalisation aussi bien que la tierce introduction avec laquelle elle entretient
une relation étroite proviennent en réalité des recommandations du Gafi 24. Elles
ont ensuite été intégrées dans les directives relatives à la lutte anti-blanchiment au
niveau européen (1.1.1.) avant d’être transposées en droit français (1.1.2.).

1.1.1 Au niveau européen


Tant la tierce introduction que l’externalisation ont vu le jour avec la troisième
directive LAB/FT 25. En effet, les notions de tierce introduction et d’externalisa-
tion étaient absentes de la deuxième directive LAB/FT 26. La troisième directive
LAB/FT avait consacré la section 4 du chapitre II sur les obligations de vigilance
à l’égard de la clientèle et l’exécution de ces obligations par les tiers. Mais en
réalité, la quasi-totalité de cette section portait sur la tierce introduction et non
sur l’externalisation. L’article 19 de la directive l’exprime clairement : « La pré-
sente section ne s’applique pas aux relations d’externalisation ou d’agence dans le

23. Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la pré-
vention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du finance-
ment du terrorisme, JOUE, L 309, pp. 15 et s.
24. V. la recommandation 17 du Gafi ainsi que la note interprétative.
25. Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la pré-
vention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du finance-
ment du terrorisme, op. cit.
26. Directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001 modifiant la
directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier
aux fins du blanchiment de capitaux – Déclaration de la Commission, JOCE, L 344, 28 décembre
2001.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 542

cadre desquelles le fournisseur du service externalisé ou l’agent doit être considéré,


en vertu du contrat, comme une partie de l’établissement ou de la personne qui
est soumise à la présente directive ». L’externalisation était donc l’enfant pauvre
auquel la directive ne consacrait des considérations qu’en vue de préciser qu’elle
ne s’y intéressait pas puisque l’externalisation devait relever du contrat et non de la
directive 27. Ainsi, la différence entre la tierce introduction et l’externalisation réside
dans le fait que, dans le premier cas, les deux parties – l’introducteur et le bénéfi-
ciaire de cette introduction – sont des entités régulées soumises à des obligations
de LAB/FT. L’objectif de la tierce introduction est donc « d’éviter la répétition
des procédures d’identification des clients, qui serait source de retards et d’inef-
ficacité des transactions » 28. Tout en prévoyant des garanties adéquates, il fallait
alors « autoriser la présentation de clients dont l’identification a déjà été réalisée
ailleurs » 29. C’est une question de séquencement : l’identification du client a été
réalisée par l’entreprise A soumise aux obligations de LAB/FT ; cette entreprise
peut communiquer ces informations à l’entreprise B également soumise aux obli-
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gations LAB/FT. Lorsqu’il est question d’externalisation, il faut, en revanche, envi-
sager une situation d’agence, dans laquelle le tiers n’est pas une entité régulée et
n’a pas, en soi, des obligations de vigilance en matière de LAB/FT. Cela implique
aussi que l’entreprise soumise aux obligations LAB/FT soit conduite à sélectionner
le sous-traitant auquel confier une partie de ses obligations. La directive se limite
simplement à obliger les entités régulées à contractualiser ces obligations. L’idée
est de ne pas permettre aux entités régulées d’échapper à leurs obligations de LAB/
FT en se déchargeant sur le sous-traitant. Elles restent bien sûr responsables de
leurs obligations en la matière et doivent, par ailleurs, soigneusement choisir et
surveiller le sous-traitant.
Ainsi, la troisième directive LAB/FT s’intéresse principalement à la tierce
introduction. Les États membres obtiennent, tout d’abord, une option d’autoriser
ou non la tierce introduction 30. La directive précise ensuite que l’entreprise régulée,
qui a recours à un tiers introducteur, reste évidemment tenue de ses obligations de
compliance en matière de LAB/FT. Dans ce cadre, l’État membre a également le
choix du cercle des tiers introducteurs qui doivent, en tout état de cause, être des
entités régulées 31. Le tiers peut ainsi être une entité d’un pays tiers dès lors qu’elle
est soumise à une obligation d’enregistrement et à des mesures de vigilance envers

27. Dito, considérant 28 de la directive 2005/60/CE : « Lorsqu’il existe une relation contractuelle
d’agence ou d’externalisation entre des établissements ou des personnes soumis à la présente
directive et des personnes physiques ou morales externes qui ne sont pas soumises à celle-ci, les
obligations qui incombent, au titre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du
terrorisme, à l’agent ou au fournisseur du service externalisé en tant qu’il est considéré comme
une partie de l’établissement ou de la personne soumis à la présente directive ne peuvent décou-
ler que du contrat et non pas de la présente directive. La responsabilité du respect de la pré-
sente directive devrait continuer d’incomber à l’établissement ou à la personne qui y est soumis ».
28. Considérant 27 de la directive 2005/60/CE.
29. Idem.
30. Art. 14 de la directive 2005/60/CE.
31. Ibid., art. 15 et surtout art. 16.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 543

la clientèle 32. La directive s’assure simplement de la reconnaissance mutuelle au


niveau européen. Si un État membre admet une entité régulée sur son territoire
comme tiers introducteur, il doit également admettre les entités équivalentes des
autres États membres 33. Enfin, le tiers introducteur a l’obligation de mettre promp-
tement les documents d’identification de la clientèle à la disposition de l’entité
régulée qui a fait appel à lui 34.
La priorité de la troisième directive LAB/FT était donc la tierce introduction
et non l’externalisation. Mais en envisageant les choses positivement, il peut aussi
être constaté que la directive reconnaît la possibilité d’externaliser et ne prévoit
pas de limites à cet égard, si ce n’est qu’il faut contractualiser des obligations
en matière de LAB/FT. Cependant, la directive envisage l’externalisation par
le prisme de la tierce introduction et la limite donc implicitement aux mesures
de vigilance à l’égard de la clientèle. Cela étant, les directives LAB/FT sont des
directives d’harmonisation minimale, ce qui laisse amplement le choix aux États
membres d’aller au-delà.
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1.1.2 En droit français
C’est précisément ce que le législateur a fait au regard de l’externalisation.
L’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l’uti-
lisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement
du terrorisme a transposé la troisième directive LAB/FT en droit français 35. Elle
a introduit l’article L. 561-7 sur la tierce introduction dans le Code monétaire et
financier français. Rien n’est dit dans cette ordonnance ou la loi en général quant à
la possibilité d’externaliser les obligations en matière de LAB/FT.
Le législateur français a choisi de réserver la tierce introduction aux entités
financières ainsi qu’aux changeurs manuels 36. Le tiers doit lui-même être une entité
financière, un changeur manuel ou un professionnel du droit ou du chiffre 37 ou
bien un tiers équivalent situé dans un autre État membre. Il est ensuite précisé que
l’entité qui a recours au tiers reste tenue de ses obligations en matière de LAB/FT.
Enfin, compte tenu du fait qu’il s’agit de données personnelles le plus souvent sou-
mises au secret bancaire, il fallait également prévoir la possibilité de transmettre de
telles informations, ce qui a été fait 38.

