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L’idéologie du « grand remplacement » : race et religion

dans le nationalisme birman


Julie Lavialle-Prélois
Dans Communications 2020/2 (n° 107), pages 191 à 203
Éditions Le Seuil
ISSN 0588-8018
ISBN 9782021442540
DOI 10.3917/commu.107.0191
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Julie Lavialle-Prélois

L’idéologie du « grand remplacement »:


race et religion dans le nationalisme birman

« [La société] a besoin, pour exister dans l’indivision,


de la figure de l’Ennemi en qui elle peut lire l’image
unitaire de son être social. »
Pierre Clastres, 19771

La discrimination dont sont victimes les populations musulmanes ara-


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kanaises, les Rohingyas, et les vagues de répression de l’armée birmane à
leur encontre qui ont conduit à des exodes massifs de ces populations ont
été particulièrement relayées au niveau international. En 1982, le général Ne
Win, alors à la tête du régime autoritaire birman, établit une liste des popula-
tions minoritaires reconnues comme faisant partie de la nation. Les Arakanais
musulmans ne figurent pas dans cette liste et deviennent dès lors apatrides2.
La construction de cet Autre radical est imbriquée dans celle de l’iden-
tité nationale autochtone birmane. Elle se situe au-delà du seuil de hiérar-
chisation des citoyennetés qui est fondée sur des appartenances racialisées.
Dans ce contexte, ces définitions identitaires sont le fruit d’un processus de
domination sociale à partir du critère religieux. Race et religion deviennent
­consubstantielles. Elles sont en effet substantiellement imbriquées dans la défi-
nition des degrés de domination. Jacques Leider définit d’ailleurs l’identité
rohingya comme ethnoreligieuse3.
Les répressions ont été extrêmement violentes. Les méthodes utilisées par
l’armée birmane, Tatmadaw, rappellent des techniques de guerre utilisées dans
le nettoyage ethnique des territoires. Aung San Suu Kyi a été assignée à com-
paraître devant la Cour internationale de justice (CIJ) en décembre 2019 pour
faire face à des accusations de « génocide » portées par la Gambie au nom de
l’Organisation de la coopération islamique (OCI)4. En défendant les actions
militaires menées contre les populations rohingyas en Arakan, la nouvellement
labellisée « ex-opposante » apporte une caution hautement symbolique auprès

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d’une majorité de Birmans. Sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme,


elle légitime l’exclusion et l’attribution d’un caractère menaçant à cette altérité
essentialisée.
Dans les argumentaires des acteurs discriminants en Birmanie, la mystique
du « grand remplacement » est aujourd’hui convoquée pour justifier la répres-
sion5. Si la thèse popularisée par Renaud Camus6 n’est pas citée nommément,
son imaginaire et sa rhétorique sont largement utilisés pour justifier les actions
et les méthodes de l’armée. De plus, la référence à d’autres contextes, notam-
ment européens, plaide en faveur d’une instrumentalisation de cette théorie.
La théorie remplaciste est donc convoquée par les acteurs comme levier de
signification et ce à différents niveaux. Elle devient par là une idéologie qui
fonctionne au sein d’un réseau de mythes, et s’impose comme cadre de lecture
pertinent par sa résonance avec les mythes de l’Unité et du Sauveur utilisés
dans le contexte birman. En effet, comme on le verra, l’idéologie du « grand
remplacement » s’appuie sur un imaginaire et une rhétorique correspondant à
la construction mutuelle d’une identité nationale birmane (Unité) et d’un récit
de légitimation du pouvoir autoritaire (Sauveur).
Je propose donc de m’intéresser ici au processus de fabrication d’un rapport
social de domination à partir du religieux. À la base de la discrimination des
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Arakanais musulmans, il y a la fusion d’une approche raciale et d’une approche
religieuse des identités nationales puis plus largement la fabrication d’une alté-
rité musulmane essentialisée. Je porterai ensuite mon attention sur l’utilisation
de l’idéologie remplaciste pour délimiter et légitimer les frontières nationales.

Les structurations impérialistes du social :


établissements et bouleversements.

