Vous êtes sur la page 1sur 24

Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour

l’Union européenne dans le respect du droit international


Abdoulaye Ngom
Dans Revue internationale de droit économique 2022/1 (t.XXXVI), pages 5 à 27
Éditions Association internationale de droit économique
ISSN 1010-8831
ISBN 9782931194041
DOI 10.3917/ride.361.0005
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2022-1-page-5.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Association internationale de droit économique.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
LES TERRES RARES D’AFRIQUE,
UN POTENTIEL RECOURS POUR L’UNION
EUROPÉENNE DANS LE RESPECT
DU DROIT INTERNATIONAL

Abdoulaye NGOM
Docteur en droit de l’université de Rennes 1
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
layengom21@​gmail​.com

Résumé : Pour sa transition énergétique et écologique à l’ère du numérique,


l’Union européenne (UE), face au monopole chinois et aux limites de ses capa-
cités de recyclage et de substitution, doit sécuriser son approvisionnement en
terres rares. L’Afrique peut quant à elle s’ériger en producteur et fournisseur
de l’UE. Pour cela, les pays d’Afrique producteurs de terres rares doivent
s’appuyer sur le droit international pour maîtriser les enjeux liés à la pollu-
tion délocalisée. Émerge ainsi un besoin face aux enjeux géo-économiques, aux
défis géopolitiques ou aux dangers écologiques liés à l’exploitation des terres
rares africaines : celui d’une conscience écologique globale et d’un encadre-
ment juridique international, qui sont toujours en gestation.

1 Introduction
2 Le droit international favorable à la protection et à la préservation des terres
rares africaines
2.1 La pertinence du principe de souveraineté sur les ressources naturelles
dans les relations économiques africaines
2.2 Des dispositions du GATT/OMC favorables à la protection et la préserva-
tion des terres rares d’Afrique
3 Les conditions d’un approvisionnement de l’UE en terres rares africaines
3.1 Quelle accessibilité de l’UE à un approvisionnement responsable et garanti
en terres rares africaines ?
3.2 La menace environnementale sera-t-elle au cœur des préoccupations
africaines ?

Revue Internationale de Droit Économique – 2022 – pp. 5-27 – DOI : 10.3917/ride.361.0005


Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 6

1 INTRODUCTION
« La carte du monde semble se reconstruire autour des ressources naturelles » 1
et la Chine a assuré sa domination sur les terres rares. L’Afrique, toujours riche
en ressources naturelles, semble être un recours important pour l’UE, plutôt
mal lotie en gisements. Ces métaux rares sont relativement abondants dans la
croûte terrestre. Toutefois, leur extraction est compliquée et leur raffinage très
coûteux et polluant. Ces minerais aux propriétés chimiques indispensables à la
fabrication de technologies-phares de la transition énergétique et écologique et
d’appareils électroniques et numériques sont au nombre de 17 2.
Compte tenu de leur large gamme d’utilisations, les quantités disponibles
de terres rares sont faibles alors que la demande est en augmentation constante
eu égard à la croissance de la population mondiale et des niveaux de vie qui
s’améliorent, de l’industrialisation et de l’innovation 3. Cette demande crois-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
sante devrait exercer une pression sur les réserves mondiales des terres rares
à l’avenir. En plus, le faible taux de recyclage des « mines urbaines » (1 %) et
de substitution des terres rares par le fer phosphate ou l’éponge moléculaire
(0,87 %) 4 ne permet pas d’atténuer les effets de cette croissance.
Les règles de l’OMC ne s’appliquent généralement pas aux ressources natu-
relles avant leur extraction ou leur prélèvement 5. Mais, dans la mesure où une
ressource naturelle peut être exportée, elle est soumise aux obligations énoncées
dans les accords relatifs au commerce des marchandises, dont le GATT 6. Les
quantités de terres rares échangées ne sont toutefois pas encore cotées sur des
marchés internationaux de matières premières et elles peuvent sembler faibles
au regard d’autres minéraux, minerais et métaux. En conséquence, l’absence de
statistiques internationales fiables sur les marchés des terres rares ne contribue

1. B. Mérenne-Schoumaker, Atlas mondial des matières premières, Paris, Autrement, 2020,


p. 96.
2. Lanthane ; cérium ; praséodyme ; néodyme ; prométhium ; samarium ; europium ; gadoli-
nium ; terbium ; dysprosium ; holmium ; erbium ; hélium ; ytterbium ; lutécium ; scandium et
yttrium, auxquels on ajoute graphite, cobalt, antimoine, tungstène, tantale, platine, iridium,
ruthénium et niobium.
3. N. Deredec, « Métaux rares : l’empire global de la Chine », 20 mai 2020, Association LVSL :
https://​lvsl​.fr/​metaux​-rares​-lempire​-global​-de​-la​-chine/​?print​-posts​=​pdf.
4. Source : Union européenne, Report on critical raw materials for the EU, 2014.
5. « Rapport sur le commerce mondial 2010 : commerce des ressources naturelles », p. 160,
https://​www​.wto​.org/​french/​res​_f/​booksp​_f/​anrep​_f/​world​_trade​_report10​_f​.pdf.
6. Ainsi, les terres rares entrent dans la définition des produits de base par le GATT et sont liées
aux notions de « fongibilité » et de « quantité » de l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers
et le Commerce (GATT de 1947), Ad Article XVI.2, Annexe I : Notes et Dispositions
Additionnelles.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 7

pas à accroître la transparence relative à la formation de leur prix 7. En plus, le


droit de l’OMC (l’article XI et l’article XX du GATT), tout en s’attaquant par
des dispositions très contraignantes aux barrières à l’importation ne dispose pas
d’une régulation aussi suffisante pour lutter contre les restrictions à l’exporta-
tion, ce qui serait favorable à la protection et à la préservation des terres rares.
Et l’Organe de règlement des différends (ORD) se trouve classiquement placé
devant le dilemme suivant : savoir si une mesure de restriction à l’égard de
produits étrangers relève du protectionnisme ou constitue une disposition réel-
lement motivée par le souci de protéger les valeurs reconnues notamment par
l’article XX du GATT 8.
Compte tenu des intérêts internationaux inhérents aux terres rares, de leurs
caractéristiques économiques et de leurs implications pour le commerce inter-
national et l’environnement, l’accès de l’UE aux terres rares africaines doit être
examiné à la lumière du droit de l’OMC et des accords internationaux impor-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
tants régissant l’exploitation de cette ressource.
La Chine possède 36 % des réserves mondiales de terres rares, la Russie
19 %, les États-Unis 13 %, l’Australie 5 % et l’Inde 3 % 9. La Chine est donc le
principal producteur de terres rares dans le monde (71 %), suivie par l’Austra-
lie (13 %) et les États-Unis (10 %) 10. Cependant, des gisements de terres rares
existent dans d’autres pays ou territoires et même dans les fonds océaniques,
dans l’Arctique, voire sur la Lune. Mais, ces gisements sont rarement dévelop-
pés en raison des difficultés techniques d’exploitation, du coût de production
élevé et des impacts environnementaux. Ils sont donc non compétitifs.
Pour toutes ces raisons, les pays occidentaux ont décidé d’arrêter l’exploita-
tion de leurs mines de métaux rares dans les années 1980 pour céder la produc-
tion à la Chine 11. Pékin semblait être conscient de l’importance stratégique de
ces métaux. Dès 1992, l’ancien président chinois Deng Xiaoping déclarait que
« les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient » 12.
Depuis, la Chine a attiré les entreprises étrangères disposant d’un savoir-faire

