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Des médiations au service d'un groupe de jeunes

adolescents
Nicole Catheline
Dans Enfances & Psy 2002/3 (n o19), pages 63 à 70
Éditions Érès
ISSN 1286-5559
ISBN 2-7492-0022-9
DOI 10.3917/ep.019.0063
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Nicole Catheline
Des médiations
au service d’un groupe
de jeunes adolescents

La prime adolescence (11-15 ans) constitue une Nicole Catheline, psychiatre,


période de grande vulnérabilité au plan développe-
mental. L’angoisse liée aux transformations corporelles, praticien hospitalier au Centre
la nécessité de quitter l’enfance et d’aller à la rencontre
des pairs ainsi que les modifications de la pensée hospitalier Henri-Laborit,
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(l’acquisition de l’abstraction) sont autant d’éléments à Poitiers, est le médecin
difficiles à intégrer pour le jeune adolescent. L’une des
traces de ces difficultés est la survenue de troubles du responsable de la structure
comportement dont l’apparition en milieu scolaire est
souvent à l’origine d’une demande de consultation Mosaïque, accueil thérapeutique
pédopsychiatrique. Ce symptôme est à comprendre
comme l’expression d’un changement difficile à de jour à temps partiel
négocier. « Ce doit être l’adolescence », disent
pour adolescents.
d’ailleurs les parents accablés.
Or, dans ce contexte de vulnérabilité, les approches
individuelles sont difficiles à mettre en place hormis le
psychodrame individuel. Pourtant les risques sont impor-
tants, tant au plan social (risque d’orientation scolaire
inadaptée) qu’au plan individuel (refus de mise en œuvre
des processus de pensée abstraite et recours privilégié à
la recherche des sensations au détriment des émotions).
Dans un article récemment paru, nous postulions que la
précession des modifications de la pensée cognitive sur les
transformations pubertaires pouvait constituer un bastion
de sécurité face à ces changements de la prime adoles-
cence. Nous avons sur cette hypothèse bâti un projet insti-
tutionnel destiné à relancer les processus de pensée.
Notre idée était que la capacité à pouvoir se
demander ce que l’autre voulait ou attendait permettait
de jeter les bases du processus de subjectivation au sens

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Travailler avec les groupes

de Raymond Cahn. Pour cela, nous référant à l’expérience des


unités du soir mise en place par René Diatkine au début des
années 1980, nous proposions aux adolescents de venir dans un
lieu où se retrouvaient, dans un cadre institutionnel, des adultes
et des adolescents, réunis par une activité. Nous nous sommes
également appuyés sur les travaux des thérapeutes de groupe
(Privat, Chapelier). Marcelli à leur suite postule que « le groupe
thérapeutique correspond aux besoins pulsionnels et aux
défenses caractéristiques de cet âge. Le groupe donne à l’ado-
lescent à la fois une protection, une possibilité de régression,
mais aussi un étayage identificatoire de transition ».
Néanmoins, travaillant en service public et accueillant dans
l’institution des adolescents tout au long de l’année, nous ne
pouvions pas travailler en groupe fermé, et, par ailleurs,
recevant de très jeunes adolescents, voire des préadolescents,
dès 11-12 ans, l’utilisation d’objets de médiation, comme chez
les enfants plus jeunes, nous a semblé plus adaptée.

