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LA RENONCIATION AU RÉFÉRENTIEL COMPTABLE INTERNATIONAL :

UNE CONTRIBUTION AU DÉBAT CONTROVERSÉ SUR LES BIENFAITS


SYSTÉMATIQUES DES IFRS

Corinne Bessieux-Ollier, Élisabeth Walliser

ISEOR | « Recherches en Sciences de Gestion »

2017/1 N° 118 | pages 45 à 64


ISSN 2259-6372
DOI 10.3917/resg.118.0045
Article disponible en ligne à l'adresse :
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revue Recherches en Sciences de Gestion-Management Sciences-Ciencias de
Gestión, n°118, p. 45 à 63

La renonciation au référentiel comptable


international : Une contribution au débat controversé
sur les bienfaits systématiques des IFRS

Corinne Bessieux-Ollier
Professeur associée – HDR
Montpellier Business School
MRM
(France)

Élisabeth Walliser
Professeur des universités
Université Côte d’Azur
GRM
(France)

Cet article s’inscrit dans le débat controversé relatif aux


bienfaits des IFRS. En particulier, il se penche sur les motivations des
entreprises françaises ayant fait le choix d’abandonner les normes
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IFRS après leur transfert d’Euronext à Alternext. Les résultats
révèlent que le retour au référentiel français est vécu comme un
soulagement, un retour à l’autonomie et à la stabilité. Ce choix
résulte d’une conjonction d’opportunités et peut être qualifié
« d’affectif ». Ces entreprises ont vécu les IFRS comme une contrainte
et reconnaissent une nostalgie des normes françaises.

Mots-clés : IFRS – Alternext – norme comptable.

This article contributes to the controversy surrounding the


benefits of the IFRS. In particular, it focuses on the motivations of the
46 Corinne BESSIEUX-OLLIER & Élisabeth WALLISER

French firms that chose to abandon the IFRS after their transfer from
Euronext to Alternext. The results of our study reveal that returning to
the French standards is experienced as a relief and a gain in
autonomy and stability. The choice was based on a combination of
opportunities and can be qualified as "emotional". These companies
experienced the IFRS as a constraint and acknowledge their nostalgia
for the French standards

Key-words: IFRS – Alternext – accounting standard.

Este artículo forma parte del polémico debate relativo a los


beneficios de las NIIF. Particularmente, se analizan las motivaciones
de las empresas francesas que escogieron renunciar a la utilización
de las normas internacionales NIIF después de su transferencia del
Euronext a Alternext. Los resultados muestran que el retorno al
referencial francés es vivido como un aligeramiento de normas, un
retorno a la autonomía y a la estabilidad. Esta elección resulta de la
conjunción de oportunidades y puede ser calificado de “emotivo”.
Esas empresas vivieron las NIIF como una obligación de carácter
restrictivo y reconocen cierta nostalgia de las normas francesas.

Palabras claves: NIFF – Alternext – Norma contable.


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Introduction

Dix ans après leur adoption obligatoire, les normes IFRS


(International Financial Reporting Standards) continuent à alimenter
les débats. Une des questions à ce jour non résolue concerne les
avantages et inconvénients à utiliser un tel référentiel comptable.
Alors que des entreprises suisses, comme Swatch notamment, ont
choisi d’abandonner les IFRS, le monde académique n’a pas encore
mesuré le retentissement de ces décisions, qui vont, pour l’instant, à
l’encontre du courant dominant. Sachant que les IFRS sont
obligatoires pour les entreprises françaises cotées sur un marché
règlementé, la question de l’intérêt des IFRS se pose de manière aigüe
RÉFÉRENTIEL COMPTABLE INTERNATIONAL : DÉBAT CONTROVERSÉ 47
SUR LES IFRS

pour les entreprises de plus petites tailles, ou encore lorsqu’elles ont


une faible capitalisation boursière (small caps).
En effet, les entreprises françaises cotées sur Euronext et
présentant des comptes consolidés ont dû adopter les IFRS au 1er
janvier 2005. La loi Brunel du 19 octobre 2009 leur a offert la
possibilité d’un transfert de titres sur Alternext, un marché non
réglementé, moins contraignant, destiné au financement des PME1.
L’année de leur transfert, elles ont alors eu le choix de renoncer aux
IFRS ou de les conserver. Renoncer à ces normes signifiait revenir au
référentiel « historique » français (CRC 99-02) qu’elles utilisaient
avant le 1er janvier 2005. Ce sont les motivations à l’origine de ce
choix qui font l’objet du présent article. L’idée est de « bousculer les
théories» (Dumez, 2010) sur les IFRS, la plupart des études ayant
plutôt mis en avant leurs avantages en se concentrant sur de grandes
entreprises.
En abordant la question de l’abandon des IFRS et de
« l’oxygénation » qui en a résulté pour elles, ce travail s’inscrit dans le
cadre théorique émergent de la Tétranormalisation (Savall et Zardet,
2005). Ce concept désigne les problématiques posées aux entreprises
et aux organisations par la normalisation croissante dans les quatre
(tetra en grec) grands corps de normes auxquels elles sont soumises :
les normes comptables et financières ; les normes sociales ; les normes
qualité, sécurité et environnement ; les normes commerciales et
techniques (Bessire et al., 2010). En particulier, cette théorie étudie les
conséquences de l’inflation normative de ces normes et le désarroi
stratégique qui en résulte. Il s’agit véritablement d’arbitrer et de
négocier la place des normes dans l’organisation (Cappelletti et al.,
2015).
Au 31 décembre 2012, Alternext était composé de 160
entreprises de diverses nationalités. Parmi les 24 entreprises françaises
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cotées sur Alternext et précédemment sous Euronext, quatre
entreprises ont choisi de revenir au référentiel français lorsque la loi
les y a autorisées. Le cas de ces quatre entreprises fournit
l’opportunité de se pencher sur leurs motivations en étudiant les
raisons d’une renonciation au référentiel international, après plusieurs
années d’utilisation.

