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Proposition d'un modèle d'externalisation des activités

achats
Florence Guiennet, Thierry Sauvage
Dans Management & Avenir 2009/4 (n° 24), pages 103 à 122
Éditions Management Prospective Editions
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.024.0103
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Proposition d’un modèle d’externalisation
des activités achats

par Florence Guiennet et Thierry Sauvage

Résumé
L’externalisation constitue un phénomène très en vogue depuis le début des
années 2000, touchant un nombre croissant de fonctions, y compris celles
proches du cœur de métier de l’entreprise. Pourtant, l’externalisation n’est
pas toujours la panacée et les échecs sont légion. Cet article vise en premier
lieu à éclairer les risques et les facteurs clé de succès d’une démarche
d’externalisation. En second lieu, cet article examine le cas particulier de
l’externalisation des achats à travers 6 études de cas et débouche sur un
modèle exploratoire.

Abstract
Outsourcing has become a widespread practice since the beginning of the
21st Century. It is an observable phenomenon that touches an increasing
number of functions, including those of the firms’ know-how. However,
outsourcing is not always considered as a panacea and one can observe
numerous failures. The first objective of this article is to highlight the risks
and the key factors of success of an outsourcing initiative. Then, particular
cases of “Supply/ Purchasing Outsourcing” are examined through 6 case
studies, leading eventually to an exploratory model.
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La concurrence internationale, l’innovation continue et la pression accrue sur les
coûts obligent les entreprises à rechercher de nouveaux moyens pour accroître
leur rentabilité et leur compétitivité. Cette contrainte forte a généré une tendance
grandissante aux Etats-Unis, puis en Europe, à utiliser l’externalisation comme un
levier stratégique permettant non seulement de réduire les coûts mais également
de créer de la valeur en recentrant les ressources de l’entreprise sur les activités
cœur de métier. Si l’externalisation d’activités ancillaires (restauration, nettoyage,
sécurité,…) est devenue un classique, celle relative aux fonctions telles que
l’informatique, les télécommunications, la finance, la logistique et les achats, est
plus récente et se développe.

Utilisée autrefois comme un simple moyen de réduire les coûts, avec par
conséquent une vision économique et court-termiste, l’externalisation est
devenue aujourd’hui un véritable outil de management à la disposition des
dirigeants. Correctement utilisée, elle peut engendrer une transformation radicale

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des processus d’une entreprise, de ses coûts, voire même de sa culture. En


contrepartie, cet outil, s’il ne s’inscrit pas dans une véritable réflexion stratégique,
s’il n’est pas mis en œuvre de façon planifiée et cohérente, s’il ne fait pas l’objet
d’une communication claire et intelligente et surtout s’il n’obtient pas le soutien de
la direction, peut avoir des effets dommageables.

A travers une revue de la littérature, nous proposons dans la première partie


de présenter les caractéristiques et les risques de l’externalisation (1.). Dans
la seconde partie, nous approfondissons un terrain particulier : l’externalisation
des activités d’Achats. Nous examinons les différentes formes d’externalisation,
de la simple délégation d’achats non stratégiques et/ou d’activités du processus
achats à faible valeur ajoutée, externalisation à caractère tactique et opérationnel,
à l’externalisation totale de la fonction achats, externalisation à caractère plus
stratégique (2.). Une troisième partie présente les résultats d’une étude qualitative
réalisée à partir de 6 études de cas. L’ensemble des observations nous amène à
proposer les bases d’un modèle exploratoire d’externalisation des Achats (3.).

1. L’externalisation : définitions et risques

1.1. Définitions
Nombreuses sont les définitions du terme externalisation. Le terme anglais
outsourcing est le plus récent. Il aurait été utilisé pour la première fois à la fin des
années 80 par la presse informatique américaine, afin de décrire une nouvelle
tendance des grandes entreprises à transférer leurs services informatiques à
des prestataires extérieurs. Il s’accommode d’ailleurs de traductions françaises
différentes en fonction du contexte : externalisation, délocalisation, sous-
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traitance…

L’externalisation peut désigner un simple transfert d’activités secondaires


initialement réalisées en interne vers une entreprise extérieure, la fabrication
de composants entrant dans un processus de production en un autre lieu,
notamment dans un autre pays (Deardorff’s Glossary of International Economics),
l’approvisionnement de services ou de produits auprès de fournisseurs externes
dans le but de réduire les coûts (The American Heritage Dictionary of the English
Language).

Le terme d’impartition est également parfois employé. Il s’agit d’un néologisme


créé par P.Y. Barreyre (1988) dans les années 70 pour qualifier de la façon
la plus large l’appel à la collaboration client-fournisseur. Cet auteur a montré
l’importance des relations de partenariat et de confiance tissées sur le long terme
par opposition à la maximisation des intérêts individuels à court terme.

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Proposition d’un modèle d’externalisation
des activités achats

Greaver (1999) donne une définition plus précise : l’externalisation est l’acte
par lequel on transfert des activités internes récurrentes d’une entreprise et les
pouvoirs décisionnels qui y sont associés à un prestataire extérieur dans les
conditions définies par le contrat. Dans la pratique sont bien souvent transférées
non seulement les activités, mais également les facteurs de production, à savoir
les ressources contribuant à la réalisation de l’activité récurrente : personnel,
installations, équipement, technologie…et les droits décisionnels, c’est-à-dire
la responsabilité de prendre des décisions relatives à certains éléments des
activités transférées. Cette définition laisse percevoir la complexité du phénomène
et les risques inhérents à un éventuel transfert de personnel et des pouvoirs
de décision, mais elle ne dit mot de l’objectif poursuivi par les entreprises qui
recourent à l’externalisation. Bravard et Morgan (2007) complètent la définition
par les caractéristiques suivantes :
- L’utilisation et l’exploitation des ressources, actifs et compétences
d’un tiers
- L’exigence de niveaux garantis de qualité et de souplesse, et des
critères de mesure du ratio valeur/coût ;
- L’objectif d’obtenir des services jusqu’alors fournis en interne ;
- En transférant éventuellement du personnel existant chez le
prestataire ;
- et /ou en transformant ou rajeunissant les processus et la technologie
qui sous-tendent l’activité.