Mosaïque, accueil Deux soignants (soit deux infirmiers, soit un infirmier et un


autre thérapeute : psychomotricien, orthophoniste ou psycho-
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thérapeutique de jour pour
adolescents, est ouvert tous logue) encadrent l’activité. Quelques groupes sont aussi animés
les jours de l’année, sauf par un infirmier et l’enseignante spécialisée.
durant la période entre
Noël et jour de l’an et
Au niveau institutionnel, le choix de l’activité à médiation
pendant trois semaines de dépend de la formation des personnes qui souhaitent mettre en
fermeture en été (entre le place cette activité. Tous les soignants doivent être bien formés
20 juillet et le 15 août), du à l’activité (formation proposée par l’hôpital le plus souvent,
lundi au vendredi de 8 h 30 mais aussi compétences ou diplômes personnels). Ce prérequis
à 17 h. Il s’agit d’une est indispensable pour limiter les inévitables régressions liées
institution, et à ce titre, le au groupe, la bonne maîtrise d’une technique permettant de
repas de midi peut y être poser rapidement un cadre.
pris. Mosaïque est une
sructure plus ouverte qu’un Au plan individuel, lors de l’admission, les ateliers sont
CATTP, dans lequel choisis en fonction de quatre critères, dans l’ordre : l’intérêt
l’adolescent ne vient que annoncé par l’adolescent pour cette activité, la faisabilité par
pour l’activité rapport à son emploi du temps (certains cours sont plus diffi-
thérapeutique, et il existe ciles à manquer que d’autres, que ce soit pour l’adolescent ou
d’authentiques temps pour les parents), le projet thérapeutique, enfin la pertinence
institutionnels, informels, au
en fonction des autres adolescents déjà présents sur le groupe.
cours desquels les
Dans le courant de la prise en charge qui dure en moyenne
adolescents choisissent eux-
mêmes leur activité, seul ou
dix-huit mois à deux ans, il peut y avoir des changements de
en groupe : le baby-foot a groupe (médiateur qui ne convient plus, groupe qui se
beaucoup de succès ainsi termine, etc.). À ce moment du suivi, le choix de l’atelier se
qu’un jeu, récent, de fait prioritairement par rapport au projet thérapeutique, il est
fléchettes avec comptage expliqué et discuté avec l’adolescent : par exemple, souhait de
électronique des points. travailler plus sur l’extérieur, proposition de travailler sur
Mais les adolescents l’histoire familiale ou sur la relation au corps.

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Ces groupes d’adolescents (environ 26 par semaine,


accueillant 70 à 75 adolescents) fonctionnent au milieu du
groupe des adultes. Les adultes sont là en permanence, toujours
les mêmes du matin au soir (en dehors des périodes de congés
bien évidemment). Les adolescents savent que les adultes se
réunissent pour parler d’eux lors des synthèses ou des supervi-
sions.
L’institution a pour fonction de contenir à la fois les groupes
des adolescents et celui des adultes. Deux personnes gèrent
l’institution sur le modèle d’un couple soignant : le médecin et
le cadre-infirmier.

LES ENJEUX THÉRAPEUTIQUES

Il s’agit de relancer les processus de pensée de ces jeunes


adolescents. Une preuve de leur difficulté à se penser est le fait
qu’ils ont presque tous des difficultés scolaires. Ce symptôme
bien que surreprésenté peut être soit isolé soit facteur de co-
morbidité d’un état dépressif ou d’une angoisse de séparation. euvent aussi lire dans le salon,
Certains jeunes adolescents nous sont adressés pour des diffi-
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écouter de la musique ou
cultés d’intégration avec leurs pairs, parfois aussi pour des faire un jeu de société. Ils
troubles débutants des conduites alimentaires. peuvent discuter entre eux,
parfois même « faire des
Notre dispositif fonctionne sur plusieurs niveaux qui
bêtises ». Ils peuvent s’ils le
s’emboîtent les uns dans les autres comme les poupées russes. désirent solliciter un adulte
Au plan individuel, plusieurs éléments du cadre permettent pour faire une activité avec
de faciliter l’expression de la pensée. eux.
L’utilisation d’un médiateur permet d’éponger l’excitation L’admission se fait sur
consultation médicale et
de la relation : quand les mains sont occupées, la tête est plus
commence par une période
libre. Nous disposons de quatre catégories d’ateliers de manière d’essai, premier élément de
à pouvoir répondre aux possibilités de chacun ; négociation, qui dure environ
– des ateliers à médiation manuelle : atelier de construction 5 semaines, soit 10 séances.
manuelle (maquettes, broderie, perles, atelier de réparation de Les adolescents sont admis sur
mobylette, atelier art-cyclage, atelier cuisine) ; un groupe ouvert. Le nombre
– des ateliers à médiation corporelle : activités sportives, d’adolescents accueillis sur le
gymnastique douce, maquillage, relaxation, club santé, groupe varie de 2 à 6
maquillage esthétique ; maximum. D’une séance à
– des ateliers à médiation culturelle : atelier socialisation (réali- l’autre, les adolescents restent
les mêmes, mais il peut y avoir
sation de projet de sorties dans le centre-ville, de visites,
de nouveaux arrivants tant
d’exposition), atelier échecs, atelier réflexion scolaire, atelier que le groupe n’est pas au
culturel, atelier informatique ; complet. De même, il peut y
– enfin, des ateliers à médiation imaginative et créatrice : atelier avoir des sorties du groupe
collage et modelage, ateliers d’écriture, atelier contes et mytho- lorsque parents et/ou
logies, atelier expression (beaux-arts), atelier dessin, atelier adolescents après consultation
vidéo (réalisation d’un court-métrage), atelier photo, atelier médicale, décident de quitter
musique. Lorsque le personnel soignant n’est pas suffisamment l’institution.

