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René Sève
Dans Archives de philosophie du droit 2022/1 (Tome 64) , pages VII à XX
Éditions Dalloz
ISSN 0066-6564
ISBN 9782247223206
DOI 10.3917/apd.641.0000
© Dalloz | Téléchargé le 20/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.72.161.40)
René SÉVE
Directeur des Archives de philosophie du droit
Il n’est pas fréquent de commencer l’avant-propos d’un ouvrage par une considération,
non de son thème ou de son contenu, mais de son titre en tant que tel, comme signifiant plus
que comme signifié.
Le titre « L’avocat·e » découle non directement d’une position sur la réalité de la
profession et/ou sur le fonctionnement de la langue mais d’un ensemble plus large de facteurs
relevant des conditions de parution de cet ouvrage.
Dans une collection vouée depuis plusieurs années aux titres singuliers (L’E-Justice, La
Famille, L’Ordre public, La Justice prédictive, La Médiation, Le Principe de précaution, La
Responsabilité,…1), un terme désignant non des notions mais des personnes impliquait une
réflexion sur l’expression du genre dans le nom, à l’instar de l’Académie française en 20192. Si
1
Respectivement tomes 54, 56, 58, 60, 61, 62, 63.
2
Rapport sur la féminisation des noms et fonctions, adopté en séance le 28 février 2019. On relèvera les
passages suivants : « L’étude du mot “chef” conduit à un constat : la langue française a tendance à
féminiser faiblement ou pas les noms des métiers (la remarque peut être étendue aux noms de fonc-
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la question de la féminisation est traitée par l’Académie sur le strict plan de l’usage public, on
ne peut la dissocier ici de la sociologie, i·e de la présence majoritaire et croissante des femmes
dans la profession d’avocat, comme dans la magistrature, – nous y reviendrons –, carac-
téristiques qui, comme le montrent les études comparatives de cet ouvrage, ne sont pas
vérifiées dans de nombreux pays. La féminisation, par ailleurs objet d’une étude globale, est
évoquée en ces termes dans la contribution d’Hélène Fontaine : «[…] le Conseil national des
barreaux a adopté à une très large majorité, lors de son assemblée générale du 12 décembre
2022, la proposition de féminisation des termes “bâtonnier”, “vice-bâtonnier” et “avocat” dans
le cadre d’un article préliminaire positionné avant l’article 1er du Règlement intérieur national
de la profession d’avocat, qui prévoit désormais que « lorsque les dispositions du Règlement
intérieur national mentionnent les termes “bâtonnier” ou “vice-bâtonnier” ou “avocat”, elles
doivent être entendues comme s’appliquant à la “bâtonnière” ou à la “vice-bâtonnière” ou à
l’“avocate” au choix de l’intéressée ». La décision à caractère normatif n° 2022-001 a été
notifiée aux barreaux et a été publiée au Journal officiel du 4 février 2023 ».
Il est très difficile de ne pas prendre en compte cette « décision à caractère normatif »,
puisque la norme est ici le résultat d’un processus délibératif approprié et d’une adéquation
aux faits. « En même temps », il est aussi très difficile de rendre visible une mention
équivalente au RIN sur la couverture d’un livre, qui est l’équivalent, mutatis mutandis, d’un
« article préliminaire ».
Le titre L’Avocature, à la manière italienne, aurait présenté évidemment deux avantages
indéniables : être symétrique de « la Magistrature », signifiant donc l’indissociabilité des deux
fonctions, et combler par là même un vide conceptuel, le terme « avocature » désignant dans
son abstraction un espace théorique, aujourd’hui mal identifié. Toutefois, en France et en
2023, le recours à l’avocature, pour servir de titre, a semblé ne pas présenter un caractère de
compréhensibilité suffisant pour les non-juristes et, même s’il pouvait être plus facilement
compris par les juristes, avoir l’inconvénient de rappeler à certains d’entre eux un contentieux
célèbre, qui plus est, entre un avocat et une avocate3.
