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Échiquier de la gouvernance : administrateurs

indépendants et latitude discrétionnaire : cas des


entreprises françaises
Dorsaf Bentaleb Sfar
Dans Recherches en Sciences de Gestion 2020/5 (N° 140), pages 289 à 313
Éditions ISEOR
ISSN 2259-6372
DOI 10.3917/resg.140.0289
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THÉORIE DES ORGANISATIONS
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revue Recherche en Sciences de Gestion-Management Sciences-Ciencias de
Gestión, n°140, p. 289 à 313

Échiquier de la gouvernance : administrateurs


indépendants et latitude discrétionnaire : cas des
entreprises françaises

Dorsaf Bentaleb Sfar


Maître Assistante
Institut Supérieur de Gestion de Tunis,
LR11ES02
Université de Tunis
(Tunisie)
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Nous abordons, dans le cadre de cette proposition, le poids
des administrateurs indépendants sur la latitude discrétionnaire des
managers, développée dans le cadre de l’activisme managérial.
L’étude statistique menée sur les entreprises françaises, sur une
période de 14 ans (2002 à 2015), montre que les administrateurs
indépendants agissent défavorablement sur l’ancienneté du dirigeant
dans son poste et renforcent le cumul qu’ils opèrent entre les mandats
de manager et de président du conseil d’administration.

Mots-clés : Discrétion managériale - Administrateurs indépendants -


Activisme managérial - Gouvernance.

As part of this proposal, we discuss the weight of independent


directors on the discretionary latitude of managers, developed within
the framework of managerial activism. The statistical study conducted
on French companies, over a period of 14 years (2002 to 2015),
shows that independent directors act unfavorably on the seniority of
the executive in his position and reinforces the accumulation they
operate between the mandates of manager and chairman of the board
of directors.

Key-words: Managerial discretion - Independent directors –


Managerial activism - Governance.
290 DORSAF BENTALEB SFAR

Como parte de esta propuesta, discutimos el peso de los


directores independientes en la latitud discrecional de los gerentes,
desarrollados en el marco del activismo gerenciales. El estudio
estadístico realizado en empresas francesas, durante un período de 14
años (2002 a 2015), muestra que los consejeros independientes
actúan desfavorablemente sobre la edad del ejecutivo en su puesto y
refuerzan la acumulación que operan entre los mandatos del gerente y
el presidente del consejo de administración.

Palabras-clave: Discreción gerenciales - Consejeros independientes -


Activismo gerenciano – Gobernanza.

Introduction
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Face aux changements et à l’incertitude du monde des
affaires, l’ambition de perfectionnement de la gouvernance acquiert de
plus en plus de poids (I .khanchel). De fait, l’intervention des
administrateurs indépendants s’impose dans les années récentes. Ces
acteurs, spécifiques, détiennent en effet une certaine technicité leur
permettant de préserver les intérêts des détenteurs de fonds.
D’ailleurs, les résultats de la plupart des recherches montrent qu’ils
disposent d’une certaine autorité capable de favoriser leur contrepoids
au niveau du conseil d’administration (G . Charreaux, 2015).
Néanmoins, si l’on tient compte des divers scandales
infirmant l’aptitude à surveiller les managers faute de biais
informationnel de leur part, différentes recherches ont remanié les
discussions en matière de gouvernance (I.Gomez ,2009 ; I .
khanchel,2009 , 2013 ; G. Charreaux ,2015). En ce sens, nous avons
enregistré une remise en cause du système de gouvernance par
plusieurs chercheurs qui infirment la pertinence des entités de
contrôle. La théorie de l’activisme managérial ou encore
d’enracinement, considérée dans cette perspective, constitue
l’illustration de l’insuffisance des mécanismes de contrôle. Elle
évoque l’alternative de l’élargissement de la latitude discrétionnaire de
la part des managers, tout en se montrant indispensable au
fonctionnement de l’entité. Diverses études ont relevé l’existence de
pratiques admises par les managers dans le sens du détournement des
mécanismes d’inspection de leur vocation centrale. La stratégie
d’activisme peut, ainsi, se baser sur une multitude de moyens
GOUVERNANCE : ADMINISTRATEURS INDÉPENDANTS & 291
LATITUDE DISCRÉTIONNAIRE

