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Abus sexuel survenu dans l’enfance et troubles

dissociatifs : le rôle médiateur de l’attachement


Raffaella Torrisi, Céline Dessarzin, Olivier Halfon, Blaise Pierrehumbert
Dans Enfance 2010/4 (N° 4), pages 433 à 442
Éditions NecPlus
ISSN 0013-7545
DOI 10.3917/enf1.104.0433
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Abus sexuel survenu dans l’enfance et troubles
dissociatifs : le rôle médiateur de l’attachement

Raffaella TORRISI*, Céline DESSARZIN, Olivier HALFON et


Blaise PIERREHUMBERT

RÉSUMÉ
Plusieurs études ont souligné que la qualité de l’attachement aurait un rôle
à jouer dans les répercussions psychologiques d’événements potentiellement
traumatiques, tels que l’abus sexuel. Cette étude se propose d’investiguer le
rôle médiateur de l’attachement sur l’association entre abus sexuel, survenu
dans l’enfance et/ou l’adolescence, et expériences dissociatives chez des femmes
adultes. Deux groupes ont été comparés, l’un de 28 femmes ayant vécu des
expériences d’abus sexuel dans l’enfance et l’autre composé de 15 femmes témoin
qui n’ont pas connu ce type d’expérience. Les femmes qui ont vécu des abus
sexuels pendant l’enfance obtiennent des scores significativement plus élevés de
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dissociation, en comparaison à des femmes témoin. Les femmes abusées ont des
scores plus élevés d’attachement « insécure » et plus particulièrement « craintif »
tels que définis dans le modèle de Bartholomew et Horowitz (1991). Finalement,
les analyses de médiation, utilisant la procédure de Baron et Kenny (1986),
indiquent que l’attachement « craintif » a un effet médiateur sur le lien entre abus
sexuel et dissociation. Cette forme d’attachement représenterait ainsi un facteur
de vulnérabilité pour des troubles dissociatifs chez des individus confrontés à des
événements potentiellement traumatisants.
MOTS CLÉS : TRAUMATISME, ABUS SEXUEL, DISSOCIATION, ATTACHEMENT

* Correspondance : Service Universitaire de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Lausanne,


SUPEA, 25a rue du Bugnon, CH-1011 Lausanne. E-mail : Raffaella.Torrisi@chuv.ch

nfance n◦ 4/2010 | pp. 433-442


434 Raffaella TORRISI

ABSTRACT
Several studies have shown that the quality of attachment could play a role
in the individual’s response to a potential traumatic event, such as sexual
abuse. The purpose of this study is to explore the role of attachment as a
potential mediator in the relationship between a history of childhood sexual
abuse (CSA) and clinical outcomes, namely dissociative experiences, among adult
women. A sample of 28 women who experienced CSA was compared to a
control group of 15 women without CSA, aged 19-45. Subjects responded about
their experience of sexual abuse, attachment style and dissociative experiences.
Results indicate, firstly, that women with CSA had significantly higher scores
of dissociation. Secondly, CSA was associated with significant higher scores of
insecure attachment, as described by Bartholomew and Horowitz’s model (1991).
Finally, the mediation analysis using Baron and Kenny’s procedure (1986) showed
that insecure fearful attachment mediates the relationship between CSA and
dissociation. It is concluded that fearful attachment may represent a factor of
vulnerability for CSA survivors, regarding dissociative symptoms.
KEY-WORDS: TRAUMA, SEXUAL ABUSE, DISSOCIATIVE EXPERIENCES, ATTACHMENT STYLE
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Abus sexuel survenu dans l’enfance et troubles dissociatifs : le rôle médiateur de l’attachement 435

La littérature s’accorde aujourd’hui sur l’idée qu’une expérience de maltraitance