7. « Coup d’œil sur les produits de base », édition spéciale sur les terres rares n° 5, UNCTAD/
SUC/2014/1, pp. 20-44.
8. G. Busseuil et al. « Chronique commentée des décisions de l’Organe de Règlement des
Différends (juin 2010-novembre 2011) », RIDE, 2012/2, pp. 161-225.
9. Z. Shujing, « Problems and Countermeasures on rare earth industry in China », Canada
Social Science, vol. 9, n° 3, 2013, p. 9.
10. U.S. Geological Survey, 2021, Mineral commodity summaries 2021: U.S. Geological Survey,
200 p., https://​doi​.org/​10​.3133/​mcs2021.
11. L. Édouard et J. Ruet, « La longue marche des nouvelles technologies dites “environnemen-
tales” de la Chine : capitalisme d’État, avantages comparatifs construits et émergence d’une
industrie », Annales des Mines, Gérer et comprendre, vol. 136, n° 2, 2019, pp. 3-14.
12. Ibid.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 8

technologique en la matière et a maîtrisé progressivement les étapes en amont


et en aval de la chaîne de valeur, afin de capter une plus grande part de la valeur
ajoutée 13. De ce fait, elle est devenue l’acteur dominant du marché mondial
des terres rares et le premier raffineur. Aujourd’hui, elle accapare l’essentiel du
marché des batteries au lithium ou batteries électriques (68,8 %) et la moitié des
ventes mondiales de voitures électriques 14.
À l’origine, les pays importateurs de terres rares chinoises semblaient s’ac-
commoder de cette situation en bénéficiant de prix bas et en évitant les impacts
environnementaux et sociaux d’une exploitation de ces métaux sur leur terri-
toire. Il aura suffi d’un incident diplomatique entre la Chine et le Japon autour
des questions de souveraineté en mer de Chine orientale pour que Pékin déclare,
en septembre 2010, un embargo sur les terres rares à l’encontre du Japon, gros
importateur 15. Il s’ensuivra un abaissement des quotas d’exportation chinois qui
mit le feu aux poudres en 2011 et conduisit à une augmentation fulgurante du
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
prix des terres rares (jusqu’à 10.000 % pour le dysprosium) 16.
Ayant pris conscience de leur vulnérabilité face à la Chine, les dirigeants
occidentaux et japonais ont commencé, à partir de 2008, à mettre en place des
mesures visant à réduire leur dépendance vis-à-vis des importations chinoises
de terres rares 17. Mais n’était-il pas déjà trop tard, surtout pour l’UE, pour
comprendre à quel point les chaînes d’approvisionnement mondiales dépen-
daient de la Chine et pouvaient en être perturbées ? D’un point de vue géolo-
gique, l’UE n’a pas de réserves significatives de terres rares, mais il existe
des exploitations en Autriche ou en Suède et des éléments en Allemagne, en
Finlande, en Grèce ou encore au Groenland et en Polynésie française 18. Les
terres rares sont peu exploitées dans l’UE, même s’il y a une longue tradition
d’activités minières et extractives. Les raisons sont nombreuses : manque de
rentabilité des nouveaux projets miniers et d’investissement incitatif ; procé-
dures complexes et législations environnementales et sociales strictes pour
l’ouverture d’une mine ; perception négative de la part du public européen de

13. J. Jessie, « Batterie au Lithium : entre guerre énergétique et prise de conscience », 5 mars
2020, https://​portail​-ie​.fr/​analysis/​2324/​jdr​-batterie​-au​-lithium​-entre​-guerre​-energetique​-et​
-prise​-de​-conscience.
14. Ibid.
15. S. Decree et P. Boulvais, « Ressources métalliques : cadre géodynamique et exemples remar-
quables », ISTE Science Publishing Ltd, Wiley, 2021, ffhal-03138953f.
16. Ibid.
17. Par exemple : le National Strategic and Critical Minerals Production Act de 2013, adopté
aux États-Unis ; l’Union européenne a adopté l’initiative « matières premières » en 2008 ; le
Japon a publié en juillet 2009 une stratégie visant à s’assurer un approvisionnement stable en
métaux rares ; etc.
18. Panorama 2014 du marché des Terres Rares, Rapport public BRGM/RP-65330-FR, novembre
2015.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 9

l’exploitation minière en Europe en raison des dégâts environnementaux et


sanitaires résultant du retour des industries polluantes 19.
Pourtant, le « verdissement » du mix énergétique européen par décarbona-
tion de l’économie passerait forcément par un approvisionnement plus diver-
sifié, plus sûr et durable en terres rares. Aujourd’hui, l’approvisionnement est
fortement concentré. Par exemple, la Chine fournit 98 % de l’approvisionne-
ment de l’UE en terres rares, et l’Afrique du Sud 71 % des besoins de l’UE en
platine 20. L’UE définit les terres rares – ainsi que 13 autres matériaux – comme
des « matières premières critiques » 21, du fait qu’elles présentent un risque
particulièrement élevé de pénurie d’approvisionnement. Elles constituent une
question de sécurité stratégique au regard de l’ambition de l’UE de réduire à
zéro les émissions des automobiles neuves à partir de 2035 afin d’atteindre la
neutralité carbone à l’horizon 2050 22.
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
Avec le projet Global Gateway 23, l’UE a mobilisé, entre 2021 et 2027,
un montant de 300 milliards d’euros de financements partout dans le monde
pour développer des infrastructures notamment en Afrique afin de renforcer
l’influence européenne et de concurrencer l’initiative chinoise similaire sur les
nouvelles routes de la soie 24. Cette stratégie a pour ambition de respecter des
normes sociales et de transparence élevées et s’inscrit dans la continuité des
Objectifs de développement durable des Nations Unies 25et de l’Accord de Paris
juridiquement plus contraignant sur le changement climatique 26. Elle consiste
surtout à faciliter l’exploitation de grandes réserves de terres rares en Afrique.
Les principaux pays fournisseurs de terres rares sont concentrés en Asie,
en Afrique et en Amérique. L’Europe peut donc être confrontée à des difficultés

19. Communication de la Commission : « Résilience des matières premières critiques : la voie à


suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité », Bruxelles, 3 sepembre 2020,
COM (2020) 474 final.
20. Ibid.
21. Communication de la Commission européenne : Relever les défis posés par les marchés
des produits de base et les matières premières, 2 février 2011, http://​eur​-lex​.europa​.eu/​
LexUriServ/​LexUriServ. do?uri=COM:​2011:​0025:​FIN:​fr:​PDF.
22. COM (2019) 640 final et COM (2020) 98 final.
23. Global Gateway: up to €300 billion for the European Union’s strategy to boost sustainable
links around the world Brussels, European Commission – Press release, 1 December 2021.
24. X. Wang, J. Ruet et X. Richer, « One Belt One Road and the reconfiguration of China-EU
relations », CEPN, mars 2017, p. 1-18.
25. Ils répondent aux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, notamment ceux liés à
la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la
paix et à la justice, d’ici à 2030. Les 17 objectifs ont été fixés entre 2000 et 2015 et l’Agenda
adopté par l’ONU en septembre 2015.
26. Adopté par 196 Parties lors de la COP 21 à Paris le 12 décembre 2015 et est entré en vigueur
le 4 novembre 2016.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 10

pour sécuriser son approvisionnement et relocaliser ses industries. C’est la


raison pour laquelle elle s’est lancée dans une diplomatie des terres rares en
Afrique. Si l’Europe centrale et de l’Est pourraient être les grandes gagnantes
d’un retour des usines sur leur territoire en devenant la « petite Chine d’Eu-
rope » 27, l’Afrique est plutôt considérée comme susceptible d’être une alterna-
tive à l’approvisionnement en Chine de ces minéraux. Ainsi, même si la Chine
est en train de redessiner la géopolitique des terres rares dans le monde, elle
s’expose à une potentielle concurrence africaine sérieuse.
Plusieurs pays d’Afrique disposent de grandes réserves de terres rares,
jusqu’à ce jour très peu exploitées. En 2017, la première mine de terres rares du
continent, Gakara, ouverte au Burundi par la compagnie minière britannique
Rainbow Rare Eath (RRE) qui ambitionne de devenir un fournisseur stratégique
clé pour le marché mondial, est entrée en production 28. Cette mine hébergerait
1,2 million de tonnes de minerai dont la teneur est comprise entre 47 % et 67 %
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
d’oxyde de terres rares lourdes, donc l’une des plus importantes au monde 29.
En dehors du Burundi, au Malawi, la société canadienne Mkango Resources
prévoyait de démarrer l’exploitation d’une mine à Songwe Hill en 2020, qui
hébergerait 21 millions de tonnes de ressources 30. D’autres compagnies comme
le Britannique Altona Energy, les australiens Globe Metals & Mining et
Lynas Corporation ou encore Lindian Resources, sont présents sur des projets
d’exploration dans le pays 31. La compagnie minière Namibia Critical Metals
a signé un accord de partenariat avec la Japan Oil Gaz and Metals National
Corporation (Jogmec) pour le développement du projet de terres rares Lofdal 32.
Citons également la mine sud-africaine Steenkampskraal qui contiendrait d’im-
portantes réserves de terres rares et devrait prochainement rouvrir 33. Le Gabon
tente de relancer l’exploitation de la mine de Mabounié qui, outre les terres
rares, contient aussi de l’uranium 34. Il faut noter aussi le démarrage prévu des
gisements de Molo à Madagascar en 2021, de Montepuez au Mozambique et
de Lindi Jumbo en Tanzanie en 2022 35. L’australien Peak Resources prospecte

