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© ISEOR | Téléchargé le 28/10/2023 sur www.cairn.info via Brest Business School (IP: 212.195.55.143)
Nicolas Dufour
Professeur affilié
Paris School of Business
(France)
Emmanuel Laffort
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Chercheur associé au CREG
Université de Pau et des Pays de l’Adour
(France)
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las pautas preestablecidas, lo cual pone en duda la capacidad de las
organizaciones para definir una respuesta al fraude. Basándonos en
un estudio de casos de empresas que proponen seguros
complementarios de salud, sugerimos que el fraude es también la
apropiación de la problemática por las personas.
Introduction
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d’étudier le cas des « fraudes aux complémentaires santé », en tant
que cas d’étude sectoriel. Dans la présente étude, nous nous sommes
concentrés sur le cas de la fraude externe (fraude des professionnels de
santé et/ou des adhérents aux mutuelles)2. Ce choix d’exclure la fraude
interne du champ de l’étude a deux causes : les cas détectés
concernent majoritairement la fraude externe. Également, au regard de
la richesse du terrain étudiée, une étude pertinente supposait d’être
circonscrite au champ spécifique des schémas de fraude externe.
Les pratiques frauduleuses dans le secteur des entreprises
proposant des assurances complémentaires santé sont un sujet
d’attention récurrent pour les pouvoirs publics (ministère des
Finances, Sécurité Sociale), évoquant des montants de fraudes
détectées supérieurs à 150 millions d’euros/an en tendanciel. Une telle
somme néglige les fraudes subies par les organismes distributeurs et
gestionnaires des complémentaires santé (mutuelles). L’actualité
récente montre l’intérêt d’un tel sujet et la nécessité pour ces
organismes de mettre en œuvre de véritables dispositifs de lutte anti-
fraude face à des pratiques de fraudes s’étant professionnalisées, mais
aussi ayant connu un développement exponentiel, constituant ainsi
1
Les cas cités ont fait l’objet d’articles médiatiques, notamment en ce qui
concerne l’ingénierie sociale, aussi qualifiée de « fraude au Président ».
2
Ce point concerne principalement les fraudes au tiers-payant avec production
de faux justificatifs en vue d’obtenir de manière indue le remboursement de
prestations santé, en l’absence d’acte réel, ou en surfacturation d’un acte
réellement réalisé.
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jusque dans les années 1990 (Ouimet, 2012) et qui doit beaucoup aux
travaux de Sutherland (1940 ; 1944) ; Sutherland et al. (1992) et de
Cressey (1950 ; 1955 ; 1986). Sutherland, l’inventeur du terme de
« criminel à col blanc », a refusé de séparer la criminalité en col blanc
de la délinquance issue des milieux défavorisés et a proposé une
théorie explicative, l’association différentielle. Cressey a poursuivi
dans cette voie et en approfondit l’explication sociologique. Selon lui,
le fraudeur est engagé dans son action délictueuse sous l’effet
principal de trois dimensions : la pression subie, la motivation à
frauder et la rationalisation de l’acte, il s’agit du fameux « triangle de
la fraude ». Cette voie continue d’être approfondie aujourd’hui, et on
trouve des travaux récents mobilisant ce triangle, y compris dans la
norme (cf. par exemple IFAC, 2009, p. 186-189) ou tentant de le
compléter, parfois à l’aide d’autres figures géométriques (Gbegi et
Adebisi, 2013 ; Kassem et Higson, 2012 ; Lanier, 2010 ; Mackevicius
et Giriunas, 2013), mais toujours à l’aide de dimensions
sociologiques.
Ces réflexions ont permis des avancées significatives conduisant
en particulier à reconnaître une nouvelle catégorie de risques : le
3
Voir les études UFC-Que Choisir (2014), EY (2014), PWC (2015) ainsi que
le baromètre du Risk Manager 2015 (AMRAE) soulignant le caractère
prioritaire de la fraude comme enjeu de gestion des risques.
