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La déliaison des énonciateurs et des locuteurs dans la

presse satirique
Alain Rabatel
Dans Langage et société 2004/4 (n° 110), pages 7 à 23
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 273511015X
DOI 10.3917/ls.110.0007
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 01/03/2023 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36)

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La déliaison des énonciateurs
et des locuteurs dans la presse satirique

Alain Rabatel
IUFM de Lyon
ICAR, UMR CNRS 5191, Université Lumière-Lyon 2

La déliaison des énonciateurs, théorisée par O. Ducrot 1984, rend de


signalés services pour l’analyse de situations dialogiques, au demeu-
rant fort banales, dans lesquelles le locuteur intègre dans son dire le
point de vue de locuteurs/énonciateurs seconds, sans exprimer
directement le sien en tant que locuteur/énonciateur premier. Sans
reprendre ici la discussion sur les fondements théoriques de cette
déliaison (Rabatel 2003a et b), nous voudrions en exemplifier l’inté-
rêt, tout particulièrement à partir de ses implications pragmatiques,
qui permettent de renouveler la question de la prise en charge énon-
ciative.

1. Cadre théorique
On sait, comme le rappelle D. Maingueneau 2002 : 224-226, que la
question des relations entre locuteur et énonciateur divise profondé-
ment la communauté scientifique, puisque les uns font de l’énoncia-
teur un doublon du locuteur (ainsi Benveniste) tandis que les autres
(ainsi Ducrot 1984) réservent à l’énonciateur un statut intradiscursif
spécifique, en en faisant la source des contenus propositionnels des
énoncés. Nous partageons l’analyse ducrotienne même si, sur cer-
tains points, celle-ci paraît devoir être amendée (Rabatel 2005),
comme on le verra dans notre dernière partie.

© Langage et société n° 110 – décembre 2004


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8 ALAIN RABATEL

1.1. Instances
Le locuteur (L) est l’instance qui profère un énoncé dans ses dimen-
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sions phonétiques et phatiques ou scripturales, selon un repérage
déictique ou selon un repérage indépendant d’ego, hic et nunc. L’énon-
ciateur (E) est à l’origine d’un point de vue (PDV), défini ici comme
contenu propositionnel dont le dit, comme le dire, dépendent des
choix de référenciation pris en charge par l’énonciateur. Proche du
sujet modal de Bally, c’est l’instance des actualisations modales, ce qui
signifie qu’elle assume l’énoncé, en un sens nettement moins abstrait
que la prise en charge découlant de l’ancrage déictique. Toutefois, à la
différence de Bally, et conformément à O. Ducrot 1993, ce sujet modal
n’est pas seulement présent dans le modus, il l’est également dans les
choix de dénomination, de qualification et de structuration du dictum.
Ainsi, un énoncé monologique est proféré et assumé par un locu-
teur et un énonciateur en syncrétisme. Un énoncé dialogique, en
revanche, peut comporter plus d’énonciateurs que de locuteurs,
comme dans le cas des mentions ironiques qui renvoient à points de
vue non tenus, ou dans les comptes rendus de perception à la troi-
sième personne (Banfield 1995, Rabatel 1998). Bref, si tout locuteur
est énonciateur, tout énonciateur n’est pas nécessairement locuteur.

1.2. Structures
On notera par une majuscule, suivie du chiffre 1, le locuteur primai-
re et cet énonciateur primaire, lorsqu’il correspond en quelque sorte
au principal (c’est-à-dire exprimant le PDV du locuteur L et E, voire
du sujet parlant, cf. infra), et par une barre oblique le syncrétisme de
L1 et de E1. En situation dialogale, l’alter ego de L1 est noté par une
majuscule, suivie du chiffre 2, ou 3 en cas de trilogue, et ainsi de suite
dans les polylogues, chaque syncrétisme étant noté L2/E2, etc.
Dans un cadre dialogal ou dialogique, on notera respectivement,
par une minuscule suivie du chiffre 2, l2 et e2 (ou l3 et e3, etc.) les
locuteurs et énonciateurs enchâssés (ou cités) dans l’énoncé du locu-
teur citant, et dans le point de vue originel à partir duquel se mar-
quent les positions énonciatives divergentes. En ce sens, L et E sont :
– linguistiquement premiers, par rapport à l et à e qui occupent une
posture seconde, puisque la deixis est calculée par rapport à L1,
impliquant les transformations idoines dans le discours cité de l2 ;
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LA DÉLIAISON DES ÉNONCIATEURS ET DES LOCUTEURS 9

