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Christelle Dossios
Dans Le Journal des psychologues 2016/5 (n° 337), pages 46 à 49
Éditions Martin Média
ISSN 0752-501X
DOI 10.3917/jdp.337.0046
© Martin Média | Téléchargé le 14/03/2024 sur www.cairn.info par SANDRINE BONNEFONT (IP: 193.251.162.204)
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La relation d’emprise
Les mécanismes à l’œuvre dans une relation d’emprise entravent les processus
de pensée du sujet qui en est victime. Ils le détournent de sa position critique
et le maintiennent à une place d’objet, car le sujet désirant représente une menace
psychique pour le Moi défaillant qui doit s’en protéger. Comment s’en extraire
et se reconstruire ?
Christelle Dossios
Psychologue clinicienne
Unité mobile
de pédopsychiatrie
Q
inter-secteur
de Cannes - Grasse u’elle soit liée à des aménagements défensifs la différence de l’autre ne peut être reconnue. Si l’accès
réactionnels ou qu’elle renvoie à une structure à cette position n’a pas pu se faire de façon efficace,
de personnalité perverse, la relation d’emprise c’est une position narcissique de domination et de pouvoir
obsessionnelle ou paranoïaque vise, qui est susceptible de s’instaurer.
par l’effacement de toute différence, à la neutralisation
du désir de l’autre. Les mécanismes qui sous-tendent UNE VIOLENCE MASQUÉE
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ce type de relation, en attaquant la fonction subjective FACE À UN MOI DÉFAILLANT
du sujet par le déni de l’altérité et du narcissisme Chez le sujet obsessionnel, c’est face à l’échec
de l’autre, amènent à une déshumanisation progressive de la maîtrise ou, lorsque celle-ci est trop coûteuse
et à une dévitalisation du lien à l’autre. La représentation sur le plan psychique, que l’emprise s’installe. La fonction
de l’autre en tant que sujet désirant est attaquée. Le subjective de l’autre en tant que sujet désirant
sujet ne peut plus se situer dans une relation d’altérité, doit être anéantie en ayant recours à la force et au
son identité et sa souffrance sont massivement niées. pouvoir. La relation d’emprise, lorsqu’elle s’inscrit dans
Le lien à l’autre ne peut plus s’inscrire dans une relation le registre de la perversion, vise – par l’appropriation
d’égal à égal. Le sujet se voit progressivement dépossédé du désir de l’autre à travers une séduction mortifère –
de son libre arbrite. à la recherche d’une fusion. Si le sujet échappe à cette
Le caractère insidieux de la mise en place d’une relation tentative d’assujettissement, la haine peut se manifester
d’emprise empêche le sujet d’identifier objectivement, de façon brutale.
et à temps, la violence subie et de s’en protéger avant que L’expression plus manifeste de cette violence masquée
celle-ci ne se révèle de façon plus manifeste. L’effacement peut apparaître face à un choix impossible à assumer
de la différenciation moi/autre dans l’emprise se fait psychiquement. La mobilisation de mécanismes de
par des mécanismes insidieux, par un contrôle permanent, défense pathologiques tels que l’identification projective
et par des intrusions répétées dans l’espace personnel et-ou l’inversement de situation traduisent l’échec
et dans l’intimité du sujet. L’agressivité est indirecte antérieur d’une élaboration opérante de l’angoisse
et masque une haine sous-jacente traduisant l’échec qui semblait jusqu’alors, plus ou moins, contenue.
d’une élaboration opérante de l’angoisse. Dans cette expression défensive qui traduit la fragilité
Vivre et accepter la différence suppose qu’il y ait eu identitaire, il s’agit de traiter une problématique
confrontation à la perte, au manque et à l’angoisse interne comme si elle était externe pour rendre l’autre
qui en résultent. C’est à cette condition que l’autre peut responsable de ses propres actes et défaillances. Le sujet
être vu comme complémentaire et non comme une menace victime de l’emprise à cause de l’agressivité projetée
susceptible de renvoyer au vide. Lorsque le sujet n’a pas pu sur lui devient paradoxalement un agresseur. Il est tenu
accéder à une position désirante suffisamment structurée, comme seul responsable de la situation, ce qui permet
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à avoir peur en miroir de sa propre agressivité projetée d’une relation d’emprise qui a fragilisé sa structuration Bayard (1878)
sur l’autre. identitaire, altérant les processus de symbolisation.
