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ÂGE MAÇONNIQUE ET MODERNITÉ, OU L'ÂGE DU DÉSIR À L'ACTUALITÉ

DE LA FONCTION SYMBOLIQUE

Ingrid Chapard

ERES | « Cliniques méditerranéennes »

2009/1 n° 79 | pages 161 à 175


ISSN 0762-7491
ISBN 9782749210582
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Cliniques méditerranéennes, 79-2009

Ingrid Chapard

Âge maçonnique et modernité,


ou l’âge du désir à l’actualité
de la fonction symbolique

« Si des maçons sont au travail et si vous voulez distinguer un maçon


accepté des autres, prenez un morceau de pierre et demandez-lui ce que
cela sent. Il répondra immédiatement “ni le cuivre, ni le fer, ni l’acier,
mais c’est l’odeur d’un maçon”. Alors demandez-lui quel âge il a ; il
répondra “7 ans et plus”, ce qui prouve qu’il a été reçu Maître 1. »
Vieillir suppose une action cumulée du temps, de la temporalisation, et
enfin la résultante d’une action biologique inscrite dans le « moi-corps 2 ».
Si la temporalité s’inscrit psychiquement par l’expérience de la perte et
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de la castration, existe-t-il pour autant un « vieillissement de la libido 3 » ?
Processus interne soumis aux lois de l’usure, peut-il exister une modernité
dans l’action de vieillir ? Paul-Laurent Assoun soulignait en 2003 :
« La psychanalyse n’a pas en effet vocation à redoubler la rhétorique
sociale, pas plus qu’à broder sur la “sagesse” : il s’agit d’évaluer le vieillisse-
ment à l’aune du réel inconscient. […] Sans méconnaître les contraintes du
processus vital ni les astreintes du discours social, elle restitue le vieillir au
plan du sujet, dans son rapport à son image et à son désir. […] Au-delà d’une
approche sexologique, il s’agit de s’interroger sur la temporalité à l’œuvre et
la modalité de « temporalisation » du sujet qu’engage le désir 4. »

Ingrid Chapard ; 48 bd de Picpus, F-75012 Paris.


1. H. Vigier et coll., La renaissance du rite français traditionnel, Cahiers de l’association Les Amis
de Roger Girard, Éditions Télètes, Marne-la-Vallée, août 2004.
2. P.-L. Assoun, Leçons psychanalytiques sur Corps et symptôme, Anthropos/Économica, 1997.
3. P.-L. Assoun, « Le vieillissement saisi par la psychanalyse », Le continent gris, Communications
n° 37, 1983, p. 167-179.
4. P.-L. Assoun, id., p. 65.

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Expérience de mise à l’épreuve du narcissisme, il s’agirait également


de tirer les conséquences de la portée anthropologique 5 propre à cette expé-
rience du spéculaire. Markos Zafiropoulos rappelait ainsi en 2001 l’ampleur
de la révolution posée par l’anthropologie psychanalytique :
« Nous retrouvons en tout cas par le biais de cette analyse la posture
freudienne soutenant qu’il faut penser ensemble la logique de l’incons-
cient et celle du social : et ceci depuis leur origine même puisque, selon
le corpus freudien, la formation originaire de l’inconscient et celle des
sociétés de droit émergent du même mouvement dans l’histoire des
hommes. […] Le progrès des civilisations n’est pas pour cela a-histo-
rique, et même si les règles sociales et l’adhésion à ces règles relèvent de
manière déterminante du fonctionnement collectif de la névrose, reste
que la production des règles juridiques peut échapper à cet impérialisme
de l’inconscient névrotique 6. »
Il faudrait donc également resituer cette expérience au cœur d’un objet
social moderne qui permette d’initialiser une diachronie et repérer l’existence
éventuelle de processus de dégradation au sein de la logique inconsciente.
En 1980, le choix d’une enquête sur les chemins de l’hospice avait permis de
mettre en évidence les effets des techniques de pouvoirs sur la subjectivité,
incluant l’inscription de la logique sociale dans le corps même des sujets. Cette
logique s’imprimant jusque dans le processus même de vieillissement. Ainsi :
« L’hospice reflète le traitement général et les préjugés dominants à
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l’égard de la sexualité des vieillards. Le personnel comme l’administration
ne mettent pas en place un système de répression explicite. Le déni fonc-
tionne efficacement, la question est occultée, elle n’est donnée ni à voir ni à
entendre. Toutefois, les effets de pouvoir ne sauraient être expliqués seule-
ment en fonction de leur dimension négative (qui exclut, qui réprime, qui
refoule, qui censure), il y a aussi production de réel : asexualisation 7. »
Il y aurait donc moins vieillissement de la libido que contrôle social des
corps par les différentes technologies de pouvoir visant la réglementation du
sexuel, l’atténuation des distinctions de genre, la médicalisation du réel de
la modification corporelle. Les modalités de jouissance et de contrôle social
ne sont pas sans s’emparer de la question du vieillissement et du devenir

5. J. Lacan (1938), « Le stade du miroir », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.


6. M. Zafiropoulos, « La solution paternelle en déclin », dans Les solutions sociales de l’incons-
cient, Paris, Anthropos, 2001, p. 5.
7. N. Benoit-Lapierre, R. Cevasco, M. Zafiropoulos, Vieillesse des pauvres, les chemins de l’hospice,
Paris, Les éditions ouvrières, 1980, p. 46.

