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Invention et réinventions du mythe des « Sages de Sion ».

De la « conspiration juive » au « complot sioniste mondial »


dans le monde arabo-musulman
Pierre-André Taguieff
Dans Revue d’Histoire de la Shoah 2004/1 (N° 180), pages 172 à 219
Éditions Centre de Documentation Juive Contemporaine
ISSN 1281-1505
ISBN 9782850567186
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INVENTION ET RÉINVENTIONS DU MYTHE DES
« SAGES DE SION ».
DE LA « CONSPIRATION JUIVE » AU « COMPLOT
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SIONISTE MONDIAL » DANS LE MONDE ARABO-
MUSULMAN1

par Pierre-André TAGUIEFF *

« Le phénomène décisif ce sont les haines abstraites, les


haines de quelque chose que l'on ne connaît pas et sur quoi
on projette toutes les réserves de haine que les hommes
semblent porter au fond d'eux-mêmes. »
Raymond Aron 2

A u début du XXIe siècle, en dépit du désenchantement du monde et de la


sécularisation, censés avoir provoqué la disparition définitive de la
pensée magique et de la croyance aux démons, nous devons toujours nous
interroger sur ce mythe politique moderne qu'est le « complot juif mondial »
qui, à travers de multiples avatars, n'a point cessé de réenchanter négativement
notre monde 3. Nombreux sont aujourd'hui les indices attestant non seulement
la survivance, mais encore la surprenante et inquiétante vitalité de ce mythe
d'accusation redoutable, porté par un ensemble de peurs, d'obsessions et de

* Directeur de recherche au CNRS.


1. Ce texte est extrait de la troisième partie de l'ouvrage intitulé Prêcheurs de haine.
Traversée de la judéophohie planétaire, à paraître fin février 2004 aux Éditions Mille et une
nuits/Fayard. Il est reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur et de la direction des
Éditions Mille et une nuits. Qu’ils en soient ici vivement remerciés.
2. Raymond Aron, « La haine, ses origines religieuses et sociales » (24 novembre 1955),
Évidences, 7e année, n° 53, décembre 1955, p. 46.
3. La présente étude historique et critique prolonge, en les complétant et en les corrigeant
sur certains points, les analyses développées dans mon livre sur les Protocoles des Sages de
Sion, publié au début de 1992 (Pierre-André Taguieff, 1992, t. I et II). Pour les références
de base (sources secondaires) et les références complètes des ouvrages mentionnés dans ces
notes voir la bibliographie sélective placée à la fin de cette étude, où les ouvrages et les arti-
cles sont respectivement mentionnés suivant l'ordre chronologique de leur publication.
Pour les sources primaires, voir la bibliographie contenue dans le tome I de mon livre sur
les Protocoles (1992, p. 365-381 ; nouvelle édition augmentée, 2004).
haines inépuisables1. Il représente le fil continu reliant le vieil antisémitisme
médiéval aux nouvelles formes de judéophobie, liées à la mythisation de
l’« antisionisme ». Sa vitesse de circulation et sa force de pénétration dans les
opinions permettent de mesurer la nouvelle vague planétaire de judéophobie.
Il semble bien que la démythisation n'ait pu entamer la force symbolique de
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ce grand récit de fiction mettant en scène une prétendue surpuissance cachée,
celle des « Juifs internationaux », du « sionisme mondial » ou de la « judéo-
maçonnerie cosmopolite » (ou « mondialiste »).
On sait que son principal véhicule textuel est constitué par un document
apocryphe, les Protocoles des Sages de Sion, fabriqué à Paris au tout début du
XXe siècle à l'initiative de la police secrète russe, l'Okhrana (le « service de la
Sûreté politique »), sous la direction de Pierre Ivanovitch Ratchkovski2. Depuis
l'été 1921, il est établi, sur la base d'une rigoureuse comparaison de textes due
au journaliste britannique Philip Graves, que ce « document » supposé
« révélateur » constitue un plagiat. Plus précisément, ce « document » est un
faux fabriqué notamment avec d'autres faux : une compilation attribuée
mensongèrement à des sources juives ou judéo-maçonniques. Il s'agit donc
d'une mystification littéraire d'usage politique qui, en dépit d'une critique
démystificatrice récurrente depuis 1920, a parfaitement réussi. Paradoxe
tragique : le succès mondial du faux s'est confirmé à la fin du XXe siècle, porté
par les mobilisations dites « antisionistes » et la propagande islamiste dénonçant
le « sionisme mondial » ou le « complot américano-sioniste », alors même
qu'en 1999, au terme du dépouillement de nouvelles archives trouvées en
Russie, l'historien russe Mikhaïl Lepekhine pouvait enfin identifier le faussaire,

1. Je rejoins les auteurs qui placent la haine (plutôt que la peur ou le mépris) au cœur de toutes
les formes de judéophobie et supposent que la haine antijuive possède un haut degré de spécificité,
justifiant qu'on puisse lui accorder un caractère d'unicité ou d'incomparabilité (laquelle est bien
sûr toujours relative). À bien des égards, le statut de « peuple élu » est, dans l'imaginaire judéo-
phobe, inversé en statut de peuple maudit, diabolisé ou satanisé. L'élection devient malédiction :
manière d'essentialiser négativement l'ensemble de ceux qui sont perçus comme Juifs ou désignés
comme tels par leurs ennemis. Ce qui est conservé à travers cette inversion du jugement de valeur,
c'est la thèse de l'unicité. Voir notamment Dennis Prager et Joseph Telushkin, 2003, p. 3-29.
2. Ratchkovski, à la fin du règne d'Alexandre II, en 1879, était déjà attaché à la police politique,
en qualité d'agent secret de la 3e section de la chancellerie particulière du tsar. Puis, à partir de 1884,
il occupa le poste de chef de l'Okhrana à l'étranger. À la fin de 1902, il fut révoqué de ses fonctions
à Paris par Plehve. Voir général Guérassimov, p. 42. Ratchkovski avait su en 1902 que Plehve
préparait sa révocation en le qualifiant de « judéo-franc-maçon » ( !), ce qui avait fait de lui un
ennemi implacable du ministre de l'Intérieur. Il suggère aussitôt à l'agent Azev de préparer son
assassinat, imputable aux socialistes révolutionnaires dont l'Organisation de combat était infiltrée
et manipulée par l'Okhrana. Le 15 juin 1904, Plehve était tué par la bombe d'un terroriste de
l'Organisation de combat, un nommé Sazokhov. Voir Michel Tansky, Quatre siècles de police
secrète russe, Paris, Éditions Colbert, 1968, p. 88-89. NDLR : Selon d'autres sources citées par
certains contributeurs de cette livraison, la rédaction des Protocoles se situerait plutôt vers 1898.
Matthieu Golovinski 1, et reconstruire son itinéraire paradoxal - de la police
tsariste au bolchevisme ! La progression du mythe dans l'opinion mondiale est
allée de pair avec les progrès de la critique rationnelle de la mystification.
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I. Métamorphoses et nouveaux usages du mythe
Après la Seconde Guerre mondiale et la création de l'État d'Israël
(1948), dès le début des années 1950, aux lendemains de la crise de Suez
mais surtout après la guerre des Six-Jours (juin 1967), le faux sera utilisé
massivement pour dénoncer le « sionisme mondial » (entité mythique
répulsive, et non pas réalité politique définissable) par la propagande de la
plupart des pays arabes, et plus largement musulmans.