Durant la période précoloniale, le territoire de l’actuelle Birmanie a été unifié


à trois reprises par des empereurs bamars. Comme dans d’autres pays d’Asie
du Sud-Est7, bouddhisme et monarchie ont formé un système de ­légitimation
mutuelle. Dans le cas birman, l’incorporation du culte des nats8 par le ­bouddhisme
therāvada s’est révélée un outil de fédéralisme. L’implantation territoriale de
ce culte composite « est, en effet, indissociable du processus birman d’unifi-
cation9 ». Il devient ensuite un moyen de justification de l’hégémonie bamar
lorsqu’en 1785, dans la Nouvelle chronique de Bagan, la légende des Sākya est
intégrée à l’historiographie monarchique du groupe social dominant. Une rela-
tion filiale est ainsi établie entre les souverains bamars et le groupe d’origine
du Bouddha, les Sākya10. Le royaume d’Arakan est, quant à lui, gouverné par
des souverains musulmans de 1430 à 1638. Leur souveraineté s’efface avec la
dernière unification du territoire par la dynastie bamar des Konbaung. Avant

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la colonisation, le bouddhisme est alors un outil de fédéralisme mais il sert


également de cadre à la justification de la domination bamar.
La colonisation a été menée en premier lieu par la Compagnie des Indes qui
a conquis le territoire en trois vagues (1824‑1826 ; 1852‑1853 ; 1885‑1886).
L’administration coloniale anglaise a renversé l’ordre social qui lui préexistait.
La Ministerial Burma, où le groupe social alors dominant, les Bamars, est
majoritaire, est administrée de manière plus directe que les Frontiers Area,
peuplées de groupes sociaux non-bamars, plus autonomes. En mettant fin à la
monarchie, les colons ont relégué le bouddhisme à l’arrière-plan, contribuant
ainsi à créer des tensions avec les populations bouddhistes du pays.
L’immigration de populations venant de tout le reste de l’Empire des Indes
a jeté les bases d’une discrimination qui assimilait ces populations aux colons
européens. La Birmanie devient le « grenier à riz » de la Couronne. Les besoins
de main-d’œuvre provoquent des migrations notamment en Arakan où elles
créent des inégalités dans l’accès à la terre et au travail. De plus, la domination
institutionnelle est alors souvent exclusivement confiée aux Européens ou aux
Indiens (le personnel des prisons par exemple11), préparant ainsi l’association
future de l’« indianité » et du traumatisme colonial.
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La fabrication d’une figure à double face :
l’étranger colonisateur.

Comme François Robinne le souligne, à l’époque des empires bamars les


rois « ne se battaient pas contre des Shan ou des Kachin, considérés sous cette
forme globale qui n’existait pas encore, mais contre des structures politiques
autonomes12 ». Ces conflits sont cependant interprétés par les colons comme
des « luttes interethniques13 ». Je rejoins ici l’une des idées exposées par Jean-
François Bayart et Romain Bertrand selon laquelle « la provenance coloniale des
systèmes d’inégalité et de domination contemporains paraît irréfutable14 ». En
effet, si la gestion binaire renversant l’ordre précolonial a servi de terreau aux
inégalités et aux discriminations post-coloniales, l’appropriation des concepts
de race par les populations va fabriquer des frontières entre les groupes. Le
découpage ethnique du pays effectué par les Britanniques a joué également un
rôle majeur dans la formulation d’un rapport dialectique et hiérarchisé entre
pouvoir central et minorités15.
L’étiquetage des populations par les colons anglais conforte effectivement
les nouvelles frontières sociales produites par le rapport de domination. Les
populations musulmanes de l’État d’Arakan deviennent pour les colons les
Arakan Mahomedans et sont ainsi distinguées des real natives, les Arakanais
bouddhistes. Cette distinction se fonde sur le religieux mais semble déjà en
elle-même mettre en scène la consubstantialité de la race et de la religion étant

