Rôles Sociaux PA en EHPAD

L'ATTENTION AUX RÔLES SOCIAUX DES PERSONNES ÂGÉES
ACCUEILLIES EN EHPAD
Véronique Vergoz
Érès | « VST - Vie sociale et traitements »
2009/4 n° 104 | pages 99 à 106

ISSN 0396-8669
ISBN 9782749211732
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https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2009-4-page-99.htm
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L’attention aux rôles sociaux des personnes âgées
L’attention 99
aux rôles sociaux
des personnes âgées
accueillies en EHPAD
VÉRONIQUE VERGOZ
Par quoi est générée la modification des rôles sociaux que l’on observe souvent
lors de l’entrée en institution hospitalière ? Divers éléments m’ont incitée à
choisir ce sujet. Mon cursus professionnel m’a amenée à me questionner à
différents niveaux sur l’intégration dans la société des personnes en situation de
handicap. Le contact presque quotidien avec des personnes âgées depuis trois
ans me renvoie à ces questionnements, et plus particulièrement concernant les
personnes âgées vivant en institution, notamment en structure hospitalière.
Outre un sentiment fréquent de dévalori- Les familles, voire l’institution, justifient le


sation et de retrait par rapport à la vie, ou placement en institution par la dépen-
à ce qui faisait leur vie, il y a une modifi- dance des personnes, la nécessité de
cation de leurs rôles sociaux. Je constate médicalisation, l’impossibilité de vivre
un abandon très fréquent des personnes seul... mais cette mise en institution a des
âgées quant à leur liberté d’action, leur effets secondaires. En effet, rentrer en
indépendance. Je constate une infantili- institution est souvent vécu par les per-
sation plus ou moins marquée, à la fois sonnes âgées comme un abandon de leur
par la famille, par des connaissances ou propre liberté : « mais j’ai le droit de sor-
des personnes étrangères à l’institution, tir ? ! », me dira un résidant nouvelle-
mais aussi parfois par le personnel. Sans ment entré ; « mais j’ai le droit de mettre
doute mes observations sont-elles biai- une lampe de chez moi ? », me dira cette
sées par le fait que si j’observe cela, c’est autre. Pourtant, il est écrit dans le livret
que je suis présente en tant qu’anima- d’accueil que cette chambre, c’est chez
trice. Du coup, à ce moment-là, je eux. Mais l’ont-ils lu ? Ces réflexions sont
marque la personne âgée du sceau de très significatives du vécu de nombreux
l’institution. Ce qui signifierait alors que résidants. On a beau leur dire qu’ils sont
l’institution est elle-même porteuse d’une chez eux, ils ne sont pas chez eux, ils ne
modification des rôles sociaux. peuvent pas vivre comme chez eux. Si des
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100 amis ou de la famille viennent les voir,

M Y, qui recevait toujours si bien, neme
ne constatais rien, loin de là ! Mais plutôt
que, face aux constats, je n’avais ni
pourra pas faire un café à ses hôtes : la réflexion ni action. À vrai dire, j’étais
présence d’une cafetière est dangereuse spectatrice de quelque chose qui me
dans une chambre d’EHPAD. Ce sentiment déplaisait, me choquait, mais je n’imagi-
de n’être plus chez soi, et même d’être nais même pas pouvoir agir dessus de
privé de liberté, est certes une réalité pour quelque manière que ce soit. Le processus
les résidants, mais cela fait aussi partie de de formation m’a amenée à me poser des
l’inconscient collectif. Le mot est peut- questions. Comment, en tant qu’anima-
être un peu fort, mais les familles, les trice, puis-je influer sur cette image de la
connaissances, les habitants de la cité ont vieillesse en institution ? Comment puis-
également cette notion de perte de je aider les résidants de l’établissement à
liberté, comme si entrer en institution reprendre des rôles sociaux valorisants ?
égalait d’une certaine façon une condam- Comment puis-je participer à l’évolution
nation. du regard de la société (locale) sur les rési-
Pourtant, l’entrée en institution n’a pas dants de l’institution ?
que des aspects négatifs ! Je ne parlerai Dans une première partie, je vais m’inté-
pas ici des aspects médicaux ou de sécu- resser, d’un point de vue théorique, aux
rité. Je me contenterai de voir cette rôles sociaux et à leurs modifications, puis
entrée sous son abord social. Pour cer- dans une deuxième à l’institution.
taines personnes, qui vivaient seules et Ensuite, prenant en compte ces éléments,
éloignées de tout en campagne, ou nous verrons dans une troisième partie en
seules et ne pouvant plus accéder aux quoi ils modifient ma pensée première et
commerces car logeant à l’étage en ville, apportent des éléments de réponse aux
l’entrée en institution peut être une occa- questions que je me pose.