L’externalisation fait émerger une notion importante : le cœur de métier. Alors


que l’externalisation de fonctions hors cœur de métier (frais généraux, paie,
comptabilité…) est couramment pratiquée depuis de nombreuses années,
celle d’activités de la chaîne de valeur (logistique, achats, informatique et
télécoms…), proches du cœur de métier, est un phénomène plus récent et en
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nette progression.

Les entreprises peuvent décider de transférer à des prestataires hautement


spécialisés des compétences cœur de métier, présentes en leur sein mais
insuffisamment développées, ou non existantes mais perçues comme
indispensables pour obtenir un avantage concurrentiel pérenne (Quélin, 2003).
L’externalisation de ce type de compétences peut sembler paradoxale, mais elle
permet d’acquérir rapidement des compétences clé réduisant ainsi la courbe
d’apprentissage qui aurait été nécessaire à leur développement en interne.

1.2. Les différentes formes d’externalisation


Deux types d’externalisation semblent se distinguer : l’externalisation simple
d’activités secondaires dans une optique de réduction des coûts et l’externalisation
stratégique, opération de plus grande envergure qui peut avoir pour impact de
transformer radicalement la structure organisationnelle d’une entreprise.

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L’externalisation d’activités non stratégiques concerne soit :


- L’externalisation traditionnelle qui consiste à confier à un prestataire
de façon répétée des activités peu sensibles et éloignées du cœur de
métier de l’entreprise, mais qui n’étaient pas effectuées en interne ;
- L’externalisation traditionnelle avec transfert de ressources qui
consiste à confier une activité peu sensible mais jusque là réalisée
en interne à un prestataire extérieur. Ces opérations d’externalisation
s’accompagnent très souvent d’un transfert d’actifs humains et matériels
vers le prestataire.

L’externalisation d’activités stratégiques peut porter soit sur :


- L’externalisation stratégique avec transfert de ressources qui consiste
à confier à un prestataire une activité proche du cœur de métier jusque
là réalisée en interne. De telles opérations sont très sensibles : bien
menées elles permettent de renforcer l’avantage concurrentiel d’une
entreprise, mais en cas d’échec, elles peuvent la paralyser ;
- L’externalisation stratégique qui consiste à confier de façon répétée
une activité sensible à un prestataire qui n’était pas réalisée en interne.
Ce type d’externalisation est assez rare.

Ces différentes formes d’externalisation présentent de nombreuses différences


en termes d’objectifs, de risques inhérents et d’impacts sur les résultats
(Barthelemy, 2006). L’externalisation non-stratégique se focalise principalement
sur l’amélioration du triptyque (qualité, coût, délai) et est généralement adoptée
dans le cadre d’une stratégie d’optimisation et de réduction des coûts. Le risque
d’échec est limité et la réversibilité possible, l’externalisation n’ayant pas entraîné
de transformations radicales. L’externalisation stratégique relève du niveau le plus
élevé de la hiérarchie et s’inscrit dans une stratégie globale avec des objectifs
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variés pouvant aller de l’amélioration de la performance à la maximisation de la
valeur des actifs (Quélin, 2007). Dans ce cas le potentiel de création de valeur
est élevé, les résultats facilement mesurables puisque le prestataire va s’engager
sur des niveaux de prestations et d’économies à réaliser. Les risques associés
à cette initiative sont élevés, la réversibilité en cas d’échec reste possible mais
coûteuse et souvent douloureuse, surtout si elle nécessite une ré-internalisation
de salariés qui ont été transférés vers le prestataire (Rosetti et Choi, 2005).

L’externalisation peut intervenir à différents niveaux de la chaîne de valeur.


Elle peut s’appliquer selon Greaver (1999) à des activités individuelles, à des
fonctions et à des processus. L’externalisation d’activités individuelles implique
de faire réaliser à l’extérieur par des prestataires spécialisés certaines tâches,
soit parce qu’elles ne peuvent plus être effectuées en interne de manière efficace
ou parce qu’en raison de leur caractère non stratégique et chronophage, elles
sont susceptibles de dégrader les performances d’une fonction. Au niveau du
service achats, il peut être décidé de déléguer certaines activités telles que le

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Proposition d’un modèle d’externalisation
des activités achats

traitement des commandes afin de réduire les coûts administratifs et dégager


du temps aux acheteurs afin qu’ils s’investissent dans des activités à plus forte
valeur ajoutée.

A un niveau fonctionnel, la réalisation d’un audit par un cabinet extérieur


peut démontrer la nécessité d’externaliser une fonction achats qui n’est pas
performante, les compétences obsolètes des acheteurs en place ne permettant
pas d’atteindre les objectifs stratégiques en termes d’économies à réaliser et de
valeur à créer pour l’actionnaire.

La direction peut enfin décider que les faiblesses de l’entreprise ne se situent


pas uniquement au niveau d’une fonction, mais à un niveau plus large et que
l’externalisation d’un processus permettrait d’accroître l’efficacité d’un ensemble
de fonctions sous-optimisées.

1.3. Les risques de l’externalisation


L’externalisation présente trois grandes familles de risques :
- Les risques stratégiques qui menacent l’entreprise en l’orientant dans
une direction susceptible de menacer sa pérennité ;
- Les risques opérationnels qui englobent des problèmes de
gouvernance, de niveau de service, de personnel ;
- Les risques financiers relatifs aux surcoûts générés dans le cadre de
l’externalisation, aux engagements non atteints en termes d’économies,
à la défaillance possible du prestataire.