pendant l’enfance peut profondément affecter le psychisme d’un individu et
avoir des conséquences significatives sur son développement. Bien qu’il ne soit
pas possible à ce jour de mettre en évidence chez l’adulte une constellation de
symptômes spécifiques à l’abus sexuel, plusieurs types de pathologies peuvent
y être associés, par exemple la dépression, les troubles anxieux ou l’état de
stress post-traumatique (Cohen, Browns, & Smailes, 2001 ; Zanarini, Ruser,
Frankenbug, Hennen, & Gunderson, 2000). Nous avons choisi d’aborder cette
question au travers de l’association potentielle entre abus sexuel, phénomènes
de dissociation et qualité de l’attachement. Plusieurs raisons ont guidé ce
choix. Premièrement, certains travaux ont montré la présence de phénomènes
dissociatifs importants chez des individus ayant une histoire de maltraitance (Chu,
Frey, Ganzel, & Matthews, 1999). Deuxièmement, d’autres études ont constaté
que la qualité de l’attachement avait une influence sur le risque de développer des
pathologies ultérieures chez les victimes (Muller, Sicoli, & Lemieux, 2000). Le but
de ce travail est alors de savoir si l’attachement peut jouer un rôle médiateur dans
l’occurrence de symptômes dissociatifs chez des femmes adultes victimes d’abus
sexuels dans leur enfance et/ou dans leur adolescence.
Plusieurs travaux relèvent que le fait de vivre un événement à portée trauma-
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tique peut avoir des répercussions ultérieures sur la régulation émotionnelle −
surtout si cet événement s’est produit dans l’enfance ou l’adolescence, alors
que les capacités de régulation des émotions et la formation de l’identité sont
encore fragiles (Stovall-McClough, & Cloitre, 2006) − sur la perception de soi
et sur les relations interpersonnelles (Neufeld, Moran, & Pederson 2007). Les
enfants ayant subi de la maltraitance ont été soumis à des émotions intenses
incluant l’angoisse et le sentiment d’impuissance (Neufeld Bailey et al., 2007).
Dans le cas de l’inceste, l’environnement ne permet pas à l’enfant d’intégrer
des moyens appropriés, adaptés à son âge, pour gérer ces émotions intenses.
Il arrive régulièrement que l’enfant confronté à ce type d’événement recoure
à des mécanismes tels que l’agression, l’évitement ou la dissociation afin de
réguler les affects qui menacent de le déborder. Les troubles dissociatifs sont
considérés comme un mécanisme défensif résultant de l’exposition précoce à
une expérience traumatique. Ils constitueraient alors une capacité à dissocier les
affects véhiculés par une situation abusive (Mrazek & Mrazek, 1987), se traduisant
chez les victimes par une mise à distance des émotions (Neufeld Baily et al.,
2007). Il a été constaté que face à l’état d’angoisse, les enfants abusés tendraient
à développer des symptômes dissociatifs pour réguler leurs émotions (Putnam,
1993).
Nous savons également que l’attachement est impliqué dans la régulation
des émotions. Si les enfants avec une relation d’attachement sécure envers ses
principaux pourvoyeurs de soins expriment des compétences plus élevées dans
différents domaines, notamment social et émotionnel, relativement aux enfants
dits insécures, ce serait grâce à leur meilleure capacité à réguler leurs émotions ;
en effet, ces enfants seraient plus disponibles pour la résolution des difficultés

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436 Raffaella TORRISI

auxquelles ils sont confrontés, n’ayant pas à s’inquiéter de leur sécurité. Ces
derniers bénéficieraient d’une image de soi, comme d’une image des autres,
plus positive. Au contraire, les enfants avec une relation d’attachement insécure
tendraient à développer d’une part, un sentiment d’être rejetés et d’autre part, la
notion que les relations sont frustrantes ; ou encore ils adopteraient une attitude
ambivalente ou dépendante à l’égard des autres (Miljkovitch, 2001).
Il a, par ailleurs, été montré que l’abus sexuel, comme la maltraitance
en général, pouvait avoir des effets néfastes sur l’attachement (Carlson,
Cicchetti, Barnett, & Braunwald, 1989 ; van IJzendoorn, Schuengel, &
Bakermans-Kranenberg, 1999). À son tour, l’attachement − en l’occurrence
l’attachement désorganisé-désorienté− prédit l’existence de comportements
dissociatifs à l’âge scolaire (Michelson & Ray, 1996 ; Carlson & Sroufe, 1995).
En conséquence, on peut supposer que l’attachement pourrait jouer un rôle
intermédiaire entre les événements traumatisants et la psychopathologie (Muller
et al., 2000).