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des vieillards. Les prédictions de l’étude de 1980 8 ne sont pas démenties par
l’actualité économico-politique du XXIe siècle : sur la question du devenir
vieux, le médical et son discours ont pris une place d’opérateur symbolique
de régulation sociale. Qu’il s’agisse du déploiement des maisons de retraite,
des dispositifs médico-sociaux de maintien à domicile, ou des priorités des
recherches scientifiques en gériatrie, un nouveau marché du savoir et des
biens teinte la modernité du « savoir vieillir ».
De quelle manière pouvons-nous dire pour autant que la logique incons-
ciente en soit touchée ? Certes, dans le vieillissement, le sujet est confronté
à l’inadéquation de l’intemporalité du système inconscient et du réel d’une
altération corporelle, ce qui n’est pas sans porter le risque de faire vaciller
le rapport existant entre l’imaginaire et le réel 9. Pour autant, pour avancer
dans cette réflexion, il nous faudrait saisir ici une clinique du fantasme qui
s’écrirait à la frontière de la clinique du corps et du social.
À ce titre, la franc-maçonnerie présente un intérêt certain. Société initia-
tique, philosophique et progressiste, elle est organisée depuis le XVIIe siècle
autour de mythes et de rituels qui font appel à un idéal humaniste struc-
turé. Les francs-maçons se reconnaissent comme des héritiers spéculatifs
de l’art opératif des bâtisseurs de cathédrales, mais ils sont également des
hommes et des femmes qui pratiquent des rites de passage modernes, orga-
nisés autour du secret initiatique. Cette société, constituée comme objet de
recherche, présente donc plusieurs difficultés d’approche, ainsi qu’en témoi-
gnent des chercheurs de différentes disciplines 10. Outre la difficulté d’accès
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aux sources, pour des raisons tenant tant à la nature des institutions qu’à
leur histoire, la recherche témoigne en effet, en France, et jusqu’aux années
1970, de la difficulté à trouver la juste distance entre les convictions intimes
du chercheur et l’objet de recherche. Il existe en effet une implication très
ancienne de l’institution maçonnique au sein de l’ensemble de la vie intellec-
tuelle et sociale des pays où elle s’est développée. Sur de multiples points,
l’histoire de la franc-maçonnerie française est le reflet de plusieurs problèmes
fondamentaux que notre société a rencontrés depuis trois siècles. Entre secret

8. « Le premier temps de ce mouvement c’est celui de la revalorisation de la vieillesse y compris des classes
les plus pauvres. Cette revalorisation inaugure l’ouverture d’un nouveau marché du troisième âge dont
celui de ses pathologies pour lesquelles on dispose maintenant de financement (Sécurité sociale). Les
maladies de la vieillesse deviennent intéressantes au fur et à mesure que les vieillards peuvent payer pour
guérir leurs maux. Les pathologies du vieillard sont d’un seul coup déplacées sur le marché des pathologies
qui structurent la hiérarchie des disciplines médicales. Une fraction du Corps médical invente un nouveau
discours savant autour de ces pathologies et se proclame des nouvelles compétences, celles de gériatres, des
gérontologues, etc. » Ibid., p. 171.
9. P.-L. Assoun, « Le vieillissement à l’épreuve de la psychanalyse », dans Comment accepter de
vieillir ?, Les Éditions de l’Atelier, Corlet éditeur, Lisieux, sept. 2003.
10. R. Dachez, Histoire de la franc-maçonnerie française, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », juin
2004.

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initiatique, rites de passage et initiation maçonnique, nous avons donc ici


une clinique du fantasme au sein de laquelle siège le désir du franc-maçon,
et qui met en jeu tant la lettre du corps que l’organisation du fait social. Elle
constitue donc, pour le chercheur en anthropologie psychanalytique un objet
tout à fait privilégié.
Concernant la problématique qui nous préoccupe, la pratique des rites
de passage maçonniques rend-elle compte ou non de l’apparition d’un
nouvel ordre du désir en fonction d’un « devenir vieux » ? Permet-elle de
percevoir des conséquences du vieillir sur la distinction de genre et l’identité
psycho-sexuelle ? Permet-elle ou non d’isoler d’autres agents de régulation
symbolique intervenant dans cette expérience « indépendante du moi et de
l’investissement narcissique 11 » ? Quels sont les opérateurs inconscients de
transformation sollicités ? Quels en sont les effets ?