32. Ibid., art. 16, § 1, b).


33. Ibid., art. 15.
34. Ibid., art. 18.
35. H. Robert, « L’ordonnance du 30 janvier 2009 : de nouvelles normes de détection et prévention
de blanchiment de fonds illicites et financement du terrorisme », Rev. Lamy dr. aff., mai 2009,
n° 38, pp. 74 et s.
36. Art. L. 561-2, n° 1 à 6 CMF dans la version issue de l’ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007
relative aux marchés d’instruments financiers, JO, n° 87, 13 avril 2007.
37. Art. L. 561-7 I CMF dans la version issue de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 relative
aux conditions régissant la fourniture de services de paiement, JO, n° 162, 16 juillet 2009.
38. Art. L. 561-7, II CMF dans la version issue de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 544

Le décret d’application 39 a inséré un article R. 561-13 dans le Code monétaire


et financier qui précise que le tiers doit promptement mettre à disposition sous
forme de copie les informations recueillies sur l’identité du client ou du bénéfi-
ciaire effectif. Enfin, le décret prévoit la possibilité de signer une convention entre
le bénéficiaire et le tiers pour préciser les obligations respectives en la matière.
Il est surprenant que la conclusion d’une convention ne soit qu’une option, alors
qu’elle est, nous semble-t-il, indispensable 40. Enfin et surtout, cet article envisage
la possibilité d’externaliser certaines tâches en matière de LAB/FT 41. D’une part, la
possibilité d’externaliser n’apparaît que dans le décret alors qu’aucune disposition
en ce sens ne figure dans l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009. D’autre part,
la possibilité d’externaliser est strictement réservée aux entités bancaires, elle se
limite à l’identification et à la vérification de la clientèle et est cantonnée aux opé-
rations de crédit à la consommation, aux opérations de location simple effectuées
par les entités autorisées à faire du crédit-bail et aux opérations de location avec
une option d’achat. Un arrêté devait préciser les conditions de cette externalisation.
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L’externalisation est la fausse jumelle de la tierce introduction et elle a com-
mencé sa vie en tant qu’enfant pauvre. Il a fallu attendre la transposition de la
quatrième directive LAB/FT pour que l’externalisation puisse prendre son envol
par rapport à la tierce introduction.

1.2 Une admission sans limites de l’externalisation

Si l’externalisation était envisagée par le législateur européen uniquement à travers


le prisme de la tierce introduction et était, de ce fait, limitée aux obligations de
vigilance à l’égard de la clientèle, le législateur français a ouvert, quant à lui, la
voie pour englober tout le dispositif de lutte anti-blanchiment.
À cet égard, il faut encore distinguer entre le droit européen (1.2.1.) et le droit
français (1.2.2.).

1.2.1 En droit européen


La quatrième directive LAB/FT 42 a abrogé et remplacé la troisième directive.
Mais en matière de tierce introduction, peu de choses ont changé entre ces deux
directives alors qu’en matière d’externalisation, aucun changement n’est à noter.

39. Décret n° 2009-1087 du 2 septembre 2009 relatif aux obligations de vigilance et de déclaration
pour la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de
financement du terrorisme, JO, n° 204, 4 septembre 2009.
40. D. Dedieu, « Le “bénéficiaire effectif” et la “tierce introduction” du dispositif de la lutte contre le
blanchiment de capitaux à la lumière des nouvelles lignes directrices de l’AMF », op. cit., p. 255.
41. Art. R. 561-13, II CMF dans la version issue du décret n° 2009-1087 du 2 septembre 2009.
42. Directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la pré-
vention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du finance-
ment du terrorisme, JOUE, L 141, 5 juin 2015, pp. 73 et s.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 545

Excepté la modification de la numérotation 43, la quatrième directive a simplement


imposé aux États membres l’obligation d’interdire aux entités assujetties de recou-
rir à des prestataires situés dans des pays à haut risque 44. Par ailleurs, la directive
prend davantage en compte la situation des groupes de sociétés et le partage d’in-
formations à l’intérieur du groupe 45. Ainsi, la tierce introduction à l’intérieur d’un
groupe de sociétés doit être admise et facilitée dès lors que le tiers fait partie du
même groupe, que le groupe a mis en place une politique en matière de LAB/FT et
est surveillé par une autorité de surveillance.
L’externalisation continue à faire office d’enfant pauvre dans la quatrième
directive LAB/FT. Elle continue, par ailleurs, à n’être envisagée que pour les obli-
gations de vigilance à l’égard de la clientèle. Or, le droit français fait route à part en
libéralisant franchement la possibilité d’externaliser.

1.2.2 En droit français


Avec la transposition de la quatrième directive LAB/FT, l’externalisation a trouvé
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en quelque sorte les ailes pour s’envoler vers un avenir plus prometteur. En effet,
la quatrième directive LAB/FT a été transposée en droit français par l’ordonnance
n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 46. Cette dernière a fidèlement intégré les modi-
fications de la directive en matière de tierce introduction à l’article L. 561-7 du
Code monétaire et financier. La nouveauté réside dans la prise en compte du groupe
de sociétés pour l’échange d’informations en matière de LAB/FT 47. Il est évident,
compte tenu de la facilité d’échanger des informations à l’intérieur d’un groupe de
sociétés 48, que l’externalisation aussi bien que la tierce introduction en bénéficient.
L’externalisation n’est toujours pas abordée dans la partie législative du code.
En revanche, le décret d’application n° 2018-284 du 18 avril 2018 a profondé-
ment refondu la partie réglementaire du code 49. Désormais, l’article R. 561-13 du
code est consacré à la seule tierce introduction. Il est amputé de sa deuxième par-
tie, consacrée à l’externalisation. Cette dernière est désormais abordée au nouvel
article R. 561-38-2 qui figure dans une section 6 sur les procédures et le contrôle
interne, dans la première sous-section dédiée à l’organisation du dispositif de lutte
anti-blanchiment. Il ne reste plus aucune référence à la tierce introduction. Outre

