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Variété

Françoise Gadet
Dans Langage et société 2021/HS1 (Hors série), pages 337 à 340
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735128273
DOI 10.3917/ls.hs01.0338
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 06/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.179.158.233)

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Françoise Gadet
Université Paris Nanterre
fgadet@gmail.com

Le terme « variété » demeure assez vague pour désigner un parler regardé


pour diverses raisons comme une manifestation spécifique d’un parler
plus général (ainsi par exemple, langue : le français ; variété : le français du
Canada). Le terme oscille entre un sens banal et un sens plus théorique.
Les variétés les plus souvent désignées, parfois par les usagers mais
plutôt par les linguistes, relèvent de dénominations géographiques
(diatopiques). On parle ainsi de français du Québec, de Belgique ou
de français africain. Pour l’axe du temps, il n’est pas d’usage d’y faire
référence en parlant de variétés, bien que l’on dise couramment « fran-
çais du Moyen Âge » ou « français du xviiie siècle ». Pour les autres axes
de variation des faits langagiers, il faut des conditions bien spécifiques
pour qu’ils donnent lieu à des dénominations largement acceptées, et
il est rare que des usagers revendiquent pour leur(s) façon(s) de par-
ler une étiquette les distinguant d’un autre groupe. Des points de vue
social et stylistique (diastratique et diaphasique), ce n’est ainsi le cas que
de termes issus de la reprise sociale, en particulier médiatique, comme
français populaire ou parler jeunes ; ou bien de termes experts, comme
vernaculaire (l’usage le plus ordinaire de tout locuteur, Labov, 1972) ou
style informel – pour ne pas parler de niveaux de langue, terme discu-
table popularisé par la grammaire scolaire qui a l’inconvénient de traiter

© Langage & Société numéro hors série – 2021


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comme un bloc ce qui est le produit d’une série de paramètres liés à


une situation, en particulier quant aux interrelations entre protagonistes
(Koch & Oesterreicher, 2001).
Mais des difficultés surgissent, conséquence des modalités de décou-
page du monde physique. Ainsi, pour l’espace : parlera-t-on de français
d’Amérique du Nord, du Canada, d’Acadie, de Nouvelle-Écosse, de la
baie Sainte-Marie ? Tous ces termes se justifient s’ils correspondent au(x)
terrain(s) de recueil d’un corpus, selon que celui-ci est plus ou moins
vaste. Mais la dénomination choisie ne demeure pas sans effets : chacune
laisserait entendre qu’il y a une spécificité de la variété, qui connaîtrait
suffisamment de cohérence pour être opposée à d’autres variétés de la
langue. Par exemple : parmi les Français canadiens, l’acadien serait à
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distinguer du québécois – ce qui est bien le cas pour certains traits mais
non pour d’autres, au contraire partagés, soit avec d’autres variétés cana-
diennes, soit plus largement dans la francophonie. La notion de variété
soulève ainsi la question de l’ordre à travers lequel la spécificité est éta-
blie : est-ce seulement sur des considérations linguistiques (une liste de
faits de variation) ? Ou bien est-ce surtout par association à des faits du
monde extra-langagier ? Le terme variété est ainsi à relier à celui de varia-
tion (Gadet, 2018), et conduit à se demander dans quelle mesure une
conception supposée linguistique ne fonctionne pas par effet d’après-
coup, sur une base socio-historico-administrative. Les trois modes de
conception possibles d’une variété n’accordent en effet pas la même
place aux faits de langue :
1. Un premier type est socio-historique : il y a un « français de X » parce
qu’au pays (à la région) X, il est parlé (entre autres, en général) français.
2. Le deuxième est idéologique, quand l’appellation est assumée par
ses usagers (pas toujours par tous) : il y a un français de X parce qu’il y a
des locuteurs pour s’en réclamer.
3. Seul le troisième type serait proprement linguistique : le « français
de X » se distingue d’autres variétés du français par les traits Y ou Z, par
une certaine organisation des traits Y ou Z, ou par des contraintes spéci-
fiques sur les traits Y ou Z.
Toutefois, quand bien même la définition linguistique serait tenable
jusqu’au bout, elle connait deux limites. La première concerne la spéci-
ficité : quand on cherche quels traits ne se rencontreraient que dans une
seule variété, on ne parvient guère à en trouver qu’aux niveaux phoniques
(comme l’affrication des consonnes dentales des Québécois devant
voyelle antérieure ou l’accentuation sur la pénultième chez les Suisses
romans) ou au niveau lexical : maringoin ou cheum pour « moustique »
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ou « petit ami » au Canada, enceinter ou ambiancer en Côte d’Ivoire (dans