CLINIQUE DU FANTASME : LA RECONNAISSANCE FRANC-MAÇONNE

Le vieillissement, entre angoisse et âge du désir

Les francs-maçons fréquentent un temps à part, imaginaire et sacré,


qui organise leur socialité comme leurs pratiques ou leurs modalités de
reconnaissance. Ainsi, ils naissent à trois ans, parlent à cinq, atteignent la
maturité à sept, puis mûrissent avec l’âge représentatif du grade. Ainsi, et
pour exemple, les francs-maçons reçus au quatrième grade vont passer, le
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temps d’une cérémonie, de l’âge de « sept ans » à celui de « trois fois vingt-
sept ans ». L’avenir maçonnique portant trente-trois grades, le franc-maçon
a le temps de vieillir au gré d’une logique des nombres qui s’inscrit dans un
nouvel agencement symbolique. L’âge sert à la reconnaissance des francs-
maçons entre eux, indiquant notamment par là le degré initiatique du frère
ou de la sœur reconnus. L’initiation, puis toute élévation de grade, sont
soumises à des processus d’examen puis de vote collectif, pré-reconnais-
sances initiales des futurs frères ou sœurs du grade. Ainsi du discours d’une
sœur ayant pris dans son ordre des responsabilités administratives :
« […] deux ans de présidence tu n’as pas le temps… la maçonnerie c’est
quelque chose de lent, et même quand tu es dans quelque chose de très
administratif, c’est quand même lent donc tu peux pas comme ça tout
bousculer et ça c’est extrêmement frustrant… Par contre, aujourd’hui, ce
que cela m’a donné, et de temps en temps ça me fait peur, c’est une espèce
de détachement vis-à-vis des choses… c’est-à-dire que maintenant dans une
loge on me fait une montagne d’un petit problème pour moi, même pas une

11. Ibid., p. 73.

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tête d’épingle ça me… une espèce de détachement qui fait que… bon je vais
te prendre un exemple, l’autre jour, samedi, en loge il y avait le vote d’aug-
mentation de salaire pour six frères et sœurs, il y en a cinq qui ont été pris et
un qui n’a pas été pris, le véné tout juste si elle s’est pas mise à pleurer… je
lui ai dit : Mais attends ! la loge est souveraine, qu’est-ce que tu en as à foutre
s’ils sont plus de la majorité à avoir voté contre… c’est qu’il y a des raisons !
on peut pas imaginer que des frères et des sœurs se soient concertés avant
pour mettre des boules noires 12, c’est qu’il y a des raisons ! Il y en a cinq qui
passent, et ben tu fais la cérémonie pour les cinq et puis celui qui reste et
ben, tu le vois, et tu lui dis : ben voilà, il y a telle chose, telle chose dans ton
comportement… Elle me dit : « Mais tu prends ça avec détachement ! » Mais
où est le problème ? La loge a voté, point barre ! Et ça, je me rends compte
que quelque part, je dois les enquiquiner d’avoir cette espèce de… et bon, le
soir ça m’effraie un peu… en me disant mais tu es devenue complètement
détachée par rapport aux événements. C’est que j’ai vécu des trucs tellement
durs si tu veux, que maintenant, tout me paraît disproportionné à l’histoire
qu’on en fait. Parce que, attends, c’est pas parce qu’il n’augmente pas de
salaire qu’il va mourir, c’est pas grave en soi. Il a à se reposer des questions
pourquoi on a pris les cinq autres et pas lui et c’est tout et puis il repassera
la prochaine fois ! Qu’est-ce que c’est, où est le problème ? […] »
Cette dimension de reconnaissance de l’autre franc-maçon, elle-même
inscrite dans un processus temporalisé, implique à la fois le corps et l’usage
social. Elle s’opère, entre autres choses, par une circulation de signes, mots
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et attouchements, liés à la fois au grade et à l’obédience. La seule demande
qui s’énonce n’est pas alors celle du « passant » mais celle de l’Autre social,
par le rite, pour obtenir les signes satisfaisant à l’acte de reconnaissance.
La franc-maçonnerie actualise une situation originaire et structurelle où les
manifestations corporelles sont codifiées et font immédiatement sens pour
l’autre. Cet appel implique d’emblée une existence du sujet au sein d’un
univers de communication où l’autre se situe d’abord comme réponse à une
demande supposée. Cette intervention de l’autre par le rituel suggère alors
un univers sémantique et un discours propre, inscrivant le sujet dans ce réfé-
rent symbolique qui est le sien. De ce fait, cet autre placé à l’énonciation du
rituel s’investit à l’endroit du sujet comme autre privilégié : l’Autre.
Ainsi, pour cette même franc-maçonne, ce qui nourrit le désir, en franc-
maçonnerie, c’est l’avancée en âge :
« Alors là, si tu veux, pour moi il y a deux aspects parce que je pense que le
processus initiatique dans sa continuité, pour moi, c’est à partir du moment