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formé pour mener de bout en bout l’activité, nous demandons à


des tiers spécialistes (professeur de beaux-arts, professeur de
musique), recrutés par vacations, de participer à l’atelier. Celui-
ci peut alors se dérouler à l’extérieur de l’institution. Quelques
ateliers pour des raisons de faisabilité se déroulent d’ailleurs à
l’extérieur, signifiant par là même la volonté d’intégration de ce
travail dans la vie quotidienne. De plus, il nous paraît important
de sensibiliser les jeunes aux beautés du monde qui peuvent
constituer un support pour l’investissement de la pensée propre.
Ces jeunes adolescents rencontrant en effet des difficultés dans
les investissements sublimatoires, les beautés du monde
peuvent représenter un temps intermédiaire avant la mise en
œuvre de processus plus secondarisés.
Le déploiement de la relation dans un espace clos et bien
repéré (celui de la salle où se déroule l’activité). Quatre pièces
dans l’institution servent aux ateliers. Sur la porte de chacune
d’entre elles, les activités qui s’y déroulent sont affichées. Nous
nous sommes rendu compte qu’il était très important d’associer des
activités à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution. Lorsqu’un
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adolescent participe à deux ateliers se déroulant à l’extérieur, son
intégration dans l’institution est beaucoup plus difficile.
Mais aussi la possibilité pour l’adolescent de se positionner
dans cet espace selon sa convenance, son humeur du moment.
Il peut ainsi tourner le dos à l’adulte, se rapprocher ou s’éloi-
gner des autres adolescents. Cette liberté de mouvement, la
possibilité aussi de demander ou non l’aide d’un adulte ainsi
que celle de parler ou d’écouter confèrent à l’adolescent un rôle
actif. Cela lui permet d’échapper au sentiment de dépendance.
Il ne lui est demandé aucune production, il est respecté dans son
désir s’il ne souhaite rien faire, même s’il est encouragé à
essayer quelque chose.
Au plan individuel, on peut considérer que la mise en place
de ce cadre met l’adolescent en condition de pouvoir utiliser sa
pensée sans trop de crainte.
2. Au niveau institutionnel, le fonctionnement de l’institu-
tion constitue une métaphore du fonctionnement psychique.
Chacun des temps de la prise en charge représente un des
aspects de ce fonctionnement.
Ainsi, avant toute admission, les adolescents visitent l’insti-
tution avec leurs parents. Il s’agit pour nous de proposer une
première représentation du dispositif. Au cours de cette
première visite nous exigeons que les parents s’accordent un
temps de réflexion avant de donner leur réponse. Être capable

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de différer constitue un temps important. Lors du choix des


ateliers, la négociation ou plutôt les négociations sont menées
par le cadre infirmier. Être capable de négocier, de hiérarchiser
les priorités (soins ou cours de mathématiques) montre de la
part des parents et de l’adolescent un réel désir de changement.
Le « coût » que représente cet investissement (il faudra que
l’adolescent récupère les cours manqués, même s’il est aidé par
l’établissement scolaire qui doit veiller à lui faciliter la tâche)
dénote un engagement.
La représentation, la négociation et la capacité à différer
sont ainsi d’emblée annoncées comme constituant le fil rouge
de l’institution.

