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Avant-Propos : l’Avocature, de l’essence aux existences

René Sève
Dans Archives de philosophie du droit 2022/1 (Tome 64) , pages VII à XX
Éditions Dalloz
ISSN 0066-6564
ISBN 9782247223206
DOI 10.3917/apd.641.0000
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Avant-Propos : l’Avocature, de l’essence
aux existences

René SÉVE
Directeur des Archives de philosophie du droit

Il n’est pas fréquent de commencer l’avant-propos d’un ouvrage par une considération,
non de son thème ou de son contenu, mais de son titre en tant que tel, comme signifiant plus
que comme signifié.
Le titre « L’avocat·e » découle non directement d’une position sur la réalité de la
profession et/ou sur le fonctionnement de la langue mais d’un ensemble plus large de facteurs
relevant des conditions de parution de cet ouvrage.
Dans une collection vouée depuis plusieurs années aux titres singuliers (L’E-Justice, La
Famille, L’Ordre public, La Justice prédictive, La Médiation, Le Principe de précaution, La
Responsabilité,…1), un terme désignant non des notions mais des personnes impliquait une
réflexion sur l’expression du genre dans le nom, à l’instar de l’Académie française en 20192. Si

1
Respectivement tomes 54, 56, 58, 60, 61, 62, 63.
2
Rapport sur la féminisation des noms et fonctions, adopté en séance le 28 février 2019. On relèvera les
passages suivants : « L’étude du mot “chef” conduit à un constat : la langue française a tendance à
féminiser faiblement ou pas les noms des métiers (la remarque peut être étendue aux noms de fonc-
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tions) placés au sommet de l’échelle sociale. L’usage fait une différence entre les métiers les plus
courants et les degrés supérieurs de la hiérarchie professionnelle, qui offrent une certaine résistance à
la féminisation. Cette résistance augmente indéniablement au fur et à mesure que l’on s’élève dans
cette hiérarchie. » (p. 11) ; « Les pratiques sont toutefois inégales selon les administrations ou les
domaines de la sphère publique : les grands corps de l’État (inspection générale des Finances, inspec-
tion générale de l’Administration, corps diplomatique et corps préfectoral) et les plus hautes juridic-
tions (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour des comptes, Cour de cassation) sont dans
l’ensemble engagés dans une libre féminisation des titres, grades et fonctions. Dans la plupart des cas,
les appellations employées au masculin s’y prêtent aisément : “inspectrice” est de longue date
implanté dans l’usage ; il en va de même d’“auditrice”, de “conseillère” (mais on parlera de
“conseillère maître” à la Cour des comptes…) – en revanche “maître des requêtes” (au Conseil
d’État) ne se féminise pas, alors que “maîtresse de conférences” s’est imposé à l’Université. On ne
peut toutefois que constater la réticence de l’usage dans certains corps de l’État : il ne saurait être
question d’imposer des formes féminines contre le vœu des personnes intéressées. Il en va de même
pour les grades ou dignités dans les ordres nationaux ou ministériels : si le Journal officiel recourt à
des formes telles que “chevalière”, “officière” ou “commandeure”, celles-ci ne sont pas pour autant
reçues dans l’usage. Et les femmes membres du barreau répugnent encore très largement à être
appelées “avocates”, bien que cette forme soit reçue de longue date dans l’usage courant et ait été
enregistrée par tous les dictionnaires (elle est attestée pour la première fois au XIIIe siècle et est

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VIII L’AVOCAT·E

la question de la féminisation est traitée par l’Académie sur le strict plan de l’usage public, on
ne peut la dissocier ici de la sociologie, i·e de la présence majoritaire et croissante des femmes
dans la profession d’avocat, comme dans la magistrature, – nous y reviendrons –, carac-
téristiques qui, comme le montrent les études comparatives de cet ouvrage, ne sont pas
vérifiées dans de nombreux pays. La féminisation, par ailleurs objet d’une étude globale, est
évoquée en ces termes dans la contribution d’Hélène Fontaine : «[…] le Conseil national des
barreaux a adopté à une très large majorité, lors de son assemblée générale du 12 décembre
2022, la proposition de féminisation des termes “bâtonnier”, “vice-bâtonnier” et “avocat” dans
le cadre d’un article préliminaire positionné avant l’article 1er du Règlement intérieur national
de la profession d’avocat, qui prévoit désormais que « lorsque les dispositions du Règlement
intérieur national mentionnent les termes “bâtonnier” ou “vice-bâtonnier” ou “avocat”, elles
doivent être entendues comme s’appliquant à la “bâtonnière” ou à la “vice-bâtonnière” ou à
l’“avocate” au choix de l’intéressée ». La décision à caractère normatif n° 2022-001 a été
notifiée aux barreaux et a été publiée au Journal officiel du 4 février 2023 ».
Il est très difficile de ne pas prendre en compte cette « décision à caractère normatif »,
puisque la norme est ici le résultat d’un processus délibératif approprié et d’une adéquation
aux faits. « En même temps », il est aussi très difficile de rendre visible une mention
équivalente au RIN sur la couverture d’un livre, qui est l’équivalent, mutatis mutandis, d’un
« article préliminaire ».
Le titre L’Avocature, à la manière italienne, aurait présenté évidemment deux avantages
indéniables : être symétrique de « la Magistrature », signifiant donc l’indissociabilité des deux
fonctions, et combler par là même un vide conceptuel, le terme « avocature » désignant dans
son abstraction un espace théorique, aujourd’hui mal identifié. Toutefois, en France et en
2023, le recours à l’avocature, pour servir de titre, a semblé ne pas présenter un caractère de
compréhensibilité suffisant pour les non-juristes et, même s’il pouvait être plus facilement
compris par les juristes, avoir l’inconvénient de rappeler à certains d’entre eux un contentieux
célèbre, qui plus est, entre un avocat et une avocate3.
Le choix arrêté par l’éditeur a donc été de retenir L’Avocat·e, qui permet de synthétiser la
problématique : chacun peut donc, dans l’esprit de la résolution du Conseil national des
barreaux, selon son choix d’intéressé ou d’intéressée, appartenant ou non à la profession, y lire
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« L’avocat » ou « L’avocate » ou les deux en même temps.

introduite, au sens moderne, dans la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie). Le même constat


pourrait a fortiori être dressé pour le terme “bâtonnier”. Dans le domaine de la justice, la
féminisation semble pourtant passée aujourd’hui dans l’usage, bien qu’aucune féminisation systéma-
tique ne se constate encore chez les notaires, les huissiers de justice, les experts près les tribunaux ou
les commissaires-priseurs – les formes féminines rencontrant les mêmes résistances que le terme
“avocate”. La Cour de cassation a exprimé le souhait de se conformer aux recommandations de
l’Académie française en matière de féminisation des noms de fonctions et titres en usage dans les
juridictions françaises. Or on observe encore quelques hésitations de l’usage : pour désigner une
femme exerçant la fonction d’avocat général, le recours à la forme féminine (“avocate générale”) n’est
pas systématique, l’emploi du masculin subsistant bien souvent dans l’usage courant. La même
réserve vaut pour certaines formes auxquelles l’oreille n’est pas accoutumée (ainsi le féminin
“substitute” semble rarement employé) ». (p.17-18).
3
Daniel Soulez-Larivière et Aurore Boyard, le premier qui avait fait du mot le titre d’un de ses essais
(L’Avocature, 1982), ayant attaqué, sans succès, la seconde pour la reprise du terme dans son
triptyque, l’Avocation, l’Avocature, l’Avocatesse (2014/2018).