Alors qu’il est facile de s’assurer contre certains risques, beaucoup vont nécessiter
la mise en place de mesures spécifiques afin d’en limiter l’impact et les gérer au
mieux.
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1.3.1. Les risques stratégiques
Les risques stratégiques font référence à des conséquences durables et de long
terme, notamment liées à l’affaiblissement ou à la perte des compétences cœur
de métier. Parmi les risques stratégiques majeurs, citons :
- La perte de contrôle et de savoir-faire détenu en interne : les personnes qui
assuraient en interne les opérations aujourd’hui externalisées vont petit à petit,
faute de pratique, perdre la compétence nécessaire à l’accomplissement de
ces tâches. Le contrôle sur l’activité externalisée est également susceptible de
disparaître avec le départ des personnes détenant la connaissance métier. Le
risque est d’autant plus accentué que le domaine concerné est soumis à des
évolutions technologiques. Dans ce cas, l’entreprise externalisatrice se retrouve
en dépendance totale vis-à-vis des ressources externes… à moins de continuer
à réaliser une partie de l’activité en interne ;
- La perte des valeurs véhiculées par le personnel de l’entreprise : un exemple
concret concerne le cas de la chaîne hôtelière française NOVOTEL qui avait

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24

décidé d’externaliser ses opérations de ménage à une entreprise extérieure


afin de réduire ses coûts et qui a finalement ré-internalisé pour des raisons de
dégradation du niveau de service, les salariés du prestataire se concentrant
uniquement sur les activités de ménage sans prendre le temps d’être attentifs à
la clientèle. Ce personnel était ignorant des valeurs que souhaitait véhiculer le
groupe et n’adoptait pas un comportement conforme (Barthelemy, 2006) ;
- L’absence d’évolutivité : l’externalisation est globalement satisfaisante, mais
le prestataire ne fait preuve d’aucune proactivité. La prestation peut se révéler
totalement figée. Le prestataire ne sait pas gérer les évolutions, même si le client
est prêt à les lui payer.
1.3.2. Les risques financiers
Il est généralement admis dans la profession qu’un projet d’externalisation
peut générer des économies substantielles principalement obtenues grâce
à des niveaux de salaires moindres, aux économies d’échelle et à l’expertise
du prestataire (Gilley et Rusheed, 2000). Pourtant rares sont les projets
d’externalisation qui atteignent réellement leurs objectifs ambitieux en termes
d’économies potentielles et de nombreux coûts cachés sont bien souvent sous-
estimés ou non pris en compte en amont. Il peut s’agir entre autres des coûts
de recherche et d’évaluation des fournisseurs, de négociation et de gestion des
contrats, des frais de voyage pour se rendre sur les sites offshore ou de mise
en place de mesures visant à renforcer la sécurité. De plus, les offres de service
standard proposées correspondant rarement aux besoins réels de l’entreprise,
la mise en place de prestations sur mesure non prévues au contrat peuvent
générer des coûts supplémentaires. Quant aux coûts de rupture anticipée d’un
contrat d’externalisation, ils peuvent être élevés (frais d’avocat, pénalités).

La ré-internalisation semble d’ailleurs de plus en plus répandue en Europe avec


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plus de 65 % des contrats d’une valeur supérieure à £20m (étude Compass
Management Consulting, 2007) qui se défont avant d’arriver à leur terme. Ce
phénomène serait principalement dû au fait que l’externalisation permet rarement
d’atteindre les économies significatives attendues par les entreprises (Frery et
Law-Kheng, 2007). L’étude Compass montre également qu’en moyenne les
coûts baissent de 15 % les 18 premiers mois qui suivent le démarrage du contrat,
mais qu’à l’échéance les dépenses de l’entreprise peuvent être 30 %, voir 45
% plus élevées que celles d’un service géré en interne. Cet écart s’expliquerait
par les tarifs élevés pratiqués par les prestataires concernant des services hors
contrat. Ces dérapages de prix viennent souvent compenser des prix de base
trop faibles déployés à titre commercial.

1.3.3. Les risques opérationnels


Les risques opérationnels font référence à des conséquences de court terme :
- La dégradation de la qualité du service liée à des retards ou des délais dépassant

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Proposition d’un modèle d’externalisation
des activités achats

les limites fixées dans le contrat, notamment lorsque le prestataire repousse la


date de démarrage. Le manque d’expérience du prestataire peut être une cause
de cette non-qualité. Cet écueil peut également provenir de la perte d’employés-
clés et les difficultés éprouvées par le prestataire à mettre en place une nouvelle
équipe ;
- Le risque social : il est fréquent que les opérations d’externalisation
s’accompagnent d’un transfert de personnel, voire de licenciements ou de
reclassement. L’éclatement qui s’en suit peut conduire à une perte de cohésion
et de solidarité dans les actions ;
- Une politique d’externalisation a également des conséquences sur les
salariés qui restent dans l’entreprise, la plus importante étant sans doute
d’ordre psychologique : incertitude et appréhension par rapport à leur devenir
dans une entreprise qui n’hésitera pas à confier à d’autres les activités qu’ils
exercent à la moindre pression de ses actionnaires. Il s’en suit une distorsion
du lien social qui lie les employés à leur entreprise ce qui souligne l’importance
des actions de communication à l’égard des salariés dans le cadre d’une
démarche d’externalisation. Actions de communication qui devront être menées
très en amont afin de convaincre les salariés du bien fondé d’une décision
d’externalisation, voire les impliquer dans la démarche de réflexion afin qu’ils
puissent plus aisément s’approprier le changement.
Les risques liés à l’externalisation suggèrent l’importance de conserver une grande
maîtrise sur les activités externalisées, en particulier en instaurant un organe de
pilotage et en conservant en interne un niveau suffisant de compétences métier.
Un autre moyen pour conserver la maîtrise des activités externalisées peut être la
filialisation. Une filiale permet de réduire les coûts de coordination et de conserver
un meilleur contrôle, tout en évitant les dérives financières. En revanche, une
filiale ne permet pas de créer des relations de type client-fournisseur et est moins
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incitée à la performance. La prise de participation au capital est une autre manière
de conserver un contrôle important sur le prestataire d’externalisation.