– hiérarchiquement supérieurs à l et à e, sur le plan pragmatique,


dans la mesure où L1 rend compte des PDV de l2 en fonction de ses
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propres intérêts de locuteur primaire.
Même si l’énoncé comporte autant d’énonciateurs que de pdv
(rapportés à des contenus propositionnels), ces derniers ne sont pas
tous du même ordre, tant sur le plan syntaxique (Nølke et alii 2004 :
32ss) que sur les plans sémantique et énonciatif qui nous intéressent
ici plus particulièrement : ainsi, il est possible de rapporter plusieurs
contenus propositionnels à des énonciateurs qui correspondent au
sujet de l’énonciation (locuteur) ou à des sujets de l’énoncé (sujets
modaux). Ce phénomène, qui joue dès la formation d’un énoncé
(phrase simple ou complexe), est davantage actif avec une suite
d’énoncés formant une séquence textuelle ou un texte complet. C’est
parce qu’ils prennent en compte la nécessité de hiérarchiser les énon-
cés sur un plan sémantique-énonciatif que les symboles e2, e3, etc.,
ne correspondent pas à chacun des contenus propositionnels, mais à
des sources énonciatives distinctes (plus ou moins saturées, séman-
tiquement), pour autant qu’elles prennent en charge un nombre
variable de ces contenus propositionnels.
Autrement dit, si, pour Ducrot 1984, chaque contenu proposition-
nel correspond bien à un énonciateur, pour nous, en revanche, ce der-
nier est capable de prendre en charge plusieurs contenus proposi-
tionnels qui sont sous sa portée. Ce regroupement de paquets de
contenus propositionnels semble répondre à des besoins cognitifs
d’économie et d’efficacité dans le traitement des informations. Cette
différence (ce différend) avec Ducrot 1984 paraît sans enjeu lorsqu’on
se limite à des phrases simples, mais dès qu’on passe à la phrase
complexe, a fortiori au discours, la question de la saturation séman-
tique et de la hiérarchisation des énonciateurs est incontournable ; à
vrai dire, elle l’est dès le cadre de la phrase simple dialogique, si l’on
procède à une analyse pragmatique des actes de langage directs ou
indirects contenus dans les énoncés.

1.3. Liens sémantiques


Les relations entre L1/E1 et l2/e2 relèvent :
– tantôt de la responsabilité ou de la non responsabilité, lorsque les
relations sont explicites (Nølke et alii 2004 : 44-49) ;
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– tantôt de la consonance ou de la dissonance (Cohn, 1990, Rabatel 1998,


chapitre IV, Nølke et alii 2004 : 49-50, 71 1), lorsque ces liens sont impli-
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cites. Dans les deux cas, ces liens sont graduels.

1.4. Marques linguistiques et discursives du point de vue


Du fait de notre corpus (dessins satiriques avec peu de texte), il est
difficile d’illustrer la grande variété des marques linguistiques du
PDV. On se bornera ici à présenter un cadre d’analyse, et, pour des
travaux plus fouillés, de renvoyer à des travaux antérieurs, aisément
accessibles. Etant donné qu’un PDV se marque par tout ce qui, dans
la référenciation des objets (du discours) révèle, d’un point de vue
cognitif, une source énonciative particulière et dénote, directement
ou indirectement, ses jugements sur les référents, les formes linguis-
tiques et discursives par lesquelles se marque ce PDV sont innom-
brables : elles relèvent tant de la chaîne anaphorique 2 que de la chaî-
ne verbale 3 que des connecteurs et marqueurs temporels 4 ou encore
des stratégies de (dé)nomination, des topoï, des phénomènes de
schématisation et d’éclairage 5 contraignant (ou orientant) plus ou
moins efficacement les représentations du co-énonciateur, selon que
le PDV s’avance ouvertement ou masqué 6. Compte tenu de la nature
dialogique du PDV, les questions du bornage du PDV sont aussi sen-
sibles que pour la problématique du discours rapporté, avec les
comptes rendus (de parole, de pensée, de perception) directs, directs