27. M. Charrel, « La “petite Chine d’Europe” voit l’avenir en grand », Le Monde, 4 juin 2020.
28. L. Kansoun, « Terres rares : le petit Burundi s’invite à la table de la Chine », Agence Ecofin,
6 novembre 2020, https://​www​.agenceecofin​.com/​terres​-rares/​0611​-82171​-terres​-rares​-le​
-petit​-burundi​-sinvite​-a​-la​-table​-de​-la​-chine.
29. L. Kansoun, op. cit.
30. https://​www​.agenceecofin​.com/​terres​-rares/​0406​-77228​-le​-britannique​-altona​-energy​-s​
-interesse​-aux​-terres​-rares​-dumalawi
31. Ibid.
32. Source : https://​www​.thinglink​.com/​scene/​621646802600329217​?buttonSource​=​viewLimits.
33. Ibid.
34. Ibid.
35. Ibid.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 11

en Tanzanie 36. Au Sénégal, le groupe français Eramet exploite déjà le zircon et


l’ilménite à Diogo et au sud de Lompoul 37. D’autres pays comme l’Algérie et le
Maroc possèdent de grandes ressources de terres rares en cours d’exploration
par des compagnies étrangères 38. Les gisements de cobalt se trouvent princi-
palement en République démocratique du Congo (RDC), qui a produit plus de
100.000 tonnes en 2018 et assuré 70 % de la production mondiale 39.
Les enjeux géo-économiques, défis géopolitiques ou dangers écologiques 40
des terres rares devraient conduire l’UE à se tourner vers l’approvisionne-
ment durable en terres rares d’Afrique, sachant que le droit international est
susceptible de permettre aux pays africains de garder la souveraineté sur leurs
ressources naturelles (2) en faisant prospérer les principes de droits souverains
permanents sur les ressources naturelles et de responsabilité environnementale.
On peut donc s’interroger sur les conditions d’un approvisionnement de l’UE
en terres rares africaines (3).
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
2 LE DROIT INTERNATIONAL FAVORABLE
À LA PROTECTION ET À LA PRÉSERVATION
DES TERRES RARES AFRICAINES
Le principe de souveraineté sur les ressources naturelles (2.1) et des disposi-
tions pertinentes du GATT/OMC sont favorables à la protection et à la préser-
vation des terres rares d’Afrique (2.2).

36. Ibid.
37. C. Idrac, « L’exploitation du zircon au Sénégal », Chronique des matières premières du
24 avril 2021, RFI.
38. N. Grim, « L’Algérie s’apprête-t-elle à devenir un pays beaucoup plus minier que pétro-
lier ? », 11 juillet 2020, https://​www​.algerie​-eco​.com/​2020/​07/​11/​lalgerie​-sapprete​-t​-elle​-a​
-devenir​-un​-pays​-beaucoup​-plus​-minier​-que​-petrolier/​.
39. Production minière de cobalt selon le pays dans le monde 2013-2019, publié par Statista
Research Department, 24 avril 2020,
40. N. Mohammad, Géopolitique et géo-économie des terres rares. La politique de relance
de la production des « Terres Rares » par les États-Unis : enjeu géo-économique, enjeu
géopolitique ou enjeu environnemental ? Thèse soutenue le 23 novembre 2018 à l’Université
Paris-Saclay.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 12

2.1 La pertinence du principe de souveraineté


sur les ressources naturelles dans les relations
économiques africaines

L’OMC ne réglemente pas la propriété des ressources naturelles. Mais, un


important corpus de règles internationales 41 est consacré à la souveraineté sur
ces ressources présentes sur les territoires, les terres émergées, les lacs, les
rivières et les zones océaniques : il s’agit de réguler les revendications formu-
lées par des États animés par le désir de contrôler ces ressources dont la réparti-
tion mondiale est une question juridique qui n’a cessé de perturber l’ordre inter-
national économique contemporain 42. Le cabinet britannique Verisk Maplecroft
a alerté contre le risque du « nationalisme des ressources naturelles » en Afrique
rendant la poursuite des activités extractives des investisseurs étrangers incer-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
taine et moins fructueuse en Tanzanie, en Zambie, au Zimbabwe et RDC 43.
L’ONU a consacré le principe de souveraineté permanente sur les ressources
naturelles dans la Déclaration pour un nouvel ordre économique mondial 44 et la
Charte des droits et devoirs économiques des États 45. La Charte dispose, en son
article 2 que « Chaque État détient et exerce librement une souveraineté entière
et permanente sur toutes ses richesses, ressources naturelles et activités écono-
miques, y compris la possession et le droit de les utiliser et d’en disposer ». Ces
deux textes ont organisé la vie économique mondiale à travers le principe de
souveraineté sur les ressources naturelles sur lequel se sont bâties les relations
économiques internationales avec les enjeux liés aux droits de l’homme et à la
protection de l’environnement. Ils peuvent servir aux pays africains pour reven-
diquer la maîtrise directe sur leurs terres rares, même si le processus de déco-
lonisation et l’accession à l’indépendance ont déjà permis aux États africains
d’affirmer et de consacrer leur souveraineté permanente sur les ressources 46.

41. Convention de 1958 sur le plateau continental ; Traité sur l’Antarctique de 1959 ; Convention
des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 ; etc.
42. Voir à ce sujet M. Étienne, L’accès aux énergies fossiles en droit international économique,
Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2018.
43. C. Le Bec et M. Toulemonde, « Retour du “souverainisme” africain dans les ressources natu-
relles ? », Jeune Afrique du 5 mars 2021, https://​www​.jeuneafrique​.com/​1131978/​economie/​
retour​-du​-souverainisme africain-dans-les-ressources-naturelles/, consulté le 24/08/2022.
44. General Assembly resolution 3201 (S-VI), New York, 1 May 1974.
45. Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1974 (Résolution 3281
(XXIX)).
46. A. M. Maiga, Les conditions juridiques d’exploitation des ressources minières dans les États
de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, UEMOA, Thèse de doctorat soutenue le
11 juin 2019 à l’Université d’Aix-Marseille.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 13

L’ONU a aussi adopté plusieurs résolutions qui ont servi de fondement au


principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles 47. Bien que
n’ayant pas un caractère juridiquement contraignant, ces résolutions peuvent,
en revanche, exercer une influence sur le droit et la jurisprudence. Elles parti-
cipent de la proclamation solennelle de l’affirmation du droit souverain sur
les ressources naturelles comme un principe de droit international 48. Seuls les
principes contenus dans des conventions constitueraient des normes juridiques
au sens du droit international avec une force contraignante pour leurs produc-
teurs. La protection de l’environnement est l’un des domaines où le principe
de la souveraineté sur les ressources naturelles a été repris aussi bien dans les
instruments obligatoires que dans ceux non obligatoires. Le principe 21 de
la Déclaration de Stockholm 49 dispose que « Conformément à la Charte des
Nations Unies et aux principes du droit international, les États ont le droit
souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur politique d’environ-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
nement ». Le principe 2 de la Déclaration de Rio 50 et l’article 3 de la Convention
sur la diversité biologique 51 reprennent cette même formulation pour mettre fin
aux velléités qui tendaient à faire de la biodiversité un bien public mondial. Sur
ce point, la Cour internationale de justice souligne que même ces ressources
doivent faire l’objet d’une gestion durable, soutenable 52. La Convention-cadre
sur les changements climatiques 53 rappelle également le droit souverain des
États sur leurs ressources naturelles.
La souveraineté permanente des peuples sur leurs richesses et ressources
naturelles peut être considérée comme un corollaire du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes. Le paragraphe 1 de la résolution 1803 de l’Assem-
blée générale de l’ONU dispose que « le droit de souveraineté permanente