sion de s’ouvrir aux autres et de recréer
des liens sociaux. Cela peut être égale-
Les rôles sociaux et leurs modifications
ment une occasion de ressortir, de retour-
ner au marché, de faire des courses, de Je postule que l’entrée en institution s’ac-
découvrir sa région… Et quand on voit la compagne d’une modification des rôles
joie des personnes qui peuvent à nouveau sociaux. Après avoir défini ce qu’est un
sortir (et pour certaines : enfin sortir !), rôle social et quels sont les changements
alors il n’y a pas de doute, l’entrée en ins- dus à l’entrée en institution, j’approfondi-
titution peut aussi avoir du bon. Et même rai ma réflexion d’animatrice sur ce sujet.
si le regard que les habitants de la cité jet- Si nous prenons la définition du diction-
tent sur ces personnes est presque naire, nous allons trouver les mots séparé-
étonné (tiens, ils sortent ? !), voire comment, mais pas l’expression « rôle social ».
patissant, cela n’empêche pas la joie de Tentons tout de même l’expérience :
refaire « comme avant » ou de faire – Rôle : emploi, fonction, influence exer-
« enfin ! » cée par quelqu’un. Fonction d’un élé-
Avant de commencer ma formation, ce ment dans un ensemble. Ensemble des
sont des questions que je ne me posais comportements associés à une place, à
même pas. Cela ne veut pas dire que je un statut social.
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– Social : relatif à une société, à une col- Le vieillissement difficile des rôles sociaux
lectivité humaine. Qui concerne les rap- se retrouve chez les personnes âgées 101
ports entre un individu et les autres atteintes d’incapacité ne leur permettant
membres de la collectivité. plus de remplir leur rôle, et chez les per-
– Modification : changement qui se fait sonnes très âgées ayant vu tout leur
dans une chose, dans une personne. entourage disparaître (parfois même leurs
Nous pouvons donc expliciter la modifica- enfants) et ne pouvant donc plus remplir
tion du rôle social par cette juxtaposition : leurs rôles envers eux.
changement de fonction ou de compor- Plus loin dans l’article de B. Hervy, je lis :
tement associé à une place, et relatif à « Nous connaissons, dans les institutions
une collectivité humaine en ce qui gériatriques, cachées du regard de la
concerne les rapports entre ses membres. société, des situations hier encore incon-
Cette définition, certes résultat d’un col- nues où la mort sociale précède la mort
lage, est assez intéressante. physique. » Le fait d’être caché du regard
« La représentation sociale est le proces- de la société induirait-il, d’une certaine
sus d’une activité mentale par laquelle un manière, la mort sociale et donc la fin de
individu ou un groupe reconstitue le réel la citoyenneté ? En ce cas, suffirait-il que
les institutions gériatriques soient plus
auquel il est confronté et lui attribue une
ouvertes sur l’extérieur pour que cette
signification spécifique. » Les représenta-
mort sociale cesse d’être une réalité ? Pour
tions sociales se traduisent, entre autres,
l’auteur, les réponses à ces problèmes sont
par ce que l’on appelle les rôles sociaux,
sociales et politiques. Selon lui toujours,
c’est-à-dire les rôles que l’on a, ou que
une société ne peut pas survivre quand
l’on nous donne, ou que l’on prend, vis-
une catégorie entière vit sans rôle social.
à-vis des siens et de la société. Ces rôles
C’est là que l’animateur social intervient,
évoluent et se transforment tout au long