1. Nølke et alii s’en tiennent aux liens de responsabilité et de non-responsabilité.


Toutefois, leurs précisions sur le lien de représentation chez Ducrot (en tant que sous-
type de lien de non-responsabilité), comme sur la question de l’accord (ou du désac-
cord), montrent que l’opposition responsabilité/non-responsabilité peine à rendre
compte de la totalité des liens sémantiques entre êtres discursifs et contenus pro-
positionnels. A preuve, outre le retour sur ce lien de représentation, l’analyse de cas
concrets, dans lesquels l’ambiguïté fait recourir à la notion de concordance ou de dis-
cordance, à l’instar de l’exemple analysé page 71 de leur dernier ouvrage. Certes, les
auteurs ne parlent pas à ce sujet de lien, mais plutôt de lecture ; on nous accordera
toutefois que la différence est ténue…
2. Achard-Bayle (2001), Rabatel (2004b).
3. Vogeleer (1994), (1996), (1998), Vogeleer et de Mulder (1998), Sthioul (1998), Guéron
et Tasmovski (2003), Rabatel (2003d).
4. Ducrot (1980), Rabatel (1999), (2001a).
5. Grize (1990), Rabatel (2003c), (2004a).
6. Rabatel (2000a), (2000b), (2001b).
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LA DÉLIAISON DES ÉNONCIATEURS ET DES LOCUTEURS 11

libres, indirects, indirects libres, narrativisés 7. Sur le plan textuel, se


pose donc la question des marques de bornage ‘externe’ et des
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marques ‘internes’ de ces comptes rendus, explicites ou implicites –
et, dans ce cas, reconstructibles par inférences à partir des données
co-textuelles ou des connaissances du monde partagées, comme dans
l’anaphore associative (Kleiber 2001). Toutes ces marques, en ren-
voyant à un énonciateur spécifique, distinct du locuteur/énonciateur
premier, alimentent la thèse de la déliaison locuteur/énonciateur, qui
opère dans toutes les situations dialogiques, autant dire pratique-
ment toujours…
La disjonction locuteur/énonciateur revient à dire que si un énon-
cé comporte un seul centre déictique (comme il appert des transpo-
sitions effectuées par le locuteur citant sur les dires du locuteur cité),
il peut en revanche réunir plusieurs centres modaux (Rabatel 2003a :
57-58, 2003b : 133-135). Une telle déliaison n’est pas propre au DR,
elle est fondamentale dans tous les énoncés dialogiques, comme dans
l’exemple bien connu d’ O. Ducrot,
(1) L’ordre sera maintenu coûte que coûte.

En effet, la question de la prise en charge énonciative de l’énoncé


ne saurait se limiter à l’extraction sémantique d’informations décon-
textualisées (correspondant à l’idée de [maintenir [l’ordre] [à tout
prix]]), elle doit déterminer quel(s) acte(s) de discours orientent le
contenu propositionnel de (1). Dès lors, L1/E1 y est en phase avec un
énonciateur e2 faisant une promesse aux allocutaires “bons citoyens”,
mais aussi avec un autre énonciateur e3 qui menace les allocutaires
“contestataires ou mauvais citoyens”, laissant ouverte la question de
savoir si L1/E1 est plutôt du côté de la menace ou de la promesse, ou
s’il considère que la réalisation de la menace est le garant de l’effec-
tivité de sa promesse, ce qui n’entraîne pas les mêmes conséquences
pratiques, surtout en fonction du sérieux que les destinataires du
message accordent tant à la promesse qu’à la menace, lui-même fonc-
tion de l’engagement du sujet parlant (et pas seulement du locuteur 8)