12. Les francs-maçons expriment leurs votes à l’aide de boules de deux couleurs. Le noir
exprime le refus.

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où on accède au quatrième degré, c’est-à-dire que l’on rentre dans les loges
de perfectionnement, c’est-à-dire qu’en loge bleue 13 on te donne effective-
ment beaucoup de choses, pratiquement tout d’ailleurs mais… Comment je
vais pouvoir te dire ça sans déformer ma pensée… La loge bleue, je dirais
que c’est presque un filtre… Bon… Et surtout dans notre obédience où
la continuité initiatique se fait du premier au trente-troisième degré. Les
trois premiers degrés, c’est une approche initiatique. On a enclenché un
processus, et moi je pense que si on veut garder les maîtres, il faut qu’il y
en ait le plus possible qui rentrent dans les loges de perfectionnement de
façon à ce qu’ils continuent vraiment leur processus initiatique. Parce que
si on reste toujours qu’en loge bleue… moi je comprends que les maîtres à
un moment donné en ont marre quand ils ont entendu cinquante fois le fil
à plomb, quand ils ont entendu trente ou quarante fois la chaîne d’union…
Si tu n’entends que ça comment éveiller la curiosité intellectuelle ? Pour moi
on ne peut intéresser les maîtres, bon les maîtres qui sont intéressés par le
symbole et tout ça, qui sont vraiment intéressés par ce processus initiatique,
c’est leur montrer qu’ils peuvent aller plus loin et auquel cas on leur donne
d’autres pistes de curiosités […] c’est-à-dire qu’en fait pour moi la mise dans
un processus initiatique c’est vraiment rentrer dans une spirale. Bon, on a
toujours besoin de ce qu’y a à la base de la spirale, c’est-à-dire qu’on aura
toujours besoin des outils, des symboles, du rituel, du premier degré, du
deuxième degré, du troisième degré… Mais si dans ce système de spirale
tu t’arrêtes, très rapidement, au troisième degré, et que tu n’es plus dans
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ce processus, là tu redescends. Tu remontes et tu t’arrêtes de nouveau au
troisième degré. Tu n’as plus l’élévation. Alors, ce n’est pas que ce que l’on
fait dans les loges bleues n’est pas bien, c’est que c’est limitatif… Or, pour
moi, mais je peux complètement me tromper, si l’on veut que le processus
continue il faut qu’il y ait un aiguillon. Et l’aiguillon dans le processus initia-
tique ne peut être donné qu’avec des outils et des symboles d’autres outils,
d’autres symboles, d’autres manières d’aborder les choses… et puisqu’on
est dans la continuité on voit bien que le processus il faut aller le chercher
ailleurs de façon à ce que cet aiguillon intellectuel continue… c’est-à-dire
qu’on n’a jamais fini… mais tu peux pas demander ça comme ça, pendant
trente ans, aux frères et sœurs, de toujours être dans un domaine et qu’il n’y
ait pas de curiosité… alors après… […] »
L’âge maçonnique doit prévenir l’érosion du symbole pour maintenir
le désir. Ce qui est à craindre, ce qui angoisse, ce n’est pas la montée en âge,
c’est l’arrêt du « processus ». La continuité initiatique apparaît alors comme
un « trompe-la-mort », solution sociale à l’angoisse de castration :

13. Loge où se réunissent les trois premiers grades.

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« On peut vérifier ce principe en quelque sorte clinique par ce constat :


c’est quand l’écart est le plus patent entre la vie réelle et la réalité du désir
que l’angoisse de vieillir est la plus vive. […] Le sujet s’angoisse toujours
– potentiellement – à propos du vieillissement. C’est seulement quand
le code symbolique (et social) l’immunise contre une telle angoisse que
le sujet en est protégé ou encore quand les stratégies sublimatoires ont
apporté un antidote à cette question de l’impasse pulsionnelle 14. »
L’apport d’un enrichissement du mythe et des symboles permettrait de
soutenir la réalité d’une expérience qui nourrit tant le réservoir pulsionnel
que l’activité fantasmatique au sein de laquelle le désir est ici maintenu.
Nous ne verrions pas l’émergence d’un nouvel ordre du désir en fonction du
devenir vieux, mais l’organisation d’un nouvel ordre social en fonction de
l’approche de l’angoisse de castration. Quelles conséquences cela laisse-t-il
entrevoir sur le travail de genre ? La franc-maçonnerie révèle-t-elle un effi-
cace traumatique culturel ayant à voir avec le processus de vieillissement ?