Usages « antisionistes » du faux dans le monde arabo-musulman


Au cours de l'automne de 1951 paraît au Caire une traduction arabe (la
première due à un musulman), faite par Muhammad Khalifa al-Tunsi, de
l'une des versions anglaises des Protocoles (celle de Victor E. Marsden,
publiée par le groupe antisémite « The Britons », Londres, 1921), Le Péril
juif. Les Protocoles des Sages de Sion. Dans sa longue préface, le traduc-
teur égyptien oriente ainsi ses lecteurs :

Ce livre est le plus dangereux jamais publié dans le monde, comme ne peuvent
s'en convaincre que ceux qui, familiers des lois de l'histoire et de celles de la
sociologie, au fait de l'histoire des Juifs et des orientations du cours du monde,
et avertis des secrets de l'esprit humain, ont étudié mot à mot, avec attention
et minutie, le contenu de chacun des Protocoles en liant entre elles les diffé-
rentes parties du plan qu'ils dessinent. C'est alors seulement qu'ils peuvent
appréhender le complot infernal mis en œuvre par les Juifs pour corrompre le
monde et le soumettre tout entier au service de leurs intérêts exclusifs.
Le compte rendu admiratif que donne de cette édition des Protocoles
l'écrivain égyptien très respecté Abbas Mahmoud al-Aqqad, dans Al-Asas
le 23 novembre 1951, montre une totale absence de regard critique sur le
document apocryphe :

1. Voir Victor Loupan, 1999 ; Éric Conan, 1999. Dans le deuxième tome de son imposant
ouvrage historique, Deux siècles ensemble 1795-1995, Alexandre Soljénitsyne, sans citer sur ce
point précis ses sources, présente Matthieu Golovinski comme le « principal artisan » de la fabri-
cation des Protocoles et désigne Ratchkovski comme le « commanditaire » du faux (Deux
siècles ensemble 1917-1972, t. Il : Juifs et Russes pendant la période soviétique, éd. originale
2002, trad. fr. Anne Kichilov, Georges Phihppenko et Nikita Struve, Paris, Fayard, 2003. p. 191).
La traduction arabe [...] a été établie avec le plus grand soin [...] par cet
auteur compétent et savant qu'est Muhammad Khalifa al-Tunsi [...]. L'esti-
mable traducteur a, de surcroît, fait précéder le texte de ce livre démoniaque
d'une copieuse préface où il explique que les dirigeants sionistes ont tenu 23
congrès depuis 1897, le dernier en date étant celui qui s'est tenu, pour la
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première fois, à Jérusalem, le 14 août 1951, pour étudier [...] la question de
l'émigration juive vers Israël et discuter de la question de ses frontières !
L'objectif commun de toutes ces réunions : étudier les plans de la mise en
œuvre desquels sortira le royaume mondial de Sion. La première de ces
réunions, à laquelle participèrent près de 300 dirigeants sionistes parmi les
plus virulents, représentant plus de 50 organisations juives, s'était tenue à
Bâle, en Suisse, en 1897, sous la présidence de Theodor Herzl. C'est au
cours de cette réunion que fut mis au point un plan secret visant à asservir
le monde et à le soumettre à un roi appartenant à la descendance de David1.
En avril 1957 sort au Caire une nouvelle édition arabe des Protocoles,
rééditée en 1959 sous le titre Communisme et Sionisme. Les Presses isla-
miques, à Beyrouth, rééditent en novembre 1967 la version française des
Protocoles publiée en 1921 chez Grasset, avec l'introduction de Roger
Lambelin (royaliste proche de l'Action française)2, précédée d'une
préface de style conspirationniste et violemment « antisioniste » de Faëz
Ajjaz. La première page de couverture donne à lire le message suivant dans
le surtitre, en guise de réactualisation du « document » : « La vérité sur
Israël, ses plans, ses visées, révélée par un document israélite3 ». Dans sa
préface datée du 5 novembre 1967, le journaliste et publiciste syrien Faëz
Ajjaz (el-Ajjaz)4, éclairé par sa lecture « naïve » des Protocoles, interprète
le combat des Arabes et des musulmans contre Israël comme la légitime
résistance des peuples agressés contre les « fils de Sion » poursuivant le

1. Voir Pierre-André Taguieff (dir.), 1992, t. II, p. 671. On reconnaît la formule falsifiée
de Rathenau.
2. « Protocols » des Sages de Sion, traduits directement du russe et précédés d'une intro-
duction de Roger Lambelin, Paris, Éditions Bernard Grasset, 1921 ; 2e éd. augmentée d'une
préface, 1925 ; dans l'édition achevée d'imprimer le 13 mai 1937, il est précisé qu'elle
correspond au 11e tirage.
3. « Les Protocols » des Sages de Sion, texte intégral publié en 1905 par Serguei A. Nylus
conservé au British Museum Library, Beyrouth, Presses islamiques, 30 novembre 1967 [je
cite tel quel].
4. Dans leur enquête sur les relations entre milieux nazis (et néonazis) et monde arabo-
islamique, Roger Faligot et Rémi Kauffer signalent les « liens étroits entre Paul Latinus, le
“Maréchal” des mouvements néofascistes [en Belgique] Front de la jeunesse et Wesland
New Post mort mystérieusement en avril 1984, et le journaliste syrien Faez el-Ajjaz » (Le
Croissant et la croix gammée. Les secrets de l'alliance entre l'Islam et le nazisme d'Hitler
à nos jours, Paris, Albin Michel, 1990, p. 247).
rêve de domination mondiale de leurs ancêtres (« les Sages de Sion »), tout
en voyant dans la guerre des Six-Jours une preuve irrécusable, voire la
preuve décisive de l'authenticité des Protocoles :

L'année 1967 fera date — sans doute - dans l'histoire du Moyen-Orient


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arabe en particulier, et dans l'histoire de l'humanité en général. Car c'est
au cours de cette année, et plus précisément le 5 juin 1967, que le peuple de
Sion confirma, pour la première fois dans son histoire, l'authenticité d'un
document publié en 1905 et qui n'a cessé, depuis sa parution, de faire
couler un flot d'encre et de soulever un ouragan de polémiques. En effet,
c'est en déclenchant leur campagne d'expansion territoriale, expansion
basée sur la violation de toutes les normes de la morale et du droit, que les
fils de Sion ont donné la preuve matérielle qu'ils n'ont jamais oublié les
« Protocols » de leurs Sages et les principes posés par ces Protocols pour
la réalisation de leur rêve : la domination mondiale. Partis de l'idée qu'ils
étaient le Peuple élu de Dieu, ils semblent avoir oublié que les Arabes ont
toujours employé le qualificatif opposé à celui correspondant à la réalité
des choses dans l'espoir d'adoucir l'amertume de la réalité 1. Car l'histoire
juive est édifiante sur la place qu'accorde la divinité à cette petite commu-
nauté, maudite par le Ciel au point d'être un peuple éternellement errant 2.
Le propagandiste « antisioniste » reprend ensuite la grande accusation
contre les Juifs lancée par les Protocoles - celle d'être une puissance de
chaos -, la réinscrit dans la catégorie du Juif « ennemi du genre humain »
et, pour finir, déplore l'aveuglement des Occidentaux chrétiens face à la
terrible menace incarnée par Israël :

Je n'entrerai pas ici dans le détail de l'histoire des fils de Sion et de la


preuve qu'ils étaient toujours derrière chaque mouvement qui a essayé de
saper-à travers l'histoire - les réformes spirituelles et morales entreprises
au profit de l'humanité. Je voudrais simplement rappeler aux lecteurs de cet
ouvrage l'attitude pro-juive et anti-arabe adoptée par la majorité des peu-
ples de l'Europe et de la communauté chrétienne dans le monde au cours des
événements de juin 1967, et les mettre à nouveau en présence du danger réel
que représente Israël, non point pour les Arabes et les musulmans seuls,
mais surtout pour les chrétiens et l'humanité tout entière. [...] Puisse la Divi-
nité éclairer tous les chrétiens du monde à réaliser le danger, à unir leurs
efforts aux nôtres pour le bien de la race humaine tout entière 3.