Le choix arrêté par l’éditeur a donc été de retenir L’Avocat·e, qui permet de synthétiser la
problématique : chacun peut donc, dans l’esprit de la résolution du Conseil national des
barreaux, selon son choix d’intéressé ou d’intéressée, appartenant ou non à la profession, y lire
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Il va sans dire que ce choix d’éditeur, qui ne porte que sur cet ouvrage, n’a en rien concerné
les contributeurs et les contributrices de ce volume qui ont opéré en toute liberté le choix
d’orthographe qui leur convenait, un grand nombre d’articles ayant de plus été remis avant le
4 février4.
L’absence d’usage du terme d’avocature, qui vient d’être évoquée, nous semble impliquer
que la profession reste sous-investie sur le plan de la philosophie et de la théorie juridiques :
c’est ce manque relatif que cet ouvrage collectif cherche à combler5.
Certes, l’avocature a intéressé les sociologues, en premier lieu Max Weber, qui y consacre
d’assez nombreux développements dans sa Sociologie du droit6 (1911-1913), pour reconnaître
l’apport indispensable de la profession à l’effectivité d’un droit moderne, codifié mais
forcément évolutif à travers la pratique, tout en considérant, - c’est le revers de la médaille -,
que dans le passé, spécialistes de la procédure et des précédents, les avocats n’ont pas été, par
intérêt pécuniaire, force de soutien à la construction d’une législation rationnelle et à la
codification7. Dans cette même logique webérienne de sociologie politique, plus près de nous,
Lucien Karpik, parallèlement aux travaux de Jacques Krynen sur les juges8, a aussi retracé
l’histoire de la profession depuis le XIIIe siècle dans sa dialectique entre l’État, le public et le
marché, comme ci-après dans ce volume, avec plus de précisions factuelles, Hervé Leuwers,
Yves Ozanam, Laurent Willemez et, pour un parallèle lui aussi post-wébérien entre
l’Angleterre et la France, Sir Michael Tugendhat et Bernard Vatier.
Indépendamment des approches historiques et sociologiques, il demeure que, sur le plan
théorique, l’analyse plus conceptuelle de l’avocature ne s’est pas beaucoup développée.
L’avocature ne semble qu’un concept auxiliaire de la magistrature, qui bénéficie au contraire
de beaucoup plus d’approches conceptuelles, portant notamment sur l’acte de juger et sur
l’indépendance dont elle doit jouir dans une société démocratique. Tous les ouvrages de
philosophie ou de théorie du droit récents, français, américains ou britanniques, évoquent
évidemment les avocat·e·s ou les lawyers, quand ils examinent le procès ou la juri-dictio, mais
rarement comme des notions nécessitant une réflexion propre. L’étude des index alpha-
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4
Dans la suite de cet avant-propos, notre choix pratique privilégiera le singulier de l’avocat·e mais le
pluriel des avocats, sauf dimension personnelle à souligner des membres du groupe.
5
Nous remercions pour leurs suggestions d’auteur·e·s Géraldine Cavaillé, Olivia Dufour, Aristide Lévi
et Valérie Sagant, qui ont ainsi contribué à la richesse de ce volume.
6
Sociologie du droit, t.f, Paris, Presses universitaires de France, 1986.
7
Op. cit., p.145.
8
Jacques Krynen, L’Emprise contemporaine des juges, Paris, Gallimard, 2012.
9
L’auteur de ces lignes ne s’abstrayant pas de cette constatation…
10
Londres, Butterworths-LexisNexis, 2002.
Economics. Il mentionne en effet les lawyers dans son index mais pour renvoyer à deux rapides
développements. L’ouvrage y considère en substance, dans une tonalité dépréciative pour le
métier11, qu’en écho au bad man de Holmes, le lawyer développe une vision pessimiste des
situations juridiques, et partant cynique de l’humanité, puisqu’il doit, - et à intérêt à -, envi-
sager pour son client tous les cas de figure possibles, avant, selon les illustrations retenues, la
conclusion d’un contrat d’affaires ou l’organisation d’une succession.
Enfin, dans un ouvrage pourtant fondamental et spécifiquement lié à une problématique
centrale pour l’avocature, le Traité de l’argumentation de Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-
Tyteca12, le terme « Avocat » n’apparaît pas davantage dans l’index des matières, alors que
« Juge » comprend quinze renvois. Cependant, la notion de « Défense », avec quatre
renvois, peut être considérée comme évoquant le rôle de l’avocat·e, cherchant ici, puisque c’est
l’objet des passages visés, le meilleur ordre des arguments pour la défense de son client, les
auteurs s’inspirant alors notamment de Quintilien13.
