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Formes de villes optimales, formes de villes durables.

Réflexions à partir de l'étude de la ville fractale


Cécile Tannier
Dans Espaces et sociétés 2009/3 (n° 138), pages 153 à 171
Éditions Érès
ISSN 0014-0481
ISBN 9782749211107
DOI 10.3917/esp.138.0153
© Érès | Téléchargé le 24/07/2023 sur www.cairn.info via Université Paris 1 - Sorbonne (IP: 193.55.96.20)

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Formes de villes optimales,


formes de villes durables.
Réflexions à partir de l’étude
de la ville fractale
Cécile Tannier
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D epuis plusieurs dizaines d’années, les spécialistes de l’aménagement des
villes (praticiens ou chercheurs) réfléchissent aux moyens de réduire les
conséquences néfastes du processus d’étalement urbain, responsable notam-
ment de l’augmentation du nombre et de la longueur des déplacements en
automobile. Dans cet objectif, de nombreux auteurs ont fait (ou font encore)
la promotion du modèle de la ville compacte, mettant en avant le fait qu’il
favorise l’utilisation des transports publics, permet une bonne accessibilité
aux commerces et services et réduit la ségrégation sociale, par exemple
(Dantzig et Saaty, 1973 ; Newman et Kenworthy, 1989). Inversement, les
limites du modèle de la ville compacte, notamment la congestion des axes
routiers, une réduction de l’accès aux espaces verts et naturels, la hausse des
prix des logements, la réduction de l’espace de vie, ont été largement discu-
tées (Breheny, 1997 ; Burton, 2000). Le développement d’une ville compacte

Cécile Tannier, chargée de recherche CNRS, ThéMA UMR 6049 CNRS–université de Franche-
Comté.
cecile.tannier@univ-fcomte.fr
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peut en effet générer des flux de trafic et une congestion importants car une
grande partie des résidents est obligée de parcourir de grandes distances pour
atteindre les espaces situés en périphérie. Il est aussi évident qu’une tache
urbaine compacte de grande taille ne permet pas une ventilation suffisante du
cœur de l’agglomération. Certains auteurs ont ainsi pu observer un glisse-
ment du modèle de la ville compacte vers un modèle de ville polycentrique
(Guérois, 2003), dont relève le modèle de la ville fractale.
Le présent article développe une série de réflexions théoriques sur la
ville fractale et ses propriétés en termes d’optimisation de l’occupation de
l’espace urbain par le bâti. La ville fractale est-elle optimale (ou plus opti-
male qu’une autre, par exemple la ville euclidienne, compacte ou étalée) ? La
ville fractale est-elle durable (ou plus durable qu’une autre) ? On ira jusqu’à
se poser la question de savoir si une forme urbaine fractale est une forme
urbaine résiliente.
L’objet « ville » est considéré comme étant un système ouvert, au sein
duquel jouent deux types d’interactions : d’une part, des interactions entre les
acteurs économiques, sociaux et politiques ; d’autre part, des interactions
entre les acteurs et l’espace dans lequel ils évoluent (Le Berre, 1987). Dans
ce système, la forme et la structure spatiale des villes contraignent leur fonc-
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tionnement (pratiques spatiales des individus, choix politiques d’aménage-
ment…) et, rétroactivement, leur fonctionnement a pour effet une
modification de leur morphologie et de leur structure. Deux voies, complé-
mentaires et interdépendantes, permettent d’aborder l’objet « ville » : celle de
l’architecture de la ville, des formes urbaines, des configurations spatiales, et
celle des formes sociales, des pratiques spatiales, des déplacements
(Pellegrino, 2005). Du côté de l’architecture, des formes et des configura-
tions spatiales, nous distinguons la structure spatiale, qui est l’arrangement
des différents éléments qui composent la ville les uns par rapport aux autres,
et la morphologie, qui caractérise le fait que le tissu urbain soit compact ou
étalé, hiérarchisé ou non, symétrique ou asymétrique…
S’inscrivant dans cette logique dialectique de la forme et du fonctionne-
ment urbain, on peut distinguer deux entrées pour aborder la question de l’op-
timalité de l’espace urbain : celle des localisations optimales, qui est une
entrée spatiale, et celle de l’optimisation des comportements, qui est une
entrée comportementale. Par l’entrée comportementale, on cherchera à savoir
si les configurations spatiales observées résultent de comportements « opti-
misateurs ». Si oui, lesquels ? Et sur quelles configurations spatiales débou-
chent des comportements « optimisateurs » ? Par l’entrée spatiale, l’objectif
sera de déterminer si les configurations spatiales observées sont optimales et
comment optimiser une ou plusieurs configurations spatiales. Cette deuxième
entrée est privilégiée dans l’article.
Pour définir l’espace urbain, nous retiendrons trois familles d’éléments :
les lieux où les individus habitent (leurs localisations résidentielles) ; les
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lieux que les individus fréquentent (commerces et services, lieux d’emplois,