7. Rabatel (2003a), (2003b), (2003e).


8. En effet, si sa réputation, en tant que sujet parlant, est mauvaise, un locuteur a beau
s’engager très fortement dans son discours, il n’incite guère les destinataires du
message à le prendre au sérieux : tout au plus passe-t-il pour un bon comédien.
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dans son discours. Cette dernière question déborde la problématique


de l’ethos discursif, car elle intègre aussi la connaissance que les des-
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tinataires ont du sujet parlant : selon son autorité ou son crédit, ou en
fonction du degré de confiance que les destinataires du message
accordent à ce dernier, les destinataires décideront d’une part si la
promesse est crédible ou si elle n’engage que ceux y croient, d’autre
part si la menace est une énième rodomontade ou une « dernière
sommation » avant les mesures répressives annoncées, sans qu’ils
établissent nécessairement de lien entre l’engagement du sujet par-
lant sur sa promesse et la possibilité de mettre sa menace à exécution :
les hommes politiques ne sont pas les seuls à ne pas pouvoir concré-
tiser ce qu’ils veulent pourtant de toutes leurs forces…
On retrouve également cette déliaison dans un énoncé ironique,
en contexte satirique, qui relève de la double énonciation allusive :
(2) Une idée pour sauver l’école : la suppression… des jours Ferry (Le Canard
enchaîné, 3 septembre 2003, page 1)

En (2), le locuteur/scripteur de l’énoncé fait allusion à la proposi-


tion de suppression d’un jour férié pour régler le financement des
aides aux personnes âgées. Ce jeu de mots de L1, prêtant la voix,
pour mieux s’en distancier, à un énonciateur second aux positions
antagonistes aux siennes, suggère au premier ministre, pour régler
les problèmes de l’école, de demander la démission de Luc Ferry.
Mais l’énoncé n’appelle pas explicitement à cette démission, il
emprunte la forme d’un énoncé écho non tenu, tel qu’il aurait pu être
prononcé par un collaborateur (e2) du gouvernement Raffarin, qui
ferait du zèle, et proposerait de généraliser cette idée si géniale, en
supprimant des jours fériés à tout va.
C’est L1/E1, en jouant sur la para-homophonie de [ferie :: feri], qui
est le locuteur, mais non l’énonciateur e2 d’un PDV discrédité par son
caractère aussi agrammatical qu’absurde. Et c’est précisément cette
absurdité qui marque une dissonance (à défaut de distanciation
explicite) entre ce PDV de e2 et celui de L1/E1. Manière ironique de
dire, aux yeux de L1/E1, que la solution du malaise enseignant
comme le financement de la solidarité avec les vieux passe par des
mesures politiques et financières sérieuses, et non par des gadgets
aussi stupides que, dans l’ordre du discours, l’à-peu-près phonétique
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du jeu de mots. L’implicite et le double sens rejaillissent y compris sur


la première partie de l’énoncé, qui renvoie ainsi à deux sujets modaux
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différents. Le zélateur de la majorité (e2) serait l’auteur en usage
d’« une idée pour sauver l’école », il en « rajouterait une couche » pour
faire (im)pression sur ses chefs. Le même énoncé, en mention iro-
nique dans la bouche de E1 (cf. « une “idée” ») prendrait ses distances
avec ce populisme en dénonçant le creux de ces coups de gueule et
de ces rodomontades dont sont coutumiers les godillots qui s’agitent
dans les antichambres du pouvoir. Dans cet énoncé syntaxiquement
simple, mais traversé par un dialogisme interne 9, on note la copré-
sence d’un seul locuteur et de deux (ou plus) énonciateurs. Certes, il
est possible de rencontrer des énoncés dialogiques comportant autant
de locuteurs que d’énonciateurs en syncrétisme, mais ce n’est pas
toujours le cas, comme (2) en témoigne, sans qu’il soit besoin de faire
appel à des contextes littéraires. En d’autres termes, un énoncé dia-
logique, s’il a toujours plusieurs énonciateurs, n’a pas nécessairement
autant de locuteurs que d’énonciateurs.
Cette situation de déséquilibre fait ressortir la question du princi-
pal, c’est-à-dire la question de ce que pense en effet l’énonciateur pre-
mier, enchâssant, question incontournable et à laquelle il est pourtant
difficile de répondre lorsque ce dernier ne parle pas pour son propre
compte. Quant au principal, c’est-à-dire L1/E1 (mais aussi, au-delà de
lui, le locuteur être du monde et le sujet parlant qui l’incarne, même
si en contexte il s’agit d’un auteur anonyme derrière lequel il faut lire
le PDV du Canard enchaîné), il nous fait entendre qu’il faut, pour ainsi
dire, « supprimer les supprimeurs de jours fériés », par un juste retour
de bâton, l’excès même de la formule – « supprimer », ce n’est pas
« demander la démission » – semblant être mis au compte du néant
(ou du degré zéro) d’une certaine (façon de faire de la) politique.