en réactivant les rôles sociaux. Dans ce
de la vie. D’après B. Hervy, le vieillisse- contexte, il est alors important de faire la
ment des rôles sociaux peut être normal différence entre faire et prendre part.
ou non (Hervy, 2008). Quand on ne peut plus faire, cela n’em-
Le vieillissement habituel des rôles pêche pas de participer, de prendre part.
sociaux inclut la transformation définitive Prendre part, participer donc, permet
d’un rôle, qui entraîne des transforma- aussi la réactivation du rôle social – par
tions secondaires. Par exemple, lors du exemple la personne âgée qui ne peut
passage à la retraite, le rôle social d’actif plus faire, mais sait expliquer comment
disparaît. Parallèlement, les rôles sociaux faire. Bien sûr, elle ne fait pas, mais elle
secondaires, afférents à ce rôle principal – transmet. Cette réactivation est le début
les relations avec les collègues, avec les d’un changement qui est important pour
clients, toutes les relations liées au les deux protagonistes. De fil en aiguille
travail –, se modifient ou disparaissent. des rôles sociaux réactivés, c’est une
L’abandon des rôles secondaires peut société qui se reconstruit en réintégrant
occasionner des pertes qui sont parfois ses marginaux, ses laissés-pour-compte.
compensées par des investissements dans Dans ma fonction d’animatrice sociale, je
d’autres rôles. fais particulièrement attention aux per-
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102 sonnes qui auraient le plus tendance à

abandonner tout rôle social, soit à cause
d’une part, plus de mal à s’adapter, et
d’autre part leur rôle social, à l’égard des
de la maladie, soit par perte de l’estime habitants de la cité, se détériore. Comme
d’eux-mêmes. Au sein d’un groupe, je si, en réalité, la modification des rôles
favorise leur expression, je soutiens leur était préexistante à l’entrée en institution
production, je valorise leurs acquis et et se trouvait confirmée par l’entrée.
leurs compétences. Ce qui m’amène à la question de l’insti-
Il y a un aspect que je voudrais souligner tution et de sa représentation. Car si le
même si la loi du 5 mars 2007 l’a modi- fait de rentrer en institution modifie les
fié, c’est le problème de la mise sous rôles sociaux, cela est probablement
tutelle. En effet, avant cette loi, la mise influencé par la représentation que nous
sous tutelle supprimait le droit de vote, et nous faisons de la dite institution.
le rôle citoyen de l’individu en était en
grande partie amoindri. Dorénavant, la
L’institution
mise sous tutelle n’implique pas forcé-
ment l’interdiction de vote. Cela paraît Dans un premier temps, voyons ce qu’en
être une avancée quant aux droits des dit le dictionnaire, puis nous irons piocher
citoyens, mais il est souvent déjà difficile dans divers apports théoriques.
pour des résidants d’EHPAD d’aller tout « Institution : action d’instituer, d’établir.
simplement voter, pour des raisons d’ac- Établissement d’enseignement privé.
cessibilité et/ou par non-inscription sur la Ensemble des règles, régies par le droit,
liste électorale de la commune où se situe établies en vue de la satisfaction d’inté-
l’établissement d’accueil après l’entrée rêts collectifs ; organismes visant à les
dans celui-ci. La procuration existe, bien maintenir (l’État, le parlement, une fon-
sûr, mais n’est pas toujours très satisfai- dation, la tutelle, la prescription sont des

