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Éditorial : la séduction dans tous ses états

Blandine Faoro-Kreit
Dans Revue Belge de Psychanalyse 2022/2 (N° 81), pages 7 à 12
Éditions Association pour les Publications et la Recherche Psychanalytiques
ISSN 0775-0196
ISBN 9782930693224
DOI 10.3917/rbp.081.0007
© Association pour les Publications et la Recherche Psychanalytiques | Téléchargé le 13/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 195.83.71.202)

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Éditorial : La séduction dans tous ses états
Blandine Faoro-Kreit

La séduction, qu’elle soit amoureuse, narcissique, traumatique, hysté-


rique, généralisée... est un « phénomène » universel et omniprésent.
Elle touche autant le règne animal que l’humain, l’individu que les
groupes, et se trouve convoquée dès qu’il y a relation humaine.
L’étymologie conduit à envisager deux significations principales pour
le mot séduction : l’action même de sé-duire, c’est-à-dire de con-duire
vers un ailleurs ou encore vers soi, et le résultat de cette action. Celle-ci
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comprend l’effet produit par la séduction et les moyens très spécifiques
qu’elle emploie. La séduction se trouve facilement associée au pouvoir,
à l’emprise, à l’abus et l’effraction.
À l’heure où les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc dénoncent
une séduction poussée à son paroxysme dans la destructivité du pré-
dateur sur sa proie, y a-t-il encore une place pour parler d’une « séduc-
tion ordinaire » qui dynamise toute relation ? Un humain pourrait-il vivre
sans séduire et être séduit ? Mais de quelle séduction s’agirait-il alors ?
Force est de constater qu’elle nous colle à la peau. Dès le berceau,
l’infans comme la mère sont pris réciproquement dans une séduction
qui sera le sédiment de leur relation et qui colorera toutes relations à
venir. Jeu, force, pouvoir, plaisir, emprise… Comment nous approcher
au plus près de cette « chose » dont le caractère polymorphe nous
échappe bien souvent et dont les effets peuvent être, selon les circons-
tances, aussi redoutables que bienfaisants.
Le psychanalyste possède, sans conteste, les outils pour s’approcher
au plus près du « séduire » qui appartient intrinsèquement à l’humain et
qui agit et se vit dans toute situation clinique. Plus spécifiquement, c’est
au cœur de la relation transféro-contre-transférentielle que se posent
les interrogations sur les formes de séductions qui s’y déploient.
Nous laisserons le soin à Jacqueline Godfrind d’entamer ces réflexions
par le « Destin de la séduction ». L’auteure remet à l’honneur la « sexua-
lité infantile », concept des origines de la psychanalyse, et « fauteur
de scandale » par son caractère sexuel. Jacqueline Godfrind s’inter-
roge avec pertinence sur le lien qui lie séduction et sexualité infantile
comme si « la relative désuétude de la sexualité infantile entraîne celle
de la séduction dans l’acception sexuelle que lui confère la psychana-
lyse ». À l’aide d’une vignette clinique et en adossant son propos sur
les théories de Ferenczi et Laplanche, l’auteure développe l’idée d’une
« séduction maternelle suffisamment bonne ». Plus loin, en revisitant
« La séduction narcissique » selon Racamier, Jacqueline Godfrind

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partage sa conviction que dans toute relation, il existe une composante


de séduction basale, retrouvée dans le transfert et le contre-transfert
où chacun des protagonistes de la scène analytique y contribue, qu’il
le veuille ou non, et qui nécessite une attention particulière de l’ana-
lyste pour ne pas s’y embourber et, pire, s’y complaire.
Michel Granek nous propose « Une séduction énigmatique. À propos
de textes évoqués en séances ». Séduction subtile et énigmatique,
souvent réciproque et joliment exprimée par cet « Inter-dit » si proche
de l’interdit. C’est l’occasion pour l’auteur de s’approcher de l’effet
de l’œuvre d’art et de développer l’idée d’un lien « transnarcissique »
proche de la séduction. Cette « séduction fortuite », bien illustrée dans le
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cas de Mademoiselle Rachel, montre combien l’analyste est confronté
à un problème autant éthique que technique. Comment éviter le trop
de séduction et comment éviter le trop de répression ? Ou pour le dire
encore autrement : « comment fixer aux phénomènes des marges sans
en annuler les vertus ? »
C’est dans une démarche courageuse et sans compromis qui mérite
d’être saluée que Jean-Paul Matot s’attache à la question, ô combien
difficile, de la dimension passionnelle dans la cure1. En s’appuyant
sur l’expérience d’une prise en charge difficile, l’auteur nous fait voir
comment la position de l’analyste est cruciale. Pour celui-ci, il s’agit
de survivre à cette effraction passionnelle et non de s’y soustraire
afin de rejoindre les noyaux traumatiques du patient. Mais il s’agit
aussi de résister aux effets du clivage puissant qu’installe la sexua-
lisation du mouvement passionnel. Par la suite, lorsque la dimension
passionnelle se sera calmée, il s’agira pour l’analyste d’être encore
davantage présent pour éviter un retrait défensif, face à un possible
effondrement mélancolique. En effet, la douleur massive, intolérable,
qui accompagne la résolution de la passion nécessite que l’analyste
(re)trouve une capacité à s’engager davantage encore face à une véri-
table régression à la dépendance, et puisse y répondre dans le registre
de la préoccupation maternelle primaire.
Dans son article « Séduction et contre-transfert », Marc Hebbrecht s’in-
téresse quant à lui au contre-transfert érotique dans la cure. Grâce à
un détour par différents films et séries (Les Sopranos, In Treatment, A
Dangerous Method), le concept du transfert érotique comme proposé
par Freud en 1915 est discuté en lien avec la théorie kleinienne, la
contribution de Stoller et l’œuvre de Jean Laplanche. En s’appuyant
sur la clinique, l’auteur nous fait part avec beaucoup de générosité des
réactions contre-transférentielles qui l’ont traversé lors de différentes