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L’AVOCATURE, DE L’ESSENCE AUX EXISTENCES IX

Il va sans dire que ce choix d’éditeur, qui ne porte que sur cet ouvrage, n’a en rien concerné
les contributeurs et les contributrices de ce volume qui ont opéré en toute liberté le choix
d’orthographe qui leur convenait, un grand nombre d’articles ayant de plus été remis avant le
4 février4.

L’absence d’usage du terme d’avocature, qui vient d’être évoquée, nous semble impliquer
que la profession reste sous-investie sur le plan de la philosophie et de la théorie juridiques :
c’est ce manque relatif que cet ouvrage collectif cherche à combler5.
Certes, l’avocature a intéressé les sociologues, en premier lieu Max Weber, qui y consacre
d’assez nombreux développements dans sa Sociologie du droit6 (1911-1913), pour reconnaître
l’apport indispensable de la profession à l’effectivité d’un droit moderne, codifié mais
forcément évolutif à travers la pratique, tout en considérant, - c’est le revers de la médaille -,
que dans le passé, spécialistes de la procédure et des précédents, les avocats n’ont pas été, par
intérêt pécuniaire, force de soutien à la construction d’une législation rationnelle et à la
codification7. Dans cette même logique webérienne de sociologie politique, plus près de nous,
Lucien Karpik, parallèlement aux travaux de Jacques Krynen sur les juges8, a aussi retracé
l’histoire de la profession depuis le XIIIe siècle dans sa dialectique entre l’État, le public et le
marché, comme ci-après dans ce volume, avec plus de précisions factuelles, Hervé Leuwers,
Yves Ozanam, Laurent Willemez et, pour un parallèle lui aussi post-wébérien entre
l’Angleterre et la France, Sir Michael Tugendhat et Bernard Vatier.
Indépendamment des approches historiques et sociologiques, il demeure que, sur le plan
théorique, l’analyse plus conceptuelle de l’avocature ne s’est pas beaucoup développée.
L’avocature ne semble qu’un concept auxiliaire de la magistrature, qui bénéficie au contraire
de beaucoup plus d’approches conceptuelles, portant notamment sur l’acte de juger et sur
l’indépendance dont elle doit jouir dans une société démocratique. Tous les ouvrages de
philosophie ou de théorie du droit récents, français, américains ou britanniques, évoquent
évidemment les avocat·e·s ou les lawyers, quand ils examinent le procès ou la juri-dictio, mais
rarement comme des notions nécessitant une réflexion propre. L’étude des index alpha-
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bétiques des notions d’une dizaine d’ouvrages récents9 montre que les termes correspondants
(avocat, lawyer, solicitor, barrister) en sont absents, signe que l’avocature est traitée comme
exprimant davantage un aspect factuel du droit qu’un concept structurant. On notera une
légère exception, l’Introduction to Jurisprudence and Legal Theory, sous la direction de James
Penner, David Schiff et Richard Nobles, - un ouvrage de plus de 1 200 pages10, mais qui fait
aussi office d’anthologie -, rédigé par un panel de professeurs de droit de la London School of

4
Dans la suite de cet avant-propos, notre choix pratique privilégiera le singulier de l’avocat·e mais le
pluriel des avocats, sauf dimension personnelle à souligner des membres du groupe.
5
Nous remercions pour leurs suggestions d’auteur·e·s Géraldine Cavaillé, Olivia Dufour, Aristide Lévi
et Valérie Sagant, qui ont ainsi contribué à la richesse de ce volume.
6
Sociologie du droit, t.f, Paris, Presses universitaires de France, 1986.
7
Op. cit., p.145.
8
Jacques Krynen, L’Emprise contemporaine des juges, Paris, Gallimard, 2012.
9
L’auteur de ces lignes ne s’abstrayant pas de cette constatation…
10
Londres, Butterworths-LexisNexis, 2002.

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X L’AVOCAT·E

Economics. Il mentionne en effet les lawyers dans son index mais pour renvoyer à deux rapides
développements. L’ouvrage y considère en substance, dans une tonalité dépréciative pour le
métier11, qu’en écho au bad man de Holmes, le lawyer développe une vision pessimiste des
situations juridiques, et partant cynique de l’humanité, puisqu’il doit, - et à intérêt à -, envi-
sager pour son client tous les cas de figure possibles, avant, selon les illustrations retenues, la
conclusion d’un contrat d’affaires ou l’organisation d’une succession.
Enfin, dans un ouvrage pourtant fondamental et spécifiquement lié à une problématique
centrale pour l’avocature, le Traité de l’argumentation de Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-
Tyteca12, le terme « Avocat » n’apparaît pas davantage dans l’index des matières, alors que
« Juge » comprend quinze renvois. Cependant, la notion de « Défense », avec quatre
renvois, peut être considérée comme évoquant le rôle de l’avocat·e, cherchant ici, puisque c’est
l’objet des passages visés, le meilleur ordre des arguments pour la défense de son client, les
auteurs s’inspirant alors notamment de Quintilien13.

