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NOMMER, CLASSER LE VIVANT

Éric Joly

Érès | « La lettre de l'enfance et de l'adolescence »

2012/1 n° 87 | pages 97 à 102


ISSN 2101-6046
ISBN 9782749216430
DOI 10.3917/lett.087.0097
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-
adolescence-2012-1-page-97.htm
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Problématiques
Nommer, classer le vivant
Éric Joly 19

Lire le monde qui l’entoure, en ordonner l’apparent désordre, est un


trait de la conscience humaine bien partagé. Cette mise en ordre procède
par la reconnaissance, l’identification des objets (êtres et choses), leur déno-
mination et leur réunion dans des ensembles. Il est difficile de séparer la
démarche qui nomme de celle qui classe. En effet les dénominations concer-
nent des entités, des populations, des groupes et non des individus. Elles
peuvent varier à l’infini, certes, mais dès qu’elles se veulent exhaustives, elles
inventent un système pour trier ces listes trop longues. Ces listes brutes
constituent des nomenclatures.
Toutes les cultures ont catégorisé les objets du monde. Le « catégorisa-
teur » est le centre et le référent et c’est à son aune que les divisions s’opè-
rent. Les découpages et les regroupements sont d’abord d’ordre utile,
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sachant que dans utile, on peut inclure des utilités magiques ou sociales.
Des catégories utiles sont justement très pratiques dans la vie quoti-
dienne et continuent de servir. Il est utile de savoir les plantes qui sont
comestibles ou la pérennité au froid des végétaux qu’on va planter dans son
jardin.
On sait qu’au Jardin du Roy à Paris, le futur Jardin des Plantes, à sa
création en 1626, les plantes sont rassemblées par Guy de La Brosse (1586-
1641) selon leur « ordre de vertus », entendre leur utilité pour l’Homme.
Cependant, et c’est reconnu dans l’Antiquité européenne classique, la
volonté de nommer et de classer veut très vite rendre compte de l’ordre du
monde, de son harmonie. Aristote (384-322 av. J.-C.), Théophraste (v.371-
v.288 av. J.-C.), Pline l’ancien (23-79) pensent que sous le désordre un ordre
naturel existe et qu’il peut être perçu par l’Homme grâce à l’observation. La
pensée médiévale chrétienne s’appuie sur Aristote et avec la Bible pense que
l’ordre du monde procède de la divinité. À la Renaissance, l’émergence de la
pensée scientifique est dans cette ligne et n’imagine l’ordre du monde que

Éric Joly, directeur du Jardin des Plantes de Paris.

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comme reflet de la sagesse divine. L’observation toutefois n’est pas encore


nécessaire et l’expérience encore moins. Aux choses nommées et classées
bien présentes dans la réalité s’ajoutent des êtres imaginaires ou supposés
réels comme dans le célèbre traité Des montres et des prodiges d’Ambroise
Paré (v. 1509-1590).
Cette émergence de la pensée scientifique en Occident va amener
l’émancipation de la botanique et de la zoologie, de la médecine et de la
pharmacie. On commence à s’intéresser aux plantes et aux animaux pour
eux-mêmes et non plus uniquement par rapport à leur stricte utilité pour
l’espèce humaine. Après le xvie siècle, avec la découverte d’autres terres, la
quantité d’objets terrestres s’accroît vite. La nécessité de nommer, d’ordon-
ner est fondamentale pour que les premiers naturalistes puissent « s’y
retrouver ». Les classifications commencent à apparaître. Les plantes en sont
d’abord le support privilégié car séchées et mises en herbier, elles gardent
un aspect qui permet leur observation anatomique même si leur récolte est
éloignée ou ancienne.
Joseph Piton de Tournefort (1656-1708), médecin et botaniste au
Jardin du Roy, propose une classification fondée sur le nombre de pétales et
les fruits des végétaux. C’est lui qui est l’inventeur de la notion de genre
pour grouper les plantes dont les ressemblances sont manifestes. Il ramasse
les descriptions naturalistes en une phrase courte puis atteint une dénomi-
nation en binôme ou trinôme. Mais ce type de systématisation dans la
dénomination est rare à l’époque et l’inventaire des « cabinets de curiosité »,
lieux de rassemblement des pièces naturalistes récoltées lors des voyages en
particulier, est souvent un catalogue hétéroclite de gloses plus ou moins
longues sur les items en collection. Il est difficile de s’y retrouver, et d’un
inventaire à un autre, on ne sait pas très bien de quoi on parle. Car l’enjeu
est là pour la science naissante : fixer précisément les objets qu’elle décrit et
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sur lesquels elle expérimente afin de rendre les savoirs échangeables, trans-
missibles et les expériences reproductibles, processus qui sont les fonde-
ments de la « production de la science ».
Et vint Linné. Carl von Linné (1707-1778), naturaliste suédois, publie
en 1735 le Systema naturae qui propose la dénomination et la classification
de 5 900 plantes. En 1753, il publie le Species plantarum catalogue et
première flore mondiale jamais éditée. Et surtout il élabore une division des
êtres vivants en deux règnes, végétal et animal, des ordres, des classes, des
genres et des espèces. Il met au point une dénomination simple dite « bino-
minale » qui est constituée d’un nom de genre et d’un nom d’espèce. Il
étend ce système à tout le vivant et même aux minéraux. Le succès est
immense et le côté simple et systématique emporte l’adhésion des natura-
listes européens. Seuls les Français actifs au Jardin du Roy autour de Buffon
(1707-1788) résistent car usant déjà de classifications depuis Tournefort,
confortées par Bernard de Jussieu (1686-1777), Antoine de Jussieu (1686-
1758) et leur neveu Antoine Laurent de Jussieu (1748-1830) qui posent le
principe de la subordination des caractères pour élaborer une classification.
Ils démontrent que quelques caractères constants et stables définissent

