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Managements et cultures d'entreprises

Assurer le succès des fusions et acquisitions : les


contributions d'une approche historique
Matthias Kipping
Dans Le journal de l'école de Paris du management 2010/6 (N°86), pages 14 à 20
Éditions Association des amis de l'école de Paris
ISSN 1253-2711
DOI 10.3917/jepam.086.0014
© Association des amis de l'école de Paris | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.160.247.103)

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Managements et cultures d’entreprises

Assurer le succès
des fusions et acquisitions :
les contributions d’une approche historique

Professeur, Schulich School of Business,


Matthias KIPPING Université York, Toronto, Canada
Chercheur invité, École Polytechnique

Selon les banquiers, deux tiers des fusions acquisitions sont des échecs. Quelles en sont
les causes ? La légèreté de managers visant des résultats spectaculaires plutôt que des
réformes en profondeur ? La myopie court-termiste d’actionnaires plus soucieux de
14 performances boursières que de survie des entreprises ? L’avidité de banquiers d’affaires
ou de consultants peu regardants ? Un historien des entreprises ouvre les pistes d’une
réflexion alternative face à un discours financier omniprésent.
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De l’intérêt des fusions acquisitions absorbé, dans le cadre d’une offre hostile, par Mittal
Steel, groupe dont le fondateur Lakshmi Mittal est
En quoi le sujet des fusions acquisitions (fusacs) est- d’origine indienne. On peut également citer Ratan
il si important, quoi que nous en dise la recherche N. Tata, lui aussi de nationalité indienne, patron
existante, et quel pourrait y être la contribution d’un d’un groupe très diversifié allant du conseil à l’in-
historien ? dustrie automobile, qui a racheté la société sidérur-
Pour ce qui est de l’importance des fusacs, la gique anglo-néerlandaise Corus1. Autre exemple : la
première raison est que ces opérations, impliquant CEMEX, entreprise de matériaux de construction
souvent plusieurs pays, se sont développées de façon ayant son siège au Mexique, est devenue le troisième
considérable depuis quelques années. Désormais, producteur mondial de béton à l’issue d’un processus
dans 50 % des cas les entreprises choisissent ce mode complexe de fusions acquisitions. Le brésilien Vale,
d’investissement à l’étranger, à égalité avec la création géant minier, premier producteur mondial de fer, s’est
de filiales. quant à lui hissé à ce niveau en acquérant quantité de
La seconde raison est que les pays émergents sont sociétés telles Inco, la deuxième compagnie minière
désormais devenus les acteurs les plus actifs dans ce canadienne.
domaine : n’ayant que peu d’expérience des investis- La littérature traitant des fusions acquisitions est
sements directs à l’étranger, ils privilégient la voie des extrêmement abondante et s’alimente à deux sources
fusions acquisitions pour s’implanter dans les pays
développés. Je citerai le cas d’Arcelor, groupe franco- 1. L’indien Tata Steel, opposé au brésilien CSN (Companhia
Siderùrgica Nacional) a racheté Corus pour plus de 10 milliards
luxembourgeois ayant d’abord racheté les Espagnols, d’euros. Cette fusion a donné naissance au cinquième sidérurgiste
puis les Canadiens de Dofasco avant d’être à son tour mondial.

Le Journal de l’École de Paris n°86 - Novembre / Décembre 2010


Assurer le succès des fusions et acquisitions : les contributions d’une approche historique