1. Le terme PME utilisé par le marché Alternext ne correspond pas à la terminologie


courante. En effet, les entreprises sur ce marché ne remplissent pas les seuils
comptables et ne correspondent pas à la définition de l’INSEE notamment en ce qui
concerne l’effectif (généralement inférieur à 250 personnes). Il s’agit plutôt de « small
caps », autrement dit des entreprises à petites capitalisations boursières.
48 Corinne BESSIEUX-OLLIER & Élisabeth WALLISER

En particulier, ce choix soulève les questions suivantes : Quelles


sont les motivations d’un dirigeant, dans le contexte français, à
renoncer aux IFRS lors d’un changement de marché financier ? Quels
sont les paramètres qui incitent les entreprises à revenir au référentiel
national plutôt que de conserver un statu quo ? En répondant à ces
questions sous forme d’étude de cas, notre recherche s’insère dans le
débat controversé sur les avantages systématiques des IFRS pour de
plus petites entreprises. La contribution s’insère par là-même dans
l’actualité avec le projet « IFRS pour les PME » dont les dispositions
sont actuellement rejetées par l’Autorité des Normes Comptables
(ANC), cette dernière indiquant que cette norme ne permet pas de
satisfaire les besoins des PME (ANC, 2010). S’agissant d’une étude
qualitative reposant sur la description/narration, l’étude permet de
« rendre le vécu des acteurs étudiés » (Van Vuren, 2004, p. 2 cité par
Dumez, 2010). Sans prétendre à la généralisation de nos résultats, la
description/narration étant par nature ni neutre, ni exhaustive, ni
objective, l’objectif est de donner « à voir » le point de vue de certains
acteurs moins visibles, ici des entreprises à faible capitalisation
boursière, et par là-même de « changer la valeur de la vérité »
concernant les IFRS (Dumez, 2010).

L’article est organisé de la façon suivante : une première section


présente une revue de la littérature. Une seconde section traite de la
méthode. Une troisième et dernière section présente les résultats de la
recherche.

1. – Revue de la littérature

Cette revue de la littérature tente de mettre en avant des


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explications à la décision de certaines entreprises de renoncer au
référentiel comptable international. Cette décision est en effet un
choix à contre-courant si l’on se réfère à la théorie néo-
institutionnelle. Leur décision s’insère également dans le débat
controversé sur les bienfaits systématiques des IFRS.

1.1. Une décision à contre-courant

Selon la théorie néo-institutionnelle (Meyer et Rowan, 1977 ;


DiMaggio et Powell, 1983), un processus de contrainte force une unité
appartenant à une population à ressembler aux autres unités soumises
aux mêmes contraintes environnementales. C’est la notion
d’isomorphisme qui conduit à une homogénéisation des pratiques.
RÉFÉRENTIEL COMPTABLE INTERNATIONAL : DÉBAT CONTROVERSÉ 49
SUR LES IFRS