Cette situation globale est extrêmement paradoxale. En effet, à l’origine de notre tradition,
celle de la philosophie grecque, de Platon et d’Aristote, étudiés ci-après par Nicolas Le Merrer
et Pierre Balmond, l’avocature apparaît bien comme une partie essentielle, à travers la scène
fondamentale du procès, de la problématique de la justice et de la loi et simultanément du
discours et de la vérité. C’est une approche qui découle d’ailleurs en partie des spécificités du
procès grec14, où le discours sur le droit est réservé aux parties plaidantes devant, à l’époque
démocratique, un peuple juge mais qui reste muet, un magistrat collectif sans concertation ou
discussion interne, réduit à la seule caractéristique de la décision. Ce lien entre débat judi-
ciaire, dialogue et rationalité semble même si structurel que certains logiciens ont considéré
qu’à l’origine de la science occidentale, la rationalité juridique a inspiré la rationalité mathéma-
tique15 : il est vrai que dans ses développements les plus complexes, le droit peut parfois
apparaître comme une mathématique sans les nombres.
Pour Aristote, la figure emblématique de l’avocature est celle d’Antigone, issue de l’époque
antérieure de la Royauté thébéenne. Antigone est en effet pour Aristote l’Avocate première ou
primordiale. Elle réunit en elle toutes les composantes de l’avocature : face au pouvoir, alors du
roi-juge, la prise de parole, pour celui qui est sans voix ; l’affirmation de la supériorité de
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l’esprit sur la lettre et donc des lois non écrites, à la fois naturelles et divines, sur les lois écrites
de la cité ; l’engagement personnel, jusqu’au sacrifice de sa vie, - un sacrifice qui connaît
aujourd’hui ses tragiques répliques, avec, aussi emblématiquement, Nasrin Sotoudeh,

11
Manifeste dans l’usage du terme de nitpicker, p. 651. L’idée que la profession est payée pour « couper
les cheveux en quatre » est également exprimée par Max Weber, op. cit., p. 230, à propos des
hommes d’affaires anglais qui, avant toute opération et afin de parer à toutes les éventualités,
consultent leur avocat comme un « confesseur ».
12
Bruxelles, Edition de l’Université de Bruxelles, 1ère édition, 1958, 6e édition, 2014.
13
Cf. page 655 : dans le cas d’une accusation pour meurtre, il faut mieux reconnaître d’emblée que les
vêtements de l’accusé sont tachés de sang, pour en évoquer d’autres causes que le meurtre, plutôt que
de plaider l’innocence avant d’aborder les faits.
14
Cf. Nicole Loraux, « Le procès athénien et la justice comme division », in Le Procès, Archives de
philosophie du droit, tome 39, 1995, p. 25-37.
15
Jean-Louis Gardies, « Ce que la raison doit au procès », in Le Procès, réf. cit., p. 39-46.

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L’AVOCATURE, DE L’ESSENCE AUX EXISTENCES XI

emprisonnée en Iran, et Ebru Timtik, décédée en détention à Istanbul en 2020, comme le


rappellent Christiane Féral-Schuhl et Hélène Fontaine .
Pour Platon, c’est moins l’héroïne tragique de l’époque royale que le sophiste de l’Athènes
démocratique, qui, en tant que logographe ou rhéteur, incarne la figure de l’avocat, dans sa
rivalité avec le philosophe. Le second représente la connaissance de la vérité mais le premier
prétend avoir la maîtrise de l’opinion sur la vérité, celle qui donc détermine la décision d’un
jury populaire, dans un procès, ou d’une assemblée délibérante dans le régime démocratique
athénien. Si l’on suit Platon, Périclès est ainsi la figure emblématique de l’avocat-politique,
avec des conséquences négatives pour la cité, engagée par lui dans une évolution impérialiste
conduisant à sa perte. Au-delà de sa polémique avec les sophistes-avocats, Platon favorisera
donc dans la constitution rationnelle décrite en détail dans Les Lois, un modèle de gouver-
nance politique en son fond technocratique, puisque, en réalité, la cité est dirigée par des
savants qui se réunissent dans l’ombre d’un « Conseil nocturne » (sic) pour orienter les déci-
deurs publics. Ce modèle laisse donc peu de place aux avocats, politiques ou plaideurs, mais
préfigure, en moins dissimulées, nos Autorités indépendantes du pouvoir politique.
Inversement, Aristote va quant à lui concilier les parties rivales : il distingue, dans la
Rhétorique, le discours sur le vrai, celui des philosophes et des savants, et le discours sur le
vraisemblable, avec, dans ce dernier, les trois catégories de l’éloge, mais surtout pour nous, de la
plaidoirie dans le cadre judiciaire pour décider du juste et de l’équitable et du discours
politique devant une assemblée délibérative pour déterminer le bien et l’utile publics.
Ce cadre conceptuel aristotélicien est devenu celui du procès romain, dans son esprit,
sinon les détails de son organisation procédurale, notamment à partir du « IIe siècle, [lorsque]
la pénétration à Rome de l’éloquence grecque provoqua un profond bouleversement de la vie
judiciaire […], l’autorité de la loi et du droit se heurt[ant] aux séductions de l’éloquence »16.
Faut-il rappeler, ici avec Marie Yschard, que les grands philosophes ou intellectuels de Rome,
Cicéron, Sénèque, Tacite, Pline étaient tous aussi des avocats ? À Rome, la Rhétorique
d’Aristote est ainsi commentée, reprise, systématisée, diffusée et enseignée par Cicéron et
Quintilien, dont, comme le montre dans ces pages Jean Villacèque, l’héritage se perpétue
encore à ce jour.
Comment se fait-il, alors que le monde gréco-romain accordait une place essentielle à
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l’avocature, que celle-ci reste aujourd’hui trop souvent dans l’ombre des grands débats de la
théorie politique ou juridique ?
Le christianisme y a sa part, non d’un point de vue pratique, le droit canon offrant même
de nouvelles formes de développement à l’avocature pour les clercs, mais sur le plan des
principes. Dans l’économie mystique de la grâce salvifique, apportée par le Christ, la raison et
le discours sont dépassés : le pauvre et l’illettré sont plus proches de Dieu que « l’honnête
homme » romain. Au jugement dernier, Marie n’est pas l’avocate des âmes, comme une
nouvelle Antigone : elle ne plaide pas, elle intercède par l’amour17.
Cette relégation conceptuelle de l’avocature trouve son explication plus concrète, à la fin
du Moyen-Âge, dans les processus détaillés par les articles en miroir de Sir Michael Tugendhat
et de Bernard Vatier sur la justice et les hommes de loi des deux côtés de la Manche. De l’autre

16
Michel Humbert, « Le procès romain, approche sociologique », in Le Procès, réf. cit., p. 85.
17
J. Villacèque a ainsi raison de rappeler la phrase de Pascal, « La vraie éloquence se moque de
l’éloquence », qui résume l’approche chrétienne.

