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UN SOUTIEN À LA PARENTALITÉ SOUVENT INADAPTÉ AUX SITUATIONS

DE PRÉCARITÉ. L’EXEMPLE DES FOYERS MONOPARENTAUX

Gérard Neyrand

Érès | « Enfances & Psy »

2015/3 N° 67 | pages 105 à 112


ISSN 1286-5559
ISBN 9782749248776
DOI 10.3917/ep.067.0105
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2015-3-page-105.htm
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ÊTRE
PROFESSIONNEL
AU REGARD DE LA PRÉCARITÉ
Gérard Neyrand
Un soutien à la parentalité
souvent inadapté
aux situations de précarité.
L’exemple des foyers
monoparentaux

Le mouvement de soutien et d’accompagnement de la Gérard Neyrand, sociologue,


parentalité renvoie à un processus complexe qui s’est mis
en place dans les années 1970, à la suite notamment professeur à l’université paul
d’une « révolution culturelle » portée par mai 1968, qui
s’est traduite par une reconfiguration normative de la
sabatier Toulouse 3, membre du
sphère privée et une évolution des mœurs, dont l’une des pRIssMH - sOI , directeur du
principales expressions a été l’explosion des séparations
conjugales et une certaine fragilisation des liens parents- laboratoire associatif CIMeRss .
enfant, particulièrement du parent « non-gardien » dans
ces situations de séparation.
en parallèle, avec le choc pétrolier de 1974 et avec la
mondialisation d’une économie voyant de plus en plus
les multinationales échapper au contrôle des États
(piketty, 2013), les conditions étaient réunies pour que se
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développent conjointement l’emprise de la logique néoli-
bérale sur les nations (revault d’allonnes, 2010) et la
précarisation des plus faibles ou des moins bien placés
(Strobel, 2008 ; paugam, 2009).
Ces deux logiques, pourtant fortement dissemblables, se
sont développées en interaction depuis le milieu des
années 1970, s’articulant, s’enchevêtrant, s’opacifiant
réciproquement, au point de ne plus pouvoir toujours
distinguer ce qui participe d’une logique culturelle
d’émancipation de la rigide normativité sociale en
matière de mœurs antérieure et ce qui participe d’une
logique néolibérale encouragée par les acteurs de l’éco-
nomie mondiale et de la finance visant à faire porter aux
États et à leurs populations les conséquences des muta-
tions économiques, jusqu’à voir s’accroître toujours plus
les écarts entre les plus riches et les plus pauvres.

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Être professionnel au regard de la précarité

La précarisation croissante des femmes en situation monoparentale,


jusqu’à ce qu’aujourd’hui un tiers d’entre elles se retrouvent en dessous
du seuil de pauvreté, constitue un parfait exemple de l’intrication de ces
deux logiques. Que cela puisse avoir un impact sur les enfants ne fait
aucun doute. La pauvreté et la précarité ne peuvent permettre de les socia-
liser dans les meilleures conditions, sans pour autant que ces difficultés
découlent, comme tentent de l’avancer certains, de la situation monopa-
rentale elle-même.
La dynamique du soutien à la parentalité se trouve aujourd’hui de plus en
plus prise dans cette tension, notamment depuis la mise en œuvre de la
volonté d’institutionnalisation de ce soutien dans les années 1990, et la
tentative d’unifier les logiques de soutien et de contrôle depuis les années
2000 (Neyrand, 2011 ; Martin, 2014). Il importe donc de distinguer dans
l’approche des personnes en situation précaire, les dimensions écono-
mique, sociale, culturelle et psychologique qui composent cette précarité
et la rendent complexe et difficile à prendre en charge, tant il est tentant
de ne l’aborder que par une seule de ces dimensions. pour l’évoquer, nous
nous appuierons sur les résultats d’une recherche-action réalisée à
Marseille sur les femmes en situation monoparentale précaire 1.