Mues par un désir de légitimité, les entreprises se plient à des


pressions de trois types. L’isomorphisme coercitif correspond aux
pressions exercées par d’autres organisations dont l’entreprise dépend
mais aussi par la société dans laquelle elle évolue. L’isomorphisme
normatif est lié à la professionnalisation du champ. Enfin,
l’isomorphisme mimétique tend à reproduire les pratiques des
entreprises les plus performantes.
Barbut et Piot (2012) ont appliqué ce cadre d’analyse au champ
de la comptabilité, pour expliquer les motivations des entreprises
françaises cotées à choisir les normes IFRS. Les pressions coercitives
provenant de la politique de règlementation européenne et nationale
(CRC) apparaissent au premier plan. Les auteurs mettent également en
évidence un fort comportement mimétique des entreprises pour
lesquelles les normes IFRS sont un moyen de s’identifier à leur
environnement concurrentiel. A l’inverse, les pressions normatives de
la profession comptable ne sont pas déterminantes dans le choix, la
voix des auditeurs externes n’apparaissant pas comme un vecteur de
diffusion des normes internationales même lorsqu’il s’agit des Big
Four.
Si des entreprises décident de renoncer au référentiel
international, c’est donc qu’elles vont à l’encontre du courant
dominant. L’isomorphisme coercitif de la règlementation comptable
ne joue plus son rôle. Comment cela peut-il s’expliquer ? De même
l’effet de mimétisme ne fonctionne plus. En renonçant aux normes
IFRS qui sont généralisées parmi les grandes entreprises cotées, une
entreprise ne risque-t-elle pas de se voir marginalisée ?
Les travaux d’Oliver (1991) combinent le cadre néo-
institutionnel traditionnel avec la théorie de la dépendance des
ressources (Pfeffer et Salancik, 1978). La survie de l’organisation
dépend alors de sa capacité à répondre aux besoins de
l’environnement de manière légitime, tout en préservant ses propres
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intérêts. De la combinaison de ces deux cadres résultent un certain
nombre de comportements (l’acquiescement, la négociation,
l’évitement, le défi ou encore la manipulation). Le défi étant la
réaction consistant à rejeter la norme lorsque la pression est trop forte
pour l’organisation. En prenant une décision à contre-courant, les
entreprises renonçant aux IFRS semblent donc défier le système.
Ce comportement atypique mérite donc d’être questionné. Il peut
éventuellement s’expliquer par le fait que les IFRS font l’objet d’un
débat controversé ces dernières années.
50 Corinne BESSIEUX-OLLIER & Élisabeth WALLISER

1.2. Un débat controversé sur les bienfaits des IFRS

Initialement, et sur le plan théorique, l’argument mis en avant en


faveur de l’adoption des normes internationales concerne
principalement la réduction de l’asymétrie d’information entre
dirigeants et parties prenantes. Sur le plan opérationnel, l’adoption des
IFRS serait souhaitable en raison du nombre limité d’options qu’elles
proposent, réduisant par là-même les choix discrétionnaires des
dirigeants.
Nombre d’études empiriques constatent, en effet, une
amélioration de la qualité comptable des états financiers induite par
l’adoption des normes internationales (Barth et al, 2008), aussi bien
pour des entreprises « volontaires » dans une période pré-IFRS, que
pour des entreprises « contraintes » dans une période post-IFRS (Chen
et al, 2010). Cette amélioration dans la qualité de l’information
comptable publiée s’explique généralement par : (1) la diminution de
la gestion du résultat, (2) la comptabilisation plus rapide des
mauvaises nouvelles en charges dans le compte de résultat, (3) une
pertinence plus élevée des résultats ; les rentabilités boursières des
entreprises étant plus étroitement liées aux mouvements du marché.
Dans cette optique, les normes comptables internationales sont bien
les « instruments du capitalisme financier » (Capron et al, 2005).
L’amélioration de la qualité de l’information comptable permet
alors de réduire le coût du capital et d’augmenter la liquidité des
actions (Leuz and Verrecchia, 2000). Dans leur méta-analyse, Ahmed
et al. (2013) indiquent, par ailleurs, que la qualité des prévisions des
analystes financiers s’est sensiblement accrue avec l’adoption
obligatoire du référentiel comptable international.
Néanmoins, ces résultats doivent être nuancés. Certaines études
obtiennent des résultats plus mitigés sur les « bienfaits » des normes
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internationales, que leur application ait été volontaire ou obligatoire,
tout en mettant en évidence une augmentation des honoraires d’audit
(De George et al, 2013). L’adoption des IFRS obéirait à une logique
de conformité (Christensen et al, 2008). Leur adoption dépendrait
donc largement de facteurs contingents et conduit Brown (2011) à se
demander quels sont les véritables bénéfices des IFRS. Ainsi, Daske et
al. (2013) mettent en évidence que seules les entreprises souhaitant
« sincèrement » adopter les normes IFRS de manière volontaire
bénéficient d’un impact favorable sur le coût du capital et la liquidité
des actions. Les auteurs distinguent ainsi les adoptants « sincères » et
ceux qui ont fait un choix plus opportuniste, pour bénéficier du
« label » IFRS. La plupart des entreprises françaises retiennent
d’ailleurs les options les plus proches des règles comptables nationales
RÉFÉRENTIEL COMPTABLE INTERNATIONAL : DÉBAT CONTROVERSÉ 51
SUR LES IFRS

pour atténuer l’impact des normes IFRS (Jeny-Cazavan et Jeanjean,


2009).
Cette distinction est essentielle car elle révèle une dimension
jusque-là occultée dans la littérature comptable largement en faveur
des IFRS, avec l’argument selon lequel ces normes ne présenteraient
pas forcément un intérêt pour elles-mêmes (per se). A cet égard
Christensen (2012) note que même si la plupart des études mettent en
avant les nombreux bénéfices à utiliser les IFRS, les entreprises
faisant le choix d’une adoption volontaire sont rares. L’auteur
s’interroge : les académiques auraient-ils surestimé les bénéfices liés à
l’adoption des IFRS ou les entreprises agissent-elles de manière
irrationnelle (ce qui lui semble moins probable) ?