Cette situation globale est extrêmement paradoxale. En effet, à l’origine de notre tradition,
celle de la philosophie grecque, de Platon et d’Aristote, étudiés ci-après par Nicolas Le Merrer
et Pierre Balmond, l’avocature apparaît bien comme une partie essentielle, à travers la scène
fondamentale du procès, de la problématique de la justice et de la loi et simultanément du
discours et de la vérité. C’est une approche qui découle d’ailleurs en partie des spécificités du
procès grec14, où le discours sur le droit est réservé aux parties plaidantes devant, à l’époque
démocratique, un peuple juge mais qui reste muet, un magistrat collectif sans concertation ou
discussion interne, réduit à la seule caractéristique de la décision. Ce lien entre débat judi-
ciaire, dialogue et rationalité semble même si structurel que certains logiciens ont considéré
qu’à l’origine de la science occidentale, la rationalité juridique a inspiré la rationalité mathéma-
tique15 : il est vrai que dans ses développements les plus complexes, le droit peut parfois
apparaître comme une mathématique sans les nombres.
Pour Aristote, la figure emblématique de l’avocature est celle d’Antigone, issue de l’époque
antérieure de la Royauté thébéenne. Antigone est en effet pour Aristote l’Avocate première ou
primordiale. Elle réunit en elle toutes les composantes de l’avocature : face au pouvoir, alors du
roi-juge, la prise de parole, pour celui qui est sans voix ; l’affirmation de la supériorité de
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11
Manifeste dans l’usage du terme de nitpicker, p. 651. L’idée que la profession est payée pour « couper
les cheveux en quatre » est également exprimée par Max Weber, op. cit., p. 230, à propos des
hommes d’affaires anglais qui, avant toute opération et afin de parer à toutes les éventualités,
consultent leur avocat comme un « confesseur ».
12
Bruxelles, Edition de l’Université de Bruxelles, 1ère édition, 1958, 6e édition, 2014.
13
Cf. page 655 : dans le cas d’une accusation pour meurtre, il faut mieux reconnaître d’emblée que les
vêtements de l’accusé sont tachés de sang, pour en évoquer d’autres causes que le meurtre, plutôt que
de plaider l’innocence avant d’aborder les faits.
14
Cf. Nicole Loraux, « Le procès athénien et la justice comme division », in Le Procès, Archives de
philosophie du droit, tome 39, 1995, p. 25-37.
15
Jean-Louis Gardies, « Ce que la raison doit au procès », in Le Procès, réf. cit., p. 39-46.
16
Michel Humbert, « Le procès romain, approche sociologique », in Le Procès, réf. cit., p. 85.
17
J. Villacèque a ainsi raison de rappeler la phrase de Pascal, « La vraie éloquence se moque de
l’éloquence », qui résume l’approche chrétienne.
côté, sur un tronc commun romano-français, la culture du droit a prospéré dans l’esprit de la
Magna Carta, limitant les droits du souverain et préparant ainsi l’avenir des lawyers. De ce
côté-ci, la même culture s’est prolongée dans une administration de la justice, organisée par le
Roi, empereur en son royaume. Nous renvoyons à ces deux analyses et à celles d’Hervé
Leuwers, Yves Ozanam et Laurent Willemez pour enrichir cette présentation trop rapide18.
Il demeure qu’aujourd’hui l’opposition reste pertinente au moins à un premier niveau de
description, quand on compare l’Angleterre et la France sur le plan juridique et politique,
toujours avec Sir Michael Tugendhat et Bernard Vatier, ou les États-Unis et la France avec
Laurent Cohen-Tanugi. Aux États-Unis, les lawyers occupent toujours une place centrale dans
la vie politique, jusqu’à la Maison blanche, alors qu’en France, comme parallèlement au Japon,
comme le montrent Laurent Willemez, Yves Ozanam et Ichiro Kitamura, leur présence
quantitative dans le personnel politique, après une période faste, a fortement diminué au
Parlement ou au Gouvernement. De même, dans l’imaginaire collectif, tel que le traduisent les
films de cinéma et les séries de télévision, analysés par Barbara Villez, aux États-Unis, les
protagonistes-clés du droit sont les avocats, alors qu’en France, sauf exceptions récentes, ce
sont les enquêteurs ou les juges, reflet évidemment de l’opposition, issue des mêmes
problématiques, entre procédures accusatoire et inquisitoire.