espaces de loisirs et de récréation…) ; les réseaux qui relient ces lieux
(réseaux routiers, réseaux de transport en commun, cheminements piéton-
niers…). Ce faisant, nous ne prenons pas en compte la forme urbaine dans
toute sa complexité, telle que l’a notamment définie A. Lévy en considérant
cinq registres de formes (tissu bâti, tracé, paysage, forme sociale, forme bio-
climatique) (Lévy, 2005). Notre approche est donc réductrice de ce point de
vue. En contrepartie, nous nous focaliserons sur l’articulation multi-échelle
des espaces bâtis, non bâtis et des réseaux, conduisant à l’analyse approfon-
die des interactions entre forme et fonctionnement urbains. Une telle position
fait écho à celle défendue par Salingaros : « We are trying to find laws for
urban design : what is clear so far is that paths, spaces, and the design of buil-
dings all depend on some type of connectivity. These essential connections
are very difficult to describe 1 » (Salingaros, 1999).
Dans un premier temps, nous rappellerons les principaux éléments de
définition de la ville fractale. Une deuxième partie sera consacrée à la pré-
sentation et à la discussion de modèles de villes fractales. La troisième et der-
nière partie proposera une amorce de réflexion sur l’optimalité et la résilience
de formes urbaines fractales. Les réflexions développées dans l’article s’ap-
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pliquent au cas des moyennes et grandes villes européennes (à partir de
100 000 habitants).

QU’EST-CE QUE LA VILLE FRACTALE : ÉLÉMENTS DE DÉFINITION

Fractales et lois de puissance

La propriété fondamentale des lois de puissance est l’invariance


d’échelle 2. Les lois fractales sont une forme de lois de puissance sachant
qu’il en existe bien d’autres (par exemple, la loi de Gutenberg-Richter pour
les tremblements de terre ou la distribution de Pareto des richesses d’un pays
par individu). Parmi toutes les lois de puissance, les fractales sont les seules
à être de nature géométrique. L’invariance d’échelle se rapporte en effet à la

1. « Nous tentons de trouver des lois pour l’urbanisme. Ce qui est clair jusqu’à maintenant est
que les voies, les espaces et le dessin des bâtiments dépendent tous d’une certaine connecti-
vité. Ces connexions essentielles sont très difficiles à décrire » (traduction faite par l’auteur de
l’article).
2. Une loi de puissance est une relation mathématique entre deux quantités (x et y) qui peut
s’écrire sous la forme : y = axk, a étant une constante de proportionnalité et k étant une autre
constante appelée « exposant scalant ». Pour une loi de puissance, un changement d’échelle
(par exemple, une multiplication de l’échelle des longueurs par un facteur commun) ne modi-
fie pas la relation entre x et y.
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taille des éléments et à leur nombre, mais également à la distance qui les
sépare les uns des autres. Les fractales, dans leur acception géométrique,
dépassent ainsi une simple hiérarchie statistique dans le nombre et la taille
des éléments (de type loi rang-taille) pour une approche « scalante » de la
connectivité. Une telle approche s’intéresse explicitement à la localisation
des éléments les uns par rapport aux autres.
Si on prend par exemple le cas de la délimitation ville-campagne, la réa-
lité morphologique d’une ville est implicitement assimilée à la continuité du
tissu bâti urbain. D’un point de vue fractal, cela n’est pas remis en question,
mais on considère une continuité multi-échelle du tissu bâti. La discontinuité
multi-échelle entre deux tissus bâtis (l’un pouvant être rural et l’autre urbain)
ne peut alors pas être déterminée à partir d’un seuil de distance fixé a priori :
si un seuil de distance émerge, il n’est pas absolu, mais relatif au tissu urbain
considéré (Tannier et al., 2008a).

Formes de villes fractales

Des travaux pionniers ont posé l’hypothèse de la fractalité des villes :


