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Comment des start-up deviennent des grands groupes

mondiaux : le cas de Google


Demba Diallo
Dans Vie & sciences de l'entreprise 2007/3 (N° 176 - 177) , pages 43 à 60
Éditions ANDESE
ISSN 2262-5321
DOI 10.3917/vse.176.0043
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COMMENT DES START-UP DEVIENNENT DES GRANDS
GROUPES MONDIAUX : LE CAS DE GOOGLE
Par Demba DIALLO
Consultant en stratégie,
Diplômé de l’IEP de Paris, Doctorat en économie à Télécom Paris

I
ssu d’observations de terrain menées au sein de la Silicon Valley et complété
par une revue de la littérature, cet article à quatre objectifs. Il montre d’abord
pourquoi les start up innovantes sont au cœur de la performance de
l’économie américaine, en contraste avec la situation française.
Dans un second temps, il explique pourquoi la Silicon Valley abrite l’essentiel de
ces succès. Ensuite, il explique les ressorts de l’innovation des firmes de ce
territoire à travers l’analyse concrète du cas de Google inc. Les enseignements de
ces différents résultats peuvent éclairer le management des firmes innovantes
ainsi que les politiques publiques en soutien à l’innovation.

INTRODUCTION
En France, 36% des entreprises se déclarent innovantes . Elles prennent en
compte pour cela des améliorations de service, de processus ou de technologie
qu’elles estiment significatives. Mais une analyse non pas déclarative, mais
factuelle et limitée aux apports technologiques, laisse apparaître que seulement
5% (11.500) du nombre total des créations d’entreprises nationales (230.000 en
2006) le sont . Il s’agit d’entreprises mettant sur le marché des technologies
nouvelles (technologies de l' information et de la communication, produits
pharmaceutiques, biotechnologie, nouveaux matériaux). Ce taux, qui se situe dans
la moyenne basse européenne est environ 2,5 fois moins important que celui des
Etats-Unis. Or ce sont généralement ces dernières, les entreprises à fort contenu
en innovation technologique, qui génèrent des ruptures sur le marché, parviennent
à capter des revenus significatifs sur les marchés mondiaux, du fait des barrières à
l’entrée ainsi posées et s’imposent progressivement comme des grands groupes
multinationaux. Cela s’applique particulièrement au secteur des technologies de
l’information et de la communication, au cœur de l’économie globale et numérisée
de la connaissance.

Pour comprendre et illustrer ce phénomène, nous montrerons d’abord, à partir de


l’exemple américain, comment la capacité, pour une nation, à faciliter l’émergence
de start-up innovantes est au cœur de sa performance économique. Ensuite, nous
mettrons en relief les principales caractéristiques de la Silicon Valley, territoire de
localisation de la majorité d’entre elles. Enfin, nous analyserons de manière
approfondie, le processus d’innovation de l’une des plus emblématiques d’entre
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elles : Google.

15
ANRT, Entreprises Innovantes – 19/01/05
16
Tableau de bord de l’innovation, 2007
17
http://www.trendchart.org

- 43 -
1 - LES START-UP INNOVANTES, AU CŒUR DE LA
PERFORMANCE ÉCONOMIQUE AMÉRICAINE
Si l’on isole la composante de la performance liée à la capitalisation boursière et
que l’on retienne les vingt principales du marché (Tableau 1), tous secteurs
confondus, on observe que les entreprises du secteur TIC américain ont trois
caractéristiques majeures. Première observation, cinq d’entre elles (sur sept au
total), ont été créées il y a moins de quarante ans. Il s’agit de : Intel, Microsoft,
Apple, Cisco et Google. Deuxième observation, elles ont été créées par des
entrepreneurs sur des créneaux de rupture par rapport aux modèles existants.
Enfin, elles ont une capitalisation boursière cumulée (1.010 milliards de dollars) qui
représente un tiers des vingt premières.

Tableau 1 :

Vingt premières capitalisations américaines


Rang Entreprises ($, Mds) Appartenance Création <40
secteur TIC ans
1 Exxon Mobil 507,87
2 General Electric 411,49
3 Microsoft Corp. 300,76 oui oui
4 AT&T 248,95 oui
5 Procter & Gamble 222,33
6 Google Inc. 208,67 oui oui
7 Bank of America 208,53
8 Citigroup 205,1
9 Berkshire Hathaway 197,24
10 Chevron 194,48
11 Cisco Systems 190,17 oui oui
12 Johnson & Johnson 185,1
13 Wal-Mart Stores 178,51
14 Pfizer Inc. 168,26
15 Apple Inc. 159,44 oui oui
16 American Int'l Group 158,45
17 JPMorgan Chase 155,83
18 IBM 153,47 oui
19 Altria 152
20 Intel Corp. 151,2 oui oui
Source : Analyse D.DIALLO à partir de The Online investior, clotûre au 25/10/07

A contrario, si l’on analyse les vingt premières capitalisations du marché français


(tableau 2), on retient trois enseignements. Le premier est que seules deux
entreprises (France Telecom et Vivendi) du secteur TIC en font partie. Le second
est significatif du faible dynamisme de l’entreprenariat, innovant en particulier :
France Telecom et Vivendi sont de grands groupes d’origine publique pour le
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premier et issu d’un conglomérat privé pour le second. Troisième enseignement,
aucune n’a été créée à partir de rien il y a moins de quarante ans. Enfin, la
capitalisation boursière cumulée de France Telecom et Vivendi (95,6 milliards
d’euros) est deux fois moindre que celle de Google créée il y a moins de 10 ans….

