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CHAOSMOSE, UNE LECTURE COLLECTIVE

Pascale Criton

Érès | « Chimères »

2012/2 N° 77 | pages 7 à 10
ISSN 0986-6035
ISBN 9782749233444
DOI 10.3917/chime.077.0007
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-chimeres-2012-2-page-7.htm
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PASCALE CRITON

Chaosmose,
une lecture collective

C E NUMÉRO DE CHIMÈRES fait suite à une lecture collective du livre


de Félix Guattari Chaosmose, écrit en 1992 (Galilée) qui s’est
déroulée d’octobre 2011 à mai 2012, à Mains-d’Œuvres (Saint-
Ouen), puis à la Maison Populaire (Montreuil).

Chaosmose est une proposition pour voir et faire les choses autre-
ment, une invitation à la « mise en acte » processuelle d’une pensée
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transversale. Comment réaliser un numéro de revue comme une
expérience qui s’inscrive elle-même dans une processualité créative ?
Penser avec Félix Guattari n’est pas « penser sur », ni « penser
comme », mais produire des pensée-faire, pensée-dire, pensée-signes :
plutôt qu’une analyse textuelle, il s’agissait de solliciter chacun dans
ce que cette lecture lui donne à penser ou favorise dans ses pratiques,
qu’elles soient politiques ou cliniques, philosophiques ou artistiques.
Ainsi au cours de six séances de cette « lecture en acte », le mélange
des signes s’est joint au chevauchement des temps et des espaces.
Présents ou à distance, cliniciens, philosophes, artistes, psychana-
lystes, écrivains, sociologues intervenants se sont imbriqués dans une
transversalité esthétique associant l’idée, le corps, l’écoute et le mou-
vement. Se sont côtoyés quelques-uns de ceux, amis, analystes,
artistes, philosophes, qui ont rencontré l’homme, partagé ses idées et
en poursuivent les pistes. Mais aussi ceux plus jeunes, qui expérimen-
tent aujourd’hui, à partir de ses traces, l’hétérogénèse sémiotique de la
« chaosmose » et nous font découvrir l’œuvre littéraire, théâtrale et
cinématographique de Guattari lui-même – œuvre largement
méconnue et dont nous présentons ici quelques extraits.

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Tout au long de l’année, nous avons donné rendez-vous au public


avec des invités différents, autour de la lecture d’un chapitre. Les
séances, conçues autour de six scansions de Chaosmose, se sont
déroulées mêlant philosophie, performances, lectures, interventions,
improvisations musicales, images projetées, concerts et spectacles1.
Nous avons voulu provoquer, avec ces « lectures » sensibles de diffé-
rentes textures, une approche transversale active – un décentrement
esthétique des points de vue. Chaque séance a donné lieu à une sorte
d’atelier provoquant des rencontres imprévues dont résultait un
montage minimal : écriture du temps et de l’espace. Le dispositif
visait à rapprocher et faire prendre consistance ensemble des expres-
sions habituellement cloisonnées, celles du théorique, de la musique,
du texte lu poétiquement, de la voix portée jusqu’au chant et au cri.
Confronter la tension discursive de la philosophie aux provocations
désopilantes des performances, imbriquer les interventions aux
improvisations, mêler prises de parole et événements audiovisuels
visait à explorer ces « blocs de sensation composés par les pratiques
esthétiques en deçà de l’oral, du scriptural, du gestuel, du postural, du
plastique ».

Un tel « décentrement esthétique des points de vue » débouche, selon


Guattari, sur une « démultiplication polyphonique des composantes
d’expression ». Ces différentes expressions, artistiques, cliniques,
sociologiques se sont trouvées transformées par l’association inatten-
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due de signes d’un autre registre sémiotique, le non verbal confronté
au théorique, le plastique au musical, le concept au corps, au son, au
temps, à la lumière ; non qu’il s’agisse d’un chevauchement, mais
plutôt d’un insensible déplacement des frontières sémiotiques.
Chacun fut amené à modifier quelque peu ses modes d’apparition :
l’artiste souvent hors scène, le philosophe interrompu, la musique
articulée aux mots et aux voix de différente nature. Ce sont ainsi les
modes de l’effraction, de la tension, parfois de l’incertain qui ont pré-
valu. Côtoyer l’intensité d’un solo de musique ou d’une performance
poétique modifie-t-il le ton, la forme, le phrasé de l’élocution – et

1. Nous remercions tous ceux qui y ont participé : Jean-Claude Polack, Anne
Sauvagnargues, Anne Querrien, Pascale Criton, Mauro Sa Rego Costa, Marie Estève,
Seijiro Murayama, Isabelle Stengers, Damien Schultz, Li ping Ting, Anik Kouba,
Paul Brétécher, Raymond Bellour, René Farabet, Thierry Madiot, Silvia Maglioni,
Graeme Thomson, Isabelle Mangou, Flore Garcin-Marrou, Claude Merlin,
Françoise Pons, Alexis Forestier, Barbara Glowczewski, Eric Alliez, Olivier Apprill,
Françoise Rivalland, Caroline Delume, Cécile Duval, Franco Berardi, Valérie
Marange, Manola Antonioli, Olivier Quérouil, Deborah Walker, Claire Bergerault.

