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Hétérogénéité des troubles bipolaires

Christian Gay
Dans Figures de la psychanalyse 2013/2 (n° 26), pages 109 à 123
Éditions Érès
ISSN 1623-3883
ISBN 9782749239637
DOI 10.3917/fp.026.0109
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Hétérogénéité
des troubles bipolaires 1
• Christian Gay •

Le concept de trouble bipolaire s’est considérablement élargi ces dernières


années. Il regroupe à la fois des maladies caractérisées, des formes atténuées et
à durées brèves, des tempéraments. Il n’est en rien superposable à ce qui était
décrit, il y a encore cinquante ans, sous le terme de psychose maniaco-dépressive.
Le fait de porter le diagnostic de trouble bipolaire ne résout en rien la problé-
matique de la prise en charge et justifie d’approfondir l’analyse symptomatique
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de l’état pathologique, de reprendre l’histoire de la maladie, de retracer la
biographie, d’évaluer l’environnement et le niveau d’intégration socioprofes-
sionnel et familial et de pouvoir étudier le tempérament de base et la personna-
lité sous-jacente. Ce n’est qu’au décours d’une enquête minutieuse qu’un
diagnostic précis pourra être évoqué et une stratégie de soins proposée.

Même si, en apparence, le diagnostic de trouble bipolaire s’avère facile face


à des fluctuations thymiques, il se révèle qu’il est souvent erroné et posé trop
tardivement du fait de la méconnaissance du trouble par la personne et des
fréquentes comorbidités qui masquent le trouble de l’humeur.

Classification des troubles bipolaires

Le spectre bipolaire tel qu’il est défini aujourd’hui regroupe plusieurs caté-
gories de troubles (Akiskal, Angst). Si les formes bipolaires de type I et II sont rela-
tivement bien définies, homogènes et délimitées, il n’est est pas de même des
troubles bipolaires de type III. Une subdivision en huit formes cliniques a même

Christian Gay, psychiatre ; clinique du Château, 11 bis rue de la porte jaune,


92380 Garches. christian.gay@clinique-garches.com
1. Texte réécrit d’une intervention aux journées d’études d’Espace Analytique, « Ces
troubles qu’on appelle bipolaires et la psychanalyse », à Paris en mars 2012.
110 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 26 •

été proposée par Akiskal et Pinto. Les tempéraments et les formes atténuées
comme les cyclothymies font aussi partie intégrante du spectre. Outre la grande
hétérogénéité symptomatique, il existe différentes modalités évolutives qui
peuvent rendre plus difficile le diagnostic. Les états mixtes (du fait de l’alter-
nance très rapide et au cours de la même journée de phases d’excitation et de
dépression), les cycles rapides et ultrarapides, les formes rémittentes ou circu-
laires (sans intervalle libre) sont fréquemment rencontrés en pratique quoti-
dienne. Les symptômes résiduels qui persistent entre les épisodes sont
fréquemment observés et peuvent évoquer d’autres troubles. La dernière version
du DSM a renoncé aux états mixtes. Néanmoins, dans la réalité, il s’avère que ces
manifestations sont fréquemment observées mais font partie intégrante des
états maniaques.

La CIM-10 ne distingue qu’une catégorie de trouble bipolaire, en précisant


néanmoins l’intensité des épisodes maniaques et dépressifs et l’existence ou non
de troubles psychotiques.
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Trouble bipolaire de type I (MD ou Md)

Cette forme correspond globalement à la psychose maniaco-dépressive bipo-


laire telle qu’elle était décrite au milieu du siècle dernier. Le diagnostic repose sur
l’existence d’au moins un épisode maniaque (M). Il peut être précédé ou suivi
d’épisode dépressif majeur (D) ou mineur (d), d’épisode maniaque (M) ou hypo-
maniaque (m).

Une cause organique, iatrogénique ou toxique ne permet pas de retenir ce


diagnostic.