- 44 -
Tableau 2 :

Rang Entreprises Capitalisation (€, Appartenance


Mds) secteur TIC

1 TOTAL 136,44
2 EDF 135,11
3 SANOFI- AVENTIS 80,88
4 ARCELORMITTAL 78,44
5 BNP PARIBAS 71,88
6 AXA 65,00
7 FRANCE TELECOM 61,20 oui
8 OREAL 56,80
9 SOCIETE 54,80
GENERALE
10 SUEZ LYON.DES 53,50
EAUX
11 CREDIT AGRICOLE 44,50
12 LVMH 41,10
13 GAZ DE FRANCE 35,50
14 CARREFOUR 34,60
15 VIVENDI 34,40 oui
16 RENAULT 28,90
17 DANONE 28,30
18 VEOLIA ENVIRON 28,20
19 SAINT-GOBAIN 27,30
20 VINCI 26,40
Total 1 123,25

Source : Analyse D.DIALLO à partir de Euronext, clotûre au 28/09/07

Une analyse plus fine des entreprises les plus performantes du secteur TIC
américain nécessite à la fois d’élargir les critères de la performance et de retenir
des seuils suffisamment discriminatoires pour approfondir les principales
caractéristiques de ces entreprises.

Nous proposons de retenir deux critères de performance qui nous paraissent


déterminants : la capitalisation boursière (qui a des effets importants sur
l’économie réelle en raison de ses impacts sur l’allocation de l’épargne, des
investissements et le coût du capital notamment) et la création d’emplois aux effets
multiples sur la consommation, le pouvoir d’achat et le développement du capital
humain. Sur la base de ces deux critères, nous retiendrons les entreprises
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disposant d’au moins 10.000 employés et dont la capitalisation boursière s’élève à
au moins 20 milliards de dollars.

- 45 -
Dans le cadre de cette analyse, 11 entreprises constituent notre échantillon. Après
une étude multicritère (tableau 3) portant à la fois sur les créateurs et sur leur
entreprise (âge, nationalité d’origine et lieu de formation des créateurs, date de
création, date d’entrée en bourse, localisation du siège social de l’entreprise), nous
obtenons cinq principales conclusions. D’abord, deux tiers (64%) des créateurs
sont d’origine étrangère. Ensuite, deux tiers d’entre eux (64%) ont été formés dans
une université (Stanford ou Berkeley) de la Bay Area . De manière plus restrictive
encore sur le lieu de formation, plus d’un tiers d’entre eux ont été formés à
l’Université de Stanford. Par ailleurs, les quatre cinquième avaient moins de trente
ans (âge moyen à la création : 26 ans) lorsqu’ils ont fondé leur entreprise. Et parmi
eux, 36% étaient encore étudiants…

Tableau 3 :
Société Fondateurs Origine Etudiant au Nationalité Formation Formation Age (du plus
étrangère d'au moment de la d'origine d'un Stanford Stanford ou jeune) au
moins un des création des fondateurs Bekeley moment de
fondateurs la création

Intel M.Andreesen, oui Hongrie oui 23


R.Noyce,
A.Groove
Microsoft B.Gates, P.Allen oui 20
Apple S.Jobs, oui Pologne oui 21
S.Wozniak
Oracle L.Ellison 33
Sun A.Bechtolsheim, oui oui Inde oui oui 26
Microsystems V.Khosla, B.Joy
Cisco L.Bosack, oui oui 29
S.Lerner
Dell M.Dell 19
Yahoo! D.Filo, J.Yang oui oui Taïwan oui oui 27
Amazon J.Bezos oui 30
eBay P.Omidyar; J.Skoll oui France oui 28

Google L.Page, S.Brin oui oui Russie oui oui 25


Moyenne 26
Total
Source : Analyse D.DIALLO à partir de données Google Finances (chiffres) et wikipédia (profils des entrepreneurs)

Les trois quarts (73%) des entreprises ont été créées dans la Silicon Valley. Elles
ont toutes apporté des innovations radicales (Intel dans la microélectronique, Cisco
dans les réseaux, Google dans la recherche sur Internet, etc.). Les produits et
services offerts par 8 d’entre elles ont une portée universelle (usages grand public
et entreprises). Elles ont une moyenne d’âge de 23 ans, la plus jeune a 9 ans et la
plus âgée 39. Elles emploient au total 402.900 personnes et ont une capitalisation
cumulée de 1.149 milliards de dollars.
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La Bay Area, s’étend sur une superficie désignant la région baignée par les 3 baies de San
Francisco, San Pablo, et de Suisun. Elle s’étend à San Jose (« Capitale » de la Silicon Valley dont elle
constitue la plus grande ville).

- 46 -
Tableau 4 :

Société Création Date d'


introduction Capitalisation Emplois Origine
en bourse (Mds) (m) Silicon
Valley

Intel 1968 1971 155 88 oui


Microsoft 1975 1986 286 76
Apple 1976 1984 151 17 oui
Oracle 1977 1986 108 77,6 oui
Sun 1982 1986 20 34 oui
Microsystems
Cisco 1984 1990 191 61 oui
Dell 1984 1988 64 83,3
Yahoo! 1994 1996 40 11,4 oui
Amazon 1994 1997 37,7 14,4
eBay 1995 1998 49 13,2 oui
Google 1998 2004 203 15 oui
Moyenne 1984 1989
Total 1149,7 402,9
Source :
Analyse D.DIALLO à partir de google.com/finance. Données du marché au 21/10/07

A l’échelle française et européenne, les entreprises âgées de moins de 40 ans et


répondant aux critères de performance ci-dessus proposés, sont extrêmement
rares. SAP est le succès le plus communément cité. Mais il diffère par de
nombreux aspects des entreprises du palmarès américain. Par le profil des
fondateurs et par le niveau de performance atteint. Les fondateurs de SAP sont
d’anciens cadres d’IBM et non des étudiants. Les progiciels de SAP ont
uniquement transformé l’informatique d’entreprise, tandis que les innovations des
entreprises américaines ont, pour la plupart d’entre elles, bouleversé le marché
dans son ensemble. Enfin, les performances de SAP, remarquables, sont
néanmoins largement dépassées par cinq entreprises américaines de notre
échantillon concernant le nombre d’emplois créés (41.900 pour SAP) et par 6
d’entre elles concernant la capitalisation.

