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L’EXPÉRIENCE DE LA PARENTALITÉ DE MÈRES PSYCHOTIQUES

Marion Cognard, Jaqueline Wendland

Érès | « Dialogue »

2015/4 n° 210 | pages 99 à 110


ISSN 0242-8962
ISBN 9782749247687
DOI 10.3917/dia.210.0099
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https://www.cairn.info/revue-dialogue-2015-4-page-99.htm
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L’expérience de la parentalité
de mères psychotiques
Marion Cognard et Jaqueline Wendland

Mots-clés Résumé
Mère, enfant, parentalité, Les études menées sur la parentalité des mères présentant un trouble psy-
trouble psychotique, chotique portent majoritairement sur leurs dysfonctionnements ou sur les
soutien social. conséquences pour l’enfant. Plusieurs recherches ont montré l’importance
de l’environnement comme soutien à la parentalité. La littérature s’est toute-
fois peu intéressée au vécu de ces mères. Cette étude exploratoire interroge,
à travers l’entretien de recherche et l’échelle d’insight Q8 de Bourgeois, le
vécu de la parentalité de neuf mères, suivies en services de psychiatrie pour
adultes, ainsi que leur perception du soutien extérieur dans l’après-coup, alors
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que leurs enfants sont déjà adultes. Les résultats suggèrent une parentalité
partielle et la nécessité de favoriser des dispositifs d’aide adaptés aux périodes
du développement de l’enfant. Des violences intrafamiliales sont également
mises en exergue.

L
a parentalité fait l’objet de nombreuses recherches, mais peu d’entre
elles ont interrogé le devenir parent des personnes présentant un
 1
trouble psychotique. Pourtant, le développement des structures de
soins extrahospitalières et l’emploi des psychotropes ont contribué à leur
autonomie et à leur qualité de vie et, par conséquent, à leur accès à la
sexualité, à la conjugalité et à la parentalité. Cette étude qualitative a

Marion Cognard, psychologue. marion.cognard@neuf.fr


Jaqueline Wendland, professeur, université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Institut de psychologie,
Laboratoire de psychopathologie et processus de santé (lpps). jaqueline.wendland@parisdescartes.fr

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été réalisée au sein d’un service de psychiatrie pour adultes accueillant
trente-quatre patients, dont treize étaient parents : neuf femmes et quatre
hommes. Compte tenu des critères d’inclusion, cette étude porte unique-
ment sur l’expérience de mères présentant un trouble psychotique.

Psychose et parentalité
Les troubles psychotiques se caractérisent par leur gravité et leur chro-
nicité, ainsi que par leur caractère évolutif et incurable. Ils affectent le
contact de la personne avec la réalité qui sera perturbé par des épisodes
délirants, des hallucinations et des troubles socio-émotionnels et compor-
tementaux plus ou moins graves. Ces pathologies entraînent ainsi des
handicaps lourds et durables qui affecteront inévitablement les compor-
tements parentaux (Wendland, 2014). Plusieurs auteurs décrivent le désir
de maternité des femmes présentant un trouble psychotique comme une
opportunité de s’inscrire dans la norme sociale, diminuant parfois leur
isolement et renforçant leur accompagnement à travers le suivi de l’en-
fant (Vacheron, Ducroix, Choudey, 2008 ; Wendland, 2014). Lorsque leur
désir s’inscrit dans cette norme sans coïncider avec un authentique désir
d’enfant, différents passages à l’acte peuvent être observés (interruptions
volontaires de grossesse répétées, abandons d’enfant). Les arrêts de traite-
ment peuvent également entraîner des décompensations délirantes. Enfin,
la transition à la parentalité et son exercice sont connus comme potentiel-
lement déstabilisants, tout particulièrement pour une personne souffrant
d’un trouble mental. Face aux risques liés à cette période, des services
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de psychiatrie ont développé des unités d’hospitalisation conjointe et des
consultations parents-bébé. Ces services permettent de travailler sur le lien
d’attachement parent-enfant, d’apporter un soutien à la parentalité, d’éva-
luer le risque psychopathologique pour l’enfant et de prévenir la transmis-
sion intergénérationnelle de carences de soins maternels (Bayle, 2008).
L’importance de la prise en compte des stades du développement de
l’enfant lorsque celui-ci a un parent psychotique (Holzer et coll., 2013),
ou lorsqu’il est placé (Grisi, 2011), a été soulignée par plusieurs auteurs.
Ludivine Dubois de Bodinat et Romain Dugravier (2010) précisent que la
première année de vie est une période particulièrement cruciale, car l’en-
fant développera son attachement au travers du caregiving de sa mère,
qui dépendrait lui-même de ses propres expériences avec les caregivers
de sa petite enfance. Le bébé a besoin de soins réguliers, prévisibles
et sensibles à ses besoins. Les travaux pionniers de Myriam David et
ses collègues ont mis en exergue les perturbations précoces sévères des