Si le tiers agressé réagit et se défend légitimement La perte de contrôle et le vécu de détresse liés
pour repositionner la différenciation moi/autre, au dysfonctionnement des relations précoces
ce mouvement de dégagement sera paradoxalement ont favorisé la mobilisation de mécanismes de défense
vécu comme une relation d’emprise. L’hostilité, le mépris, préœdipiens comme le clivage, l’identification projective,
l’orgueil et le dénigrement montrent la faiblesse du Moi le vécu persécutoire, voire le passage à l’acte.
dans sa tentative de réguler, sur le plan intersubjectif, L’altération des capacités de contenance psychique liée
les mouvements pulsionnels, qui, de ce fait, menacent au dysfonctionnement des relations précoces peut amener
l’intégrité psychique du sujet. Dominer, attaquer le sujet, lorsque les éléments traumatiques ressurgissent,
et contrôler l’autre révèlent la fragilité identitaire à adopter des attitudes de contre manipulation
et la faiblesse du Moi qui échoue dans sa tentative en manifestant des conduites d’hostilité, d’agressivité
de liaison des affects. Pour éviter d’être confronté et de froideur affective face à un attachement affectif
à ses propres affects négatifs, qui seraient trop vécu comme trop menaçant. C’est comme si s’attacher
menaçants pour l’intégrité psychique, la représentation et se laisser aller dans la relation affective revenait
de l’autre en tant que sujet ayant son libre arbitre à perdre son identité, avec le risque extrêmement
et ses propres mouvements psychiques doit être angoissant d’être à nouveau rejeté et-ou abandonné.
massivement déniée. Fuir la réalité dans un mouvement Dès lors, si l’objet ne se soumet pas ou essaie d’échapper
de déresponsabilisation massif devient aux tentatives de contrôle, le risque est grand que l’état
en quelque sorte un enjeu vital. de panique associé au traumatisme antérieur ressurgisse.
Le caractère, plus ou moins, pathologique des modalités
LE TRAUMATISME ET SES ENJEUX psychiques visant à réguler l’angoisse dépend de la
NARCISSIQUES DANS LA RELATION solidité des assises narcissiques. L’expression de processus
Les problématiques narcissiques identitaires renvoient psychiques – qui tendent à annuler le lien à l’autre
à la question du traumatisme et aux carences affectives dans son histoire et dans sa dimension affective – peut
précoces. Le sujet, qui se situe dans un lien d’emprise être une réponse immédiate pour tenter de stopper
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que c’est la solution pour ne plus souffrir. C’est bien ce qui laisse l’autre dans le vide et dans l’attente d’une relation
peut caractériser les modalités du passage à l’acte lorsque qui ne peut ni se poursuivre ni se terminer. Ce non-sens
l’objet d’addiction ne permet plus de lier l’expérience qui ne trouve pas d’issue sur le plan psychique n’est
traumatique. que le miroir de la difficulté à maintenir une continuité
C’est alors le corps, ou l’espace de l’autre, qui devient psychique que les multiples contradictions et paradoxes
dépositaire de l’expérience subie quand les conditions révèlent. Ce mouvement paradoxal, en entravant
d’intériorisation de l’expérience psychique sont les processus de pensée, maintient le sujet victime
inopérantes. de la relation d’emprise dans la confusion et tend à
On perçoit, dès lors, que l’investissement de l’objet non paralyser ses mouvements psychiques. Face à l’extrême
différencié se fait sur un mode quasi compulsif et n’existe ambivalence de ce fonctionnement, l’incompréhension
qu’à travers l’illusion de réparer et-ou de combler les demeure et rend le processus de désinvestissement ou
conséquences psychiques du traumatisme initial. le travail de séparation pour le sujet victime d’une relation
Ce contrat narcissique rend impossible tout investissement d’emprise très douloureux et extrêmement coûteux
constructif, authentique et profond, du lien à l’autre sur le plan psychique.