LES MALENTENDUS DU SOUTIEN À LA PARENTALITÉ

Si la rhétorique du soutien à la parentalité s’est développée d’une façon forte


depuis la fin des années 1990, les efforts faits pour lui donner une homogé-
néité et une expression nouvelle sous l’égide de la charte des reaap
(réseaux d’écoute, appui et accompagnement des parents) ne peuvent dénier
ou masquer son caractère disparate, si ce n’est parfois conflictuel. position-
nés dans une perspective universaliste, que rappelle le sixième principe de
la charte « garantir l’ouverture de ces lieux à tous les parents », ils ne s’en
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trouvent pas moins confrontés à un triple paradoxe : beaucoup – si ce n’est
la majorité – des actions visent des publics spécifiques, qui font souvent
partie des populations considérées économiquement et culturellement
« défavorisées » ; les publics a priori visés en priorité du fait de leur préca-
rité sont rarement touchés par les dispositifs offerts ; ils sont dès lors la cible
première des actions développées sous l’égide de la prévention de la délin-
quance et qui participent plus d’un contrôle que d’un soutien (Neyrand,
2011 2), et que la création du CNSp (comité national de soutien à la parenta-
lité) en 2010 a essayé d’articuler officiellement et avec beaucoup de diffi-
cultés aux actions d’accompagnement (pothet, 2014).
Le soutien aux femmes en situation monoparentale précaire participe de
1. publiée en 2004, elle vient ces malentendus, auxquels s’ajoutent ceux liés à la dimension du genre,
d’être rééditée en édition de
poche (Neyrand, rossi, 2004) qui apparaissent particulièrement manifestes dans les situations post-sépa-
2. Voir plus particulièrement
ration, que ce soit sur le plan de la résidence des enfants, de l’insertion
le chapitre II. La constitution professionnelle, ou de l’exercice de la parentalité, pris dans une tension
du dispositif de parentalité. entre normes divergentes que le politique n’arrive à dépasser.

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« Mis dans une situation d’échange asymétrique et de domination, les


sujets développent une autonomie visant la préservation de soi, s’accom-
pagnant de la désertion du monde associatif. […] Ils sont pris, au
contraire, dans un mouvement d’individualisme négatif (Castel, 2009)
entraînant un repli sur la famille ou l’isolement des personnes en désafi-
liation. La mise en danger des individus, consécutive au manque de reve-
nus, à leur instabilité et au discrédit, provoque un repli sur la sphère
familiale et a des effets délétères sur la vie sociale en provoquant le rejet
d’autrui » (Sas-Barandeau, 2014, p. 206-207). Ce qui amène Martine Sas-
Barandeau à parler d’insécurité identitaire chez les personnes précarisées,
ce qui recoupe parfaitement notre travail sur les mères « chefs de
famille ».

UNE PRÉCARISATION QUI TOUCHE TOUTES LES DIMENSIONS DE LA VIE

Il existe de multiples façons de se séparer et toutes ne débouchent par sur


une précarité durable 3 (Neyrand, 2002), mais dans la grande majorité des
cas la séparation s’accompagne d’un appauvrissement, que n’arriveront à
compenser que les parents bénéficiant d’une situation stable. Beaucoup
voient, au contraire, dans la séparation l’occasion d’entrer dans une préca-
rité nouvelle ou de voir celle qui caractérisait déjà la famille s’approfon-
dir encore plus.
La caractéristique de cette précarisation est double : elle n’a généralement
pas été anticipée, et elle est loin de ne concerner que la seule dimension
économique, tant la séparation met en jeu les différentes dimensions de la
vie personnelle et sociale. Si l’impact sur les enfants est généralement
perturbateur, mais aussi souvent apaisant lorsque les conflits parentaux
étaient violents, il a certainement tendance à se réguler plus rapidement
que pour les adultes, du fait sans doute de la plus grande capacité d’adap-
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tation des enfants, mais aussi parce que le parent chez lequel ils résident a
tendance à « sacrifier » sa vie personnelle à l’éducation de ses enfants.
propos assez récurrent chez beaucoup de parents interrogés. Ce qui ne
signifie pas pour autant que l’autre parent s’en sorte toujours mieux, si on
en croit la forte proportion de SdF qui ont connu une double désaffiliation,
familiale et professionnelle (Thalineau, 1998 ; Quesemand Zucca, 2007).
de fait, le mode d’entrée dans la précarité post-séparation a une grande
importance pour rendre compte aussi bien de la profondeur de la précarité
que de son caractère plus ou moins durable. Les séparations consécutives
à un conflit violent, à un mariage forcé (Neyrand, Hammouche, Mekboul, 3. Nous avons ainsi identifié
2008) ou à des violences physiques, et qui se traduisent bien souvent par pas moins d’une dizaine
une fuite de la femme et ses enfants du domicile conjugal, sont particuliè- de situations pour les parents
rement propices à l’entrée dans une précarité durable. Si cette situation séparés, selon le mode
de séparation, la résidence de
peut toucher tous les milieux – comme l’illustre cette femme médecin, l’enfant, le milieu social et
ayant cessé son activité au troisième enfant, et qui se retrouve sans le genre du parent gardien.
ressources après avoir fui du domicile de son mari alcoolique –, elle est Cf. Neyrand (1994/2009).