2. Le cas de l’externalisation des achats


Cette section aborde le contexte de l’externalisation des achats, ses enjeux,
ses limites et sa mise en œuvre. L’externalisation des achats consiste à confier
à un prestataire spécialisé la totalité ou une partie des activités achats de
l’entreprise (Sals, 1989). Cette démarche convient particulièrement aux achats
non stratégiques qui ne correspondent pas au cœur de métier, comme les
achats hors production (télécommunications, transport et logistique, marketing
et communication, investissements, MRO…).

Les achats hors production représentent environ 20 % des achats globaux et


parfois 80 % du nombre total des fournisseurs. Leur diversité et leur déconnexion
de la production font qu’ils sont souvent délaissés et donc source de gains
potentiels significatifs.

109
24

L’externalisation des achats concerne en premier lieu les achats hors-production,


achats difficilement mutualisables en interne. Sont souvent concernés les achats
dits de « classe C » (achats non stratégiques, de faible montant, non récurrents)
générant des coûts administratifs importants. L’externalisation est alors partielle
et ne concerne pas l’intégralité de la fonction achats. L’objectif dans ce cas est
de réduire ces coûts de gestion, de réaliser des gains d’achats, mais également
de libérer du temps aux acheteurs afin qu’ils se recentrent sur des achats ou des
activités du processus achats à plus forte valeur ajoutée. L’externalisation permet
également de réduire le nombre des fournisseurs non stratégiques concernés.

La décision d’externaliser nécessite donc une étude approfondie de chaque


famille d’achats. Les caractéristiques du couples type de produit (impliquant,
risqué, stratégique…) /type de marché (turbulent, stable, placide…) influent sur la
décision d’externaliser (Lepage et Boudon, 2000). Des achats à la fois risqués et
impliquants (implication des acheteurs dans les phases amont de co-conception
des produits par exemple) ne se prêtent pas a priori à l’externalisation du fait des
coûts de contrôle qu’ils vont induire.

Outre l’externalisation de certains types d’achat, il est également possible de


déléguer certaines activités du processus achat-approvisionnement à un
prestataire extérieur, même dans le cas d’achats risqués ou impliquants (Calvi,
1999).
Figure 1 : Typologies d’achats (Source : à partir de Calvi, 1999)
Risques

Achats risqués Achats stratégiques


Externalisation non Cœur de métier achat, a priori
Elevés envisageable, car nécessiterait non externalisables
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contrôle trop important

Achats tactiques Achats impliquants


Achats de faible valeur (acheteurs impliqués en
Faibles ajoutée ou achetés de manière amont)
occasionnelle, externalisables Externalisation non souhaitable
Implication
des
acheteurs
Faible Elevée

Certaines activités situées en amont du processus achats, telles que la


spécification du besoin, le marketing achat qui est surtout déterminant pour
les achats impliquants ou stratégiques, sont difficilement externalisables, car
elles influencent directement la création de l’offre de l’entreprise et peuvent

110
terait

Proposition d’un modèle


ière
d’externalisation
des activités achats tion

Faible Elevée

être considérées comme des activités stratégiques, pouvant contribuer au


développement de l’avantage concurrentiel de l’entreprise. Les acheteurs
maîtrisent parfaitement ces tâches, et souvent mieux qu’un prestataire extérieur
qui n’a pas la connaissance du métier de l’entreprise et de ses processus. Ils
développent une expertise et un savoir-faire organisationnel qui peuvent être
considérés comme des compétences cœur de métier qu’il peut être dangereux
de transférer à l’extérieur. Ce sont les activités touchant au traitement de la
commande, consommatrices de ressources et de temps sont donc les plus
faciles à sous-traiter (figure).
Figure 2 : Activités du processus achat à externaliser

Occasionnels Externalisation souhaitable


Récurrents Mise en place processus automatisation / E-Procurement
Stratégiques
Impliquants Cœur de métier achat Sous-traitance
Risqués A conserver en interne éventuelle

Négociation et
Spécificatio Recherche Administration Gestion
Sélection finalisation du
n du besoin Fournisseur commandes physique
contrat

Création de l’offre Traitement commandes

Nous voyons au travers de cette matrice qu’il est possible de déléguer certaines
tâches avales du processus achat liées au traitement des commandes (physiques
et administratives) même dans le cas d’achats impliquants ou stratégiques. On
peut considérer que l’acheteur garde la maîtrise, car il conserve les phases
amont du processus, la spécification du besoin, le marketing achat, la sélection
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et la négociation avec les fournisseurs qui constituent le cœur de métier achats.
L’externalisation de l’ensemble des activités du processus achat ne semble
envisageable que dans le cas d’achats occasionnels, pour lesquels une
compétence d’achats spécifique n’est pas nécessaire. Pour des achats répétitifs
par nature, une fois la spécification du besoin (élaboration du cahier des
charges) bien définie, les autres activités peuvent faire l’objet d’un arbitrage
en termes de coûts de production interne/externe. Sur des achats risqués, une
sous-traitance des activités de traitement de la commande peut parfois présenter
un niveau de risque trop important (dépendance de la production vis-à-vis des
approvisionnements).

L’externalisation peut concerner non seulement certains types d’achats, mais


également certaines activités du processus achats.

- Au plus haut niveau de valeur ajoutée, le prestataire peut avoir la responsabilité


du sourcing. Il définit les stratégies achats, contrôle la performance des

111
24

fournisseurs, benchmark les conditions et les pratiques, redéfinit les besoins,


formule de nouvelles procédures internes, gère les appels d’offres, sélectionne
de nouveaux fournisseurs et met en œuvre les contrats ;
- Plus fréquente est la délégation des activités d’approvisionnement en aval du
processus achats, relatives au traitement administratif des commandes (activités
à faible valeur ajoutée mais chronophages et souvent génératrices de litiges).