initialement élaborés pour l’opération de supervision (M. Paquerot,


1996). Cette alternative d’amplification de marge de manœuvre
managériale et d’extension de sa latitude discrétionnaire nous
interpelle par rapport au poids des administrateurs indépendants. Nous
suggérons la réponse à la problématique suivante : Quel est le poids
des indépendants sur la discrétion managériale ? Notre analyse admet
deux ambitions. La première comprend l’analyse théorique de la
relation entre les administrateurs indépendants et la discrétion
managériale. La deuxième est l’appréhension de la nature de la
relation soulevée dans le contexte de l’analyse des particularités des
entreprises françaises. Cette analyse cherche, spécialement, à valoriser
le rôle des indépendants quant à la limitation de l’inclinaison
discrétionnaire des managers. Certaines motivations nous incitent au
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traitement du cadre français. Premièrement, plusieurs nouvelles
démarches ont été admises en matière de contrôle managérial.
Subséquemment, nous avons assisté à la montée en puissance des
administrateurs indépendants. Sur l’échiquier de la gouvernance, ces
acteurs particuliers tendent à se transformer en pièce maîtresse. Révisé
en 2016, le Code AFEP-MEDEF recommande la présence importante
des administrateurs indépendants au sein des conseils
d’administration. Pour sa part, le code de gouvernement d’entreprise
MIDDLENEXT recommande la nomination d’au moins deux
administrateurs indépendants au sein des petites et moyennes entités et
suggère davantage de concertation. L’AMF, dans son 13e rapport
annuel sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des
dirigeants, suggère pareillement que le comité de rémunération soit
administré par un indépendant. Ensuite, plusieurs instances appellent à
la limitation de leur présence au CA et du nombre de mandats
cumulés. Selon Code AFEP-MEDEF (révision 2018), une durée
supérieure à douze ans est en mesure de remettre en question la
neutralité de leur intervention : « La perte de la qualité
d'administrateur indépendant intervient à la date des douze ans ».
Parallèlement, l’étendue du pouvoir managérial favorisé par la
concentration de capital, caractéristique des entreprises françaises,
nous a encouragés à s’interroger sur l’élargissement de leurs latitudes
managériales. De plus, les modifications apportées au code des
sociétés commerciales laissent présager l’alternative d’une inclinaison
opportuniste, et ce, par la consolidation du rôle des managers au sein
du CA des entités françaises. Les nouvelles dispositions
292 DORSAF BENTALEB SFAR

réglementaires laissent une marge de manœuvre aux organisations par


rapport à la nature et au nombre d’administrateurs indépendants, ainsi
qu’à la séparation ou au cumul des attributions de manager et de
président du conseil d’administration.
Ces diverses pistes ne peuvent que soutenir notre orientation
vers l’efficacité des mécanismes de gouvernement pour aborder la
spécificité des indépendants en matière de contrôle dans un cadre en
perpétuelle transformation. Dans une première phase, l’article rappelle
les analyses avancées au sujet du rapport entre le contrôle des
indépendants et la discrétion managériale. Ensuite, il s’agira de
présenter les postulats de base, ainsi que le cadre méthodologique de
l’analyse effectuée sur le contexte français. Les constats et la synthèse
des résultats empiriques feront l’objet de la dernière partie.
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1. – Cadre théorique de la relation entre administrateurs
indépendants et latitude discrétionnaire

Cette partie vise à positionner le rôle des administrateurs sur


l’échiquier de la gouvernance et par rapport à la latitude
discrétionnaire.

1 .1. Gouvernance par les indépendants

Un administrateur est dit indépendant s’il est détaché de toute


forme d’intérêt et que, par son expertise et sa neutralité, il œuvre au
bon fonctionnement du conseil d’administration. Ainsi, il ne doit pas
se trouver en situation de conflit d’intérêt, voire dans une position
susceptible de vicier son implication et son indépendance. Le Code
AFEP-MEDEF, tel que révisé en 2018, précise qu’un administrateur
indépendant doit impérativement répondre aux critères aussi bien
implicites qu’explicites. Dans la vision synthétique de G. Charreaux
(2000) qui joint la perspective disciplinaire à l’approche cognitive :
« les qualités demandées aux administrateurs ne se conçoivent plus
alors en termes d’indépendance et d’expertise en matière de contrôle,
selon la distinction interne/externe, mais en fonction des contributions
cognitives pouvant s’intégrer dans un projet collectif » (G. Charreaux,
2000). Ainsi, outre la surveillance étroite des équipes dirigeantes, les
indépendants (désormais Al) doivent jouer le rôle de conseil
stratégique. D’ailleurs les recherches de N. Krifa et J. Maati (2019),
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LATITUDE DISCRÉTIONNAIRE