LES ÉCHANGES

Durant la prise en charge, les autres temps forts sont consti-


tués par la discussion régulière, tous les deux mois environ, lors
d’un rendez-vous médical, sur les attitudes et les comporte-
ments de l’adolescent observés par les adultes durant les
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ateliers ou les temps de vie institutionnelle. Chacun donne son
point de vue sur les observations des uns et des autres, aussi
bien les adultes – les parents, l’infirmier référent – que l’ado-
lescent. Il revient au médecin d’élaborer devant l’adolescent et
ses parents une hypothèse sur ce qui s’est passé au cours de ces
derniers temps. Cette hypothèse de travail peut être discutée,
approuvée ou invalidée. Nous constatons au fur et à mesure des
entretiens que l’adolescent prend de plus en plus la parole pour
exprimer son accord ou son désaccord. Cette capacité à
formuler des hypothèses puis à les confronter avec le vécu du
sujet permet de notre point de vue l’instauration d’une bonne
distance dans la relation objectale. Outre le fait qu’elle introduit
la notion de doute (« Est-ce vraiment cela que je pense ? »), elle
permet de nuancer un jugement en prenant un avis auprès de
chacun des intervenants. Or, nombre d’adolescents souffrent
d’une difficulté à ajuster les liens affectifs avec leurs parents et
les adultes qui sont des substituts parentaux. En « déplissant »
le raisonnement, le médecin modélise le fonctionnement
psychique, dans des allers-retours entre l’avis de chacun et le
sien propre. En outre, le moment du rendez-vous médical qui
associe dans une même pièce les parents (les deux sont
vivement souhaités et très souvent présents), l’adolescent,
l’infirmier référent et le médecin constitue, pour un temps, un
groupe. En effet, durant le temps de l’entretien (trois-quarts
d’heure, 1 heure), on voit des alliances se faire et se défaire,
permettant de parler de groupe transitoire.

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LA DYNAMIQUE DU GROUPE

Notre fonctionnement ne nous permet pas de constituer des


groupes fermés. Nous ne pouvons donc pas nous appuyer sur
les ressorts des groupes thérapeutiques pour enfants et adoles-
cents tels qu’ils ont été décrits par Privat et Chapelier. En
revanche, nous pensons que les groupes ouverts, à condition
qu’ils soient enclos dans une institution, pouvaient offrir un
espace propice à l’utilisation des processus de pensée. Même si
les mouvements psychiques sont moins nets dans nos groupes
que dans les groupes fermés, nous en constatons cependant
l’existence. Comme dans tout groupe d’adolescents, le dispo-
sitif permet de dégager l’adolescent des liens qui l’unissent à la
famille et permet l’élaboration de relations objectales.
L’identité groupale constitue une première identité transitoire
avant de pouvoir trouver la sienne propre. Dans nos groupes
ouverts, « l’idéal groupal » est porté par les plus anciens du
groupe qui, souvent, racontent l’histoire de ceux qui en sont
partis. La temporalité vient prendre la place de l’espace comme
constituant du groupe. Mais à la différence de ce que l’on
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observe dans les groupes fermés, où les adolescents, pour
maintenir l’idéalisation du groupe, s’unissent pour expulser le
thérapeute afin de ne pas être confrontés au deuil et à la perte,
dans nos groupes, l’idéal groupal peut englober par moment les
soignants, ces derniers basculant alors du côté des enfants.
Adolescents et soignants se retrouvent ensemble face à leurs
« parents », le couple médecin-cadre infirmier.
Les infirmiers sont donc à l’interface des deux types de
groupes : ceux des adolescents et celui des adultes. Ce rôle
privilégié les met au centre des processus d’identification. Ils
sont en effet à la fois proches et distants. Ils partagent les
activités du groupe, mais font aussi partie de l’autre groupe,
celui des adultes. Ils sont un peu comme des « grands frères ».
Le fonctionnement du groupe en institution s’apparente
d’ailleurs plus à celui d’une famille dans laquelle les frères et
les sœurs revendiquent à la fois leur différence et l’attention de
leur parents. Dans nos groupes, la rivalité est d’ailleurs au cœur
des enjeux relationnels. Cette rivalité concerne également les
soignants qui ont demandé une supervision pour pouvoir
aborder, en groupe, les rivalités qui les animent.