47. Résolution 1803 (XVII) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1962 : « Souveraineté
permanente sur les ressources naturelles », rappelant ses résolutions 523 (VI) du 12 janvier
1952 et 626 (VII) du 21 décembre 1952 ; Résolution 70/293 du 25 juillet 2016 sur la troisième
Décennie du développement industriel de l’Afrique (2016-2025) ; les résolutions 523 (VI) du
12 janvier 1952 et 626 (VII) du 21 décembre 1952.
48. M. Romuald et N. Otongo, « Exploitation des ressources naturelles en Afrique centrale et
dégradation de l’environnement : analyse critique du principe de souveraineté permanente sur
les ressources naturelles », https://​hal​.archives​-ouvertes​.fr/​hal​-02151980/​document, consulté
le 22/08/2022.
49. Conférence des Nations Unies sur l’environnement, du 5 au 16 juin 1972, Stockholm.
50. Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Rio de Janeiro,
Brésil, 3-14 juin 1992.
51. La Convention sur la diversité biologique ou Convention de Rio, adoptée lors du sommet de
la Terre à Rio de Janeiro en 1992.
52. Cour internationale de justice, 25 septembre 1997, affaire Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c.
Slovaquie).
53. Adoptée au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 par 154 États et les membres de la
Communauté européenne.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 14

des peuples et des nations sur leurs ressources naturelles doit s’exercer dans
l’intérêt du développement national et du bien-être de la population de l’État
intéressé ». L’article 24 de la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples 54 souligne que « Tous les peuples ont droit à un environnement satisfai-
sant et global, propice à leur développement ». Ces dispositions font obligation à
l’État, dans l’exercice de son droit de souveraineté sur les ressources naturelles,
de tenir compte du bien-être de ses populations. C’est ainsi que le Comité des
droits de l’homme 55 a conclu que les activités minières, si elles sont entreprises
sans consultation des peuples indigènes et si elles détruisent leur mode de vie
ou leurs moyens de subsistance, constituent une violation des droits consacrés à
l’article 27 du Pacte de 1966 relatifs aux droits civils et politiques 56. Le Comité
a également réaffirmé l’obligation de respecter les intérêts et le bien-être des
populations dans ses observations finales adressées à Madagascar 57, pays qui
avait permis à des entreprises étrangères d’acquérir d’immenses étendues de
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
terres au mépris des droits des communautés et en violation de l’article 1er du
Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels.
Ce principe de souveraineté sur les ressources naturelles n’est plus disso-
ciable de la protection de l’environnement. Il est essentiel au développement
économique des États africains et doit être exercé dans le respect des intérêts
et du bien-être des populations ainsi que des obligations découlant du droit
international 58. Il est d’autant plus important aujourd’hui compte tenu des
politiques économiques des pays d’Afrique axées sur l’exploitation des terres
rares présentant des risques pour les populations et l’environnement. Ces pays
peuvent, en toute indépendance, autoriser ou non l’exploitation des terres rares
présentes sur leur territoire. Ainsi, le principe de souveraineté permanente sur
ces ressources peut être un instrument juridique pour la protection de l’envi-
ronnement. Les États africains ne sont donc pas obligés de laisser exploiter
leurs ressources ou d’être spoliés de leurs terres rares. Ils peuvent asseoir leur
indépendance de politique environnementale et ainsi exercer une maîtrise totale
sur l’exploitation et les conditions d’exploitation de leurs terres rares par des
puissances ou des entreprises étrangères.

54. Adoptée dans le cadre de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), le 27 juin 1981 à Nairobi
(Kenya) lors de la 18e Conférence.
55. Ilmari Länsman et consorts c. Finlande, Communication n° 511/1992, U.N. Doc. CCPR/
C/52/D/511/1992 (1994).
56. Adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du
16 décembre 1966, entrée en vigueur le 23 mars 1976.
57. Examen des rapports soumis par les États parties, 16 décembre 2009, E/C.12/MDG/CO/2.
58. M. Romuald et N. Otongo, op. cit.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 15

Ils peuvent s’appuyer aussi sur la Convention africaine sur la conservation


de la nature et des ressources naturelles 59 qui a pour objectifs d’améliorer la
protection de l’environnement, de promouvoir la conservation et l’utilisation
durable des ressources naturelles et de mettre en place des politiques écolo-
giquement rationnelles, économiquement saines et socialement acceptables. Il
reste toutefois à donner réellement corps à cette Convention, c’est-à-dire à en
assurer une mise en œuvre effective de manière à faire face aux enjeux de la
pollution délocalisée.
Le caractère universel des problèmes environnementaux implique que les
États coopèrent entre eux pour une exploitation durable des terres rares, soit
dans le respect de la protection de l’environnement et des droits de l’homme 60.
Le droit international prescrit un ensemble d’obligations que l’État doit respec-
ter dans l’exercice du droit souverain sur les ressources naturelles. C’est ce que
le principe 2 de la Déclaration de Rio consacre en ces termes : « Les États ont
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur
juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l’environne-
ment dans d’autres États ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction
nationale ». La même exigence est énoncée par la Convention sur la diversité
biologique en son article 3.
On constate que le principe de la souveraineté sur les ressources naturelles
donne aux États africains le droit d’utiliser leurs terres rares pour promouvoir
leur propre développement durable. Le Groupe spécial a constaté que tout
membre de l’OMC pouvait tenir compte de ses propres besoins et objectifs en
matière de développement durable lorsqu’il élaborait une politique de conserva-
tion, conformément au principe général du droit international relatif à la souve-
raineté sur les ressources naturelles inscrit dans divers instruments des Nations
Unies et autres instruments internationaux 61. C’est aussi un principe bien établi
dans le droit de l’OMC que les membres disposent du droit de déterminer leur
propre niveau de protection des intérêts légitimes qu’ils souhaitent défendre 62.

59. Adopted in 2003, the African Convention on the Conservation of Nature and Natural
Resources (Maputo Convention) came into effect in 2016.
60. M. Romuald et N. Otongo, op. cit.
61. Chine – Mesures relatives à l’exportation de terres rares, de tungstène et de molybdène,
Rapport du Groupe spécial, 26 mars 2014 (adopté le 29 août 2014), WT/DS433/R.
62. S. Robert-Cuendet et S. El Boudouhi, « Les rapports des groupes spéciaux et de l’or-
gane d’appel de l’OMC (2014) », in Annuaire français de droit international, vol. 60, 2014,
pp. 619-642.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 16

2.2 Des dispositions du GATT/OMC favorables à la protection


et la préservation des terres rares d’Afrique

Selon Pascal Lamy, ancien directeur général, « si le système commercial multi-


latéral s’est emparé très tôt de la question des restrictions aux importations
de marchandises, il s’est montré bien plus réservé quant à celles portant sur
les exportations » 63. L’article XI 2a) du GATT admet une exception au prin-
cipe général de prohibition des restrictions aux exportations. Cette exception
laisse aux membres de l’OMC le bénéfice d’une large marge de manœuvre pour
mettre en place des restrictions aux exportations. En plus, l’article XI 2b) admet
une restriction aux échanges quand elle est « nécessaire pour l’application de
normes ou réglementations concernant la classification, le contrôle de la qualité
ou la commercialisation de produits destinés au commerce international ».
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
Cependant, les nouveaux membres de l’OMC rencontrent des limites dans
l’utilisation de mesures restrictives aux exportations, imposées par les proto-
coles d’accession 64 qui les obligent à consentir à des engagements spécifiques
en la matière concernant les marchandises 65. Le protocole d’accession signé
par la Chine constitue l’un des plus intéressants du fait de l’importance de ses
exportations mais aussi de ses ressources en terres rares 66. À cet effet, le Groupe
spécial a constaté que les contingents d’exportation de la Chine visant les terres
rares étaient incompatibles avec son Protocole d’accession concernant les droits
d’exportation (section 11.3) 67. L’Organe d’appel a procédé à une analyse appro-
fondie des dispositions pertinentes sur la base des règles coutumières d’inter-
prétation des traités et des circonstances du différend pour confirmer les conclu-
sions du Groupe spécial. Il a constaté qu’aucun des arguments de la Chine ne
constituait une raison impérieuse de s’écarter de son obligation énoncée dans la
section 11.3 de son Protocole d’accession pour invoquer les « exceptions géné-
rales » figurant à l’article XX du GATT 68. Un tel raisonnement est cependant
très contestable car cela revient à reconnaître des statuts juridiques différents