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(Batty et Longley, 1986 ; Fotheringham et al., 1989 ; Frankhauser, 1988 ;
Mandelbrot, 1982). Il a été montré que le processus de croissance urbaine a
pour résultat une organisation spatiale de nature multi-échelle, décrite notam-
ment par une hiérarchie dans la taille des agrégats bâtis (un grand nombre de
petits agrégats bâtis et de moins en moins de gros agrégats) et une hiérarchie
dans la taille des espaces non bâtis. Les courbes bi-logarithmiques représen-
tant le nombre d’agrégats bâtis en fonction de leur taille sont caractéristiques
des lois de puissance (White et al., 2001). En outre, le rapport périmètre-sur-
face des tissus bâtis des agglomérations correspond à celui de formes frac-
tales (Frankhauser, 1994). Depuis lors, de nombreuses publications ont
contribué à asseoir l’hypothèse de la fractalité des espaces urbains, par
exemple (Batty et Xie, 1996 ; Benguigui et al., 2000 ; De Keersmaecker et
al., 2003 ; François et al., 1995 ; Shen, 2002 ; Tannier et Pumain, 2005 ;
Thomas et al., 2007).
La fractalité d’une ville implique l’existence d’une relation entre formes
locales et formes globales. Les formes locales correspondent à l’organisation
spatiale urbaine à un niveau microscopique (le bâtiment, l’îlot), tandis que les
formes globales sont celles de l’organisation spatiale de la ville dans son
ensemble. La relation fractale entre formes locales et formes globales peut
être plus ou moins forte et trois types d’auto-similarité peuvent être distin-
gués : l’auto-similarité stricte, la quasi-auto-similarité et l’auto-similarité sta-
tistique. L’auto-similarité stricte se rapporte aux formes fractales strictement
identiques quelle que soit l’échelle considérée. La quasi-auto-similarité est
une forme affaiblie d’auto-similarité, la fractale étant approximativement
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(mais non exactement) identique à différentes échelles. Les fractales quasi


auto-similaires présentent des copies réduites de la fractale entière dans une
forme distordue ou dégénérée. L’auto-similarité statistique est la forme la
plus faible d’auto-similarité dans laquelle la fractale présente les mêmes
caractéristiques numériques ou statistiques à travers les échelles. La plupart
des définitions appliquées de fractales impliquent une forme d’auto-simila-
rité statistique, la dimension fractale étant elle-même une mesure numérique
identique à travers les échelles. Les fractales aléatoires sont des exemples de
fractales statistiquement auto-similaires, et non strictement ou quasi auto-
similaires. Une ville fractale n’est donc pas forcément une ville qui répète la
même forme à différents niveaux d’analyse (Fig. 1, ex. 1) : elle répète sim-
plement la même logique de disposition des éléments les uns par rapport aux
autres, cette logique pouvant être complexe ou aléatoire (Fig. 1, ex. 2). À tra-
vers les exemples de la figure 1, on saisit intuitivement que ce qui caractérise
fondamentalement la ville fractale n’est pas l’organisation multi-échelle des
espaces bâtis, mais celle des espaces non bâtis : ce qui est vide (non bâti) à
un niveau d’analyse macroscopique ne peut pas être plein (bâti) à un niveau
d’analyse plus fin.
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Fig. 1 – Deux exemples de relation entre formes globales et formes locales


(Source : Tannier et al., 1 : 2007 et 2 : 2006)
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Hiérarchies spatiales et comportements « optimisateurs »

Certains modèles économiques et géographiques permettent de générer


des distributions spatiales hiérarchiques à partir de la formalisation de pro-
cessus d’optimisation. Ainsi, les modèles d’interaction spatiale ont pour
résultat des distributions hiérarchiques de populations ou de déplacements
(flux de zone à zone). Les principes à la base de ces modèles sont la maxi-
misation de l’utilité des individus à laquelle s’ajoutent des contraintes sur la
dispersion des activités liées à des coûts (coûts de transport, économies d’ag-
glomération, contraintes budgétaires…) (Batty, 2006). Il existe aussi d’autres
modèles, issus de l’intelligence artificielle distribuée 3 (modèles d’automates
cellulaires notamment), qui intègrent une modélisation de comportements
d’individus optimisateurs via une fonction de maximisation de l’utilité. Pour
certaines valeurs de paramètres, ces modèles permettent de simuler l’émer-
gence de formes fractales (Caruso et al., 2007). Troisième exemple, la hié-
rarchie des lieux centraux de Christaller résulte d’une optimisation
économique sous contraintes de distance (Christaller, 1933) 4.
Ce modèle de Christaller nous intéresse ici plus particulièrement car il
présente l’intérêt d’être un modèle réellement spatial, et non simplement spa-
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tialisé. En dépit de limites largement discutées dans la communauté scienti-
fique, il constitue une bonne base de réflexion pour travailler sur des
systèmes spatiaux interurbains (systèmes de villes). Cependant, l’application
de cette théorie à des systèmes spatiaux intra-urbains n’est pas évidente. Une
première question se pose : existe-t-il une hiérarchie intra-urbaine des lieux
centraux ? H. Reymond a tenté d’y répondre pour modéliser la répartition des
commerces et services en milieu intra-urbain (Reymond, 1981 et 1989). En
effet, rien ne permet de dire, à première vue, que l’organisation spatiale des
commerces et services en ville ressemble à une organisation christallérienne.
Pour H. Reymond, démontrer la pertinence ou le caractère opératoire de la
théorie des places centrales en intra-urbain revient à vérifier deux hypo-
thèses : il existe en milieu intra-urbain une hiérarchie fonctionnelle des com-
merces et services ; il existe en milieu intra-urbain une hiérarchie spatiale de