en mettant en lumière le rôle central des capacités, compétences et


connaissances, tout en maintenant la vision strictement disciplinaire,
ont exposé les attributs cognitifs relatifs aux choix des Al ;
l’expérience acquise dans le secteur d’activité, l’expérience en tant
que dirigeant, la formation élitiste et l’expertise financière sont autant
de critères de choix. Il peut s’agir d’un directeur comptable, d’un
directeur administratif et financier, d’un trésorier, d’un membre de la
direction générale d’une banque, d’un contrôleur de gestion, d’un
professeur de finance ou de comptabilité, d’un conseiller en
investissements, d’un avocat d’affaires, d’un dirigeant externe ayant
exercé dans une autre entreprise cotée, d’un diplômé d’une institution
élitiste, etc. L’expérience et les connaissances acquises par ces acteurs
favorisent probablement la gestion de décisions complexes. Il est ainsi
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indispensable qu’il s’agisse d’une personne ne faisant pas partie de
l’exécutif et dépourvue d’attaches particulières de sang ou d’argent
avec des actionnaires de la société, ou même avec des membres
dirigeants. Cette personne doit également faire preuve de son
expérience, de sa compétence et de son implication. Plusieurs analyses
ont démontré le poids des administrateurs indépendants au niveau du
conseil d’administration. Grâce au bien-fondé de leurs connaissances
et à leur indépendance par rapport à l’organisation, ils jouent le rôle
d’inspecteurs indépendants de gestion. Leur neutralité à l'égard des
managers leur permet de contester les décisions les plus
controversables (L. Godard, 1996 ; H. Alexandre et M. Paquerot,
2000). D’ailleurs, le degré d’autonomie des entités de contrôle est
fonction de leur présence marquante (S. Rosenstein et J-G. Wyatt,
1990 ; N. Krifa et J. Maati, 2018). Le degré d’affranchissement d’un
conseil d’administration est fortement attaché à sa composition (K.
John et L.W. Senbet, 1998). De fait, il est recommandé de prolonger
la durée du mandat des indépendants au CA et de favoriser le cumul,
car le cumul des mandats d’administrateurs et la durée de présence au
CA se présentent comme deux attributs relationnels et cognitifs
récemment débattus au niveau de la littérature (K .T Haynes et A.
Hillman, 2010; N . Krifa, et J. Maati, 2018). En effet, une
prolongation de la durée du mandat des administrateurs indépendants
est en mesure de faciliter la maîtrise des «connaissances
procédurales » afférentes au maniement interne de l’organisation. Elle
ouvre l’accès aux informations stratégiques permettant une meilleure
évaluation. Cette proposition d’expertise de N. Vafeas (2003) est en
294 DORSAF BENTALEB SFAR

faveur du renforcement de la longévité des administrateurs


indépendants. Elle favorise le renforcement de la perspective du
contrôle managérial. Pour ce qui est du cumul des mandats, la
référence aux travaux de l. Field, et al. (2013) laisse présager
l’importance de la réputation des administrateurs. Le regroupement de
mandats permet à ces acteurs particuliers de profiter d’une
ramification relationnelle avec les différents acteurs organisationnels,
d’où une intelligibilité et un prestige renforcés. D’ailleurs, le cumul
des mandats permet de cerner les différentes pratiques d’usage des
différentes entités (T. Perry et U. Peyer, 2005). Ces administrateurs
particuliers semblent ainsi favoriser la mise en place de « décision
créatrice de valeur » en limitant l’orientation opportuniste (I. Harris et
K. Shimizu, 2004).
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1 .2. L’activisme managérial au cœur du débat sur la latitude
discrétionnaire :