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relations entre les mères psychotiques et leurs bébés, la maladie mater-
nelle étant source de carences graves dans les soins maternels (David et
coll., 1981 ; Wendland, 2014). À la période de l’enfance (3 à 10 ans), le
parent serait placé face à de nouvelles exigences : il doit poser des limites
et des interdits à son enfant (Grisi, 2011). Selon Holzer et coll. (2013),
l’enfant pourrait alors entrevoir les difficultés de son parent malade et
développer une forme de loyauté envers lui, privilégiant l’intérêt de celui-
ci au détriment du sien. La période de l’adolescence, enfin, serait une
période difficile pour les mères présentant un trouble psychotique en
raison du mouvement d’autonomisation de leur enfant et de la prise de
distance de celui-ci (Holzer et coll., 2013 ; Grisi, 2011).
Par ailleurs, des chercheurs ont orienté leurs études sur la perception de
la maladie et de ses effets chez des parents souffrant de troubles mentaux,
montrant l’impact de la maladie sur la parentalité. Une large cohorte de
mères (n = 317) a manifesté un manque de confiance dans leurs compé-
tences parentales et des pratiques éducatives permissives (Oyserman et
coll., 2004). Leurs difficultés seraient renforcées par l’attitude de leur(s)
enfant(s), en particulier à l’adolescence, en raison des moqueries à l’égard
du parent malade. Le stress serait par ailleurs un facteur de risque augmen-
tant les symptômes de la maladie et entraînant des effets négatifs sur les
pratiques parentales. Des études montrent aussi des perturbations plus
ou moins précoces de l’attachement chez l’enfant. Le parent présentant
une maladie mentale serait guidé dans ses interventions presque exclu-
sivement par ses propres états, désirs et activités (Ochoa-Torres, 2002 ;
Duncan et Reder, 2003). Le message du bébé serait ainsi distordu, inter-
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prété par le parent selon ses propres défenses ou demeurant sans réponse.
L’enfant serait lâché psychiquement en l’absence de perception de son état
par sa mère et en raison de son indisponibilité (Bayle, 2008). Il pourrait
également être pris dans un des thèmes délirants de celle-ci. De plus, des
auteurs soulignent l’imprévisibilité du comportement de ces mères, une
discontinuité parentale, des exigences démesurées et une prééminence de
l’enfant imaginaire (Vacheron, Ducroix et Choudey, 2008), une confusion
du parent avec son enfant (Wendland, 2014).
L’imprévisibilité et les effets délétères sur le développement de l’enfant
posent souvent la question du maintien des liens. Des recherches ont
ainsi exploré le rôle de l’environnement des mères présentant un trouble
psychotique. L’absence de relation stable avec le partenaire aurait un
impact négatif sur la santé de la personne, alors qu’un environnement
familial soutenant favoriserait une évolution positive (Bayle, 2008). Des
relations familiales non conflictuelles et un regard positif sur la maladie