3. Les systèmes d’intelligence artificielle distribuée sont des applications informatiques com-
posées d’agents se comportant de manière autonome. Dans de tels systèmes, il n’existe pas de
mécanisme de commande global (par exemple, une entité qui donnerait aux agents l’autorisa-
tion d’effectuer telle ou telle action).
4. Le modèle de hiérarchie des lieux centraux, ou théorie des places centrales, proposé par
Christaller définit un principe de distribution spatiale hiérarchique de villes et de villages, à
une échelle régionale. Chaque ville ou village comporte des habitants et des services. Selon le
principe de la hiérarchie christallérienne, les services qui sont rarement sollicités par la popu-
lation ont des aires de chalandise plus vastes que les autres et sont concentrés dans les plus
grandes villes. En effet, comme la population est prête à parcourir de plus grandes distances
pour y accéder, ils peuvent être plus éloignés les uns des autres que les services sollicités fré-
quemment, tout en se rassemblant en un même lieu.
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ces mêmes centres de commerces et services. Le problème majeur est ici


d’identifier des entités fonctionnelles pouvant être assimilées à des places
centrales. Les réponses apportées par H. Reymond aux deux questions posées
sont les suivantes. D’une part, le nombre de points de vente par activité de
commerce ou de service ne répond pas à la logique des niveaux hiérarchiques
de la théorie des places centrales. En effet, il y a proportionnellement moins
d’activités à nombre élevé de points de vente (fonction courante) qu’il n’y a
de fonctions rares (peu de points de vente). D’autre part, la répartition spa-
tiale des commerces et services ne suit pas la logique christallérienne. En
effet, les localisations préférentielles sont essentiellement les zones de fort
passage plutôt que les zones les plus densément peuplées. En outre, les coûts
liés à la distance déterminent la position des établissements en fonction des
flux, mais ne commandent pas l’espacement entre les établissements.
Nous l’avons vu, l’existence d’une hiérarchie des places centrales résulte
d’une optimisation économique sous contraintes de distance. En milieu intra-
urbain, on peut concevoir d’appliquer un tel mode de fonctionnement.
Cependant, si dans le cas du modèle de Christaller les individus se déplacent
uniquement pour consommer des biens et des services, en milieu intra-
urbain, ce n’est pas si simple. Bien sûr les individus se déplacent pour faire
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des achats, mais ils se déplacent aussi pour aller au travail, accompagner les
enfants (école, crèche, loisirs…), avoir des activités de loisirs, visiter des
proches… Tout cela donne une organisation complexe des flux en intra-
urbain qui peut expliquer la difficulté à transposer le modèle de Christaller
sur une agglomération. Finalement, on pourrait chercher à vérifier une autre
hypothèse qui est celle de l’existence d’une hiérarchie des places centrales en
intra-urbain différente de celle de Christaller : elle est un peu plus complexe
sur le plan géométrique ; elle serait alors fractale.
Que la fractalité des formes urbaines réponde à certains comportements
« optimisateurs » n’est pas prouvé. C. Webster a ainsi pu énoncer que l’ap-
proche fractale des villes, bien que débouchant sur des résultats empiriques
intéressants, souffrait d’une mise en relation peu concluante avec les théories
économiques urbaines de localisation ou de rente foncière (Webster, 1995).
Depuis lors, cependant, des progrès ont été faits et des éléments de compré-
hension des relations entre formes fractales et fonctionnement urbain ont pu
être mis en avant. En particulier, le fait que les individus souhaitent vivre à
proximité d’un espace vert ou naturel, comme en témoigne notamment l’étude
de Garcia et Riera (2003), peut expliquer la sinuosité de la bordure urbaine,
donc son allongement. Mais la fractalité de la bordure urbaine peut aussi pro-
venir du fait que les individus tendent à la préserver en évitant que d’autres
individus ne viennent s’installer à côté d’eux et donc amputer leur accès direct
à l’espace ouvert (Frankhauser, 1994). Cela rejoint l’idée que la ville fractale
émerge des interactions entre aménagement urbain top-down et processus
d’auto-organisation bottom-up (Frankhauser, 2004 ; Salingaros, 2003).
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MODÈLES DE VILLE FRACTALE

Bien sûr, il n’existe pas un seul et unique type de ville fractale. On peut
imaginer une infinité de modèles qui n’auront pas tous les mêmes propriétés.
Ici, nous avons choisi d’en analyser trois, mieux connus que les autres car
leurs propriétés en termes de fonctionnement urbain ont déjà été étudiées.