principales : celle des consultants qui participent aux Une obsession pour les actionnaires
Post Merger Integrations (PMI) et celles des chercheurs Le deuxième biais révèle l’obsession des chercheurs
académiques issus de multiples disciplines (sociologie, pour les actionnaires : pourquoi, dans une opération
économie et, surtout, finances). Elle révèle quelques de fusion acquisition ne regarde-t-on généralement
accords et de multiples désaccords. que les actionnaires ou, parfois, les managers ? Parce
Les accords portent sur le faible taux de réussite que la seule question que les uns et les autres se posent
des fusions acquisitions : la plupart des études mon- est : « Est-ce que ça va créer de la valeur ? » Les entre-
trent très clairement que, si on mesure le retour prises sont pourtant insérées dans un contexte local
pour les actionnaires, la shareholder value, ces opéra- impliquant clients et fournisseurs, banques, avocats ou
tions sont souvent des échecs, notamment pour les consultants, sur lesquels, à de rares exceptions près, on
actionnaires de l’entreprise acquérante. L’autre point n’étudie cependant pas l’impact d’une fusion acqui-
d’accord porte sur le fait que la phase d’intégration sition. Dans l’une des rares études portant sur ce point
après la fusion est la plus délicate, même si l’on n’est et qui a été réalisée en Écosse, les auteurs ont démontré
pas aussi unanime pour les détails. Donc, certaines que les bénéfices de l’opération s’accumulaient surtout
études montrent que les différences de cultures sont dans les entreprises rachetées, l’entreprise acquérante
causes d’échecs alors que d’autres démontrent le apportant à sa nouvelle acquisition savoir-faire et tech-
contraire… nologie dans le cadre d’un transfert actif. Mais, au
Face à ce constat, des voix s’élèvent pour dire qu’il moins dans ce contexte particulier, l’étude montrait
faut désormais développer un nouveau mode opé- que l’entreprise acquise achetait dès lors beaucoup
ratoire, intégrant mieux les diverses approches, sans moins de services localement, toutes ces opérations
toutefois en préciser davantage les modalités. D’autres naguère traitées sur place (banque, consulting, etc.)
voix se sont également élevées contre la trop grande ayant été remontées au siège.
importance accordée aux bases de données, trop sim- Une étude de sociologues et historiens danois2,
plificatrices, et pour le fait qu’il serait souhaitable également très intéressante, porte sur une multi-
d’intégrer enfin aux études davantage d’observations nationale qui s’est constituée en rachetant des sociétés
qualitatives. en Angleterre, au Danemark et aux États-Unis. Là
De l’étude de cette littérature, je retire la conviction encore, les auteurs ont observé que le centre, qui était à
qu’elle comporte trois biais. Londres, avait de meilleures relations, après le rachat,
avec son contexte local direct de la City qu’avec les
L’ignorance des fusions acquisitions filiales qu’il avait rachetées. Non seulement, le cen-
entre grands groupes et PME tre n’avait pas su correctement les intégrer mais il ne 15
En premier lieu, l’intérêt des auteurs académiques savait pas exploiter les liens que la filiale danoise, par
se concentre sur les fusions acquisitions entre grands exemple, entretenait avec son environnement local,
groupes cotés en Bourse, ce qui est assez naturel, seules qu’il ignorait.
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les sociétés cotées pouvant fournir les informations Cependant, dans une fusion acquisition, on ne
nécessaires à l’alimentation des bases de données uti- rachète pas seulement une société, mais aussi tout son
lisées par les chercheurs, les sociétés plus petites ne contexte local et il s’agit dès lors, pour favoriser le
permettant pas, de ce fait, ce type de recherche à succès de l’opération, de préserver tout le savoir-faire
l’anglo-saxonne. Cependant, la réalité est que la plu- lié à ce contexte particulier. Or, la recherche ne s’in-
part des fusions acquisitions effectuées par les grands téresse généralement pas à cette dimension locale et
groupes impliquent au moins une PME. Ainsi, Alcan ne se focalise que sur ce qui concerne le siège et les
a réalisé trois grandes acquisitions : British Aluminium, actionnaires.
Alusuisse et Pechiney, mais dans le même temps, elle a
fait l’acquisition d’une centaine de PME, opérations Une analyse à court terme
dont on sait peu de chose, journalistes et chercheurs Le troisième biais est dû au fait que la plupart des
s’y étant peu intéressés. analyses publiées dans les “bonnes” revues de gestion
J’ai participé à la création d’une base de données et de finances sont des event studies qui ne portent
sur les fusions acquisitions entre la France et le Canada que sur le court terme et ne considèrent souvent les
de 1960 à 2008. Là encore, l’essentiel des fusions variations du cours de Bourse qu’immédiatement
acquisitions étudiées implique au moins une PME. avant et après la fusion acquisition. Dans un colloque
Et si l’on regarde le type d’entreprises rachetées par les qui s’est tenu récemment à Rome, probablement deux
Français au Canada, pays où les données économiques tiers des communications sur les fusacs portaient ainsi
sont facilement accessibles, on constate que, venant en sur des event studies.
seconde place derrière les achats d’entreprises de pro- Cependant, deux ou trois articles sont récemment
duction, la plupart des fusions (plus de 18 % des 700 parus dans des revues de stratégie qui considèrent qu’il
entreprises de l’échantillon) concernent des grossistes, existe un processus d’apprentissage permettant aux entre-
ce type d’entreprise permettant à leurs acquéreurs un prises de réussir une opération de fusion acquisition.
accès facile et immédiat au marché canadien. Cela
semble tout à fait naturel mais ce point n’a cependant 2. Peer Hull Kristensen, Jonathan Zeitlin, Local players in global
fait l’objet d’aucune étude. games, (Business & Economics, 2005).