1. Le préfacier ajoute ici une note : « C'est ainsi qu'on dit d'un aveugle “le clairvoyant”
et de celui qui a été mordu par un serpent “le guéri”. » (p. Il, note 1).
2. Faëz Ajjaz, ibid., p. II-III.
3. Faëz Ajjaz, ibid., p. I-II.
Derrière le discours de légitime résistance aux agresseurs et envahis-
seurs « sionistes », il convient de discerner un modèle interprétatif de la
guerre contre Israël dérivé d'une vision du monde largement répandue dans
le monde arabo-islamique : la guerre contre Israël, fondée sur le principe
d'un rejet absolu de ce « corps étranger » (ou de ce « cancer »), n'est pas
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une guerre entre nations, mais une guerre légitimement conduite par les
peuples arabes et musulmans contre ces dhimmis révoltés que sont les Juifs
au Proche-Orient, afin de les chasser d'une terre arabo-musulmane qu'ils
occupent illégitimement par la force, et, pour les idéologues fondamenta-
listes, de restaurer la loi islamique. Le système arabo-islamique traditionnel
de gouvernement des peuples conquis (dhimmis) continue de définir la
normalité politique dans l'imaginaire « antisioniste » : les dhimmis, Juifs ou
chrétiens, ne sont tolérés sur une terre musulmane qu’à la condition qu'ils
acceptent un statut spécifique de dominés, inférieurs, soumis et, à ce titre,
protégés 1. En 1968, tandis que le frère du président Gamal Abdel Nasser
édite au Caire un ouvrage titré Les Protocoles des Sages de Sion et les
préceptes du Talmud2, l'Institut islamique de Beyrouth publie 300 000
exemplaires des Protocoles en français, en italien, en espagnol et en arabe.
Dans la préface de sa réédition « populaire » de 1968, Shauqi Abd al-Nasser
s'adresse ainsi à son lecteur : « Tu te dois, ô compatriote, de répandre ce
livre au plus grand nombre possible de tes frères et de tes amis. Tu te dois,
ô compatriote, de lire le livre une fois, puis plusieurs fois, puis de l'analyser,
jusqu’à ce que nous connaissions son programme satanique et ses méthodes
de serpent, car la connaissance de l'ennemi est une partie de notre ligne
d'action jusqu’à la victoire. » Le frère du président Nasser reprend dans
cette même préface l'argument sophistique visant à prouver l'authenticité
des Protocoles par « l'acharnement » des Juifs à la nier et à interdire l'accès
au « document » : « Le livre que vous avez devant vous [les Protocoles] est
un livre extrêmement rare [sic] dans le monde entier puisque les Juifs mena-
cent d'assassinat ou de châtiments terribles toute personne qui en entrepren-
drait la traduction, la publication ou la diffusion. [...] Leur but est de racheter
le livre et de s'efforcer de récupérer toute édition qui sort des presses dès son
impression et avant qu'elle ne parvienne aux lecteurs, quel que soit le
nombre d'exemplaires, les efforts à déployer et le coût en argent. »

1. Sur le système politique appelé « dhimmitude », voir les travaux de Bat Yeor, Le
Dhimmi, Paris, Anthropos, 1980 ; Les Chrétientés d'Orient entre jihâd et dhimmitude,
Paris, le Cerf, 1991 : Juifs et chrétiens sous l'islam. Les dhimmis face au défi intégriste,
Paris, Berg International, 1994 ; Islam and Dhimmitude : Where Civilizations Collide,
Cransbury, N.J. et Londres, Associated University Presses, 2001.
2. Voir Bernard Lewis, 1987, p. 270 ; Pierre-André Taguieff, 1992, t. I, p. 379-380.
Deux décennies plus tard, en 1987, Wajih Abu-Zikri publie au Caire un
livre « antisioniste » intitulé Les Premiers Terroristes. Nos nouveaux
voisins, où la référence aux Protocoles, supposés authentiques, est jumelée
avec la reprise des thèses négationnistes : « Les Juifs répètent que six
millions d'entre eux ont été assassinés par les Nazis, mais c'est une inven-
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tion de leur part. Cependant, les Juifs ont réussi à incruster ce mensonge
dans les esprits du monde entier, et à le transformer en une réalité qu'il est
difficile de démentir. [...] Les Protocoles des Sages de Sion font partie de
l'héritage juif, et dictent leur conduite aux Juifs. [...] Les Protocoles se
trouvent dans chaque synagogue juive [sic], et les rabbins les connaissent
par cœur, et en expliquent des extraits aux fidèles le samedi sans dire expli-
citement qu'il s'agit des Protocoles. Les Protocoles sont un appel à la
destruction du monde et à la domination juive universelle par tous les
moyens possibles. » L'université n'est pas épargnée par le mythe du
complot juif : en 1990, une thèse de doctorat intitulée sans fard « Les
Protocoles des Sages de Sion et la menace [qu'ils représentent] pour la
vocation islamique » est soutenue à l'université du Caire. La faculté décide
de faire imprimer la thèse et d'en faire une matière de cours 1. Une nouvelle
édition égyptienne mise à jour paraît au Caire en 1994, qui comporte un
avertissement au lecteur précisant que les Juifs « dissimulent au monde
leurs plans sataniques » et leur « conspiration contre nous », mais que ces
plans sont « révélés dans toute leur abomination dans ce livre » (p. 6). Des
exemplaires de cette édition, circulant dans la population arabe d'Israël,
ont été découverts par les autorités israéliennes en 2002.

En Jordanie, à Amman, les Protocoles sont réédités en 1984 avec une


introduction de Ajjaj Nuwaihid (première édition : Beyrouth, 1967) qui
présente le « document » comme « révélant la véritable nature de la
“juiverie mondiale” » (p. 5), laquelle serait « une force satanique opérant
comme une organisation secrète » (p. 6). Au Liban, à Beyrouth, une
traduction des Protocoles due à Ihsan Haqfi est publiée en 1988, et rééditée
en 1990 : dans l'un des trois textes introductifs du livre, l'autorité de Henry
Ford est une fois de plus sollicitée (« Tout ce que les Protocoles racontent
s'est réalisé »). La traduction de Shauqi Abd al-Nasser (1968) est rééditée
à Beyrouth en 2000, sous son titre d'origine : Les Protocoles des Sages de
Sion et les préceptes du Talmud. Des extraits de la traduction arabe de