Notre étude s’inscrit donc dans un débat à contre-courant, avec la


mise en évidence des motivations de certaines entreprises françaises à
renoncer au référentiel international, alors même qu’elles ont la
possibilité de conserver un statu quo. Quelles sont les motivations
d’un dirigeant d’entreprise dans le contexte français, à renoncer aux
IFRS lors d’un changement de marché financier et à revenir au
référentiel français?

2. – Etude empirique : présentation de l’étude de cas

2.1. Une approche contextualisée

La loi Brunel du 19 octobre 2009 a offert la possibilité aux


entreprises cotées sur Euronext d’un transfert de marché financier. Les
entreprises ont alors eu le choix de rester sur un marché réglementé
avec tout un ensemble de contraintes législatives et réglementaires
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liées (publications trimestrielles et semestrielles, comité d’audit,
système de contrôle interne, contrôle des rémunérations des dirigeants
etc...) ou de se diriger vers un système moins contraignant, Alternext.
Les entreprises qui ont choisi un transfert vers Alternext
pouvaient continuer à publier leurs comptes en normes IFRS (comme
elles devaient le faire sous Euronext) ou pouvaient profiter du transfert
pour revenir aux normes françaises [le règlement n°99-02 du Comité
de la Réglementation Comptable (CRC)].
52 Corinne BESSIEUX-OLLIER & Élisabeth WALLISER

2.2. Méthodologie

Présentation des étapes de la recherche


Nous avons établi la liste des entreprises françaises cotées sur
Alternext au 31/12/2012 et cotées auparavant sur Euronext. Elles
étaient 242. Quatre d’entre elles ont été identifiées comme ayant
abandonné les IFRS. Après un recueil de données secondaires
(rapports annuels avant, pendant et après IFRS, communiqués de
presse, présentation aux actionnaires), les personnes à l’origine et
ayant pris part au changement de norme ont été contactées. Toutes ont
accepté de nous répondre. Nous avons donc analysé la population
totale.

Mode de recueil des données primaires


Des entretiens semi-directifs ont été menés en juin 2013, par
téléphone, après une prise de rendez-vous. Ils ont duré de 30 minutes à
1 heure. Un guide structuré permettant « d’aborder une série de
thèmes préalablement définis » (Thiétard, 2007) a été utilisé. Les
entretiens ont ensuite été retranscrits sous format Word.

Analyse des données


L’analyse des données a été réalisée grâce aux logiciels Nvivo et
Freeplane. Nvivo est un logiciel d’analyse thématique. Il permet de
coder les entretiens. Des nœuds, ou mots-clés, ont été créés en
fonction de thématiques abordées par les interviewés. Ce travail,
réalisé en double codage, a permis d’affecter des mots, des phrases, ou
des paragraphes à un ou plusieurs nœuds, en fonction de la perception
du contenu. Des requêtes ont ensuite été lancées pour savoir quel
interviewé aborde la thématique en question, et obtenir tous les
passages codés avec tel ou tel nœud. La technique de comptage
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proposée par Miles et Huberman (2003) a été utilisée. Freeplane, un
logiciel de cartes heuristiques, a permis de mettre en place une
représentation des données sous une forme arborescente, afin de
faciliter le classement et l’organisation des informations et obtenir un
résultat plus « visuel » (cf figure 1).

2.3. Caractéristiques descriptives

Les quatre entreprises ayant choisi de renoncer aux IFRS


appartiennent à quatre secteurs d’activité distincts. Elles présentent

2. Nous tenons la liste des 24 entreprises à disposition de nos lecteurs.


RÉFÉRENTIEL COMPTABLE INTERNATIONAL : DÉBAT CONTROVERSÉ 53
SUR LES IFRS

des caractéristiques qui les rendent très différentes les unes des autres
de par leur CA (et notamment la part de CA réalisée à l’étranger), le
total du bilan ou les effectifs (mesures de taille traditionnelles),
l’endettement, la concentration du capital, la part du capital flottant et
celle détenue par la famille (cf tableau 1).
Les entreprises A, C et D ont changé de référentiel comptable
pour la présentation de leurs états financiers 2011 et l’entreprise B en
2012.
Tableau 1 - Caractéristiques des entreprises étudiées et des personnes
interrogées3
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3. CA, résultat et total bilan en K€