Les performances exceptionnelles des entreprises américaines du secteur des TIC


retenues dans notre échantillon, s’appuient sur des innovations de rupture
diffusées avec un effet d’échelle et à un rythme exponentiel. Il apparaît nécessaire
de comprendre les ressorts d’émergence de ces innovations et leurs
transformations en succès commerciaux planétaires.
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2 - LA SILICON VALLEY : BERCEAU DES START-UP LES PLUS
INNOVANTES ET PERFORMANTES AU MONDE

2.1 SILICON VALLEY, LA TERRE DE TOUS LES RECORDS

Conurbation dans la proximité de San Francisco, la Silicon Valley regroupe les


Comtés de Santa Clara County, de San Mateo, d’Alameda et de Santa Cruz.
Avec ses 2,44 millions d’habitants qui représentent à peine 1% de la population
américaine, elle multiplie les records nationaux (Collaborative Economics, 2007).
Concernant l’innovation tout d’abord, sur cinq critères majeurs (formation,
entreprises innovantes, diffusion des TIC, brevets, capital-risque), la Silicon Valley
est leader.

Ce territoire comporte l’une des populations les mieux formées du pays :


les deux tiers de la population active sont diplômés,
40% de la population active (1,18 million) possède un diplôme universitaire
de niveau supérieur ou égal à Bac+4,
18% de la population active possède un diplôme de l’enseignement
professionnel.

Tableau 5 :

Silicon Valley Etats-Unis


Population 2,44 millions 297,56 millions
Capital 30% 70%
Investissement
Brevets 11% 89%
Revenu par $55,000 $35,000
habitant
Valeur ajoutée par $120,000 $100,000
employé
Origine étrangère 50% 25%
des créateurs
d'entreprise
Source : Analyse D.DIALLO à partir de Collaborative Economics,
2007

La formation s’appuie aussi sur un socle d’universités parmi les plus réputées au
monde, dont Stanford. Cette dernière a formé quelques anciens célèbres parmi
lesquels Bill Hewlett et David Packard (Hewlett Packard), Sandy Lerner et Leonard
Bosack (CISCO), David Filo et Jerry Young (Yahoo!), Vinod Khosla, Bill Joy et
Andy Bechtolsheim (Sun), Serguei Brin et Larry Page (Google).
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La Silicon Valley n’est pas seulement le secteur leader du secteur TIC. Elle l’est
également dans le domaine des usages : la Vallée est au premier rang (devant
Boston, Seattle et San Diego) américain de l’utilisation de l’internet haut débit :
80% des utilisateurs internet l’utilisaient à domicile en 2006. Terre d’invention, dans

- 48 -
les années 1970, des circuits intégrés et des microprocesseurs, elle était encore
en 2006, le territoire produisant le plus grand nombre de brevets sur le territoire
américain. La Silicon Valley représente à elle seule 11% des brevets déposés aux
Etats-Unis et près de la moitié de ceux de Californie (46%). 6 des 10 villes
américaines ayant généré le plus de brevets sont situées dans la Silicon Valley.
Véritable moteur de l’activité entrepreneuriale à la Vallée, le capital-risque qui y est
investi est le plus dynamique et le plus important au monde. La Silicon Valley
représentait en 2005, 14% du capital-risque investi dans le monde. Cela équivaut à
l’ensemble des investis en capital-risque au Royaume-Uni à la même période. Un
cinquième du capital-risque investi aux Etats-Unis en 2000 l’était à la Silicon Valley
(dont 80% dans le secteur TIC). Ce chiffre est passé à près d’un tiers en 2005
(27%), soit un accroissement de 6 points sur la période.

Autre record de la Vallée, celui des revenus des entreprises et des actifs.
Concernant les entreprises tout d’abord, la valeur ajoutée par employé aux Etats-
Unis, était de 80.000 dollars en 1996. Elle était de 100.000 dollars en 2006. Soit un
accroissement de 25% en 10 ans. Dans le même temps, dans la Silicon Valley, les
chiffres correspondants étaient de 90.000 et 120.000 dollars : une augmentation
de 13 points supérieure (33%) et un différentiel qui s’est accentué (20% en 2006
contre 11% en 1996). Concernant les salaires des actifs, le revenu nominal moyen
par ménage était de 74.302 dollars à fin 2006. Corrigé de l’inflation, il s’établissait à
55.000 dollars dans la Silicon Valley contre 35.000 en moyenne nationale. Soit une
différence de 50%.

Enfin, dans une région, la Californie, souvent dénommée « the trees huggers
state » ou encore l’Etat de ceux qui, littéralement « étreignent les arbres » ou de
manière plus figurée, respectent l’environnement, la Silicon Valley donne
l’exemple. En effet, près de 8% de l’énergie californienne est renouvelable et la
Silicon Valley représentait à elle seule, en 2006, plus de la moitié de ce total
(4,5%). Et le parc de véhicules hybrides est le double de celui de la Californie, Etat
déjà considéré comme le plus avancé en la matière. La Vallée comptait, à cette
période, 25% des investissements « Cleantech » (énergie renouvelable, efficacité
énergétique, qualité environnementale) de Californie et 5% du total national. A elle
seule, la Silicon Valley fait mieux que l’Etat du Massachussetts ou celui du
Maryland.

Comment donc ce territoire est-il devenu aussi performant ? Comment s’y est
opéré le passage entre l’ancien monde, rural, de tradition agricole à l’excellence
technologique ?

2.2 DE LA TRADITION AGRICOLE A L’EXCELLENCE TECHNOLOGIQUE


ème
Jusqu’au début du 20 siècle ce territoire était plutôt reconnu pour les produits de
sa culture maraîchère, convoités par plusieurs autres régions. A l’époque des
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milliers d’hectares sont consacrés à la production de fruits de grande qualité et à
l’exploitation de vignobles réputés sur une surface s’étendant de la pointe sud de
San Francisco, tout au long de la côte occidentale de la Baie jusqu’à l’Est de

- 49 -
l’Oakland. En 1896, le journal San Jose Mercury publiait à la « Une », un encart
« Sunshine, Fruit and Flowers » vantant les atouts de la Vallée, qu’à l’époque on
surnommait « the valley of heart's delight », c’est-à-dire « la vallée des délices du
cœur ». Les industries de transformation agricoles et de conserveries dominaient
alors le paysage industriel (Laws, 2003). Les dernières d’entre elles ont fermé à la
fin des années 1970.