1. Pour d'autres exemples, voir Yehoshafat Harkabi, 1972 (extraits dans Pierre-André
Taguieff (dir.), 1992, t. Il, p. 327-340) ; Renée Neher-Bemheim, 1987 (et 1992, in Pierre-
André Taguieff (dir.), ibid., p. 367-416) ; Bernard Lewis, 1987, p. 257-258, 270-282 ; Rivka
Yadlin, 1989 et 1993 ; Hadassa Ben-Itto, 2001, p. 412-421 ; Meïr Waintrater, 2001 ; Robert
S. Wistrich, 2002 (NDLR : traduit dans ce numéro) ; Abraham H. Foxman. 2003, p. 214-218.
Muhammad Khalifa al-Tunsi sont publiés dans le mensuel palestinien Al-
Shuhada (n° 44, novembre-décembre 2001), qui paraît dans la bande de
Gaza. En 2001, le pamphlet antijuif attribué à Henry Ford, The Interna-
tional Jew (version abrégée), traduit en arabe par Ali al-Jawhari, est publié
au Caire.
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Enfin, il faut relever le succès, dans le monde arabo-islamique, du
feuilleton télévisé égyptien produit en 2001-2002 par le célèbre comédien
Mohamed Sobhi, « Le Cavalier sans monture », qui y joue le rôle prin-
cipal. Ce feuilleton prétend retracer l'histoire du Moyen-Orient de 1855
à 1917, vue par un Égyptien qui a combattu les occupants britanniques et
le mouvement sioniste1. Diffusé durant le ramadan (à partir du
6 novembre 2002), afin de lui assurer une audience maximale, ce
feuilleton s'inspire expressément des Protocoles, dont Sobhi - admirateur
de Saddam Hussein et des actions terroristes du Hezbollah - déclare qu'ils
« révèlent les plans sionistes pour s'emparer de la Palestine ». Le
17 novembre 2001, l'hebdomadaire égyptien Roz Al-Youssuf présentait
ainsi la série : « Pour la première fois, l'auteur de la série aborde coura-
geusement les 24 Protocoles des Sages de Sion, les dévoilant et montrant
qu'ils représentent, jusqu’à ce jour, la politique d'Israël, l'origine de ses
aspirations politiques et de son racisme [...]. La première scène de la série
se situe en 1948, après le retrait des quatre armées arabes et l'invasion
sioniste de la terre de Palestine. De là commence un flash-back qui place
le spectateur au milieu du XIXe siècle. » Sobhi précise dans ce même
hebdomadaire : « Grâce à la série, je vais faire découvrir tous les Proto-
coles des Sages de Sion appliqués jusqu’à ce jour, de façon théâtrale,
comique, historique, tragique, romantique et dans une optique nationale. »
Le thème récurrent de la série est celui du complot sioniste pour s'appro-
prier la terre arabe, qui permet de suggérer que les Protocoles sont un
document authentique, ou en tout cas prophétique (la réalité historique
paraissant confirmer, selon les producteurs du feuilleton, le plan de domi-
nation exposé dans les Protocoles). L'intrigue du « Cavalier sans
monture » tourne autour de la figure du journaliste d'investigation Hafez

1. Voir la note du MEMRI : « Ramadan TV Special : The Protocols of the Elders of


Zion », Special Dispatch Series, n° 309, 6 décembre 2001 (http://www.memri.org) ;
Marwan Haddad, « Bilan du “Cavalier sans monture” dans la presse égyptienne : un mois
d'abjections antisémites », http://www.proche-orient.info, 10 décembre 2002 ; Henri
Pasternak, « Antisionisme et antisémitisme à la télévision égyptienne : les réactions de la
presse locale », L'Arche, n° 539-540, janvier-février 2003, p. 106-109. Pour situer l'opéra-
tion dans son contexte, voir Phylllis Chesler, The New Antisemitism : The Current Crisis and
What We Must Do About It, San Francisco, Jossey-Bass, 2003, p. 91, 220 ; Dennis Praeger
et Joseph Telushkin, 2003, p. 111-112.
Neguib, personnage joué par Sobhi, qui s'efforce de démontrer que les
Protocoles ne sont pas un faux. Sobhi a déclaré sur la chaîne de télévision
Al-Jazira que « le sionisme existe et contrôle le monde depuis l'aube de
l'histoire », que de nombreuses prédictions des Protocoles se sont réali-
sées (19 sur 24, précise-t-il !), et qu'il serait « stupide » de ne pas envi-
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sager l'authenticité du document1. Sobhi ne cache pas qu’à l'origine de
son feuilleton télévisé il y a la lecture qu'il a faite du livre de l'Égyptien
Abbas Mahmoud al-Aqqad, Le Sionisme mondial (Le Caire, 1956) -
contenant en appendice le texte des Protocoles -, dont il a retenu cette
proposition : « [Pour savoir] si oui ou non les Protocoles des Sages de
Sion sont une invention, comme ils [les Juifs] l'affirment, il suffit de
remonter aux 24 Protocoles. Si nous nous apercevons que certains ont
effectivement été appliqués, nous devrons nous attendre à ce qu'il en soit
de même pour les autres. » D'où la fonction du « Cavalier sans monture »,
dans la perspective du comédien engagé Sobhi, devenu scénariste pour
l'occasion. Le correspondant au Caire du quotidien Libération rapporte
que « ceux qui prétendent avoir visionné la série affirment qu'elle est
entièrement vouée à démontrer l'authenticité d'une conspiration juive
pour dominer les États arabes 2 ». Le premier épisode de ce feuilleton (qui
en compterait 41 3) a été diffusé le 6 novembre 2002 sur la deuxième
chaîne nationale égyptienne et le bouquet satellite privé Dream TV. La
série a été parallèlement diffusée par la télévision irakienne et par Al-
Manar, la chaîne de télévision du Hezbollah émettant à partir du Liban. La
diffusion s'est poursuivie durant tout le mois du ramadan, non sans provo-
quer de violentes polémiques. Si la plupart des écrivains et des journa-
listes égyptiens ont soutenu la diffusion de la série, cette dernière a été
dénoncée par des intellectuels et des éditorialistes du monde arabe.
L'ampleur de la campagne antijuive déclenchée a été telle que le principal
conseiller du président Moubarak, Ossama El-Baz, spécialiste de droit
international, a dû publier dans Al-Ahram une longue mise au point histo-
rique et critique sur les Protocoles, la légende du meurtre rituel et d'autres
rumeurs antijuives circulant dans le monde arabo-musulman 4. Mais Al-
Ahram, le quotidien officiel du régime égyptien (600 000 exemplaires),
n'en a pas moins encouragé ses lecteurs à suivre fidèlement le feuilleton,

1. Mohamed Sobhi, cité par Daniel J. Wakin dans le New York Times, 26 octobre 2002
2. Claude Guibal, « Ondes nauséabondes sur le petit écran égyptien », Libération,
5 novembre 2002, p. 11. Voir aussi Tristan Mendès-France, « Un faux antisémite » (propos
recueillis par Didier Pasamonik, 24 janvier 2003, http://www.e-tvdata.com).
3. Les articles de presse sur la question oscillent entre 30 (ou 31) et 41 épisodes !
4. Voir Chmouel Engelmayer, « L'antisémitisme arabe moderne », en ligne sur le site
www.col.fr (31 avril 2003).
tandis que Hafez al-Barghouti, directeur (qu'on dit estimé) d'Al-Hayat Al-
Jadida (le quotidien officiel de l'Autorité palestinienne), n'a pas hésité à
écrire que voir « Le Cavalier sans monture », et plus particulièrement les
derniers épisodes consacrés au « massacre des Palestiniens », était « une
obligation pour chaque Arabe désireux de mieux connaître son
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histoire » 1. Un éditorial intitulé « Non au terrorisme idéologique », publié
dans le quotidien égyptien officiel, Al-Akhbar (350 000 exemplaires),
ironise sur « ceux qui mettent en doute l'authenticité des Protocoles des
Sages de Sion » et ajoute : « La question de fond est la suivante : dans les
faits, le sionisme ne cherche-t-il pas à conquérir le monde par l'argent, le
meurtre, le sexe et d'autres moyens tout aussi méprisables, particulière-
ment à l'heure actuelle2 ? » Dans le même sens, Sobhi a dénoncé
« l'insistance de l'Amérique pour s'engager dans un néo-
maccarthysme3 ». Relayée par les chaînes du câble et du satellite, cette
opération de propagande a fait le tour du monde, se transformant en mode
d'endoctrinement des musulmans de tous les pays, et bien sûr des masses
d'immigrés originaires du Maghreb ou du Proche-Orient, sensibilisés par
les images « antisionistes » du conflit israélo-palestinien. Tous les
épisodes de cette histoire régie par le conflit entre deux légitimités sont lus
à travers les lunettes déformantes de l'antisionisme conspirationniste, qui
revient à ériger les Palestiniens en victimes innocentes d'un « complot
sioniste » ou « américano-sioniste ».