43. Ce sont les considérants 35 et 36 qui abordent la tierce introduction et l’externalisation ainsi que
les articles 25 à 29 de la directive.
44. Art. 26, § 2, Directive 2015/849.
45. Art. 28, Directive 2015/849.
46. H. Robert, « L’ordonnance du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif de lutte anti-blanchiment »,
Rev. Lamy dr. aff., février 2017, n° 123, pp. 16 et s.
47. Art. L. 511-34 CMF.
48. ACPR, « Lignes directrices relatives aux échanges d’informations au sein d’un groupe et hors
groupe », mars 2011, https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/media/2017/07/27/2011-
lignes-directrices-acp-pour-echanges-d-infos.pdf.
49. H. Robert, « Le décret n° 2018-284 du 18 avril 2018 renforçant le dispositif français contre le
blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme », Rev. Lamy dr. aff., juillet 2018, n° 139,
pp. 21 et s.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 546

ce changement d’emplacement, le champ d’application rationae personae de


l’externalisation a été fortement élargi. Ainsi, davantage d’entités peuvent avoir
recours à l’externalisation. C’est le cas de toutes les entités financières à l’excep-
tion des intermédiaires et des changeurs manuels. Le champ d’application ratio-
nae personae a de nouveau été élargi par l’un des décrets d’application de la loi
Pacte 50. Désormais, toutes les entités financières, y compris les intermédiaires,
les changeurs manuels, les émetteurs de jetons ayant obtenu un visa de l’AMF et
les prestataires de services sur actifs numériques enregistrés ou ayant obtenu un
agrément de l’AMF peuvent recourir à l’externalisation. Rationae materiae, ces
acteurs peuvent externaliser « tout ou partie des activités relatives aux obliga-
tions qui leur incombent au titre du présent chapitre, à l’exception des obligations
déclaratives prévues à l’article L. 561-15 » 51. En clair, quasiment tout le dispositif
de LAB/FT peut être externalisé à l’exception des déclarations de soupçons à
Tracfin. Rappelons que, lors de la transposition de la troisième directive LAB/FT,
l’externalisation réservée aux entités bancaires se limitait à l’identification et à la
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vérification de l’identité de la clientèle, avec un champ d’application cantonné à
certaines opérations uniquement. Quel changement de cap !
Un contrat devra être conclu avec le sous-traitant pour déterminer les condi-
tions et modalités de l’externalisation et un arrêté devra préciser les clauses
obligatoires du contrat. Enfin, il est précisé que l’entité qui externalise reste res-
ponsable de ses obligations en matière de LAB/FT 52. S’il s’agit d’une entité ban-
caire et financière, elle doit intégrer les activités externalisées dans son dispositif
de contrôle interne 53. Concernant l’externalisation d’une fonction essentielle, le
contrat d’externalisation doit permettre au régulateur de faire des contrôles chez le
sous-traitant 54. Or les fonctions liées à la lutte anti-blanchiment sont, en principe,
des fonctions essentielles 55. Cependant, en lieu et place d’une obligation de faire
par soi-même, ces entités n’ont plus qu’une obligation de choisir et de surveiller
le sous-traitant. S’il s’agit sans doute d’une facilité pour les personnes assujetties,
cela leur permet-il pour autant de prendre la mesure de leurs responsabilités ? Il est
vrai que les entités soumises au contrôle de l’ACPR ou de l’AMF font l’objet d’un
contrôle étroit, surtout quand il s’agit de l’externalisation de fonctions importantes
ou critiques 56. Elles peuvent, à cet effet, se faire sanctionner en cas de violation

50. Décret n° 2019-1248 du 28 novembre 2019 relatif au délai d’examen des demandes d’enregistre-
ment et d’agrément des prestataires de services sur actifs numériques, JO, n° 277, 29 novembre
2019.
51. Art. R. 561-38-2 CMF.
52. ACPR, « Lignes directrices relatives à l’identification, la vérification de l’identité et la connais-
sance de la clientèle », op. cit.
53. Art. 231 et s. de l’arrêté du 3 novembre 2014.
54. EBA, « Guidelines on Outsourcing Arrangements – Final Report », EBA/GL/2019/02, 25 February
2019, §§ 22 et s.
55. Art. 10, r), 4e tiret de l’arrêté du 3 novembre 2014 sur le contrôle interne.
56. EBA, « Guidelines on Outsourcing Arrangements – Final Report », op. cit., §§ 22 et s.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 547

de leurs obligations de contractualisation ou de reporting 57. En est-il de même des


entités novices en matière de lutte anti-blanchiment, comme les émetteurs de jetons
ou encore les prestataires de services sur actifs numériques ? Si ces entités prati-
quaient déjà en partie volontairement l’identification de la clientèle, cela ne couvre
toutefois qu’une petite partie des obligations en matière de compliance LAB/FT.
Qu’en est-il des intermédiaires en opérations de banque ou des changeurs manuels
qui ne sont pas soumis à l’arrêté du 3 novembre 2014 sur le contrôle interne ?
Enfin, l’arrêté, qui devait préciser les clauses obligatoires du contrat d’externa-
lisation n’a, à notre connaissance, toujours pas été publié. L’arrêté du 3 novembre
2014 relatif au contrôle interne des entités financières soumises au contrôle de
l’ACPR prévoit, en effet, quelques articles sur l’externalisation 58. Cependant,
d’une part, il ne s’agit pas d’un clausier et, d’autre part, celui-ci n’est pas applicable
aux acteurs contrôlés par l’AMF comme les émetteurs de jetons ou les prestataires
de services sur actifs numériques. Par ailleurs, le législateur a adopté un arrêté,
le 21 décembre 2018, qui oblige certaines entités régulées à effectuer un rapport
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annuel à l’ACPR relatif à l’organisation du dispositif de contrôle interne en matière
de LAB/FT. Là encore, cette obligation ne concerne que les entités soumises au
contrôle de l’ACPR.
La France semble ainsi avoir fait volte-face sur le sujet de l’externalisation en
matière de LAB/FT. Bien que ce changement apporte une souplesse certaine pour
les entités qui peuvent y recourir, il reste critiquable au-delà du changement radical
d’orientation.