2. Les jeux de l’énonciateur premier dans la presse satirique :


désinvolture énonciative ou « mentir vrai » ?
Comme le montre l’exemple précédent, la déliaison locuteur/énon-
ciateur est fortement mise à contribution dans les polémiques qui

9. « Le deux de l’énonciation dans l’un (apparent) de l’énoncé », selon la formule de Bres


& Verine 2002 : 162). Ce dialogisme s’oppose au dialogisme externe, interlocutif.
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sont le pain quotidien (ou hebdomadaire…) de la presse satirique,


lorsque L1 donne son PDV en déformant ou recontextualisant le PDV
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des locuteurs seconds. On est même tenté de dire qu’elle est on ne
peut plus utile dans les dessins, surtout lorsqu’ils s’accompagnent de
l’effacement (relatif) de L1/E1, qui, en première analyse, se réduit à
un rapporteur/metteur en scène, comme c’est le cas dans les deux
exemples suivants.
Dans un encadré avec en titre
« José Bové partout », on voit
au premier plan José Bové et,
à l’arrière-plan, Marie-Georges
Buffet et Robert Hue se dispu-
tant, cependant qu’au-dessus
des trois personnages, on lit
« L’alternationa-a-ale sera le
genre humain ». Le dessin fait
allusion à la visite de J. Bové à la
fête de l’Humanité de sep-
tembre 2003 et aussi à la réap-
parition publique de l’ancien
secrétaire national du PCF, Robert Hue ainsi qu’à ses désaccords 10 avec
la nouvelle secrétaire nationale sur la conduite à tenir envers l’extrême
gauche. Ces désaccords sont évoqués en une du Canard enchaîné, dans
un article intitulé « Marie-Georges Bové et José Buffet », en regard du
dessin (ainsi que page 2, dans la rubrique « La mare aux canards »).
Cette version new look de l’Internationale est attribuée à José Bové,
malgré l’absence de phylactère qui aurait joué le rôle d’un verbum
dicendi, car José Bové a la bouche ouverte, et le poing levé, comme pour
entonner le chant révolutionnaire. Il s’agit d’une sorte de discours
direct non tenu : car, que l’on sache, ce n’est pas J. Bové qui est l’auteur
de cette nouvelle version de l’Internationale, mais le locuteur/énon-
ciateur premier (le journaliste/dessinateur qui signe Cabu), qui la
lui attribue fictivement. Bref, J. Bové est à la fois le locuteur second,
l2, (oralisant un “texte” écrit par le locuteur premier/ scripteur) et

10. Pourtant non explicités dans un discours, en sorte que Robert Hue est un énoncia-
teur enchâssé, e4, sans être locuteur.
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LA DÉLIAISON DES ÉNONCIATEURS ET DES LOCUTEURS 15