Sautant sur l'occasion, le 22 novembre 2002, Israël « Adam » Shamir


mettait en ligne sur son site un long article intitulé « Les Sages de Sion et
les maîtres du discours » dont la conclusion, écrite en langage
« antisioniste », lançait un message proche de l'interprétation des
Protocoles par Giovanni Preziosi ou Julius Evola (leur « vérité » selon
l'esprit et le comportement juifs) : « En résumé, une grande partie (pas la
totalité, toutefois) des projets prêtés aux Juifs par les Protocoles sont en
effet les idées utiles ou nécessaires pour le bien-être communautaire des
Juifs, sans qu'il soit besoin d'une quelconque haine extrême à l'encontre

1. Il convient cependant de noter la prise de position d'un consultant palestinien de


Ramallah, Qais S. Saleh, qui rappelle (ou apprend) aux Palestiniens et plus largement aux
Arabes susceptibles de suivre le feuilleton que celui-ci se fonde en grande partie sur un
« vieux faux fabriqué par la Russie tsariste », et déplore cette « importation du fanatisme
antisémite » (« A Horseless Rider, the Protocols of the Elders of Zion & Imported
Bigotry », 12 novembre 2002, http://www.counterpunch.com).
2. Passage cité par Jean-Marie Allafort (« journaliste chrétien en Terre Sainte »), mai
2003, www.nuitdorient.com (d'après MEMRI).
3. Mohamed Sobhi. cité par Leela Jacinto, « Pandora’s Box : The Battle Lines Are Drawn
Over a Controversial Egyptian TV Series ». 21 novembre 2002, http://abcnews.go.com
des Gentils ni/ou de la supervision d'on ne sait quels Sages de Sion. Il ne
faut aller chercher plus loin le succès jamais démenti des Protocoles.
Paradoxalement, c'est l'apartheid israélien qui met ces faits en lumière.
Sans lui, sans cet apartheid israélien voyant, ces faits resteraient invisibles
pour les communautés humaines qui abritent des Juifs en leur sein1. » À
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l'appui de sa lecture des Protocoles, Shamir n'hésite pas à citer Henry
Ford, qui déclarait dans une interview publiée le 17 février 1921 dans le
New York World : « Le seul jugement que je porterai sur les Protocoles,
c'est qu'ils s'appliquent parfaitement à ce qui est en train de se passer2. »

Les réseaux islamistes internationaux, depuis les années 1990, consti-


tuent le principal vecteur de la diffusion mondiale des Protocoles et des
textes conspirationnistes associés ou dérivés. Des « islamikazes » ont
mentionné le « document » comme une preuve du « complot juif » ou ont
été trouvés en possession d'exemplaires des Protocoles3. Aujourd'hui, la
référence aux Protocoles est présente dans tous les discours islamistes, du
FIS algérien au Hamas palestinien, en passant par la propagande d'État de
la République islamique iranienne et la presse d'Arabie Saoudite. C'est en
tant qu'instrument de lutte idéologique contre Israël que les Protocoles
sont indéfiniment réédités en Irak, en Syrie, en Lybie, voire en Tunisie 4.
Le « sionisme » est mythologisé comme surpuissance mondiale ou empire
invisible du mal. L'article 32 de « La Charte d'Allah », la Charte du
mouvement Hamas (publiée le 18 août 1988), témoigne de cette retraduc-
tion islamiste du mythe du complot juif mondial :

La conspiration sioniste n'a pas de limites, et après la Palestine elle vou-


dra s'étendre du Nil jusqu 'à l'Euphrate [...]. Leur projet a été énoncé dans
les Protocoles des Sages de Sion, et leur conduite actuelle en est la
meilleure preuve [...]. Nous n'avons d'autre choix que d'unir toutes nos
forces et nos énergies afin de faire face à cette méprisable invasion nazie-

1. Israël Shamir, « Les Sages de Sion et les maîtres du discours », 22 novembre 2002,
http://www.israelshamir.net ; ce texte délirant est repris dans un recueil d'articles signé
Israël Adam Shamir, L'Autre Visage d'Israël (trad. fr. Marcel Charbonnier, texte établi par
Maria Poumier, Paris, Éditions Balland/Éditions Blanche, 2003 [septembre], p. 270-285),
mis en vente le 9 octobre 2003, puis, devant la menace de poursuites, retiré de la vente quel-
ques semaines plus tard par les Éditions Balland.
2. Israël Adam Shamir, op. cit., p. 280. Ce passage de l'interview de Ford, quasi sloga-
nisé, est régulièrement cité par les propagandistes antijuifs depuis 1921.
3. Voir Hadassa Ben-Itto, 1998b, p. 338-339 (2001, p. 420-421) ; Reuven Ehrlich (éd.),
« “Hate Industry” : Anti-Semitic, Anti-Zionist and Anti-Jewish Literature in the Arab and
Muslim World (Part 1) », Intelligence and Terrorism Information Center at the Center for
Special Studies (CSS), Information Bulletin, n° 4. septembre 2002, p. 5.
4. Daniel Pipes, 1998, p. 309 sq. ; Stephen Eric Bronner. 2000, p. 136.
tartare [sic]. [...] Au sein du cercle du conflit contre le sionisme mondial,
le Hamas se considère comme le fer de lance et l'avant-garde 1.

II. Vue d'ensemble sur la diffusion du faux : vagues et aires


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L'internationalisation du thème du « complot judéo-bolchevique »,
adaptation contextuelle du mythe conspirationniste antijuif, est donc cultu-
rellement visible à partir de 1920, lorsque les Protocoles, sortant de leur
première histoire russo-tsariste, sont traduits dans presque toutes les
langues européennes (d'abord en allemand 2, puis en anglais). Ils sont aussi
traduits en arabe, à Damas, en réaction contre la déclaration Balfour, non
par des musulmans mais par des chrétiens arabes (1921), on les trouve en
circulation vers 1925-1926 en Palestine et en Syrie, et une traduction arabe
est éditée au Caire en 1927. Mais c'est seulement en 1951 que le musulman
Muhammad Khalifa al-Tunsi, au Caire, en publie une version savante,
commentée et précédée d'une longue introduction, où il résume en gros la
thèse désormais courante, ordinaire et reçue dans le monde arabe sur
l'origine « sioniste » des Protocoles (la troisième édition, publiée au Caire
en 1961, comporte, en guise de présentation, le compte rendu très bien-
veillant de la 1re édition dû à Abbas Mahmoud al-Aqqad).