sante. Or, pour les personnes âgées, voter institutions). »
est un devoir encore plus qu’un droit. Être Quand je lis cela, je comprends qu’un lieu
empêché d’accomplir son devoir de institutionnel est avant tout régi par des
citoyen, ou être obligé de le transférer à règles et du droit pour la satisfaction des
quelqu’un d’autre entraîne implicitement intérêts collectifs. C’est peut-être là que
un amoindrissement du rôle de citoyen et le bât blesse : « les intérêts collectifs »…
modifie à la fois le regard que l’on porte C’est, selon Michel Bille (1999), politique-
sur soi et le regard porté par les autres. ment correct : qui peut être contre la
Un autre aspect qui me semble important nécessité de protéger la communauté ?
dans la modification des rôles sociaux De plus, c’est moralement acceptable
repose sur les conditions d’entrée en éta- puisqu’il est classique de dire que les
blissement. L’expérience montre que les libertés individuelles s’effacent devant la
personnes qui ont réellement choisi de recherche du bien commun. Mais quid
rentrer en institution s’adaptent mieux et des individus et de leurs rôles sociaux ?
gardent au regard de l’autre leurs rôles Dans le cadre de la formation BPJEPS, la
sociaux. En revanche, les personnes arri- directrice d’un hôpital local est interve-
vant contraintes et forcées (par la famille, nue. Elle a mis l’accent sur le fait que
par un accident, par une maladie) ont, l’histoire de l’établissement a une inci-
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dence sur le fonctionnement de celui-ci. pact est fort car elle peut symboliser une
L’établissement hospitalier accueillant des sorte de mère toute-puissante. Mais une 103
personnes âgées est un hôpital local héri- mère a des enfants, et non des adultes-
tier des hospices du XIXe siècle dans les- citoyens.
quels on enfermait les personnes qui Michel Bille dit aussi : « La restriction des
gênaient la société. Elle ajoutait que dans libertés présentée comme la garantie de
un établissement public, a fortiori hospi- la protection de la communauté n’est,
talier, il y a de nombreuses réglementa- bien souvent, rien d’autre qu’un instru-
tions relatives à la sécurité (incendie, ment du pouvoir qui n’a d’autre fonde-
alimentaire, des individus) et que ces ment ni d’autre but que d’asseoir ce
réglementations sont liberticides pour les pouvoir, de le servir, de l’entretenir, quitte
personnes habitant l’établissement, ici les pour cela à asservir prioritairement ceux
personnes âgées. Ces réglementations qui sont le moins en état de se défendre :
involontairement liberticides ont forcé- les vieux. »
ment un impact sur la façon de vivre des En cours de formation, nous avons tra-
personnes dans l’établissement. vaillé sur la citoyenneté en institution. La
Ces deux réflexions me font entrevoir plu- citoyenneté s’efface souvent devant la
sieurs points importants. Si l’histoire de recherche du bien commun, et la fragilité
l’établissement a une incidence sur son des individus facilite l’annexion de la
fonctionnement, il me semble tout aussi liberté : c’est flagrant dans les institutions
évident que cela a une incidence sur le pour personnes âgées. Les personnes les
regard que la cité porte sur cet établisse- plus solides, celles qui expriment leur
ment et ses habitants. Je trouve parti- point de vue clairement, sont souvent
culièrement intéressant, pour la problé- étiquetées comme exigeantes, voire
matique qui m’occupe, de savoir qu’on pénibles. Être citoyen, s’exprimer, serait

enfermait dans les hospices les personnes donc plutôt mal vécu par l’institution, ce
gênantes pour la société. Sommes-nous si qui évidemment ne facilite pas le maintien
loin de cela aujourd’hui ? J’ai le sentiment des rôles sociaux. Majoritairement, l’orga-
que dans notre société, les vieux gênent. Ils nisation de l’institution transforme les rési-
sont la preuve que pour vivre longtemps, il dants en objet, ils deviennent soumis à un
faut vieillir ; aspect fort dérangeant dans règlement au service de l’institution.
une société qui veut à la fois vivre long- Des Conseils de la vie sociale (CVS) ont été
temps et rester jeune. créés dans les établissements suite au
Les réglementations sont une façon d’en- décret du 25 mars 2004. Ces CVS
fermer et de diminuer les individus. Les devraient permettre aux résidants d’être
individus soumis à ces réglementations acteurs de leurs établissements, mais la
instaurées pour leur sécurité et leur bien façon dont ils sont mis en place ne facilite
subissent donc une restriction de liberté, pas toujours l’expression de la citoyen-
si infime ou anecdotique qu’elle semble neté. Bien souvent, les résidants n’osent
être. Or cela implique une sorte de main- pas réellement s’y exprimer ; ils ont rare-
mise, par l’intermédiaire de l’établisse- ment été élus par leurs pairs mais bien
ment, sur eux. Plus l’institution est vécue souvent nommés par les directions pour
comme « voulant leur bien », plus l’im- circonvenir un ou deux résidants qui
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104 auraient un peu trop tendance à dire ce