L’invention des circuits intégrés en 1959 conduit à l’explosion de l’industrie des


semi-conducteurs dans la région. La nouvelle vague industrielle est portée par une
quarantaine de firmes qui sont créées à l’époque, dont l’emblématique Shockley
Semiconductor qui donnera plus tard naissance à Fairchild, puis aux entreprises
Advanced Micro Devices, National Semiconductor et Intel (Kenney et alii, 2000).

Au début des années 1960 Don Hoefler, journaliste au magazine Electronic News,
a donné au Comté de Santa Clara et à son agglomération le nom de « Silicon
Valley ». Le terme de « silicon », qui évoque la nouvelle spécialisation du territoire
dans l’électronique, est lié au silicium utilisé dans la fabrication de puces
électroniques. A ses débuts, la Silicon Valley abritait 45 des 50 firmes spécialisées
dans la conception et la production de semi-conducteurs aux Etats-Unis sur une
bande étroite située entre Palo Alto et le Nord-Est de San José. Les innovations
apportées par les circuits intégrés ont été démultipliées avec la découverte des
microprocesseurs par Intel en 1971.

Trois acteurs sont déterminants dans la transformation de la Silicon Valley. A la


fois individuellement et en synergie les uns avec les autres, ils ont permis
l’émergence de la Silicon Valley comme pôle mondial de l’innovation dans les
hautes technologies. Il s’agit de l’Université de Stanford, de l’Armée américaine, et
enfin de la communauté des affaires, en particulier les fonds d’investissements.
Les différents acteurs locaux entretiennent une culture faite à la fois de complicité,
d’entraide, d’ouverture à l’autre et d’excellence, mais aussi de concurrence
acharnée et de goût du risque (Saxenian, 1996).

Il convient de mettre en relief le rôle moteur de l’Université de Stanford. Plus gros


employeur local (10.000 personnes), Stanford s’étend sur 2500 hectares de
terrains boisés. Elle constitue un établissement d’élite : parmi ses enseignants, on
compte 18 prix Nobel. Et les étudiants, issus du monde entier, font l’objet d’une
très forte sélection. Autre caractéristique, Stanford est organisée de manière à
valoriser au mieux les produits de la recherche qui y est menée. Ainsi, elle dispose
de trois bureaux déterminants pour aider les jeunes chercheurs à transformer leurs
inventions en innovations : le Bureau de la recherche subventionnée (OSR), le
Bureau des contrats industriels (ICO) et le Bureau des licences de technologie
(OTL). Ces différentes entités contribuent à organiser les liens formels et informels
entre l’Université et les entreprises. Objectif : promouvoir les transferts de
technologie de l’une aux autres et générer des revenus à même de participer au
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financement de la recherche et de l’enseignement. Trois acteurs se partagent les
revenus des licences cédées : les inventeurs, les départements d’origine des
chercheurs/étudiants et les écoles (facultés). Grâce à ce dispositif, Stanford

19
« Sunshine, Fruit and Floers » peut être traduit « Du Soleil, des fruits et des fleurs »

- 50 -
exploitait 109 licences en 2006 qui lui ont procuré un revenu additionnel de 61,3
millions de dollars. Il faut rajouter à ces licences, la même année, les produits de la
vente d’une partie des actions qu’elle possède au sein de Google. Cela est réalisé
au titre de l’exploitation de la licence du «PageRank » (technologie dont nous
détaillerons plus loin le principe) dont elle partage le bénéfice avec l’entreprise
jusqu’en 2011. Gain de l’opération pour Stanford : 336 millions de dollars . Par
comparaison, le budget total de l’Université Pierre et Marie Curie , considérée
ème
comme le meilleur établissement français d’enseignement supérieur (39 à
l’échelle mondial) était à la même époque de 258 millions d’euros (316 millions de
dollars), montant à peine égal à la seule contribution de Google au budget de
Stanford…

C’est donc dans cet établissement, Stanford, que naissent les entreprises les plus
performantes de la planète. Dans cette université, on ne vient pas simplement pour
faire d’excellentes études, mais aussi pour suivre le modèle de pionniers qui ont
apporté les innovations les plus remarquables au secteur des TIC. Parmi les
nouveaux modèles, Google, dont nous analyserons ci-après, les principaux
ressorts de l’innovation.

3 - ANALYSE DE L’INNOVATION AU SEIN DE GOOGLE


Avec une capitalisation supérieure à 200 milliards de dollars, un chiffre d’affaires
de près de 10,6 milliards de dollars à fin 2006 et un résultat net de 3 milliards,
Google , créée il y a moins de 10 ans (1998), est assurément l’une des
entreprises les plus performantes de la planète. Selon le cabinet d’audit Deloitte
Touche Tohmatsu, en 2004, Google avait connu la croissance la plus forte de tous
les temps en cinq ans : 400.000% ! En 2007, avec 2313% de croissance par
rapport à 2002, l’entreprise avait ralenti sa course mais était toujours en pointe du
palmarès des sociétés dont la hausse de revenu est la plus spectaculaire.

3.1 DE LA START-UP INNOVANTE AU LEADER MONDIAL

Tout commence en 1998 quand Larry Page et Serguei Brin, doctorants, tentent de
vendre le moteur de recherche révolutionnaire qu’ils viennent d’inventer. L’OTL de
Stanford se charge de contacter des entreprises. Le contact avec David Filo, lui
aussi ancien étudiant de l’Université, l’un des fondateurs de Yahoo !, est ainsi
facilité (Ichbiah, 2007). Brin et Page font des « roadshow » chez tous les grands
acteurs du web de l’époque et chez plusieurs fonds de capital-risque. Mais à
l’époque, la valeur des moteurs de recherche est mal comprise. Toute l’énergie est
portée sur le développement de portails. Rejetés mais pas découragés, ils
poursuivent leur projet à l’adresse google.stanford.edu. David Filo leur conseille de
créer leur propre entreprise (Battelle, 2006).