Le trouble bipolaire de type II (mD)

La fréquence de ce trouble est diversement appréciée, de 0,6 à 4,4 %. L’évo-


lution se caractérise par la présence d’au moins un épisode dépressif majeur (D)
et d’un ou plusieurs épisodes hypomaniaques (m). Le trouble bipolaire de type II
peut être confondu avec une dépression récurrente ou trouble unipolaire du fait
de l’absence d’identification des épisodes hypomaniaques. Le diagnostic de l’hy-
pomanie pourra être facilité par l’interrogatoire de l’entourage et le recours à un
questionnaire qui permettra de reconnaître des changements épisodiques du
comportement du sujet. Cette étape du diagnostic est importante en raison de
l’enjeu thérapeutique ; une prescription isolée d’antidépresseur peut constituer
un facteur d’aggravation du trouble bipolaire. La répétition des entretiens
HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TROUBLES BIPOLAIRES 111

permettra d’établir avec plus de précision ce diagnostic difficile. Dans la majorité


des cas, le trouble reste stable et n’évolue pas vers un trouble de type I. En
revanche, il existe des comorbidités fréquentes dont les abus d’alcool et les
troubles de la personnalité.

Trouble bipolaire de type III

Cette catégorie de trouble ne fait pas l’objet de consensus et n’est pas réper-
toriée dans les classifications internationales. Elle regroupe à la fois les troubles
dans lesquels le virage maniaque ou hypomaniaque a été pharmacologiquement
induit et les formes qui se caractérisent par des épisodes dépressifs récurrents et
des antécédents familiaux de troubles bipolaires. Les caractéristiques des
épisodes dépressifs sont celles d’une dépression bipolaire.

Trouble cyclothymique

Aux confins des troubles bipolaires se situent les troubles cyclothymiques qui
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se définissent par une succession, sur une durée minimale de deux ans, de
périodes d’hypomanie (m) et de dépressions légères (d). Le trouble cyclothmique
constitue une forme atténuée de trouble bipolaire. Sa prévalence serait de 1 %
dans la population générale avec une prédominance féminine. Le début des
troubles se manifesterait entre 15 et 25 ans. Il ne présente ni les critères d’un
épisode dépressif majeur ni ceux d’un épisode maniaque. Cet état est le plus
souvent subi par le patient qui n’en reconnaît pas le caractère pathologique et
qui n’a pas accès aux soins. Le caractère invalidant de ce trouble est néanmoins
reconnu en raison de sa chronicité, en particulier sur les plans socioprofessionnel
et familial. Les cyclothymiques, du fait des variations fréquentes et rapides de
l’humeur, sont plus sensibles aux situations de stress et présentent des difficultés
d’adaptation et d’intégration. L’évolution se fait dans un tiers des cas vers un
trouble bipolaire de type II.

Étiopathogénie

Les troubles bipolaires sont des affections à déterminisme complexe, intri-


quant des facteurs de vulnérabilité génétiques et des facteurs environnemen-
taux. L’existence d’une vulnérabilité génétique à l’égard du trouble bipolaire est
établie depuis longtemps. Des données issues d’études familiales, d’études de
jumeaux et d’adoption ont démontré l’implication de facteurs génétiques dans
la survenue du trouble bipolaire.
112 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 26 •

Le risque de présenter un trouble bipolaire si l’un des parents de premier


degré est atteint, est 4 à 6 fois plus élevé que dans la population générale. Des
recherches effectuées chez les sujets bipolaires au cours des périodes inter-
critiques et chez les apparentés non atteints font apparaître certaines anomalies.
C’est le cas, par exemple, des dysfonctionnements neurocognitifs. L’existence de
ces endophénotypes pourrait aider à discriminer les facteurs protecteurs ou favo-
risant l’émergence de la pathologie chez des sujets vulnérables. Les patients
bipolaires présentent au cours des périodes inter-critiques une instabilité
émotionnelle qui les rendrait plus vulnérables au stress.

Le rôle des facteurs psychologiques et environnementaux dans le déclenche-


ment de la maladie et des accès a longtemps été minimisé, cette pathologie étant
considérée comme endogène.

Les facteurs environnementaux fragilisants sont de mieux en mieux identifiés.