L’hypothèse de comportements optimaux déterminés par la


théorie économique et financière s’avère illusoire. D’ailleurs, aucun
contrat ne peut prétendre à la protection parfaite des intérêts des
différentes parties intervenantes. Le problème de l’évaluation des
efforts fournis par des managers à l’égard des détenteurs de capitaux
émerge faute d’asymétrie informationnelle ; Aucun accord ne peut
prédire l’ensemble des obligations managériales et aucun système
d’évaluation de performance ne peut être retenu d’une manière
aveugle, compte tenu de difficultés rencontrées lors de l’évaluation
des efforts fournis (S. Raynal, 2009). Chaque partie aura à profiter des
failles contractuelles en sa faveur. L’opportunisme managérial
s’amplifie, ainsi, avec l’accroissement de l’incertitude
environnementale (P.Wirtz, 2008). Il implique la valorisation de
l’intérêt propre, tout effort calculé pour tromper, manipuler,
dissimuler, omettre ou induire en erreur (O. Williamson, 1985). Le
manager aura à s’approprier des rentes au-delà de ce qui est procuré
par la relation contractuelle, et ce, grâce à l’extension de son pouvoir
discrétionnaire. La latitude discrétionnaire, ou encore l’espace
discrétionnaire, peut être défini(e) comme « l’espace laissé au
jugement et au choix individuel » (A. Carroll, 1979). Dans une
perspective de gouvernance des entreprises, elle renvoie à la partie du
pouvoir managérial qui échappe au contrôle actionnarial (D. Bentaleb,
2014). Cependant, cette inclinaison discrétionnaire en défaveur des
GOUVERNANCE : ADMINISTRATEURS INDÉPENDANTS & 295
LATITUDE DISCRÉTIONNAIRE

détenteurs de capitaux est susceptible de se restreindre grâce aux


différents mécanismes de gouvernance installés (M. Jensen et W.
Meckling, 1976), dont le conseil d’administration à travers la présence
d’administrateurs indépendants. Néanmoins, la remise en cause de la
pertinence des entités d’inspection, par une théorie dite de
l’enracinement, œuvre à la relecture des prédictions de la théorie
d’agence (M. Paquerot, 1996). L’enracinement managérial se définit
ainsi en tant qu’orientation en faveur de l’augmentation du coût de
remplacement des managers. Le manager, grâce à la capacité
d’administration qu’il démontre, cherche à se valoriser auprès des
détenteurs de capitaux (A. Shleifer et R. Vishny, 1989). L’activisme
managérial est multiforme et peut se renforcer par une mise en place
d’investissements « idiosyncratiques » spécifiques, la ramification de
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réseaux relationnels ou encore la manipulation de l’information (M.
Paquerot, 1996).

Ces diverses orientations mobilisées intensifient la discrétion


managériale des opérateurs en place. Cette théorie forme donc une
sorte de déviation de la théorie d’agence (I. Khanchel, 2009). Elle
propose la nécessité de revoir la pertinence des différentes orientations
d’inspection classiques en se concentrant sur le postulat de l’activisme
managérial. Nous nous questionnons ainsi sur le poids des
administrateurs indépendants dans cette logique discrétionnaire.

1 .3. Vers une relecture du poids des administrateurs


indépendants

Prenant acte de la remise en cause de la pertinence du


contrôle engagé par la théorie de l’activisme managérial, nous
pouvons avancer l’alternative de l’entrée en collusion de ces acteurs
particuliers avec les managers, au détriment des détenteurs de
capitaux. Du moment qu’ils peuvent être désignés sur proposition des
dirigeants, ils se trouvent inaptes à contester les directives d’un
manager qui les a sélectionnés. Conséquemment, leur indépendance
s’en trouve déformée; « La théorie de l’enracinement suggère que les
dirigeants tenteront, par exemple, de paralyser les systèmes de
contrôle de l’entreprise en mettant en place des administrateurs qui
soutiendront leurs décisions ». (J.P. Pichard-Stamford, 1998).
D’ailleurs, l’hypothèse de la longévité se trouve biaisée, faute à la
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logique de dépendance. Les indépendants, après avoir siégé au CA