l’énonciateur second, e2, (adhérant au dit). La rengaine a un autre


énonciateur second, Marie-Georges Buffet, partisane de la ligne de
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rapprochement avec l’extrême gauche 11 (symbolisée à tort ou à raison
par J. Bové), ligne critiquée par Robert Hue… Nous en sommes donc
à deux énonciateurs seconds pour un refrain (après tout, c’est le
propre des refrains d’être repris en chœur…), dont l’un est le locuteur
second, mais dont l’autre, M.-G. Buffet (e3), n’est pas locuteur,
puisque, si elle a le poing levé, comme R. Hue, c’est pour affronter ce
dernier en une nouvelle version du « combat des chefs », qui est un
des pré-construits stéréotypiques de la représentation (française ?) du
pouvoir politique. (3) correspond ainsi à un acte de langage indirect
directif (le slogan condense une ligne politique) que R. Hue conteste.
Quel est le PDV de L1/E1 ? Il n’y a dans le dessin (on n’en dirait
pas autant de l’article, signé D.D.) aucune marque explicite d’accord
ou de désaccord, les liens relèvent de la dissonance ou de la conso-
nance. Ici, il nous faut recourir à des données situationnelles, rela-
tives au sujet parlant : car si la mise en scène traduit une dissonance,
dans la mesure où les relations musclées entre camarades 12 préjugent
mal de la viabilité de l’accord, voire de la fiabilité des parties contrac-
tantes… Mais même dans ce cas, jusqu’où va la dissonance ? La dis-
tance envers les acteurs politiques peut signifier une distance envers
une pratique et laisser indemne le contenu politique, ou, au contrai-
re, la critique des pratiques peut aboutir à la disqualification des
objectifs politiques dont elles s’autorisent. C’est en tout cas le propre
de l’allusion en régime satirique que de favoriser le tremblé inter-
prétatif. Mais encore convient-il de remarquer que ce tremblé ne
fonctionne jamais aussi bien que lorsqu’il alimente les PDV des énon-
ciateurs seconds, les sature sémantiquement, tout en cultivant le
doute, en installant une schyze entre les énonciateurs seconds et les
locuteurs seconds, prélude à d’autres fêlures, dans la “vraie vie”,
entre les paroles et les actes.
Mais la visée satirique de L1/E1 envers sujets parlants peut aller plus
loin que dans l’exemple précédent, où, somme toute, la déformation

11. Ainsi que l’indique le titre de l’article juxtaposé au dessin, avec l’intercalation des
noms et prénoms de « Marie-Georges Bové et José Buffet ». L’ensemble des données
forme un embryon d’hyperstructure (Lugrin 2000).
12. « L’union est un combat » parfois rugueux, c’est bien connu…
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du PDV des locuteurs seconds ne fait qu’exprimer tout haut ce qu’ils


pensent tout bas, en mettant à jour leurs contradictions. En effet, on
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peut imaginer des situations polémiques dans lesquelles il est possible
de mettre en scène des énonciateurs imaginaires pour disqualifier un
locuteur par une sorte de trope communicationnel (Kerbrat-Orecchioni
1986) : la polémique s’autorise alors de la fiction pour, par le biais de ce
mentir vrai, faire émerger le danger de PDV doxiques apparemment
anodins, dont la mise en scène anticipe sur le terme d’un processus
pour mieux dégager la dangerosité d’une opinion doxique apparem-
ment anodine.
Reprographie, ci-contre,
du dessin d’Honoré
Dessin avec des Juifs portant
l’étoile jaune devant
un wagon plombé disant
«Non au service minimum !»
(Charlie Hebdo n° 600,
17 décembre 2003, p. 14,
reproduit avec l’aimable
autorisation de l’auteur)

L1/E1 met en scène la manière à ses yeux scandaleuse dont la


presse populaire manipule l’opinion, en instrumentant le PDV des
usagers des transports en commun pour plaider en faveur du servi-
ce minimum dans les transports. La mise en scène des propos est
orchestrée de manière à produire un effet maximal de surprise. Car
la lecture de la seule citation n’évoque pas la grève, elle renvoie à
l’extermination des Juifs durant la deuxième guerre mondiale, et à
rien d’autre13. C’est ce que confirme le dessin.

13. Cet énoncé cité autonome, sans mention de source, appartenant à un thésaurus,
dont le signifiant exprime nécessairement son signifié, renvoie à la notion d’hyper-
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LA DÉLIAISON DES ÉNONCIATEURS ET DES LOCUTEURS 17