63. Discours de Pascal Lamy, 31 janvier 2011, https://​www​.wto​.org/​english/​news​_e/​sppl​_e/​


sppl184​_e​.htm.
64. M. Méric, « Droit de l’OMC et restrictions aux exportations de marchandises », Rapport
de recherche, Certificat d’études juridiques internationales – Année 2016-2017, Institut des
hautes études internationales (IHEI), pp. 15-29.
65. Ibid.
66. Chine – Mesures relatives à l’exportation de diverses matières premières, Rapports de l’Or-
gane d’appel WT/DS394/AB/R, WT/DS395/AB/R, WT/ DS398/AB/R, 30 janvier 2012 ;
Rapports du groupe spécial et de l’organe d’appel du 7 août 2014, Chine – Mesures relatives
à l’exportation de terres rares, WT/DS/432. p. 592.
67. Chine – Mesures relatives à l’exportation de terres rares, de tungstène et de molybdène,
Rapport adopté le 29 août 2014 (DS431, 432, 433).
68. Ibid.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 17

aux États membres de l’OMC. Il y a, d’un côté, les « primo-accédants » qui ont
le droit d’invoquer l’article XX de l’Accord du GATT car cet accord commer-
cial leur est applicable et, d’un autre côté, les « seconds-accédants », à l’instar
de la Chine, qui ont des obligations de nature commerciale plus sévères du fait
du contenu de leur Protocole d’accession qui leur dénie le droit d’assurer la
protection des valeurs non marchandes sur leur territoire 69.
Mais puisque les pays africains n’ont pas consenti à ces engagements spéci-
fiques, ils peuvent encore se prévaloir d’une marge de manœuvre assez étendue
pour édicter des mesures restrictives en matière d’exportation des terres rares.
Ces restrictions peuvent générer des droits perçus à l’exportation et aucun pays
n’est tenu de les inscrire dans les listes de concessions tarifaires. Les États afri-
cains pourraient aussi développer une taxe environnementale à l’exportation
permettant de stabiliser la production africaine et de tirer des revenus fiscaux
sur des marchandises polluantes produites sur leur territoire.
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
Les membres de l’OMC peuvent aussi invoquer des motifs prévus par l’ar-
ticle XX du GATT pour « dévier l’interdiction des restrictions quantitatives
aux exportations ». En vertu des paragraphes b) et g) de l’article XX du GATT
relatif aux exceptions générales, les Membres peuvent adopter des mesures
incompatibles avec les disciplines de l’OMC mais nécessaires à la protection
de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des
végétaux (paragraphe b), ou se rapportant à la conservation des ressources natu-
relles épuisables (paragraphe g). L’autonomie des membres pour déterminer
leurs propres objectifs environnementaux a été réaffirmée à plusieurs occa-
sions par l’Organe de règlement des différends 70 qui a interprété l’expression
« ressources naturelles épuisables » utilisée à l’article XX g) d’une manière
large pour englober non seulement les ressources « minérales » ou « non biolo-
giques » mais aussi les espèces vivantes 71. L’article XX (g) est particulièrement
utilisé par les États pour justifier l’existence de restrictions aux exportations des
terres rares 72. Il permet aux membres de contrôler, sur leur territoire, les activi-
tés dangereuses sur le plan environnemental, notamment celles d’extraction et
de raffinage des terres rares. En pratique, les États utilisent cette clémence pour
justifier leurs restrictions aux exportations de produits miniers afin d’assurer
leurs approvisionnements nationaux. Cette pratique peut également être utilisée
à des fins de politique extérieure en guise de représailles, à l’instar des sanctions
de la Chine contre le Japon ou de ses menaces contre les États-Unis durant la

69. G. Busseuil et al., op. cit.


70. Différends nos 58 (et 61) de l’OMC. Décision adoptée le 6 novembre 1998 ; DS332 : Brésil
– Mesures visant l’importation de pneumatiques rechapés, rapport de l’Organe d’appel du
3 décembre 2007.
71. Ibid.
72. DS431, 432, 433, précités.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 18

guerre commerciale des terres rares 73. Donc, toute politique visant à limiter les
effets négatifs de l’exploitation des terres rares en Afrique a vocation à rele-
ver de ces exceptions. Les pays africains peuvent faire valoir que leurs restric-
tions se rapportent à la conservation de leurs ressources naturelles épuisables et
qu’elles sont nécessaires pour réduire la pollution causée par l’activité minière
sur leur territoire.
L’organe de règlement des différends a tenté de préciser les conditions du
recours à ces types de restrictions autorisées par les articles XI et XX du GATT
et favorables à la protection et à la préservation des terres rares 74. Selon l’or-
gane d’appel de l’OMC et le groupe spécial, « des restrictions des exportations
ne peuvent pas être utilisées pour protéger ou favoriser une industrie nationale
au détriment de ses concurrents étrangers » 75. En particulier, l’application d’une
mesure environnementale liée au commerce ne doit constituer ni un « moyen
de discrimination arbitraire ou injustifiable » 76 entre les pays où les mêmes
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
conditions existent ni « une restriction déguisée au commerce international » 77.
Donc, si les États doivent promouvoir une production de matières premières
durable et respectueuse de l’environnement, ils doivent également s’abstenir
de toute mesure discriminatoire à l’égard des entreprises étrangères. Les États
restent souvent tentés d’utiliser une législation nationale pour donner un avan-
tage compétitif à leur secteur industriel et économique 78. Par ailleurs, en atten-
dant une réglementation plus stricte, les pays africains, qui n’ont pas encore
des industries de haute technologie à protéger ou offrant des avantages concur-
rentiels, peuvent invoquer les dispositions adéquates pour instituer des restric-
tions aux exportations de leurs terres rares afin de protéger et préserver leurs
ressources et d’éviter une exploitation ou production polluante sur leur terri-
toire. Ils peuvent ainsi imposer outre des droits (taxes) sur les exportations de
terres rares, un contingent d’exportation sur la quantité au cours d’une période
donnée et des limitations aux entreprises autorisées à exporter ces matières. Ces
mesures doivent être nécessaires pour protéger la santé et la vie des personnes

73. C. Bortolini, « La guerre des terres rares aura-t-elle lieu ? », Le Monde diplomatique, juillet
2020, p. 20.
74. Chine – Mesures relatives à l’exportation de diverses matières premières, Rapport du Groupe
spécial du 5 juillet 2011, WT/DS398/R, §7.380 ; Rapport du Groupe spécial du 26 mars 2014,
WT/DS433/, § 7.262-7.265.
75. Ibid.
76. Une mesure serait considérée comme arbitraire ou injustifiable si elle contraignait les autres
États membres à une prescription « unique, rigide et stricte ».
77. Brésil – Mesures visant l’importation de pneumatiques rechapés, Rapport de situation du
Brésil – Addendum, WT/DS332/19/Add. 6, 15 septembre 2009. Une mesure serait considérée
comme une « restriction déguisée au commerce international » si elle avait des effets protec-
tionnistes ou était appliquée à des fins de protection.
78. W. Renaud, « L’article XX a) du GATT : l’exception de moralité publique dans le commerce
international », RIDE, 2012/3, pp. 237-268.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 19

et des animaux ou pour préserver les végétaux de la pollution causée par l’ex-
ploitation des terres rares, sans être des mesures visant à contrôler le marché
international de ces matières, et ce conformément aux « exceptions générales »
de l’article XX du GATT.
En vertu du paragraphe i) de cet article, les membres peuvent adopter des
mesures incompatibles avec les disciplines de l’OMC telles que des restric-
tions à l’exportation de matières premières produites à l’intérieur du pays et
nécessaires pour assurer à une industrie nationale de transformation les quan-
tités essentielles desdites matières premières, sous réserve que ces restrictions
n’aient pas pour effet d’accroître les exportations ou de renforcer la protection
accordée à cette industrie nationale et qu’elles n’aillent pas à l’encontre des
dispositions relatives à la non-discrimination. Les États africains peuvent donc
limiter les flux externes de ces matériaux rares dans une logique de souverai-
neté sur leurs propres ressources et de politique industrielle afin de développer
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
des industries nationales à forte valeur ajoutée. Par exemple, l’Afrique du Sud
a décidé de mettre en place des restrictions quantitatives aux exportations de
chromite pour favoriser sa propre industrie nationale 79. Ces restrictions aux
exportations peuvent être aussi un moyen pour assurer un approvisionnement
responsable et maîtriser les enjeux de la pollution délocalisée en Afrique.