54 Corinne BESSIEUX-OLLIER & Élisabeth WALLISER

3. – Les résultats

Cette recherche repose sur l’analyse de discours concernant


l’abandon du référentiel IFRS et le retour au référentiel comptable
français, autorisé suite à un changement de marché financier. Des
raisons liées à l’histoire des entreprises (besoins financiers importants,
sortie d’actionnaires principaux, développement de nouveaux
marchés, image de marque, prestige…) ont influencé le choix de
cotation sur Euronext. Des raisons différentes ont conduit au transfert
sur Alternext et l’ont rendu évident : un besoin de simplification, une
réduction des coûts de cotation et de formalités et donc une réduction
des obligations de publication (rapport sur le gouvernement
d’entreprise, informations environnementales et sociales, contrôle
interne), un manque de personnel spécialisé, un marché financier plus
adapté à la taille de l’entreprise et au pourcentage de titres cotés…
Euronext a ainsi été comparé à « une usine à gaz quand vous n’avez
pas les structures et les services qu’il faut derrière » (D). Ceci a donc
expliqué qu’à « un moment donné, on a pris l’option de basculer vers
un marché qui corresponde plus juste et mieux à notre taille (D) ».
Les interviewés évoquent la lourdeur d’Euronext et soulignent aussi
un avantage au transfert sur Alternext : « Rendre la cotation (…)
raisonnable d’un point de vue coût, c’est une garantie de pouvoir
rester coté (C) », ce que les entreprises n’auraient pas forcément pu
faire en restant sur Euronext. La sortie de bourse n’est donc pas
envisagée dans un proche avenir.

Outre le contexte historique lié à la cotation sur Euronext, la


sortie d’Euronext et le transfert vers Alternext, trois thématiques
ressortent des discours : 1. les inconvénients liés à l’utilisation des
IFRS, 2. le choix du référentiel comptable français et 3. le retour sur
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l’expérience vécue.
RÉFÉRENTIEL COMPTABLE INTERNATIONAL : DÉBAT CONTROVERSÉ 55
SUR LES IFRS

Figure 1 – Schéma récapitulatif


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3.1. Des inconvénients majeurs liés aux IFRS © ISEOR | Téléchargé le 27/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.126)

Les entretiens font ressortir des inconvénients majeurs attribués


aux IFRS compte tenu de la taille des entreprises.
Les IFRS sont en évolution permanente, avec des projets de
normes qui peuvent poser problème, et nécessitent une formation
permanente et la mise en place d’une veille : « les IFRS demandaient
un investissement (…), prenaient beaucoup de temps en calculs
actuariels, en mise à jour de documentation, des connaissances (…).
56 Corinne BESSIEUX-OLLIER & Élisabeth WALLISER

Il y avait un gros investissement en temps, en suivi d’évolution des


normes parce que ça (…) évolue en permanence (A) ».
Les IFRS ont un coût trop élevé (lié notamment aux honoraires
et formations par les commissaires aux comptes), « C’est nos
commissaires aux comptes qui de toute façon nous ont dit qu’à un
moment donné, les formations qu’eux auraient dû suivre nous
auraient été répercutées donc, à un moment donné, quand on est une
petite structure, il faut savoir s’arrêter, surtout quand on a le choix
(D) ».
La complexité des normes est grande et la quantité de travail
nécessaire pour les interpréter trop importante : « Sachant qu’il y a
énormément de choses en IFRS qui chez nous posaient des problèmes
d’interprétation, un peu sans fin (C) », pour les utiliser également :
« ce sont toutes les nouvelles normes un peu compliquées sur
lesquelles tout le monde se pose des questions métaphysiques chaque
année, dès lors qu’on n’a pas des équipes dédiées très importantes
(B) » et pour les comprendre : « Il y a quand même des normes qui
soit ne sont pas très précises, soit sont au contraire précises mais on
n’en comprend pas trop le sens (B) ». Et, la nécessaire explication des
normes IFRS dont les incidences ne sont pas toujours comprises
impose une contrainte supplémentaire aux entreprises : « Année après
année, il a fallu que je lui explique (ndlr, au président) les incidences
que ça avait sur un certain nombre d’opérations (B) » ou, « Allez lui
expliquer (ndlr : à un actionnaire individuel) le traitement des stock-
options en normes IFRS, je vous souhaite bon courage. C’est
incompréhensible. Seulement incompréhensible. Donc, enlever
quelque chose d’incompréhensible et améliorer son résultat, pour
moi, franchement, il n’y a pas photo (C) ». Ainsi, il apparaît que « De
vous à moi, le référentiel français est quand même nettement plus
simple à lire qu’un référentiel IFRS (D) ».
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Les IFRS avaient un impact dans la présentation des états
financiers, avec parfois une grande volatilité des résultats ou des
conséquences sur l’endettement. Ainsi, certaines normes spécifiques
amenaient des difficultés particulières d’application et d’explication
aux actionnaires concernant notamment l’utilisation de la juste valeur
pour le calcul des engagements de retraite (B), la valorisation des
immobilisations financières (D), les attributions gratuites d’actions et
de stock-options (A); l’enregistrement des contrats de location (A),
l’information sectorielle (C), les regroupements d’entreprises (B) et la
présentation du chiffre d’affaires (B et C).
D’une manière générale, les quatre entreprises considèrent les
IFRS comme inutiles : « les IFRS pour nous, c’est pas d’un grand
intérêt (B) », « pour nous, le fait d’être en IFRS n’apporte absolument
RÉFÉRENTIEL COMPTABLE INTERNATIONAL : DÉBAT CONTROVERSÉ 57
SUR LES IFRS

rien d’autre que ce que peuvent fournir des comptes en normes


françaises et une cotation sur Alternext (C) », « on trouve qu’il y a
beaucoup de publicité autour des IFRS et que c’est loin d’être la
panacée (A) », « à la base, les IFRS, c’est très beau, c’est pour
homogénéiser les…, améliorer la comparabilité des résultats et la
lisibilité des informations mais, en pratique, on arrive à l’effet inverse
(A) ».