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donné qu’elle suppose l’autochtonie. C’est ensuite sous le label indian race
que le pouvoir colonial regroupe les anciennes populations musulmanes et les
populations qui ont immigré pendant la colonisation. Si ce regroupement est
principalement statistique, des différences de statut existant, il est néanmoins
cause et conséquence de représentations amalgamées.
En effet, le qualificatif « indien » est employé indistinctement par le pou-
voir colonial, mais aussi souvent par les Birmans, pour désigner les hindous
et les musulmans, sans distinguer la caste ou la région d’origine16. Renaud
Egreteau définit l’indophobie comme des « sentiments latents de peur, mais
aussi de haine vis-à-vis de ces communautés hindoues, sikhes, musulmanes
et chrétiennes venues de tout le reste de l’Empire britannique des Indes17 ».
Le terme kala18 devient péjoratif mais il n’est pas utilisé exclusivement pour
désigner les hindous et musulmans. Kalahpju signifie « étranger blanc19 ». Cette
utilisation mixte du terme kala, pour les étrangers indiens et pour les étrangers
blancs, renvoie l’indophobie à une forme de rejet de l’impérialisme colonial.
On notera également un point particulièrement intéressant selon lequel « les
quelques Birmans convertis à l’islam sont aussi appelés kala parce qu’ils ont
perdu leur identité birmane20 ».
La double figure de l’étranger impérialiste, représentée par ces désignations
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communes, illustre l’amalgame fait par les Birmans entre les différentes immi-
grations de la période coloniale qui conduit à rattacher l’indophobie à la lutte
anti-impérialiste. La récurrence des pogroms anti-Indiens dès les premières
mobilisations anticoloniales témoigne d’une forme de « continuité » avec cette
double figure et met en scène son caractère potentiellement prédateur.
Entre 1930 et 1938, la radicalisation du nationalisme et des aspirations
anticoloniales motive une série d’événements allant des grèves et des mani-
festations aux émeutes urbaines et aux pogroms anti-Indiens et islamophobes.
Plusieurs pogroms indophobes ont lieu durant les années 1893, 1920, 1924,
ainsi qu’entre les années 1930‑1931 et 1938‑193921. De nombreux lieux de
culte hindouistes, sikhs et musulmans sont détruits, totalement ou partielle-
ment. L’une des révoltes anticoloniales les plus importantes est menée par une
grande figure de l’histoire du nationalisme birman, Saya San. Ce bonze, déjà
actif dans la période de nationalisme des années 1920, conduit une révolte
paysanne prônant un ordre proche de celui qui précéda la colonisation, à
savoir l’hégémonie bamar et son modèle monarchique, bouddhiste, fondé sur
une économie agraire. Cette révolte dure dix-huit mois en 1930 et 1931, elle
est finalement violemment réprimée par les colons, faisant environ 3 000 morts
(rebelles) et 9 000 arrestations. À la suite de ces événements, Saya San est
décapité. Il est intéressant de souligner que les troupes chargées de cette
répression étaient formées principalement de cipayes indiens et de s­oldats
kachin et karen ; ce qui a nourri, une fois de plus, le ressentiment de la

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majorité bamar à l’égard des minorités. Saya San reste encore aujourd’hui un
personnage historique populaire et admiré.
Jean-François Bayart et Romain Bertrand considèrent le radicalisme identi-
taire comme partiellement dérivé du racialisme européen et des frontières qu’il
trace entre les groupes22. Dans le cas de la Birmanie, on retrouve à l’œuvre ce
caractère performatif des catégories coloniales. Pour abonder dans leur sens,
notons que l’assimilation de ces catégories est également inséparable de l’appro-
priation des codes de l’État-nation tels qu’ils ont été importés durant la période
coloniale : « l’idéologie ethnique, affirme David Brown, doit obligatoirement se
définir soit comme une réaction à, soit comme un constituant de, l’idéologie
de l’État-nation23 ». Dans notre cas, il s’agit donc plus d’un « constituant ». En
effet, de nos jours encore, les individus se présentent largement à l’observateur
extérieur par leur appartenance ethnique. Avec leurs compatriotes, le type de
présentation dépend de l’appartenance et du contexte. Jean A. Berlie note par
exemple que, dans une perspective d’assimilation, les Indiens musulmans ont
souvent un second nom, birman, pour la sphère publique24.
La mystique de l’Unité25 qui pose l’unification et l’homogénéité de la
population nationale et de ses valeurs civilisationnelles comme conditions
préexistantes à l’établissement institutionnel des frontières est donc ici com-
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plètement intégrée. L’unification et l’homogénéité passant notamment par les
récits historio­graphiques et par la promotion du critère religieux, ici le boudd-
hisme. L’intégration des définitions coloniales correspond donc à des définitions
ethno­nationalisées des identités et par là à la définition d’en-dedans de la
nation birmane. In extenso, ces références identitaires conduisent à la définition
­d’ennemis, d’Autres radicaux.
La défense de l’identité du groupe endogène et de sa position de domina-
tion dans l’espace national s’exprime donc par l’opposition de ce groupe à un
groupe exogène envahisseur. Cette reconstruction implique déjà la définition
d’un au-dehors. Combinée à l’essentialisation des populations indianisées, cette
reconstruction pose les bases des discriminations à venir et des hiérarchies
sociales consubstantielles à ces désignations.

Lutte indépendantiste et stratification


des appartenances nationales

On retrouve cette hiérarchisation et la réaffirmation du bouddhisme comme


marqueur d’un « peuple authentique birman » dans l’argumentaire de base
de la lutte anti-impérialiste. Les associations estudiantines qui organisent des
systèmes de désobéissance civile mettent en scène cette définition de l’identité
birmane.