qu’ils pensent. De plus, le fait que les CVS
sonnes âgées dans le maintien et le déve-
loppement de leurs rôles sociaux, mais il a
ne soient que des instances consultatives besoin d’avoir avec lui tout le personnel.
et de proposition leur ôte du pouvoir. Ils Que les rôles sociaux se modifient n’est
ont quand même le mérite d’exister, mais pas nécessairement un problème : mais ils
leur fonctionnement reste à améliorer ne doivent pas se détériorer ou disparaître.
semble-t-il.
La lecture d’un autre article de Bernard
Et maintenant ?
Hervy (2007) amène encore un éclairage
sur le problème des institutions. Dans un Au vu des éléments développés, la modi-
établissement, il y a plusieurs niveaux de fication du regard de l’autre (qui est à
« citoyenneté ». Ceux qui ont le pouvoir l’extérieur), implicitement un déni du rôle
(gestionnaires, médecins), puis les exécu- social de la personne âgée, apparaît en
tants dont la parole est limitée mais écou- grande partie liée aux conditions d’entrée
tée, ceux qui sont tolérés (les familles, les en institution et à l’histoire de l’établisse-
bénévoles), enfin ceux qui sont hébergés, ment au sein de la cité. Elle serait donc
soignés, accueillis… pour leur bien et initiée à la fois par le sujet lui-même et
parce que c’est la seule solution pour eux. par l’extérieur. Les conditions d’entrée,
En aucun cas, ces derniers n’ont de pou- surtout non choisies, ont une influence
voir de décision. De plus, les personnes négative sur l’image qu’ont d’elles-
âgées présentes en institution sont sou- mêmes les personnes âgées qui, du coup,
vent fragiles, voire malades. Il semblerait peuvent se désinvestir de leurs rôles
que citoyen et sanitaire s’opposent, sociaux et proposer aux regards extérieurs
comme si la maladie atteignait la citoyen- une image dévalorisée induisant un com-
neté, qui de ce fait serait amoindrie. portement de pitié et de compassion peu

B. Hervy dénonce également les pratiques propice à de saines relations.
centrées sur les acteurs et non sur le Il apparaît également que le poids institu-
public. C’est une dérive qui infantilise, et tionnel est souvent liberticide, rognant en
qui va à l’encontre de la citoyenneté. Il quelque sorte le rôle citoyen des rési-
évoque le fonctionnement administratif dants. L’extérieur de l’établissement res-
envahissant qui n’est pas toujours, loin sentirait cet amoindrissement, mais ne
s’en faut, au service de la démocratie et mettant pas de mot dessus, au lieu d’aller
de la citoyenneté. L’administration à l’encontre de ce qui peut se présenter
impose souvent des normes qui ne sont comme une dérive, irait au contraire dans
pas toujours en corrélation avec la qualité le même sens, augmentant, à son insu, le
de vie des personnes. problème.
L’institution a du bon, mais elle a aussi Maintenant, ce n’est pas tant dans les
des dérives. La prise de conscience de ces questionnements et les éventuels débuts
dérives et des risques y afférant peut per- de réponses à ceux-ci que j’ai évolué,
mettre de les réduire, voire de les éviter. mais plutôt dans ma réaction profession-
L’institution doit comprendre que dans nelle à ces questionnements. En fait, il me
son fonctionnement le public doit être au semble désormais que l’animateur peut
centre. L’animateur peut soutenir les per- permettre, par des actions d’animation
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sociale, de mettre en valeur le rôle social tion ou non. Une institution dans laquelle
des personnes âgées et donc d’inverser la la parole des résidants aurait du poids et 105
tendance qui entraîne l’altération des où leurs desiderata seraient vraiment pris
rôles sociaux, dans le regard de l’autre, en compte. Une institution dans laquelle
lors de l’entrée en institution. Certes, toute la population aurait plaisir à venir,
l’institution est liberticide et le regard des car même si on ne peut occulter la souf-
autres change, mais l’on peut modifier le france qui existe en ces lieux, cette souf-
regard des autres et rendre l’institution france serait moindre du fait de la
moins liberticide. Plus les résidants seront considération donnée aux résidants.
citoyens, plus ce rôle citoyen sera Je voudrais ici parler de plusieurs expé-
reconnu par l’extérieur, moins l’institution riences très intéressantes.
aura des effets liberticides. Je m’expli- Il existe à Paris des lieux nommés « mai-
que : en prenant un rôle citoyen, la per- sons ouvertes ». L’idée est qu’ils soient
sonne âgée, au lieu de réduire encore sa des lieux de vie conviviaux dans lesquels
liberté, la prend, va voir au-delà de ce qui les personnes âgées puissent se retrouver
semble être autorisé en se positionnant pour faire… ce qu’elles veulent ! Cette
comme un être libre. N’est citoyen à part idée a été suscitée par l’observation de
entière qu’un être libre. l’isolement des personnes âgées. Au
En tant qu’animatrice, je dois donner aux début, le public était composé de céliba-
résidants les moyens de montrer aux taires ou de veufs, puis petit à petit sont
autres qu’ils ne sont pas des citoyens au venus des couples : aujourd’hui, la fré-
rabais, même s’ils sont amoindris physi- quentation est d’environ 44 personnes
quement, voire intellectuellement. Mais par jour.
au contraire, qu’ils sont des citoyens à On parle souvent des lycées autogérés qui
part entière, des êtres libres, capables de existent dans diverses villes, et moins de