Le journaliste L1/E1 donne son avis en attribuant clairement la


paternité de la citation au(x) journaliste(s) de France Soir (l2/e2)
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(« titrer » vs « dire/déclarer », jugés trop neutres), et en indiquant par
antiphrase l’absence de honte (« osaient ») de ceux qui injurient à la
fois les victimes de l’extermination (par défaut) et les grévistes (par
excès). La mise en valeur du verbum dicendi par le point, là où l’on
attendait une virgule produit un effet de mise en relief du verbum
dicendi, dont le sémantisme dépréciatif est très fort, en sorte que l2/e2
est critiqué pour le contenu du dit (L1/E1 critique la défense du ser-
vice minimum) et l’excès de son dire car il avance ce PDV en se
retranchant derrière des usagers instrumentalisés 14, tout en offensant
la mémoire des victimes de la shoah. Tout cela est suggéré par la mise
en scène ainsi que par quelques données linguistiques, mais force est
de constater que L1/E1 ne le dit pas clairement : d’où l’intérêt de la
déliaison du concept d’énonciateur, à la fois pour rendre compte des
PDV indirects de L1 et de l2.
Mais il y a plus, le dessin comporte encore d’autres locuteurs/
énonciateurs enchâssés, des Juifs portant l’étoile jaune, une femme
disant « Non au service minimum ! » (l3/e3), alors qu’elle s’apprête
à monter dans un wagon qui ressemble à un wagon plombé. Il est
intéressant de remarquer que si France Soir cite le PDV putatif des usa-
gers, L1/E1 ne donne pas la parole aux grévistes. Il prend seulement
au mot France Soir : puisque ce dernier détourne l’horreur de l’exter-
mination à des fins partisanes, il choisit de retourner ce détourne-
ment contre son auteur. Les Juifs sont cités à comparaître et viennent
défendre ceux-là mêmes que France Soir voulait livrer à l’opprobre
universel sans discussion possible. En sorte que cette citation qui était
censée dire le ras-le-bol des usagers se retourne contre son “utilisa-
teur”. Le caractère tragique de la scène, accentué par l’expression-
nisme très réussi du dessin, fait par contraste ressortir l’idée que
l’atteinte au droit de grève que représenterait le service minimum
dans les transports ouvrirait une brèche vers la dictature, laquelle, de
énonciateur : cf. Maingueneau 2005 (communication à la journée Conscila du
12 décembre 2003, repris dans le numéro 156 de Langages consacré à l’effacement
énonciatif dans les discours rapporté, et à ses effets pragmatiques).
14. En leur attribuant, avec la caution attribuée aux guillemets, des propos et un PDV
qui n’est pas nécessairement le leur : car il se trouve vraisemblablement des usagers
qui, malgré la gêne, ne sont pas partisans d’un service minimum dans les transports.
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18 ALAIN RABATEL

sinistre mémoire (mais d’aucuns semblent l’avoir oublié), commence


de manière rampante par restreindre les droits des travailleurs avant
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de s’attaquer aux minorités elles-mêmes.
Ici encore, où se tient le principal ? L1/E1 cherche-t-il seulement à
réagir face à la citation disproportionnée de France Soir, sans prendre
éventuellement parti sur le service minimum, ou bien veut-il faire
d’une pierre deux coups ? La mise en scène, avec des Juifs devant un
train de la mort, ainsi que le slogan en appelant au rejet de la mesu-
re de service minimum, plaide en faveur de la deuxième hypothèse :
ainsi, il y a ici consonance entre le PDV de L1/E1 et le PDV des l3/e3
que sont les Juifs (ainsi qu’avec le PDV des cheminots), qui appellent
à une sorte de résistance contre les dérives antidémocratiques.
Il est intéressant de constater que dans cet exemple comme dans
les autres, les situations de conflit ouvert ou de dissensus mettent en
scène les positions des adversaires par la médiation d’énonciateurs
qui correspondent à des PDV par rapport auxquels les locuteurs se
situent en dissonance ou en consonance. Qui plus est, ces PDV sont
rapportés à des énonciateurs qui, souvent, ne sont pas des locuteurs :
ce procédé est très efficace, très économique aussi, sur le plan argu-
mentatif, car il permet d’attribuer à autrui des positions sans susciter
les discussions qu’appelleraient des paroles.

3. Hiérarchisation des points de vue et prise en charge


des points de vue par le locuteur : la question du principal
Ces analyses montrent qu’il est utile de préciser les relations entre
locuteur et énonciateurs, notamment en prenant quelques distances
avec certaines représentations du locuteur comme metteur en scène,
telle qu’on la trouve chez O. Ducrot 1984, où le locuteur se borne à
répartir la parole entre différents énonciateurs. Cette conception de
la mise en scène énonciative réduit le locuteur à un organisateur abs-
trait des relations avec les énonciateurs qui traversent son discours,
insaisissable, en fin de compte : le locuteur serait ainsi partout, à tra-
vers sa mise en scène des énonciateurs, et nulle part, pour son propre
compte, tellement la relation du locuteur à l’énonciateur est floue
sous l’angle des mécanismes de prise en charge. C’est le reproche que
J. Authier-Revuz adresse à toutes les représentations (« théâtre »,
« mise en scène », « jeux de rôle ») qui, en dernière instance, laissent
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LA DÉLIAISON DES ÉNONCIATEURS ET DES LOCUTEURS 19