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bien plus fréquente dans les familles déjà précarisées, dont beaucoup
d’origine étrangère. On se trouve alors en présence de familles qui
vivaient sur un mode traditionnel, la mère, peu qualifiée, restant au foyer
pour élever ses enfants, qui connaissent souvent des séparations d’autant
plus dramatiques que le couple était fusionnel (Bastard, 2014 ; Neyrand,
2009), et qui laissent bien des conjoints traumatisés après la séparation.
Les mères ont alors beaucoup de mal à se reconstruire, trouver un nouvel
équilibre et une bonne insertion sociale, confrontées à des difficultés
matérielles, sociales, professionnelles, éducatives, et des troubles
psychiques souvent récurrents, comme les phases dépressives.
deux questions se posent alors : comment se concrétise cette pluri-préca-
rité, et quelles voies permettraient aux femmes et aux enfants concernés
de s’en extraire ?

UNE PRÉCARITÉ PLURIDIMENSIONNELLE

dès la séparation, les difficultés à affronter sont nombreuses. La première


est bien souvent de trouver un nouveau domicile et des ressources, qui
obligent à s’adresser à l’entourage et aux institutions pour espérer en
bénéficier. Les enquêtes sur les populations précaires montrent à quel
point elles répugnent à quémander des secours, qui sont à la fois révéla-
teurs d’une situation difficile à vivre et porteurs d’une stigmatisation
douloureusement ressentie (Bourdieu, 1993). Ce d’autant plus que les
populations dominées développent une méfiance forte à l’égard de tout
professionnel porteur d’un pouvoir institutionnel dont elles sont dému-
nies, et beaucoup manifestent une méconnaissance des soutiens matériels
et financiers dont elles pourraient bénéficier. Une proportion non négli-
geable de parents et d’enfants, qu’il est par définition difficile d’estimer,
se trouve ainsi dans une situation d’autant plus problématique qu’elle
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reste cachée, a fortiori chez des personnes d’origine étrangère.
La précarité matérielle s’accompagne très fréquemment d’une précarité
sociale, qui se traduit par le retrait de la mère, et bien souvent de ses
enfants, des réseaux sociaux auxquels elle appartenait auparavant, que ce
soit les réseaux amicaux partagés avec son conjoint, les réseaux familiaux
lorsque la séparation n’est pas acceptée par la famille, ou les réseaux asso-
ciatifs, du fait de l’éloignement, du sentiment de honte lié à la situation et
de la tendance, d’autant plus fréquente en situation de crise, au repli sur
soi. Beaucoup de professionnels notent que la présence des enfants est ce
qui empêche les mères de sombrer dans une spirale de désaffiliation.
Si la relation à l’enfant constitue le point d’ancrage pour un processus de
reconstruction identitaire et psychique, on peut comprendre que dans
certains cas cela peut représenter un risque de captation pour l’enfant,
susceptible d’avoir des effets perturbateurs à plus ou moins long terme sur
son équilibre psychique et son insertion sociale. Loin d’être généralisée,
tant les ressources peuvent être multiples et les facteurs de résilience

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importants (Cyrulnik, 1999), cette position peut déboucher sur des situa-
tions extrêmement tendues, que ce soit avec l’autre parent, avec les autres
personnes intervenant auprès de l’enfant, ou avec les institutions.