Récapitulation : les trois vagues de l'internationalisation des Protocoles


Il y a eu, en fait, trois internationalisations des Protocoles. Première
internationalisation : dès 1918-1921, les Protocoles commencent à fonc-
tionner comme une machine de guerre contre le « judéo-bolchevisme »,
diffusés inlassablement par les armées blanches contre-révolutionnaires, dont
les activités de propagande produisent une imprégnation conspirationniste des
esprits au-delà des terrains de combat. Les Protocoles sont ainsi traduits dès
1924 en japonais, sous le titre Le Péril juif , par le commandant puis colonel
3

1. La « Charte d'Allah » constitue la plate-forme du Mouvement de la résistance isla-


mique (Hamas), qui se présente comme « l'une des branches des Frères musulmans en
Palestine » (article 2). Pour le texte complet, voir « The Covenant of the Islamic Resistance
Movement (Hamas) (18 août 1988) », http://www.us-israel.org ; voir aussi La Charte du
Hamas, traduction française annotée de larges extraits de ladite « Charte », brochure tirée
d'un dossier publié dans la revue L'Arche, n° 524-525, octobre-novembre 2001, 7 p.
2. Sur la transmission des Protocoles de Russie en Allemagne, voir Henri Rollin, 1939, rééd.
1991, p. 602-607 ; Konrad Heiden, Der Fuehrer : Hitler’s Rise to Power, Boston, Houghton
Mifflin, 1944, p. 18-22 ; Walter Laqueur, 1965b, p. 111-121 ; Norman Cohn, 1967, p. 131-152.
3. Voir David G. Goodman et Masanori Miyazawa, Jews in the Japanese Mind...,
op. cit., p. 76 sq., Stephen Eric Bronner, 2000, p. 118.
Yasue Norihiro (1888-1950)1, qui avait fait partie de l'état-major du général
Grigorii Mikhaïlovitch Semenov en Sibérie (1919-1922)2, lequel avait fait
distribuer à chaque soldat de l'armée blanche qu'il dirigeait un exemplaire des
Protocoles 3. En mai 1921, le baron Ungern-Sternberg, général russe de
l'armée blanche, écrivait au général Moltchanov : « Votre excellence, c'est
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avec admiration et surprise que j'ai toujours suivi vos activités et approuvé vos
idées sur le terrible fléau que sont les Juifs, ces parasites qui corrompent le
monde4. » L'image du « Juif conspirateur », responsable de la Révolution
bolchevique et plus largement de toute révolution sanglante, s'est introduite à
cette époque au Japon, comme au Proche-Orient. Cet usage anti-judéo-bolche-

1. Le colonel Yasue, issu d'une famille de samouraïs, éminent spécialiste des langues
slaves, se transforma en diffuseur quasi professionnel des Protocoles, avec l'officier de
marine Inuzuka Koreshige (1890-1965). Ces deux jeunes officiers avaient l'un et l'autre la
trentaine au début des années 1920. En 1922, au ministère de la Marine, Inuzuka « s'entoura
d'officiers sympathisants pour se lancer dans une étude approfondie de la conspiration juive
tandis qu'au Bureau des Renseignements de l'Armée, Yasue commençait une traduction
japonaise des Protocoles. » (Marvin Tokayer et Mary Swartz, op. cit., p. 51). Voir aussi
Pierre Lavelle, 1993, p. 160. Il n'est pas sans intérêt, pour marquer la spécificité culturelle
du rapport aux Juifs au Japon, de préciser que Inuzuka, antisémite actif jusqu’à la fin des
années 1940, se métamorphosera en « ami des Juifs » au début des années 1950 : en 1952,
il fonde plusieurs organisations « projuives », dont l'Association Japon-Israël, qu'il dirigera
jusqu’à sa mort en 1965. Voir David G. Goodman, « Anti-Semitism in Japan... », in Frank
Dikötter (éd.), op. cit., p. 186.
2. Voir Clarence A. Manning, The Siberian Fiasco, New York, Library Publishers, 1952,
p. 135-137 ; Russell E. Snow, The Bolsheviks in Siberia, 1917-1918, Cransbury, N.J. et
Londres, Associated University Presses, 1977, p. 216-218.
3. Voir Hadassa Ben-Itto, 2001, p. 395. Entre 1919 et 1921, soixante-quinze mille soldats
japonais combattirent avec les armées blanches en Sibérie (Marvin Tokayer et Mary Swartz,
op. cit., p. 50). L'ataman Semenov (né en 1890), vieil ami du baron Ungern-Sternberg, autre
général de l'année blanche et antisémite délirant (fusillé par les rouges en 1921), commandait
un régiment de cavalerie mongolo-bouriate dont l'emblème était le swastika. Voir Léonid
Youzéfovitch, Le Baron Ungern. Khan des steppes, Paris, Éditions des Syrtes, 2001, p. 71,
note 3. Quant au baron Ungem, converti au bouddhisme, il professait une judéophobie mystique,
fondée sur un dualisme manichéen : les Juifs incarnaient pour lui le principe satanique, les
Mongols le principe divin (ibid., p. 32-33). Chaque avancée du baron s'accompagnait de massa-
cres de Juifs (ibid., p. 159 sq.). À ses yeux, les bolcheviks étaient l'incarnation de l'Antéchrist
(ibid., p. 195).
4. Cité par Léonid Youzefovitch, op. cit., p. 151. Sur l'amiral Koltchak et l'ataman
Semenov, voir le témoignage du Dr Georges Montandon, ancien chef de la « Mission en
Sibérie » du Comité international de la Croix-Rouge : Deux ans chez Koltchak et chez les
bolcheviques pour la Croix-Rouge de Genève (1919-1921), 2e éd., Paris, Félix Alcan, 1923,
passim. Montandon était alors un sympathisant du bolchevisme (on sait qu'il finira, sous
l'occupation allemande, dans les milieux du collaborationnisme parisien). Ce que
Montandon rapporte des activités ordinaires du baron Ungern-Sternberg est proprement
terrifiant : « Dans un [...] village, Ungern voit une jolie jeune juive. Ungern offre mille
roubles en or à qui lui en apportera la tête. La tête fut apportée et payée » (p. 223).
vique des Protocoles a fait tradition, de telle sorte que la référence fondatrice
au « document » pouvait être oubliée par les propagandistes antijuifs qui en
reprenaient le motif polémique. C'est ainsi qu'en 1966, le programme du Parti
de l'unité nationale du Canada, dont Adrien Arcand est alors le « chef
national », commence par ce développement conspirationniste :
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Lorsque la Troisième Internationale (communiste) du Juif Léon Trotsky et
du demi-Juif Lénine fut fondée, à la faveur de la Première Guerre
mondiale, en 1917, ce fut le signal de la grande Révolution mondiale
préparée dans la coulisse depuis deux siècles. Cette révolution, qui avait
pour but de détruire la Culture chrétienne et sa Civilisation occidentale,
avait choisi la Russie comme base d'opération et centre mondial d'activité,
parce que la Russie couvre l'Europe, le Proche-Orient, l'Orient et
l'Extrême-Orient jusqu'au détroit de Behring, donc le pays le mieux situé
stratégiquement. [...] La provocation internationaliste du judéo-commu-
nisme amena, par voie de cause à effet, un soulèvement nationaliste chez
presque tous les peuples occidentaux [...] 1.
Deuxième internationalisation : instrumentalisés comme tels par la propa-
gande nazie dès les débuts de la NSDAP (qui acquiert en 1929 les droits de la
traduction de Gottfried zur Beek), légitimés comme document « révélateur »
aussi bien par Adolf Hitler que par Alfred Rosenberg, les Protocoles devien-
nent, après la prise du pouvoir par les nazis, le texte antijuif le plus cité, le plus
exporté, le plus imité, et bien sûr le plus exploité par les services de la propa-
gande sous la direction de Joseph Goebbels. Hors d'Allemagne, les antisémites
engagés multiplient les brochures de propagande et les pamphlets, exposant
sous tel ou tel aspect les accusations véhiculées par les Protocoles. Il en va ainsi
du pamphlet d'Arnold S. Leese, Bolshevism Is Jewish, rédigé par le leader de
l'Imperial Fascist League en 1939 et depuis indéfiniment réédité2 : « Le
bolchevisme représente l'une des étapes finales dans le programme juif prémé-
dité de domination du monde. Le bolchevisme est juif. Son objet est de
conquérir le contrôle du monde pour les Juifs, à travers les forces alliées et
combinées de la finance juive et du marxisme juif. En Russie, la vengeance a
été le facteur déterminant. » Dans le même sens, en 1938, le philosophe