20
Journal Les Echos, 23/03/2007
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21
Rapport d’évaluation de l’Université Pierre et Marie Curie
http://www.cne-evaluation.fr/WCNE_pdf/Paris6_2005.PDF
22
Classement mondial annuel effectué par l’Université Jiao Tong de Shanghai (Résultats 2007)
23
"Google" est un jeu de mots sur "googol" qui a été inventé par Milton Sirotta, neveu du mathématicien
Edward Kasner. Un googol est le chiffre 1 suivi de 100 zéros.
24
Présentations auprès d’investisseurs.

- 51 -
Un de leurs professeurs, David Cheriton est un ami d’Andy Bechtolsheim,
cofondateur de Sun. Deux ans auparavant, ces deux personnes étaient devenues
très riches en vendant Granite System à Cisco pour 250 millions de dollars. En
août 1998, à l’issue d’une demi-heure d’échanges avec Brin et Page, David
Cheriton fait un chèque de 100.000 dollars à l’intention de Google Inc qui n’existait
pas encore !
Un business Angel, Ram Shiram, un des fondateurs de Netscape, leur donne
environ 200.000 dollars, les conseille une demi-journée par semaine et facilite leur
rencontre avec deux sociétés de capital-risque au cœur de leur succès : Kleiner
Perkins Caufield & Byers (qui a notamment financé Amazon) et Sequoia Capital
(qui a notamment financé Yahoo !). C’est également lui qui les a présentés à Jeff
Bezos, fondateur d’Amazon auquel Shiram avait vendu Junglee, une autre société
qu’il avait créée (Battelle, 2006).

En 1999, ces deux sociétés lèvent 25 millions de dollars au profit de Google et en


prennent chacune 10% des parts. Huit ans plus tard, près des deux tiers des
internautes, à l’échelle mondiale, utilisent le moteur de recherche de la compagnie
de Serguei Brin et Larry Page pour effectuer leurs requêtes. Conséquence : ces 61
milliards de requêtes mensuelles sont monétisées par Google pour vendre des
espaces publicitaires aux annonceurs.

Pour rester en tête du marché mondial de l’Internet, autour de son moteur de


recherche, Google a développé près d’une centaine de services qui attirent
également des millions d’utilisateurs. Les plus connus d’entre eux sont sans doute
AdWords, le programme de publicité en libre-service, Picasa, le gestionnaire de
photos en ligne, Earth, le simulateur d’images satellites en 2D et 3D et You tube, la
plateforme vidéo. Et la firme de Mountain view s’apprête à sortir dans quelques
mois, un téléphone révolutionnaire : le « Gphone »… Ces services ont été créés
par les ingénieurs de l’entreprise ou proviennent de l’acquisition de sociétés
externes. Dans les deux cas, il s’agit d’un développement reposant sur des offres
innovantes apportant des ruptures sur le marché.
Comment est donc gérée l’innovation qui constitue l’une des clés essentielles du
succès de cette firme qui se donne pour mission d' organiser et de mettre à
disposition, à l'
échelle mondiale, l’ensemble des informations numériques dans le
but de les rendre accessibles et utiles à tous ?

3.2 L’INNOVATION « YIN-YANG » : CLE DE LA PERFORMANCE


Nous proposons d’envisager le processus d’innovation chez Google par analogie
aux deux principes clés de la cosmologie chinoise : le Yin et le Yang.

Ces deux principes de nature différente, mais symbiotiques et complémentaires


entretiennent une relation d’interdépendance, l’un ne se concevant pas sans
l’autre. Le manque de l’un entraîne le déséquilibre, voire la mort. La dynamique de
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maintien des deux principes provient du fait qu’ils s’engendrent mutuellement.

- 52 -
Figure 1 :
Yin et Yang

L’analogie que nous suggérons avec l’innovation est la suivante : nous


envisagerons l’innovation cœur de métier (technologique, marketing et
commercial) comme étant le Yin, et l’innovation dans les dispositifs et processus
de management comme étant le Yang, les deux étant indissociables comme nous
allons l’expliquer ci-dessous.

3.2.1 Les innovations cœur de métier (Yin) : des ruptures technologiques,


marketing et commerciales

Une rupture dans l’univers des moteurs de recherche : de


nouveaux algorithmes

Les moteurs de recherche de la fin des années 1990 étaient limités à la recherche
de mots clés associés à des pages web. Avec la quantité d’informations
disponibles sur le web, ce mode de requête insuffisamment discriminant était peu
satisfaisant. Ainsi, certains sites introduisaient de manière masquée des mots clés
très recherchés afin d’accroître leur consultation. L’internaute se trouvait démuni
face à ces procédés et ne retrouvait pas facilement l’information recherchée.

Pour résoudre cette contrainte, Page et Brin ont orienté leur thèse de doctorat sur
l’analyse des liens pointant sur un site pour en évaluer la pertinence. L’un de leurs
professeurs, Hector Garcia-Molina leur a suggéré l’idée de jauger la valeur
subjective d’une page. Les deux étudiants ont alors cherché à mettre au point un
modèle à même de dénombrer le nombre et la notoriété (mesurée en flux) de sites
web pointant vers un autre site pour en mesurer la pertinence. Selon des
algorithmes mathématiques recherchant le degré de pertinence le plus élevé, les
pages se voient attribuer un classement (PageRank : littéralement classement de
Larry Page). Quand le robot de Google (GoogleBot) visite une page Web, il indexe,
analyse la structure de la page et suit et organise les liens vers les autres pages
Web et modélise l’ensemble des liens entre l’ensemble des sites du réseau, pour
évaluer la pertinence de chacun d’eux.
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Courant 2005 déjà, Google comptait près de vingt milliards de pages indexées .
Pour stocker toute cette information qui s’est largement accrue et qui est sans

25
25/08/2005

- 53 -
cesse croissante (46 millions d’internautes en 1996, 1,6 milliard en 2006), se pose
désormais la question de l’infrastructure que Google a en partie résolue et qui
demeure la plus critique.

Une rupture dans les modalités de stockage des données :


Google, une société d’infrastructures

Dès la mise au point de leur premier prototype à Stanford, Page et Brin ont innové
pour adresser la problématique du stockage des données. Ils ont acheté les PC les
moins chers du marché, y ont installé le système d’exploitation Linux26 et ont mis
tous ces ordinateurs en réseau.