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amélioreraient les compétences sociales du patient et entraîneraient une
baisse des symptômes négatifs. Elena Hunt et Gilles Côté (2009) montrent
qu’un réseau social peut être associé à une meilleure qualité de vie
lorsqu’une personne présente une maladie mentale. Toutefois, la maladie
provoquerait un déficit du fonctionnement social. À ce jour, seules quelques
études ont exploré l’impact de l’environnement des mères présentant une
maladie mentale. Ces études suggèrent que la réussite professionnelle et
la perception d’un environnement social aidant soutiennent un sentiment
d’efficacité parentale. En revanche, d’autres auteurs soulignent le regard
négatif des soignants lors de la maternité d’une femme présentant un
trouble psychotique, ainsi que l’importance de leurs représentations et
des projections liées à la maladie mentale (Bayle, 2008). Cela pourrait
entraîner chez le parent malade des difficultés pour solliciter de l’aide.
Pourtant, des études montrent que les soignants effectuent un travail de
prévention important (Stone, 2008) et permettraient d’introduire un tiers,
souvent inexistant auprès de la mère et de l’enfant.
Les travaux montrent ainsi la pertinence de développer la présence d’un
environnement aidant auprès des mères présentant un trouble psycho-
tique. Toutefois, la capacité de celles-ci à reconnaître leur maladie (capa-
cité d’insight) et les troubles liés à la psychose doivent être pris en
compte lorsque nous explorons leur expérience subjective de parentalité
(Bourgeois, Koleck et Jais, 2002). Ce constat invite ainsi à la plus grande
prudence dans l’interprétation des résultats de cette étude qui porte sur
une expérience rétrospective de mères présentant un trouble psycho-
tique. L’objectif de celle-ci étant de comprendre le vécu dans l’après-coup
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de leur parentalité et de l’aide perçue par leur environnement pour mieux
cerner les besoins des familles et adapter les accompagnements proposés.

Méthodologie de l’étude
Cette recherche a été menée dans un cattp (Centre d’accueil thérapeu-
tique à temps partiel) accueillant trente-quatre patients. L’étude des
dossiers a permis de relever treize personnes ayant une expérience de
parentalité, dont neuf femmes et quatre hommes. Parmi les pères, un
seul, âgé de 27 ans, a des contacts avec son enfant. Les autres pères
n’en ont aucun (situation d’abandon dans les trois cas). Ils n’ont donc pu
être pris en compte dans cette recherche. Les données recueillies dans
les dossiers médicaux ont permis de définir des critères d’inclusion : il
s’agit de mères diagnostiquées d’un trouble psychotique dont les enfants,
devenus adultes, ne sont plus à leur charge. L’âge moyen des femmes

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est de 52 ans. Madame T., âgée de 43 ans, est la plus jeune des mères
de l’échantillon. Elle n’a plus en charge ses enfants depuis cinq ans. Les
enfants des autres mères ont quitté le foyer depuis au moins sept ans.
Au sujet des troubles psychotiques relevés, soulignons que trois femmes
ont été diagnostiquées comme souffrant d’un « trouble bipolaire », trois
autres comme « schizophrènes », une comme souffrant d’une « mélan-
colie délirante », une autre d’une « psychose délirante ». Concernant leur
situation familiale, cinq sont divorcées, une est veuve et trois sont céli-
bataires. Toutes sont prises en charge par le service de psychiatrie pour
adultes depuis au moins quinze ans. Le tableau 1 en annexe synthétise
les données sociodémographiques des neuf sujets recueillies dans leurs
dossiers médicaux.
Concernant les enfants, l’âge moyen est de 27 ans et 8 mois. Sur les
vingt-neuf enfants concernés par l’étude, dix-sept sont salariés, quatre sont
étudiants et quatre ont une situation non connue (pas de données dans les
dossiers et méconnaissance des informations par les mères). Enfin, quatre
présentent un handicap ou une maladie (deux cas de trouble bipolaire,
un cas de déficience intellectuelle, un cancer). Globalement, ces résultats
suggèrent que la majorité de ces enfants est insérée socialement et profes-
sionnellement. Enfin, dix-huit de ces enfants ont été placés en institution
et onze ont été pris en charge régulièrement par l’entourage familial.
Compte tenu de l’objectif de cette recherche, à savoir, rappelons-le,
étudier le vécu de la parentalité de mères présentant un trouble psycho-
tique, la passation d’un entretien, menée à partir d’une grille préalable-
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ment testée, nous paraissait pertinente. Des questions semi-ouvertes ont
été formulées autour de trois thèmes : les effets de la maladie psychotique
sur la parentalité, la parentalité aux différentes étapes du développement
de l’enfant – à travers quatre périodes définies comme suit : la naissance,
la petite enfance (avant 3 ans), l’enfance (de 3 à 10 ans), l’adolescence –
et le soutien social perçu. Ces entretiens ont été enregistrés et retranscrits
intégralement afin de préserver l’originalité des discours.
L’échelle d’insight Q8 de Bourgeois (huit items avec questions ouvertes)
a également été utilisée afin d’évaluer la capacité de ces mères à recon-
naître leur maladie (Bourgeois, Koleck et Jais, 2002). Cet outil permet
d’évaluer la conscience qu’a un patient de sa maladie mentale. Un score
de zéro à huit est défini à partir des réponses données à chaque ques-
tion : un score inférieur à deux est considéré comme témoin d’une non-
conscience du trouble et un score supérieur à six comme une bonne
conscience de celui-ci.