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traitant de ce sujet tant aux États-Unis qu’au Canada (CICIA, chap.
5135) et en France (CNCC, NEP-240 ; (Smaili et al., 2009). Il semble
d’ailleurs que cette acception soit celle qui retienne principalement
l’attention des praticiens. Ainsi, Ouaniche (2015) se concentre-t-il
également sur la fraude comptable et les normes afférentes.
Le COSO5, une organisation indépendante issue de cinq
organisations du secteur privé, dont le but est de développer des
cadres et de proposer des recommandations concernant la gestion du
risque des entreprises et du contrôle interne propose 17 principes dont
le huitième est dédié à la fraude. Ce cadre élargi l’acception de la
fraude en considérant différents types de fraudes, les facteurs
aggravants et en décrivant des attitudes comportementales types
(COSO, 2013, p. 151s).
Le gouvernement australien, engagé dans une démarche
volontaire, propose un cadre de lutte contre la fraude
(Commonwealth of Australia, 2017). Il la définit comme « un acte
malhonnête conférant un avantage ou causant une perte, par
tromperie ou par un autre moyen » (notre traduction)6, la notion de
4
Dans le secteur bancaire et financier, par exemple, le Comité de Bâle s’est
saisi du sujet en 1998 pour arriver à une acception en partie partagée de ce
risque en 2003. (BCBS, 2003)
5
Committee of Sponsoring Organizations of the Tradeway Commissions
6
“dishonestly obtaining a benefit, or causing a loss, by deception or other
means”
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1.2. Des repères à construire pour la fraude à l’assurance
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réglementations dissuasives (Swaby, 2011), la communication pour
sensibiliser (Tseng et Su, 2013) ou encore l’investissement dans des
technologies et des moyens préventifs de détection à l’instar du
datamining (Rejesus et al., 2005) ou du machine learning.
Il n’en reste pas moins qu’une véritable gestion de la fraude dans
le cadre de processus dédiés implique de construire ces repères, a
fortiori dans des secteurs encore peu étudiés sur le plan académique,
comme le secteur des assurances. Ce constat fait émerger un besoin
complémentaire aux autres approches gestionnaires de la fraude.
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que formalise Ouchi (1977) lorsqu’il propose une matrice de choix du
contrôle mettant en évidence deux types de contrôles, ceux basés sur
le contrôle du comportement ou ceux basés sur le contrôle de la
production.
En partie à cause de l’usage généralisé des technologies le contrôle par
le comportement devient moins pertinent, car un même comportement
peut être amené par des diagnostics personnels très différents. De
même, le contrôle par les résultats perd de son intérêt, car les résultats
sont obtenus à partir de variables qui sont de plus en plus cachées dans
les systèmes, les résultats devenant alors la partie visible d’un
ensemble qui peut fonctionner incorrectement. Cela implique que
d’autres formes de contrôle devraient avoir plus d’impact (Weick,
2001c). Weick propose alors, sans enlever les contrôles précédents, de
mettre en place ce qu’il appelle les « contrôles des prémisses de
l’action ». Perrow (2014, p. 128s) appelle ce type de contrôles des «
contrôles de troisième type » tandis que pour Reynaud (2007), il s’agit
de « régulation conjointe ». Ces contrôles sont incorporés dans le
vocabulaire, les pratiques de socialisation… La connaissance devient
plus abstraite et les contrôles peuvent se réaliser par le biais de
« contrôles non intrusifs » (unobstrusive). Ces contrôles, « puissants et
subtils » agissent sur les prémisses de la décision et font aussi bien
appel à la culture, qu’aux pratiques de socialisation ou aux normes
partagées ; ils sont donc relativement indépendants de la structure de
l’organisation (Perrow, 2014, p. 128).