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Assurer le succès des fusions et acquisitions,

Une étude historique menée sur Unilever par Geoffrey pour 37 milliards de dollars, ce qui se révèlera une
Jones3, un professeur de la Harvard Business School, mauvaise opération puisque réalisée juste avant la crise
montre que, dès les années 1960, cette société a déve- et l’effondrement boursier.
loppé des capacités lui permettant de réaliser de bon-
nes acquisitions et de les intégrer efficacement. Mais Le cas Composites Atlantic
si vous prenez chaque acquisition comme un point
isolé, tel que c’est le cas dans les études fondées sur Composites Atlantic4 est une entreprise achetée, ce
des bases de données, une telle analyse à long terme qui est inhabituel dans des études qui s’intéressent
est impossible. généralement davantage aux acquéreurs qu’aux acquis.
C’est également une entreprise semi-publique, fondée
Le cas Alcan en 1987 à Lunenburg, en Nouvelle Écosse, dont le
gouvernement de cette province et EADS détiennent
Alcan est une société très intéressante que l’on quali- chacun 50 % du capital.
fierait aujourd’hui de born global. En effet, en 1928, Ce qui est particulier dans ce processus de fusion
contraint par les lois antitrust, le géant américain de acquisition, c’est que c’est l’entreprise elle-même qui a
l’aluminium Alcoa choisit de réunir tous ses actifs cherché à être rachetée par EADS car elle se sentait trop
internationaux dans sa filiale canadienne Alcan, qui faible et souhaitait être intégrée par un groupe ayant
devint par le fait une société indépendante bien que un meilleur accès au marché. C’est le patron français,
préservant un actionnariat en grande partie commun venu à l’industrie des composites par celle du ski chez
jusque dans les années 1950. L’unité de gestion fut éga- Rossignol et présent depuis l’origine de la société, qui
lement un temps préservée, le patron d’Alcan, auquel sera le moteur du rachat par EADS. L’entreprise, très
son fils succédera, étant le frère du patron d’Alcoa. bien insérée dans son contexte local et provincial,
Par la suite, la concurrence entre les deux entreprises bénéficie depuis son rachat des ressources apportées
deviendra néanmoins féroce. par EADS pour tout ce qui est contact clients, ce
Alcan est une entreprise qui, depuis la fin de la qui a accru ses ventes de façon considérable, et du
guerre, a racheté beaucoup de sociétés en élargissant savoir-faire technologique que possède Composites
constamment son périmètre d’activités pour passer de Aquitaine, autre filiale d’EADS. Malheureusement,
la seule production à la transformation de l’alumi- sous la pression de ses actionnaires, EADS a décidé
nium. Pour ce faire, elle a développé une méthode récemment de se séparer de Composites Atlantic sans
d’acquisition consistant à s’approcher progressivement pourtant en avoir réalisé la vente à ce jour.
16 de l’entreprise cible, en prenant d’abord des partici-
pations minoritaires, revendues en cas de partenariat Les leçons de ces deux cas
insatisfaisant ou augmentées jusqu’au rachat complet
dans le cas contraire. Ce processus se déroule géné- Nous pouvons tirer trois leçons importantes de ces
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ralement sur une période de deux à cinq années en deux cas.
fonction des cibles. La plupart d’entre elles ont été des En premier lieu, pour comprendre la dynamique
entreprises familiales, comme l’était Alcan jusque dans des fusions acquisitions il est tout aussi important de
les années 1980, dotées généralement d’une culture prendre en compte les achats que les ventes, c’est-
forte et pour lesquelles il était important que la tran- à-dire de considérer aussi bien les entreprises qui
sition se fasse en douceur. La formule typiquement ont une bonne capacité d’acquisition que celles qui
utilisée dans la communication d’Alcan en témoigne, ont une capacité de vendre des participations. Dans
qui annonce dans ces occasions que : « l’entreprise XYZ cette optique, il faut comprendre les fusions acquisi-
a rejoint la famille Alcan. » tions comme un moyen de changer, de façon constante,
Tout change dans les années 1990, lorsque l’en- le périmètre de l’entreprise.
treprise met désormais en avant la création de valeur La deuxième leçon est celle de l’importance à accor-
pour les actionnaires. Dès lors, le nouveau manage- der à une vision à long terme, à la fois respectueuse
ment d’Alcan change de tactique et rachète de grosses de la continuité de la culture de l’entreprise et garante de
entreprises, comme British Aluminium, Alusuisse ou la pérennité de dirigeants.
Pechiney, en procédant de manière beaucoup plus La troisième leçon est que l’idéologie de la création
rapide et beaucoup plus problématique. In fine, Alcan de valeur est très récente. L’exemple d’Alcan montre
deviendra victime de sa propre logique financière puis- clairement que l’entreprise avait davantage de succès
que, pour créer encore plus de valeur pour ses action-
naires, la seule option des dirigeants sera désormais de 4. Composites Atlantic Limited conçoit et fabrique des pièces et
vendre l’entreprise elle-même ! La première offre en des structures en matériaux composites pour ses clients : de grands
ce sens viendra d’Alcoa et sera rejetée par les action- noms de l’industrie aéronautique, du spatial et de la défense, parmi
lesquels Airbus, Boeing, Bombardier, Dassault, EADS, Eurocopter,
naires d’Alcan qui trouveront un chevalier blanc, Lockheed Martin, Northrop Gruman, Sogerma, etc. Elle s’est
en l’occurrence Rio Tinto, qui rachètera l’entreprise développée autour de cette activité depuis une vingtaine d’années,
acquérant une vaste expertise sur tout un ensemble de procédés
de fabrication comme l’injection thermoplastique, l’enroulement
3. Geoffrey Jones, Renewing Unilever. Transformation and Tradition, filaire, le drapage, le moulage, le formage sous vide, etc. (source :
(Oxford University Press, 2005). Christine Schaer, Aujourd’hui.com).