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mieux un ensemble homogène selon ceux-ci qu’une liste longue de caractè-


res plus ou moins labiles. À ce titre, ils reprochent à Linné l’artifice de sa
classification. En effet la subordination des caractères permet de construire
des groupes « plus naturels » même si le choix des caractères reste arbitraire
quoiqu’ils soient observables. La classification linnéenne est fondée en ce
qui concerne les plantes sur les pièces florales et le nombre et la répartition
des pièces sexuelles, étamines et pistils. Linné, comme ses contemporains
naturalistes avec la démonstration assez récente des preuves de la sexualité
des plantes – Sébastien Vaillant (1669-1722) au Jardin du Roy, entre autres,
lors de sa leçon inaugurale en 1708 –, est convaincu de l’universalité de la
sexualité et de son rôle moteur dans la dynamique du vivant. Certes, toute
classification est une construction intellectuelle plus ou moins fondée sur
l’observation et/ou des faisceaux de preuves et de présomptions étayées
scientifiquement, mais pour les Français du xviiie siècle, elle doit être le
reflet d’un ordre naturel, intrinsèque au monde. Linné est très croyant et
pour lui sa classification est intrinsèque à la sagesse divine, la nature n’a rien
à voir là-dedans. Les Français résisteront un peu avec des classifications
faites par Michel Adanson (1727-1806) et ses dénominations déclinées à
partir du nom de genre auquel on ajoute un suffixe, et surtout Jean-Baptiste
Lamarck (1744-1829) qui dans son Genera plantarum de 1789 donne la
notion de famille, absente chez Linné et déjà posée par son aîné Adanson,
et qui sera admise à durer. C’est en effet un niveau des classifications assez
« intuitif » et perceptible aisément en général par des critères morphologi-
ques apparents. Mais la dénomination binomiale linnéenne s’impose et
c’est elle qui est toujours en vigueur pour nommer les êtres vivants, même
si la classification linnéenne a disparu en tant que système avec toutefois la
permanence des règnes, ordres et classes. Cette dénomination a résisté à
l’irruption, fondatrice de la biologie moderne avec la génétique, de la théo-
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rie de l’évolution énoncée par Charles Darwin (1809-1884) dans De l’ori-
gine des espèces paru en 1859. L’introduction de l’évolution dans les
classifications en a bouleversé les approches. Les êtres ont été regroupés
selon leurs degrés de parenté supposée. On y a inclus les « espèces » fossiles.
Ensuite avec les travaux de Georg Mendel (1822-1884) et ceux de Thomas
Hunt Morgan (1866-1954), qui donnent les règles de l’hérédité puis en
trouvent le support organique, les liens de parenté supposés sont filtrés,
revus avec ces nouveaux marqueurs et les classifications ont encore été
modifiées depuis un demi-siècle. Elles sont dites aujourd’hui « phylogéné-
tiques » car elles expriment l’état de la connaissance des relations de
« descendances » entre les espèces. Les groupes définis par ces classifications
sont des phylums ou lignées. Ils ne recouvrent pas les anciens niveaux élevés
des classifications antérieures qui se modifient pour coller à ces schémas
inédits. Les groupes sont constitués, quel que soit le niveau, par des ensem-
bles d’espèces qui ont un plus petit dénominateur commun sans hiérarchie.
Ils rassemblent des entités par ce qui les rapprochent et non par ce qui les
séparent ou par le devenir que l’histoire du vivant a réservé à certains de
leurs ancêtres. Il n’y a donc pas de référent réel ou implicite. Les invertébrés