Ce type de contrôles trouve un écho chez Simons qui s’intéresse aux
systèmes de contrôle en tant que vecteurs d’influence sur les processus
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faible (IFT, 2016, p. 8). Il nous semble également important de
développer le système interactif qui prendrait la forme d’échanges
privilégiés entre parties prenantes afin de rendre chacun comptable des
défaillances de ses proches et permettant à chacun de s’enrichir des
points de vue de son entourage, contribuant à modifier les systèmes de
croyances.
Les contrôles existants sont essentiellement quantitatifs, les contrôles
non intrusifs, s’ils ne sont pas oubliés comme les travaux cités ci-
dessus le suggèrent, doivent sans doute être révélés aux praticiens et
aux autorités de tutelle tant ils semblent absents des processus de lutte
contre la fraude. Révéler ces échanges sur la fraude dans le cadre
d’une approche transverse du contrôle, tel est l’objet de l’étude ci-
après.
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actions de gestion de la fraude réalisé en échangeant avec des Risk
Managers d’autres secteurs d’activité (télécom et banque) réputés plus
en avance sur la gestion des fraudes ainsi que dans le cadre d’un
groupe de travail rassemblant 6 mutuelles affiliées à la fédération des
mutuelles françaises. Nos précédentes expériences dans d’autres
domaines de l’assurance ont également été mobilisées (pratiques
issues de la lutte contre la fraude aux assurances de biens, pour
lesquelles les dispositifs de lutte contre la fraude sont plus anciens).
2.2. Justification du recours à une démarche enracinée et validité
de la démarche de recherche
La recherche-action nous semblait justifiée pour plusieurs raisons :
au regard de notre objet d’étude (la fraude), un positionnement en tant
qu’acteur interne de l’organisation permettait un accès facilité au réel,
s’agissant de dispositifs confidentiels et pour lesquels un acteur
externe, y compris en mission de consulting, n’aurait eu qu’un accès
limité. Il aurait par exemple eu un accès restreint aux cas et schémas
de fraude réduisant la possibilité de compréhension du processus
étudié.
En outre, une telle méthodologie s’oppose « aux théories produites
par déduction logique d’hypothèses définies a priori » (Glaser et
Strauss, 2012, p. 85) et permet de comprendre comment les pratiques
sociales et à visée d’apprentissage sont localisées et émergent dans des
circonstances empiriques (Kemmis et McTaggart, 2005). La
recherche-action nous semble particulièrement adaptée eu égard au
caractère exploratoire de notre recherche, s’agissant d’une
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la méthodologie de recherche-action adossée à une comparaison des
moyens de lutte contre la fraude auprès des mutuelles de taille
similaire ayant des activités proches (prestations santé et prévoyance)
nous a ainsi permis d’émettre un ensemble de préconisations sur la
nécessité de formaliser un processus de lutte anti-fraude. Ces éléments
ont conduit à la présentation d’un plan d’action qui est détaillé dans la
partie résultat ci-après : ces préconisations ont été validées en interne
au regard de plusieurs éléments : des éléments intrinsèque à
l’entreprise : la réalisation d’une cartographie des risques et d’une
remontée des principaux incidents de fraudes externes dans le cadre de
notre intervention. C’est bien dans l’étude le positionnement interne
en tant que Risk Manager qui a permis de sensibiliser le comité de
direction et les différents manager, la fonction étant institutionnalisée
dans la mutuelle (fonction dédiée rattaché à la Direction Générale).
Egalement, des éléments de contexte externe, pour lesquels nous
avons eu un rôle actif de recherche-action ont permis de faire valider
en interne la nécessité de conduire la mise en place d’un processus de
lutte anti-fraude : nous avons également réalisé une comparaison avec
des mutuelles de moyenne-taille ayant des activités similaires
(prestations santé, prévoyance) et étant aussi confrontées à la fraude
7
Une limite cependant identifiée tient à la confidentialité de certains résultats
de l’étude, sans pour autant dénaturer la restitution faite dans le présent
travail. Les données non diffusées sont en particulier le nombre et
l’importance des cas de fraudes ainsi que certains éléments sensibles du
processus de lutte contre la fraude.