DES RÉPONSES SOCIO-ÉCONOMIQUES ET PSYCHO-RELATIONNELLES

Ce que montre notre approche conjuguée d’un sociologue et d’une


psychanalyste sur la question est la nécessité pour contrer les processus de
précarisation d’articuler différents niveaux de soutien, même si le niveau
le plus macro semble difficilement atteignable. Les préconisations, que
nous avions élaborées avec beaucoup de précautions avec la chargée de
mission de la drdFe de la région paCa (Borghino, Neyrand, rossi, 2002),
étaient sans illusions sur la possibilité d’introduire une meilleure régula-
tion politique de l’organisation néolibérale de notre société, favorisant
comme rappelé en introduction l’approfondissement des inégalités et la
précarisation des plus faibles. plus réaliste se voulait l’idée d’articuler les
autres niveaux d’intervention. Car si l’idée de favoriser une insertion
professionnelle des mères trouvait écho chez celles-ci autant que dans les
institutions, d’emblée se révélaient deux difficultés :
– que faire des enfants – notamment petits – durant leur absence, alors que
le réseau des modes d’accueil est déjà insuffisant pour les parents insérés
professionnellement ?
– et que faire des nombreuses mères dont le niveau d’« employabilité » ne
leur permet pas d’obtenir un emploi, pas seulement du fait de leur faible
niveau de qualification mais parce que les troubles provoqués par la situa-
tion sont trop violents et doivent être pris en compte avant même une pers-
pective de réinsertion ?
reçues en séances individuelles ou collectives d’élaboration de leurs
situations par ma collègue pratiquant une écoute psychologique sans but
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thérapeutique dans les différentes structures participant à la recherche-
action, ces femmes ont manifesté une évolution positive de leur position-
nement en quelques mois, dont j’ai pu, comme beaucoup de
professionnels, être le témoin. Cette écoute a permis un véritable travail
d’élaboration par les mères, qui s’est traduit de multiples façons : une
meilleure compréhension de leur histoire et une déconfusion entre les
niveaux enchevêtrés de leurs difficultés, débouchant sur une autonomisa-
tion psychique (à l’égard de l’ex-conjoint et de l’enfant), et une recons-
truction identitaire permettant une réhabilitation sociale, susceptible de
déboucher pour certaines sur le renouage du lien du père aux enfants. « Ce
travail sur l’articulation conjugalité/parentalité et sur l’articulation paral-
lèle maternité/féminité autorise à passer du deuil du mari à la reconnais-
sance du père, aussi bien qu’à quitter l’emprise du maternel pour accéder
à la reconnaissance d’une position subjective, laissant la place à d’autres
en relais et acceptant de ne pas être tout pour l’enfant. ainsi se redéfinit
un lien social par lequel la mère prendra sa place en tant que femme, dans

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la pluralité du terme » (Neyrand, rossi, 2004, p. 219).

LES AMBIGUÏTÉS DU SOUTIEN À LA PARENTALITÉ

L’expérience de cette recherche-action nous permet de toucher du doigt un


certain nombre des ambiguïtés qui caractérisent la montée du soutien et de
l’accompagnement des parents de 2000 à 2015. La première réside dans
le paradoxe évoqué selon lequel ce ne sont pas les personnes les plus
concernées par les soutiens ciblés qui sont d’abord touchées. Les attitudes
de repli, de défiance, de méfiance, de méconnaissance et de passivité
rendent très délicats le contact et la participation des plus démunis. Si une
diffusion accrue par de multiples canaux constitue un minimum à réaliser,
on entrevoit tout ce que supposerait la possibilité d’aller plus loin dans une
société structurée sur les inégalités sociales. du coup, la coordination et la
mise en réseau que met en avant le projet des reaap demande une mise
en œuvre effective et pérenne sur le terrain pour que puisse s’inverser la
spirale de précarisation.
Or cette logique se trouve confrontée à deux risques : celui de la remise
en cause de la pérennité des dispositifs locaux du fait des limitations de
financement à des actions ponctuelles ; et celui, d’une certaine façon
inverse, de l’institutionnalisation du dispositif global de soutien à la
parentalité, rigidifiant les réponses et limitant les possibilités d’action,
notamment en matière d’accueil et d’écoute adéquats. pour répondre à ces
risques les professionnels insistent sur deux dimensions centrales de leur
action : « la définition d’une posture d’écoute adoptée dans la relation au
parent, […] la mise à distance de toute stigmatisation des parents »
(Campéon, Keppens, rothe, 2014). Cette position caractéristique de l’ap-
proche clinique s’avère assez éloignée de ce qui peut se faire dans l’ac-
cueil institutionnel classique et demanderait la mise en place d’une
sensibilisation-formation généralisée des personnels pour que la logique
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originelle des reaap puisse trouver place dans les institutions.