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n’existent plus car définis à partir des vertébrés (dont l’Homme) ou encore
les poissons ne sont plus des vertébrés qui ne seraient pas sortis de l’eau et
ce groupe analysé dans sa structure historique vole en éclat. Les classifica-
tions phylogénétiques actuelles trouvent leurs logiques dans le vivant lui-
même, étayées par l’évolution et la génétique, et dans la construction
strictement « mathématique » d’ensembles de choses liées par des critères
communs. Sans doute sont-elles plus naturelles ainsi que celle de Linné.
Revenons à cette dénomination scientifique des êtres vivants telle
qu’elle est appliquée actuellement et décrivons – en les règles. Prenons
l’exemple du hêtre commun. Ses noms vernaculaires sont divers, hêtre, fau,
fayard, fouteau et existent dans toutes les langes européennes. Donc la
nécessité d’un nom unique impose l’usage d’une langue commune et c’est
le latin encore (la pression des chercheurs anglo-saxons est forte pour passer
à l’anglais, ce qui est déjà presque acquis pour les niveaux élevés des classi-
fications). Le hêtre en latin est nommé Fagus. C’est le nom du genre qu’on
écrit avec une majuscule. Ensuite dans le genre Fagus une dizaine d’espèces
sont décrites. Le hêtre commun est dit sylvatica en minuscules. C’est donc
Fagus sylvatica. Les noms sont en latin, souvent de cuisine, mais les déclinai-
sons sont respectées, les arbres sont féminins en latin classique, mais les
noms de genres modernes sont aussi masculins ou neutres, par exemple
Asparagus acutifolius, l’asperge sauvage, ou Foeniculum vulgare, le fenouil
commun. Parfois un trinôme peut apparaître. Les naturalistes distinguent
des groupes plus petits que l’espèce dans certaines populations. C’est une
sous-espèce ou une variété ou une forme qui est distinguée. Le troisième
nom est alors précédé de subsp. pour sous-espèce, ou de var. pour variété,
ou de f. pour forme, par exemple Fagus sylvatica f.purpurea : hêtre commun
à feuilles pourpres. Les variétés ou races obtenues par l’Homme (on dit
« cultivar » pour les végétaux) peuvent aussi être indiquées à la suite du nom
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scientifique par un mot d’une langue vernaculaire avec une majuscule, placé
entre ‘guillemets simples’, Fagus sylvatica ‘Tricolor’ : un hêtre commun à
feuilles pourpres maculées de rose et de blanc. Les hybrides sont signalés par
un signe de multiplication x (un x minuscule est accepté si on ne dispose
pas de x dans sa typo) placé entre les noms des parents ou devant l’épithète
spécifique de l’hybride, par exemple l’hybride entre le hêtre commun et son
cousin du Caucase est nommé : Fagus sylvatica x F. orientalis, ou F. x taurica.
Enfin, si l’espèce n’est pas certaine mais le genre certain, on écrira dans le
descriptif Fagus sp. Les noms latins doivent être écrits dans un autre corps
que celui du texte où ils sont cités, ici l’italique en exemple.
Les noms scientifiques sont suivis d’une lettre ou d’un groupe de
lettres. Ce sont les initiales du descripteur de l’espèce. Ces initiales sont
normées et des catalogues des auteurs sont mis à jour régulièrement. Ainsi
le hêtre commun a été décrit par Linné, initiale L., qui lui a donné son nom
Fagus sylvatica L. Un principe s’applique pour ce premier descripteur/
dénominateur. C’est le principe dit « de priorité ». La communauté des
botanistes a fixé des « points zéro » au-delà desquels les dénominations ne
sont plus prises en compte. Pour les animaux c’est la douzième édition en

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1757 du Systema naturae et pour les plantes, l’édition de 1753 du Species