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risque de fraude
Les éléments de contexte associés à notre étude, en phase de
conception puis de déploiement du processus de lutte anti-fraude, sont
les suivants :
- un processus historiquement inexistant (seuls des contrôles de
cohérence entre les opérations réalisées et leurs justificatifs
étaient faits) ;
- certains cas de fraude détectés par hasard permettaient de se
rendre compte de la nécessité d’industrialiser la démarche de
gestion de la fraude ;
- l’expertise métier pour la détection des fraudes et le traitement
des cas était présente dans différents services, mais cette
activité n’était ni coordonnée ni pilotée ;
- les pertes issues des fraudes avérées justifiaient, par leur
montant, d’investir dans un dispositif structuré ;
- le cadre prudentiel « Solvabilité II », applicable aux
organismes d’assurance et mutuelles à compter du 1er janvier
20168, renforçait les exigences relatives à la mise en œuvre
d’un dispositif de contrôle des risques (Dufour, 2015).
8
Directive européenne 2009/138/CE, transposée par l’ordonnance du 2 avril
2015 et le décret du 10 mai 2015.
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de contexte (obligation réglementaire, et enjeu de maîtrise des
équilibres économiques de la mutuelle) ont alors conduit la
gouvernance de la mutuelle à valider la mise en œuvre d’un processus
de lutte anti-fraude, qui se voulait à la fois non intrusif pour les
métiers, mais avait une logique de renforcement de la capacité à
détecter la fraude aux prestations santé. Il a également été demandé de
mettre en œuvre des moyens de récupération des sommes illicitement
perçues, dans une logique de réduction des coûts des sinistres ayant
pour cause un risque opérationnel (fraude externe).
3.2. Mise au point du processus de lutte anti-fraude : fournir le
terreau favorable à l’appropriation
La question de recherche évoquée en introduction (une
organisation peut-elle structurer un processus efficace de lutte anti-
fraude et comment ?) émane d’une préoccupation pratique de la
Direction Générale : « La fraude c’est un risque subi, il y en a
toujours eu, et on voit bien qu’aucun acteur n’est réellement en
avance sur le sujet, même les assureurs ou mutuelles de taille critique
maîtrisent peu la fraude aux prestations santé » (Direction Générale).
De tels propos sont étayés par les opérationnels confrontés au sujet au
quotidien : « On ne fait que constater des pertes, il nous faudrait de
solides moyens et surtout une organisation claire pour enrayer le
phénomène au moins partiellement et partager nos cas de soupçon »
(Responsable Gestion).
Face à cette préoccupation, notre étude sur deux ans a consisté à
concevoir et mettre en œuvre un processus de gestion de la fraude.
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indépendamment du coût de la lutte anti-fraude. Une stratégie orientée
conformité a été mise en œuvre pour les cas pouvant être associés à du
blanchiment de capitaux. Enfin, pour les cas les plus coûteux une
stratégie progressive (pouvant aller jusqu’à une action civile et/ou
pénale) de recouvrement a été définie. « Avoir une vision claire de ce
que l’on voulait faire lors des ateliers de descriptions du processus de
lutte anti-fraude a permis de mieux voir comment on allait répondre à
l’enjeu selon les cas. Il nous fallait une stratégie à décliner en
pratique. » (Directeur des opérations).
Un groupe de travail a ensuite été mis en place afin de décrire le
processus de lutte anti-fraude. L’organisation préexistante se limitant
aux contrôles opérationnels, la démarche de mise en place du
processus n’impliquait pas une revue d’un processus existant, il
s’agissait d’une réorganisation par rupture consistant à mettre en
œuvre le processus cible directement. La définition du processus s’est
toutefois étalée sur une période de 4 mois, afin de capitaliser sur les
différents cas de fraude et de tenir compte des acteurs concernés. Le
processus a été conçu dans une logique partenariale et fait appel aux
différentes expertises internes sur le sujet avec des professionnels de
santé, des experts par type de prestations, des experts de
l’organisation, des experts du contrôle et des juristes.