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les contributions d’une approche historique

dans ses fusions acquisitions quand elle ne se pré- bases de données. Ils peuvent également mettre en lu-
occupait pas uniquement de créer de la valeur pour mière le rôle que jouent les entreprises rachetées en
ses actionnaires et qu’elle prenait d’autres indices en ne se limitant pas à considérer les seules entreprises
considération. Le fait qu’en voulant créer de la valeur, acquéreuses.
on n’en crée généralement pas est souvent présenté Les historiens sont également habitués à considérer
comme un paradoxe. Pour moi, ça ne l’est pas car, les évènements en fonction d’un contexte aussi bien
en réalisant de grosses fusions acquisitions dans ce local que global. Ils sont ainsi en mesure de mieux
seul but, on ne prend pas le temps d’apprendre à apprécier l’évolution des entreprises en fonction de
bien gérer ce processus, ce qui in fine engendre des leur environnement.
difficultés. Les historiens travaillent sur le long terme, ce qui
leur permet de voir comment les entreprises, sur des
Que peuvent apporter les historiens ? périodes de plusieurs décennies, peuvent apprendre
– ou non – à gérer les fusions acquisitions.
L’histoire peut aider à comprendre le rôle des petites Enfin, les méthodes mises en œuvre par les histo-
et moyennes entreprises dans ces fusions acquisi- riens sont également très pertinentes pour comprendre
tions, les historiens étant très capables d’analyser ce le rôle de tous les stakeholders et pour identifier les
genre de processus sans avoir recours à l’artifice des moteurs du changement.

débat des études chiffrées souvent partielles, Pourquoi tant d’échecs ?


alors pourquoi ne pas demander à un
historien de passer quelque temps Int. : Il me semble très difficile d’éva-
L’historien face dans les archives de l’entreprise cible luer les fusions acquisitions même sur
aux fusions acquisitions (s’il ne s’agit pas, bien sûr, d’une opé- le long terme. J’ai vécu toute l’histoire
ration hostile) ou en entretiens avec des fusions acquisitions dans le secteur
Un intervenant : Dans quelle perspec- les anciens de la maison afin de mieux du poids lourd français, étant entré à la
tive vous situez-vous en tant qu’historien : évaluer la cible ? Saviem avant qu’elle n’acquière Berliet, 17
est-ce dans une perspective académique puis ayant suivi l’histoire de RVI d’assez
afin de contribuer à une meilleure compré- Int. : Comment mesurer l’échec ou la près avant de quitter le groupe Renault
hension des mécanismes en jeu dans réussite d’une fusion acquisition puis- après la vente de RVI à Volvo. Comment
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les fusions acquisitions ? Ou l’approche que, par construction, il est impossible évaluez-vous cette situation, sachant
historique peut-elle contribuer à amélio- de savoir ce qui se serait passé si cette qu’après la fusion Saviem Berliet, les
rer un processus déjà engagé ? opération n’avait pas eu lieu ? parts de marché sont longtemps restées
en dessous de ce qu’elles étaient quand
Matthias Kipping : Je suis un cher- M. K. : Tout cela est effectivement très ces constructeurs étaient séparés alors que
cheur et mon but premier n’est pas difficile à estimer parce que la fusion la fusion RVI Renault Trucks avec Volvo
celui d’un consultant mais celui d’un détruit le cadre de référence initial et est un succès ?
enseignant chargé d’ouvrir les yeux qu’il n’est alors plus possible de mesu-
des étudiants sur ce type de question. rer un quelconque écart. Il n’existe pas M. K. : Ce qui m’intéresse, ce n’est pas
Je ne souhaite pas que l’histoire sup- d’univers parallèle dans lequel l’entre- tant l’évaluation d’une performance
plante les autres disciplines mais je prise continuerait à exister sans que que l’analyse comparative des deux
pense que l’approche des historiens la fusion ait eu lieu ! Toute comparai- processus convergeant vers la fusion.
peut aider à la compréhension de cer- son est donc impossible mais, comme J’essaierai plutôt de comprendre ce
taines choses parce que la valeur d’une historien, je peux continuer à étudier qui, dans le passé et dans les cultu-
acquisition ne réside pas seulement dans leur durée des processus dont j’ai res des deux entreprises, a été déter-
dans l’entreprise, mais aussi dans sa l’avantage de connaître le déroulement minant dans la dynamique engagée.
capacité à mobiliser son contexte et à et les étapes clés. Ce que l’on constate souvent dans les
tirer parti des ressources de son envi- fusions actuelles, c’est la persistance,
ronnement local. En cela, l’approche Int. : Un rôle également intéressant longtemps après la fusion, des cultu-
de l’historien peut aider en éclairant pour l’historien serait d’expliquer pour- res propres à chaque entreprise quand
les moments forts de l’histoire de quoi des idées qui ont autant de succès bien même elles n’ont plus d’existence
l’entreprise cible, le rôle des dirigeants dans les esprits (car il y a le cas des autonome officielle. Les gens s’identi-
clés, les valeurs et la culture internes fusions acquisitions, mais il y a aussi fient comme venant de telle ou telle
qui sont les résultantes de cette his- celui de la mutualisation des ressources composante. Il est alors intéressant de
toire. On paie très cher des auditeurs et de bien d’autres modes) échouent aussi voir ce qui n’a pas bien marché dans
ou des banques d’affaires pour réaliser fréquemment ! ce processus et pourquoi subsistent