1. « Nationalisme », in Programme du Parti de l'unité nationale du Canada, édition


1966, Montréal, p. 15-16.
2. Je cite ce pamphlet d'après sa réédition américaine (s. d.) par The Liberty Bell, qui
réédite du même Leese le pamphlet intitulé Freemasonry (Londres, 1935), qui s'inspire
aussi de la littérature dérivée des Protocoles. Précisons que Leese était un admirateur de
Julius Streicher et croyait fermement au mythe des crimes rituels juifs. Voir Arnold S.
Leese, My Irrelevant Defence : Meditations Inside Gaol and Out on Jewish Ritual Murder,
Londres, Imperial Fascist League, 1938.
traditionaliste italien Julius Evola, compagnon de route du fascisme et admira-
teur de la dimension ésotérique du nazisme, écrit dans son introduction à la
réédition de l'édition des Protocoles due à l'idéologue fasciste Preziosi : « Des
regroupements de forces décisifs se préparent. Ce sont exactement les phases
préfinales du plan des Protocoles. En fait, prendre comme base les idées-mères
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de cet écrit “apocryphe”, c'est aussi posséder un fil conducteur sûr pour décou-
vrir le sens unitaire le plus profond de tous les plus importants bouleversements
de ces derniers temps 1. » La mise en équivalence des mots « Juifs » et
« communistes » est au principe du discours de propagande de tous les grou-
pements antisémites des années 1930 en Europe, notamment en Pologne, en
Hongrie et en Roumanie. En 1936, dans l'un de ses opuscules, Corneliu Zelea
Codreanu, le chef charismatique de la Garde de Fer (le Mouvement légionnaire

1. Extrait de Julius Evola, introduction à Sergyei Nilus, L'Intemazionale ebraica. Protocolli


dei « Savi Anziani » di Sion, Rome, La Vita Italiana, 1938 ; rééd. : Claudio Mutti (éd.), Ebraicità
ed ebraismo. I Protocolli dei Savi di Sion, Padoue, Edizioni di Ar, 1976, p. 47-63. Voir Pierre-
André Taguieff (dir.), 1992, t. II, p. 650. Voir aussi Julius Evola, Il mito del sangue. Genesi del
razzismo, Milan, Hoepli, 1937 ; réédition, Padoue, Edizioni di Ar, 1978, p. 213-218. Les
Edizioni di Ar ont été fondées en 1963 par Franco Freda (né en 1941), dit Giorgio Freda, chef
de file des « traditionalistes-révolutionnaires » en Italie depuis la fin des années 1960. Dans les
armées 1970 et 1980, Claudio Mutti, qui dirige l'association Europa-Islam, est l'un des plus
proches compagnons de lutte de Freda, classé parmi les leaders de la « droite radicale » italienne.
L'un et l'autre se présentent comme des disciples d'Evola (dont plusieurs livres racistes et anti-
sémites sont réédités par les Edizioni di Ar). Voir Giorgio Freda, La Désintégration du système,
éd. originale 1969, trad. fr. Éric Houllefort, Paris, supplément au n° 9 de Totalité, mars 1980
(avec un appareil critique dû à Claudio Mutti) ; dans ce manifeste politique, le « nazi-maoïste »
Freda exprime son rejet radical du « système ». En 1979, Mutti traduit en italien, préface et
publie dans sa propre maison d'édition un extrait (le chap. 10) du livre de la célèbre publiciste
nazie d'origine française Savitri Devi, Souvenirs et réflexions d'une aryenne (chez l'auteur, New
Delhi, 1976), sous le titre : L'India e il Nazismo (Parme, Edizioni all'insegna del Veltro). Mutti
déplore, dans sa préface, que « la dimension spirituelle du nazisme ait été ignorée en Occident ».
Sur Claudio Mutti, universitaire d'extrême droite proche de Franco (dit « Giorgio ») Freda
(« nazi-maoïste » dans les années 1970 et 1980), disciple de René Guénon et de Julius Evola,
converti à l'islam et militant islamo-fondamentaliste, voir Nicholas Goodrick-Clarke, Hitler’s
Priestess, op. cit., p. 217-218 ; id., Black Sun : Aryan Cults, Esoteric Nazism and the Politics of
Identity, New York et Londres, New York University Press, 2002, p. 104-105. Sur la conversion
à l'islam de ce « nationaliste européen », disciple de Jean Thiriart et admirateur de la Garde de
Fer roumaine, voir son témoignage publié dans la revue de la Nouvelle droite : « Pourquoi j'ai
choisi l'islam », Éléments, n° 53, printemps 1985, p. 37-39. De Claudio Mutti, voir notamment :
« La renaissance islamique et le danger moderniste » (trad. fr. Eric Houllefort), Totalité (revue
évolienne française), 2e année, n°9, septembre-octobre 1979, p. 40-49 ; « Spiritualité
légionnaire » (trad. fr. Gérard Boulanger ; sur Codreanu et la Garde de Fer), Totalité, n° 18/19,
été 1984, p. 204-208 ; « Julius Evola et l'islam », L'Âge d'Or, n° 4, été 1985, p. 92-115 ; Les
Plumes de l'Archange. Quatre intellectuels roumains face à la Garde de Fer : Nae Ionescu,
Mircea Eliade. Emil Cioran, Constantin Noica, trad. fr. Philippe Baillet, Châlon-sur-Saône,
Éditions Hérode, 1993, puis Montreuil-sous-Bois, Association « Les Deux Étendards », 2000.
roumain), précisait : « Quand je dis communiste, je veux dire Juif1. » Mais
l'amalgame portait sur d'autres figures supposées du « péril juif » : démo-
cratie, capitalisme, ploutocratie, communisme et partis de gauche2. En
Pologne, dans l'entre-deux-guerres3, l'amalgame entre Juifs et communistes
fait partie de l'antisémitisme ordinaire, composante de la culture catholique
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nationale4. Le prêtre catholique Stanislaw Trzeciak colporte la thématique
conspirationniste issue des Protocoles5, tout en s'efforçant de défendre la
thèse de l'authenticité du « document », dans un contexte où les lecteurs de la
presse généraliste et de celle de l'Église y apprennent à « faire rimer le mot
“Juif” avec “bolchevique”, “franc-maçon”, “libéral” et “capitaliste
international” » 6. Aux États-Unis, le père Charles Coughlin, prédicateur anti-
sémite doté d'un redoutable sens démagogique, ne cessait de répéter que les
mots « Juif » et « communiste » étaient interchangeables7. Ce prêtre catho-
lique commença à publier des extraits des Protocoles dans son journal Social
Justice en juillet 1938, dans une perspective à la fois antijuive et
anticommuniste8. La dénonciation du « judéo-bochevisme » fait l'objet