OBJECTIFS
Nous avons considéré l’hypothèse selon laquelle l’attachement chez les personnes
ayant fait l’expérience d’événements potentiellement traumatisants, tels que l’abus
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sexuel dans l’enfance et/ou dans l’adolescence, viendrait médiatiser la réponse
de l’individu à l’agression sexuelle, en termes de vulnérabilité à des symptômes
dissociatifs. En ce sens, nous pensons que les personnes abusées ayant un style
d’attachement insécure auront tendance à avoir plus systématiquement recours
au mécanisme de dissociation.
Procédure
Participants
Notre étude considère deux groupes. D’une part, un groupe « abus » composé
de 28 femmes âgées de 20 à 45 ans ayant subi des abus sexuels, ponctuels ou
répétés, dans leur enfance ou leur adolescence. Ces personnes ont été recrutées
au travers de différentes associations prêtant assistance aux victimes. D’autre part,
un groupe « témoin » composé de 15 femmes âgées entre 19 et 45 ans n’ayant pas
subi d’abus sexuels.
Instruments
Nous avons proposé trois questionnaires auto-administrés destinés à évaluer
1. la sévérité de l’abus sexuel : Early Trauma Inventory (ETI : Bremner, Vermetten
et Mazure, 2000) ; 2. les expériences de dissociation : Dissociative Experience
ScaleII (DESII : Bernstein et Putnam, 1986 ; Frischolz, Braun, Sachs, Schwartz,
Lewis, Schaeffer, Westergaard, & Pasquotto, 1991) ; traduction en français par
Malarewicz, 1986 et 3. les styles d’attachement : Relationship Scales Questionnaire
(RSQ : Bartholomew & Horowitz, 1991).
Le questionnaire ETI évalue 4 domaines liés à la maltraitance : les abus
physiques, émotionnels, sexuels ainsi que les expériences traumatiques générales,
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comme les deuils ou les accidents. Il permet d’attribuer un score de sévérité, en


l’occurrence, de l’abus sexuel. Nous avons utilisé ce questionnaire afin de vérifier
que les sujets des groupes « abus » et « témoin » remplissaient bien les critères
d’inclusion dans leurs groupes respectifs.
Le questionnaire DES II est composé de 28 items qui évaluent la
fréquence des expériences dissociatives vécues par le sujet. Celles-ci incluent
des expériences d’amnésie, de dépersonnalisation, de déréalisation, d’absorption
et d’implication imaginative. Ce questionnaire permet de déterminer un score
d’expériences dissociatives
Enfin, le questionnaire RSQ se compose de 35 items, qui fournissent quatre
scores sous une forme dimensionnelle des styles d’attachement : 1. sécure, 2.
insécure « préoccupé », 3. insécure « détaché » et 4. insécure « craintif ». Le
style secure reflète un modèle positif de soi et des autres. La dimension insecure
« préoccupé » reflète un modèle de soi négatif et un modèle des autres positif. Le
style insecure « détaché » reflète, lui, un modèle de soi positif et un modèle négatif
des autres. Le style insécure « craintif » correspond à un modèle négatif de soi et
des autres.

Résultats
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L’analyse de médiation (Baron & Kenny, 1986) se définit selon quatre étapes
réalisées à l’aide d’analyses de régression : 1. illustrer que la variable indépendante
(présence ou non de l’abus sexuel) est corrélée avec la variable dépendante
(score de dissociation) ; 2. établir que la variable indépendante (présence ou
non de l’abus sexuel) est corrélée avec la supposée variable médiatrice (scores
d’attachement) ; 3. déterminer que la variable supposée médiatrice (scores
d’attachement) est associée avec la variable dépendante (score de dissociation)
et enfin 4. vérifier l’effet de médiation, c’est-à-dire que la relation entre la variable
indépendante (présence ou non d’abus sexuel) et la variable dépendante (score
de dissociation) s’atténue significativement lorsque l’on introduit la variable
supposée médiatrice (score d’attachement) dans le modèle de régression. Si ces
conditions sont remplies, l’hypothèse selon laquelle l’attachement aurait un effet
médiateur sur le lien entre l’abus et la dissociation est vérifiée. Étant donné qu’il y
a quatre scores d’attachement l’analyse sera répétée pour chaque dimension, soit
quatre fois.
Nous avons donc premièrement cherché la présence d’un lien entre abus
sexuel et dissociation. Conformément à nos attentes, l’analyse de régression
montre la présence d’un lien significatif entre le fait d’avoir été agressé
sexuellement pendant l’enfance et/ou l’adolescence et un plus haut score de
dissociation (β 1 = 0,377, p < 0,05, R2 = 0,142).
Nous avons ensuite évalué la présence d’un lien entre le fait d’avoir été abusé
et l’attachement. Nous avons procédé à quatre régressions, pour les quatre scores
décrivant les différents styles d’attachement. Conformément à notre attente, les
sujets abusés pendant l’enfance présentent un attachement insécure à l’âge adulte,
les sujets abusés sexuellement obtiennent un score significativement moins élevé