Il peut s’agir d’événements précoces de vie, tels le deuil d’un parent, une carence
affective ou des agressions sexuelles dans l’enfance.
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Au cours de la vie, il existe d’autres facteurs précipitants tels que les événe-
ments pénibles de vie (difficultés conjugales, problème professionnel ou finan-
cier, etc.) et les stress répétés (surmenage professionnel, manque de sommeil,
non-respect des rythmes biologiques propres). Il a également été démontré
qu’un niveau d’expression émotionnelle élevé dans les familles (emportements
ou cris pour des événements mineurs) était un facteur précipitant de la maladie.
L’élément qui paraît le plus déterminant dans le déclenchement du trouble, indé-
pendamment de la réaction émotionnelle, est son impact sur les rythmes sociaux.

Cette influence des événements de vie tendrait à décroître en fonction du


nombre de récidives. Les épisodes provoqueraient une sensibilisation (ou kind-
ling), c’est-à-dire une vulnérabilité biologique croissante à l’égard des événe-
ments déclenchants ou précipitants.

Des causes organiques peuvent être retrouvées. Elles concernent le plus


souvent les formes à début tardif, après l’âge de 50 ans.

Des études récentes ont mis en evidence des anomalies de structure ou de


fonction de certains circuits cérébraux qui seraient impliqués dans la régulation
de l’humeur (Benabarre, Soares, Mann) : diminution de perfusion de certaines
régions du cerveau telles que le cortex préfrontal, le système limbique et
certaines régions paralimbiques au cours des dépressions. Au cours des états
maniaques, il s’agit le plus souvent d’asymétries de perfusion entre des régions
HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TROUBLES BIPOLAIRES 113

droite et gauche du cerveau tel qu’un plus haut débit dans le cortex temporal
droit dans sa partie dorsale (Soares, Mann). Ces découvertes montrent bien que
le trouble est sous-tendu par des dysfonctionnements neurobiologiques réver-
sibles dans un premier temps. Il est admis que les épisodes peuvent être neuro-
toxiques et que la fréquence des épisodes est un élément de pronostic à prendre
en compte.

Hétérogénéité des troubles bipolaires

Les expressions symptomatiques et évolutives des troubles bipolaires sont


multiples et ne figurent pas obligatoirement dans les classifications actuelles.

Variabilité de la symptomatologie

La symptomatologie maniaque

Elle est très polymorphe dans son expression et les symptômes les plus
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fréquents ne sont pas obligatoirement les plus caractéristiques d’un état
maniaque. Il existe différentes expressions symptomatiques : aigues (avec une
agitation marquée, des comportements violents, des réactions clastiques),
confuses (avec une activité onirique, des troubles cognitifs marqués, une déso-
rientation dans le temps), hallucinatoires (avec le plus souvent des hallucinations
auditives et visuelles), délirantes (où l’on retrouve des thèmes de mégalomanie,
persécution, mystiques, politiques, érotiques...). Le plus souvent, le contenu du
délire est congruent à l’humeur, c’est-à-dire que les thèmes sont en rapport avec
les idées de grandeur et l’humeur expansive. Néanmoins, un délire non
congruent à l’humeur ne signifie pas obligatoirement un trouble schizophré-
nique et peut se rencontrer plus particulièrement chez le jeune.

Goodwin et Jamison regroupent en quatre catégories les principaux symp-


tômes cliniques en mentionnant leur fréquence :

– symptômes thymiques : irritabilité 80 %, euphorie 71 %, dépression 72 %, labi-


lité 69 %, expansivité 60 % ;

– symptômes cognitifs : idées mégalomaniaques 78 %, fuite des idées 71 %,


distractibilité, troubles de la concentration 71 %, confusion 25 % ;

– symptômes psychotiques : idée délirante 48 % ; idées délirantes de grandeur


47 %, idées de persécution 28 %, syndrome d’influence 15 %, hallucinations
15 % ;
114 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 26 •

– comportement et activités : hyperactivité 87 %, réduction du sommeil 81 %,


violence-agression 49 %, logorrhée : 98 %, nudité, exhibitionnisme sexuel : 29 %,
hypersexualité : 57 %, extravagance : 55 %, Préoccupations religieuses : 39 %.

L’état hypomaniaque

Il présente les mêmes caractéristiques que l’état maniaque, mais les symp-
tômes sont moins nombreux, moins intenses et moins invalidants. Le diagnostic
d’un état hypomaniaque peut se poser lorsque les symptômes persistent au
moins quatre jours.