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XII L’AVOCAT·E

côté, sur un tronc commun romano-français, la culture du droit a prospéré dans l’esprit de la
Magna Carta, limitant les droits du souverain et préparant ainsi l’avenir des lawyers. De ce
côté-ci, la même culture s’est prolongée dans une administration de la justice, organisée par le
Roi, empereur en son royaume. Nous renvoyons à ces deux analyses et à celles d’Hervé
Leuwers, Yves Ozanam et Laurent Willemez pour enrichir cette présentation trop rapide18.
Il demeure qu’aujourd’hui l’opposition reste pertinente au moins à un premier niveau de
description, quand on compare l’Angleterre et la France sur le plan juridique et politique,
toujours avec Sir Michael Tugendhat et Bernard Vatier, ou les États-Unis et la France avec
Laurent Cohen-Tanugi. Aux États-Unis, les lawyers occupent toujours une place centrale dans
la vie politique, jusqu’à la Maison blanche, alors qu’en France, comme parallèlement au Japon,
comme le montrent Laurent Willemez, Yves Ozanam et Ichiro Kitamura, leur présence
quantitative dans le personnel politique, après une période faste, a fortement diminué au
Parlement ou au Gouvernement. De même, dans l’imaginaire collectif, tel que le traduisent les
films de cinéma et les séries de télévision, analysés par Barbara Villez, aux États-Unis, les
protagonistes-clés du droit sont les avocats, alors qu’en France, sauf exceptions récentes, ce
sont les enquêteurs ou les juges, reflet évidemment de l’opposition, issue des mêmes
problématiques, entre procédures accusatoire et inquisitoire.
À ce stade, on peut résumer la situation ainsi : un système étatique fort, centré sur la loi,
très confiant dans la qualité de son administration, - organisant d’ailleurs la formation des
magistrats sur le modèle de celle des hauts fonctionnaires, comme le remarque Antoine
Garapon19 -, tend à accorder une place dérivée à l’avocature, sortie du grand théâtre gréco-
romain des débats sur les principes de justice ou de vérité, pour apparaître seulement dans la
petite salle secondaire de leur mise en œuvre.
On peut se demander également si cette description ne vaut pas dans un ordre chrono-
logique inversé. Ichiro Kitamura présente la situation du Japon, comme, pour ainsi dire, celle
d’un état non encore pleinement développé de l’avocature, mais sans l’âge d’or de notre
Antiquité. Au pénal, écrit-il, « la juridiction répressive de première instance constitue en
réalité une instance en appel statuant sur une décision rendue par le ministère public ». Au
civil, la procédure étant conduite par le juge sur un mode inquisitorial, l’avocat (seulement
20 % d’entre eux sont des femmes) « semble seulement limiter son action au dépôt des faits de
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la cause ». Les tendances au progrès, dans la formation, dans le droit des affaires, que le
Professeur Kitamura relève, seront ainsi de véritables innovations dans l’histoire, au
demeurant récente, de l’avocature japonaise.
Des réflexions semblables pourraient être conduites sur la Chine, à la lumière des analyses
de Xing Xu.
Sur une base culturelle qui ne valorise pas la confrontation argumentative comme source
de vérité philosophique ou juridique – un point qui devrait être fortement nuancé, puisque
Fénelon considèrait Confucius comme le « Socrate de la Chine »20 –, s’ajoute aujourd’hui
dans ce pays un rejet explicite de l’avocature importée et du capitalisme dont elle fut l’un des

18
On ajoutera à ces travaux, ceux d’Évelyne Sanchez sur le Mexique, qui montre des forces analogues
en présence dans l’émergence, souvent contrariée, de la profession.
19
A. Garapon, « Magistrats-Avocats, des relations sans règle du jeu », in Les Cahiers de la Justice,
2020-3, p. 449-459.
20
C’est le 7e des Dialogues des morts.

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L’AVOCATURE, DE L’ESSENCE AUX EXISTENCES XIII

vecteurs avant 1949. Est à l’inverse développée une vision administrative du droit, influencée
par l’Union soviétique21, selon laquelle la profession d’avocat est globalement assimilée à celle
d’agents publics, comme le montrent la gestion de la profession et son régime de sanctions,
bien que, comme le montre Xing Xu, l’ouverture et le développement économiques du pays
soient également des facteurs d’évolution.
Sur un plan théorique, mais qui peut recouper tant certains aspects de l’expérience occi-
dentale que les situations chinoise ou japonaise, Corinne Hershkovitch résume finalement la
situation dans une formule simple : « Dans le positivisme juridique, l’avocat est inexistant ».
C’est donc logiquement qu’il se trouve être un refoulé de la réflexion, comme le manifeste son
absence relevée supra dans les index. Pour Corinne Hershkovitch, se référant à Christian
Atias, l’avocat·e « fissure la mythologie positive », s’appuyant dans sa pratique, contre le
positivisme, sur la « texture [indéfiniment] ouverte du droit », selon la formule célèbre du
théoricien d’Oxford, H.L.A.Hart. Dans cette logique, la partialité même de l’avocat·e devient
un atout pour le droit, et donc pour la démocratie, puisqu’elle doit l’amener, si cela sert son
client, à envisager, contre le mainstream, des interprétations innovantes et audacieuses, en
jouant sur toutes les potentialités des textes (mais en se retenant de vouloir restaurer un droit
de chicanes, pourrait-on ajouter)22. Au contraire de cette vision d’un droit perpétuellement
ouvert, un système légicentré, comme historiquement le système français, suscite naturelle-
ment un positivisme ordinaire, un positivisme du quotidien23.
Si cet ouvrage existe, avec son ambition théorique, c’est précisément parce que cette
période est en partie révolue comme le montre un ensemble de facteurs convergents.
Le plus essentiel réside dans l’évolution du droit que la contribution de Christophe
Soulard, Premier Président de la Cour de cassation, caractérise ainsi : « La construction
européenne a eu pour effet de désacraliser la loi puisqu’elle conduit les juges des différents pays
à écarter de nombreuses lois contraires aux textes européens. Le rôle du juge et, par voie de
conséquence, celui de l’avocat, s’en trouve accru [nous soulignons]. Dans un pays aussi « légi-
centré » que la France on pourrait presque parler d’une révolution ». Dans sa contribution, et
dans celles consacrées à des domaines plus particuliers, par exemple les contentieux en droit
environnemental, fiscal24, commercial, étudié respectivement par Christian Huglo et Corinne
Lepage, Marc Bornhauser, Laurent Martinet, les illustrations sont nombreuses de décisions de
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justice s’appuyant sur un ensemble complexe de normes et de jurisprudence émanant de cours
nationales diverses (et pas seulement françaises pour la France, belges pour la Belgique, etc.) et
de cours européennes (CJUE et CEDH) : c’est le « dialogue des juges », et notamment ceux
des cours suprêmes ou faîtières, décrit récemment par le rapport de la Commission Cour de
cassation 2030, dirigée par André Potocki.

21
Sur ce point, cf. Juliette Cadiot, «Avocat sous Staline. Profession accessoire, profession témoin»,
Annales. Histoire, Sciences sociales 2016/1, p. 163-194
22
Comme l’écrit Sandra Travers de Fautrier, « l’avocat raisonne dans le cadre d’une conflictualité
productive », « L’avocat juge et partie », in Cahiers de la Justice, num. cit, p.485.
23
À distinguer bien sûr du positivisme savant, plus adaptable à toutes les configurations du droit, des
grands théoriciens (comme en France Michel Troper ou Paul Amselek).
24
Compte tenu de la sensibilité des problématiques fiscales, nous précisons ici que la DGFIP, qui avait
participé, en 2013 et 2019, aux volumes de cette collection consacrés respectivement à l’Entreprise
multinationale, par une contribution portant précisément sur la fiscalité d’Olivier Sivieude, et à La
Médiation, n’a pas donné une suite favorable à notre proposition de participation à cet ouvrage.