En 2006, le nombre de serveurs de Google était estimé à 450.000 (CSTI, 2006).


La part du chiffre d’affaires de l’entreprise consacrée aux « Datacenter » était alors
de 13,9%.
La consommation moyenne d’un serveur est d’environ 200 watts/heure et Google
est l’un des plus importants détenteurs d’ordinateurs au monde. Et les 210 millions
de requêtes par jour effectuées sur le moteur de recherche représentent une
dépense énergétique moyenne de 750 MW par an. Pour ces raisons, l’entreprise a
entrepris un vaste programme d’innovation portant sur la réduction de la
consommation électrique de ses serveurs. L’entreprise a notamment cofondé «
Climate Savers Computing », une initiative visant à accroître l’efficacité
informatique afin de réduire de 54 millions de tonnes/an les émissions de CO2 d’ici
2010 .

AdWords et AdSense : de puissantes « machines » publicitaires

Contrairement aux portails et moteurs de recherche de la fin des années 1990,


Page et Brin n’ont pas cédé à la mode des bandeaux publicitaires et des
animations flash, à la fois non contextuels et envahissants. La définition du
système des AdWords (colonne de liens publicitaires payants placée sur la droite)
empruntée à la société Overture (Bill Gross) mais reconfigurée avec des
algorithmes beaucoup plus puissants, a été la deuxième innovation importante de
Brin et Page.

La seconde source de revenus provient des AdSense : des liens commerciaux


placés sur d’autres sites. Des liens contextuels sont affichés sur un site. Lorsqu’un
internaute clique dessus, les bénéfices sont partagés entre Google et le site
d’accueil.
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26
Système d'exploitation libre, multitâche, multi-plateforme et multi-utilisateurs de type UNIX créé par
Linus Torvalds, souvent désigné comme le noyau Linux.
27
www.climatesaverscomputing.org

- 54 -
3.2.2 Les innovations « Yang » : des ruptures dans le management de
l’innovation

Un confort élevé des employés

Google c’est d’abord un espace de travail stimulant et sans doute unique au


monde : le Googleplex . Le siège social de la compagnie, à la croisée d’un
campus universitaire, d’un centre de loisirs, d’un parc naturel et d’un édifice de
science-fiction est en soi innovant. Ses nombreux restaurants de bonne facture et
gratuits, ses salles de sports et coachs personnalisés, ses salles de travail
futuristes et les nombreux espaces de relaxation et de dégustation de cafés, de
thés et autres en-cas d’excellente qualité, constituent un grand confort pour les
salariés. Ces derniers peuvent aussi avoir la conscience tranquille, l’énergie
consommée par eux durant leur activité est à 30% d’origine solaire (1,6 Mégawatt).

Le confort ne se limite pas à l’architecture et aux petits plaisirs sur place. Il


commence dès le matin, au sortir du domicile. L’employé de Google, encore
appelé « googler » a le choix du moyen de transport le plus adapté à ses envies et
le plus respectueux de l’environnement. Il peut emprunter l’un des trente autobus
de la compagnie, qui offrent un accès internet à bord, permettent le transport de
bicyclettes ou d’animaux de compagnie et roulent au biodiesel… Plutôt
individualiste, il préférera sans doute rouler dans sa voiture personnelle. Dans ce
cas, si sa voiture est « éco-friendly », c' est-à-dire peu polluante, il recevra une
prime annuelle de 5000 dollars.

Des salariés-entrepreneurs

Les employés de Google (15.000 dans le monde à ce jour) peuvent aussi rêver
d’être riches. Dès 2004, avant son introduction en bourse, la société comptait près
de 900 millionnaires. En 2005, pour garder la possibilité de toujours réaliser cette
promesse de partage de la richesse créée, le Founder’s Awards a été créé visant à
attribuer jusqu’à 10 millions de dollars à des employés ayant significativement
contribué au développement de la société grâce à des services innovants. Ce
nouveau programme a pour but essentiel de retenir les talents les plus prometteurs
qui sans cela, partiraient créer leur propre entreprise que Google rachètera peut
être demain à un montant beaucoup plus élevé.

Autre moyen de s’assurer de tirer le maximum du potentiel de chacun, Google offre


20% de temps libre à ses salariés. Les dirigeants de la compagnie partent de
l’hypothèse que l’innovation a besoin de liberté. Un salarié qui serait en production
100% dans une semaine de travail a peu d’espace de réelle innovation. Sur les
20% de temps libre, l’employé peut avancer sur une idée personnelle et la
soumettre aux dirigeants au travers d’un système électronique de traitement des
idées. Par ailleurs, les managers des différentes équipes doivent consacrer deux à
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trois heures par semaine à discuter avec leurs employés de leurs nouvelles idées.
Des réunions d’échanges hebdomadaires sont organisées pour affiner les projets.

28
Immersion de l’auteur sur place (Googleplex, Mountainview, juin 2007).

- 55 -
Enfin, 8 sessions annuelles de brainstorming sont organisées avec la participation
de plus de 100 ingénieurs par session.

6 idées par heure, 100 projets en permanence validés par les pairs

L’ensemble de ce dispositif permet à l’entreprise de disposer à tout moment de 6


idées par heure et d’une liste priorisée de 100 projets dont les plus aboutis sont
présentés au grand public sur http://labs.google.com/. Le passage de l’idée au
projet s’accomplit par une notation (de 1 à 5). Seuls les projets notés 4 et 5 sont
retenus. La note attribuée est une combinaison de l’apport potentiel pour les
utilisateurs, l’opportunité de diversification stratégique pour Google, le niveau de
risque de l’investissement, le temps et la complexité à le mettre en œuvre.

Contrairement aux entreprises traditionnelles, la sélection n’est pas opérée


exclusivement par le management représenté par un Directeur ou un Comité
Exécutif ou encore par la fonction Marketing (Girard, 2006). Elle est opérée par
une méthode issue du monde académique, le peer review. Le peer review est un
groupe de collègue de haut niveau, parmi les plus compétents sur les
problématiques concernées par le projet au sein de l’entreprise. A ce groupe qui se
réunit une fois par semaine, incombe la responsabilité de décider du lancement, de
l’interruption ou de la poursuite d’un projet.