L’état hypomaniaque passe très souvent inaperçu lors de l’interrogatoire du


patient sur son histoire et ses antécédents. La réduction du temps de sommeil, la
multiplication des projets, l’absence de fatigabilité, une sociabilité inhabituelle
avec une plus grande facilité de contact, une augmentation de l’activité, une
distractibilité, une surestimation de son image, une surconsommation d’alcool et
de tabac constituent des éléments d’orientation diagnostique. L’interrogatoire
de l’entourage prend toute son importance. Il permet de retrouver l’existence
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d’une cassure par rapport à l’état antérieur, de comportements et propos inha-
bituels, de changements de l’humeur et, surtout, de relever des petits détails qui
signeront la maladie : augmentation de la consommation de cigarettes, irritabi-
lité, communications téléphoniques incessantes et répétées, dépenses avec des
relevés bancaires très significatifs, agenda débordant de post-it… Une recrudes-
cence des conduites addictives, des comportements antisociaux comme la klep-
tomanie, une hypersexualité représentent quelques exemples de comportements
observés lors des récidives.

L’état mixte

Il se caractérise par l’intrication de symptômes maniaques et dépressifs. Il est


difficile à distinguer de l’état maniaque où l’on retrouve une labilité de l’humeur.
La justification de son individualisation repose sur le risque suicidaire élevé et le
recours à des mesures thérapeutiques spécifiques. Les états mixtes et états
dysphoriques sont observés dans 20% des troubles bipolaires de type I. Cet état
ne figure plus dans la cinquième version du DSM. Plus récemment, ce concept a
été élargi en intégrant dans cette catégorie de troubles les dépressions mixtes
(Benazzi), dont la frontière avec les dépressions agitées est loin d’être précise.

Les épisodes dépressifs bipolaires

Ils peuvent présenter certaines caractéristiques spécifiques qui les différen-


cient des dépressions récurrentes ou unipolaires.
HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TROUBLES BIPOLAIRES 115

Trouble UP Trouble BP

Age de début Plus tardif Précoce

Fréquence des épisodes + +++

Début et fin de l’épisode Progressif aigu

Sommeil Diminué Augmenté

Appétit Diminué Augmenté

Ralentissement - ++

Labilité de l’humeur - ++

Symptômes psychotiques - ++

Emoussement affectif - ++

Caractère original - ++

Antécédents familiaux Dépressions Troubles bipolaires

Antécédents personnels Dépressions Manie, alcoolisme

Troubles personnalité - ++
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Troubles du post-partum - ++

Anxiété ++ -

Plaintes somatiques ++ -

Durée de l’épisode ++ -

États subsyndromiques

Les fréquents états subsyndromiques qui persistent entre les épisodes


donnent au trouble bipolaire une dimension de chronicité. Golberg et ses colla-
borateurs relèvent une évolution non favorable chez 41% des patients. La plus
récente étude de suivi apporte des chiffres encore plus impressionnants. Sur une
période de treize ans en moyenne, les sujets bipolaires présentent un trouble
significatif pendant la moitié du temps avec une prédominance de trouble
dépressif (Judd, 2003).

Troubles schizo-affectifs

Les troubles schizo-affectifs se situent eux aussi aux frontières du spectre de


la bipolarité. Bien que figurant dans les principaux systèmes de classification, leur
autonomie reste controversée. Ils devraient préférentiellement être rattachés
aux troubles schizophréniques. Le diagnostic se pose lorsqu’il existe simultané-
ment des symptômes schizophréniques et des troubles de l’humeur.
116 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 26 •

Formes évolutives

Séquence évolutive

Les formes les plus caractéristiques se caractérisent par une évolution pério-
dique, avec une séquence évolutive manie-dépression-intervalle libre (MDI) ou
dépression-manie-intervalle libre (DMI) La séquence MDI correspond à la forme la
plus typique du trouble bipolaire et répond classiquement mieux aux sels de
lithium. Le cycle commence par un épisode maniaque, suivi d’un épisode dépres-
sif et d’un intervalle libre. Les épisodes maniaques sont en règle générale sévères
et le virage vers la dépression est progressif. En revanche, la séquence DMI

présente un taux de résistance plus élevée. La dépression inaugure le cycle et


constitue la phase la plus sévère et prolongée du cycle. Le virage vers la manie est
le plus souvent rapide.