toute l’Afrique de l’Ouest ?), ou encore septante, nonante dans la périphé-
rie de la francophonie européenne (Suisse, Belgique). En syntaxe et en
morphologie, on ne trouve à citer que de rares phénomènes distinctifs,
comme l’avoir su j’en aurais pas pris, répandu au Canada (« si j’avais su »),
mais que (souvent écrit mèque) en français acadien et québécois (mais que
tu le vois, fais mine de rien – « lorsque ») ou encore m’as au Québec, à
côté de je vais et je vas (m’as rester tranquille, chante Richard Desjardins
dans Le bon gars). Une seconde limite découle de la première : combien
de traits (de quels ordres ? un seul élément lexical suffit-il ?) faut-il pour
qu’il soit loisible de parler de variété ? Ainsi, l’argot est-il une variété du
français ? On peut répondre non, en arguant que sa syntaxe et sa pro-
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nonciation ne le distinguent pas du « français populaire » ; mais on peut
aussi dire oui, du fait qu’un locuteur peut se dire « argotier ».
La notion de variété oblige ainsi les linguistes à réfléchir sur les don-
nées à partir desquelles ils l’établissent – notion dont l’amplitude s’est
trouvée depuis peu élargie par la linguistique de corpus, par l’avancée des
connaissances en linguistique diachronique et par la découverte de nou-
veaux documents historiques. Mais, pour le diatopique, la réflexion se
heurte aux limites de nos connaissances, en particulier pour les Français
hors de France, hormis quelques-uns qui sont bien documentés comme
les Français nord-américains. Ainsi, il n’est pas rare que des traits linguis-
tiques jusque-là réputés localisés soient identifiés ailleurs, sans qu’il y ait
un lien historique avéré, pour autant qu’on les cherche là où ils ont les
meilleures chances d’être produits, en particulier dans des usages oraux
ordinaires et non dans des formes d’écrits standardisés ou édités (Ernst,
2015 pour un inventaire de ces différents lieux).
La fréquence d’usage du terme variété diffère selon les traditions :
rare en linguistique française, d’un sens banal en linguistique améri-
caine, il prend un sens théorique en linguistique variationnelle héritière
de Coseriu (1969), surtout répandue en Allemagne et en Italie. Ainsi,
Gaetano Berruto (2015), tout en distinguant entre une conception « sys-
tem-based » ou « speaker-based », considère que la notion de variété, à un
certain niveau d’abstraction et répondant à un continuum dans l’archi-
tecture de la langue, peut concilier les deux orientations, condition pour
pleinement saisir la langue en société.
Un autre sens de « variété » concerne la diglossie, en opposant
« variété haute » et « variété basse ». Cet emploi peut ou non être en
relation avec le précédent, car les deux variétés présentes en situation de
diglossie ne sont pas toujours typologiquement apparentées : elles le sont
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dans le cas du français (haut) et du créole haïtien (bas), mais elles ne le


sont pas dans celui de l’allemand variété haute vs hongrois variété basse
dans la province autrichienne de l’Oberwart.
Ainsi, malgré la difficulté qu’il y a à la définir de façon précise, la
notion de variété apparait occuper une place dans la relation entre
système, usage et société (Berruto, 2015), outre qu’elle peut engager
l’adhésion de ses usagers. Mais son emploi soulève la question de l’objet
du sociolinguiste, entre description savante et prise en compte des pra-
tiques et des représentations des locuteurs.

Références bibliographiques
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Berruto G. (2015), « Intrecci delle dimensioni di variazione fra variabilità
individuale e architettura della lingua », dans Jeppesen Kragh K. &
Linschouw J. (dir.), Les variations diasystémariques et leurs interdépen-
dances dans les langues romanes, Strasbourg, ELiPhi, p. 431-446.
Coseriu E. (1969), Einführung in die strukturelle Linguistik, Tübingen,
Niemeyer.
Ernst G. (2015), « La diachronie dans la linguistique variationnelle du fran-
çais », dans Polzin-Haumann C. & Schweickard W. (dir.), Manuel de
linguistique française, Berlin, De Gruyter, p. 72-107.
Gadet, F. (2018), « Langue et variation », dans Encyclopédie Grammaticale
du Français. En ligne : <www.encyclogram.fr/notx/019/019_Notice.
php>.
Koch P. & Oesterreicher W. (2001), « Langage parlé et langage écrit », dans
Holtus G., Metzeltin M. & Schmitt C. (dir.), Lexikon der Romanis-
tischen Linguistik, Tübingen, Max Niemeyer, tome I et II, p. 584-627.
Labov W. (1972), Sociolinguistic Patterns, Philadelphie, University of
Pennsylvania Press.

Renvois : Changement linguistique ; Corpus ; Dialecte ; Diglossie ;


Enquête ; Idéologie ; Parlers jeunes ; Répertoire ; Représentation ;
Variation.

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