3.3. Mise en œuvre du processus : l’appropriation comme socle
fondateur
La mise en œuvre du processus de lutte anti-fraude avait pour
véritable enjeu de comprendre la spécificité du risque de fraude aux
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qu’on hausse le ton face à la vraie fraude : la falsification, quand un
adhérent n’est jamais allé chez son opticien et qu’il constate sur ses
relevés de prestations qu’il a des dépenses de santé pour des
dispositifs jamais livrés, on doit agir vite et fort » (directeur
juridique) ; « Quand on cherche à lutter contre la fraude en santé, il
ne faut pas aller sur les cas de faibles montants, les petits abus du
quotidien, cela a toujours existé et est intégré à la fois dans les tarifs
des contrats et dans le chiffre d’affaires structurel de certains
professionnels de santé, ce point a vocation à être traité à un niveau
plus global avec la réforme nouvelle des contrats solidaires et
responsables. Pour les autres cas, les vraies fraudes qui relèvent du
pénal (les faux et usages de faux, les actes médicalement injustifiés),
nous devons travailler ensemble, en transverse pour avoir une vraie
stratégie et un vrai processus anti-fraude comme cela existe en
assurance automobile où l’on partage ce que l’on détecte »
(responsable technique actuariat).
Ces échanges préparatoires nous ont ainsi permis de prendre
conscience de l’importance de mettre en place un dispositif à la base
duquel se trouvent les experts métiers. Ils sont les mieux armés face à
la dimension technique des fraudes et sont donc les mieux à même de
pouvoir les détecter. Il fallait donc que ces experts se saisissent de la
fraude, s’en approprient les mécanismes relativement à leur domaine
d’expertise. Le processus de lutte a ainsi été décliné selon les trois
regards de l’appropriation (de Vaujany, 2006) décrits dans le tableau
ci-après.
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Actions de communications sur la prévention / dissuasion :
mise en place de formation, de guides pratiques.
Mise à jour des contrôles. Partage des résultats ; remontées
d’alertes, …
Mise à jour du référentiel de cas de fraude (optique, dentaire,
kinésithérapie, ambulanciers, infirmières libérales,
pharmaciens, fraude d’adhérent, fraude par collusion entre
professionnels de santé et adhérents.
Partage sur les cas à anticiper (cas les plus récurrents et les
plus coûteux)
Psychocognitif
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réunions avec les experts opérationnels confrontés à la fraude
consistaient à réaliser des retours d’expérience sur les cas de fraudes
avérées traités. Comme l’évoque un responsable de service prestations
tiers-payant : « avec les professionnels de santé, ce n’est pas le fait
d’être sanctionné qui compte, les condamnations sont complexes et
longues et ils préfèrent le plus souvent rembourser la somme fraudée
qu’encourir une poursuite judiciaire. Le plus important est qu’ils
sachent que nous les contrôlons et qu’il y a possibilité que leurs
tentatives de fraude soient détectées ». Les retours d’expériences ainsi
réalisées ont fait émerger plusieurs préoccupations considérées
comme les causes racines du risque de fraude externe dans la
mutuelle : la première cause est liée a fait que le fraudeur perçoive la
probabilité d’être contrôlé sur les prestations qu’il envoie en
remboursement. Comme l’évoque un responsable prestation : « quand
un professionnel de santé (opticien, pharmacien, etc.) réalise plus de
10 000 euros de facturation pour un adhérent sans pathologie et que
cela passe inaperçu, il y a fort à parier qu’il recommence ou en parle
à d’autres confrères ». Une autre cause racine identifiée concerne le
fait qu’un professionnel de santé ait ou on à rendre des comptes sur
son activité, comme l’évoque le directeur des opérations interviewé :
« Si on demande à un professionnel de santé la liste des opérations
remboursées et qu’on lui indique qu’un contrôle de cohérence est
régulièrement fait avec ce que nous avons comme justificatifs par
opération, cela dissuade et limite la possibilité d’avoir des anomalies,
des erreurs voire des fraudes ». La troisième cause identifiée dans les
retours d’expérience tient à la probabilité d’une sanction, comme
l’évoque le responsable juridique interviewé dans les ateliers de
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contrôleurs et experts opérationnels (managers et gestionnaires de
prestations santé, juriste protection sociale, etc.) et sur le constat
qu’une stratégie de lutte anti-fraude doit prendre en compte trois
critères : la responsabilité des acteurs ; leur autonomie ; et les
sanctions qu’ils encourent (approche RaAS). En effet, une réelle
appropriation du processus conduirait les acteurs à plus de
responsabilité, ils échangeraient plus, puisqu’ils seront plus conscients
des enjeux, et mieux parce qu’ils savent mieux sur quoi communiquer.