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En 1906, la YMBA (Young Men’s Buddhist Association) est créée par des
étudiants du Rangoon College. Sur le modèle de Malun athìn dont le but est
d’assurer la distribution de riz aux moines à Mandalay, la YMBA propose
le revivalisme bouddhique comme contestation du colonialisme. La démarche
des étudiants consiste à encourager les parents à préférer une éducation boud­
dhiste et en langue birmane pour leurs enfants (dispensée en monastère) plutôt
que l’éducation coloniale en langue anglaise26.
Dóbama Asi-ayone est l’une des associations estudiantines créées dans ce
contexte. Elle naît en 1930 à l’université de Rangoon. Elle a tenu un rôle
majeur dans la lutte anti-impérialiste et a vu passer dans ses rangs les futurs
dirigeants de la Birmanie post-coloniale (Aung San, U Nu, Ne Win). Dóbama
est considéré par certains observateurs comme le premier mouvement de
« ­birmanisation27 », ses membres préconisant l’assimilation des minorités à
la « civilisation » ­birmane. Ces derniers se font appeler thakin, qui signifie
« maître », pour marquer leur rejet de la domination coloniale.
Cependant la tension entre les aspirations fédérales et la domination bamar
va se retrouver au moment de la structuration du mouvement indépendantiste.
L’unité d’action recherchée pour structurer la lutte anti-impérialiste va s’appuyer
sur un pan de l’historiographie censé s’inscrire dans le mythe de l’Unité. Mais
cet outil de mobilisation des thakin témoigne de l’assimilation du concept de
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race et de sa formulation dans la lutte contre le colonisateur : la « ­sākyanité ».
Les membres de l’association composent un chant, qui deviendra l’hymne
­national, et qui débute par une référence au fondateur sākya de Tagaung28.
La visée fédératrice de ce chant dans le cadre de la lutte indépendantiste
emprunte donc dans le même temps une référence qui, dans l’historiographie
monarchique, confère le caractère souverain des Bamars selon une acception
lignagère.
Ce répertoire légitime à la fois l’hégémonie bamar et le bouddhisme comme
marqueur de l’identité nationale. Il propose une première esquisse des hiérar-
chisations sociales complexes qui placent le bouddhisme comme ensemble du
dedans. La hiérarchisation de type racialiste ou ethniciste ajoute à cette frontière
sociale une stratification des appartenances nationales.
Le libérateur de la Birmanie est Aung San qui dirige la reprise du pays aux
colons avec l’aide du gouvernement japonais en 1943, en s’appuyant sur l’unité
des Trente Camarades dont Ne Win fait notamment partie. Cette unité deviendra
l’armée de la libération (BIA) puis, sous le nom de Tatmadaw, l’armée nationale
birmane après l’indépendance du pays en 1948. Aung San meurt en 1947 ; il
était, en même temps que le « père de la nation », le « père de Tatmadaw ».
Jusqu’en mars 1962, le gouvernement de la Birmanie indépendante est un
gouvernement civil. Cependant de 1958 à 1960, le Premier ministre U Nu
demande à Ne Win, alors à la tête de Tatmadaw (il est le « tuteur » de l’orga-
nisation), de prendre les rênes du pays en proie aux insurrections. U Nu donne

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par là un mandat au coup d’État militaire qui suivra. Après le coup d’État, le
général Ne Win met en place un gouvernement prétorien.

Désigner l’Ennemi pour légitimer


l’autoritarisme du régime.

Renaud Egreteau et Larry Jagan utilisent la notion de prétorianisme pour


penser le régime birman29 qui repose alors sur un gouvernement militaire mais
non militariste ; car ces prétoriens n’ont pas un mode de gouvernement essen-
tiellement coercitif. Ce régime prétorien exerce un leadership politique qui place
au centre de ses « préoccupations » sa propre légitimation30. La légitimité du
chef de file du système, Ne Win, est liée de façon très forte à sa participation
à la guerre de libération. Le système prétorien est présenté comme légitime
parce qu’il rejoue la guerre de libération. De plus, Ne Win peut se prévaloir
de sa position dans Tatmadaw dont il est le « tuteur ». Rappelons ici que
Tatmadaw est « dérivée » de l’armée de libération, ce qui légitimise d’autant
plus son pouvoir aux yeux de la rhétorique anticoloniale.
Se positionnant en sauveurs et gardiens de l’unité31, les prétoriens birmans
apparaissent comme les protecteurs des intérêts nationaux contre des étran-
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gers menaçants, dont l’imaginaire est sans cesse réactivé dans les d­ iscours,
et comme des professionnels de la gestion des insurrections32. L’usage de
méthodes autoritaires est alors prescrit pour résoudre les conflits et toutes
les institutions qui ne sont pas gouvernées par l’armée sont délégitimées. La
justification du système prétorien passe donc par la promotion de la sécurité
nationale et par la réactivation des valeurs qui ont été attribuées à la libéra-
tion. Il met ainsi en scène à la fois la redéfinition de l’identité birmane et la
nécessité de la défendre.
Ne Win ajoute, à une rhétorique de légitimation de son autorité par le
rétablissement de l’ordre, une attitude xénophobe à l’égard des minorités mais
aussi des frontaliers et plus largement de toute influence étrangère. En effet,
l’amalgame entre « ceux d’en haut » (dans ce rejeu, les puissances étrangères)
et « ceux d’en face » (les minorités) nourrit la politique de « birmanisation »
du gouvernement ne winnien. En 1982, le général Ne Win édite une liste de
135 minorités reconnues comme birmanes. Les Arakanais musulmans, considé-
rés comme des immigrants illégaux originaires du Bangladesh, n’y figurent pas.
L’amalgame entre les différents acteurs du régime colonial qui a conduit à
l’émergence d’un ressentiment à l’égard des populations indianisées découle
de cette considération. Dans l’État d’Arakan, l’autochtonie est reconnue aux
populations bouddhistes par le pouvoir colonial (real natives), les populations
musulmanes, regroupées nous l’avons vu sous le label indian race, sont alors
stigmatisées comme illégitimes dans l’espace national. À un niveau national,