3 LES CONDITIONS D’UN APPROVISIONNEMENT


DE L’UE EN TERRES RARES AFRICAINES
Les restrictions à l’exportation de terres rares chinoises ont favorisé le démar-
rage de nouvelles productions alternatives en Afrique, dont l’UE peut espérer
tirer parti mais l’Afrique aiguise d’autres appétits. L’Afrique a pour cela un
atout à faire valoir : elle semble prête à assumer les risques, notamment envi-
ronnementaux, liés à une production délocalisée (3.1). Or il s’agit bien là de la
principale menace qui pèse sur l’exploitation minière en Afrique. Mais sera-t-
elle au cœur des préoccupations africaines (3.2) ?

3.1 Quelle accessibilité de l’UE à un approvisionnement


responsable et garanti en terres rares africaines ?

L’Europe affronte déjà en Afrique la concurrence de la Chine. Pékin s’im-


pose en effet désormais comme un partenaire essentiel et comme le premier

79. M. Meric, op. cit., pp. 3-13.


Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 20

créancier des pays d’Afrique 80. Avec son projet des nouvelles routes de la
soie, la Chine développe son influence en Afrique où se lancent plusieurs
partenariats pour l’exploitation et le contrôle des terres rares africaines 81. Les
États africains candidats à la réception d’investissements chinois sont forte-
ment susceptibles d’être insolvables et risquent d’avoir à rembourser la Chine
par leurs ressources naturelles. À titre d’exemple, l’Angola a fait des terres
rares une priorité de son développement minier afin de satisfaire les besoins
de Pékin, de même que la Tanzanie avec sa mine de Fungoni 82. En RDC, la
Chine a presque monopolisé les gisements de cobalt du pays 83. Par ailleurs,
l’entreprise chinoise China Nonferrous Metal Mining Group a signé un mémo-
randum avec la société ISR Capital pour acheter 3.000 tonnes de terres rares
du projet Tantalus, à Madagascar 84. En Afrique du Sud, en Zambie ou encore
au Zimbabwe, Pékin met en œuvre sa stratégie de contrôle des métaux rares à
l’échelle africaine, dans le cadre de l’exécution de son dessein de monopolisa-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
tion des métaux rares à l’échelle internationale 85. Les exemples cités ne forment
pas une liste exhaustive.
En effet, la Chine a recours à des « paquets d’aide » ou « package deals »
(construction d’infrastructures contre ressources naturelles), des accords
permettant, en échange du financement de la construction de projets prestigieux
d’infrastructures, une prise de participation dans un projet minier à travers l’ac-
quisition de parts dans une entreprise nationale ou de licences 86. La Chine se
tourne de plus en plus vers des pays africains pour assurer son approvisionne-
ment en minerais et oxydes de terres rares, qui alimenteront sa chaîne de valeur
en amont. Ainsi, elle est devenue, en 2018, importatrice nette de terres rares
brutes pour limiter l’extraction locale et se concentrer sur le raffinage 87.
Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada cherchent aussi
aujourd’hui à se fournir en terres rares en Afrique 88. Depuis 2019, la Russie

80. M.-F. Reveillard, « La Chine accélère le pas sur les routes de la soie africaines », La Tribune,
22 mars 2021.
81. R. Harmer et P. A. M. Nex, « Rare Earth Deposits of Africa », Episodes, 39(2):381, June
2016.
82. N. Deredec, op. cit.
83. Ibid.
84. Ibid.
85. Ibid.
86. J.-R. Chaponnière, « Chine-Afrique : enjeux de l’ajustement chinois pour les pays miniers »,
Afrique contemporaine, n° 248, 2013/4, pp. 89-105.
87. C. Bortolini. « La guerre des terres rares aura-t-elle lieu ? », Le Monde diplomatique, juillet
2020, p. 20.
88. M. Dia, « Industries extractives : 10 entreprises russes qui font du business en Afrique », La
Tribune-Afrique, 24 octobre 2019.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 21

marque son retour en Afrique et se sert de ses entreprises comme fers de lance
sur le continent. Elles investissent dans la prospection et le développement de
projets gaziers et pétroliers, sur des minerais et des métaux rares 89.
Au cours des dernières années, les relations commerciales entre l’Afrique
et l’UE se sont refroidies, au profit d’autres pays (Chine, Turquie, Russie, Inde,
États-Unis, etc.). Les diplomates africains, lors du sommet UA-UE à Addis-
Abeba en Éthiopie, le 27 février 2020, ont affirmé que les accords commerciaux
conclus entre les deux parties ne permettaient pas aux pays africains de déve-
lopper des industries nationales pour exporter des produits finis vers l’Union.
La croissance chinoise n’a pas, non plus, changé la nature des exportations
africaines vers la Chine, essentiellement composées de produits miniers et de
matières premières agricoles.
L’UE doit avoir une approche cohérente et globale pour son accès aux
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
terres rares africaines en introduisant des accords spécifiques dans ses négo-
ciations en cours et à venir dans le respect des engagements internationaux
(multilatéraux et bilatéraux). Pour un accès aux terres rares africaines sur une
base égalitaire, équitable et non discriminatoire, la Commission européenne
doit définir une stratégie commune avec la Commission de l’Union africaine en
s’appuyant sur sa politique de développement et son expertise en matière d’aide
au développement harmonieux des pays africains. Cette stratégie nécessite une
cohérence des politiques européennes qui doivent respecter les principes énon-
cés par l’article 21 du chapitre 1 sur les dispositions générales relatives à l’ac-
tion extérieure de l’Union du titre V du TFUE 90.
Avec son ambitieux plan de relance européen, l’UE utilise tous ses instru-
ments de politique extérieure pour installer les conditions d’un approvisionnement
responsable et diversifié 91. En vue d’une meilleure relocalisation des industries
en Europe, l’Afrique peut apparaître comme un partenaire commercial incon-
tournable pour l’UE. Un partenariat pour un développement durable et inclusif
visant à garantir une exploitation équitable et durable des matières premières
critiques en Afrique, qui représentent 49 % des importations de l’UE, est ainsi
prévu dans la nouvelle stratégie UE-Afrique 92. Par l’utilisation des instruments de