L’EFFICACE TRAUMATIQUE CULTUREL DE LA FRANC-MAÇONNERIE


ANTHROPOLOGIE PSYCHANALYTIQUE DE L’EXISTENCE DES FEMMES
EN FRANC-MAÇONNERIE

De la franc-maçonnerie d’adoption à la franc-maçonnerie féminine

Ainsi que j’ai pu le démontrer au cours d’un précédent travail 15, cette
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configuration essentielle de l’activité fantasmatique pour la franc-maçon-
nerie est confirmée par le témoignage de Francine Cheney 16 concernant son
engagement en franc-maçonnerie féminine. Elle y évoque le travail effectué
sur la femme et le féminin. Pour elle, le parcours maçonnique des femmes en
loge d’adoption, puis en maçonnerie féminine, a été permis par des hommes
qui rejouaient l’accouchement grâce à la pratique du rituel d’initiation, et ce,
jusqu’à l’obtention de l’âge permettant l’amour courtois. Ce cheminement a
alors provoqué pour la dame la création d’une question là où l’on eût pensé
qu’il aurait pu exister une évidence : « Comment être mère ? » La franc-
maçonnerie, selon elle, donne réponse à cette question par le biais des repré-
sentations symboliques. La réponse à la maternité est apportée par la valeur
de l’initiation comme signe, lui faisant évoquer les rituels dans la dimension
de la puissance :

14. P.-L. Assoun, op. cit., sept. 2003, p. 80.


15. I. Chapard, « L’usage du corps dans le processus initiatique », dans Corporéité et famille,
Presses universitaires de Franche-Comté, 2007.
16. F. Cheney, Laissons-les jouer avec nos outils…, Bibliothèque de la franc-maçonnerie, Éd. Dervy,
mars 2001.

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« Je n’ai pas le souvenir d’avoir douté de la franc-maçonnerie, de la


puissance des rituels. […] Chaque symbole, à un moment ou à un autre
de ma vie, m’a fait signe 17. »
L’initiation est comparée à l’accouchement, et c’est la rencontre avec
le rituel, pratiquée aujourd’hui entre les femmes, qui permet, selon elle, de
situer la dame dans l’époque et la légende adaptée pour traiter les questions
des dames. Ainsi :
« On entre en maçonnerie pour y vivre, […] tout simplement. Mais
autrement. On y vit ses passions, ses déceptions, ses enthousiasmes.
On s’y aime, on s’y déchire ; autrement. […] Je comparerai l’initiation
maçonnique à un accouchement. Toute mère sait ce qu’accoucher veut
dire, mais son expérience est unique et intransmissible. Un gynécologue
masculin parlera bien mieux de l’accouchement que la simplette du
quartier, mère de quatre enfants ; mais l’expérience de l’une est tellement
plus riche que celle de l’autre. Elles vont se retrouver régulièrement, et
ensemble elles vont accomplir une rituellie qui inscrira leurs rencontres
dans un temps et un espace particuliers, placés en dehors, in illo tempore,
dans l’époque et le lieu des légendes. Deux fois par mois, elles entrent
de plain-pied dans un royaume endormi qui prend vie par la magie d’un
rituel qu’elles animent en le pratiquant 18. »
Nous avons ici l’expression de l’intemporalité du fantasme qui structure
tant l’amour que les éléments de la parenté. Le 27 février 1957, Lacan avait en
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effet pointé la prise du politique dans l’ordre des échanges et de la circulation
du signifiant phallique :
« Dans tous les cas, même dans les sociétés matriarcales, le pouvoir poli-
tique est androcentrique. Le “contexte politique” ou “l’ordre du pouvoir”
est référé à l’ordre du signifiant où sceptre et phallus se confondent. »
À cette occasion, il évoque également « des anomalies très bizarres dans
les échanges, des modifications, exceptions, paradoxes, qui apparaissent dans
les lois de l’échange au niveau des structures élémentaires de la parenté ». En
accord avec Lévi-Strauss, la femme se définit alors pour lui en tant que signe
et valeur qui circule entre les hommes. En maçonnerie, ce qui porte la valeur
et le signe, c’est la circulation de la parole parmi les francs-maçons comme les
franc-maçonnes. Si la franc-maçonnerie est une solution sociale destinée à lutter
contre l’angoisse suscitée par le vieillissement, que révèle-t-elle concernant l’ac-
tualité du devenir culturel des femmes et la modernité du travail de genre ?