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Assurer le succès des fusions et acquisitions,

débat plus sûre ? Il y a également les directions Nous avons à notre disposition
d’entreprises qui, effectivement, pren- tous les outils statistiques nécessaires
nent très au sérieux et étudient à fond pour constater la réussite ou l’échec
encore des distinctions culturelles ces opérations de fusions acquisitions, de telles opérations, les event studies
aussi fortes. vu leur importance vitale : comment se existent pour cela. Mais pour les
fait-il que, face à de tels enjeux, il y ait comprendre, le problème est que l’on
Int. : Pour un chercheur, s’il n’est pas une telle déperdition et que l’on ait tant ne fait pas assez appel à des études
possible de mesurer les performances, de mal à se doter d’outils efficaces ? Le qualitatives, parce que les problèmes
il est toujours loisible, en revanche, de marketing d’une telle opération n’est cer- des mergers sont des problèmes soft,
documenter les erreurs d’appréciation tes pas simple : déterminer la réponse du des problèmes de personnels ! Ce ne
des performances. En effet pour chaque marché face à un nouveau produit est sont pas des problèmes de chiffres ! On
projet de fusion, il existe un dossier qui délicat. Mais au bout d’une quarantaine ne prend pas assez en compte le profil
prédit ce que seront les bénéfices attendus d’années d’existence, le marketing s’est des dirigeants, on ne réalise pas assez
et on peut assez facilement démontrer, doté d’outils qui lui permettent de façon d’études historiques des sociétés, et on
en documentant le processus, que ces assez satisfaisante de résoudre ce type de ne le fait pas parce que, tout particuliè-
prédictions sont fausses. Vous avez sou- problèmes. Or ce n’est pas le cas en ce qui rement dans les fusions acquisitions,
ligné, dans vos exemples, que l’acheteur concerne les fusions acquisitions. la culture dominante est une culture
apporte souvent quelque chose à l’acheté de chiffres. Il ne faut certes pas aban-
mais cela fait partie de la rhétorique de M. K. : La plupart des opérations sont donner les approches quantitatives mais
l’acquisition de jouer sur les synergies des petits rachats qui ne demandent il est indispensable de les compléter
attendues. Comme, en général, l’ache- pas de financements externes. Quand par une approche qualitative qui puisse
teur va être amené à payer un surcoût, il Alcan rachète une PME, c’est étalé sur nous apporter une autre vision.
lui faut justifier cette dépense auprès de plusieurs années et il n’a pas besoin
ses actionnaires en disant que son apport de faire appel à une banque. Pour les D’où vient la décision ?
en technologie et en parts de marché va grandes opérations, qu’elles échouent
augmenter la valeur de l’entreprise ache- ou pas ne change rien pour la banque Int. : A posteriori, on sait qu’une fusion
tée. Cela s’avère très souvent largement qui a déjà reçu son argent. De plus, a réussi, parfois de façon inattendue,
inexact et l’historien peut en témoigner. la banque reçoit deux fois cet argent mais comment savoir si une fusion sera
Est-ce que quelqu’un a essayé de mesurer parce qu’en cas d’échec, elle revendra un succès ou pas ? Pour moi, le facteur
18 les bénéfices à court terme pour les inter- une seconde fois l’entreprise ! Quand clé d’une réussite est le sentiment que
médiaires qui développent cette rhétori- Daimler a racheté Chrysler, une ban- les managers de l’entreprise acquise ont
que et gagnent ainsi à tous les coups ? que a gagné de l’argent, et quand que l’opération sera bénéfique pour elle
Daimler a revendu Chrysler, une autre et pas seulement pour les actionnaires
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M. K. : Aujourd’hui, si l’on parle de banque a encore gagné de l’argent. concernés. Or, nous sommes en général
synergies, on parle souvent de réduc- Ce sont donc des sommes énormes tous prisonniers d’une métastratégie
tions d’effectifs. Ce que j’ai constaté, qui sont drainées par les consultants et consistant à créer des acteurs grandioses,
dans les deux cas que j’ai étudiés, c’est les banques d’affaires, qui se montent mais comme il y a de moins en moins de
qu’Alcan a beaucoup apporté aux en général à plus de 2 % du montant cibles, le principal problème est désor-
entreprises qu’elle a absorbées, surtout de la transaction, mais qui sont très mais le Post Merger Integration.
en termes de débouchés mais aussi peu étudiées.
en restructurant des secteurs comme Selon l’étude d’un chercheur sué- M. K. : Dans le cas de Composites
celui des grossistes en Angleterre. dois, lorsque le gouvernement sué- Atlantic, le gouvernement provincial,
EADS a également beaucoup apporté dois a dérégulé le secteur bancaire, son second actionnaire, a accepté de
à Composites Atlantic et c’est ce à McKinsey a fait des études pour plu- continuer à investir dans cette entre-
quoi aspirait cette entreprise. On parle sieurs banques et, quand la plupart prise car il considérait que c’était une
souvent dans les études sur le déve- d’entre elles ont fait faillite, le gouver- bonne chose qu’EADS lui apporte des
loppement de la capacité absorptive nement suédois a mandaté McKinsey connaissances et de nouveaux mar-
d’une entreprise : tout dépend aussi pour remettre de l’ordre. Ils ont donc chés. L’intérêt de l’entreprise, dans ce
de la capacité de l’entreprise rachetée conduit le secteur à la faillite avant cas, a été effectivement déterminant
à intégrer le savoir-faire qui lui est d’être à nouveau payés pour nettoyer pour le succès de la fusion. À l’in-
apporté par l’autre entreprise. le carnage qu’ils ont contribué à pro- verse, à Montréal, on espère que Rio
voquer5. Comme dans la crise actuelle, Tinto va bientôt vendre Alcan et que
Int. : Les financiers, tout en concourant il faut bien regarder les incentives… le CEO va changer. Mais le problème
beaucoup à ce mouvement, se plaignent est désormais que le prochain acqué-
du fait que trop d’opérations échouent, reur pourrait bien être chinois, ce qui
le taux des affaires qui ratent étant 5. Lars Engwall, “Bridge, Poker and soulève d’autres inquiétudes.
impressionnant. Comment se fait-il Banking”, in Donald E. Fair et Robert
J. Raymond (dir.), The Competitiveness
qu’ils ne se dotent alors pas d’outils qui of Financial Institutions and Centres in Int. : Les deux tiers des fusions acqui-
leur permettraient de jouer de façon Europe, (Kluwer, 1994). sitions sont des catastrophes pour les