L’expérience utilisateur : seule juge de l’avenir des services

Dès qu’un projet est décidé, une « Unité » est créée . Elle est constituée de 3
ingénieurs qui ont pour mission de transformer l’idée initiale en prototype. Ils
disposent pour cela de 3 à 4 mois. Un chef de projet est nommé pour superviser 3
unités (9 personnes).

Lorsque le produit est disponible, testé et mis en ligne, une équipe mixte
(marketing stratégique et ingénieurs produits notamment) de monétisation des
services est constituée. Sa mission : identifier comment améliorer en permanence
les services proposés, en réponse aux besoins des utilisateurs, et faire gagner le
maximum d’argent à la firme. Les services de Google étant gratuits, il s’agit de
générer des revenus publicitaires additionnels. Les moyens pour réaliser la
mission : réaliser des études marketing pointues à partir des statistiques
d’utilisation des fonctionnalités mises à disposition. Pour cela, une partie des
mesures est collectée automatiquement et agrégée. Une autre provient d’analyse
des remarques et recommandations faites sur la « Miscellaneous list » générée
pour chaque produit.
Celle-ci agrège les notifications faites par environ 1000 « Googlers » qui s’y sont
inscrits ou par 150.000 utilisateurs externes à la firme.

29
A partir de 2004, la liste des 100 projets suivis pour l’ensemble de l’entreprise a été abandonnée.
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Chaque Direction/spécialité de l’entreprise a désormais une liste qui lui est propre. Une liste plus
restreinte est suivie au niveau Corporate
30
Informations issues de la présentation faite par Marissa Mayer, Vice Présidente de Google en charge
de la stratégie produits et de l’expérience utilisateur, le 8 janvier 2003 « Silicon Valley Product
Management Association »
31
Employés de Google

- 56 -
Les statistiques sont compilées et analysées une fois par semaine. Leur étude
permet des évolutions des services proposés. Elles sont aussi « benchmarkées »,
c’est à dire comparées avec les résultats de services existants de Google ou de
ceux de la concurrence pour en accroître les leviers de monétisation. Toute
décision est soumise à une analyse chiffrée, quantifiée et argumentée.

Un recrutement très sélectif

Au cœur de l’organisation de Google, un autre ferment de l’innovation est la


sélection poussée du personnel. Google recrute environ 100 personnes par
semaine. Elle recrute les meilleures élèves des meilleures universités. Les deux
dirigeants eux-mêmes docteurs de Stanford ont la conviction que les « gens
brillants ont des idées brillantes ». Les personnes présélectionnées à l’issue de la
revue des CV doivent passer une série de huit entretiens techniques (relatifs à
l’expertise pour laquelle le recrutement est opéré) réalisés par des salariés de
Google. La priorité est donc accordée au talent. Les aspects d’évaluation portant
sur le plaisir du travail en commun sont évalués lors des entretiens techniques qui
ressemblent à de premières réunions de travail.

La transformation d’idées en projets de nouveaux produits et services ne constitue


pas le seul effort de développement de la compagnie. De véritables travaux de
recherche à plus long terme y sont également menés sur le cœur de métier (les
nouveaux modèles de structuration et la recherche de données numérisées), mais
aussi sur des aspects connexes (infrastructures, maîtrise énergétique, bio-
informatique, etc.). En 2006, l’investissement dans la recherche représentait
environ 10% du chiffre d’affaires (70% sur le cœur de métier et 30% sur les volets
connexes). Cela représentait un accroissement de 148% par rapport à la période
précédente .

Des acquisitions externes

Lorsque la stratégie de l’entreprise l’exige, Google procède également à des


rachats externes, complémentaires à son offre. A ce jour et depuis 2001, Google a
procédé au rachat de 44 entreprises pour un montant global non communiqué,
mais que l’on peut évaluer à 6 milliards de dollars environ.

Les enjeux de ces absorptions sont clairs : enrichir l’offre de services, développer
la suite bureautique en ligne, et accroître les revenus publicitaires. Les rachats
récents les plus emblématiques sont ceux de DoubleClick (3,1 milliards de dollars),
régie publicitaire leader mondial spécialisée dans les annonces en ligne et
YouTube (1,65 milliard de dollars), numéro un du partage de vidéos en ligne.

Des projets « citoyens » innovants


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En dehors de leurs heures de travail, les googlers qui ont encore de l’énergie,
peuvent aussi innover «pour l’humanité ». Eux qui se sont engagés dans une
firme dont la devise est « Ne faites pas le mal !», ont la possibilité de participer à la

32
Business Week, 21 juillet 2006

- 57 -
Fondation Google Org (www.google.org). Celle-ci a pour objet d’adresser, au
moyen de projets innovants, trois enjeux considérés comme prioritaires par les
deux fondateurs de Google : la lutte contre le réchauffement climatique, la
sauvegarde des biens publics (grands écosystèmes, patrimoine culturel mondial,
biodiversité,…) et la réduction de la pauvreté. Initialement dotée à sa création de
90 millions de dollars, la Fondation bénéficie chaque année d’1% des actions, 1%
des profits et 1% du temps des employés de Google.