Fig. 2 – Construction progressive d’un téragone dont la surface totale


reste constante au fil des itérations
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(Source : d’après Mandelbrot, 1982)

Un premier modèle : le téragone (figure 2)

Comme toute forme fractale, le téragone se construit pas à pas, par le


positionnement de copies réduites d’une forme initiale (un carré dans le cas
de la figure 2) selon une logique récurrente. Dans un téragone, la surface
occupée par le bâti est uniforme et constante au fil des étapes de construction
et la taille de la structure générée ne dépasse jamais 5/3 de la taille du carré
initial. P. Frankhauser a considéré les différentes étapes de construction d’un
téragone comme étant différents modèles de villes (Frankhauser, 2000). La
figure initiale (la « ville carrée ») offre peu d’espaces bâtis situés en bordure
de la ville (proches de la campagne) (figure 2). L’allongement progressif de
la bordure lors des étapes suivantes permet à un nombre croissant d’indivi-
dus d’acquérir des terrains situés en bordure de la ville et de bénéficier ainsi
de la proximité d’un paysage ouvert. Il est possible de prouver qu’en passant
de la figure initiale aux étapes de construction suivantes, le nombre de ter-
rains situés en bordure de la ville double à chaque fois. En outre, chaque
étape génère des poches non bâties, qui pénètrent de plus en plus profondé-
ment dans la surface bâtie. P. Frankhauser a ainsi montré que, d’une étape de
construction du téragone à la suivante, le gain d’accessibilité aux espaces non
bâtis est plus important que la perte d’accessibilité au centre-ville (voir enca-
dré). Par ailleurs, comme la surface bâtie à l’intérieur du téragone reste iden-
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tique pour toutes les itérations, il n’y a aucune différence de consommation


d’espace entre les différentes étapes d’itération.

Distance minimale moyenne à la bordure :


– Téragone 1 : 56 % de la distance mesurée pour la ville carrée
– Téragone 2 : 91 % de la distance mesurée pour le téragone 1
Distance minimale moyenne au centre :
– Téragone 1 : 112 % de la distance mesurée pour la ville carrée
– Téragone 2 : 104 % de la distance mesurée pour le téragone 1
(D’après Frankhauser 2000)

Finalement, en comparaison avec une ville de forme compacte, le téra-


gone n’est pas plus consommateur d’espace et offre une accessibilité au
centre-ville quasi équivalente. Il se caractérise en revanche par un plus grand
contraste entre bâti et non-bâti, et permet une meilleure ventilation des
espaces centraux et une plus grande fluidité du trafic.

Deux exemples d’application d’un deuxième modèle : le tapis de Sierpinski


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Le premier exemple est illustré par la figure 3 qui présente deux modèles
de villes dans lesquels sont localisés des centres de services de différents
niveaux. Ces modèles supposent une hiérarchie stricte des services offerts :
le centre ancien, au cœur de l’agglomération, offre tous les services de haut
de gamme, mais aussi tous les services des niveaux inférieurs ; les centres
secondaires d’ordre 1 réunissent tous les services exceptés les niveaux les
plus élevés, etc. Les deux modèles comportent le même nombre de centres de
chaque niveau hiérarchique.

a. Tapis de Sierpinski b. Ville quadratique

Fig. 3 – Localisation de centres de commerces et services


dans deux modèles de villes, l’un euclidien et l’autre fractal
(Source : Frankhauser et Genre-Grandpierre, 1998)
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162 Espaces et sociétés 138