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la non-reconnaissance des Arakanais musulmans, les Rohingyas, s’inscrit par-


faitement dans la définition d’un en-dedans et d’un en-dehors de la nation
(mythe de l’Unité).
En 1988, des manifestations sont réprimées dans le sang et Ne Win quitte
son poste. Une « deuxième dictature » prend la tête du pays, sous le nom de
Conseil d’État pour la restauration de la loi et de l’ordre (SLORC), qui devien-
dra en 1997 le Conseil d’État pour la paix et le développement (SPDC). Si ce
nouveau nom fait encore écho aux justifications de l’action prétorienne, il opère
néanmoins un changement qui lui permet de s’inscrire dans la durée. Ce second
régime emprunte la justification de son autoritarisme au régime ne winnien qui
l’a précédé. L’isolationnisme est donc à la base de la politique étrangère de
la junte et résulte de son approche xénophobe des influences extérieures qu’il
justifie comme une réponse à la colonisation.
Cet isolationnisme du régime découle de sa tentative de construction de
l’unité nationale autour des « valeurs birmanes » dont principalement la religion
bouddhiste, ce qui rend cette dynamique inséparable d’une ostracisation des
populations musulmanes. Renaud Egreteau et Larry Jagan parlent à ce propos
d’un « ressentiment persistant en Birmanie contre tous les types de pression
étrangère33 ». Le caractère étranger est donc construit ici à partir du mythe d’un
peuple birman authentique et du mythe de la double menace colonisatrice de
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« ceux d’en haut » et de « ceux d’en face ».

Justifier l’injustifiable : instrumentalités de l’idéologie


politique « remplaciste ».

Les définitions identitaires consubstantielles soulignées par le régime


prétorien dans son entreprise de légitimation portent le religieux au rang de
rapport social de domination. L’identité nationale birmane étant construite à
partir de la représentation d’un « peuple birman » authentiquement bouddhiste,
l’altérité du « musulman » – son « estrangement » (l’expression est de Carlo
Ginzburg) –, combinée à un fantasme de menace justifiant le gouvernement
autoritaire, conduit à un glissement du traumatisme colonial qu’on associe aux
populations indianisées vers une crainte de colonisation confessionnelle. L’alté-
rité musulmane ainsi présentée devient donc radicalement Autre et l’idéologie
remplaciste fonctionne comme théorie justificative de la discrimination.
On assiste à une biologisation de l’altérité musulmane à la fois comme cause
et comme conséquence de la consubstantialité de la discrimination. En effet, les
stratégies de guerre utilisées correspondent à des pratiques de « nettoyage » ou
de « purification territoriale »34. Les meurtres d’enfants sont associés aux viols
des femmes et s’inscrivent dans une rhétorique mettant en avant la « protection
de la race » par des militaires en grande majorité bamars. Précisons que le

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viol comme technique de guerre est utilisé à l’encontre de femmes issues de