17. Ibid., p. 18.


18. Ibid., p. 7-8.

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ÂGE MAÇONNIQUE ET MODERNITÉ 169

De l’exclusion des femmes à l’égalité initiatique

Si la franc-maçonnerie dans son ensemble est une pratique moderne


de rituels, la modernité de la franc-maçonnerie apparaît à plus forte raison
dans sa pratique du genre : masculine, féminine et mixte. Définie dans ses
constitutions anglaises par les pasteurs Anderson et Desagulier en 1723, la
franc-maçonnerie exclut les femmes :
« Les personnes admises membres d’une loge doivent être hommes de
biens et loyaux, nés d’âge mûr et suffisant ni esclaves, ni femmes, ni
hommes immoraux et scandaleux, mais de bonne réputation 19. »
Ou encore :
« Les femmes en sont aussi exclues, mais ce n’est qu’à cause des effets que
leur mérite ne produit que trop souvent entre les meilleurs frères 20. »
D’exclure, les pasteurs sexualisent des pratiques héritières de corpora-
tions opératives souvent mixtes. En France, des loges d’adoption pour les
femmes apparaissent à partir de 1774. Les épreuves des rites masculins sont
remplacées par des adaptations destinées aux femmes : discours morali-
sants et vertueux accompagnés d’épreuves physico-morales édulcorées. La
première initiation d’une femme reconnue à égalité des hommes est réalisée
dans une loge versaillaise du Grand Orient le 14 janvier 1882. La loge est
exclue puis réintégrée à partir du départ de Maria Deraisme. Elle crée l’ordre
international mixte le Droit humain le 4 avril 1882. En 1945, se crée l’Union
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maçonnique féminine française, et le 28 septembre 1952, toujours en France,
les loges d’adoption se fédèrent en franc-maçonnerie strictement féminine,
ouvrant à une pratique de rituel initiatique uniquement féminin, la pratique
des hauts grades se mettant en place jusqu’en 1970 21.
Selon l’énoncé freudien 22, l’essence de la mise en foule des hommes tient
à l’amour et à la lutte contre la castration :
« Toutes ces tendances sont l’expression des mêmes motions pulsion-
nelles qui dans les relations entre les sexes poussent à l’union sexuelle,
et qui dans d’autres cas sont certes détournées de ce but sexuel ou empê-
chées de l’atteindre, mais qui n’en conservent pas moins assez de leur

19. J. Anderson, extrait des « Charges of a free-mason », dites Constitutions d’Anderson, 1723.
20. Article 2 des Devoirs du Franc-maçon, James Anderson, 1723.
21. A. Busine, Les hauts grades écossais au féminin, Éditions Conform, avril 2007.
22. S. Freud (1921), « Psychologie des foules et analyse du moi », dans Essais de psychanalyse,
Paris, Payot, 1995.

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170 CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 79-2009

nature originelle pour garder une identité bien reconnaissable (sacrifice


de soi, tendance à se rapprocher) 23. »
Ils créent des familles pour améliorer leur sort par le travail et pérenniser
le désir sexuel. La femme, par le mariage, garantit alors la pérennité des objets
sexuels pour l’humanité tout en travaillant ainsi contre le processus culturel.
La franc-maçonnerie est alors une des institutions 24 à venir à l’encontre de
cet énoncé anthropologique freudien. En effet, alors que pour Freud la foule
est composée d’hommes et non de femmes, aux capacités sublimatoires limi-
tées, l’entrée des femmes en maçonnerie ainsi que la création des obédiences
féminines et mixtes sont portées, en France, par les contextes féministes et
révolutionnaires (en premier lieu 1789 et 1848). L’organisation de la franc-
maçonnerie permet donc de répondre certes à un désir des hommes, et sous
une forme qui confirme l’énoncé freudien, mais ceux-ci sont aujourd’hui
partagés et assumés par les femmes, ce qui organise également leur mise
en foule, et ce qui là infirme l’énoncé freudien. Qu’est-ce que révèle cette
clinique différentielle concernant les modalités de répartition pulsionnelle
qui, dans cette même institution, permettent cette triple articulation par le
genre ?

MODERNITÉ ET HISTORICITÉ DU FANTASME

La femme, la dame, la mère et l’œuvre des idéaux dans l’âge maçonnique


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Le témoignage de Francine Cheney, initiée tout d’abord en loge
d’adoption, met en avant l’idéal de l’amour courtois comme de la virginité.
L’homme, en donnant le « rien » à la femme, grâce au rituel : « Dans un an,
il ne restera rien de la femme que vous êtes actuellement 25 » fait re-naître
la « femme » en « dame ». L’initiation intervient comme une pratique pour
vider la femme d’elle-même, la divise en femme et en dame, exclut la mère,
et propose une solution à la question « qu’est-ce qu’une femme ? » dans le
registre de l’être phallique. Le passage en maçonnerie féminine à partir de
1952 confirme une valeur phallique tenue par les franc-maçonnes, pendant
que la valeur féminine serait tenue par l’exercice de la parole et du rituel.
L’institution tenant valeur de femme pour les francs-maçons comme pour
les franc-maçonnes. Si une idéalisation de la mère est possible, c’est par le
truchement du culturel, et à la condition que la pratique du rituel porte la
dimension féminine.