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Résultats

La capacité d’insight

Les scores obtenus à l’échelle de Bourgeois suggèrent que majoritaire-


ment les mères reconnaissent difficilement leur maladie psychique. Trois
d’entre elles ont obtenu un score correspondant à un « bon insight »
(compris entre six et huit) selon les critères de validation. Les autres
mères ont un score inférieur à quatre. Ces données sont à prendre en
compte dans la compréhension des éléments du discours qui suivent.

Le vécu de la parentalité

Six mères ont dit avoir rencontré des difficultés dans leur parentalité,
tandis que deux autres les ont nuancées. Madame C explique : « C’est dur,
quand on est une mère de famille, de traverser la maladie, la dépression.
Je pensais qu’en ayant des enfants j’oublierais mon passé. Je pensais
oublier tout ça. Je ne pensais pas être malade. » Madame M., dont les
enfants ont été placés à leur naissance, a révélé une absence de difficultés.
Des situations d’insécurité ont été évoquées parmi ces six mères, telles
que l’impossibilité d’apporter des soins médicaux adaptés en situation
d’urgence pour les enfants ou le fait de les laisser régulièrement seuls
dès leur plus jeune âge. Madame P. évoque une réaction de fuite face à
l’angoisse ressentie : « Marie s’était coupée à la main en jouant dans la
baignoire et elle saignait partout, et là j’étais angoissée. Et je suis partie
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et j’ai fait une fugue, je ne suis pas rentrée. C’était l’été, j’ai été dormir
dehors. » Une mère évoque sa consommation de cannabis quotidienne
comme un moyen de faire face à son rôle de parent.
Trois mères ont évoqué la souffrance de leur(s) enfant(s) face à leur
maladie. Parmi elles, deux ont obtenu un score à l’échelle Q8 de Bour-
geois supérieur à six. Il est intéressant de constater que six mères
expliquent être satisfaites de leur rôle de parent. Deux mères sont restées
toutefois réservées. À la question : « Êtes-vous satisfaite de votre rôle de
maman ? », l’une a éludé la question en disant être fière de son fils, l’autre
mère précisera : « Ce n’est pas ce que je voulais, je voulais mes enfants,
pas tout le temps, mais au moins savoir où ils sont. » Il est probable que
ces mères relatent ici le vécu douloureux de la séparation qu’a entraîné le
placement de leurs enfants.

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La parentalité aux différents âges de l’enfant