CONCLUSION
Compte tenu des écarts de performance entre la France (et l’Europe ) et les Etats-
Unis, en matière de création d’entreprises innovantes, on pourrait penser que la
bataille est d’emblée perdue. Loin de là, car des exemples existent (Soitec,
Business Objects, Gemplus, Kelkoo,…) attestant du potentiel élevé du marché
national. Par ailleurs, des initiatives ont été récemment adoptées permettant de
renforcer l’entreprenariat innovant (pôles de compétitivité, Fonds de compétitivité
des entreprises, création d’Alternext, exonérations fiscales ciblées, etc.). Mais il
convient d’être particulièrement vigilant à quatre enseignements :

Premier enseignement : Si l’on prend en compte les atouts intrinsèques (niveau de


formation des dirigeants, segments de marché visés, etc.) comparables, les start-
up ne sont pas toutes égales. Leur lieu de localisation est un facteur discriminant
dans leur succès potentiel. Le territoire et les externalités que ce dernier génère
importent. Il permet notamment des rencontres clés pour le développement des
entreprises, au moment opportun. Comme le percevait déjà Alfred Marshall au
début du vingtième siècle: “When an industry has thus chosen a locality for itself, it
is likely to stay there long: so great are the advantages which people following the
same skilled trade get from neighbourhood to one another. The mysteries of the
trade become no mysteries; but are as it were in the air, and children learn many of
them unconsciously" (1890/1916, p281). Les modèles de développement de la
Silicon Valley et ceux d’autres clusters innovants en témoignent (Diallo, 2006). A
l’échelle française, cela signifie sans doute qu’il convient d’éviter la dispersion et le
saupoudrage des efforts d’incitation et mieux cibler les efforts vers l’entreprenariat
innovant. Dans ce sens, les 71 pôles sont certainement trop nombreux et même
les 10 à vocation mondiale. L’évaluation prochaine de ces pôles devra éclairer cet
aspect.

Second enseignement : La R&D ne suffit pas ! De nombreux travaux ont montré


les limites d’une innovation seulement perçue dans sa composante scientifique
(Forest et al, 2005). Au-delà des travaux académiques, une étude systématique
menée par le cabinet de conseil en stratégie Booz Allen Hamilton portant sur
l’analyse de 85% de la R&D privée mondiale, effectuée par les 1000 premiers
groupes mondiaux aboutit à des conclusions semblables. « L’augmentation des
budgets R&D permet d’accroître le nombre de brevets, mais il n’existe pas de
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relation statistique entre le nombre ou la qualité de ces brevets et la performance
financière ». Les sociétés qui optimisent les retours sur leurs investissements R&D
se distinguent non pas par le montant des budgets qu’elles investissent mais par la

33
A l’exclusion de la Scandinavie, où l’entreprenariat innovant est particulièrement dynamique

- 58 -
qualité de leurs processus de génération d’idées, de sélection de ces idées, de
développement et de commercialisation » (Booz Allen Hamilton, 2005). Les start-
up ne doivent donc pas surestimer le poids de la R&D et des brevets qui peuvent
certes constituer des barrières à l’entrée, mais ne sont pas suffisantes à la
performance.

Troisième enseignement : le succès d’une start-up innovante et sa performance


dans le temps sont liés à sa capacité à faire coïncider des innovations radicales et
des attentes des clients finaux. Comme indiqué plus le haut, le caractère radical
des innovations ne repose pas uniquement sur les inventions. Comme l’illustre
l’expérience de Google, les composantes marketing, commerciales qui
l’accompagnent sont indispensables. Et l’ensemble ne pourrait fonctionner sans la
dimension managériale, également cruciale. Nous avons proposé le concept
d’innovation yin-yang pour illustrer cet aspect symbiotique des innovations relatives
au cœur de métier et celles liées à la gestion des hommes.

Quatrième enseignement : Les start-up innovantes, parmi les plus performantes au


monde ont été créées aux Etats-Unis par des primo-entrepreneurs âgés de moins
de 30 ans, sans expérience professionnelle préalable et indépendants
d’entreprises installées. Cela est caractéristique à la fois d’une mentalité (goût pour
la prise de risque), d’ambitions fortes nourries par les success stories et le soutien
d’aînés et par l’implication très forte des Universités dans la dynamique
entrepreneuriale, en particulier celle de Stanford. En France, des atouts similaires
pourraient être créés en « débureaucratisant » le soutien à l’innovation.
Comment cela pourrait-il être réalisé? Par une prise de conscience plus forte des
médias, de la société civile. Ce support à la dynamique entrepreneuriale pourrait
s’appuyer sur l’implication des Présidents d’universités et des Directeurs de
grandes écoles, appelés à collaborer ensemble à la mobilisation des jeunes
cerveaux et à l’instauration de liens forts avec les modèles à suivre : les serial
entrepreneurs innovants et français tels Denis Payre, Bernard Liautaud, André-
Jacques Auberton-Hervé, Marc Simoncini, Pierre Chappaz, Jean-Michel
Planche,… Un effort substantiel devra également être fait dans le développement
de fonds d’amorçage, quasi inexistants et pourtant indispensables. Un jeune
entrepreneur innovant français n’a que très peu de soutien entre le ticket d’entrée
moyen que peut lui concéder l’OSEO, souvent trop faible, et la prise de
participation d’un capital-risqueur (1,5 à 2 millions d’euros), trop élevé.

Des travaux complémentaires systématisant l’étude sectorielle et internationale


d’expériences significatives, sous l’aspect statistique, de start up innovantes,
permettront d’approfondir ces quatre enseignements et d’en tirer de nouveaux,
utiles tant pour les sciences économiques que pour les sciences de gestion des
entreprises, mais aussi pour les managers et décideurs publics et privés.
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ABSTRACT
How start ups may turn into worldwide groups: The Google case

Based on a thorough field study and an in-depth review of the relevant literature,
this article focuses on four main objectives. It shows why innovative startups are at
the core of the US economic performance, in constrat with the situation observed in
France. It then covers the main reasons explaining why most of these companies
are clustered in the Silicon Valley. Through a business case on Google inc., it
breaks down the main drivers of innovation. The key learnings of this paper are
intended to support the decision making process of managers and policymakers
towards fostering innovation.

MOTS CLÉS : INNOVATIONS RADICALES, JEUNES POUSSES, ENTREPRENEURIAT,


MANAGEMENT DE L’INNOVATION, GRAPPES TECHNOLOGIQUES,
ECONOMIE DE LA CONNAISSANCE, CROISSANCE ECONOMIQUE PAR
L’INNOVATION, PERFORMANCE ECONOMIQUE

KEYWORDS : DISRUPTIVE TECHNOLOGIES, START-UP, INNOVATIVE


ENTREPRENEURSHIP, INNOVATION MANAGEMENT, CLUSTERS,
KNOWLEDGE BASED ECONOMY, ECONOMIC GROWTH THROUGH
INNOVATION, ECONOMIC PERFORMANCE

BIBLIOGRAPHIE
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