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XIV L’AVOCAT·E

Dans ce volume, Antoine Winckler propose un éclairage historique et philosophique de


cette « révolution » : les juges, les avocats et leurs clients, personnes morales ou citoyens, sont
aujourd’hui sortis de l’ordre juridique mono-centré de la souveraineté et du droit, promu par
Hobbes, Rousseau ou Jellinek, même si cette sortie est parfois difficile pour certaines cours
constitutionnelles, notamment la Cour allemande ou celles de certains pays de l’Est de
l’Europe. Les modèles flexibles et poly-centrés des degrés de souveraineté et des ordres juri-
diques enchâssés ou entremêlés d’Althusius ou de Leibniz, inspirés par l’organisation du Saint
Empire romain germanique, retrouvent aujourd’hui leur pertinence, tout en engendrant une
incertitude permanente mais relative du droit, à travers les oscillations de son interprétation, à
l’ampleur toutefois contrôlée. La « règle de reconnaissance » de Hart, qui détermine la fron-
tière des normes juridiques, est ainsi, non un texte constitutionnel, mais un ensemble mouvant
quoique globalement homogène de décisions des cours.
Dans cette perspective, la conception de l’avocature est évidemment transformée.
Antoine-Louis Séguier, cité par Bernard Vatier, écrivait que « l’avocat était le premier juge de
son client » : il est donc aujourd’hui, toujours au sens chronologique, le premier interprète des
lois, des constitutions ou des traités, dans le contexte de porosité normative esquissé ci-dessus.
Certes cette interprétation n’est pas authentique et reste partiale, mais, comme le soulignent
Christian Soulard et François Molinié, elle est la première étape, - une étape parfois substan-
tielle -, de l’interprétation du juge. Un ouvrage récent de Tommaso Pavone, cité par Antoine
Winckler, fournit ainsi une théorie de l’avocature dans ce nouveau contexte institutionnel.
Dans The Ghostwriters, sous-titré Lawyers and the Politics behind the Judicial Construction of
Europe25, l’auteur, italien et enseignant aux États-Unis, montre que les law firms, de Paris, de
Hambourg, de Francfort ou de Milan ont ainsi bâti, de contentieux en contentieux, l’Europe
du droit. Pour certains, l’Europe du droit constituait aussi l’idéal d’un engagement moral et
politique. Pour d’autres, plus pragmatiques, sans horizon historique transcendant, l’Europe est
simplement un terrain élargi et donc propice au développement des stratégies judiciaires de
leurs clients en situation de concurrence et de combat pour et par le droit26.
Malgré l’intérêt que l’on peut éprouver pour la critique du néolibéralisme et de la
« privatisation du public », selon l’expression d’Antoine Vauchez, on ne doit pas réserver
cette activité d’auteurs de l’ombre européenne aux cabinets internationaux concentrés dans
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quelques hot spots et œuvrant pour des multinationales, d’autant plus que le terrain européen
est aussi le champ d’action et de combat des ONG activistes, grandes ou petites. Sont égale-
ment des ghostwriters du droit, tous les avocats dans tout contentieux posant des questions
complexes ou émergentes (tardivement émergentes souvent), par exemple de droit des
victimes de violences ou de persécution, comme le montrent les contributions d’Élodie
Tuaillon-Hibon et Marjorie Vignola ou de Corinne Hershkovitch. Mais ainsi on peut égale-
ment reconnaître que finalement tout·e avocat·e dans un contentieux simple, voire répétitif,
dans l’aide à la rédaction d’un contrat, dans son activité de conseil est aussi un·e auteur·e du
droit. On peut même dépasser le droit à horizon juridictionnel et l’avocature au sens étroit.
Louis B. Buchman montre par exemple que, dans les contrats avec des clauses « dites med-

25
Cambridge, Cambridge University Press, 2022.
26
Sur ce point, cf. Antoine Masson, Les Stratégies juridiques des entreprises, Bruxelles, Larcier, 2010, et
notamment Thierry de Bovis, « La Cour de justice face aux stratégies juridiques », p. 459-470.

(p. VII-XX) René SÈVE Arch. phil. droit 64 (2023)



L’AVOCATURE, DE L’ESSENCE AUX EXISTENCES XV

arb », le déclenchement de la clause d’arbitrage sera précédé d’une tentative de médiation, ou


que des grands contrats de construction contiennent des clauses de règlement des différends
permettant de prendre des décisions provisoires, soumises à un arbitrage final en cas de persis-
tance des désaccords sur la solution appliquée. Un calendrier d’arbitrage peut aussi comporter
des « plages temporelles » pendant lesquelles les parties peuvent engager une transaction ou
une médiation. Ici l’avocat·e exerce une fonction d’ingénierie contractuelle, donc de micro-
législation, et même davantage si l’on considère qu’un·e autre avocat·e peut dans ces configura-
tions exercer la médiation ou l’arbitrage. Dans tous les cas cependant, l’avocat·e reste auteur·e
ou co-auteur·e d’un droit co-produit, même s’il s’agit d’un droit négocié, médié ou arbitré.
Il va sans dire que cette diversité induite par le nouvel ordre juridique polycentré
s’accompagne aussi de compétences renouvelées, notamment d’un nouveau rapport à la vérité
et à la science, en réponse indirecte aux critiques de Platon sur la rhétorique. Aujourd’hui,
l’avocat·e a besoin de s’appuyer sur des données ou des compétences scientifiques de plus en
plus nombreuses pour assurer son raisonnement juridique, comme l’illustrent ici de nombreux
articles couvrant plusieurs domaines : l’informatique et le numérique, avec Ronan Hardouin,
le climat et la bio-diversité, avec Christian Huglo et Corinne Lepage, la psychiatrie, avec
Élodie Tuaillon, Marjorie Vignola et Vanessa Place, l’histoire avec Corinne Hershkovitch.
L’avocat·e est alors non un scientifique mais, appuyé·e par des experts, « un·e passeur·e de
science » vers le juge et même vers la société, ce qui exige engagement et travail supplémen-
taires, souvent difficiles, accompagnés aussi d’une « déontologie épistémologique » adaptée
pour discriminer les connaissances robustes des simples engouements médiatiques pour des
publications isolées ou des pre-print, dans un contexte de concurrence accru entre les grandes
revues scientifiques.
Ce rapport évolué de l’avocat·e à la science, qui n’a pas attendu l’époque contemporaine27
mais s’est renforcé aujourd’hui, concerne également la science juridique elle-même : quelle est
la place à laquelle l’avocat·e peut prétendre vis-à-vis de la doctrine 28, alors que l’on observe que
les grands cabinets encouragent certains de leurs collaborateurs ou collaboratrices à publier
mais aussi que beaucoup d’universitaires exercent des fonctions d’avocat ou fournissent des
consultations ? En tout cas, un·e ghostwriter peut aussi être un·e writer tout court, au-delà des
simples témoignages, mémoires ou manifestes dont la profession est notoirement férue29. C’est
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tout à fait le sens des observations de Christophe Soulard sur les avocats au Conseil d’État et à
la Cour de cassation, qui, transcendant les divisions des branches du droit, - une autre
conséquence de l’ordre juridique poly-centré -, participeront « aux côtés de membres de la
Cour et d’universitaires [nous soulignons] à des rencontres de la “motivation enrichie”».
Comme le montre Christine Féral-Schuhl, cette question de la participation de l’avocature à
l’élaboration doctrinale et au débat public ne peut toutefois être séparée de celles de la
communication et de l’usage des réseaux sociaux : « Les réseaux sociaux ont ainsi progressive-
ment supplanté les sites internet des cabinets et les blogs juridiques pour constituer le premier
outil de communication de l’avocat, avec des formes d’expression multiples et dynamiques :