3.2. Les intérêts d’un retour au référentiel français

Le traitement rétrospectif des comptes, qui aurait pu être


considéré comme un frein lors du retour au référentiel français, ne l’a
pas été pour les quatre entreprises. Dans trois entreprises, il a été
réalisé en interne. Le coût du retour au référentiel français s’est donc
avéré nul. La quatrième l’a fait réaliser par son expert-comptable. Les
compétences existaient dans l’entreprise pour retourner au référentiel
français (rapport de transfert et traitement rétrospectif) et dans un délai
raisonnable (entre 1 et 3 semaines). Les méthodes retenues étaient
proches de celles utilisées sous référentiel IFRS : « Quand il y a le
choix d’une méthode de comptabilisation on a pris celle qui
correspondait ou qui était la plus proche des IFRS afin de minorer
l’impact dans le résultat de l’exercice du changement (A) ». Une
entreprise a déclaré que le retour au référentiel français avait contribué
à améliorer son résultat (C).
Dans tous les cas, la décision de changer de référentiel
comptable a été prise très rapidement, dans la foulée du transfert sur
Alternext, très vraisemblablement car l’abandon des normes IFRS
avait déjà été envisagé : « la décision de changer de référentiel
comptable a été prise en même temps que la décision d’aller sur
Alternext (…). Elle s’est faite relativement rapidement (C) », « on a
profité du créneau qu’on avait qui était l’année 2011 pour revenir en
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arrière (A) » et « nous, les IFRS, (…) on y est passé par obligation
(…). Donc, (…) arrêter n’a pas été compliqué pour nous. Au contraire
(D) ».
Quelques parties prenantes ont été consultées, de manière assez
informelle : « on n’a pas eu dix mille réunions pour tomber d’accord.
Cela s’est fait lors de travaux périodiques de la part de nos
commissaires aux comptes. (...) Cela nous a pris une demi-heure de
temps (D) ». La décision du retour a été prise en toute autonomie :
« on a communiqué avec eux (ndlr : commissaires aux comptes) sur
notre projet. On a écouté leurs commentaires. Voilà, oui, bien sûr.
Mais, sans plus (C) » et, « c’est moi qui m’en suis occupé pour le
changement de référentiel. J’en ai discuté avec les commissaires aux
58 Corinne BESSIEUX-OLLIER & Élisabeth WALLISER

comptes. On s’est mis d’accord sur la procédure à suivre mais on n’a


fait appel à aucun conseiller extérieur (A) » et de manière plutôt
isolée : « A partir du moment où le président, qui est dans le bureau
d’à côté, était vraiment très décidé là-dessus, moi je ne leur en ai
même pas parlé (ndlr : aux commissaires aux comptes) (B) ». Il
apparait ainsi que les dirigeants, donc le rôle est fondamental, avaient
déjà une opinion, négative, sur les IFRS : « Ça s’est décidé en très peu
de temps. Et étant donné que de toute façon, là-dessus le Président
était vraiment contre les IFRS (B) » et « cela ne s’est pas basé sur une
analyse rationnelle. C’était plus une conjonction d’opportunités et un
ras le bol (...). Ce n’est pas une démarche rationnelle au sens d’une
analyse. C’était plutôt émotionnel que rationnel (A) ».
Le référentiel français apparaît comme permettant de gagner en
stabilité : « Il y avait tout intérêt à revenir au référentiel français.
C’est beaucoup plus stable (D) » ou « Une des raisons essentielle,
c’est la stabilité du référentiel. C’est-à-dire qu’on n’a pas tous les ans
des textes à étudier qui potentiellement remettent en cause une
politique comptable de manière parfois fondamentale donc on a
beaucoup moins de travail de suivi des changements des
réglementations comptables comme on en avait auparavant en IFRS.
Donc, il y a une stabilité de l’environnement (C) ». Il permet
également de gagner en comparabilité, simplicité et temps : « sur le
suivi, on a une grosse économie de temps, sur les calculs actuariels, et
les résultats sont beaucoup plus comparables d’une année sur l’autre,
ce qui n’était pas le cas avant… puisqu’on reste sur la base des coûts
historiques au lieu de la juste valeur (A) », « Maintenant c’est un gain
de temps (B) » ou « On revenait à une normalité, une simplification,
qui nous allaient très bien (D) ».