Formes circulaires ou rémittentes

Le passage de l’épisode maniaque à l’épisode dépressif se fait plus ou moins


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brutalement, sans période inter-critique. Ces formes s’aggravent au cours du
temps avec une accélération des cycles.

Cycles rapides

Les cycles rapides se caractérisent par une fréquence d’au moins quatre
épisodes par an et sont plus fréquents chez la femme (surtout après la méno-
pause), en cas d’hypothyroïdie et d’alcoolisme, de syndrome d’apnée du
sommeil. Les antidépresseurs et plus particulièrement les tricycliques favorisent
les inversions thymiques et l’accélération des cycles. Cette forme peut être spon-
tanée, en particulier au début de l’évolution.

Formes dans une périodicité déterminée

Les formes à évolution indéterminée ne correspondent à aucune périodicité


établie. Un épisode d’excitation peut être suivi d’une période d’intervalle libre de
plusieurs années et suivi d’un épisode du même type ou de polarité opposée.

Formes saisonnières

Des formes à évolution saisonnière sont décrites, sans qu’il ne soit possible
d’établir une périodicité régulière, à la différence des troubles affectifs saison-
niers (SAD) qui se caractérisent par l’apparition du trouble à la fin de l’automne
et certaines caractéristiques cliniques telles l’hypersomnie, l’hyperphagie, une
HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TROUBLES BIPOLAIRES 117

fatigabilité, une sensitivité… Il est possible qu’un trouble affectif saisonnier soit
associé à un trouble bipolaire.

Formes en fonction de l’âge de début

De récentes études montrent que l’âge de début est associé à des différences
cliniques, familiales, biologiques et thérapeutiques. Un âge de début précoce est
souvent associé à des troubles des conduites, un alcoolisme comorbide, des symp-
tômes psychotiques et des conduites suicidaires. F. Bellivier et al. montrent que
les formes à début précoce présentent un risque familial plus important, une plus
grande fréquence de symptômes psychotiques, une mauvaise réponse aux traite-
ments thymorégulateurs et des comportements suicidaires plus fréquents.

Les comorbidités

La fréquence des comorbidité renforce encore plus la dimension d’hétérogé-


néité. Dans 20 % des cas, le trouble bipolaire peut être associé à un trouble
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anxieux. Il en est de même avec les conduites addictives, pour lesquelles les chiffres
sont beaucoup plus élevés (60 %) et les troubles des conduites alimentaires.

En outre, les comorbidités pourront aggraver le pronostic en influant directe-


ment sur le cours évolutif de la maladie. L’abus d’alcool et de drogues favorise un
âge de début plus précoce, une fréquence plus élevée et une durée plus prolon-
gée des épisodes, une majoration des symptômes dépressifs, la persistance de
symptômes résiduels entre les épisodes, un retard de la guérison (ou rémission),
une évolution chronique plus marquée avec des taux de handicap et de morta-
lité plus élevés, une augmentation de la fréquence des cycles rapides, états
mixtes et états dysphoriques. En outre, l’abus de substance peut masquer le
trouble bipolaire et différer son diagnostic et sa prise en charge.

Une autre comorbidité fréquente est le trouble de la personnalité. Ce trouble


existe lorsque les traits de caractère et les attitudes du sujet sont rigides, inadap-
tés et qu’ils sont responsables d’une altération significative du fonctionnement
social et professionnel et d’une souffrance subjective. Les plus fréquents sont le
trouble borderline et la personnalité antisociale.

Diagnostic

L’interrogatoire de l’entourage permet de compléter l’évaluation et constitue


une étape importante du diagnostic.
118 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 26 •

Après l’évaluation clinique et le recueil des informations, il est possible


d’identifier plusieurs caractéristiques précises du trouble bipolaire qui oriente-
ront vers une prise en charge spécifique et faciliteront le choix du stabilisateur
d’humeur :

– antécédents familiaux de troubles bipolaires et de suicide ;


– âge de début : précoce, intermédiaire ou tardif ;
– nature du premier épisode ;
– type de trouble (I, II, III…) ;
– polarité prédominante (maniaque ou dépressive) ;
– séquence évolutive ;
– fréquence des cycles ;
– qualité des intervalles libres ;
– qualité de l’environnement ;
– personnalité sous-jacente ;
– addiction ;
– autres comorbidités (troubles anxieux, troubles obsessionnels, troubles des
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conduites alimentaires…) ;
– risque suicidaire.