27
Cf, en 1991, le tome 36 des Archives de philosophie du droit, Droit et Science.
28
Cf. Serge Soumastre et Laurent Givord, « Quels apports des avocat à la doctrine en matière de droit
de l’environnement ? », Revue juridique de l’environnement , 2016/HS16, p.266 à 280.
29
Cf. sur ce point (mais pas seulement) Valérie de Senneville et Isabelle Horlans, Les Grands Fauves du
Barreau, Paris, Calmann-Lévy, 2016.

(p. VII-XX) René SÈVE Arch. phil. droit 64 (2023)


XVI L’AVOCAT·E

des textes, des images, des vidéos (on voit proliférer les chaînes Youtube !), des réactions (le
fameux « pouce » de Facebook en tête), des commentaires de lois ou autres textes législatifs et
réglementaires, de jurisprudences ».

Cet enrichissement du domaine de l’avocature dans le contexte de la construction de


l’Europe et de l’internationalisation des échanges, - enrichissement qui est en fait un rétablis-
sement de la dignité intellectuelle qui était la sienne dans le monde gréco-romain -, n’est pas
seulement affaire de théorie et de concepts. Il correspond à des données chiffrées de croissance,
tant en nombre qu’en volume d’affaires, de la profession en France et en Europe, signalée dans
les différentes « contributions géographiques », notamment consacrées à l’Angleterre, déjà
mentionnées, ou à l’Allemagne, grâce à Oliver Wiesike, et dans l’étude d’économie de
l’avocature réalisée par Bruno Deffains. L’article d’Élodie Tuaillon-Hibon et de Marjolaine
Vignola vient aussi rappeler les différences de revenus par sexe, les hommes exerçant en
moyenne plus de responsabilités au sein des cabinets et dans des spécialités plus rémunéra-
trices, notamment le droit des affaires et non le droit de la famille. Bruno Deffains montre
également que la France, toutes choses égales par ailleurs, dispose encore de marges de pro-
gression pour rejoindre le nombre d’avocats d’autres pays européens selon le PIB par habitant.
Son étude délivre donc un message optimiste sur la capacité de la profession à augmenter à la
fois ses revenus et sa taille, si elle développe des prestations à valeur ajoutée croissante, avec des
effets nationaux positifs sur la compétitivité mais aussi sur l’augmentation des Indicateurs de
développement humain. Il signale dans cette perspective l’erreur consistant à raisonner en
matière de concurrence internationale, - notamment entre la France et le Royaume-Uni,
rejoignant sur ce point Laurent Martinet -, uniquement en termes d’attractivité des normes en
négligeant alors le développement du capital humain juridique, constitué par la personne
même des avocat·e·s. Le développement quantitatif implique donc de nouvelles compétences
chez les avocat·e·s, par exemple, pourrait-on ajouter, celles énumérées par Richard Susskind :
« New jobs for lawyers: the legal engineer, the legal techologist, the legal hybrid [vise les
compétences dans un domaine non juridique connexe], the legal process analyst, the legal
project manager, the ODR [Online Disputes Resolution] practitioner, the legal managment
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consultant, the legal risk manager »30.
Cette croissance du nombre d’avocat·e·s, l’extension qualitative et quantitative31 de leurs
métiers, - dans une forme pour ainsi dire « constellaire », selon l’expression de François Saint
Pierre -, la diversité de leurs existences, n’est pas sans poser des problèmes de frontières de la
profession et de méthodes de régulation afférentes.
En premier lieu, la question des honoraires traverse toutes les contributions historiques de
ce volume, chaque époque s’accommodant du paradoxe d’un service proprement noble,
comme l’exprime le titre de l’article de Marie Yschard32, donc de l’ordre du don et de la protec-

30
Richard Susskind, Tomorrow’s Lawyers, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 111.
31
Cf. sur ce point, CNB, Guide pratique sur l’activité commerciale dérogatoire.
32
L’article de Marie Yschard est, à travers l’analyse de la correspondance de Pline, des écrits
personnels… mais comme chez Cicéron prévus pour la publication, une sorte d’exposition de
l’identité morale de l’avocat, résidant dans le dévouement gratuit : l’avocat est le noble, c’est-à-dire le
héros des périodes de paix, celui que l’on appelle à la rescousse (ce qui est le sens étymologique du