différentes minorités35.
Cette biologisation et son utilisation par le gouvernement se manifestent déjà
en 1988 lorsque, à l’occasion des soulèvements populaires, la junte, encore sous
le contrôle étroit de Ne Win, aurait fait circuler des rumeurs de viol de femmes
bouddhistes ainsi qu’un « manifeste truqué de mollahs invitant les musulmans
de Birmanie à convertir autant de femmes que possible » en vue de provoquer
des affrontements entre bouddhistes et musulmans36. Et ce, afin de « détourner
la colère du peuple contre l’armée ». Ce levier de mobilisation populaire sera
utilisé par la suite dans d’autres situations, mais cet exemple permet de souli-
gner une nouvelle fois la conception biologisée, et donc racialisée, de l’altérité
musulmane. De plus, il semble pertinent de noter la place des femmes dans
cette narration en tant que minorité à convertir.
Une série de lois « pour la protection de la race et de la religion » adoptée
par le Parlement birman entre 2014 et 2015 illustre également ce type de
méthodes et les représentations qui les sous-tendent : contrôle des naissances
(deux enfants par famille) et délivrance d’autorisations par les autorités locales
pour tout mariage interconfessionnel, ainsi que pour toute conversion religieuse.
Si cette législation s’applique en théorie à l’ensemble de la population, elle a
été pensée dans le contexte de la lutte « pour la protection de la race et de la
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religion » par le mouvement Ma Ba Tha dont les actions visaient nommément
les musulmans de Birmanie.
L’altérité musulmane est ici construite comme une entité racisée constituant
une menace démographique. La logique complotiste qui structure l’idéologie
du « grand remplacement » s’inscrit donc complètement dans le modèle de
justification du régime. L’argument discriminant selon lequel les organisations
rohingyas seraient adossées à un panislamisme colonisateur37 pérennise l’assi-
milation datant de la période coloniale et par là l’imbrication des logiques de
lutte contre « ceux d’en face » et « ceux d’en haut ».
Sur le terrain, le discours actuel des acteurs (2017‑2018) convoque des
exemples internationaux pour justifier la discrimination. Les répressions vio-
lentes par l’armée et les méthodes utilisées ont été à l’origine de différentes
sanctions diplomatiques et économiques. L’utilisation de la mystique du « grand
remplacement » constitue donc également une réponse à ces injonctions. Elle
s’aligne sur les normes de diabolisation des musulmans dans l’arène globali-
sée. Les références aux contextes européens, notamment à la France, comme
situations similaires témoignent de l’utilisation de cette rhétorique à des fins
de justification.
C’est ainsi qu’un général, encore en poste au gouvernement, s’indigne
des injonctions d’action de la « communauté internationale » en pointant le
contexte français où, argumente-t-il, les musulmans veulent également envahir
le pays38. Les citoyens ont aussi recours à l’imaginaire remplaciste pour justifier

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la discrimination et donnent également l’exemple français, de fait, comme réfé-


rence extérieure confirmant le projet panislamique du « musulman » en faisant
référence aux attentats mais aussi plus largement à l’idée de colonisation confes-
sionnelle comme projet politique organisé par une « communauté » imaginée
monolithique et essentialisée.
L’élection de 2015 ayant mené Aung San Suu Kyi au pouvoir ne consti-
tue pas une rupture suffisante avec le pouvoir militarisé de la junte. Pendant
quatre ans, le silence de la Dame sur la situation arakanaise semble notam-
ment s­’expliquer par les contraintes structurelles de la politique birmane. La
Constitution de 2008, toujours en vigueur, interdit à une personne mariée à un
étranger de prendre la tête du pays. Aung San Suu Kyi devient alors conseil-
lère d’État et place un proche, Htin Kyaw, à la présidence39. Les généraux de
la junte conservent la gestion des ministères clés que sont les ministères de
l’Intérieur, de la Défense et de la Gestion des frontières. De plus, 25 % des
sièges du Parlement leur sont réservés d’office, leur garantissant un pouvoir
conséquent de contestation des décisions.
En novembre 2019, la Gambie, au nom de l’Organisation de la coopération
islamique (OCI), accuse le gouvernement birman de « génocide » à l’encontre
des Arakanais musulmans. La désormais nommée « ex-opposante » Aung San
Suu Kyi représente son pays en tant que « cheffe de facto » du gouvernement
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devant le tribunal de La Haye40. Elle légitime alors les actions militaires contre
des « terroristes ». La reprise des arguments de la junte par la Dame apporte
une caution symbolique particulièrement forte aux discours xénophobes et plus
largement au fonctionnement autocratique de la politique birmane. Les mani-
festations de soutien à la dirigeante, qui ont eu lieu dans différentes grandes
villes du pays, témoignent de l’intégration des argumentaires de disqualification
et du rapport xénophobe à l’« identité rohingya41 ».
Cet article a tenté d’explorer la construction mutuelle d’un ethnos birman
et d’une altérité radicale, celle de l’Arakanais musulman. La formulation des
identités, qui s’appuie sur la fabrication d’un rapport social de domination à
partir du religieux, a stratifié les appartenances nationales et défini un seuil
de non-reconnaissance. Les justifications du système autoritaire de la junte,
qui demeure encore largement actrice de la politique birmane, passent par la
désignation actualisée de ces « ennemis de la nation ». Cette actualisation,
en imposant la nécessité d’une défense nationale, donne corps à une lecture
complotiste de la menace attribuée à une identité musulmane essentialisée. La
convocation de la mystique remplaciste correspond donc à la fois à une légi-
timation interne de la discrimination, à son actualisation et à son extension à
l’ensemble des « musulmans » par opposition au rapport social unificateur que
serait le bouddhisme. Mais cette convocation est aussi une réponse aux injonc-
tions à agir sous peine de sanctions diplomatiques et économiques émanant

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L’idéologie du « grand remplacement »

d’une « communauté internationale » qui a édifié la diabolisation du musulman


en norme globale.
La « transition démocratique » annoncée en 2015 par l’élection d’Aung San
Suu Kyi et de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) est, depuis, une
expression mise de côté. L’assimilation des différentes propagandes d’État par
les populations complique le retour des populations exilées et la pacification des
rapports entre groupes. Les derniers événements contribuent à cette cristallisa-
tion des rapports de domination et à la pérennisation de l’autoritarisme birman.