La prise en compte de ces indices permet d’affiner le diagnostic d’un trouble


qui ne peut se définir qu’à partir de l’intensité de la symptomatologie maniaque.

L’index de bipolarité de Sachs trouve ici toute sa justification. Il prend en


compte les caractéristiques de l’épisode, l’âge de début, la réponse au traite-
ment, la qualité des intervalles libres et l’évolution ainsi que l’existence ou non
de troubles associés et les antécédents familiaux. Il permet d’évaluer, en quelque
sorte, « le poids » que l’on peut attribuer à la maladie bipolaire. Un index supé-
rieur à 60 constitue un indice en faveur d’un trouble caractérisé qui justifie un
traitement stabilisateur d’humeur sur du long terme. Néanmoins, un faible index
ne peut en aucun cas faire renoncer à cette classe de médicaments qui pourra
être prescrite aussi pour ses propriétés symptomatiques anti-agressive et anti-
impulsive.
HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TROUBLES BIPOLAIRES 119

Évaluation en 5 dimensions cotées de 0 à 20 pour un index de bipolarité variant


de 0 à 100. D’après Gary Sachs (2004)

1- Caractéristiques de l’épisode (sur 20)

20 Épisode documenté maniaque aigu ou mixte avec prédominance


de l’euphorie, d’idées grandioses ou d’expansivité excessive, sans notion
de cause médicale générale ou de cause étiologique secondaire

15 Épisode aigu et franc de type mixte, ou manie irritable ou dysphorique,


sans notion de cause médicale générale ou de cause étiologique secondaire

10 Hypomanie ou cyclothymie franches sans cause médicale générale ou cause


étiologique secondaire

10 Manie secondaire à l’utilisation d’antidépresseur

5 Hypomanie franche secondaire à l’utilisation d’antidépresseur

5 Épisodes caractéristiques d’hypomanie mais dont les symptômes, la durée


ou l’intensité sont atténués par rapport à un épisode franc d’hypomanie
ou de cyclothymie

5 Épisode dépressif unique avec manifestations psychotiques ou signes


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atypiques : hypersomnie, hyperphagie, impression de jambes lourdes

5 Dépression du post-partum

2 Dépression unipolaire typique et récurrente

2 Histoire de manifestations psychotiques (délires, hallucinations,


fabulations, pensée magique…)

0 Absence d’excitation, de dépression récurrente et de psychose

TOTAL /20

2- Âge de début [premier épisode ou syndrome] (sur 20)

20 15 à 19 ans

15 Avant 15 et entre 20 et 30

10 30 à 45

5 Après 45

0 Absence de troubles de l’humeur (pas d’épisode, cyclothymie, dysthymie,


trouble bipolaire)

TOTAL/20

3- Évolution, troubles associés (sur 20)

20 Intervalle libre entre épisodes maniaques de très bonne qualité


(récupération complète)

15 Intervalle libre entre épisodes hypomaniaques de très bonne qualité


(récupération complète)
120 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 26 •

15 Intervalle libre entre épisodes maniaques de qualité moyenne


(récupération partielle)

10 Abus de substance

10 Manifestations psychotiques durant les épisodes aigus

10 Antécédents judiciaires en rapport avec un épisode maniaque

5 Dépression récurrente avec trois épisodes ou plus de dépression majeure

5 Hypomanies récurrentes et intervalle libre de qualité moyenne


(récupération partielle)

5 Mauvaise observance du traitement

5 Personnalité borderline, troubles anxieux, troubles des conduites


alimentaires, hyperactivité avec déficit de l’attention

5 Comportements à risque qui posent un problème pour le patient, la famille


et les amis

5 Aggravation des troubles de l’humeur au cours du cycle menstruel

2 Personnalité hyperthymique (mais sans manie ou dépression)


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2 3 mariages ou plus incluant des remariages avec la même personne