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L’AVOCATURE, DE L’ESSENCE AUX EXISTENCES XVII

tion, mais qui pourtant doit permettre à celui qui le rend de pouvoir « continuer à donner »
et à celui qui le reçoit de manifester sa gratitude. Dans sa contribution, Jérôme Gavaudan,
Président du Conseil national des barreaux, retrace donc les évolutions récentes de la régula-
tion des honoraires, par la déontologie de l’avocat·e et par les pouvoirs conférés au bâtonnier,
qui ne sont plus exclusifs, puisque le client peut dorénavant s’adresser subsidiairement au juge,
comme l’observe également Nelly Noto-Jaffeux. Plus généralement, Jérôme Gavaudan
montre, dans une illustration si l’on peut dire réflexive de l’ordre juridique poly-centré déjà
évoqué, que la régulation des honoraires associe la grande tradition ordinale du barreau
français, étudiée par Hervé Leuwers et Yves Ozanam, et dorénavant le droit européen de la
consommation, jusqu’à la décision CJUE du 12 janvier dernier qui considère qu’une
convention d’honoraires basée sur la fixation d’un simple tarif horaire ne répond pas aux
exigences de clarté et de compréhensibilité attendues pour le client33.
En deuxième lieu, beaucoup de contributions abordent la question de l’avocat en entre-
prise, notamment pour la France, celles de Bruno Deffains, Nelly Noto-Jaffeux et Bernard
Vatier, et pour l’étranger, celles d’Ichiro Kitamura, qui montre que le code de déontologie
japonais a eu le souci de permettre à l’avocat in-house de conserver son indépendance
intellectuelle et morale, et d’Oliver Wiesike, qui en particulier rappelle judicieusement qu’en
Allemagne, la question n’était pas seulement une question d’essence, i·e d’indépendance
identitaire de l’avocature, mais d’existence, l’ouverture de la profession à de nouveaux juristes
ayant été considérée comme apportant une contribution utile à la caisse de retraite de la
profession.
En troisième lieu, à l’inverse du point précédent, où l’avocat paraît aliéner son
indépendance dans une relation employé/employeur privé, Marc Bornhauser émet l’idée que,
dans certains services d’aide à la conformité ou d’enquêtes internes qu’il rend à son client,
l’avocat·e perdrait aussi son indépendance en s’assimilant à un agent externalisé de l’État ou
des États, ceux-ci, en période de tensions budgétaires, économisant ainsi d’importants coûts de
contrôle et d’investigation. Les activités des lawyers dans la sphère de la compliance sont aussi
abordées par Laurent Cohen-Tanugi, puisque ces pratiques sont apparues aux États-Unis,
mais celui-ci y voit au contraire une suite normale des activités des avocat·e·s, dans la logique
de la justice négociée et du Droit sans l’État, pour reprendre le titre de son ouvrage de 1985, au
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caractère prémonitoire.

« vocatus ad ») et qui répond sans barguiner (bargainer, serait-on tenté de dire), si la cause lui
semble juste. Il est vrai que le désintéressement du véritable avocat romain s’inscrivait dans une
économie du prestige, du don et du contre-don, s’exerçant entre « patrons » et « clients » qui
caractérisait la société d’alors, selon une véritable économie non monétaire de soutiens et de
recommandations se transmettant de génération en génération (Cf. Michel Humbert, loc. cit., et J.-
M. Davy, Le Patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992), constituant
les réseaux sociaux de l’époque mobilisables, par exemple, pour réunir à l’occasion des procès des
soutiens souvent bruyants. C’est la différence avec la pratique contemporaine du pro bono. Cette
dernière implique certes un échange moral entre la prestation juridique et la reconnaissance pro-
venant du client, purement humaine dans la détresse d’un individu, plus sociale s’il s’agit d’une
association humanitaire. Mais dans les deux cas, le lien reste libre, réversible, loin des obligations
pérennes du clientélisme romain.
33
La question de la rémunération renvoie aussi à l’aide juridictionnelle, question que nous avons
abordée dans notre propre contribution.

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XVIII L’AVOCAT·E

En quatrième lieu, ces évolutions quantitatives s’accompagnent également d’une


diversification des modes d’exercice dans des structures différentes étudiées dans leur détail,
mais non sans certaines critiques, par Olivier Ziegler qui en montre toute la complexité, une
complexité qui peut aussi s’accompagner d’une certaine opacité pour le client.
Enfin, Hélène Fontaine rappelle méthodiquement les devoirs et les prérogatives du
Bâtonnier ou de la Bâtonnière, dont l’ampleur des tâches suscite, tant elle est importante, pour
le lecteur extérieur une réaction pour ainsi dire empathique. Mais cette ampleur n’est que le
reflet dans une personne et son équipe de la croissance et de la diversification de la profession,
comme des pouvoirs de sanction que le bâtonnat a conservés, à la différence de ses homologues
d’Outre-Manche, comme l’observent aussi Sir Michael Tugendhat et Bernard Vatier.
Il demeure que toutes ces évolutions de la profession ne doivent pas faire oublier le
principal et l’originel, les relations entre Magistrature et Avocature, qui doivent être
considérées aujourd’hui non seulement dans leur abstraction doctrinale, mais dans les éco-
systèmes qu’elles constituent. « Écosystèmes », le mot doit être mis au pluriel, car ceux des
cours faîtières, envisagés par Christophe Soulard et François Molinié, et des tribunaux judi-
ciaires ou des cours d’appel, envisagés par Jean Villacèque et Carbon de Seze, sont évidemment
différents, ainsi naturellement que ceux des systèmes étrangers, a fortiori quand la procédure
pénale y est accusatoire. Cette approche écosystémique renvoie alors à des organisations spéci-
fiques, allant jusqu’à la retransmission de certaines audiences, comme l’a opérée la Cour de
cassation les 10 et 17 mars derniers, mais également à une problématique commune, identi-
taire et documentée depuis l’Antiquité grecque, celle du rapport entre l’oral et l’écrit.
Cette dernière renvoie donc à des traditions, et d’abord celle de l’éloquence, étudiée par
Jean Villacèque, éclairée aussi par l’historique d’Yves Ozanam et les analyses sur la liberté de
parole de Grégoire Niango. On doit la relier aujourd’hui à des contraintes budgétaires dans
l’organisation des audiences, également détaillées, mais aussi à des collaborations nouvelles,
mentionnées dans beaucoup de contributions, entre Magistrature et Avocature, collaborations
qui vont construire un nouvel éthos de la parole pour les avocat·e·s, quoiqu’à petites touches,
car il est parfois difficile de faire évoluer son éthos ancien pour concentrer son expression sur
les points les plus importants d’un dossier. Dans ce mouvement, Hélène Fontaine rappelle la
création du Conseil consultatif conjoint de déontologie de la relation magistrats-avocats, réuni
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pour la première fois en 2021, sous l’égide de la Première Présidente de la Cour de cassation et
du Procureur général auprès de la Cour. Plus récemment, comme le soulignent Christophe
Soulard, François Molinié, Carbon de Seze et Yves Ozanam, en est issue, dans le cadre d’une
réflexion et d’initiatives plus larges, une Charte de présentation des écritures qui vaut, outre par
son contenu pratique, par son existence même et par la communauté ainsi formée par ses
signataires34.
La problématique de l’oral et de l’écrit ne peut enfin être dissociée de celle de la vérité. Elle
concerne la distinction du vrai et du vraisemblable, posée par Aristote, mais aussi des
différences de culture, de normes et de procédures, distinguant les États-Unis ou l’Outre-
Manche de la France, rappelées par beaucoup de contributeurs. Elle concerne aussi parfois la
34
La Cour de cassation, la conférence des Premiers Présidents des cours d’appel, la conférence des
Présidents des tribunaux judiciaires, le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers,
l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, l’Ordre des avocats au barreau de
Paris).