plantarum, deux ouvrages de Linné. Celui-ci est bien désigné ainsi comme
le fondateur des nomenclatures du vivant. Mais par exemple, Tourenfort
avant Linné dénomme le hêtre Fagus en 1698 dans son Histoire des plantes.
La règle est cependant suivie dans la presque totalité des cas. Plus complexe
est le problème des synonymes. En effet, il survient que deux naturalistes
décrivent le même être vivant, le dénomme à deux moments différents. Il
faut parfois bien du temps pour que le constat soit fait qu’il s’agit de choses
identiques. Des naturalistes spécialistes de tel ou tel groupe sont à même de
débusquer ces synonymies, de les argumenter et de les publier. Des tables de
synonymes existent à la disposition des chercheurs.
La dénomination scientifique n’est pas celle des individus. Elle est celle
de groupes. C’est pourquoi elle est indissolublement liée aux classifications.
Leur étude est la systématique. Elle est confondue avec la taxinomie (ou par
glissement de l’anglais taxonomie, plus usitée en raison aussi d’une eupho-
nie) qui en est une branche qui définit les taxons ou groupements sans en
examiner l’articulation. Les groupes « de base » sont les espèces, ce sont elles
qui sont d’abord décrites et dénommées. La dénomination de l’espèce est
celle d’une population d’individus. Les individus décrits doivent être les
représentants de ce groupe. L’objet scientifique de nombre de disciplines
naturalistes se limite à l’espèce qui en principe est clairement délimitée. Or
la définition de l’espèce est très délicate. Intuitive selon Linné, Darwin se
garde bien de la préciser. Aujourd’hui celle énoncée par Ernst Mayr (1904-
2005) en 1942 reste pertinente : « Les espèces sont des groupes de popula-
tions naturelles à l’intérieur desquels les individus sont réellement (ou
potentiellement) capables de se croiser ; toute espèce est isolée, du point de
vue de la reproduction, des autres espèces. » Le critère de la reproduction
est donc essentiel même si pour les végétaux, c’est parfois plus flou.
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Le nom scientifique est donc générique et non individuel. Mais comment
un être vivant est baptisé ? Quels sont les actes qui valident ce nom ? Un être
vivant n’existe au regard des naturalistes que s’il est nommé, car il peut alors
devenir objet de science, être répertorié, compté et entrer dans les analyses
systémiques faites sur les milieux naturels. Un naturaliste de terrain découvre
un objet vivant qu’il ne croit pas reconnaître. Il va le décrire très précisément.
Il va ensuite le comparer à tous les êtres vivants en collections mortes
– herbiers, zoothèques –, vivantes parfois – jardins botaniques, parcs zoologi-
ques –, et ensuite dans toute la littérature publiée sur des espèces, groupes ou
individus proches. Si l’ensemble de ces recherches permet de bien affirmer
que l’espèce est nouvelle, il va la nommer, comme il veut mais en latin et selon
la règle du binôme. Il va ensuite la situer dans la classification générale. Une
fois publiée, la découverte devra ensuite attendre la lecture puis les réactions
de la communauté scientifique concernée. Une publication rare ou ancienne,
un herbier peu connu, pas encore informatisé pourraient receler un individu
semblable déjà décrit et nommé. Une fois ce goulet passé, alors la nouvelle
espèce sera retenue et son découvreur en sera le premier descripteur, celui
dont les initiales suivront le nom de l’espèce. L’individu qui aura suscité cette

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description de l’espèce est déposé physiquement dans une collection natura-


liste gérée par des scientifiques et sera dénommé « type » pour l’espèce en
question. On y reviendra toujours pour comparer tout autre individu supposé
de la même espèce. Il est vrai qu’alors, il faut faire abstraction des variations
individuelles. Cela cache une part d’interprétation, même si aujourd’hui
l’examen génétique des individus peut faire souvent preuve plus aiguë d’ap-
partenance à la même espèce.
La variabilité des individus dans les populations explique l’évolution
des espèces qui repose en grande partie sur le mécanisme de la sélection
naturelle. Cette variabilité est différente d’une espèce à l’autre et selon les
conditions du milieu et surtout si elles changent, une espèce, voire une
population de l’espèce, profitera mieux des nouvelles conditions. Cet avan-
tage momentané se transmettra prioritairement, fera profit au groupe qui
le possède et pourra lui permettre de survivre à des changements définitifs
ou de s’adapter à de nouveaux milieux.
Aujourd’hui, dénommer et classer les êtres vivants reste essentiel dans
la connaissance des milieux, des écosystèmes. On parle de biodiversité et
cette diversité n’est pas un vain mot. Selon les auteurs, les espèces vivantes
seraient au nombre de 8 à 12 millions, dont seules 1,5 à 1,8 million sont
décrites et nommées par les naturalistes ; 10 000 espèces nouvelles sont
décrites en moyenne chaque année. L’inventaire du vivant est loin d’être
terminé et maintes espèces disparaissent avant d’être vues par les naturalis-
tes. Cet inventaire prélude à la description des écosystèmes. Lui seul n’en
décrit pas la diversité, ni la complexité. Celle-ci doit intégrer les relations
entre tous les êtres vivants. La biodiversité est un tissu dont les nœuds sont
les espèces et les fils les interactions. À cela, et l’Homme a beaucoup profité
d’elle, vient s’ajouter la diversité au sein des espèces, origine de la sélection
des plantes et animaux-ressources, et au-delà vient la diversité des milieux
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dont l’imbrication rend la planète viable.
Si nommer, c’est mettre à la conscience humaine un être vivant, c’est
aussi classer pour mieux comprendre et peut-être agir au plus près de l’in-
térêt de l’Homme et de la Terre.

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Barbault, R. 2006. Un éléphant dans un jeu de quilles. L’homme dans la biodiversité, Paris,
Le Seuil.
Duris, P. 2006. « Dossier Linné », Les génies de la science, n° 26, Paris.
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