2 UNE APPRÉCIATION CRITIQUE


S’il est louable que l’externalisation en matière de LAB/FT ait lentement trouvé
sa place et qu’on parvienne à mieux distinguer l’externalisation de la tierce intro-
duction, un certain nombre de questions se posent toutefois quant à cette nouvelle
approche du législateur. Ainsi est-il surprenant que seules certaines entités puissent
recourir à l’externalisation là où d’autres se voient, a contrario, refuser cette pos-
sibilité. Se pose, par conséquent, une question d’égalité devant la loi. Par ailleurs,
ainsi qu’il a déjà été signalé, il est tout aussi surprenant de constater que tout le
dispositif portant sur la possibilité d’externaliser ait été introduit en droit français
par voie de décret sans que les ordonnances corrélatives à ces décrets d’applica-
tion aient explicitement envisagé les questions d’externalisation. Par ailleurs, si
les directives sur la LAB/FT sont des directives d’harmonisation minimale, cela
veut-il dire pour autant que le législateur national peut libéraliser un pan entier du

57. AMF, Commission des Sanctions, Décision à l’égard de la société SG Securities (Paris), SAS,
M. A et Mme B., 13 mars 2013.
58. Art. 231 à 240.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 548

dispositif LAB/FT ? Se pose alors une question de légalité du dispositif. Enfin, on


peut s’interroger sur l’efficacité de cette volte-face. Bien que l’admission très limi-
tée de la possibilité d’externaliser soit excessive, est-il pour autant souhaitable de
l’admettre de manière aussi extensive, et ce pour les acteurs choisis ?
Il convient, par conséquent, de se pencher, d’une part, sur l’égalité devant la loi
et la légalité du dispositif (2.1.) avant d’aborder, d’autre part, son efficacité (2.2.).

2.1 Une question de légalité et d’égalité

Tout d’abord, il est fort surprenant que ce dispositif ait été introduit par voie
de décret alors que les ordonnances ne mentionnaient nullement l’externalisa-
tion (2.1.1.). Par ailleurs, la conformité du dispositif au droit européen interroge
(2.1.2.), ainsi que le cercle de personnes qui peuvent avoir recours à l’externalisa-
tion (2.1.3.). Ce périmètre a été récemment élargi pour englober aussi les acteurs
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de l’écosystème des crypto-actifs 59. Compte tenu de cet élargissement, est-il encore
justifié de fermer la possibilité d’externaliser à certaines personnes assujetties au
dispositif de LAB/FT ?

2.1.1 Limitations d’un décret d’application


Il faut se souvenir que l’externalisation n’est apparue dans les textes français
qu’avec le décret d’application 60 de l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009
transposant la troisième directive LAB/FT. Le nouvel article R. 561-13 du Code
monétaire et financier, qui en était issu, était avant tout réservé à la tierce intro-
duction. Ce n’est que dans sa deuxième partie qu’était évoquée l’externalisation.
Il existait donc un lien fort entre la tierce introduction, prévue par la loi, et l’exter-
nalisation dont elle semblait a priori n’être qu’une variante. La formulation des
textes laissait à penser que le décret d’application restait dans le cadre qui était le
sien puisqu’il ne faisait qu’étendre, avec l’externalisation, ce qui fut envisagé par
la loi, à savoir la tierce introduction.
Or, de deux choses l’une : soit un décret est pris de manière autonome, soit il
est pris en application de dispositions législatives 61.
Pris de façon autonome, un décret ne peut empiéter sur les compétences
du législateur, qui doit notamment fixer les règles d’aménagement éventuel des
libertés 62.

59. I. Barsan « Regulating the Crypto World – New Developments from France », (December 22,
2019), RTDF, 2019, n° 4, pp. 9 et s. : https://ssrn.com/abstract=3484391 ou http://dx.doi.
org/10.2139/ssrn.3484391.
60. Décret n° 2009-1087 du 2 septembre 2009 relatif aux obligations de vigilance et de déclaration
pour la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de
financement du terrorisme, JO, n° 204, 4 septembre 2009.
61. Conformément aux articles 21 et 37 de la Constitution.
62. Conformément à l’article 34 de la Constitution.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 549

Pourtant, interdire ou limiter aussi bien la tierce introduction que l’externalisa-


tion revient à limiter une liberté fondamentale, la liberté d’entreprendre, qui com-
prend, outre la liberté d’accès, la liberté d’exercer une profession ou une activité 63,
laquelle s’exerce dans le cadre d’une réglementation instituée par la loi 64. Par ail-
leurs, le non-respect de l’interdiction du recours à l’externalisation peut être sanc-
tionné par l’ACPR. Nous savons qu’en fonction de la sanction utilisée, il est possible
de soutenir, au regard de la CEDH, que ces pouvoirs de sanction sont de nature quasi
pénale 65. On pourrait donc se dire que la limitation d’une liberté, dont le non-respect
est sanctionné pénalement, devrait relever du domaine de la loi 66 et non du règle-
ment 67, et que par conséquent les dispositions réglementaires limitant le recours à
l’externalisation devraient être prises en application de dispositions législatives.
En 2009, il était encore possible de raccrocher l’externalisation à la loi puisque
son lien étroit avec la tierce introduction permettait, d’une part, de soutenir qu’elle
figurait bien, en embryon du moins, dans un texte législatif et, d’autre part, que le
décret d’application respectait le cadre qui était le sien.
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Les choses changent cependant, avec la transposition de la quatrième direc-
tive LAB/FT par l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 et surtout son
décret d’application n° 2018-284 du 18 avril 2018 qui a profondément remodelé la
partie réglementaire du code.
L’analyse invite dès lors à s’interroger sur le décret en tant qu’il n’intervient
que pour l’application d’un texte législatif. Un article spécifique organise en effet
la scission entre la tierce introduction et l’externalisation 68. Tout d’abord, l’ordon-
nance du 1er décembre 2016 ne prévoit pas explicitement ce remaniement régle-
mentaire et, ensuite, l’externalisation devient totalement autonome, dans la mesure
où aucune disposition de l’ordonnance précitée ne vient prévoir le principe même
d’un recours différencié à l’externalisation entre toutes les professions soumises
aux obligations en matière de LAB/FT. Or l’externalisation est bel et bien limitée
à certaines entités et elle est interdite à d’autres par voie réglementaire. N’est-ce
pas alors, pour ces dernières entités, comme développé plus haut, une limite à la
liberté d’entreprendre, à savoir la liberté d’organiser l’exercice de leur activité et
leur entreprise 69 ? Le principe de cette limite aurait alors dû être a minima prévu
par les dispositions de l’ordonnance du 1er décembre 2016, afin que le décret puisse
être pris en application de ces dispositions. Ne serait-il alors pas possible de ques-
tionner formellement la légalité du dispositif sur l’externalisation ?