1. Matot J.P., « Séduction et passion dans l’espace analytique. Un malentendu théo-


rique ».

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cures. Pour l’auteur, le contre-transfert érotique précède souvent les


manifestations de l’amour de transfert. La séduction érotique provo-
quée par le patient pose des risques si l’analyste n’est pas suffisam-
ment conscient de ce qui se cache comme motion pulsionnelle derrière
cette séduction. De quelle répétition est-elle le signe, surtout avec des
patients états-limites ?
Armelle Hours, dans « Dérives de l’attraction, risque d’une séduction en
court-circuit », nous fait cheminer avec l’analyste en séance aux prises
avec l’attraction addictive d’une patiente aussi forte que le risque acci-
dentel, comme solution d’un lien à l’objet qui n’a que trop peu existé.
L’auteure considère :
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l’attraction dans sa dimension excessive comme une recherche de satis-
faction immédiate, alors même qu’elle apporte une compensation jugée
éphémère donc toujours insatisfaisante. Quand l’intime conviction est de
considérer l’attente comme la mort, l’attente reste inadmissible. Au cours de
cet engrenage de la dérégulation, les courts-circuits sont alors susceptibles
de se répéter encore et encore. L’objet addictif obéissant au principe de
l’objet de substitution devient le séducteur.
La tâche de l’analyste, comme nous le décrit avec pertinence Armelle
Hours, sera non seulement d’accueillir les mouvements souvent
chaotiques et dangereux, mais surtout de garder confiance dans la
méthode. Ceci ne se fera pas sans provoquer chez l’analyste des
positions contre transférentielles périlleuses. Réintroduire par le jeu un
écart dans ces contrées dévastées et amener à leurs représentations
pourrait définir le projet de la cure, proche de l’ambition de l’artiste.
Et quand l’amour devient fou ? C’est sur cet élan amoureux dans son
versant passionnel que s’est penchée Anouk Meurrens dans l’intérêt
qu’elle porte aux comportements in-sensés. « Amour fou » nous fait
rencontrer Clovis, patient schizophrène dont l’érotomanie l’a conduit
au pire. Qui séduit qui dans cette maladie de l’amour ? C’est en effet la
définition de l’érotomanie qui est une « illusion délirante d’être aimé »,
illusion qui ne peut mener en deuxième phase qu’au dépit quand l’objet
des projections déçoit et qui finit en troisième phase par la rancune
et la vengeance. C’est aussi l’occasion pour l’auteure de reconsidé-
rer l’amour et la haine, tous deux intimement liés tout en n’étant pas
des contraires. « La haine n’est pas plus le contraire de l’amour que
le vinaigre n’est le contraire du vin » (P. Denis, 2013, p. 2). Comment
distinguer cet élan passionnel de folie des débuts amoureux communs
à chacun ? Quel lien serait à faire avec le transfert dans la cure ? Voilà
autant de réflexions qu’Anouk Meurrens nous propose.
Dans « Séduction et groupalité psychique », Kostas Nassikas nous
emmène de façon convaincante sur les chemins surprenant de la