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de sécurité par rapport aux sujets du groupe témoin (β 2 = -0,308, p < 0,05, R2
= 0,095). Deux des trois scores d’attachement insécure sont significativement
plus élevés chez les sujets du groupe « abus » lorsqu’on les compare au groupe
« témoin » : l’analyse de régression montre un lien significatif entre une expérience
d’abus dans l’enfance et le score d’attachement « craintif » (β 2 = 0,528, p < 0,001,
R2 = 0,279) ainsi que le score d’attachement « préoccupé » (β 2 = 0,439, p < 0,05,
R2 = 0,190) ; pour l’attachement « évitant », les résultats de l’analyse de régression
ne sont pas significatifs (β 2 = -0,126, p > 0,05, R2 = 0,016). Les deux premiers
critères de l’analyse de médiation sont ainsi remplis pour l’attachement « sécure »,
« craintif » et « préoccupé » puisque l’abus est associé à la dissociation et, par
ailleurs, à ces trois scores d’attachement.
Nous avons alors déterminé si les scores d’attachement étaient associés à la
dissociation. Puisqu’à la fois les scores d’attachement et les scores de dissociation
sont tous influencés par le fait d’avoir ou non subi un abus sexuel, il s’agit
d’évaluer le lien entre attachement et dissociation en contrôlant l’effet de l’abus.
Les résultats de l’analyse de régression − prédisant la dissociation à partir
des scores d’attachement « sécure », « préoccupé » et « craintif », lorsque la
présence/absence de l’abus sexuel est contrôlée − ne montrent un lien significatif
que pour l’attachement « craintif » : (β = 0,404, p < 0,05) ; par contre, pour
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l’attachement « sécure » (β = -0,173, p > 0,05), et l’attachement « préoccupé »
(β = 0,029, p > 0,05), cette association n’est pas significative.
Nous pouvons ainsi passer à la dernière étape, destinée à évaluer si
l’attachement présente un effet médiateur dans la relation entre l’abus sexuel
et la dissociation. L’effet de l’abus sur la dissociation doit être significativement
atténué lorsque l’on évalue cette association en contrôlant l’effet de l’attachement.
Cette dernière analyse ne se fera qu’avec l’unique score d’attachement montrant
un lien significatif à la fois avec l’abus et la dissociation, soit l’attachement
« craintif ». L’introduction de ce score dans la régression prédisant les troubles
dissociatifs à partir de l’abus, réduit la force de ce lien : de β = 0,377
(valeur trouvée dans la première étape), il tombe à β = 0,164 (p > 0,05).
Cette atténuation du lien en contrôlant l’effet de l’attachement « craintif » est
significative statistiquement ; c’est ce qui confirme le test de Sobel, qui vérifie
la significativité du modèle de médiation. Les valeurs utilisées pour ce test
sont les suivantes : B (unstadardized) = 1,05 (sdt.err = 0,26) pour la relation
abus/attachement « craintif » ; B (unstadardized) = 7,65 (std.err = 2,10) pour
la relation attachement « craintif »/dissociation. Le résultat du test de Sobel
est : S = 2,70 (p < 0,01). Ces résultats nous permettent de conclure que
l’attachement insécure « craintif » explique une partie du lien entre l’abus sexuel et
les phénomènes de dissociation, confirmant ainsi en partie notre hypothèse d’une
médiation de l’attachement dans les effets de l’abus sur les troubles dissociatifs.
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ATTACHEMENT
CRAINTIF
p < 0,01 p < 0,01
ß2 = 0,528 ß = 0,404

ABUS/
PAS ABUS DISSOCIATION
ß1 = 0,377
p < 0,05

ß3 = 0,164
p < 0,05

Figure 1.
Schéma de la médiation de l’attachement craintif.

DISCUSSION
Abus sexuel et dissociation
Nous avons fait l’hypothèse, en accord avec plusieurs études (Chu et al.,
1999 ; Vanderlinden et al., 1991) qu’une histoire d’abus sexuel entraînait un
risque de dissociation. Dans notre échantillon, les femmes qui ont été abusées
pendant l’enfance ou l’adolescence obtiennent en effet, en moyenne des scores
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significativement plus élevés à l’échelle de symptômes dissociatifs (DESII). En
d’autres termes, l’enfant ou l’adolescent abusé sexuellement apprendrait à se
détacher de son vécu douloureux en se dissociant de la situation et cette tendance
se prolongerait tout au long de l’adolescence et à l’âge adulte (Neufeld Baily et
al., 2007). Ce manque d’intégration est considéré comme pouvant provoquer des
distorsions au niveau de la représentation de soi et des autres, ce qui viendrait
s’ajouter aux effets du traumatisme lui-même. Ce mécanisme empêcherait à
long terme le développement d’un sentiment de soi cohérent et solide, rendant
l’individu vulnérable au développement de pathologies psychiques ultérieures
(Neufeld Baily et al., 2007).