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même de la pensée ? Comment dire l’essentiel en quelques mots, ou


en quelques minutes avec son corps ? L’originalité de nos lectures a
consisté à mettre sur le même plan l’écologie des performances artis-
tiques et la concentration théorique des discours, sans les mélanger,
en les appuyant au contraire, par ricochet, les unes sur les autres, pour
produire le fragile assemblage d’une expérience de pensée sensible.

Comme en témoigne l’entretien que Guattari réalise pour la télévi-


sion grecque (1992), Chaosmose intensifie la nécessité d’une réappro-
priation subjective de la vie sous ses divers aspects matériels, sociaux,
psychiques. Ce propos, récurrent dans la perspective d’une écologie à
la fois sociale, mentale et environnementale – écosophique – se préci-
se ici dans un sursaut existentiel, éthique, politique et l’urgence d’une
refondation de la subjectivité. Élargie au rang d’un paradigme,
l’esthétique traverse tout autant le social – l’écologie mentale – que
l’artistique – l’autonomisation des signes, les matières de sensation
et la production de sens – ou le politique – dans la dimension des
réseaux, des processus de subjectivation et manières d’être
ensemble. Le paradigme esthétique mis en valeur dans le dernier
livre de Guattari stimule une processualité créative susceptible de
déjouer les subjectivités universalisantes et homogénéisantes du capi-
talisme mondial.
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Reçue internationalement, notamment au Brésil, en Australie, au
Japon, aux États-Unis et au Canada, la pensée de Guattari ouvre un
chantier hétérogène d’une grande ampleur autour du paradigme
esthétique. Comme nous le verrons dans les différentes contributions
de ce numéro, le sens que prend le concept esthétique est entièrement
renouvelé : il redéfinit tout autant la praxis politique que la cure psy-
chanalytique, les définitions de la connaissance et de la clinique que
les pratiques artistiques. Si le transfert reste le vecteur d’un échange
transitif entre le patient et l’analysant, quelles en sont les modalités
interprétatives du point de vue des cartographies schizoanalytiques
(« Chaosmose in situ » de Anik Kouba) ? Cette figure de l’artiste,
valorisée par le paradigme esthétique, à l’écart des déterminations
spéculatives du marché de l’art et en résistance à la standardisation
médiatique (« L’esthétique déterritorialisée », Pascale Criton), tient à
sa capacité chaosmique à proposer de nouvelles singularités existen-
tielles (Seijiro Murayama, Liping Ting). Les pratiques politiques,
elles aussi, se définissent comme « shifters » de subjectivation : les
mobilisations intensives et non programmées du mouvement Occupy

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(« De Chaosmose à Occupy », Mauro Sa Rego Costa et « OccupaRio »,


Bruno Cava), se révoltent contre ce que Franco Berardi nomme
l’abstraction capitalistique, qui impose une terrible diète aux signes
du langage et aux formes du sentir (« Spasme Désir Panique »,
Franco Berardi).

Au cœur de ce livre, écrit à la suite d’une période difficile, l’enjeu de


la subjectivité s’affirme comme foyer de régénérescence, capable
d’inventivité, pour autant qu’on puisse en diagnostiquer le fonction-
nement (« Machines, comment ça marche ? », Anne Sauvagnargues)
et concevoir les dispositifs thérapeutiques (« Du grasping au packing,
l’attrape-chaos », Jean-Claude Polack). Les agencements de subjecti-
vation ne sont rien d’autre qu’énonciation individuelle et collective,
désir (« Transversalités, chaosmoses et cuisines », Paul Brétécher),
façon de sentir (« Antepénultième lettre à Félix », Anne Querrien).
La production de subjectités (« Images », Carolina Saquel) rejoint la
question de la (re)singularisation esthétique et de son énonciation
(« Du chaos à la chaosmose », Éric Alliez). Les tenants du paradigme
« éthique et esthétique » nous invitent, selon toutes ces instances, à
conjuguer tout autant le social que l’artistique et le politique pour
tenter de nouvelles allures de vie, – de nouveaux univers de valeurs
selon l’expression de Guattari.
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Dans ce numéro, nous présentons également pour la première fois
l’œuvre littéraire de Guattari, son engagement artistique autour des
années 1980, sa pratique de poète, d’écriture de pièces de théâtre, de
scripts de film. Jean-Baptiste Thierrée, ami proche du philosophe
durant de nombreuses années, nous fait découvrir la portée de ses
rencontres avec le Nouveau Cirque (« Aujourd’hui encore, je rêve
beaucoup à mon ami Félix »). Flore Garcin-Marrou nous présente le
corpus des écrits de Guattari pour le théâtre (« Portrait de Félix en
dramaturge »), dont certains furent montés dans les années 1980 par
Philippe Adrien et Enzo Cormann – notamment d’après les 65 Rêves
de Kafka (« Félix Guattari, dramaturge chaosmique »). Peter Pàl
Pelbart, qui vient cette année de monter à nouveau cette pièce avec la
troupe de théâtre Ueinzz, qu’il dirige à Sao Paulo, explore la relation
Guattari et Kafka (« devenir-kafka »). Enfin, le scénario d’un film qui
n’a jamais vu le jour, Un amour d’UIQ, est aujourd’hui révélé par
Silvia Maglioni et Graeme Thomson qui en font revivre l’aventure sur
un mode processuel (« Entre l’infra-quark et la chaosmose »), avec la
complicité d’Isabelle Mangou (« Cine-chaosmic »).

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