2 A commencé un nouveau travail dans les deux dernières années ou plus et


en a changé moins d’un an après

2 A plus de deux diplômes d’études supérieures

0 Aucune de ces manifestations

TOTAL/20

4- Réponse au traitement (sur 20)

20 Stabilisation avec 4 semaines de traitement par un régulateur de l’humeur

15 Stabilisation après 12 semaines de traitement par un thymorégulateur


ou rechute dans les 12 semaines qui suivent l’arrêt d’un thymorégulateur

15 Virage vers une manie aiguë ou mixte dans les 12 semaines qui suivent
le début d’un traitement par antidépresseur ou l’augmentation
de sa posologie

10 Aggravation d’un état dysphorique ou mixte durant un traitement


par antidépresseur

10 Réponse partielle après 12 semaines de traitement par un ou


deux thymorégulateurs

10 Cycle rapide induit ou aggravé par un antidépresseur

5 Résistance à un traitement par 3 antidépresseurs ou plus


HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TROUBLES BIPOLAIRES 121

5 Virage maniaque ou hypomaniaque après un arrêt brutal d’un traitement


antidépresseur

2 Réponse pratiquement complète (en 1 semaine ou moins) à un traitement


antidépresseur

0 Aucun de ces éléments ou aucun traitement

TOTAL /20

5- Histoire familiale (sur 20)

20 Au moins 1 parent du 1er degré ayant un trouble bipolaire documenté

15 Un parent de second degré ayant un trouble bipolaire documenté

15 Un parent du 1er degré ayant un trouble unipolaire documenté et


un comportement suggérant un trouble bipolaire

10 Un parent du 1er degré ayant un trouble unipolaire documenté ou un


trouble schizo-affectif

10 Un parent de second degré ayant un trouble unipolaire documenté et


un comportement suggérant un trouble bipolaire
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5 Un parent du 1er degré avec histoire documentée de dépendance
à des toxiques

5 Un parent du 1er degré avec trouble bipolaire possible

2 Un parent du 1er degré avec trouble unipolaire possible

2 Un parent du 1er degré avec anxiété, trouble alimentaire, déficit de


l’attention et hyperactivité possibles

0 Aucun de ces éléments ou aucun antécédent psychiatrique familial

TOTAL/20

TOTAL /100

Le trouble bipolaire est une pathologie extrêmement hétérogène tant dans


son expression symptomatique que dans son évolution et est souvent associé à
d’autres troubles. Face à un trouble aux formes cliniques aussi variées et à l’élar-
gissement du spectre de la bipolarité, on est en droit de s’interroger sur la vali-
dité des guidelines. Ils sont utilisables lorsque les troubles sont typiques, comme
ceux de types I et II. Mais, face à une telle hétérogénéité, leur limite est rapide-
ment atteinte.
122 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 26 •

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HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TROUBLES BIPOLAIRES 123

RÉSUMÉ
Le trouble bipolaire, tel qu’il est défini aujourd’hui, concerne 3 à 5 % de la population
générale. La symptomatologie est extrêmement polymorphe et son évolution est très
variable. Poser le diagnostic de trouble bipolaire implique de préciser le type de trouble,
d’identifier la séquence évolutive et la polarité dominante, ainsi que la personnalité sous-
jacente. L’âge de début précoce et l’existence d’antécédents familiaux constituent des
index de prédiction de l’effet thérapeutique. La fréquence des comorbidités et des addic-
tions peut justifier des mesures thérapeutiques spécifiques.

MOTS-CLÉS
Troubles bipolaires, dépression bipolaire, index de bipolarité, maladie maniaco-dépressive.

SUMMARY
The bipolar disorder as it is defined today affects between 3 and 5% of the general public.
Its symptomatology is extremely polymorphous and its progression highly variable. Dia-
gnosing bipolar disorder means specifying its type, identifying its evolutionary sequence
and dominant polarity, as well as it underlying personality. Early onset and family history
are good predictors of therapeutic efficacy. The frequency of comorbidities and addictions
can justify specific therapeutic measures.

KEY-WORDS
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Bipolar disorders, bipolar depression, bipolarity index, manic-depressive disorder.

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