Des éléments de comparaison de ces modèles ont été présentés dans


Frankhauser et Genre-Grandpierre (1998) et Frankhauser (2004). Les dis-
tances moyennes aux centres de services les plus proches ont été calculées.
Les résultats obtenus pour le modèle de ville fractale montrent que la distance
moyenne au centre principal est 2,21 fois plus élevée que pour le modèle de
ville quadratique 5. Pour les centres de service de troisième ordre, autrement
dit les centres de proximité, les distances sont équivalentes entre les deux
modèles. Par ailleurs, la ville fractale obtient de meilleurs résultats en termes
d’accessibilité aux espaces non bâtis situés en périphérie de la ville : pour
atteindre la bordure urbanisée, la distance moyenne est 16,5 fois plus élevée
pour la ville quadratique que pour la ville fractale. Ainsi, une ville de la forme
d’un tapis de Sierpinski est intéressante pour des individus fréquentant moins
les centres hiérarchiques les plus élevés (centre principal et sous-centre de
premier ordre) que les sous-centres de proximité, tout en recherchant la
proximité d’espaces non bâtis (par exemple des espaces verts et naturels).
Un deuxième exemple d’application du tapis de Sierpinski a confirmé
ces résultats. Il s’agit d’un modèle économique qui permet de calculer la
rente foncière dans une ville fractale de la forme d’un tapis de Sierpinski
(Cavailhès et al., 2004). Selon ce modèle, les individus travaillent au centre-
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ville. La consommation des aménités urbaines, dans des centres de niveau
hiérarchique variable, représente 22 % du budget des ménages. Les ménages
consomment également des aménités rurales (dans les espaces non bâtis) à
hauteur de 11 % de leur budget, tandis que la consommation de biens cou-
rants représente 67 % de leur budget. Des calculs d’accessibilité ont été réa-
lisés sur la base de ce modèle 6. La cartographie des résultats obtenus montre
une répartition spatiale classique des accessibilités aux aménités urbaines : la
meilleure accessibilité est obtenue pour le centre-ville et la plus mauvaise
pour les périphéries (coins externes du tapis de Sierpinski) (figure 4). En
revanche, l’accessibilité aux aménités rurales s’avère moins classique : si les
sites urbains centraux sont mal situés au regard des espaces non bâtis, les
centres périphériques ne le sont pas forcément mieux.
Sur le plan économique, les simulations effectuées montrent que le gra-
dient de rente foncière n’est pas monotone dans le cas d’une ville fractale.
Plus précisément, le tapis de Sierpinski produit un gradient de rente proche
de celui obtenu avec le modèle de Thünen, c’est-à-dire une rente décroissante
du centre vers la périphérie, quand : 1) les forces centripètes surpassent les
trajets pour les loisirs extérieurs (davantage de flux vers le centre que vers les

5. La distance est mesurée selon une métrique de Manhattan.


6. Nous présentons ici les résultats obtenus pour une des simulations effectuées par les auteurs
de la recherche.
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Formes de villes optimales, formes de villes durables 163

espaces non bâtis) ; 2) les aménités sont facilement substituables (les indivi-
dus acceptent facilement de remplacer une aménité par une autre) ; 3) les
aménités rurales ont moins d’importance que les aménités urbaines. À l’in-
verse, le tapis produit un gradient de rente très différent de la ville de Thünen
quand : 1) les coûts de déplacement domicile-travail sont faibles ; 2) les amé-
nités ne sont pas particulièrement substituables ; 3) les ménages ont une nette
préférence pour les aménités rurales.

accessibilité
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accessibilité

Fig. 4 – Accessibilités aux aménités urbaines et rurales


sur un tapis de Sierpinski
(Source : Cavailhès et al., 2004)

Troisième modèle : un réseau hexagonal fractal de lieux centraux


(figure 5)

Ce modèle a été présenté dans Frankhauser et al. (2007). Il s’agit du


schéma de Christaller modifié par l’introduction de distances non uniformes
entre les centres de différents niveaux hiérarchiques. Très synthétique, ce
modèle présente les caractéristiques suivantes :
– la proximité des espaces bâtis et non bâtis ;
– la concentration du bâti dans des zones bien desservies par le réseau de
transport ;
– l’existence de grands espaces non bâtis contigus qui pénètrent au cœur du
tissu urbain ;
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164 Espaces et sociétés 138

– la possibilité de prévoir des centres de service de différents ordres aux


nœuds du réseau, en vue de minimiser les distances à parcourir ;
– une logique d’organisation radioconcentrique de laquelle découle une rela-
tive centralité des pôles de services de différents ordres.
Ces caractéristiques sont dues essentiellement à l’emboîtement multi-
échelle des espaces non bâtis dans le modèle, qui est conforme au principe
élémentaire de construction d’une forme fractale, mais plus inhabituel dans
la manière de concevoir l’organisation spatiale d’une ville.
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Fig. 5 – Réseau hexagonal fractal de lieux centraux
(Source : Frankhauser et al., 2007)

Le PREDIT 3 a financé une recherche visant l’application de ce modèle


pour l’aménagement des espaces urbains. L’objectif central de la recherche
était de développer un modèle d’urbanisation qui minimise les déplacements
en voiture particulière tout en offrant une bonne accessibilité à des aménités
variées (urbaines et rurales) et en limitant la consommation d’espace
(Frankhauser et al., 2007). Un des résultats obtenus a notamment été la trans-
cription de l’emboîtement multi-échelle des espaces non bâtis sous la forme
d’une décomposition fractale. La figure 6 en présente un exemple et illustre
le fait que la décomposition multi-échelle d’un espace peut servir de base
concrète au développement de scénarios de développement urbain. La
figure 6 montre aussi, indirectement, que cette approche du territoire est très
différente de la démarche traditionnelle de l’urbanisme qui s’appuie sur un
principe de zonage mono-échelle.
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Fig. 6 – Décomposition fractale d’un tissu bâti