Rappelons que la fonction Achats, définie comme la fonction responsable


de l’acquisition des biens ou services nécessaires au fonctionnement de
toute entreprise se décompose en deux processus complémentaires : l’Achat
et l’Approvisionnement. La fonction Achats recouvre les activités allant de
l’identification du besoin à la signature du contrat, alors que la fonction
Approvisionnements gère les opérations allant de l’émission de la commande au
règlement de la facture, en passant par le contrôle de la réception et la gestion des
flux et des stocks amont. Ces définitions mettent l’accent sur le rôle commercial et
stratégique des Achats et sur le caractère administratif des Approvisionnements.

Pour que la fonction achats devienne un élément majeur dans la stratégie


des entreprises, il est nécessaire d’opérer une scission entre les achats et les
approvisionnements. Le rôle de l’acheteur ne doit plus être cantonné aux seules
tâches d’approvisionnement, il doit prendre une réelle dimension stratégique
que lui confère sa connaissance des marchés en amont. Depuis 1990, sous
l’impulsion de l’AFNOR, une distinction nette est faite entre les achats et les
approvisionnements (Voir également Bruel, 2007).

Cette position conduit au partage de la fonction en deux services, du moins dans les
grandes entreprises, l’objectif étant de libérer les achats des tâches administratives
ou opérationnelles qui restent le lot des services approvisionnement.
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Moins répandue est l’externalisation totale de la fonction achats hors production.
Elle implique alors très souvent un transfert de personnel chez le prestataire afin
de diminuer les coûts salariaux. Elle a alors un objectif ambitieux de transformation
de l’entreprise dans l’optique de la rendre plus compétitive, d’accélérer la mise sur
le marché de ses produits, en d’autres termes participer au développement d’un
avantage concurrentiel pérenne (Castagnos, 2002). Ce type d’externalisation
induit une transformation des processus achats-approvisionnements (Business
Transformation Outsourcing-BTO). Les risques de dépendance vis-à-vis
du prestataire, de perte de contrôle des activités externalisées, de perte de
confidentialité sont dans ce cas à leur apogée. Carter et al. (2007) en déduisent
un processus d’externalisation en trois étapes : la planification (des activités et
processus à externaliser), la contractualisation avec le prestataire et la mise en
oeuvre (pilotage, échanges d’information etc…). Cette démarche est notamment
préconisée lorsque la fonction achats-approvisionnements n’a pu être optimisée

112
Proposition d’un modèle d’externalisation
des activités achats

en interne. Le prestataire retenu s’engage alors sur un certain niveau d’économies


annuelles impliquant la mise à disposition d’équipes ayant une réelle expertise
achats, de systèmes d’information performants, d’un contrat suffisamment souple
pour permettre des évolutions, mais surtout la construction d’un partenariat
équilibré.

3. Réalisation d’une étude qualitative

3.1. Méthodologie
Afin de compléter l’analyse théorique de l’externalisation des achats et de
confronter les concepts clé identifiés à la réalité du terrain, une série d’entretiens
(en face à face) a été conduite en 2007 auprès de responsables/directeurs achats
ayant vécu une expérience d’externalisation totale ou partielle de la gestion de
leurs achats, ainsi qu’auprès de prestataires spécialisés dans l’externalisation
des achats de classe C.

Ces entretiens donnent l’occasion de mettre en évidence et de comprendre les


motivations sous-jacentes aux décisions d’externalisation des achats, d’analyser
les différents dispositifs mis en œuvre dans le cadre du projet, de cerner les
facteurs pouvant contribuer à l’échec ou au succès d’une telle opération.

Cette étude empirique, basée sur une démarche qualitative de terrain, n’a pas pour
vocation d’apporter une vue exhaustive des pratiques en matière d’externalisation
des achats, l’échantillon utilisé n’étant pas représentatif, mais permet de mettre
en exergue les points critiques soulevés par l’externalisation qui pourront être
approfondis dans le cadre d’études ultérieures.
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Le protocole de recherche utilisé repose sur l’utilisation de trois sources de
données : des entretiens successifs, des observations terrain et des documents
internes (Yin, 1994). L’analyse des données issues des entretiens s’est déroulée
selon la méthode de l’analyse de la « valeur des thèmes » abordée par Thiétart et
al. (1999). Le caractère exploratoire des concepts étudiés suggérait de procéder
à des entretiens semi-directifs « centrés », structurés autour d’une liste de thèmes
préparée à l’avance.

3.2. Profil des entreprises étudiées


L’identification des cibles potentielles s’est faite par le biais d’un appel à réseau
lancé par la CDAF (Compagnie de Dirigeants et Acheteurs de France) aux
entreprises adhérentes localisées dans la région du Grand Ouest et d’un mailing
adressé à des responsables achats, membres du réseau des anciens d’Audencia.
Les entreprises ayant répondu sont en majorité des grands groupes (ou filiales

113
24

de grands groupes) de secteurs d’activité divers (automobile, aéronautique,


semi-conducteurs) avec des chiffres d’affaires compris entre 8,8 milliards et 20,9
milliards d’€ à l’exception d’une PME (75 millions d’€) du secteur de l’injection
plastique, sous-traitant de l’industrie automobile. Les sociétés répondantes sont
AIRBUS, BOMBARDIER, VALEO, ST MICROELECTRONICS, NXP Groupe
PHILIPS, Groupe IMTEC (Tableau 1).

Tableau 1 : Profils des entreprises analysées


Cas 1 Cas 2 Cas 3 Cas 4 Cas 5 Cas 6
Entreprise AIRBUS BOMBARDIER VALEO NXP IMTEC ST MICRO
CA 26mds € 18,4 mds $ 10 mds€ 4,9 mds € 75 millions€ 9,9 mds$
Effectif 57 000 56 000 71 100 37 000 800 50 000
CA achats 20 NC 6 milliards 2 milliards 52 millions NC
Achats milliards 800 millions 1,5 milliards 200 millions 10,4 millions NC
indirects (€) 6 milliards

L’échantillon a été subi plus qu’il n’a été choisi et ne doit pas être considéré
comme représentatif. Il présente néanmoins l’intérêt d’être diversifié, puisque
présentant des expériences :
- D’externalisation partielles d’achat de classe C ;
- D’externalisation de la négociation et de la gestion des contrats
cadres ;
- D’externalisation totale de la fonction achats avec transfert de
personnel ;
- D’externalisation offshore de la fonction approvisionnement visant à
optimiser le différentiel de coût de main-d’œuvre.