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les contributions d’une approche historique

débat coup ! Troisième hypothèse : beaucoup les entreprises familiales parce que pour
d’acteurs, consultants ou dirigeant ont l’économiste, l’avenir, c’est l’actuali-
des intérêts liés aux banques d’affaires sation, c’est-à-dire que tout ce qui se
entreprises concernées. Le fait que des et tous, selon les époques, s’obsèdent sur passe dans n années vaut aujourd’hui
gens aussi intelligents fassent autant la taille ou la puissance, craignant que 1/(1+n)n, c’est-à-dire 0 quand n est
de bêtises est pour moi une source de dans un monde globalisé, la fusion soit la grand ! En économie, on n’attache donc
perplexité infinie ! Un projet de fusion est seule alternative à la mort. Cela a été le guère d’importance à ce qui se passera
toujours présenté sous un jour favorable : cas pour la fusion Total Elf dont il n’était à terme. Dans les entreprises familiales,
les analystes financiers y sont favorables, pourtant pas assuré qu’elle fût rentable. c’est le contraire : l’important chez les
les consultants sont ravis, les banquiers Peugeot, ce sont les enfants qui gam-
en attendent des bénéfices substantiels, M. K. : On constate que ce sont badent dans le salon : « Tu seras chef,
tout le monde est pour, c’est le monde souvent de nouveaux patrons qui se mon fils, mais dans longtemps, quand
du rêve. Mais, au bout d’un moment, lancent dans une fusion acquisition tu seras grand… » Ce sont deux appro-
on replonge dans la contingence et deux pour avoir un impact rapide : comme ches incompatibles.
réalités plombent le résultat de la fusion. les gouvernements, ils ont cent jours
La première touche l’informatique : les pour faire quelque chose. Une réforme Int. : La contribution de l’historien est
systèmes sont souvent incompatibles demande cinq ans pour obtenir des alors de savoir d’où vient la décision :
et plus personne ne s’y retrouve. Or, ce résultats, une fusion à des effets est-elle prise en interne par un comité
genre de menus détails n’est jamais pris immédiatement pris en compte par de direction qui recherche telle ou telle
en compte par les grands chefs alors qu’il les Bourses ! Et, de surcroît, elle est nouvelle technologie, ou en externe, par
peut tuer l’opération. plus facile à mettre en œuvre. la pression de banquiers qui estiment
En second lieu, il y a un cadre de Quant à la règle des deux tiers, elle que si l’on ne fait pas tant de chiffre
trop à chaque niveau et il faut redistri- me paraît également erronée car elle ne d’affaires, si l’on n’est pas dans les deux
buer les pouvoirs. Cela donne alors lieu prend pas en compte les PME. Alcan a premiers régionaux ou mondiaux, on n’a
à d’interminables négociations entre des fait énormément de rachats de PME plus sa place sur le marché. Cela amène
ego menacés. Et, pendant que l’on s’oc- et 90 % d’entre eux ont été des suc- des fusions acquisitions totalement
cupe de tout cela, on ne s’occupe pas des cès. Or, ils ne sont pas pris en compte différentes.
clients ! Informatique + clients perdus, dans les statistiques parce qu’ils n’ont
voilà une des explications aux difficultés pas utilisé les services d’un consultant M. K. : Dans le cas d’Alcan, la déci-