pendant une longue période, sont prédisposés à tisser un réseau
relationnel avec l’équipe dirigeante en place, amoindrissant leur
prédisposition d’inspection (N. Vafeas, 2003). L’alternative de
complaisance est ainsi soulevée en évoquant le risque de relâchement
de leur méfiance à l’égard des inclinaisons opportunistes (J. Byrd, et
al. 2010). En ce sens, le Code AFEP-MEDEF (2018) attribue la
qualification d’indépendant à ceux qui siègent au CA pour une durée
de moins de douze ans.Pour ce qui est du cumul des mandats,
l’hypothèse de « surmenage » ou « busyness » de S. Ferris, et al. 2003
fait surface. L’administrateur indépendant, impliqué dans plusieurs
conseils, n’aura plus suffisamment de concentration pour pouvoir
défendre les intérêts des détenteurs de capitaux. Les restrictions
temporelles empêchent l’engagement total de ces acteurs particuliers
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quant à leur responsabilité de contrôle. Le manque de temps limite
leur intervention et entrave leur mission (M. Lipton et J.
Lorsch ,1992). Subséquemment, l’annonce d’une nouvelle intégration
d’administrateur indépendant multi-mandat est en mesure d’agir
négativement sur le marché financier (F. Von Meyerinck, et al., 2016).
Nous prétendons ainsi que les indépendants peuvent agir au sens des
dirigeants et en défaveur des actionnaires. Ils peuvent même conforter
leur inclinaison discrétionnaire. Selon la même logique et par
référence à la théorie de l’intendance, les actionnaires ont intérêt à
libérer le manager d’un cadre restrictif, en lui accordant une certaine
marge de manœuvre, donnant la priorité à l’intérêt global dans une
logique de pérennité (L. Donaldson et J.H. Davis, 1994). La discrétion
managériale ne doit pas être automatiquement limitée, mais bien au
contraire élargie. De fait, le rôle des indépendants est restreint afin de
développer la latitude discrétionnaire des managers, présumée
indispensable pour la création de valeur. Cet élargissement de latitude
discrétionnaire, vu sous cette optique, n’est pas nécessairement
préjudiciable à la performance. Ainsi, les exposés abordés ci-dessus
concernant le poids des indépendants quant à l’inspection de la
latitude discrétionnaire semblent être radicalement opposés. D’une
part, nous avons démontré leur importance quant au contrôle
managérial grâce à l’expertise et à la neutralité, qui favorisent
l’inspection de la latitude discrétionnaire. D’autre part, ces même
indépendants ont été reconnus en tant qu’intervenants inopérants faute
de dépendance à l’égard des managers. Ceci peut se produire de façon
involontaire, en cas de remise en cause des mécanismes de
GOUVERNANCE : ADMINISTRATEURS INDÉPENDANTS & 297
LATITUDE DISCRÉTIONNAIRE

gouvernance, notamment par la référence à la théorie de l’activisme


managérial, qui valorise le poids du dirigeant ayant réussi à détourner
les mécanismes de contrôle de leur vocation centrale en outils
d’activisme. Ou encore intentionnellement, par l’examen de la théorie
de l’intendance, selon laquelle les détenteurs de capitaux doivent
libérer le manager afin d’élargir ses champs d’action et encourager sa
créativité. L’étalement de la latitude discrétionnaire est en faveur de
l’augmentation de l’espace managérial, et ce, grâce à leurs « mains
libres » favorisant leur épanouissement individuel quant aux tâches
effectuées (Khanchel, 2009). Nous suggérons ainsi la vérification des
prédictions théoriques par rapport au contexte français pour pouvoir
nous positionner dans l’une des orientations. Nous détaillons ci-après
la méthodologie de recherche adoptée, les variables utilisées ainsi que
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l’approche économétrique poursuivie.

2. – Étude empirique

Cette recherche empirique se propose d’étudier le poids des


indépendants quant au contrôle du pouvoir discrétionnaire des
managers.

2.1. Échantillon

Notre échantillon de départ est composé de 124 entreprises


françaises cotées à la bourse de Paris (Euronext Paris) observées sur
un axe de temps de 14 ans, soit de 2002 à 2015. Les entreprises
appartenant au secteur financier (banques, services financiers,
compagnies d’assurance…) ont été écartées, car elles présentent une
structure financière atypique. Les entreprises dont les rapports annuels
sont indisponibles n’ont pas été prises en compte. Parmi toutes les
entreprises restantes (100 entreprises), nous avons examiné les
rapports annuels (ou documents de référence) publiés au cours des 14
années ciblées par l’étude. Nous avons ainsi collecté nos données
relatives aux caractéristiques du CA (la durée de présence des Al au
CA+ le cumul des mandats des administrateurs), les variables de la
discrétion managériale (La durée des fonctions du dirigeant ou son
ancienneté + cumul des mandats de dirigeant et de président de
conseil) ainsi que les variables de contrôle. Ces données ont été
298 DORSAF BENTALEB SFAR

complétées en utilisant les bases de données suivantes : Diane,


Dafsalien, et Datamonitor. Nous avons également consulté le site Web
www.topmanagement.net pour compléter les données relatives à
l’ancienneté dans le poste de manager. Le tableau n°1 décrit la
répartition de l’échantillon par secteurs d’activité.