Julie Lavialle-Prélois
julie.lavialle@outlook.fr
APD en études politiques à l’École des hautes études
en sciences sociales (EHESS)

NOTES

1. Pierre Clastres, Archéologie de la violence. La guerre dans les sociétés primitives, La Tour-d’Aigues,
L’Aube, 1977, p. 86.
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2. Gabriel Defert, Les Rohingya de Birmanie, Arakanais, musulmans et apatrides, Paris, Aux lieux
d’être, 2007, 302 p.
3. Jacques Leider, Rohingya : The History of a Muslim Identity in Myanmar, Oxford, Oxford Research
Encyclopedia of Asian History, 2018.
4. ONU Info, « À la Cour internationale de justice, Aung San Suu Kyi défend le Myanmar contre
des accusations de génocide », publié le 11 décembre 2019 ; https://news.un.org/fr/story/2019/12/1058011
(consulté le 20 mai 2020).
5. Les acteurs discriminants sont les agents gouvernementaux mais également certains moines boud­
dhistes influents. Les populations intégrant ces narrations deviennent également des acteurs de la diffusion
de ces imaginaires.
6. Renaud Camus, Le Grand Remplacement, Neuilly-sur-Seine, David Reinharc, 2011.
7. Par exemple le Laos, le Cambodge ou la Thaïlande. Voir sur le sujet : Bernard Hours, « Pouvoirs
et territoires bouddhistes », L’Homme, vol. 21, n° 3, 1981, p. 95‑113.
8. Bénédicte Brac de la Perrière, « Le culte des trente-sept Seigneurs dans la religion birmane », in
Gabriel Defert (dir.), Birmanie contemporaine, Bangkok, IRASEC, « Les Indes Savantes », 2008, 516 p.,
p. 53‑68.
9. Id., « La Bufflesse de Pégou : un exemple d’incorporation de rituel dans le culte de possession
birman », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, vol. 82, n° 1, 1995, p. 287‑299, p. 288.
10. Guillaume Rozenberg, « Être birman, c’est être bouddhiste… » in Gabriel Defert (dir.), Birmanie
contemporaine, op. cit., p. 29‑52.
11. Jean A. Berlie, The Burmanization of Myanmar’s Muslims, Bangkok, White Lotus Press, 2008,
156 p.
12. François Robinne, « Catégories ethniques versus réseaux transethniques. Critique du concept
d’ethnicité appliqué au paysage birman », in Gabriel Defert (dir.), Birmanie contemporaine, op. cit.,
p. 123‑142, p. 129.
13. Ibid.