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séduction et des différents mécanismes psychiques qui fonctionnent


entre le séducteur et le séduit. L’auteur passe ainsi par la notion d’em-
pathie, puis par les mécanismes pré-psychotiques de la perversion
narcissique. Il s’attarde, par la suite, sur la notion particulièrement
intéressante de la groupalité psychique qui se met en place dès les
commencements de la vie ; il considère cette dimension comme le sou-
bassement sur lequel se développe la groupalité sociale. Les blocages
dans les fondements de la groupalité psychique rendent impossible la
groupalité sociale, tout en favorisant des séductions fulgurantes. C’est
ce que l’on voit dans l’exemple clinique auquel l’auteur se réfère qui
« nous ouvrent la possibilité de réflexions concernant les liens entre
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les difficultés psychiques dans la groupalité relationnelle externe et la
groupalité interne. Ces mêmes réflexions nous amènent aussi à mieux
comprendre les liens entre la séduction et la groupalité psychique. »
« Le négatif de la séduction de masse lors de l’invasion russe en
Ukraine » est une proposition originale de Berdj Papazian, quand il
analyse le versant négatif de la séduction. Même si cet article ne plaira
pas à tous, c’est au vu des échanges intéressants que nous avons
eus à son propos au sein du comité de rédaction, nous avons décidé
de le publier dans cette revue. En effet, partant de l’élan de solidarité
sans précédent qui a poussé les pays occidentaux à soutenir l’Ukraine
par tous les moyens : politique, militaire, humanitaire ; l’auteur s’inté-
resse aux motivations inconscientes qui ont dû contribuer au carac-
tère unanime et extrémiste de cet engagement. La guerre menée par
la Russie a offert une opportunité inespérée de sortir de la confusion
mentale dans laquelle la pandémie a plongé nos populations. Les fake
news s’étaient répandues dans les esprits au point d’entraîner des
clivages à tous les niveaux de la société rongée par des angoisses
paranoïdes. La bienfaisance dont bénéficie l’Ukraine permet à l’Oc-
cident de projeter ses agressivités en identifiant l’agresseur du côté
du Kremlin. La contrepartie négative de l’identification dépressive à la
victime porte sur le phénomène collectif de masse, sur la destructivité
et sur son déni. L’IPA n’aurait pas échappé à ce tsunami humaniste,
nous dit Papazian.
Dans cette revue, nous avons décidé d’ouvrir une nouvelle rubrique
que nous intitulons RÉSONANCES. Sous ce vocable, nous permet-
trons à divers auteurs de résonner-raisonner, de façon succincte, à
propos d’un exposé, ou d’un texte. C’est l’exposé de Blandine Faoro-
Kreit « Comment refuser une goutte d’eau quand on a eu soif » qui
a été proposé à la résonance de collègues. Comment comprendre,
en effet, l’impossibilité pour une patiente à rompre une relation amou-
reuse destructrice ? L’auteure pose l’hypothèse que l’agonie primitive

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et les angoisses archaïques à l’œuvre dans les relations précoces se


rejoueraient dans ce type de relation. Cette impossibilité à rompre se
rapprocherait-elle également de procédés auto- calmants, de complai-
sance masochique ou d’une position mélancolique ? Nous remercions
chaleureusement Jean-Paul Matot, Jacqueline Godfrind, Éliane Feld-
Elzon, Frédérique Mercenier et Arlette Lecoq de s’être prêtés au jeu de
la résonnance dans le partage de leurs réflexions et associations dont
la richesse et l’originalité sont un régal précieux pour penser.
Sous la rubrique HORS THÈME, Didier Lippe, dans « Shylock, figure
du mal », nous entraîne à revisiter Shakespeare dans son question-
nement sur la « Nature » de l’homme. Avec beaucoup d’à-propos, et
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dans une écriture très agréable, l’auteur à travers la question de l’an-
tisémitisme, s’interroge de savoir si dans Shylock, le « Juif », est une
« figure du Mal » ou le révélateur du Mal ? La « mélancolie » d’Antonio,
« Le Marchand de Venise », et la quête identitaire qu’elle sous-tend,
font osciller tout au long de la pièce les problématiques de l’Être et
de l’Avoir, en désignant Shylock comme seul susceptible de pouvoir
combler le manque d’Avoir, mais aussi le manque d’Être chez Antonio.
Le manque fondamental, inhérent à l’Être Humain, renvoie aux pertes
fantasmatiques de la complétude originelle et de son paradis perdu,
points d’appui dans la construction identitaire et ses impasses psy-
chopathologiques (conduites de dépendances, etc.) Face au « refus
de la complexité psychique » engagée dans cette construction iden-
titaire, le « Mal » vient alors parfois comme « solution ». La pièce de
Shakespeare en témoigne et conclut cette « tragédie » de l’Être par la
« comédie » humaine comme condition d’existence.
Dès la première scène, Antonio le proclame “le monde est un théâtre, et
mon rôle est d’y être triste”, et pour Shylock alors, est-ce d’y tenir, mais avec
fierté et ténacité (en responsabilité), le rôle du juif, celui, pourtant inaccep-
table, du “Mal nécessaire” ?

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Marie Desbarax, Chemin jaune
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