3.3. Le retour d’expérience et le questionnement sur le maintien


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des IFRS par les autres entreprises

Les conséquences du retour au référentiel français sont très


positives : « On a bien fait. Je ne suis absolument pas capable de vous
dire, de vous citer un exemple ou une personne qui nous aurait
reproché de le faire. Cela ne nous a posé strictement aucun problème
(C) » ou « Les analystes de toute manière sur les sociétés de notre
taille ont du mal à s’intéresser à nous, à cause de notre taille, pas à
cause des normes qu’on suit et de toute manière tous les analystes
dignes de ce nom retriturent les chiffres à leur sauce maison si j’ose
dire, ce qu’ils ont toujours la capacité de faire si ça les intéresse à
partir des normes françaises comme à partir de comptes IFRS (C) ».
Aucune partie prenante n’était hostile au changement : « On n’a eu
RÉFÉRENTIEL COMPTABLE INTERNATIONAL : DÉBAT CONTROVERSÉ 59
SUR LES IFRS

aucune réaction négative des banquiers, des actionnaires, de qui que


ce soit. Les seuls qui ont été déçus, ce sont les conseils qui voulaient
nous…, les formateurs qui voulaient nous vendre des formations, des
conseils (…). Je ne suis pas sûre qu’ils ne préfèrent (ndlr : les
banquiers) pas les normes françaises aux normes IFRS... parce qu’eux
aussi ont beaucoup plus de mal à lire les bilans en IFRS, enfin à les
interpréter (A) » ou « Je n’ai eu aucun impact, aucune question de
leur part (ndlr : les banquiers) de savoir pourquoi j’étais revenu au
référentiel français et même pas une réflexion me disant qu’ils
auraient peut-être préféré que je reste au référentiel IFRS (D) ».
Le retour d’expérience des décideurs montre qu’ils ne regrettent
pas leur choix : « je ne le regrette pas ! Parce que les IFRS à venir sur
la reconnaissance du revenu par exemple bon…ça risque d’être assez
fondamental… (C) » où « Il y a une facilité pour nous à faire notre
annexe financière. Donc, on a, à mon sens, bien fait de changer, oui.
Surtout quand j’entends les IFRS évoluer constamment avec les
nouvelles normes. Qui ne nous auraient pas impacté obligatoirement
mais qui nous auraient demandé de toute façon une vigilance suivie
(D) ». Les termes utilisés laissent filtrer pour certains un besoin d’être
rassuré par rapport à la décision prise : « j’ai pensé que beaucoup
d’émetteurs allaient opter pour les normes françaises, et en fait je
constate, ce qui ne m’arrange pas d’ailleurs, que la majorité ont opté
pour conserver les IFRS ce qui ne m’arrange pas sur le fond parce
que ça fait que j’ai beaucoup moins d’exemples en normes CRC (B) ».
Les raisons qui pouvaient expliquer que les entreprises aient été
si peu nombreuses à faire ce choix « à contre-courant » ont été
évoquées. Selon les interviewés, le maintien des IFRS serait lié à des
questions de prestige : « J’ai moi-même un peu hésité. Parce que ça
ne va pas quand même dans le sens de tout le monde. C’est vrai que
ce n’est pas très grand (B) » ou « Après sur la carte de visite, cela fait
très bien de dire qu’on est passé aux IFRS mais ça fait, c’est moins
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glorieux de dire qu’on a quitté les IFRS pour revenir aux normes
françaises. Du point de vue prestige, enfin, image, je pense que ça
joue ça (A) » ou de blocages mentaux : « Il y a des blocages mentaux
dans la tête des gens… oui mais les investisseurs ne s’intéresseront
pas à nous si on n’est pas en normes IFRS ; les analystes financiers ne
suivront pas... etc. Moi, je pense que c’est totalement faux (C) ».
La contrainte de marché compte également : « Sachant que nous
(…) on ne se finance pas par le marché, donc on n’est pas suivi par un
analyste financier. Donc on n’a pas de contrainte de marché. On a un
actionnaire majoritaire qui détient plus de 2/3 des droits de vote (…).
Donc on n’a pas ces contraintes-là qui, je pense, pourraient pousser
certains à conserver les normes IFRS qui sont, c’est vrai, quand même
60 Corinne BESSIEUX-OLLIER & Élisabeth WALLISER

plus un standard au niveau international pour les établissements


financiers qui sont susceptibles soit de suivre soit de participer au
financement des groupes cotés (B) », tout comme la rapidité de prise
de décision de changer de référentiel : « Il y a un créneau. On ne peut
la faire cette opération (ndlr : changer de référentiel comptable) que
l’année qui suit l’année où on a changé de marché. Donc, le créneau
pour faire l’opération est très limité. C’est une opération qui se
prépare assez longtemps à l’avance (A) ».