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14. Jean-François Bayart et Romain Bertrand, « De quel “legs colonial” parle-t‑on ? », Esprit, n° 12,
« Pour comprendre la pensée postcoloniale », 2006, p. 134‑160, p. 136.
15. François Robinne, « Catégories ethniques versus réseaux transethniques. Critique du concept
d’ethnicité appliqué au paysage birman », art. cité.
16. Dorothy Hess Guyot, « Communal conflict in the Burma Delta », in Ruth T. McVey (dir.),
­Southeast Asian Transitions : Approaches Through Social History, New Haven et Londres, Yale University
Press, 1978, p. 195.
17. Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine. Le pays des prétoriens, Paris, Fayard,
2010, 351 p., p. 119.
18. Le terme kala signifie « celui qui arrive par la mer » (ibid.). Ce terme est d’abord employé pour
désigner un ensemble de populations d’origines et de statuts divers. On ne sait pas dans quelle mesure
ces populations se seraient approprié l’exonyme.
19. Jean A. Berlie, The Burmanization of Myanmar’s Muslims, op. cit.
20. Mikael Gravers, Nationalism as Political Paranoia in Burma. An Essay on the Historical Practice
of Power, Richmond Surrey, Curzon, 1999 [1933], p. 21.
21. Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine, Le pays des prétoriens, op. cit. Claude
Moisy, Birmanie, Lausanne, Éd. Rencontre, 1964, 214 p.
22. Jean-François Bayart et Romain Bertrand, « De quel “legs colonial” parle-t‑on ? », art. cité.
23. David Brown, The State and Ethnics Politics in South-East Asia, Londres et New York, R ­ outledge,
1994, 354 p.
24. Jean A. Berlie, The Burmanization of Myanmar’s Muslims, op. cit.
25. Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, 216 p.
26. Marc Couëstan, « Représentations du fossé entre générations et relations intergénérationnelles »,
in Gabriel Defert (dir.), Birmanie contemporaine, op. cit., p. 85‑104.
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27. Jean A. Berlie, The Burmanization of Myanmar’s Muslims, op. cit.
28. Guillaume Rozenberg, « Être birman, c’est être bouddhiste… », art. cité.
29. Renaud Egreteau et Larry Jagan, Soldiers and Diplomacy in Burma. Understanding the Foreign
Relations of the Burmese Praetorian State, Singapour, NUS Press/Singapore, IRASEC, 2013, 541 p.
30. Ibid.
31. Ibid., p. 35.
32. Eric Nordlinger, Soldiers in Politics : Military Coups and Governments, Englewood Cliffs (N. J),
Prentice Hall, 1977, p. 3 et p. 192.
33. Ibid., p. 62.
34. Bénédicte Tratnjek, « Le viol comme arme de guerre et la “géographie de la peur”. Violences
extrêmes et inscription de la haine dans les territoires du quotidien », Revue Défense Nationale, Tribune
n° 259, 2012.
35. Claude Delachet-Guillon, « La Birmanie côté femme », in Gabriel Defert (dir.), Birmanie contem-
poraine, op. cit., p. 105‑122.
36. Guillaume Karila, « De Ne Win à Nay Pyi Daw. Images de la politique intérieure en Birmanie »,
in Gabriel Defert (dir.), op. cit., p. 145‑180, p. 156.
37. Julie Lavialle-Prélois, « De la colonisation à la légitimation : l’Autre “terroriste” en Arakan »,
Journal des anthropologues, 2018, n° 3‑4, p. 63‑83.
38. Entretien informel avec une responsable de l’ambassade de Thaïlande à Bangkok en février 2018.
39. Htin Kyaw, ancien chauffeur de la Dame, quitte la présidence le 21 mars 2018 pour des raisons
de santé. Win Myint, également membre de la LND et proche d’Aung San Suu Kyi, lui succède.
40. ONU Info, « À la Cour internationale de justice, Aung San Suu Kyi défend le Myanmar contre
des accusations de génocide », art. cité.
41. AFP, « “Génocide” rohingya : la CIJ donne la parole à Aung San Suu Kyi », article publié par
L’Express le 11 décembre 2019 ; https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/genocide-rohingya-la-cij-donne-
la-parole-a-aung-san-suu-kyi_2110633.html (consulté le 20 mai 2020).

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L’idéologie du « grand remplacement »

RÉSUMÉ

L’idéologie du « grand remplacement » : race et religion dans le nationalisme birman


Cet article propose une lecture de la discrimination des Arakanais musulmans, ou Rohingyas, puis
de son actualisation et de son étendue à l’ensemble des musulmans, notamment à travers le recours à
la mystique du « grand remplacement ». Nous nous intéresserons à la fabrication d’un rapport social de
domination à partir du religieux et à la consubstantialité race-religion qui est au fondement de la défini-
tion de l’altérité radicale du musulman et ce, en interaction avec la formulation d’une identité nationale
birmane autochtone.
mots-clés : Birmanie, Rohingyas, consubstantialité, discrimination, identité nationale

SUMMARY

The Ideology of “Great Replacement” : Race and Religion in Burmese Nationalism


This article proposes a reading of the discrimination of the Muslim Arakanese, or Rohingyas, then of its
actualization and extension to all Muslims, in particular by means of the ideology of the “Great replacement”.
We will investigate the construction of the social relation of domination rooted in the religious and in the
race-religion consubstantiality, which in its turn accounts for the definition of the radical otherness of the
Muslim, in interaction with the formulation of an indigenous Burmese national identity.
keywords : Burma, Rohingya, consubstantiality, discrimination, national identity
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RESUMEN

La ideología del “Gran Reemplazo” : raza y religión en el nacionalismo birmano


Este artículo propone una lectura de la discriminación de los musulmanes arakaneses o rohinyás,
seguida de su actualización y su extensión a todos los musulmanes, en particular a través del recurso a la
ideología del “Gran Reemplazo”. Nos ocuparemos de la construcción de una relación social de dominación
desde la perspectiva de la religión y de la consustancialidad entre raza y religión que está en la base de
la definición de la alteridad radical del musulmán, en interacción con la formulación de una identidad
nacional birmana autóctona.
palabras claves : Birmania, rohinyá, consustancialidad, discriminación, identidad nacional

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