À ce stade, on peut résumer la situation ainsi : un système étatique fort, centré sur la loi,
très confiant dans la qualité de son administration, - organisant d’ailleurs la formation des
magistrats sur le modèle de celle des hauts fonctionnaires, comme le remarque Antoine
Garapon19 -, tend à accorder une place dérivée à l’avocature, sortie du grand théâtre gréco-
romain des débats sur les principes de justice ou de vérité, pour apparaître seulement dans la
petite salle secondaire de leur mise en œuvre.
On peut se demander également si cette description ne vaut pas dans un ordre chrono-
logique inversé. Ichiro Kitamura présente la situation du Japon, comme, pour ainsi dire, celle
d’un état non encore pleinement développé de l’avocature, mais sans l’âge d’or de notre
Antiquité. Au pénal, écrit-il, « la juridiction répressive de première instance constitue en
réalité une instance en appel statuant sur une décision rendue par le ministère public ». Au
civil, la procédure étant conduite par le juge sur un mode inquisitorial, l’avocat (seulement
20 % d’entre eux sont des femmes) « semble seulement limiter son action au dépôt des faits de
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18
On ajoutera à ces travaux, ceux d’Évelyne Sanchez sur le Mexique, qui montre des forces analogues
en présence dans l’émergence, souvent contrariée, de la profession.
19
A. Garapon, « Magistrats-Avocats, des relations sans règle du jeu », in Les Cahiers de la Justice,
2020-3, p. 449-459.
20
C’est le 7e des Dialogues des morts.
vecteurs avant 1949. Est à l’inverse développée une vision administrative du droit, influencée
par l’Union soviétique21, selon laquelle la profession d’avocat est globalement assimilée à celle
d’agents publics, comme le montrent la gestion de la profession et son régime de sanctions,
bien que, comme le montre Xing Xu, l’ouverture et le développement économiques du pays
soient également des facteurs d’évolution.
Sur un plan théorique, mais qui peut recouper tant certains aspects de l’expérience occi-
dentale que les situations chinoise ou japonaise, Corinne Hershkovitch résume finalement la
situation dans une formule simple : « Dans le positivisme juridique, l’avocat est inexistant ».
C’est donc logiquement qu’il se trouve être un refoulé de la réflexion, comme le manifeste son
absence relevée supra dans les index. Pour Corinne Hershkovitch, se référant à Christian
Atias, l’avocat·e « fissure la mythologie positive », s’appuyant dans sa pratique, contre le
positivisme, sur la « texture [indéfiniment] ouverte du droit », selon la formule célèbre du
théoricien d’Oxford, H.L.A.Hart. Dans cette logique, la partialité même de l’avocat·e devient
un atout pour le droit, et donc pour la démocratie, puisqu’elle doit l’amener, si cela sert son
client, à envisager, contre le mainstream, des interprétations innovantes et audacieuses, en
jouant sur toutes les potentialités des textes (mais en se retenant de vouloir restaurer un droit
de chicanes, pourrait-on ajouter)22. Au contraire de cette vision d’un droit perpétuellement
ouvert, un système légicentré, comme historiquement le système français, suscite naturelle-
ment un positivisme ordinaire, un positivisme du quotidien23.
Si cet ouvrage existe, avec son ambition théorique, c’est précisément parce que cette
période est en partie révolue comme le montre un ensemble de facteurs convergents.