63. C. const., 30 novembre 2012, n° 2012-285 QPC.


64. C. const., 16 janvier 1986, n° 85-200 DC ; l’incompétence négative du législateur peut d’ailleurs
être sanctionnée (C.C., 6 octobre 2010, n° 2010-45 QPC).
65. CEDH, 8 juin 1976, Engel et al. c. Pays-Bas, aff. n° 5100/71.
66. Art. 34 de la Constitution ; v. G. Clamour, « Libertés professionnelles et liberté d’entreprise »,
22 juin 2007, J.-Cl. Civil, fasc. 40, n° 73 et 80.
67. Art. 37 de la Constitution.
68. Codifié à l’art. R. 561-38-2 CMF.
69. La liberté de gérer librement son entreprise fait partie intégrante de la liberté d’entreprendre,
v. G. Clamour, « Libertés professionnelles et liberté d’entreprise », op. cit., n° 23.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 550

Ces interdictions et limitations pourraient, par ailleurs, soulever des questions


de conformité au droit européen.

2.1.2 Conformité au droit européen


On l’aura compris, les directives relatives à la lutte anti-blanchiment sont d’harmo-
nisation minimale. Cela permet à un législateur national d’exiger davantage de ses
assujettis, mais a-t-il le droit de libéraliser des pans entiers de la LAB/FT ? Ce n’est
normalement pas le cas. L’inconvénient est que le législateur européen n’aborde
l’externalisation qu’indirectement à travers la tierce introduction. Il prévoit, par
ailleurs, explicitement que la directive ne s’applique pas à l’externalisation 70, mais
sa conception de l’externalisation paraît la limiter aux obligations de vigilance à
l’égard de la clientèle. Est-il dès lors possible de l’ouvrir plus largement ? La ques-
tion mérite au moins d’être soulevée même si la réponse semble plutôt positive.
Au fond, la question qui se pose au regard du droit européen est celle de savoir
si, en élargissant aussi amplement la possibilité d’externaliser la LAB/FT, le légis-
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lateur français ne violerait pas l’esprit des directives en la matière.
On peut, par exemple, s’interroger sur le risque de contournement de la tierce
introduction.
Le Gafi aussi bien que les directives LAB/FT envisagent a priori la tierce
introduction. Celle-ci est doublement limitée : le tiers comme l’entité qui a recours
au tiers doivent être des entités régulées et soumises à la LAB/FT. Rien n’interdit
cependant à l’entité régulée d’avoir recours à l’externalisation pour l’identification
de la clientèle au lieu de l’externalisation. Le sous-traitant n’a alors pas besoin
d’être une entité régulée. On a vu que la différence entre tierce introduction et exter-
nalisation de l’identification et de la vérification de la clientèle est très ténue. C’est
davantage une question de séquencement. La distinction tient en réalité au régime :
pour la tierce introduction, le tiers respecte ses propres règles de LAB/FT, raison
pour laquelle le tiers doit être une entité soumise à ces mêmes obligations 71, alors
que pour l’externalisation le sous-traitant doit respecter les règles de LAB/FT de
son donneur d’ordre. Le dispositif de contrôle interne de l’entité régulée doit ainsi
englober l’activité externalisée 72. Une entité régulée pourra alors, au choix, avoir
recours soit à la tierce introduction, soit à l’externalisation. La tierce introduction
et ses limitations ne sont, par conséquent, pas exclusives de l’externalisation et il
est toujours possible de la remplacer par l’externalisation. Comme l’externalisation
est désormais plus large que la tierce introduction et qu’elle n’interdit pas d’avoir
recours à une autre entité régulée, la situation dans laquelle une entité externalise
des pans entiers de ses obligations en matière de LAB/FT à une autre entité régulée

70. Art. 29 quatrième directive LAB/FT.


71. D. Dedieu, « Le “bénéficiaire effectif” et la “tierce introduction” du dispositif de la lutte contre le
blanchiment de capitaux à la lumière des nouvelles lignes directrices de l’AMF », op. cit., p. 255.
72. ACPR, « Lignes directrices relatives à l’identification, la vérification de l’identité et la connais-
sance de la clientèle », op. cit.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 551

est possible. Faudrait-il, dans cette hypothèse, que le sous-traitant respecte le dis-
positif LAB/FT de l’entité qui a recours à l’externalisation pour toutes les tâches
externalisées ou bien faudrait-il appliquer les règles de LAB/FT de manière distri-
butive ? Les règles du sous-traitant/tiers introducteur s’appliqueraient à l’identifi-
cation de la clientèle et les règles de l’entité qui a recours au dispositif aux autres
tâches externalisées ? Cela semble bien peu efficient.
Il nous semble qu’au lieu de créer cette distinction artificielle entre tierce intro-
duction et externalisation, il aurait plutôt fallu prendre en compte la qualité du
sous-traitant/tiers. Si celui-ci est une entité régulée et soumise aux obligations de
LAB/FT, il peut respecter son propre cadre, tout en étant soumis au contrat et au
contrôle de l’entité qui a recours à ce dispositif ; alors que, si le sous-traitant/tiers
est une entité qui n’a pas d’obligations en la matière, il faut lui imposer contractuel-
lement les règles de LAB/FT de l’entité qui a recours au dispositif.

2.1.3 Limitations rationae personae


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On se souvient, l’externalisation est limitée aux entités financières, aux changeurs
manuels, aux émetteurs de jetons ainsi qu’aux prestataires de services sur actifs
numériques. Il existe donc une véritable différence de traitement entre les profes-
sions pouvant recourir à l’externalisation et les autres. Se pose, dès lors, la ques-
tion de savoir pourquoi les autres personnes soumises à la lutte anti-blanchiment,
comme les avocats 73, les professionnels du chiffre, les bijoutiers, les galeries d’art,
etc., ne pourraient pas à leur tour recourir à l’externalisation ou à la tierce intro-
duction 74 ? Initialement, l’accès à la tierce introduction et l’externalisation était
limité aux banques et de manière très restrictive. On aurait pu penser que cela
se justifiait par le fait que les banques étaient les principales actrices de la LAB/
FT, et sont soucieuses du respect de leurs obligations en la matière. Il est vrai que
celles-ci sont, par ailleurs, strictement encadrées par le régulateur et font l’objet
de contrôles réguliers. Elles ont, enfin, l’expérience de la LAB/FT. Leur permettre
l’externalisation ou la tierce introduction revient simplement à leur faciliter la ges-
tion de ces obligations ou à encourager le progrès technique sans qu’il y ait de
répercussion sur le sérieux avec lequel elles remplissent leurs obligations. Or cet
argument ne peut plus être développé depuis que l’ordonnance de 2018, puis le
décret de 2019, ont largement ouvert le cercle des personnes qui peuvent recourir
à l’externalisation.