23. S. Freud, 1921, p. 151.


24. M. Zafiropoulos, séminaire du Cercle international d’anthropologie psychanalytique,
séances de l’année 2005-2006.
25. Op. cit., p. 18.

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ÂGE MAÇONNIQUE ET MODERNITÉ 171

Pour Maria Deraisme, l’entrée en franc-maçonnerie répond à un idéal


de pacification d’une puissance mortifère proprement féminine. Elle rejoint
alors l’idéal éducatif de Georges Martin avec qui elle fonde l’ordre interna-
tional mixte du Droit humain. L’enjeu est alors de proposer à la femme des
rituels qui soient en accord avec l’idéal républicain et qui permettent ainsi
de mettre cette dernière comme sa famille au service de cet idéal. Pour ce
faire, Maria Deraisme nous propose plusieurs pistes concernant ce que la
franc-maçonnerie doit révéler à la femme : « La femme a un cerveau, il doit
être cultivé », « La femme est une force », elle se distingue en genre par « des
aptitudes spéciales d’une puissance irrésistible qui forment un apport parti-
culier essentiel et indispensable à l’évolution intégrale de l’humanité 26 ». À
l’ignorer, ou à ne pas en tirer parti, Maria Deraisme décrit alors un destin
social de la femme où celle-ci apparaît dualisée par cette puissance sans
limite :
« Or, nous l’avons dit et nous le répétons : la femme est une force. Toute
force naturelle ne se réduit ni ne se détruit. On peut la détourner, la
pervertir, mais comprimée sur un point, elle se reporte vers l’autre avec
plus d’intensité et plus de violence. Que deviennent donc ces forces sans
emploi, ces facultés expansives, cette activité cérébrale ? Faute d’issue,
elle s’exaspère, se décompose, c’est un trop-plein qui déborde. Deux
voies s’offrent à elles : ce sont deux extrêmes, deux pôles. Le fanatisme
ou la licence. Autrement dit, l’Église ou la prostitution. »
Le 18 novembre 1869, elle précisait : « Épouse et mère ! […] Moi,
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mesdames, je ne suis pas épouse, je ne suis pas mère, et je déclare que je ne
m’en considère pas moins pour cela. Je suis femme, et cela me suffit 27. » Ce
que viendrait solutionner la franc-maçonnerie, c’est une pacification de la
puissance, pouvant alors se parler en termes de division par le désir et non
plus seulement en termes de dualité fanatique. La franc-maçonnerie apporte-
rait une réponse sociale à deux modalités de puissance mortifères féminines,
causes d’anorexie mentale ou de jouissance boulimique. Cela trace alors
l’idée d’une modification du destin social et culturel de la femme par une
modification du conjugo et l’introduction d’une spiritualité laïque transmise
par le frère. Cela rejoint en effet l’idée développée plus tard par Lacan que
la femme ne se définit pas par des distinctions d’activité et passivité, mais
par sa place dans le système symbolique et l’objection qu’elle oppose à une
régulation de la jouissance par les fonctions sociales 28.

26. M. Deraisme, Ève dans l’humanité, Paris, L. Sauvaitre, 1981, nlle éd. Paris, Côté femmes
éditions, 1990, p. 200-210.
27. Ibid., p. 137.
28. J. Lacan (1951), « Intervention sur le transfert », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 215.

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172 CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 79-2009

Ce qui s’actualise dans cette modernité maçonnique, ce n’est pas seule-


ment une lutte contre le vieillissement par le maintien du désir, mais égale-
ment une actualisation du fantasme structurant les distinctions de genre et
ses solutions sociales. Si le fantasme est intemporel, il n’est pas an-historique,
ce qui inclut la nécessité, pour les conduites d’analyse, de bien se repérer
dans cette temporalité spécifique.