Le plus essentiel réside dans l’évolution du droit que la contribution de Christophe
Soulard, Premier Président de la Cour de cassation, caractérise ainsi : « La construction
européenne a eu pour effet de désacraliser la loi puisqu’elle conduit les juges des différents pays
à écarter de nombreuses lois contraires aux textes européens. Le rôle du juge et, par voie de
conséquence, celui de l’avocat, s’en trouve accru [nous soulignons]. Dans un pays aussi « légi-
centré » que la France on pourrait presque parler d’une révolution ». Dans sa contribution, et
dans celles consacrées à des domaines plus particuliers, par exemple les contentieux en droit
environnemental, fiscal24, commercial, étudié respectivement par Christian Huglo et Corinne
Lepage, Marc Bornhauser, Laurent Martinet, les illustrations sont nombreuses de décisions de
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21
Sur ce point, cf. Juliette Cadiot, «Avocat sous Staline. Profession accessoire, profession témoin»,
Annales. Histoire, Sciences sociales 2016/1, p. 163-194
22
Comme l’écrit Sandra Travers de Fautrier, « l’avocat raisonne dans le cadre d’une conflictualité
productive », « L’avocat juge et partie », in Cahiers de la Justice, num. cit, p.485.
23
À distinguer bien sûr du positivisme savant, plus adaptable à toutes les configurations du droit, des
grands théoriciens (comme en France Michel Troper ou Paul Amselek).
24
Compte tenu de la sensibilité des problématiques fiscales, nous précisons ici que la DGFIP, qui avait
participé, en 2013 et 2019, aux volumes de cette collection consacrés respectivement à l’Entreprise
multinationale, par une contribution portant précisément sur la fiscalité d’Olivier Sivieude, et à La
Médiation, n’a pas donné une suite favorable à notre proposition de participation à cet ouvrage.
25
Cambridge, Cambridge University Press, 2022.
26
Sur ce point, cf. Antoine Masson, Les Stratégies juridiques des entreprises, Bruxelles, Larcier, 2010, et
notamment Thierry de Bovis, « La Cour de justice face aux stratégies juridiques », p. 459-470.
27
Cf, en 1991, le tome 36 des Archives de philosophie du droit, Droit et Science.
28
Cf. Serge Soumastre et Laurent Givord, « Quels apports des avocat à la doctrine en matière de droit
de l’environnement ? », Revue juridique de l’environnement , 2016/HS16, p.266 à 280.
29
Cf. sur ce point (mais pas seulement) Valérie de Senneville et Isabelle Horlans, Les Grands Fauves du
Barreau, Paris, Calmann-Lévy, 2016.
des textes, des images, des vidéos (on voit proliférer les chaînes Youtube !), des réactions (le
fameux « pouce » de Facebook en tête), des commentaires de lois ou autres textes législatifs et
réglementaires, de jurisprudences ».
☙
30
Richard Susskind, Tomorrow’s Lawyers, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 111.
31
Cf. sur ce point, CNB, Guide pratique sur l’activité commerciale dérogatoire.
32
L’article de Marie Yschard est, à travers l’analyse de la correspondance de Pline, des écrits
personnels… mais comme chez Cicéron prévus pour la publication, une sorte d’exposition de
l’identité morale de l’avocat, résidant dans le dévouement gratuit : l’avocat est le noble, c’est-à-dire le
héros des périodes de paix, celui que l’on appelle à la rescousse (ce qui est le sens étymologique du
tion, mais qui pourtant doit permettre à celui qui le rend de pouvoir « continuer à donner »
et à celui qui le reçoit de manifester sa gratitude. Dans sa contribution, Jérôme Gavaudan,
Président du Conseil national des barreaux, retrace donc les évolutions récentes de la régula-
tion des honoraires, par la déontologie de l’avocat·e et par les pouvoirs conférés au bâtonnier,
qui ne sont plus exclusifs, puisque le client peut dorénavant s’adresser subsidiairement au juge,
comme l’observe également Nelly Noto-Jaffeux. Plus généralement, Jérôme Gavaudan
montre, dans une illustration si l’on peut dire réflexive de l’ordre juridique poly-centré déjà
évoqué, que la régulation des honoraires associe la grande tradition ordinale du barreau
français, étudiée par Hervé Leuwers et Yves Ozanam, et dorénavant le droit européen de la
consommation, jusqu’à la décision CJUE du 12 janvier dernier qui considère qu’une
convention d’honoraires basée sur la fixation d’un simple tarif horaire ne répond pas aux
exigences de clarté et de compréhensibilité attendues pour le client33.