73. L’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 a désormais rajouté un article L. 561-7-1 au code
monétaire et financier permetttant aux avocats de se communiquer les informations relatives à
l’identification de la clientèle entre eux.
74. Commission nationale des sanctions, Décision du 18 décembre 2019, Dossier n° 2018-38, https://
www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/commission-nationale-sanctions/CNS%20
du%2018%20d%C3%A9cembre%202019%20-%202018-38.pdf : dans cette décision de sanc-
tion, une agence immobilière a été condamnée pour s’être reposée sur le notaire pour ses obliga-
tions d’identification de la clientèle.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 552

Reste alors la question de l’égalité de traitement de ces différents acteurs. Le


principe d’égalité, qui s’impose au législateur comme à l’autorité réglementaire 75,
ne s’oppose ni à ce que le législateur ou l’autorité investie du pouvoir réglementaire
règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il ou elle déroge à
l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que cette différence de traite-
ment soit en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit.
Quels critères permettraient de justifier une différence de traitement ?
L’expérience ou les obligations en matière de LAB/FT pourraient être un critère.
Mais, d’une part, les obligations sont les mêmes pour tous et, d’autre part, compte
tenu de l’élargissement récent rationae personae des possibilités d’externaliser,
l’expérience ne semble pas non plus pouvoir justifier cela. On pourrait encore
considérer le volume d’activités sur lequel pèsent ces obligations, mais là encore,
un même constat s’impose. Enfin, il serait possible de penser à des sanctions diffé-
rentes ou encore à des contraintes en matière de secret professionnel qui pourraient
empêcher toute externalisation, ou au caractère régulé ou non d’une profession.
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Mais cela devrait plutôt militer en faveur de l’interdiction de l’externalisation aux
entités soumises au secret professionnel. Surtout, les banques encourent des sanc-
tions similaires, en cas de violation du secret professionnel, à celles encourues par
les experts-comptables (ne pouvant pas recourir à l’externalisation) 76. Si l’accès et
l’exercice des activités bancaires sont réglementés, il est indéniable que ceux de la
profession d’avocat ou d’expert-comptable le sont également.
Quant à la sanction, si certaines personnes autorisées à externaliser peuvent
encourir des sanctions pécuniaires plus lourdes 77, d’autres en revanche risquent des
peines similaires à celles dont peuvent faire l’objet les professions non autorisées
à externaliser 78.
On pourrait avancer l’argument que les changeurs manuels ou les émetteurs
de jetons n’ont pas l’expérience de la LAB/FT et qu’il vaudrait mieux confier ces
tâches à des professionnels du métier. Or un bijoutier, une société qui propose une
activité de domiciliation d’entreprise et même un avocat n’ont pas non plus néces-
sairement l’expérience de la compliance en matière de LAB/FT.
Ainsi, non seulement le législateur et le pouvoir réglementaire n’ont pas sem-
blé subordonner cette différence de traitement à l’existence d’un motif d’intérêt

75. C.C., 6 août 2009, n° 2009-588 DC ; CE, 15 mai 2000, n° 200903, Barroux.
76. Art. 226-13 du Code pénal ; voir l’article L. 571-4 du Code monétaire et financier pour les presta-
taires de services bancaires, et l’article 21 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 pour
les experts-comptables.
77. Pour les personnes mentionnées aux 1° à 7°, à l’exclusion des personnes mentionnées aux 3°,
3° bis, 4°, 7° et 7° bis de l’article L. 561-2, les sanctions pécuniaires peuvent aller jusqu’à 100 mil-
lions d’euros et dix pour cent du chiffre d’affaires total (art. L. 561-36-1 IV du Code monétaire et
financier).
78. Les personnes mentionnées au 7° et 7° bis de l’article L. 561-2 peuvent encourir une sanction
pécuniaire allant jusqu’à 5 millions d’euros (art. L. 561-36-1 V), tout comme les personnes men-
tionnées aux 8° à 11° et aux 14° à 16° de l’article L. 561-2 (art. L. 561-40 I).
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 553

général, mais il est difficile de trouver, entre les professions pouvant recourir à
l’externalisation et celles ne le pouvant pas, une différence de situation qui justifie-
rait cette différence de traitement.
Ainsi, cette rupture d’égalité nous semble pour le moins surprenante et pourrait
soulever la question de la conformité des dispositions en matière d’externalisation
au principe d’égalité.
Mais au-delà de la formalité des questions d’égalité et de légalité, se pose
surtout la question de l’efficacité de l’ouverture aussi large des possibilités
d’externaliser.

2.2 Une question d’efficacité

L’objectif de la compliance en matière de LAB/FT est l’efficacité avec laquelle le


système financier lutte contre le crime organisé et d’autres comportements répré-
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hensibles. C’est une question d’intégrité. Or l’efficacité a un double volet, d’une
part, le cercle de personnes soumises à ces obligations est sans cesse élargi et,
d’autre part, les obligations en matière de compliance se multiplient. Pour qu’un
système de compliance soit efficace, encore faut-il que les acteurs soumis à ces
obligations l’embrassent réellement et sortent d’une attitude assez formaliste se
résumant à l’écrire en quelques lignes de procédures. Au fond, la compliance, sur-
tout en matière de LAB/FT, est souvent perçue comme se résumant à des procé-
dures sans implication pratique réelle. Or un bon système de compliance nécessite
d’aller au-delà de cette attitude formaliste. C’est pour cela que la quatrième direc-
tive LAB/FT exige désormais – ce qui est en réalité classique en matière de com-
pliance – de commencer par une analyse des risques pour adapter son système de
conformité LAB/FT aux risques réels de l’entreprise. L’analyse des risques 79 est
ce que la cartographie est à la loi Sapin 2 80 en matière de lutte anti-corruption ou à
la loi sur le devoir de vigilance 81. En effet, pour mettre en place des mesures effi-
cientes de compliance, encore faut-il identifier et analyser ses risques.
Au fond, la lutte anti-blanchiment pourrait bénéficier de moins de fragmen-
tation 82. Cette fragmentation se manifeste par les autorités qui sont responsables
de vérifier la conformité à la loi, voire d’organiser les poursuites, mais elle se
manifeste aussi par les règles auxquelles sont soumises les personnes assujetties
au niveau national. Même si les autorités européennes tentent de mieux coopérer