Trois de ces mères disent avoir été en difficulté pendant leur grossesse
et ne pas avoir obtenu d’aide à cette période. Il est intéressant de remar-
quer que toutes affirment avoir désiré leur grossesse, cinq relatent avoir
préparé la venue du bébé. Sur ces neuf mères, sept font ressortir l’ab-
sence de soutien de leur compagnon lors de la naissance de l’enfant.
Trois ont bénéficié de l’aide de leur famille (mère et fratrie), seulement
une dit avoir été soutenue par des soignants d’un service de psychiatrie.
Six mères disent ne pas s’être senties aidées par les soignants de la mater-
nité alors qu’elles en ressentaient le besoin. Madame T. explique notam-
ment ne pas s’être sentie soutenue lors du décès d’une de ses jumelles :
« On m’a demandé ce que je ressentais pour la deuxième, j’avais dit que
j’avais eu l’impression de la mettre à la poubelle et c’est tout, on m’a pas
aidée, on m’a rien proposé. »
Pour la période de la petite enfance, les réponses apportées par les mères
sont partagées : quatre disent qu’il s’agit de la période la « moins difficile »,
toutefois trois d’entre elles ont eu leurs enfants placés à cette période.
Pour quatre autres, le vécu est inverse. Le manque d’autonomie du jeune
enfant les a mises en difficulté. Madame B. explique avoir été particulière-
ment en difficulté à cette période : « Il braillait, il braillait. Alors j’arrivais à
faire de la dépression parce que je ne savais pas ce que je lui aurais fait. »
Madame M. décrit une absence de souvenirs, ce qui peut s’expliquer par
le placement précoce de ses enfants. Cinq de ces neuf mères évoquent
une aide de l’environnement familial (trois mères) ou extérieur (crèche,
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assistante maternelle : deux mères). Le conjoint a été jugé comme peu
présent par trois mères.
La période de l’enfance (3 à 10 ans) est jugée comme facile par l’ensemble
des mères en raison de la scolarité des enfants. Six femmes font toutefois
référence à la difficulté de suivre le rythme lié à la scolarité – les dépla-
cements quotidiens et les devoirs. Deux de ces six mères disent avoir
laissé leurs enfants se gérer seuls. Les aides perçues à cette période sont
diverses : la famille pour quatre mères (le mari, la fratrie et la grand-mère
des enfants), deux ont bénéficié d’un soutien de structures extrascolaires
telles que les centres aérés, deux ont eu recours à l’aide du voisinage.
Quant à l’adolescence, les mères interrogées s’accordent sur le fait que
cette période a été compliquée en raison de situations de fugues (trois
cas), de l’autonomisation (cinq cas) et d’actes de délinquance (deux cas)
de leurs enfants. Madame C., dont les trois enfants ont été placés, évoque

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ses difficultés (fugue, vols, violence de sa fille sur madame et sa fratrie),
précisant que « je disais rien, j’avais peur de ne plus voir mes enfants ».

La perception du soutien de l’environnement

Au niveau familial, huit mères sur neuf soulignent l’absence de leur


conjoint dans l’éducation de leurs enfants. Il a d’ailleurs été jugé comme
le membre le moins aidant par trois mères. Trois femmes expliquent avoir
bénéficié de l’aide de leur propre mère et deux d’entre elles évoquent
leurs difficultés à trouver leur place suite à ce soutien. Trois mères relatent
l’absence d’aide familiale : leurs enfants ont été placés en institution. La
fratrie a été citée par cinq mères comme aidante dans le quotidien et en
tant que soutien moral (pour trois mères). Huit mères mentionnent enfin
la violence intrafamiliale : par le conjoint (trois cas), par la mère sur les
enfants (deux cas) – amenant à un placement judiciaire des enfants –, par
l’enfant sur sa mère (deux cas) ou au sein de la fratrie (trois cas).
Au niveau des aides extérieures, les perceptions sont diverses. Une mère
évoque l’aide des médicaments, trois soulignent l’aide des soignants de
psychiatrie et trois autres l’aide du personnel de la maternité. Quatre, au
contraire, rapportent une absence de soutien par les soignants de mater-
nité et trois autres, des professionnels de la psychiatrie. Madame A estime
que le soutien des soignants en psychiatrie aurait été aidant pour sa fille :
« Cela aurait été moins lourd pour elle. Elle se serait dit : “On s’occupe de
maman, donc je peux m’occuper de moi”. »
La majorité d’entre elles (cinq sur neuf mères) évaluent dans l’après-coup
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avoir eu besoin d’un accompagnement spécifique prenant en compte
la prise en charge des enfants. Enfin, quatre mères ont eu leurs enfants
placés. Toutes relatent à la fois la souffrance liée à la séparation et le
bénéfice, perçu dans l’après-coup, du placement en raison de leurs hospi-
talisations itératives. Une d’entre elles exprime par ailleurs sa difficulté à
se positionner par rapport à l’assistante familiale.