En deuxième lieu, beaucoup de contributions abordent la question de l’avocat en entre-
prise, notamment pour la France, celles de Bruno Deffains, Nelly Noto-Jaffeux et Bernard
Vatier, et pour l’étranger, celles d’Ichiro Kitamura, qui montre que le code de déontologie
japonais a eu le souci de permettre à l’avocat in-house de conserver son indépendance
intellectuelle et morale, et d’Oliver Wiesike, qui en particulier rappelle judicieusement qu’en
Allemagne, la question n’était pas seulement une question d’essence, i·e d’indépendance
identitaire de l’avocature, mais d’existence, l’ouverture de la profession à de nouveaux juristes
ayant été considérée comme apportant une contribution utile à la caisse de retraite de la
profession.
En troisième lieu, à l’inverse du point précédent, où l’avocat paraît aliéner son
indépendance dans une relation employé/employeur privé, Marc Bornhauser émet l’idée que,
dans certains services d’aide à la conformité ou d’enquêtes internes qu’il rend à son client,
l’avocat·e perdrait aussi son indépendance en s’assimilant à un agent externalisé de l’État ou
des États, ceux-ci, en période de tensions budgétaires, économisant ainsi d’importants coûts de
contrôle et d’investigation. Les activités des lawyers dans la sphère de la compliance sont aussi
abordées par Laurent Cohen-Tanugi, puisque ces pratiques sont apparues aux États-Unis,
mais celui-ci y voit au contraire une suite normale des activités des avocat·e·s, dans la logique
de la justice négociée et du Droit sans l’État, pour reprendre le titre de son ouvrage de 1985, au
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« vocatus ad ») et qui répond sans barguiner (bargainer, serait-on tenté de dire), si la cause lui
semble juste. Il est vrai que le désintéressement du véritable avocat romain s’inscrivait dans une
économie du prestige, du don et du contre-don, s’exerçant entre « patrons » et « clients » qui
caractérisait la société d’alors, selon une véritable économie non monétaire de soutiens et de
recommandations se transmettant de génération en génération (Cf. Michel Humbert, loc. cit., et J.-
M. Davy, Le Patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992), constituant
les réseaux sociaux de l’époque mobilisables, par exemple, pour réunir à l’occasion des procès des
soutiens souvent bruyants. C’est la différence avec la pratique contemporaine du pro bono. Cette
dernière implique certes un échange moral entre la prestation juridique et la reconnaissance pro-
venant du client, purement humaine dans la détresse d’un individu, plus sociale s’il s’agit d’une
association humanitaire. Mais dans les deux cas, le lien reste libre, réversible, loin des obligations
pérennes du clientélisme romain.
33
La question de la rémunération renvoie aussi à l’aide juridictionnelle, question que nous avons
abordée dans notre propre contribution.
nature même des contentieux, l’organisation pour ainsi dire « industrielle » de la dissimu-
lation de la vérité et, symétriquement, de la recherche de la « vraie vérité », étant spécifiques
dans ces cas extrêmes, comme le montre Renzo Orlandi, pour l’Italie, en matière de crime
organisé. Dans ce domaine, l’autorité de poursuite présente en effet une narration et des
probabilités globales, selon une approche statistique de la vérité, alors que la défense met en
avant des facteurs individuels, sinon d’innocence, du moins d’absence de preuves directes35,
une situation qui a ses analogies dans d’autres dossiers complexes quoique non criminels.
Dans cet ouvrage, Giovanni Tuzet propose une synthèse détaillée de la question de la
vérité, basée sur les théories philosophiques contemporaines convenant aux sciences comme au
droit. La vérité y est alors définie comme « croyance justifiée ». Cette définition permet de
comprendre, sans céder au scepticisme, que les critères de justification et les modes de preuve
en droit soient, quoique dans des marges limitées, parfois différents selon les pays ou les
circonstances, comme ils peuvent l’être entre disciplines scientifiques36. À l’intérieur de ce
contexte, Giovanni Tuzet présente un instructif état des débats sur les techniques
d’interrogatoire, sur fond d’opposition entre procédures accusatoire et inquisitoire et
conceptions stricte (celle des pays de common law) ou plus souple (en France ou en Italie) du
devoir de vérité de l’avocat·e, également examiné par Sir Michael Tugendhat et Bernard
Vatier.