Un mailing a également été adressé à des prestataires spécialisés en


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externalisation achats. Seuls deux cabinets de petite taille ont répondu.

Donnons un rapide aperçu du marché. Jusqu’au milieu des années 90, le marché
de l’externalisation des achats était composé d’une multitude de petits acteurs
indépendants issus principalement de processus d’essaimage et assurant
une prestation de sous-traitance achats. Beaucoup ont disparu aujourd’hui, la
tendance étant à la concentration et à la professionnalisation des acteurs.

Ces dernières années ont vu la progression de « centrales » de prestation


d’achats : K-BUY, IBM KeyMRO, ACHATS SERVICE, ACHATS SERVICES
INDUSTRIE... Ces prestataires se positionnent d’abord en « généralistes des
achats de classe C » (achats non stratégiques et de faible montant) et visent
ensuite la prise en charge des achats de classe B. La gestion déléguée des
achats a des arguments convaincants : si le coût de transaction d’une commande
s’élève à 100 euros pour un grand compte, il peut être ramené à 25 euros en
passant par les services d’une centrale de prestations d’achats, dont un des

114
Proposition d’un modèle d’externalisation
des activités achats

axes de travail est la diminution du nombre des factures (réduction du nombre


de fournisseurs).
Un autre profil de prestataires émerge : les grandes entreprises de services
informatiques comme IBM, ACCENTURE, MERCER, ARIBA... Ces derniers se
spécialisent dans l’externalisation de la globalité de l’activité des achats indirects.
Enfin, aux côtés de ces grands opérateurs, des prestataires de plus petite taille
existent : CESMAE, STACI sont spécialisés sur l’approvisionnement ; FARE
TRADE et FAC LOGISTIQUE, qui sont également prestataires logistiques, sont
orientés dans les achats ponctuels et techniques.

3.3. Les résultats de l’enquête

3.3.1. Facteurs de succès d’une externalisation des achats : le point de


vue des 2 prestataires
Pour les deux prestataires, les critères les plus importants dans le succès d’une
externalisation sont liés au partenariat :
- La transparence : il est nécessaire de communiquer en toute
transparence, de répercuter l’ensemble des gains réalisés à l’achat,
ainsi que les éventuelles remises de fin d’année ;
- Les compétences : le prestataire se doit d’apporter une valeur ajoutée
en termes de savoir-faire, de compétences achats. Le client attend du
prestataire qu’il apporte de l’innovation, fasse évoluer les prestations
dans un souci perpétuel d’amélioration des performances de son
client. Le savoir-faire du prestataire se situe notamment au niveau
du sourcing stratégique de produits techniques nécessitant une veille
technologique ;
- La souplesse et la réactivité ;
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- La proximité ;
- L’implication et l’adaptabilité : le prestataire est un acteur de la fonction
achats de son client et doit travailler en cohésion avec sa culture et ses
valeurs ;
- La gestion et le reporting : il n’y a pas de confiance sans un minimum
de contrôle et de suivi. Le prestataire restitue sous forme de tableaux de
bord l’ensemble des informations nécessaires au suivi de la performance
des achats externalisés, ce qui pourra permettre une éventuelle
réintégration sans perte de lisibilité ;
- L’éthique et la déontologie ;
- L’innovation : la prestation doit aller au-delà de la simple réduction des
prix d’achat et des coûts. Le prestataire doit être capable de réfléchir à
des axes d’amélioration possibles, voire remettre en cause les besoins
du client ;
- Le suivi d’indicateurs de performance contribue à la construction du
partenariat. Il ne peut y avoir de bon partenariat sans l’établissement

115
24

d’un système de mesure fiable.


3.3.2. Facteurs jugés décisifs dans le succès d’une externalisation des
achats : points de vue des donneurs d’ordres
Influence de la structure de la fonction achats existante
Les entretiens indiquent que la centralisation des achats est une condition préalable
à l’externalisation des achats. La centralisation permet en effet une meilleure
gestion des contrats cadres, elle réduit les achats dissidents et surtout renverse
les forteresses de pouvoir que constituent bien souvent les sites autonomes des
grands groupes disposant de leur propre service achat décentralisé. A contrario,
le manque de structuration centrale de la fonction achats ne permet pas de
contrebalancer le pouvoir de la sphère technique dans les sites de production.
Dans l’exemple de BOMBARDIER, ce manque est invoqué comme une des
raisons de l’échec de la tentative d’externalisation des achats menées en 2005.
Le rattachement hiérarchique des achats est également jugé comme
déterminant. Des achats rattachés à la Direction Générale témoignent de
l’importance stratégique qu’on leur accorde, inversement, des achats rattachés
hiérarchiquement à la production ont une vocation plutôt opérationnelle ou
tactique, en support des unités de production. Le rattachement hiérarchique des
achats de Valeo à une direction technique semble avoir pénalisé en 2004 la
finalisation d’un projet d’externalisation des achats hors production. Ces derniers
ne sont pas nécessairement considérés comme stratégiques par une direction
technique pour qui les efforts d’optimisation sont prioritairement focalisés aux
achats de production.
Autre constat, il semble que l’optimisation préalable des processus achats
internes soit un facteur contributif au succès d’une opération d’externalisation.
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La non-optimisation des processus achats de BOMBARDIER est citée comme
une cause de l’échec de l’externalisation.