79. M.-A. Frison-Roche, « Théorie juridique de la cartographie des risques, centre du droit de la
compliance », op. cit.
80. Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et
à la modernisation de la vie économique, JO, n° 287, 10 décembre 2016.
81. Loi n° 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses
d’ordre, JO, n° 74, 28 mars 2017.
82. European Commission, « Report on the Assessment of Recent Alleged Money Laundering Cases
Involving EU Credit Institutions », op. cit., p. 23.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 554

et de partager des informations 83 pour éviter précisément le morcellement, qui a


permis à la Danske Bank de blanchir 200 millions d’euros entre 2007 et 2015 84, il
nous semble qu’en termes qualitatifs, la lutte anti-blanchiment pourrait grandement
bénéficier d’une autorité de contrôle unique 85.
Compte tenu de cette tendance, il est dès lors surprenant que le législateur
français ouvre aussi largement la possibilité d’externaliser alors que cela semble
s’inscrire à l’encontre de l’objectif tendant à davantage de prise de conscience et
d’efficience qualitative dans la lutte anti-blanchiment. Or, non seulement le légis-
lateur français a ouvert la possibilité d’externaliser rationae personae (2.2.1.), mais
également rationae materiae (2.2.2.).

2.2.1 Une ouverture rationae personae


Rationae personae, la liste des entités qui peuvent recourir à l’externalisation s’est
considérablement allongée. Si initialement, seules les banques pouvaient y recou-
rir dans des cas très limitatifs, désormais toutes les entités financières, les chan-
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geurs manuels et surtout aussi les émetteurs de jetons et les prestataires de services
sur actifs numériques y ont également accès. Or il y avait une bonne raison pour
laquelle cette facilité n’était initialement ouverte qu’aux établissements de crédit.
Elle tient à la charge de leurs obligations, mais également au sérieux avec lequel
elles font de la lutte anti-blanchiment compte tenu de l’encadrement très strict par
le régulateur. De surcroît, il s’agit d’entités très régulées et supervisées par l’ACPR.
En d’autres termes, leur permettre d’externaliser certaines fonctions ne semble pas
faire courir un risque d’une conformité LAB/FT au rabais puisque ces entités ont
toute conscience du sérieux de leurs obligations. Surtout, il existe des règles contrai-
gnantes et une surveillance particulière lorsqu’on est en présence de l’externalisa-
tion de fonctions importantes ou critiques 86.
Peut-on dire la même chose des intermédiaires en opérations de banque ou
encore et surtout des changeurs manuels ou des acteurs de l’écosystème des cryp-
to-actifs? Ces derniers acteurs n’étaient pas, habituellement, soumis à la lutte anti-
blanchiment. Ce sont donc des obligations tout à fait nouvelles pour eux. Rappelons
que le Gafi a exigé en 2015 87 que les prestataires, qui échangent des crypto-actifs

83. V. European Commission, « Report Assessing the Framework for Cooperation Between
Financial Intelligence Units », Brussels, 24 juillet 2019 COM(2019) 371 final ; v. aussi European
Commission, « Report on the Assessment of Recent Alleged Money Laundering Cases Involving
EU Credit Institutions », op. cit., pp. 14 et s.
84. AFP, « Lutte anti-blanchiment : les superviseurs européens renforcent leur coopération »,
Euractiv, 16 décembre 2019, https://www.euractiv.fr/section/economie/news/lutte-anti-blanchi-
ment-les-superviseurs-europeens-renforcent-leur-cooperation/.
85. E. Lederer, « Blanchiment : deux ans pour désamorcer la bombe Danske Bank », op. cit. ; v. aussi
European Commission, « Report on the Assessment of Recent Alleged Money Laundering Cases
Involving EU Credit Institutions », op. cit., p. 23, dernière phrase.
86. EBA, « Guidelines on Outsourcing Arrangements – Final Report », op. cit., §§ 22 et s.
87. FATF, « Guidance for a Risk Based Approach – Virtual Currencies », June 2015.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 555

contre de la monnaie fiat, soient soumis aux obligations de lutte anti-blanchiment 88.
Trois ans plus tard, le Gafi a mis à jour ses recommandations 89 et exige désormais
que tous les prestataires de services sur actifs virtuels soient régulés au regard des
obligations de LAB/FT. Ces prestataires de services sont définis comme « toute
personne physique ou morale qui ne fait pas l’objet d’autres dispositions des
Recommandations du Gafi, et qui exerce à titre commercial une ou plusieurs des
activités ou opérations suivantes au nom d’un client ou pour son compte :
i. échange entre actifs virtuels et monnaie fiduciaire ;
ii. échange entre une ou plusieurs formes d’actifs virtuels ;
iii. transfert d’actifs virtuels ;
iv. conservation et/ou administration d’actifs virtuels ou d’instruments permettant
le contrôle d’actifs virtuels ; et
v. participation à et prestation de services financiers liés à l’offre d’un émetteur
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et/ou à la vente d’actifs virtuels » 90.

Les premières exigences du Gafi se sont déversées dans la cinquième directive


LAB/FT 91. Malheureusement, celle-ci ne vise que les conservateurs de clés et les
prestataires des services échangeant des crypto-actifs contre de la monnaie fiat,
compte tenu du fait qu’elle fut adoptée quelques mois avant que le Gafi revoie ses
recommandations. L’adoption d’une sixième directive LAB/FT n’est donc qu’une
question de temps.
La France a pris les devants, de façon un peu originale, puisqu’elle a soumis
les conservateurs de clés et les prestataires d’échange crypto-fiat de manière obli-
gatoire à un enregistrement et donc à la lutte anti-blanchiment. Tous les autres pres-
tataires ainsi que les émetteurs de jetons 92 sont soumis à ces obligations de manière
optionnelle s’ils demandent un agrément ou un visa à l’AMF 93.
En d’autres termes, le législateur autorise des acteurs, qui ne connaissent rien à
la lutte anti-blanchiment et qui interviennent sur des actifs connus pour être utilisés
pour blanchir de l’argent sale 94, à externaliser la totalité de leurs obligations en la