De l’âge du désir de l’analyste, et de quelques conséquences sur le lien social…

C’est ce qu’avait déjà souligné Lacan en 1953 à l’occasion du discours


de Rome. Il repositionnait la nécessaire prise en compte du champ anthropo-
logique et politique au sein de l’exercice de l’analyste. La formation est
alors posée comme un élément symptôme, qu’il analyse en tant que tel. Le
diagnostic est sans appel : les analystes sont repliés sur une ritualisation
stérile de la technique et du savoir freudiens. Il resitue la psychanalyse en
tant qu’expérience de vérité par l’action symbolique, et celle-ci s’engage dans
la dimension sociale et politique. La référence à Lévi-Strauss y est claire : le
principe de l’efficacité symbolique est éprouvé de façon équivalente dans
les cures chamaniques et psychanalytiques. Pour toutes les deux, l’efficacité
symbolique tient en la reproduction d’une expérience par le mythe, forma-
tion qui exprime l’homologie du mental et du social. Pour Lacan, l’engage-
ment de l’analyste dans sa pratique s’opère toujours et incontestablement
dans la perspective anthropologique, et est conditionné par la faculté de
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l’analyste à se repérer au sein du réseau symbolique comme dans la dialec-
tique historique.
« Certes les formes initiatiques et puissamment organisées où Freud
a vu la garantie de la transmission de sa doctrine se justifient dans la
position d’une discipline qui ne peut se survivre qu’à se tenir au niveau
d’une expérience intégrale. Mais n’ont-elles pas mené à un formalisme
décevant qui décourage l’initiative en pénalisant le risque, et qui fait
du règne de l’opinion des doctes le principe d’une prudence docile où
l’authenticité de la recherche s’émousse avant de se tarir 29 ? »
Ici, si l’on suit Lacan, le vieillissement de l’analyste s’organise dans une
perte du désir de Freud, totémisé au sein d’une formation sociale qui perd
le sens de son acte. En repositionnant au cœur de la psychanalyse, non la
technique ou la théorie, mais l’expérience même du désir, Lacan cherche le
retour au désir du père de la psychanalyse. Celui-ci ne peut s’effectuer que
dans la double référence de la parole et du langage, mettant ainsi au jour

29. J. Lacan (1953), « Le discours de Rome », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 238.

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ÂGE MAÇONNIQUE ET MODERNITÉ 173

une grammaire propre au désir qui déterminerait la portée performative du


symbole, de la parole et d’un acte à l’insu même du sujet.
Exclu de l’IPA en 1963, il reprend cet acte au sein de la théorisation des
négociations du sujet par le social :
« Chacun, à tout instant et à tous les niveaux, est négociable, puisque
ce que nous livre toute appréhension un peu sérieuse de la structure
sociale est l’échange… Chacun sait que la politique consiste à négocier,
et cette fois-ci à la grosse, par paquets, les mêmes sujets, dits citoyens,
par centaines de mille. La situation n’avait donc, à cet égard, rien d’ex-
ceptionnel, à ceci près qu’être négocié par ceux que j’ai appelés tout à
l’heure des collègues, voire des élèves, prend quelquefois, vu du dehors,
un autre nom 30. »
Si l’âge maçonnique doit prévenir l’effet d’érosion du symbole pour
soutenir le désir, quelque chose propre au réveil du désir du père dé-socia-
lise, ce qui se vit, pour Lacan, dans une intense émotion dramatique :
« Bien au-delà donc d’une manœuvre visant à conserver le pouvoir de
nomination des analystes dans les mains d’un groupe autoritaire, Lacan
nous fait apercevoir dans les attendus de la scission dont il incarne la
cause, à la fois l’horreur des vérités faisant retour par son labeur chez ses
pairs et la terreur qui l’habite au plus fort du drame 31. »
À la passion de Freud répond celle de Lacan, et ce au cœur de l’expé-
rience qui éclaire le joint de la nature à la culture 32.
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Résumé
Existe-t-il une modernité au vieillissement ? L’âge du désir n’est pas celui du corps.
La mise à l’épreuve du narcissisme éprouvée par l’expérience du vieillissement solli-
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cite des technologies de pouvoir destinées à maîtriser la dimension politique du corps
du sujet vieillissant ainsi qu’à en réguler la jouissance. L’angoisse provoquée par cette
expérience spéculaire du devenir vieux provoque également l’instauration de solu-
tions sociales destinées à la contrecarrer. Ces deux modalités politiques sont toujours
datées. Elles révèlent la dimension historique du fantasme sans pour autant mettre
en cause son intemporalité. L’expérience du temps et de l’âge, comme symboles au
service de la reconnaissance comme à celui de l’exercice maçonnique, permet alors
d’étudier une clinique moderne du fantasme. Celle-ci n’est pas sans conséquences sur
l’examen des théories du désir et de la femme en psychanalyse.

Mots-clés
Anthropologie psychanalytique, âge, désir, femmes, franc-maçonnerie.

MASONIC AGE AND MODERNITY


OR THE AGE OF DESIRE VERSUS THE REALITY OF THE SYMBOLIC FUNCTION

Summary
Is there today something we could name « the modernity of old age » ? The age of
desire does not match the biological age of the body. Narcissism is put to a test when

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ÂGE MAÇONNIQUE ET MODERNITÉ 175

experiencing the aging process, and it calls for power’s technologies meant to master
the political dimension of the ageing body and to regulate the pleasure. The anxiety
which derives from this specific secular ageing experience also generates the esta-
blishment of opposing social solutions. these two political terms are always based on
timing. they reveal the historical dimension of fantasm without having an impact on
its temporality. The experience of time duration and age, as symbols of recognition
and masonic exercice alike, allows the clinical study of fantasm today. This case study
has many outcomes on the examination of the theories of desire and women from a
psychoanalysis point of view.

Keywords
Psychoanalytic anthropology, age and aging process, desire, women, free-masonry.
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