Les objectifs, les avantages et les risques perçus de l’externalisation des


achats
Une externalisation totale de la fonction achats n’a pas les mêmes objectifs
stratégiques qu’une externalisation des achats de classe C. Les entreprises
ayant décidé d’externaliser leurs achats de faible valeur de classe C avaient pour
objectifs principaux de :
- Réduire le nombre de fournisseurs (3 cas sur 4) ;
- Réduire les coûts de gestion administrative (3 cas sur 4) ;
- Réaliser des gains achats (2 cas sur 4) ;
- Séparer les achats des approvisionnements (2 cas sur 4) ;
- Recentrer les acheteurs sur des projets à plus forte valeur ajoutée (2
cas sur 6) ;
- Optimiser les processus achats/approvisionnements (1 cas sur 4) ;

116
Proposition d’un modèle d’externalisation
des activités achats

- Avoir accès à l’innovation du fournisseur concernant les systèmes


d’info (1 cas sur 4) ;
- Mieux gérer les pics d’activité (1 cas sur 4) ;
- Réduire les coûts de structure de la fonction achats (1 cas sur 4).

Les décisions d’externalisation des achats de classe C sont prises soit au niveau
de la direction achats groupe (exemple avec Airbus), soit au niveau des directions
achats des unités décentralisées (exemple de ST Microelectronics).
Tableau 2 : Avantages et risques perçus de l’externalisation des achats
Avantages perçus Risques perçus
Avantages intérieurs à l’entreprise :
- diminution de la charge des acheteurs et - La politique achat du donneur d’ordre n’est
réduction de la lourdeur administrative plus confidentielle
- recentrage des acheteurs sur les produits - Difficulté d’apprécier l’adéquation entre les
et les activités à forte valeur ajoutée (veille besoins du donneur d’ordre et le savoir-faire du
technologique, marketing achat, benchmarking) prestataire
- amélioration de la qualité de service - Difficulté d’évaluer les performances du
- augmentation de l’efficacité achats prestataire.
- Problème d’éthique du partenariat qui doit
Avantages extérieurs à l’entreprise : être fondé sur la confiance et l’acceptation de
- réalisation d’économies d’échelle grâce à la parité
l’effet volume - Perte d’expertise possible ou d’informations
- accès aux compétences de spécialistes sur l’évolution du couple produit/marché
- amélioration de la flexibilité - Problèmes sociaux engendrés par
- diminution du nombre de fournisseurs l’externalisation
- transformation des charges fixes en charges - Perte de confidentialité des informations
variables échangées, notamment lors d’une
- réactivité meilleure dans le traitement des externalisation off-shore
commandes

Dans le cas de l’externalisation totale de la fonction achats, l’objectif principal


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avancé (exemple de Bombardier) est l’accès à l’expertise des équipes d’acheteurs
du prestataire, en l’occurrence ici en matière de sourcing. La finalité ultime reste
de réaliser des économies substantielles sur chaque famille de produits reprise.
La décision d’externalisation totale est prise au niveau de la direction générale,
car les objectifs sont stratégiques, l’impact sur le résultat important et les risques
élevés. De plus, elle engendre des changements organisationnels importants,
notamment des transferts de personnels. Les avantages et les risques perçus
liés à l’externalisation des achats sont présentés dans le tableau 2 page
précédente.
Les dispositifs d’accompagnement observés
Lors de la phase précontractuelle différents dispositifs sont observés :
- Une réflexion stratégique : dans 3 cas sur 6, le projet d’externalisation
s’inscrit dans une stratégie globale. Néanmoins, les autres entreprises
adoptent une perspective court terme, en particulier dans le cas
d’externalisation d’achats de classe C ;
- La réalisation d’un benchmark préalable : dans 3 cas sur 6 ;

117
24

- L’identification des activités cœur de métier : dans 2 cas sur 6, une


analyse a été faite au niveau de chaque famille de produits afin de ne
déléguer que des achats de faible valeur ne présentant pas de risques
pour la société ;
- L’évaluation économique du projet : peu d’entreprises semblent
avoir une réelle appréciation du coût de leur fonction achat et des
diverses activités qui y sont réalisées ;
- Le management de l’externalisation par une équipe projet : dans
3 cas sur 6, surtout au sein des grands groupes et lorsque la démarche
doit être déployée sur plusieurs sites ;
- Le recours à un consultant spécialisé en externalisation : peu
pratiqué. Seul Valeo a mené un audit préalable ;
- Le lancement d’un appel d’offres : dans 2 cas sur 5 uniquement.

Lors de la phase contractuelle, d’autres dispositifs émergent :


- Des contrats d’un durée plutôt longue : durée des contrats comprise
entre 3 ans (pour l’externalisation d’achats de classe C n’impliquant
pas de gros investissements de la part du prestataire) et 5 ans (pour
l’externalisation totale). A noter les clauses de partage des risques et des
gains dans le cas d’externalisation totale, de bonus/malus. Certaines
sociétés utilisent les contrats type des prestataires qu’elles renégocient
éventuellement, d’autres imposent leur propre contrat ;
- Un mode de rémunération du prestataire variabilisé : concernant
l’externalisation d’achats de classe C, les prestataires se rémunèrent de
différentes manières : pourcentage fixe sur le montant des commandes
ou coefficient linéaire défini en fonction du montant du contrat d’achat
et de la valeur de la ligne de commande ou au forfait en fonction du
nombre de personnes dans l’équipe et dégressivité contractuelle et
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annuelle des coûts. Concernant l’externalisation totale de la fonction
achats, les prestataires se rémunèrent uniquement sur les économies
réalisées ;
- La réalisation de tests à blanc avant décision : dans 3 cas sur 6.