Enfin, le traitement comptable du goodwill est présenté comme


primordial dans la prise de décision de maintien des IFRS. Rester aux
IFRS permet de ne pas amortir le goodwill, et donc de ne pas
détériorer les ratios financiers. Ceci permet de comprendre le
comportement opportuniste des entreprises qui ont décidé le maintien
des IFRS : « Vous avez aussi un certain nombre de cas dans lesquels,
si vous êtes très sensibles à certains ratios, vous n’aurez pas intérêt à
passer en CRC. Dès lors, ce qui est quand même le cas d’un certain
nombre de sociétés, que vous avez des incorporels et notamment des
goodwill qui ont des valeurs significatives, la question va se poser de
l’impact sur le bilan qui sera une détérioration des ratios. Je pense
que les goodwill font partie vraiment du raisonnement (…). Dans
l’avenir il y aura peut-être beaucoup plus de dépréciations en IFRS
mais aujourd’hui on n’en voit quand même pas toujours et quelquefois
c’est curieux (B) » ou « Sachant que l’inconvénient que beaucoup
d’entreprises ont, essentiellement en repassant en normes françaises
c’est les amortissements des incorporels, le goodwill notamment (…),
sachant que nous, on n’en avait pas, donc en fait, on n’était pas
concerné (C) ». Soulignons qu’aucune des quatre entreprises ne
présentait un goodwill au bilan. Et, d’une manière générale, le
changement de référentiel n’a pas conduit à gérer significativement le
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résultat et les capitaux propres des quatre entreprises.

Conclusion

Cette étude s’insère dans le débat controversé relatif aux


avantages des IFRS. Le cas de quatre entreprises ayant fait le choix de
revenir aux normes françaises après leur transfert sur Alternext, offre
l’opportunité inédite de se pencher sur leurs motivations bousculant
ainsi les idées reçues sur les IFRS. Leurs comportements, en décalage
avec les pratiques dominantes, semblent faire exception dans un
environnement comptable caractérisé par l’isomorphisme des
RÉFÉRENTIEL COMPTABLE INTERNATIONAL : DÉBAT CONTROVERSÉ 61
SUR LES IFRS

pratiques. Même s’ils ne sont pas généralisables compte tenu de la


méthodologie privilégiée, ces résultats offrent la possibilité de
s’interroger sur les IFRS à travers le vécu et le point de vue d’acteurs
non dominants sur les marchés financiers.
Les résultats révèlent que le choix du retour au référentiel
français a été mûrement réfléchi. Le changement de marché financier
a fourni à ces quatre entreprises une opportunité qu’elles ont
immédiatement saisie. Les IFRS, en évolution permanente, induisent
des coûts de formation importants. La complexité des normes est
également perçue comme rédhibitoire, causant des « questions
métaphysiques » et des « discussions sans fin ». Les quatre entreprises
vont même jusqu’à les considérer inutiles, sans grand intérêt. Le
retour au référentiel français est donc vécu comme un soulagement, un
retour à l’autonomie et à la stabilité. Il procure également un gain de
temps. Ce choix résulte d’une conjonction d’opportunités et peut être
qualifié « d’affectif ». Il semble y avoir, en préalable à la décision de
changer de référentiel comptable, une expérience malheureuse des
IFRS vécues comme une contrainte et une nostalgie des normes
françaises.
Ces résultats corroborent ceux obtenus par Bac-Charry dans le
cadre plus spécifique des PME (1998), les motivations de ce retour en
arrière (ou de cette résistance au changement) s’expliquent par trois
critères en particulier : les normes internationales ne présentent pas
d’avantage relatif, puisqu’elles ne sont pas perçues comme meilleures
que les normes françaises qu’elles remplacent. Elles ne sont pas non
plus jugées compatibles car sans adéquation avec les valeurs
existantes et besoins potentiels d’entreprises à faible capitalisation
boursière. Enfin elles sont jugées complexes, car difficiles à
comprendre et à utiliser. Plus généralement, comme le supputait la
littérature (Brown, 2011) les inconvénients sont jugés supérieurs aux
bénéfices. Les notions de complexité et d’incompatibilité reviennent
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par ailleurs dans la réponse argumentée de l’Autorité des Normes
Comptables à la consultation sur la norme internationale
d’information financière pour les PME (ANC, 2010). Opposé à
l’utilisation généralisée des IFRS pour les PME, l’organisme de
normalisation français met en avant l’inutilité d’introduire un
référentiel comptable complexe ne répondant pas aux besoins de cette
catégorie d’entreprise.
Même si ces quatre entreprises ne regrettent rien, elles
s’étonnent. Pourquoi ont-elles été si peu nombreuses à décider
d’abandonner le référentiel international ? Pour des raisons de prestige
et d’image certes, mais aussi et surtout pour des raisons opportunistes.
Certains choix comptables, divergeant des normes françaises et
62 Corinne BESSIEUX-OLLIER & Élisabeth WALLISER

internationales, sont susceptibles de détériorer les ratios financiers


notamment en présence d’actifs incorporels importants. A défaut
d’être la panacée, les normes IFRS seraient, dans ces cas-là, acceptées,
car sources d’avantages relatifs.

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