penser et avec, en plus, une expérience et cette maison de retraite autogérée, « La
un parcours de vie uniques. Dans le maison des Babayagas », qui a eu beau-
même temps, il faut montrer dans la cité coup de mal à voir le jour à Montreuil.
que l’EHPAD est un lieu de vie qui bouge, C’est une maison inspirée des bégui-
dans lequel il se passe des choses et que nages, qui offrira à chaque résidante son
les résidants en sont partie prenante – et lieu personnel – studio bien insonorisé
donc bien citoyens comme tout autre. avec kitchenette et salle d’eau. Les amé-
J’aurais maintenant envie de rêver d’une nagements spécifiques des locaux, les
institution réellement ouverte sur l’exté- apports de l’ergonomie et de la domo-
rieur, dans laquelle le Conseil de la vie tique aideront à la prévention des difficul-
sociale ne serait pas un mot creux, dans tés et altérations dues au vieillissement.
laquelle les résidants pourraient réelle- Chacune recevra chez elle qui elle veut,
ment sortir comme bon leur semble et continuant d’y mener sa vie selon ses
accéder à la ville ou au village sans bar- habitudes et ses goûts. Les personnes à
rières, qu’elles soient architecturales, l’origine de ce projet insistent beaucoup
sociales ou psychologiques. Une institu- dans leur site sur le côté citoyen : « Loin
tion dans laquelle les gens viendraient de nous enfermer en ghetto, nous serons
naturellement, qu’il y ait une manifesta- ouvertes sur la ville, actives autour de
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nous autant que nous le pourrons, articu- Références bibliographiques

106 lant vie politique, vie sociale et vie cultu- ASSOUN, P.-L. ; BREDIN, J.-D. ; HENEZEL, (de) M.
2003. Comment accepter de vieillir, Paris, édi-
relle. »
tions de l’Atelier.
La vraie citoyenneté ne serait-elle pas là ?
BILLE, M. 1999. « Restrictions des libertés et pro-
Les personnes âgées ne seraient-elles pas tection de la communauté », 7e Congrès de l’As-
capables de gérer elles-mêmes leur lieu sociation francophone des droits de l’homme
de vie et de faire des choix ? Pourquoi des âgé, « Vulnérabilité et droits aux risques »,
lycéens seraient-ils plus compétents que OSPA Saint-Étienne, 10 et 11 juin 1999.
des personnes âgées qui ont pourtant HERVY, B. 2007. « vieillesse et citoyenneté en ins-
titution », Gérontologie et société, n° 120,
accumulé toute une expérience de vie ?
mars, p. 127 à 142.
Toutes n’ont sans doute pas un désir aussi
HERVY, B. 2008 « Le vieillissement des rôles
profond que les femmes de la Maison des sociaux », VST, n° 99, p. 34-40.
Babayagas, mais il me semble que c’est LE GALL, J. 2007. « Les personnes âgées en insti-
une voie à explorer. Encore mieux que les tution », Gérontologie et société, n° 120, mars,
Conseils de la vie sociale (même avec un p. 143 à 151.
fonctionnement « idéal »), encore mieux POCHET, P. 1997. Les personnes âgées, Paris, La
que les maisons ouvertes. La question, Découverte-Syros.
elle aussi, est ouverte. http://parisiv.free.fr/maison_ouverte1.html
http://lamaisondesbabayagas.fr/index.htm
VÉRONIQUE VERGOZ
Animatrice en EHPAD
(Établissement d’hébergement
pour personnes âgées dépendantes)
VST n° 104 - 2009

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nous autant que nous le pourrons, articu- Références bibliographiques

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