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acteurs Organisation : La formalisation de processus en
internes ou interaction entre contrôleurs, juristes, opérationnels et
externes à experts techniques (optiques, dentaires, hospitaliers,
l’organisation ambulanciers)
à rendre des
comptes Contrôles: automatisation des rapprochements entre
éléments de preuve et repérage statistiques des cas hors
loi normale + investigation détaillée ; demandes de
remontées de reporting réguliers
Pilotage: intégration d’indicateurs de suivi des fraudes
et fixation de limites de risques opérationnels (politique
de maîtrise des risques)
« Plus un professionnel de santé a d’autonomie dans la
facturation, plus il est incité à frauder, on le voit avec le
A tiers-payant, cela incite un opticien à frauder, surtout
dans un contexte où les mutuelles resserrent les
Marge de remboursements. Sans l’aide des experts des professions
manœuvre de santé, on ne pourrait pas construire de contrôles
qu’ont les adaptés sur les vraies pratiques frauduleuses »
acteurs dans la (Responsable Gestion)
pratique
(paiement de Prévention / sensibilisation : traçage des profils et
prestations) schémas récurrents ou probables ; mise en place de
points clés de suspicion (Rex et signaux faibles) ;
communication auprès des adhérents et professionnels
de santé (bulletins et magazine adhérents, site internet).
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La mise en oeuvre de ces différents moyens de maîtrise
échelonnés dans le temps conduit à vérifier que la réussite et surtout la
pérennité d’un dispositif de lutte anti-fraude reposent sur
l’appropriation du phénomène de fraude dans toutes ses dimensions.
Les fraudeurs faisant preuve d’imagination et le secteur des
complémentaire étant en constante évolution notamment du fait de
contraintes normatives (contrats solidaires et responsables, directive
Solvabilité II) cette appropriation est sans cesse en devenir et passe
nécessairement par des échanges réguliers, d’où la nécessité des
revues de processus, de partage des cas et des résultats de contrôles,
de s’assurer que l’on est bien sur le traitement des risques et non
uniquement sur un dispositif de contrôle répondant à une norme… Ce
constat est réalisé par les experts métiers eux-mêmes, comme l’évoque
le Secrétaire Général de la mutuelle : « nous avons progressé sur la
fraude externe, cela ne tient pas au fait d’avoir plus de moyens que les
autres assureurs et mutuelles, ni au levier réglementaire qui reste
faible sur ce domaine, c’est plus le fait d’avoir travaillé de concert,
entre opérationnels et fonctions supports avec une démarche
structurée traitant les trois causes de fraudes que nous avons
identifiées » et comme le confirme le directeur des opérations :
« Notre approche continuera à avoir du sens si on est dans l’échange,
dans l’interaction et on voit bien que l’approche par les risques, la
recherche des causes, par des méthodes simples et surtout de
l’organisation, nous a fait progressé. Même si nous serons toujours en
retard par rapport aux fraudeurs, ils savent qu’on s’est préparé à
différents cas ».