Le modèle du réseau hexagonal fractal de lieux centraux, appliqué via la


décomposition fractale, constitue la base conceptuelle d’un modèle récent
intitulé MUP-city (Multi-scale urban planning for a sustainable city) (Tannier
et al., 2008b). Celui-ci a fait l’objet d’un développement logiciel et sert à
identifier les lieux les plus intéressants pour l’ouverture de nouveaux espaces
à l’urbanisation. La comparaison des résultats obtenus avec MUP-city, d’une
part, et un modèle équivalent mono-échelle, d’autre part, rejoint les conclu-
sions auxquelles sont arrivés Frankhauser et Genre-Grandpierre (1998) et
Cavailhès et al. (op. cit.) : un modèle de ville fractale est plus performant
qu’un modèle mono-échelle en termes d’accessibilité à des aménités de
natures variées (lieux de centralité et espaces ouverts). La comparaison entre
modèles fractals et mono-échelle est par ailleurs favorable au premier en
termes de non-fragmentation des espaces bâtis et d’amélioration de la diver-
sité interne au tissu bâti. On retrouve visuellement ces résultats sur la
figure 7 : l’application du modèle multi-échelle sur le secteur Nord de l’ag-
glomération de Besançon aboutit à des formes bâties ni compactes ni dif-
fuses, caractérisées par une grande mixité locale des types d’occupation du
sol ; la hiérarchie des espaces non bâtis, ainsi que leur connectivité, est pré-
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166 Espaces et sociétés 138

servée. Au contraire, dans le cas mono-échelle le développement urbain suit


les axes routiers existants et aboutit à un maillage quasi exhaustif de l’espace
étudié par des alignements bâtis uniformes.
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Fig. 7 – Versions multi-échelle et mono-échelle d’un même scénario
de développement urbain résidentiel

PISTES POUR UNE ÉVALUATION DE LA DURABILITÉ


DES FORMES URBAINES FRACTALES

Considérant le cas des villes européennes, l’objectif de durabilité des


formes urbaines peut se décliner selon quatre axes. Le premier est de limiter
le développement de formes bâties diffuses, qui soient trop éparses et trop
peu concentrées pour autoriser la mise en place de systèmes de transport en
commun efficient et pour assurer une bonne accessibilité à des aménités
variées (lieux d’emploi, de commerce, de loisirs…). Le deuxième axe
consiste à limiter la fragmentation du tissu bâti afin de préserver (voire amé-
liorer) la biodiversité, d’éviter les bâtiments isolés dans des zones à forte
valeur paysagère, et de maintenir une agriculture viable dans les zones péri-
urbaines. Le troisième axe vise à améliorer (ou du moins préserver) la diver-
sité des formes urbaines, dans le but d’éviter l’uniformisation et la
banalisation des paysages et de favoriser la diversité de l’offre de logements.
Le quatrième axe consiste à préserver la pénétration de coulées vertes dans
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Formes de villes optimales, formes de villes durables 167

les agglomérations, ce qui permet une bonne ventilation des zones urbaines
centrales denses, ainsi qu’une bonne accessibilité aux espaces libres de
récréation et de loisirs (espaces verts et naturels, forêts péri-urbaines…).
Nombreuses sont les propositions méthodologiques pour évaluer la
durabilité d’un territoire, d’une ville, d’une agglomération. Celles-ci font
largement appel à une série de critères tels que le nombre et la longueur des
déplacements en automobile, les émissions de diverses natures (CO2, cha-
leur…), le niveau sonore d’exposition aux bruits… Ces critères témoignent
du fonctionnement urbain ou le reflètent. Cependant, on constate la pau-
vreté des critères servant à évaluer la durabilité de la forme urbaine elle-
même 7, le critère le plus couramment utilisé étant la densité (résidentielle,
bâtie, brute, nette…). De fait, il existe actuellement encore peu de critères
d’évaluation des formes urbaines et la quête de la (ou des) métrique(s)
urbaine(s) est encore largement ouverte. Les entreprises les plus avancées
dans cette direction sont notamment issues du domaine de l’écologie du
paysage 8. Cependant, une métrique paysagère ne peut pas être simplement
transposée pour en faire une métrique urbaine : les déterminants des formes
spatiales, qui les rendent propices ou néfastes à la vie et au développement
d’espèces floristiques et faunistiques, ne sont pas a priori les mêmes que
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ceux relatifs aux choix de localisation et aux pratiques spatiales des indivi-
dus en ville.
Analyser les aspects fractals des formes urbaines peut fournir des cri-
tères d’évaluation de leur durabilité qui représentent une alternative, ou qui
complètent les grilles d’évaluation existantes. Ainsi, pour répondre aux
quatre objectifs du développement durable urbain cités précédemment, neuf
critères d’évaluation ont été sélectionnés qui apportent chacun un éclairage
différent sur l’objectif en regard (figure 8). Par exemple, une organisation
hiérarchique des agrégats bâtis est intéressante à prendre en compte notam-
ment car elle est favorable à l’émergence de centralités de différents niveaux
hiérarchiques. Autre exemple, la diversité multi-échelle du tissu bâti permet
de mettre en évidence le contraste du bâti à travers les échelles. Cette pro-
priété est l’une des voies possibles pour développer une offre en logements
diversifiée. On remarquera que chaque critère proposé peut être mesuré ou
quantifié au moyen de traitements géomatiques assez simples et à partir de
données d’accès courant (BD topo© de IGN et fichier SIRENE© de l’INSEE par
exemple).