89. Ibid.
90. Cet article indique que « L’action de l’Union sur la scène internationale vise à promouvoir
dans le reste du monde: la démocratie, l’État de droit, l’universalité et l’indivisibilité des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les prin-
cipes d’égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du
droit international ».
91. COM (2020) 474 final, précitée.
92. « Projet de rapport sur une stratégie européenne pour les matières premières critiques »,
28 mai 2021 (2021/2011(INI)), Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie,
Rapporteure : Hildegard Bentele.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 22

la politique commerciale, notamment des accords de libre-échange pour la mise


en place de partenariats stratégiques, l’UE peut aider les pays africains à dévelop-
per leurs ressources minérales de manière durable, en soutenant la diffusion de
pratiques d’exploitation minière responsable et en créant une valeur ajoutée dans
le secteur minier. Aussi l’Afrique pourrait-elle développer des industries compé-
titives d’extraction, de raffinage et de traitement de terres rares moins polluantes
et l’UE accéder à un approvisionnement sécurisé pour ses industries de pointe ou
vertes. Ce serait une collaboration gagnant-gagnant.
Les Africains sont désireux de négocier de meilleures conditions commer-
ciales avec l’UE dans un partenariat équilibré. Ils espèrent notamment voir leur
accord de libre-échange continental africain (ACFTA) 93, signé par 49 des 54 pays
africains, servir de base à un accord de continent à continent 94. Celui-ci, entré
en vigueur depuis le 30 mai 2019, a pour objectif de pousser les pays africains
à devenir plus compétitifs mais aussi de leur permettre d’éviter d’être une zone
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
d’influence à l’avantage des autres pays. Après l’échec des négociations sur les
accords de partenariat économique (APE) avec plusieurs pays africains, l’UE a
présenté sa nouvelle stratégie globale visant à proposer des partenariats sur la
transition écologique, le transfert de technologies, la durabilité de la croissance et
des emplois, la paix et la gouvernance. Avec une telle approche focalisée sur des
investissements durables et un approvisionnement responsable en Afrique, l’UE
qui a déjà offert des préférences commerciales généreuses aux pays africains
espère limiter l’influence chinoise qui se soucie peu du développement durable
dans le continent. Cette approche devra être intégrée dans les divers régimes
de préférences commerciales de l’UE qui existent actuellement en faveur des
Africains (tels que les systèmes de préférences généralisées et les accords de
coopération au développement qui tendent aujourd’hui à se transformer en
accords de partenariat économique établissant des accords de libre-échange).
Cette approche peut être privilégiée dans les accords commerciaux régio-
naux entre l’Europe et l’Afrique, conformément au droit de l’OMC 95. Les
accords commerciaux régionaux et bilatéraux peuvent en effet consacrer des
obligations qui vont au-delà des engagements contractés dans le cadre de
l’OMC. Ils prévoient généralement un traitement tarifaire plus favorable pour
les produits visés, notamment les terres rares, et contiennent aussi des disci-
plines additionnelles concernant le recours aux taxes à l’exportation 96.

93. Accord établissant la zone de libre-échange continentale africaine, https://​au​.int/​fr/​treaties/​


accord​-etablissant​-la​-zone​-de​-libre​-echange​-continentale​-africaine.
94. B. Fox, « L’UE dévoile ses projets de partenariat avec l’Afrique », 11 mars 2020, https://​
www​.euractiv​.fr/​section/​l​-europe​-dans​-le​-monde/​news/​eu​-unveils​-partnership​-plans​-for​-new​
-africa​-strategy/​.
95. Art. XXIV du GATT relatif aux accords commerciaux régionaux.
96. Rapport OMC sur les ressources naturelles, précité.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 23

L’approvisionnement responsable et le devoir de diligence doivent égale-


ment prendre une place de plus en plus importante tout au long de la chaîne de
valeur des matières premières. Le règlement de l’UE sur les minerais provenant
de zones de conflit 97 s’applique aux importateurs de l’UE depuis le 1er janvier
2021 et il répond à ces préoccupations. Le partenariat européen pour des mine-
rais responsables aide les mines à se conformer à la fois au règlement de l’UE
et au guide de l’OCDE sur le devoir de diligence. Le Règlement européen sur
l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables 98 a
par ailleurs établi les critères permettant de déterminer si une activité écono-
mique est considérée comme durable sur le plan environnemental. Ces dispo-
sitifs peuvent être intégrés dans les futurs partenariats UE-Afrique pour limiter
les externalités négatives liées aux enjeux environnementaux majeurs à la suite
des activités minières, agricoles, énergétiques, forestières et infrastructurelles
sur le continent africain. Les États et les entreprises qui y mènent ces activités
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
devront avoir un comportement responsable.
Au niveau international, la responsabilité environnementale a été consa-
crée pour la première fois lors de la Conférence de Stockholm en 1972, puis
par la Déclaration de Rio de 1992, dans le principe 13. La directive sur la
responsabilité environnementale 99 à l’échelle de l’UE est fondée sur le principe
du pollueur-payeur qui prévoit que les pollueurs responsables qui causent un
dommage environnemental grave ou qui créent une menace imminente d’un tel
dommage doivent prendre les mesures de prévention ou de réparation néces-
saires ou supporter les coûts de telles mesures. Partant d’une logique de respon-
sabilité environnementale, il est possible de faire des mines responsables avec
un meilleur encadrement législatif et réglementaire pour garantir un meilleur
sourcing. Si la notion de « mines propres » n’existe pas, celle de « mines moins
sales et responsables » doit être consacrée au nom de la justice écologique.
Des solutions technologiques innovantes pour l’extraction et le traitement
des matières premières critiques sont d’ores et déjà utilisées grâce à l’auto-
matisation et à la numérisation qui permettent de produire de façon moins
polluante 100. Le programme européen Copernicus d’observation de la Terre

97. Règlement (UE) 2017/821 du 17 mai 2017 fixant des obligations liées au devoir de diligence
à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de
l’étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l’or provenant de zones de conflit ou à
haut risque ; J.O., L 130 du 19 mai 2017, p. 1.
98. Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser
les investissements durables, J.O.U.E., L 198/13.
99. Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la respon-
sabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages
environnementaux, J.O.U.E., L 143 du 30 avril 2004, pp. 56-75.
100. B. Charlotte, « Les solutions alternatives aux terres rares », https://​
afroculture​
.net/​
alternatives​-solutions​-to​-rare​-earths/​, consulté le 22 août 2022.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 24

peut ainsi devenir un outil pour détecter de nouveaux sites de terres rares ainsi
que pour surveiller la performance environnementale des mines 101. Smart
Exploration, un projet financé par l’UE, peut aider les compagnies minières à
prospecter et à exploiter les terres de manière écologique grâce à la technologie
de la sismique passive 102. Il faut aussi encourager le recyclage et la recherche
de solutions de substitution des terres rares. Ainsi, des travaux ont montré qu’en
nano-structurant des particules contenant des éléments simples et largement
disponibles comme le fer et le carbone, il est possible d’obtenir des propriétés
magnétiques rivalisant avec celles d’aimants permanents élaborés à partir de
métaux rares 103. Des industriels européens et japonais se sont lancés dans des
filières de valorisation en recyclant les terres rares contenues dans les mines
urbaines 104. Mais, est-ce que ces procédés seront abordables et compétitifs vis-
à-vis de la production minière ?
En attendant, l’exploitation mal régulée des terres rares et l’utilisation de
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
technologies obsolètes continuent de causer de sévères dommages à l’environ-
nement et aux populations de l’Afrique.

3.2 La menace environnementale sera-t-elle


au cœur des préoccupations africaines ?

Avant d’être une question économique ou d’approvisionnement, l’enjeu derrière


l’exploitation des métaux rares est écologique. Les États africains gagneraient
à enclencher une dynamique vertueuse d’un développement durable au lieu de
poursuivre une forte croissance sans tenir compte des enjeux environnementaux
liés à l’exploitation des terres rares au risque d’apparaître comme la « poubelle
du monde moderne ». Si le règlement européen REACH 105 protège les citoyens
européens en exigeant le développement de bonnes pratiques environnemen-
tales, en Afrique, les industriels peuvent utiliser à la fois le dumping écono-
mique avec des coûts de production réduits, le dumping écologique puisque
les dommages environnementaux causés ne sont pas intégrés dans les coûts