Tableau 1 : Répartition de l’échantillon par secteurs d’activité

Secteur d’appartenance NB Ent %


Pétrole et gaz 3 3%
Matériaux de base 7 7%
Industries (biens d’équipements, services 21 21%
industriels, matériaux de construction)
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Biens de consommation (automobiles, agro- 24 24%
alimentaire, produits ménagers,…)
Santé (équipements et services de santé, 5 5%
pharmacie, et biotechnologie)
Services aux collectivités 7 7%
Services aux consommateurs (distribution, 9 9%
médias, loisirs…)
Technologie (logiciels et services 24 24%
informatiques, technologies de l’information)
Total 100 100%

2.2. Présentation des variables utilisées

Nous avons croisé dans ce cadre d’analyse le contrôle des


administrateurs indépendants et la discrétion managériale afin de
pouvoir nous positionner dans l’une ou l’autre des prédictions
théoriques (théorie de l’agence ou de l’enracinement). Nous
considérons, de la sorte, la discrétion managériale en tant que variable
endogène et le poids des indépendants comme une variable exogène,
avec d’autres variables de contrôle.

- Mesure de la discrétion managériale

La plupart des recherches antérieures abordant la discrétion


managériale font appel à des variables proches, telles que la structure
du capital, la composition du conseil d’administration et l’ancienneté
GOUVERNANCE : ADMINISTRATEURS INDÉPENDANTS & 299
LATITUDE DISCRÉTIONNAIRE

des dirigeants (E. Ruiz-Barbadillo, E. Biedma-López, N. Gómez-


Aguilar, 2007). Nous retenons dans le cadre de cette recherche les
indicateurs suivants :

- La durée des fonctions du dirigeant ou son ancienneté à son


poste (ANC) : l’ancienneté au poste de dirigeant /ou au
conseil peut permettre l’évaluation de l’expérience et des
aptitudes à la négociation auprès des différents partenaires de
la firme. Le prolongement de la durée du mandat des
dirigeants favorise leur enracinement, et ce, grâce à
l’élargissement de leur espace discrétionnaire. Leur discrétion
managériale croît avec le prolongement de la durée de leur
mandat (N.L. Rose et A. Shepard, 1997 ; B. Pigé, 1998 ; B.
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Bentaleb, 2014).
- Le cumul des mandats (CUM) défend l’accroissement de
l’asymétrie informationnelle, ainsi que les pressions sur les
administrateurs (A. Finet, 2004). Leur discrétion managériale
est étendue, leur permettant une plus grande marge de
manœuvre. Le cumul des mandats leur permet, ainsi,
davantage de liberté de décision grâce à une autorité détenue
par une seule personne (J.H. Davis, F.D. Schoorman et L.
Donaldson, 1997 ; Bentaleb, 2014).
- Mesure du poids des institutionnels et variables de contrôle

Pour mesurer l’importance du pouvoir des institutionnels sur le


pouvoir des dirigeants, nous avons retenu deux variables :
- La durée de leur présence au CA (DPRECA) : nous
appréhendons la longévité des administrateurs indépendants
dans leur fonction par la moyenne de leur ancienneté dans la
firme. Plus l’administrateur est ancien, plus il a accès aux
informations stratégiques lui permettant une meilleure
évaluation du rendement managérial (N. Vafeas, 2003). Une
longue durée de présence des administrateurs indépendants
au CA est en mesure de réduire la discrétion managériale.
- Le cumul des mandats des administrateurs (CUMADM) est
mesuré par le nombre moyen de mandats effectués par les
indépendants au sein de chaque entreprise. Le cumul des
mandats est synonyme de compétences et de bonne
réputation (Field, et al. ,2013). Il permet ainsi de cerner les
300 DORSAF BENTALEB SFAR