Abus sexuel et représentations d’attachement


En accord avec la littérature (Carlson et al., 1989 ; van IJzendoorn et al., 1999)
nous avons émis l’hypothèse que l’abus peut affecter la qualité de l’attachement
(Muller et al., 2000). Les résultats confirment que les femmes qui ont une histoire
d’abus sexuel ont un score significativement plus bas d’attachement « sécure » et
plus élevés d’attachement insécure « préoccupé » et « craintif ».

L’attachement comme facteur médiateur


L’hypothèse également suggérée par la littérature (Liotti, 1992 ; Carlson et al.,
1989 ; Stovall-McGlough, & Cloitre, 2006) selon laquelle l’attachement jouerait
un rôle médiateur (de protection ou de vulnérabilité) dans le lien entre
l’expérience d’abus sexuel et la dissociation n’a été que partiellement confirmée
dans cette étude. Le rôle médiateur de l’attachement sécure n’a effectivement pas
pu être envisagé du fait que cette dimension n’était pas corrélée significativement

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440 Raffaella TORRISI

à la dissociation (lorsque l’effet de l’abus était contrôlé). De ce fait, nous


ne pouvons pas conclure que la sécurité de l’attachement aurait un effet de
protection, dans le lien entre l’abus sexuel et dissociation. En ce qui concerne
les dimensions de l’attachement insécure, les analyses de médiation n’ont pas
donné de résultats significatifs pour l’attachement « préoccupé » et « évitant ».
Cependant, nous avons pu établir clairement que l’attachement « craintif » joue
bien un rôle médiateur entre une histoire d’abus sexuel et les phénomènes
de dissociation. Ce résultat peut s’expliquer par la spécificité de l’attachement
« craintif ». Selon Bartholomew et Horowitz (1991), les individus avec un
attachement craintif se caractérisent par un modèle de soi comme des autres
négatif. Ils manifestent, de manière générale, un niveau élevé d’anxiété et tendent
à éviter la proximité avec les autres personnes. On pourrait alors comprendre que
ces individus, n’ayant pu bénéficier d’une relation sécurisante au cours de leur
enfance ou de leur adolescence, en raison ou non d’un traumatisme, n’ont pas pu
développer des stratégies efficaces pour réguler leurs émotions. En l’absence de
ressources à la fois internes et externes les individus présentant un attachement
craintif auraient ainsi plus tendance à avoir recours à la dissociation comme
mécanisme de défense face au traumatisme. Or, la dissociation ne serait pas, à
long terme une stratégie efficace pour faire baisser l’anxiété car elle empêcherait
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l’intégration de l’expérience traumatique et rendrait l’individu vulnérable au
développement de troubles psychiques. En ce sens, l’attachement craintif peut
apparaître comme un facteur de vulnérabilité chez des personnes traumatisées.

Limites de l’étude
Cette étude comporte évidemment un certain nombre de limites. Premièrement,
la petite taille de l’échantillon et sa limitation géographique ne permettent pas
de généraliser les résultats ; d’autre part, elle ne confère pas suffisamment
de pouvoir statistique aux analyses, risquant d’occulter la présence de liens
significatifs. Deuxièmement, la nature rétrospective de notre étude et le fait que
certains questionnaires soient directement remplis par les participantes rendraient
celle-ci susceptible à des biais dus, par exemple, à une remémoration sélective
des événements ou à une vision altérée. D’autres études sont nécessaires pour
mieux comprendre le rôle médiateur de l’attachement, de même que celui d’autres
facteurs médiateurs potentiels, dans l’association entre l’abus sexuel et les troubles
psychologiques. Des résultats tels que ceux de cette étude pourraient améliorer
la prise en charge et le traitement des victimes présentant une symptomatologie
dissociative, dans le sens de favoriser le développement de meilleures capacités
ou stratégies de régulation des émotions.

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© NecPlus | Téléchargé le 09/02/2024 sur www.cairn.info par SANDRINE BONNEFONT (IP: 104.250.8.86)

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