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L’AVOCATURE, DE L’ESSENCE AUX EXISTENCES XIX

nature même des contentieux, l’organisation pour ainsi dire « industrielle » de la dissimu-
lation de la vérité et, symétriquement, de la recherche de la « vraie vérité », étant spécifiques
dans ces cas extrêmes, comme le montre Renzo Orlandi, pour l’Italie, en matière de crime
organisé. Dans ce domaine, l’autorité de poursuite présente en effet une narration et des
probabilités globales, selon une approche statistique de la vérité, alors que la défense met en
avant des facteurs individuels, sinon d’innocence, du moins d’absence de preuves directes35,
une situation qui a ses analogies dans d’autres dossiers complexes quoique non criminels.
Dans cet ouvrage, Giovanni Tuzet propose une synthèse détaillée de la question de la
vérité, basée sur les théories philosophiques contemporaines convenant aux sciences comme au
droit. La vérité y est alors définie comme « croyance justifiée ». Cette définition permet de
comprendre, sans céder au scepticisme, que les critères de justification et les modes de preuve
en droit soient, quoique dans des marges limitées, parfois différents selon les pays ou les
circonstances, comme ils peuvent l’être entre disciplines scientifiques36. À l’intérieur de ce
contexte, Giovanni Tuzet présente un instructif état des débats sur les techniques
d’interrogatoire, sur fond d’opposition entre procédures accusatoire et inquisitoire et
conceptions stricte (celle des pays de common law) ou plus souple (en France ou en Italie) du
devoir de vérité de l’avocat·e, également examiné par Sir Michael Tugendhat et Bernard
Vatier.
En prolongement de ces derniers développements, nous attirons l’attention des lecteurs
sur le fait, qui n’apparaît pas directement dans la table des matières, que toutes les études
comparatistes de ce volume se sont interrogées spontanément sur la formation des avocat·e·s et
des magistrat·e·s et sur le mode de recrutement de la magistrature, l’ensemble des catégories
formant alors le « clergé laïc » des lawyers, selon l’expression de Laurent Cohen-Tanugi. Peu
d’auteurs de facto ont défendu un système français, calqué sur celui de la haute fonction
publique, - actuellement en voie de forte restructuration par ailleurs37 -, dans lequel les
avocat·e·s et les magistrat·e·s sont formé·e·s dans des institutions séparées, quoique permettant
évidemment des collaborations entre elles et avec les universités, et surtout où les magistrat·e·s
n’ont pas, sauf exception, exercé antérieurement l’avocature. Dans le système inverse, tous les
contributeurs relèvent des avantages importants en termes d’alternatives au contentieux,
d’efficacité procédurale, et même de courtoisie sur laquelle insiste notamment Oliver Wiesike.
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Ils y ajoutent même un gain de compétences, comme le précisent Sir Michael Tugendhat et
Laurent Cohen-Tanugi, dans l’hypothèse où les Law Schools recrutent des étudiant·e·s souvent
déjà formé·e·s dans une autre discipline, parfois scientifique38, assurant alors l’hybridité de la
science et du droit que recherchait Platon.
Par tout ce qui précède, nous n’entendons pas prétendre que l’Avocature, comme concept
et comme réalité, serait, en relations écosystémiques avec la Magistrature, une solution à tous
nos maux. Comme le rappellent les contributions de Sir Michael Tugendhat et Bernard
Vatier, un système, où seulement 3 à 5 % des affaires sont finalement jugées et qui a été, en

35
Sur ce sujet, voir également l’ouvrage, très documenté, d’Edwige Rude-Antoine, L’Éthique de l’avocat
pénaliste, Paris, L’Harmattan, 2014.
36
Même si, aujourd’hui, les techniques de modélisation et de simulation permises par l’IA tendent à les
rapprocher pour ces dernières.
37
Ce que l’INSP et la DIESE organisent aujourd’hui pour les cadres dirigeants de l’État pourrait
d’ailleurs inspirer aussi les facultés de droit, l’ENM et les écoles du barreau.
38
Comme Margaret Thatcher, diplômée en chimie, ainsi que le rappelle Sir Michael Tugendhat.

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XX L’AVOCAT·E

2022, paralysé par des grèves massives, - certes dans le contexte plus vaste de crise au Royaume-
Uni – ne peut servir de modèle global39. Aux États-Unis, Laurent Cohen-Tanugi n’a pas
manqué de relever que l’avocature est souvent associée à la thématique du « chasseur
d’ambulances ». Quant à la Rome de Cicéron et de Pline, l’Europe d’Althusius et de Leibniz,
aussi mises en valeur, elles souffrent, c’est le moins que l’on puisse dire, d’un certain déficit de
« Démocrature ». Il faut donc distinguer encore les plans de l’essence et des existences. Sur le
premier, l’Avocature est consubstantielle au droit, dès que l’on prend conscience, comme
Aristote et toute la tradition (Bernard Vatier le rappelle pour Jean Bodin), de sa texture
ouverte et des insuffisances structurelles de la loi. Sur le second plan, Avocature et
Magistrature sont aussi portées aujourd’hui par une conjoncture inédite de multiplications des
sources dans l’ordre européen et international poly-centré. Mais cette complexité n’émane pas
seulement d’un processus historique de construction, qui par définition connaîtrait des phases
d’échafaudages dissimulant l’architecture finale : elle révèle plus profondément, à tous niveaux
de Législature, des conflits de méthode, d’objectifs et d’horizons temporels. Cette confronta-
tion est assurément inconfortable, mais elle caractérise aujourd’hui toutes les institutions,
politiques, administratives et judiciaires, comme elle habite chaque citoyen.n·e.

Les dernières contributions de cet ouvrage sont celles d’Hélène Aji, professeure à l’École
normale supérieure, et de Vanessa Place, avocate au barreau de Californie et poète. Elles
portent sur les affaires de crimes sexuels et les condamnations pénales en première instance et
en appel aux États-Unis. Elles sont construites symétriquement autour d’un poème de Vanessa
Place, formant ainsi triptyque. C’est la première fois depuis leur création en 1931, que les
Archives de philosophie du droit publient un poème : ce n’est pas un hasard que ce soit dans un
volume consacré aux avocat·e·s. La forme poétique est sans doute la seule manière de mettre
des mots sur l’intime, en deçà ou au-delà de la logique du langage ordinaire, afin de tenter
d’exprimer à des tiers l’expérience que peut vivre dans son esprit, son cœur et presque dans sa
chair, l’avocat·e engagé·e dans des affaires qui l’affrontent à la violence, la souffrance, le mal et
la mort.
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reneseve@philosophie-droit.asso.fr

39
Ce qui ne signifie pas que la place du droit de Londres ne mérite pas néanmoins de conserver toute
l’attention, comme le rappellent Bruno Deffains et Laurent Martinet.

(p. VII-XX) René SÈVE Arch. phil. droit 64 (2023)

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