CONCLUSION
en définitive, on peut mettre en évidence, à travers l’exemple des situa-
tions monoparentales, que la logique en développement du soutien à la
parentalité se trouve assez mal positionnée pour répondre aux difficultés
rencontrées par les foyers précarisés, même si l’idée d’accompagnement
s’y révèle pertinente. Certes, les besoins exprimés par ces familles ne sont
pas si différents de ceux concernant les autres familles, mais pour les plus
précarisées s’accentue – par-delà les soutiens financiers auxquels elles ont
droit – la nécessité de prendre en compte un ensemble de facteurs. La
tendance au repli défensif des mères sur elles-mêmes et sur leurs enfants
demande à ce qu’un double travail d’information et de mise en contact soit
réalisé. Ce qui nécessite pour le moins une formation des intervenants. La
sous-qualification et la faible employabilité des plus précarisés exige un
véritable travail relationnel de repositionnement à l’égard du monde du

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travail, qui suppose là aussi une élaboration de la position subie pour


pouvoir espérer efficacement y faire face. L’intérêt d’un soutien psycho-
logique apparaît alors doublement manifeste, allié à la reconnaissance des
besoins de garde de l’enfant pour que ces démarches puissent se mettre en
place. Sur cette base, la réinsertion sociale, voire professionnelle, devient
tout à fait envisageable, alliée à un repositionnement de l’enfant à l’égard
de son entourage, et parfois le renouage d’un lien avec le père désaffilié
ou la famille absente. autant de dimensions qui, réunies, autoriseraient à
parler d’un véritable soutien et accompagnement à effet d’intégration
sociale.

BIBLIGRAPHIE
BASTARD, B. 2014. « Ruptures familiales et soutien à la parentalité », dans C. Martin (sous la
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l’individualisme relationnel », Dialogue, n° 155, p. 80-88 ; repris dans Le dialogue familial, un
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3e éd. 2014.
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sociales, Paris, La Découverte.
NEYRAND, G. ; ROSSI, P. P. 2004. Monoparentalité précaire et femme sujet, Toulouse, érès,
(réédition poche 2014).
PAUGAM, S. 2009. La disqualification sociale, Paris, Puf.
PIKETTY, T. 2013. Le Capital au XXIe siècle, Paris, Le Seuil.
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d’une politique publique », dans C. Martin (sous la direction de), « Être un bon parent », une
injonction contemporaine, Rennes, Presses de l’EHESP.
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REVAULT D’ALLONNES, M. 2010. Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie, Paris, Le Seuil.
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THALINEAU, A. 1998. « Famille, tu me tiens… Quand rupture conjugale et rupture professionnelle
s’enchaînent », Dialogue, n° 141, « Faut-il banaliser le divorce ? ».

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Être professionnel au regard de la précarité

Mots-clés : RÉSUMÉ
Monoparentalité,
précarité, soutien, La façon dont s’est développé le « soutien à la parentalité » depuis les
accompagnement, années 1990 apparaît assez mal adaptée à la situation des plus précaires.
séparation, écoute. L’auteur illustre cette difficulté à partir de l’analyse des foyers monopa-
rentaux, dont aujourd’hui un tiers sont en situation de pauvreté. pour eux,
la précarité est non seulement économique, mais aussi sociale (repli sur
soi) relationnelle et psychologique (épisodes dépressifs). elle suppose une
réponse multidimensionnelle, alliant – sur la base d’une formation des
intervenants – une écoute personnalisée aidant la mère à l’élaboration de sa
situation, articulée à la prise en compte des facteurs matériels : soutien
financier et résidentiel, garde de l’enfant, formation qualifiante…

Key words : SUMMARY


single parenthood, Support to parenthood often unadapted to precarity. The example of
precarity, insecurity, single-parent families
support, caring, The way in which support to parenthood developed in the 1990s appears
separation, listening. rather unsuitable in the cases of those living most precariously. The writer
illustrates this difficulty drawing on his analysis of single-parent families,
of which today a third live in poverty. For them precarity is not just econo-
mic, but also social (withdrawal), relational and psychological (depressive
episodes). It supposes a multidimensional response, linking - on the basis
of training for those participating - personalized listening helping the
mother to elaborate her situation, taking into account material factors
such as financial support, child custody, professional training and so on.
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