En prolongement de ces derniers développements, nous attirons l’attention des lecteurs
sur le fait, qui n’apparaît pas directement dans la table des matières, que toutes les études
comparatistes de ce volume se sont interrogées spontanément sur la formation des avocat·e·s et
des magistrat·e·s et sur le mode de recrutement de la magistrature, l’ensemble des catégories
formant alors le « clergé laïc » des lawyers, selon l’expression de Laurent Cohen-Tanugi. Peu
d’auteurs de facto ont défendu un système français, calqué sur celui de la haute fonction
publique, - actuellement en voie de forte restructuration par ailleurs37 -, dans lequel les
avocat·e·s et les magistrat·e·s sont formé·e·s dans des institutions séparées, quoique permettant
évidemment des collaborations entre elles et avec les universités, et surtout où les magistrat·e·s
n’ont pas, sauf exception, exercé antérieurement l’avocature. Dans le système inverse, tous les
contributeurs relèvent des avantages importants en termes d’alternatives au contentieux,
d’efficacité procédurale, et même de courtoisie sur laquelle insiste notamment Oliver Wiesike.
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35
Sur ce sujet, voir également l’ouvrage, très documenté, d’Edwige Rude-Antoine, L’Éthique de l’avocat
pénaliste, Paris, L’Harmattan, 2014.
36
Même si, aujourd’hui, les techniques de modélisation et de simulation permises par l’IA tendent à les
rapprocher pour ces dernières.
37
Ce que l’INSP et la DIESE organisent aujourd’hui pour les cadres dirigeants de l’État pourrait
d’ailleurs inspirer aussi les facultés de droit, l’ENM et les écoles du barreau.
38
Comme Margaret Thatcher, diplômée en chimie, ainsi que le rappelle Sir Michael Tugendhat.
2022, paralysé par des grèves massives, - certes dans le contexte plus vaste de crise au Royaume-
Uni – ne peut servir de modèle global39. Aux États-Unis, Laurent Cohen-Tanugi n’a pas
manqué de relever que l’avocature est souvent associée à la thématique du « chasseur
d’ambulances ». Quant à la Rome de Cicéron et de Pline, l’Europe d’Althusius et de Leibniz,
aussi mises en valeur, elles souffrent, c’est le moins que l’on puisse dire, d’un certain déficit de
« Démocrature ». Il faut donc distinguer encore les plans de l’essence et des existences. Sur le
premier, l’Avocature est consubstantielle au droit, dès que l’on prend conscience, comme
Aristote et toute la tradition (Bernard Vatier le rappelle pour Jean Bodin), de sa texture
ouverte et des insuffisances structurelles de la loi. Sur le second plan, Avocature et
Magistrature sont aussi portées aujourd’hui par une conjoncture inédite de multiplications des
sources dans l’ordre européen et international poly-centré. Mais cette complexité n’émane pas
seulement d’un processus historique de construction, qui par définition connaîtrait des phases
d’échafaudages dissimulant l’architecture finale : elle révèle plus profondément, à tous niveaux
de Législature, des conflits de méthode, d’objectifs et d’horizons temporels. Cette confronta-
tion est assurément inconfortable, mais elle caractérise aujourd’hui toutes les institutions,
politiques, administratives et judiciaires, comme elle habite chaque citoyen.n·e.
Les dernières contributions de cet ouvrage sont celles d’Hélène Aji, professeure à l’École
normale supérieure, et de Vanessa Place, avocate au barreau de Californie et poète. Elles
portent sur les affaires de crimes sexuels et les condamnations pénales en première instance et
en appel aux États-Unis. Elles sont construites symétriquement autour d’un poème de Vanessa
Place, formant ainsi triptyque. C’est la première fois depuis leur création en 1931, que les
Archives de philosophie du droit publient un poème : ce n’est pas un hasard que ce soit dans un
volume consacré aux avocat·e·s. La forme poétique est sans doute la seule manière de mettre
des mots sur l’intime, en deçà ou au-delà de la logique du langage ordinaire, afin de tenter
d’exprimer à des tiers l’expérience que peut vivre dans son esprit, son cœur et presque dans sa
chair, l’avocat·e engagé·e dans des affaires qui l’affrontent à la violence, la souffrance, le mal et
la mort.
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Ce qui ne signifie pas que la place du droit de Londres ne mérite pas néanmoins de conserver toute
l’attention, comme le rappellent Bruno Deffains et Laurent Martinet.