mais à laquelle on ne pense pas parce ou d’une banque d’affaires. Ils ne se sion a été très décentralisée. Ce sont 19
qu’il n’y a pas de place pour des choses retrouvent donc pas dans une base de les filiales nationales, qui connaissent
aussi mineures dans les grandes stratégies données ce qui ne veut pas dire pour le mieux le contexte, et non le siège,
managériales. autant que ça n’a pas marché ! Pour qui décident du rachat ou non d’une
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le reste, quand ils ont su attendre le entreprise locale.
M. K. : Il faudrait aussi s’attacher à bon moment, ça a marché : les diri-
analyser les 30 % de réussites pour geants d’Alcan ont attendu quinze ans Fusion ou synergies ?
comprendre comment elles sont par- pour racheter British Aluminium au
venues à surmonter ces difficultés. moment optimal. Aujourd’hui, plus Int. : Si l’on fait l’histoire d’une fusion
aucun PDG n’est disposé à attendre acquisition, le risque est que l’on perde
Int. : Il existait naguère un large consen- quinze ans pour racheter un concur- de vue une partie des flux. Lorsqu’une
sus sur le fait que les fusions acquisitions rent ! La pression des marchés finan- entreprise change de main, il y a de gros-
ratent deux fois sur trois. On savait ciers est bien trop forte ! ses quantités d’argent qui circulent et qui
aussi que, quand une fusion rate, c’est s’en vont hors de l’entreprise. On pourrait
l’entreprise acquéreuse qui souffre le Int. : Il est important avant toute chose dire qu’une fusion acquisition est une
plus. D’ailleurs, quand une entreprise que les dirigeants se connaissent bien, se réussite quand le vendeur a vendu très
annonce une acquisition, son cours en fassent confiance, les financiers n’inter- cher et il est très difficile de déterminer
Bourse baisse. Les historiens nous éclai- venant qu’en second lieu. Il est également qui en sont les réels bénéficiaires parce
rerons à l’avenir sur cette énigme, mais essentiel que les actionnaires s’intéressent qu’une telle opération est souvent l’occa-
l’on peut d’ores et déjà émettre quelques plus au long terme et au qualitatif plu- sion idéale pour évaporer une partie de
hypothèses. D’abord, l’insondable légèreté tôt qu’au quantitatif. l’argent de l’entreprise sous forme de plus-
des managers qui mènent des fusions values pour ses actionnaires, au risque
contraires à leur intérêt. Deuxième M. K. : Il faut également être prêt à de sacrifier les salariés. Sur une longue
hypothèse : il n’y a pas deux tiers d’échecs, reconnaître un échec et à revendre, période, les plus-values peuvent être supé-
en dépit du consensus apparent. En y le cas échéant. rieures aux bénéfices réels et c’est sur ce
regardant de plus près, ces statistiques point que jouent les sociétés de private
sont souvent utilisées par les consultants Int. : Le mot patience est apparu à equity. Est-ce que cela a été étudié ?
dans le cadre d’une rhétorique visant à plusieurs reprises dans ce débat. Mais
promouvoir leur méthode personnelle, en économie, on ne voit jamais loin, M. K. : Je ne connais pas de travaux
évidemment garante d’une réussite à tout à la différence de ce qui se passe dans portant sur cet aspect des fusions