Discussion
Ces résultats mettent en évidence la satisfaction de la majorité des mères
quant à leur parentalité, et ce malgré les difficultés qu’elles ont pu
rencontrer. Les difficultés évoquées sont essentiellement liées à la prise en
charge du quotidien et, pour certaines, à la responsabilité de la sécurité
de leur(s) enfant(s). Les mères dont les enfants ont été placés se montrent
plus réservées, formulant davantage les difficultés rencontrées dans leur

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rôle parental et le sentiment de ne pas avoir été soutenues par les profes-
sionnels. Il est possible d’interroger le vécu traumatique lié à la sépara-
tion et l’impact du placement sur l’évolution de la maladie psychotique.
Les résultats suggèrent également un lien entre la capacité d’insight de ces
mères et la reconnaissance de leurs difficultés. Les femmes qui ont une
capacité supérieure à quatre (bon insight) ont fait un lien entre la maladie
et les difficultés dans la prise en charge de l’enfant. Le vécu des effets
de la maladie sur la parentalité peut ainsi être différent selon la capacité
d’insight de ces mères. On pourrait alors pointer l’intérêt de développer
des actions visant à améliorer les capacités d’insight des parents dans un
but préventif (Duncan et Reder, 2003).
Cette étude laisse penser que, contrairement à ce que suggère la litté-
rature, ces mères ont désiré leur(s) enfant(s) et ont préparé leur nais-
sance. Toutefois, la moitié de ces mères considèrent la maternité comme
une période difficile. Plusieurs facteurs semblent y avoir contribué : une
absence du soutien du père de l’enfant (sept mères) et/ou une absence
d’aide des soignants (cinq mères). La dépendance du nourrisson et l’auto-
nomisation de l’enfant à l’adolescence sont particulièrement compliquées
à appréhender par les mères interrogées.
L’aide obtenue (placement, aide éducative, famille) n’est pas apparue
suffisante au regard des difficultés vécues. À l’adolescence, l’entraide au
sein de la fratrie a été bénéfique. Les enfants ont d’ailleurs été cités par
sept mères comme des personnes soutenantes dans la gestion du quoti-
dien ou sur un plan affectif. On peut toutefois questionner les effets
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de cette place laissée aux enfants dans le système familial. Des actions
de « développement parental » pourraient être proposées afin d’adapter
l’accompagnement des parents selon les besoins évolutifs de l’enfant
(Grisi, 2011). Les mères évoquent majoritairement une aide quotidienne
de la famille. Parmi les quatre mères dont les enfants ont été placés,
trois n’ont bénéficié d’aucun soutien familial. Pour celles-ci, la mesure
judiciaire semble être le seul soutien obtenu. Pourtant, le placement n’est
apparu comme aidant que dans l’après-coup. Lors de la décision du juge
des enfants, ces mères disent ne pas avoir été soutenues alors qu’elles
en auraient eu besoin. Cet élément peut interroger quant à l’adaptation
des mesures de placement au vu des difficultés vécues par les mères
présentant un trouble psychotique. Des dispositifs spécifiques prenant en
compte les hospitalisations itératives de ces parents et les troubles liés à
la maladie psychotique pourraient être pensés afin de prévenir certaines
situations de placement. Ces données font ressortir que ces mères ont eu
besoin d’un environnement, d’un accompagnement pour faire face à leur

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rôle de parent. Pourtant, en majorité, elles soulignent l’absence de soutien
de la part des soignants dans leur rôle parental, alors qu’elles étaient
accompagnées sur le plan médical.
Enfin, cette étude a mis en exergue la violence perçue au sein de la
famille. Les violences dans la fratrie ou sur le parent ont eu lieu majoritai-
rement lors de la période de l’adolescence. Il serait intéressant d’explorer
la présence de ces formes de violence au sein de fratries élevées par un
parent atteint d’un trouble mental.
Cette étude présente des limites liées notamment au nombre restreint de
sujets et à l’aspect rétrospectif des données. Ainsi, afin d’éviter les écueils
liés aux remaniements psychiques dans l’après-coup, des travaux auprès
de parents qui ont en charge des enfants mineurs seraient bienvenus.