Lors de la phase de transition :


- La communication vers l’ensemble des parties prenantes : c’est
la partie la moins bien menée dans les entreprises, en particulier dans
les grandes entreprises. Elle est souvent mal planifiée, intervient trop
tardivement. Les entreprises n’ont pas pleinement conscience des impacts
que peut avoir une mauvaise ou un manque de communication.
Lors de la phase post-contractuelle, nous observons :
- La mise en place d’un comité de pilotage : 2 entreprises sur 6
seulement ont mis en place un comité de pilotage. Or l’étude Baromètre
Outsourcing indique que l’une des raisons de la perte de contrôle sur
une activité externalisée est le manque de structure de contrôle. Le suivi

118
Proposition d’un modèle d’externalisation
des activités achats

de tableaux de bord n’étant pas suffisant. A noter qu’aucune structure


de pilotage n’existait chez Bombardier, d’où le sentiment d’une perte
totale de contrôle sur l’activité externalisée ;
- La mise en place de tableaux de bord : dans 4 cas sur 5. Seul
Bombardier n’avait pas mis en place de tableaux de bord.
L’ensemble des observations effectuées nous amène à proposer un modèle
exploratoire du processus d’externalisation des Achats (figure 3). Ce dernier met
en œuvre 7 principales étapes à respecter dans la mise en œuvre du projet
d’externalisation. Il détaille et complète le modèle en trois étapes proposé par
Carter et al. (2007). Il est également complémentaire des modèles d’arbitrage
sur le faire/faire faire, par exemple les travaux de Barthelemy et Donada (2007),
qui s’intéressent à l’évaluation ex-ante de la décision à la lumière d’un diagnostic
interne (sur les ressources et compétences, sur les risques d’opportunisme et sur
l’évaluation du besoin de flexibilité).

Figure 3 : Modèle du processus d’externalisation

PL A NI F I E R
- mise en place équipe projet
- analyse des risques
- planification du plan de
E T A PE 1 communication

A L I G NE R ST R A T E G I E E T
E X T E R NA L I SA T I ON
- vision de l’ entreprise
- analyse des compétences cœur de
E T A PE 2 métier

A NA L Y SE R L E S C OUT S E T L A
PE R F OR M A NC E
- analyse des coûts existants et
E T A PE 3 futurs de l’ activité à externaliser
- analyse de la performance
actuelle et future de l’ activité

SE L E C T I ONNE R DE S PR E ST A T A I R E S
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E T A PE 4 - définition des critères
- rédaction des appels d’ offre
- évaluation des offres

E T A PE 5 NE G OC I E R
- stratégie de négociation
- clauses importantes

A SSUR E R L A T R A NSI T I ON
E T A PE 6 - établir des structures de gestion et de contrôle

PI L OT E R L A R E L A T I ON
E T A PE 7 - comité de pilotage
- tableaux de bord

Conclusion

Au regard de notre recherche, l’externalisation provoque bon nombre de réactions,


parfois négatives et chargées d’émotion. Pourtant bien utilisée, elle peut, au-
delà de la simple réduction des coûts bien souvent recherchée, en association

119
24

avec d’autres outils de transformation tels que le reengineering, améliorer les


performances d’une organisation et contribuer ainsi à générer de la valeur
pour l’ensemble des parties prenantes (salariés, fournisseurs, actionnaires,…).
Pourtant les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances et toute
opération d’externalisation nécessite une réflexion stratégique.

Notre étude comparative des pratiques d’externalisation des achats a validé


l’existence de deux principaux types d’externalisation en matière d’achats :
l’externalisation de la gestion des achats de classe C, achats de faible montant
particulièrement consommateurs de temps, qui est très couramment pratiquée en
France et l’externalisation totale de la fonction achats avec transfert de personnel,
qui semble plus rare et plus risquée.

Elle a confirmé que l’externalisation implique une réorganisation préalable ou


simultanée de la fonction achats, avec une centralisation et une scission entre les
achats et les approvisionnements. Cette réorganisation entraîne inévitablement
des réductions d’effectifs. La centralisation est une condition sine qua non pour
permettre le contrôle et la consolidation des achats externalisés au niveau d’un
groupe.

La motivation principale des entreprises à externaliser reste la réduction des


coûts. Dans le cas de l’externalisation des achats de classe C, la délégation
de la gestion de ces achats permet de diminuer considérablement les coûts
administratifs, de diminuer les frais fixes en variabilisant les coûts. Concernant
l’externalisation totale de la fonction achats, l’objectif est de réduire les coûts de
personnel et d’obtenir l’engagement du prestataire sur des niveaux d’économies
annuelles. Cet engagement a des effets pervers, la relation avec les fournisseurs
étant essentiellement fondée sur des critères de prix, l’innovation fournisseur est
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freinée. Quant à l’externalisation offshore, elle vise essentiellement à bénéficier
du différentiel de coûts de main-d’œuvre dans les pays à bas coûts. Seules deux
sociétés ont indiqué que l’objectif de l’externalisation était de permettre une
stratégie de recentrage sur les activités cœur de métier et de professionnaliser
les acheteurs.

La démarche adoptée par les entreprises dans la mise en œuvre du projet met
en exergue plusieurs aspects favorisant le succès de l’opération : une réflexion
sur l’adéquation des objectifs de l’externalisation avec la stratégie globale de
l’entreprise, la fixation d’objectifs clairs à court, moyen et long terme, la mise
en place d’une équipe projet pour l’évaluation des risques (de ré-internalisation
notamment) et une mise en œuvre sous contrôle. Notre recherche indique que
le travail de l’équipe projet est souvent l’occasion d’apporter un éclairage et
une connaissance sur les coûts des différentes activités des services achats.
Enfin, la communication se révèle également un facteur de succès. Elle doit être
planifiée en amont et intervenir très tôt afin d’éviter les phénomènes de rumeurs,

120
Proposition d’un modèle d’externalisation
des activités achats

de désordre social et de résistances. Les messages doivent être clairs et adaptés


aux différentes parties prenantes.

Le besoin de travaux complémentaires émerge à l’issue de notre recherche. Les


modèles d’externalisation de la logistique pourraient probablement constituer
une voie d’inspiration utile pour consolider les bases conceptuelles de notre
modèle. Par ailleurs, la démarche qualitative que nous avons adoptée ne permet
pas de donner une portée générale aux résultats. Notre étude exploratoire met
en évidence certains aspects importants de l’externalisation qui méritent d’être
approfondis : le management du risque dans l’outsourcing, la dynamique de la
relation avec le prestataire, les mécanismes de formation et de partage de la
valeur créée par l’outsourcing. Autant de thèmes qui indiquent un programme de
recherche des plus stimulants…

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