88. I. Barsan, « Public Blockchains: The Privacy-Transparency Conundrum », (July 1, 2019), Revue
trimestrielle de droit financier, 2019, n° 2, p. 51, https://ssrn.com/abstract=3445025.
89. Gafi, Les recommandations du Gafi, mise à jour octobre 2018, p. 130 ; http://www.fatf-gafi.org/
media/fatf/documents/recommendations/pdfs/Recommandations%20du%20GAFI%202012.pdf.
90. Idem.
91. Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, op. cit., pp. 43
et s.
92. Notons que ni le Gafi, ni la 5e directive LAB/FT n’exigent de soumettre les émetteurs de jetons
aux obligations LAB/FT.
93. I. Barsan, « Regulating the Crypto World – New Developments from France », op. cit.
94. Tracfin, Tendances et analyses des risques de blanchiment de capitaux et de financement du ter-
rorisme en 2017-2018, op. cit., pp. 55 et s.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 556

matière alors que des professions qui sont soumises à ces obligations de longue
date n’ont pas le droit de le faire. C’est pour le moins surprenant.
Cela incite à s’interroger sur l’efficacité de la LAB/FT. Peut-on réellement
considérer que ces acteurs novices en la matière, qui interviennent sur des actifs
risqués et qui ne sont, pour partie, soumis aux obligations LAB/FT que de manière
optionnelle, prendront leurs obligations réellement au sérieux s’ils peuvent par
ailleurs les externaliser ? Il est possible d’en douter. En réalité, cela dépendra de
la détermination avec laquelle l’AMF contrôlera et sanctionnera ces nouveaux
acteurs. Mais puisqu’un droit optionnel a été créé, droit d’un nouveau genre, il est
fort à parier que l’AMF montrera une certaine clémence à leur égard. Raison de
plus de douter de l’efficacité du dispositif et de questionner la logique même du
législateur en matière d’externalisation.

2.2.2 Une ouverture rationae materiae


Une fois n’est pas coutume, l’élargissement des possibilités d’externaliser ses
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obligations se pose également d’un point de vue rationae materiae. Fausse sœur
jumelle de la tierce introduction, l’externalisation était initialement limitée à
l’identification des clients occasionnels. Toutefois, depuis le décret de 2018, il est
désormais possible d’externaliser toutes les obligations en matière de LAB/FT. Là
encore, la question de l’efficacité se pose. Si l’on peut considérer qu’il vaut mieux
confier ces tâches à des acteurs avisés et expérimentés, il ne faut pas perdre de vue
l’idée que l’entité qui recourt à l’externalisation reste responsable de ses obliga-
tions en matière de LAB/FT. À défaut d’encourir le reproche d’avoir mal fait, elle
se verra reprocher d’avoir mal choisi son sous-traitant et de l’avoir mal instruit
et supervisé 95. Toute faute commise par un sous-traitant est attribuable à l’enti-
té assujettie puisque le sous-traitant intervient en son nom et pour son compte.
Il n’est en réalité qu’un exécutant et n’a nullement besoin d’être soumis aux obli-
gations de compliance en matière de LAB/FT. Si un certain nombre d’acteurs
ont développé des solutions techniques afin d’identifier la clientèle, d’en vérifier
l’identité ou encore de chercher les sanctions internationales à l’encontre d’acteurs
soupçonnés de terrorisme ou d’infractions aux embargos ou gel des avoirs, cela
ne veut pas dire pour autant que ces acteurs sont des spécialistes de la lutte anti-
blanchiment. Ainsi, une entité qui recourt à l’externalisation doit continuer à pro-
céder à son analyse des risques, même si elle peut mandater un tiers pour le faire
à sa place, elle doit travailler ses procédures, former ses employés et surtout bien
choisir et surveiller ses sous-traitants. Mais lorsqu’on parle d’entités qui ne sont
pas habituées à la lutte anti-blanchiment et qui sont surveillées par des autorités
éparpillées, dont la tâche principale n’est pas de faire de la LAB/FT, on peut se
poser la question de savoir s’il est bien judicieux d’autoriser un recours aussi
large à l’externalisation. N’y a-t-il pas un risque que ces entités ne prennent pas

95. ACPR, « Lignes directrices relatives à l’identification, la vérification de l’identité et la connais-


sance de la clientèle », op. cit.
Compliance : externalisation et tierce introduction en matière de lutte anti-blanchiment 557

suffisamment au sérieux leurs obligations en demeurant dans une attitude pure-


ment formaliste et qu’elles aient même l’impression de se décharger dans une
certaine mesure de leurs obligations, compte tenu de l’externalisation alors que ce
n’est absolument pas le cas ?
La clé du succès réside dans la supervision, l’organisation des poursuites et
la sanction (enforcement). Or, en dehors du domaine bancaire et financier, au sens
plus traditionnel du terme, les sanctions ne semblent pas fréquentes 96.

SUMMARY: COMPLIANCE: OUTSOURCING AND RELIANCE


ON THIRD PARTIES IN ANTI-MONEY LAUNDERING
The scope of the fight against money laundering continues to grow both ratione
materiae and ratione personae. This growth seems, however, to be more quantitative
than qualitative. In any case, it generates costs for the entities subject to it. To miti-
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gate these costs, and in the interest of efficiency, some entities can outsource almost
all of their obligations. However, in the past, only banking and financial entities
could resort to third party reliance for their customer due diligence obligations.
In addition to third party reliance, the outsourcing of customer due diligence has
gradually been allowed. This being said, Decree No. 2018-284 of April 18, 2018,
the implementing decree of Ordinance No. 2016-1635 of December 1, 2016, trans-
posing the Fourth Anti-Money Laundering Directive, has completely liberalized
outsourcing possibilities. This development raises a number of questions regarding
the principle of legality and the principle of equality before the law, and above all
it questions the efficiency of the French approach, which seems committed to a
quantitative rather than a qualitative growth of anti-money laundering obligations.

Mots clés : Lutte anti-blanchiment, LAB, financement du terrorisme, régulation,


supervision, tierce introduction, externalisation, KYC

Keywords: anti-money laundering, AML, financing of terrorism, regulation,


supervision, reliance on third parties, outsourcing, KYC

96. La Commission nationale des sanctions a prononcé, en 2019, 28 sanctions. La très grande majori-
té des sanctions fut prononcée contre des agences immobilières ou des gestionnaires immobiliers ;
quelques sanctions furent prononcées contre des sociétés exerçant l’activité de domiciliation ;
la même tendance se confirme en 2018 avec 25 décisions de sanction dans les mêmes secteurs
d’activité ; v. https://www.economie.gouv.fr/commission-nationale-sanctions/decisions-cns ;
v. aussi European Commission, « Report on the Assessment of the Risk of Money Laundering
and Terrorist Financing Affecting the Internal Market and Relating to Cross-border Activities »,
op. cit., p. 3.

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