101. COM (2020) 474 final, précitée.


102. P. Hackett, « Comment l’Europe s’organise pour s’approvisionner en matériaux rares à
l’avenir », 18 décembre 2020, https://​fr​.euronews​.com/​2020/​12/​18/​comment​-l​-europe​-s​
-organise​-pour​-s​-approvisionner​-en​-materiaux​-rares​-a​-l​-avenir.
103. M. Latroche, « Les terres rares, et après ? », Journal CNRS, 9 mai 2019, https://​lejournal​
.cnrs​.fr/​billets/​les​-terres​-rares​-et​-apres.
104. Ibid.
105. Règlement (CE) 1907/2006 (REACH), instituant une agence européenne des produits
chimiques, J.O.U.E., L 396 du 30 décembre 2006.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 25

de production et le dumping social puisqu’ils peuvent disposer d’une main-


d’œuvre bon marché et peu regardante sur les conditions de travail.
Tout le défi d’un nouvel ordre mondial est de créer une alternative au modèle
économique actuel très polluant en faveur d’un New Deal Vert 106. Après les pays
occidentaux et le Japon, la Chine a décidé d’agir pour se séparer d’un modèle de
développement anti-écologique. Aujourd’hui, c’est à l’Afrique d’avoir une prise
de conscience écologique même si cette dernière peut constituer une menace
pour les pays consommateurs de terres rares ou si elle peut favoriser la recherche
et le développement de productions ou de produits alternatifs.
Un « commerce juste » doit être le socle des engagements internationaux,
avant le souci d’un développement de l’économie verte basée sur les terres
rares. L’essor des énergies renouvelables mène à « un monde plus vert tribu-
taire de métaux sales » 107 qui causent d’importants dégâts environnementaux
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
chez autrui. Tout esprit écologiste devrait être conscient du fait que, même si
le coût de production s’avère moins élevé en Afrique, les coûts écologiques et
sanitaires restent importants. Les méthodes de séparation utilisées aujourd’hui
font appel à des procédés complexes et polluants : rejets d’acides, de bases, de
solvants, de métaux lourds ou de déchets radioactifs 108. Il faut donc de nouvelles
méthodes et des normes plus écologiques.
Pour la normalisation dans le domaine de l’exploitation des terres rares et
afin d’asseoir une production sûre et durable d’un point de vue environnemen-
tal, l’ISO (Organisation internationale de normalisation) élabore des normes
internationales d’application volontaire apportant des solutions aux enjeux
mondiaux 109. La Rare EarthsIndustry Association (REIA), fondée en juin 2019,
travaille également à la création de normes harmonisées et plus respectueuses
de l’environnement dans l’exploitation des terres rares. Inspirée des normes de
développement durable de l’OCDE et de l’ISO, la REIA envisage une techno-
logie blockchain pour garantir la transparence du processus. La Commission
des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) peut aussi
jouer un rôle de premier rang dans l’élaboration de nouvelles règles concer-
nant le commerce des terres rares. Son Règlement sur la transparence dans
l’arbitrage entre investisseurs et États 110 doit être appliqué dans le commerce

106. J. Rifkin, « Le New Deal vert mondial : pourquoi la civilisation fossile va s’effondrer d’ici
2028 – Le plan économique pour sauver la vie sur Terre », Les Liens Qui Libèrent, 16 octobre
2019, pp. 1-24.
107. G. Pitron, « La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numé-
rique », Les Liens Qui Libèrent, janvier 2018.
108. M. Latroche, op. cit.
109. ISO/TC 298 Terres rares, 2015.
110. Règlement de la CNUDCI sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États
fondé sur des traités, Résolution de l’Assemblée générale 31/98 (1976).
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 26

international des terres rares. Ces dispositifs pourraient être une opportunité
pour les pays africains qui aspirent à exploiter les terres rares avec un proces-
sus moins destructeur de l’environnement. Ainsi, en décembre 2013, les diri-
geants africains ont lancé à Maputo, au Mozambique, le Centre africain pour le
développement des ressources minérales (AMDC), destiné à mettre en œuvre
les projets de l’« Afrique vision minière » (AMV), un cadre pour la mise en
valeur des ressources minérales afin de mieux négocier les contrats miniers,
de prêter plus d’attention à l’environnement, de veiller à la valorisation des
ressources naturelles et au développement des compétences des Africains. Le
« Centre africain des ressources naturelles » (ANRC) est une entité hors prêts
instaurée par la Banque africaine de développement (BAD) pour renforcer la
capacité des décideurs politiques africains à gérer les ressources naturelles pour
des résultats de développement améliorés. L’ANRC, en collaboration avec les
gouvernements africains, les institutions régionales, le secteur privé, les orga-
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
nisations de la société civile (OSC) et les bailleurs de fonds, devrait permettre
aux pays africains de tirer parti des ressources naturelles du continent pour une
croissance verte inclusive et durable. Il contribue au renforcement des capacités
institutionnelles, fournit des conseils sur les politiques, des orientations straté-
giques sur les investissements et les négociations, et une assistance technique
ciblée sur les questions réglementaires.
En conclusion, la prise de conscience d’une trop grande dépendance vis-à-
vis des exportations chinoises et des limites des alternatives à l’utilisation des
terres rares ou du recyclage de ces métaux a amené l’UE à chercher de nouvelles
sources d’approvisionnement en Afrique. Pour une production délocalisée en
Afrique, il convient de renforcer les accords de partenariats UE-Afrique en vue
de favoriser un approvisionnement responsable. Quant à l’Afrique, pour tirer
profit des terres rares, elle doit s’industrialiser sans oublier de préserver son
environnement par un bon usage de ses terres 111.
Ayant parcouru les diverses formes de mécanismes dont le droit interna-
tional dispose pour permettre aux pays africains de protéger et préserver leurs
terres rares, on a pu conclure que la dégradation de l’environnement en Afrique
est dans une large mesure liée au pillage des ressources naturelles du continent.
Par exemple, parmi les quinze pays dans le monde ayant souffert le plus de
la déforestation, sept sont en Afrique 112. En outre, parmi les quinze pays en
butte à l’avancée de la mer, quatre sont en Afrique 113. Près de 26 % des terres
de l’Afrique subsaharienne étaient couvertes de forêts en 2014 (contre 38 %

111. « Le bon usage de la Terre : penser le droit dans une planète finie », Revue juridique de l’envi-
ronnement, 2019/HS18 (n° spécial).
112. M. D. Demba. « Ressources de l’Afrique et stratégies d’exploitation », La Pensée, vol. 381,
n° 1, 2015, pp. 29-46.
113. Ibid.
Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’UE 27

de l’UE et 34 % des États-Unis) 114, et le couvert forestier africain continuera


à baisser en raison du phénomène de l’accaparement des terres arables 115, de
l’exploitation forestière illégale et de l’exploitation minière pour la produc-
tion de biens agricoles ou industriels destinés principalement à l’exportation.
L’exploitation irresponsable des terres ou des ressources naturelles africaines
emporte des enjeux de portée planétaire : l’aggravation de la déforestation et
de la pollution, l’expropriation et le chômage des jeunes paysans, l’insécurité
sociale et alimentaire, l’urbanisation galopante des villes africaines et l’immi-
gration clandestine vers l’Occident. Les enjeux géo-économiques, les défis
géopolitiques et les dangers écologiques des terres rares nécessitent donc une
conscience écologique globale et un encadrement juridique international qui
sont toujours en gestation face à l’urgence climatique mondiale, malgré l’évo-
lution du droit de l’environnement.
© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)

© Association internationale de droit économique | Téléchargé le 07/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.156.117.44)
SUMMARY: AFRICA’S RARE EARTHS, A POTENTIAL
RECOURSE FOR THE EUROPEAN UNION IN
COMPLIANCE WITH INTERNATIONAL LAW
For its energy and ecological transition in the digital age, the European Union
(EU), faced with the Chinese monopoly and the limits of its recycling and substi-
tution capacities, must secure its rare earth supply. As for Africa, it can become
a producer and supplier of the EU. To do this, the African countries producing
rare earths must rely on international law to control the issues related to delo-
calized pollution. A need is thus emerging in the face of geo-economic stakes,
geopolitical challenges and ecological dangers linked to the exploitation of
African rare earths: that of a global ecological awareness and an international
legal framework, which are still in the making.

Mots-clés : terres rares, Afrique, Union européenne, Chine, droit économique


international, environnement

Keywords: rare earths, Africa; European Union, China, international economic


law, environment

114. L. Kokko, « L’Afrique de l’avenir : les tendances clés d’ici à 2025 », Institut d’études de sécu-
rité de l’Union européenne, https://​www​.iss​.europa​.eu/​sites/​default/​files/​EUISSFiles/​Report​
_37​_African​%20futures​.pdf, consulté le 11 janvier 2021
115. A. Ngom, « Accès des pays en développement aux marchés agricoles internationaux et phéno-
mène de “l’accaparement” des terres arables », Revue de droit rural, n° 491, mars 2021,
étude 6, pp. 20-24.

Vous aimerez peut-être aussi