intacte (voire alimentent) une représentation volontariste et toute


puissante du sujet à travers les manipulations de la communication :
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ainsi persiste la toute-puissance de l’un derrière la mise en scène du
multiple, comme à travers une représentation de l’autre qui, si l’on
minore la dimension interactive d’une communication qui se co-
construit, peut s’accommoder sans peine des représentations de
l’interaction comme manipulation, à partir d’un vouloir-dire sur-
plombant (Authier-Revuz 1998 : 69).
Que le locuteur soit partout, c’est une évidence, mais qu’il ne soit
nulle part, cela paraît très contestable. Certes, la mise en scène énon-
ciative offre au locuteur toute une palette de postures pour parler à
travers des simulacres, des « fluctuations permettant au sujet de jouer
à cache-cache avec des opinions, de les camper, de disparaître, de jouer
une position en mineur ou en contrepoint, puis de se réapproprier
plus ou moins violemment une place énonciative dominante » (Vion
1998 : 199). Mais ces stratégies de contournement, d’affleurement,
d’évitement n’empêchent pas qu’au bout du compte, le locuteur/
énonciateur premier soit assignable à une position. Cette position est
certes facilement repérable lorsque ce dernier marque explicitement
ses relations avec les autres énonciateurs intratextuels qui peuplent
son discours, mais elle ne doit pas être mésestimée dans les contextes
opaques où ces relations relèvent de l’implicite, sous forme de conso-
nance ou de dissonance.
C’est donc pour ne pas alimenter les représentations de “sa majes-
té” le “sujet” qui perdurent derrière le paravent de la polyphonie ou
de l’hétérogénéité que la question du principal nous paraît utile. À la
condition toutefois d’articuler principal et hétérogénéité énonciative.
Le principal fournit un point d’appui à la nécessaire hiérarchisation
des énonciateurs qui sont sur la scène. C’est lui qui est en charge de
la cohérence polyphonique (Fløttum 2002). Pour notre part, et à la
différence de Goffman, le principal ne se détermine pas essentielle-
ment par le contenu, c’est-à-dire par le discours de la Loi, de la
Science, de l’Autorité (Goffman 1981 : 144 15), ni même par les méca-
nismes linguistiques d’effacement énonciatif.

15. Pour une discussion approfondie de la notion de principal chez Goffman et de la


critique de Ducrot 1984, cf. Rabatel 2004.
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20 ALAIN RABATEL da una definición


circular: es cualquiera
Le principal se définit par un critère radicalement interactionnel, à
savoir par le fait que l’énonciateur principal est celui par rapport
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auquel se déterminent 16 les autres énonciateurs, anti ou co-orientés
par rapport au principal, en situation de dialogue. D’un point de vue
interactionnel toujours, le principal correspond au PDV du locuteur
en tant que tel et du locuteur être du monde, et au-delà de lui, au
sujet parlant : en d’autres termes, c’est par rapport à ce principal que
le locuteur engage son PDV, et c’est par rapport à ce PDV qu’on
sera(it) susceptible de lui demander des comptes, le cas échéant.
Certes, nous n’avons pas la naïveté de croire que le discours des
locuteurs se réduit en dernière instance à un principal, au détriment
de la richesse (et des avantages pragmatiques) du feuilleté énoncia-
tif : mais il s’agit de ne pas céder aux vertiges de l’analyse qui démul-
tiplie les instances, les positions et les rôles, et cantonne le langage
dans un pur jeu intellectuel sans prises sur le réel. La langue n’est pas
simplement un système désincarné, c’est un moyen de communica-
tion et d’action.

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énonciateurs enchâssés manifestent leur subordination au principal par la mise en
scène énonciative dont le locuteur citant lui-même est responsable, assumant ainsi
une fonction de régie et de principal, pour son propre compte. Autrement dit, dans
ce cas de figure, les énonciateurs ne déterminent pas d’eux-mêmes le principal, ils
sont déterminés par lui…
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