différentes pratiques d’usage des diverses entités,


garantissant un meilleur contrôle de la sphère managériale (I.
Harris et K. Shimizu, 2004 ; T. Perry et U. Peyer, 2005).
Nous considérons ainsi que la présence d’administrateurs
indépendants multi-mandats est en mesure de défavoriser la
discrétion managériale.
Quant aux variables de contrôle nous avons considéré :
- L’ancienneté de la cotation (ACOT), qui semble être
positivement corrélée à la discrétion managériale (A. Shleifer
et R. Vishny, 1989).
- Le secteur d’activité (SECTEUR), qui nous permettra d’isoler
l’effet secteur par rapport au terme d’erreur.
- L’âge de l’entreprise (AGEENT), qui reflète son expérience
et sa réputation et peut conditionner la nature de la relation des
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institutionnels avec l’entité managériale (H. Gharbi, 2008).
- L’effectif de l’entreprise (EFCTENT), qui est appréhendé à
travers le logarithme de l’effectif total des employés. Pour
Finet (2004), l’accroissement de la taille, synonyme de
complexité croissante des rouages informationnels, renforce la
discrétion managériale des dirigeants.

2.3. Les modèles utilisés

Dans ce travail, nous nous attendons à ce que le cumul des


mandats d’administrateurs indépendants et leur ancienneté au sein de
l’entreprise influencent positivement le contrôle de la discrétion
managériale.
Pour mesurer leur influence nous utilisons les modèles empiriques
suivants :
Modèle 1 : ANC i,t = β1% DPRECA i,t + β2 ACOT i,t + β3
SECTEURi,t + β4 AGEENTi,t + β5 EFECTENT i,t +μi,t .
Modèle 2 : ANC i,t = β1 CUMADM i,t + β2 ACOT i,t + β3
SECTEURi,t + β4 AGEENTi,t + β5 EFECTENT i,t +μi,t .
Modèle 3 : CUM i,t = β1 DPRECA i,t + β2 ACOT i,t + β3
SECTEURi,t + β4 AGEENTi,t + β5 EFECTENT i,t +μi,t .
Modèle 4 : CUM i,t = β2 CUMADM i,t + β3 ACOT i,t + β4
SECTEURi,t + β5 AGEENTi,t + β5 EFECTENT i,t +μi,t .
Où μi,t est un terme résiduel standard et β1, β2, β3, β4, α1 et α2
constituent les paramètres inconnus.
GOUVERNANCE : ADMINISTRATEURS INDÉPENDANTS & 301
LATITUDE DISCRÉTIONNAIRE

2.4. Les résultats

Nous traiterons dans cette partie les analyses descriptives, les


tests multivariés pour ensuite finir avec l’analyse de la nature de la
relation entre les deux attributs des administrateurs indépendants et la
discrétion managériale.

2.4.1. Les statistiques descriptives


Le tableau 2 présente les statistiques descriptives des
variables utilisées dans le cadre du traitement de la relation entre les
administrateurs indépendants et la discrétion managériale.
L’ancienneté moyenne des dirigeants en poste est de 5 ans. La
moyenne de l’ancienneté des indépendants dans la firme est de l’ordre
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de 6 ans avec une durée maximale au CA de l’ordre de 13 ans. Ils
cumulent une moyenne de 4 mandats par entreprise. La firme
moyenne de notre échantillon dispose d’un effectif, exprimé à travers
le logarithme de l’effectif total des employés, de 0.324. L’ancienneté
de la cotation des entreprises françaises constituant notre échantillon,
mesuré en termes d’années entre la date d’introduction en bourse et
l’année en cours, est de 8 ans.
Tableau 2 : Statistiques descriptives des variables
Variables Nombre Moy Écart- Min Max Médiane
Obs T
CUM 1400 0,630 0,532 0 1 0,64
ANC 1400 4,923 3,432 1 10 5,2
DPRECA 1400 6,321 4,231 1 13 4,52
CUMADM 1400 3,821 1,122 1 4 1,54
ACOT 1400 8,132 4,921 1 19 8, 12
SECTEUR 1400 0,321 0,632 0 1 0. 31
AGEENT 1400 19,531 1,843 11,28 28,18 18.43
EFECTENT 1400 0,324 0,623 -0,152 14,36 0.304
Ce tableau présente les statistiques descriptives des variables utilisées dans
l’analyse. CUM indique le cumul des mandats de dirigeant et de président du
conseil. ANC désigne la durée du mandat du dirigeant. DPRECA représente la
moyenne de l’ancienneté des indépendants dans la firme. CUMADM est le
nombre moyen de mandats exercés par les indépendants pour chaque
entreprise. ACOT représente le nombre d’années entre la date d’introduction
et l’année en cours. AGEENT est l’âge de la firme. EFECTENT est le
logarithme de l’effectif total. SECTEUR est le secteur d’activité.

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