7. Ici, la forme urbaine est vue dans le sens, évoqué dans l’introduction de l’article, d’une arti-
culation entre espace bâti, espace non bâti et réseau.
8. Publiées notamment dans la revue Landscape and Urban Planning.
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168 Espaces et sociétés 138

Fig. 8 – Une grille d’évaluation alternative


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de la durabilité d’une forme urbaine

Les travaux cités dans le deuxième chapitre de cet article « Modèles de


ville fractale » ont débouché sur l’hypothèse que la ville fractale maximise
les accessibilités à des aménités de nature variée (urbaines et rurales), tout en
limitant la fragmentation des espaces non bâtis. En outre, sachant qu’une
forme fractale peut être ni dense ni diluée, on imagine facilement que la ville
fractale puisse être une alternative intéressante à la densification. Si ces hypo-
thèses étaient vérifiées, alors la mesure de la fractalité des villes pourrait être
un bon indicateur synthétique de la durabilité de leur forme.

EN GUISE DE CONCLUSION : DE L’OPTIMALITÉ VERS L’ADAPTABILITÉ


DES FORMES DE VILLES FRACTALES

Poser la question de l’optimalité dans un objectif de développement


durable amène à réfléchir d’un point de vue dynamique. En effet, quel est l’in-
térêt à rechercher un optimum à un instant t, sachant qu’il sera remis en cause
en t + 1 ? L’optimalité se pose dès lors en termes d’adaptabilité dans le temps :
quelle est la robustesse ou la résistance d’une forme de ville au regard de per-
turbations extérieures possibles, notamment des modifications du contexte
social et politique, du contexte économique (croissance ou décroissance, éco-
nomie libérale ou « alter-mondialiste »…) et du contexte technologique.
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Formes de villes optimales, formes de villes durables 169

En systémique, la résistance d’un système se définit comme sa capacité


à maintenir sa structure. Cette résistance dépend à la fois de la diversité des
composants du système, et du nombre et de la diversité des interactions entre
ses composants. Par ailleurs, un système peut être plus ou moins robuste sui-
vant que l’on considère différentes trajectoires dans le temps. Par exemple, le
système urbain est plus fragile vis-à-vis de certaines décisions d’aménage-
ment que d’autres, et la non-prise de décision peut tout autant déstabiliser le
système dans sa dynamique. Ainsi, la non-préservation des espaces naturels
peut amener à un déséquilibre écologique irréversible du système et la dispa-
rition de certaines espèces faunistiques ou floristiques.
Les lois de puissance, dont les lois fractales, sont associées à des pro-
priétés de robustesse des systèmes complexes. Cela peut expliquer l’adapta-
bilité qui semble caractériser la ville fractale : une capacité à se développer
sans perdre ses propriétés originelles, voire à se réduire ; une capacité à cor-
respondre à différents modes de fonctionnement urbains de par la diversité
des accessibilités qu’elle peut offrir ; une robustesse au regard de la tendance
actuelle à l’étalement urbain en termes de non-fragmentation des espaces non
bâtis. Se dessine ici l’idée de résilience du système urbain, une forme de ville
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résiliente permettant d’accueillir efficacement une grande variété de modes
de fonctionnement urbains correspondant à des contextes sociaux, politiques,
économiques et technologiques très différents… Dans les faits, des villes et
des quartiers existent depuis des siècles. La forme urbaine a été conservée.
Dans certains cas, les gens vivent bien dedans, moins bien dans d’autres.
Certaines formes urbaines ont ainsi permis d’accueillir différentes généra-
tions d’êtres humains, avec plus ou moins de bonheur ; des quartiers sont tou-
jours là et occupés. La ville fractale serait-elle plus résiliente que la ville
euclidienne, compacte ou étalée ? La question reste ouverte, et les éléments
de réponse qui pourront être apportés intéresseront sans doute chercheurs et
praticiens de l’aménagement urbain.

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