LE MOMENT DE SE SÉPARER,
QUAND L’ACTIVITÉ DE PENSÉE EST RELANCÉE

L’approche thérapeutique des jeunes adolescents demeure,


de notre point de vue, insuffisamment développée. Le psycho-

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drame psychanalytique individuel est coûteux en temps et en


personnel (cinq thérapeutes en moyenne pour un adolescent).
Compte tenu des enjeux de cette période, à savoir les processus
de réajustement des liens avec les parents permettant l’engage-
ment dans une pensée réflexive (une pensée sur ses pensées), il
nous a paru intéressant d’explorer d’autres types de prise en
charge.
L’instauration de groupes thérapeutiques ouverts mais utili-
sant un objet de médiation au sein d’une institution à temps
partiel dirigée par un couple soignant médecin-cadre infirmier
nous a semblé adéquate. L’originalité du système tient à l’orga-
nisation en forme de poupées russes (chaque groupe s’emboîte
dans l’institution) et aussi à la souplesse du fonctionnement des
groupes. Tantôt ils fonctionnent de manière étanche, tantôt ils
s’ouvrent et se mêlent à d’autres groupes, un peu comme dans
la vie où l’on peut appartenir à plusieurs groupes. L’adolescent
va du groupe familial (groupe ouvert associant les générations)
au groupe fermé de ses amis (de la même génération). Ce
changement est cependant institutionnalisé, c’est-à-dire
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organisé de manière très stricte et symboliquement hiérarchisé
(lors des rendez-vous médicaux). Cette circulation et les
identités provisoires que se constituent les adolescents lors de
leur passage dans l’institution permettent ainsi d’ajuster les
liens aux parents et aux adultes. Nous observons de ce fait un
effet positif souvent assez rapide et quelquefois spectaculaire à
propos du comportement de l’adolescent au sein de son collège.
Dans un second temps seulement, l’activité de penser pourra
être relancée. Nous en voyons la trace lorsque l’adolescent
arrive à évoquer son point de vue de manière sereine et en
présence de ses parents lors des rendez-vous médicaux. Il peut
se remémorer son état à l’entrée dans l’institution et mesurer
alors le chemin parcouru. Lorsque l’adolescent en est là, il a de
commencé à notre avis le processus de distanciation avec ses
parents, car il ose affirmer son point de vue sans crainte de
l’attitude parentale. En outre, cette capacité de retour en arrière,
cette inscription dans la temporalité – qui bien souvent se
traduit aussi par l’apparition de projets professionnels plus
précis –, signe une capacité de mentalisation. C’est le moment
de nous séparer.

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BIBLIOGRAPHIE
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CHAPELLIER, J.-B. ; PRIVAT, P. 1987. « De la constitution d’un espace thérapeutique
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Mots-clés RÉSUMÉ
Prime adolescence, Le recours à des groupes thérapeutiques utilisant un objet de
pensée, médiateur, médiation, se déroulant au sein d’institution de jour et fonction-
groupes nant à temps partiel, constitue une alternative aux thérapies
thérapeutiques, proposées au jeune adolescent (11-15 ans). Ces derniers
institution. manifestent bien souvent une douleur à penser qui génère des
troubles en milieu scolaire (troubles du comportement, diffi-
cultés relationnelles, voire échec scolaire). Les conséquences
d’une évolution sans soin de telles situations sont suffisamment
graves pour qu’on imagine de nouvelles formes de prise en
charge moins coûteuses en thérapeutes que le psychodrame
psychanalytique individuel. L’expérience d’une institution de la
Vienne fonctionnant sur ce modèle est relatée dans cet article.

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