qui devient objet d’addiction. Dans ce mouvement L’utilisation d’un discours paradoxal, en entretenant un état
de répétition du traumatisme initial, c’est l’identification de confusion mentale, fait obstacle au cheminement
à la dimension sadique des images parentales qui permet, psychique vital, permettant au sujet de retrouver
en étant actif, de se dégager d’une position antérieurement ses capacités psychiques et son libre arbitre. Ce type
subie par une attitude de maîtrise, dans une tentative de communication paradoxale, par l’induction qu’elle
de vengeance de l’objet traumatisant. engendre, amène à faire agir l’autre sans qu’il en ait
Le sujet ne fait que réagir aux parties mauvaises de soi pleinement conscience, crée des rivalités et des conflits
qu’il tente d’expulser de façon partielle par le recours de loyauté. Ces mécanismes d’induction, en donnant
à l’identification projective et au clivage. L’autre, n’ayant l’illusion au sujet qu’il agit librement, œuvrent au
pas d’existence en soi, devient le reflet de ses parties maintien d’une position de toute-puissance et permettent,
mauvaises dont il faut se protéger et qu’il faut détruire en évitant de se compromettre, de garder le pouvoir
en tentant de ne pas être victime une deuxième fois. dans la relation. En étant mis à la place d’objet, il n’est
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Ce travail de reconstruction concerne la réappropriation et-ou traumatismes antérieurs sont susceptibles
de ses besoins et de ses désirs, sans que celle-ci ne soit de ressurgir et d’aider le sujet à comprendre en quoi
mise à mal par l’intrusion répétitive de mécanismes visant celles-ci ont pu, éventuellement, donner prise à la mise
à induire une temporalité qui n’est pas celle de la réalité en place d’une relation d’emprise. ◗
psychique du sujet. Cette réappropriation, qui vise à
se dégager d’une dépendance mortifère, peut être longue
et douloureuse, et induit un état de détresse psychique
liée aux conséquences traumatiques des mécanismes
en jeu dans la relation d’emprise.
Dans ce moment de resubjectivation, le sujet doit
se dégager des parties mauvaises qui ont été déposées
CONGRÈS ANNUEL DU CPGF
en lui. Il doit aussi faire face à des états d’angoisse Les 1er et 2 octobre 2016
et de vide pour reconquérir la bonne dynamique ASIEM – 6, rue Albert-de-Lapparent – 75007 Paris
de son fonctionnement psychique pour s’inscrire
à nouveau dans une temporalité qui est la sienne
LE BIEN-ÊTRE
en tant que sujet désirant. ET LE PROCESSUS D’AUTORITÉ
Dans ce cheminement, c’est aussi la prise de conscience
Avec la participation de :
d’avoir été manipulé et l’identification des mécanismes
MARIE-DOMINIQUE AMY • SABRINA ARNAULT • MARILYS BAGNÈRES • ANNE BEAUME •
en jeu dans la relation d’emprise qui s’actualise,
JEAN-PIERRE CAILLOT • ANDRÉ CAREL • GILLES CATOIRE • JEANNE DEFONTAINE • ÉLISABETH
dans un mouvement d’aller-retour entre ce qui lui DEJOUFFREY • BENOÎT ELLEOUËT • FIONA FRETZ-TONGUE • DANIELLE GOENAGA •
appartient et ce qui appartient à l’autre. Ce dégagement HÉLÈNE JAMBOU • ROGER LAGUEUX • MARYSE LEBRETON • ÉLISABETH LÉVY • MARIE
de tout ce qui a pu engendrer de la confusion, bien MARREE-MARSEILLE • FRÉDÉRIC MISSENARD • ALAIN RANNOU • FRANÇOIS RICHARD •
que très coûteux sur le plan psychique, va lui permettre PHILIPPE SAIELLI • BERNARD VOIZOT.
de redéfinir ses propres limites et de comprendre Inscriptions : Collège de psychanalyse groupale et familiale
qu’il n’en est pas responsable. Dans cette tentative 115, rue de l’Abbé-Groult – 75015 Paris – Tél. : 01 56 80 10 60
de renarcissisation, le sujet peut alors être lui-même, Courriel : contact@cpgf.fr – Site : www.cpgf.fr
FC n° 11 752489975