Le Journal de l’École de Paris n°86 - Novembre / Décembre 2010


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Assurer le succès des fusions et acquisitions, les contributions d’une approche historique

débat prises et pour leurs actionnaires. Il y a de l’autre, avec ses propres équipes sur
donc d’autres formes de rapprochement des territoires différents. Mais cette
que les fusions acquisitions et qui peu- société a quadruplé son chiffre d’affaires,
acquisitions. Mon approche porte vent parfois être plus efficaces. C’est bénéficie d’une trésorerie qui dépasse les
plutôt sur l’incapacité à mobiliser également le cas de l’alliance Air France capitaux propres et réalise des résultats
toutes les ressources que porte en elle – KLM. La coopération stratégique que pléthoriques.
une fusion acquisition. Je crois que Renault Nissan développe aujourd’hui
c’est là la plus grande perte : ne pas avec Daimler, qui a tiré les leçons de Le public
voir la vraie valeur de l’entreprise qui l’échec de sa fusion avec Chrysler, vise à la mode du privé ?
n’est considérée que sous l’angle de la à terme à une alliance élargie sur ce
création de valeur pour l’actionnaire modèle. Il serait donc intéressant d’étu- Int. : Avez-vous connaissance de tra-
et non sous celui de la valorisation dier les scénarii alternatifs aux fusions vaux sur les fusions d’entités publiques,
de son contexte et des synergies et acquisitions. comme la création de Pôle Emploi par la
compétences qu’elle réunit. fusion de l’ANPE et des ASSEDIC ? Ces
M. K. : Quand on parle fusions acqui- fusions sont désormais toujours présentées
Int. : Les synergies relèvent d’une inti- sitions, on recouvre effectivement sous comme des évidences, alors qu’appliquer
mité sociotechnique. Renault et Nissan, ce terme une grande variété de proces- au secteur public des solutions issues du
en cinq ans d’une collaboration qui sus complexes. monde des entreprises peut s’avérer par-
paraissait sur ce point vouée au succès, faitement calamiteux.
n’ont jamais réussi à créer une four- Int. : Deux fusions acquisitions sont
gonnette en commun. Les deux équipes des réussites remarquables : AXA/UAP M. K. : C’est un phénomène récent
étaient chacune parfaitement compétente et BNP/Paribas. Dans les deux cas, les sur lequel les historiens n’ont, à ma
mais les fourgons français, japonais et entreprises absorbantes ont déployé une connaissance, pas encore travaillé. Il
américains sont des objets complète- énergie et un travail considérables pour existe des études sur les fusions des
ment différents. Et Carlos Ghosn, qui connaître les entreprises absorbées. Et banques ou des télécoms dans les pays
connaissait bien les deux entreprises, elles n’ont surtout pas touché à ce que nordiques. Dans ce dernier cas, cela
savait pertinemment que ç’aurait été les entreprises absorbées réalisaient n’a pas été un succès car les gouver-
un miracle si nous y étions parvenus. mieux qu’elles, alors qu’elles en ont nements ne se sont pas accordés entre
Les entreprises fusionnent parce qu’elles annihilé les secteurs moins performants. eux. Il y a également en préparation
20 s’imaginent que les synergies sont quel- Le succès dans le cas des fusions acquisi- en Finlande une vaste fusion de trois
que chose de simple ! tions est violent alors que les négociations grandes universités et une recher-
Chez Renault Nissan, nous avons doucereuses ne marchent jamais. che participative est en cours sur ce
donc choisi de ne pas fusionner. Nous sujet. Mais cette fusion apparaît déjà
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sommes deux entreprises indépendantes Int. : J’ai l’expérience d’une PME comme un échec, malgré les sommes
avec chacune ses propres organes de d’agroéquipements créée il y a plus de importantes allouées par le gouverne-
direction et le partenariat est fondé quarante ans par le rapprochement à ment, du fait des identités très fortes
sur le respect mutuel, la confiance et la 50/50 des entreprises de deux partenai- impliquées dans le projet.
transparence. Bien sûr, ce sont des mots, res complémentaires. Plusieurs années
mais ils ont une énorme importance. Si après, alors que leurs fils leur ont succédé,
vous regardez ce qui s’est passé depuis on constate que les deux sociétés ini-
1999, date de cette alliance, nous avons tiales n’ont jamais réellement fusionné :
créé de la valeur pour les deux entre- chaque entité travaille indépendamment Pascal Lefebvre

Le Journal de l’École de Paris n°86 - Novembre / Décembre 2010

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