LA FRAUDE EST-ELLE GÉRABLE ? CAS DES ASSURANCES SANTÉ 231
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visage sous-estimé du risque opérationnel
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d’“enactment” au sens de Weick selon lequel (2001a, p. 234) « Peut-
être le plus important dans cette perspective de l’enactment est que
cela peut servir de base à une idéologie de prévention et de gestion
des crises. Par idéologie, nous entendons un “ensemble relativement
cohérent de croyances qui relient les individus entre eux et qui
expliquent leur monde en termes de relations de cause à effet” ».
L’enactment est une des propriétés de la création de sens
(sensemaking, Weick, 2001b), notion centrale chez Weick. Ces deux
concepts sont articulés de la façon suivante : l’enactment permet à
l’individu d’agir, ce qui lui permet de réfléchir à ce qu’il vient de faire
et qui l’amène à donner un sens à son environnement, à se l’approprier
encore plus profondément. L’enactment contient donc les prémisses
de la décision.
Notre étude se situe dans le prolongement de recherches récentes
en contrôle des risques notamment, car elle complète et précise le
cadre de pensée sur le risque opérationnel (Hoffman, 2002 ; Jebrin et
Abu-Salma, 2012 ; Torre-Enciso et Barros, 2013) ; ainsi que sur les
enjeux éthiques associés à la perspective gestionnaire de risque
(Cherré et Dufour, 2015 ; Meric et al., 2009). Le renforcement de la
connaissance sur la construction d’un processus de lutte anti-fraude
constitue en soi un complément à la demande d’une
opérationnalisation des démarches de contrôle des risques (Mikes,
2007). Son apport est de contribuer à formaliser des résultats sur un
secteur encore peu étudié : le secteur des assurances et plus
spécifiquement celui des complémentaires santé, pour lequel les
LA FRAUDE EST-ELLE GÉRABLE ? CAS DES ASSURANCES SANTÉ 233
études sont peu nombreuses et datent des travaux de Dixon dans les
années 1990 (Okura, 2013 ; Flynn, 2016).
Ces résultats appellent également un approfondissement de la
démarche d’appropriation. En particulier, nous souhaitons voir les
effets de la démarche RaAS sur la qualité de la lutte contre la fraude et
nous comptons mobiliser sur ce terrain une démarche d’appropriation
croisée qui vise à mobiliser les trois regards de l’appropriation de
façon croisée non sur Ego (soi-même), mais sur un partenaire
professionnel (Alter), qui, lui-même, la mobilisera de la même façon
sur Ego. Elle conduit à une meilleure connaissance de l’activité
d’Alter afin de mettre en perspective le métier d’Ego et de le
décloisonner. La démarche se décompose en deux parties, la première
conduisant à l’élaboration des Facteurs Critiques Perçus (FCP) alors
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que la seconde, itérative, met en œuvre un outil, la balance
appropriative, qui permet d’évaluer et d’améliorer la qualité de la
relation (Laffort et Cargnello-Charles, 2013). Notre recherche
envisage l’approfondissement de tels travaux en se centrant en amont,
sur les facteurs critiques associés à la fraude, dans un caractère situé,
celui d’une organisation et en intégrant le cas spécifique de la fraude
aux mutuelles santé (schéma de fraude propre aux opérations traitées).
Cette étude, encore à mi-chemin, monter l’importance de
l’appropriation en tant que grille conceptuelle renforçant la théorie
gestionnaire du risque (Meric et al., 2009 ; Mikes, 2007 ; Pathak,
2005 ; Power, 2009) et incite à approfondir l’appropriation croisée.
Elle s’inscrit également en complémentarité des travaux sur les
manières de caractériser les incitations à frauder une activité donnée
(Cressey, 1955 ; Kassem, Higson, 2012).
Conclusion
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entre organismes d’assurance santé soient renforcées et qu’il puisse y
avoir des actions efficaces de recouvrement.
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