Conclusion
Cette recherche pilote a mis en évidence les ressources et les difficultés
que peuvent rencontrer des mères présentant un trouble psychotique
dans la prise en charge de leur(s) enfant(s), notamment à des périodes
spécifiques du développement de ce(s) dernier(s). Toutefois, compte
tenu du faible nombre de sujets, les résultats doivent être considérés
avec précaution. Précisons que cette recherche a permis d’ouvrir sur un
nouveau projet d’étude s’appuyant sur un nombre plus important de
mères interrogées.
Les dispositifs d’aide ont évolué et de nouvelles pratiques permettent un
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accompagnement spécifique aux parents avec troubles mentaux. Toute-
fois, aucune étude à notre connaissance n’a encore interrogé les parents
malades concernés par ces nouveaux dispositifs. La littérature, ainsi que
les témoignages recueillis, soulignent la difficulté des malades à solliciter
de l’aide. La crainte du placement ressort souvent, ainsi que le regard
négatif de la société sur leur parentalité. Il paraît indispensable de soutenir
la parentalité partielle de ces mères en mettant en place des dispositifs où
celles-ci seraient perçues comme partenaires des professionnels, afin de
les aider à développer leurs ressources personnelles. Ce type d’interven-
tion visant à augmenter la résilience de ces parents.
Cette étude a également mis en avant l’importance des violences intra-
familiales, éléments non pressentis lors de la démarche préexploratoire.
Les faits de violence sur le parent vulnérable ou entre les enfants sont des
facteurs de risque importants pour la santé psychique de l’ensemble de
la famille. Peu d’études se sont intéressées à cette problématique, ainsi

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qu’à la place du père lorsque la mère présente une maladie mentale. Un
accompagnement de l’ensemble des membres de la famille paraît ainsi
indissociable de celui du parent malade afin de coconstruire avec elle un
espace favorable à la résilience.

Bibliographie
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Paris, Elsevier-Masson, 213-220.

L’expérience de la parentalité de mères psychotiques 109

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Annexe
Tableau récapitulant les données du dossier médical
Nom et âge Trouble diagnostiqué Situation Activité Début du suivi
familiale professionnelle par le service
de psychiatrie
Madame D. Schizophrénie Divorcée, Retraitée 1970
65 ans paranoïde 6 enfants
Madame P. Trouble bipolaire Divorcée, Sans, bénéficiaire 2001
57 ans 1 fille de l’aah*
Madame T. Psychose, délires Divorcée, Sans, bénéficiaire 2000
47 ans érotomaniaques 5 enfants de l’aah
Madame B. Mélancolie délirante Célibataire, Retraitée 1976
64 ans 2 enfants
Madame A. Trouble bipolaire Divorcée, En invalidité, 1997
55 ans 4 enfants exerçait en tant
qu’aide-soignante
Madame M. Schizophrénie Célibataire, Sans Non connu
43 ans paranoïde 5 enfants aah
Madame G. Schizophrénie Célibataire, Retraitée 1988
71 ans paranoïde 1 enfant
Madame C. Trouble bipolaire Divorcée, Sans, aah 1978
56 ans 3 enfants
Madame E. Dépression sévère avec Veuve, Retraitée 2000
60 ans délires de persécution 3 enfants
* AAH : allocation adulte handicapé.
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How mothers presenting a psychotic disorder experience parenthood

Keywords Abstract
Mother, child, Available studies on parenting of mothers diagnosed with a psychotic disor-
parenthood, psychotic der have focused primarily on their dysfunctional behaviours or on their
disorder, social support. consequences for the child. Substantial research has shown the importance
of the environment as a support to parenting. However, the literature has paid
little attention to the psychological experience of these mothers.
Through research interviews and Bourgeois’s insight Q8 scale, the present
study investigates the experience of parenthood of nine mothers receiving
adult psychiatric care, including their perception of external support later in
life once their children had in turn reached adulthood.
The results suggest partial parenting by these mothers and the need to pro-
mote appropriate support strategies targeted to specific periods of child deve-
lopment. The matter of intra-family violence is also emphasised.

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