1. Corneliu Z. Codreanu, Pentru Legionari, Sibiu, Editura Totul pentru Tara, 1936,
p. 352 (cité par Bela Vago, The Shadow of the Swastika : The Rise of Fascism and Anti-
Semitism in the Danube Basin, 1936-1939, Westmead, Famborough, Hants (England),
Saxon House et The Institute of Jewish Affairs, 1975, p. 56).
2. Corneliu Z. Codreanu, op. cit., p. 385-387 (Bela Vago, ibid.). Voir aussi, dans la traduction
française (anonyme) de l'ouvrage, La Garde de Fer (Pour les Légionnaires) (Paris, Éditions
Prométhée, 1938), le développement intitulé « Les plans du judaïsme contre la nation
roumaine » (p. 102-107). Dans son article intitulé « L'assassinat de Codreanu » (Je Suis Partout,
9 décembre 1938), Lucien Rebatet, admirateur du chef de la Garde de Fer, le présentait comme
« une victime du judaïsme universel » (article repris dans L. Rebatet, Codreanu et la Garde de
Fer. Choses vues et entendues en Roumanie, Paris, Éditions de l'Extrême, s.d. [2003], p. 54).
3. Voir Pawel Korzec, Juifs en Pologne. La question juive pendant l'entre-deux-guerres,
Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1980, en particulier p. 110
sq., 215 sq., 277.
4. Pour de nombreux exemples, voir Ronald Modras, The Catholic Church and Anti-
semitism : Poland, 1933-1939, Chur (Suisse), Harwood Press, 1994.
5. Paul Zawadzki, 1992, p. 298-300.
6. Michael Phayer, L'Église et les nazis, 1930-1965, éd. originale 2000, trad. fr. Claude
Bonnafont, Paris, Liana Levi, 2001, p. 30-31.
7. Voir Michael Phayer, op. cit., p. 43-44. L'historien américain renvoie à Leonard
Dinnerstein, « Antisemitism in the United States, 1918-1945 », in Remembering for the
Future, Oxford, Pergamon. 1988, I, p. 321 ; Charles R. Gallagher, « Patriot Bishop : The
Public Career of Archbishop Joseph R. Hurley, 1937-1967 », thèse de doctorat, Marquette
University, 1997, p. 140. Sur les activités de Charles E. Coughlin, habile utilisateur de la
radio (à Detroit) pour endoctriner les foules (il s'adressait en moyenne, dans ses émissions
du dimanche, à trois millions et demi d'auditeurs !), voir Norman Cohn, 1967, p. 231-237 ;
Michael Kazin, The Populist Persuasion : An American History, New York, BasicBooks (A
Division of HarperCollins Publishers), 1995, p. 109-133, 166 sq.
8. Michael Kazin, op. cit., p. 131. Le tirage de Social Justice s'élevait à un million
d'exemplaires (Norman Cohn, 1967, p. 232). À la fin de 1938, Coughlin faisait distribuer
les Protocoles par son réseau de propagandistes.
d'infinies variations par Céline en 1937, dans Bagatelles pour un massacre, où
il explique ainsi l'exception stalinienne (Staline n'étant pas juif) :

[...] Staline n'est qu'un exécutant des basses-œuvres, très docile, comme
Roosevelt, ou Lebrun, exactement, en cruauté. La révolution bolchevique
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est une autre histoire ! infiniment complexe ! tout en abîmes, en coulisses.
Et dans ces coulisses ce sont les Juifs qui commandent, maîtres absolus.
Staline n'est qu'une frime, comme Lebrun, comme Roosevelt, comme
Clemenceau. Le triomphe de la révolution bolchevique, ne se conçoit à très
longue portée, qu'avec les Juifs, pour les Juifs et par les Juifs 1.
Les phalangistes espagnols rééditent les Protocoles en décembre 1939,
dont on peut entendre un écho dans le discours prononcé par Franco pour le
nouvel an, dans lequel il dénonce les Juifs et les francs-maçons. Les antisé-
mites latino-américains ne sont pas en reste : les synthèses de littérature anti-
talmudique et du mythe conspirationniste se multiplient. En 1936, en Argen-
tine, Julio Meinvielle publie El judio en el misterio de la historia (« Les Juifs
dans le mystère de l'histoire » 2), où il accuse les Juifs de haine pour le genre
humain et de volonté de domination du monde. La référence au Talmud
permet à l'antisémite argentin de présenter l'humanophobie qu'il prête aux
Juifs comme une prescription religieuse qui serait propre à ce peuple :

Ce qu'il importe de savoir, c'est que le Juif réalise cette loi qui est la sienne,
comme quelqu'un qui s'acquitte d'une mission. Parce que cette loi contenue
dans le Talmud qui régit le Juif, lui commande en effet de mépriser et de haïr
tous les peuples, en particulier les chrétiens, et de n'avoir de cesse qu'il ne
les domine et les assujettisse comme des esclaves 3.
Dans le prologue de son essai, paraphrasant les préfaces répétitives des
Protocoles, Meinvielle présente d'abord les Juifs comme mus par une irré-
sistible puissance de domination :

[...] La domination de ce peuple, ici et partout, devient chaque jour plus effec-
tive. [...] Les Juifs dominent nos gouvernements comme les créanciers leurs
débiteurs. Et cette domination se fait sentir dans la politique internationale des
peuples, dans la politique interne des partis, dans l'orientation économique des

1. Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p. 50 (je


respecte les graphies céliniennes).
2. Julio Meinvielle, Les Juifs dans le mystère de l'histoire, trad. fr. (anonyme, d'après la
3e édition espagnole, Buenos Aires, Ediciones Theoria, 1959), Saint-Cénéré, Éditions
Saint-Michel, 1965 (numéro spécial de la revue Documents-Paternité, n° 107-108, janvier-
février 1965).
3. Julio Meinvielle, op. cit., p. 30.
pays ; cette domination se fait sentir dans les ministères d'Instruction publique,
dans les plans d'enseignement, dans la formation des maîtres, dans la menta-
lité des universitaires ; la domination juive s'exerce sur la banque et sur les
consortiums financiers, et tout le mécanisme complexe de l'or. des devises, des
paiements, se déroule irrémédiablement sous cette puissante emprise [...]. Où
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ne domine pas le Juif ? [...] Buenos Aires, cette grande Babylone, nous en offre
un exemple typique. Chaque jour son essor est plus grand, chaque jour aussi y
est plus grande la puissance judaïque. Les Juifs contrôlent ici notre argent,
notre blé, notre maïs, notre lin, nos viandes, notre pain, notre lait, nos indus-
tries naissantes, autant que cela peut rapporter utilement, et en même temps ce
sont eux qui sèment et fomentent la haine entre patrons et ouvriers chrétiens,
entre bourgeois et prolétaires ; ce sont eux les agents les plus passionnés du
socialisme et du communisme ; ce sont eux les capitalistes les plus puissants de
ce qu'il peut y avoir de dancings et de cabarets à infecter la ville 1.
Pour dramatiser sa description de la conquête juive, Meinvielle présente
le « peuple proscrit » comme prêt à réaliser la dernière étape de son
programme de domination mondiale :

Et ce que nous observons ici s'observe en tout lieu et en tout temps.


Toujours le Juif, emporté par la frénésie de la domination mondiale, rafle
les richesses des peuples et sème la désolation. Voici deux mille ans qu'il
apporte à cette tâche la ténacité de sa race, et maintenant, il est sur le point
d'atteindre à une effective domination du monde 2.
L'interprétation apocalyptique de l'époque de bouleversements ouverte
par la révolution bolchevique est réaffirmée par Emmanuel Malynski et
Léon de Poncins dans les dernières lignes de leur livre paru en 1936, La
Guerre occulte :

Au soir du 8 novembre 1917, dans Petrograd balayé par l'émeute et la


révolution, l'insurrection communiste triompha. [...] Jeudi 8 novembre. Le
jour se leva sur une ville au comble de l'excitation et du désarroi, sur une
nation soulevée tout entière en une formidable tempête. Une nouvelle
époque de l'histoire du Monde commençait. Elle ouvre l'ère des Finalités
apocalyptiques 3.
Troisième internationalisation des Protocoles : aussitôt après la créa-
tion de l'État d'Israël, ils sont devenus, d'abord et surtout dans le monde

1. Ibid., p. XII-XIII.
2. Ibid., p. XIII.
3. E. Malynski, Léon de Poncins, La Guerre occulte. Juifs et francs-maçons à la
conquête du monde, nouvelle édition (hors commerce), 1940, p. 275-276.
arabo-musulman, une machine de guerre anti-israélienne et plus largement
« antisioniste », permettant de fonder et de nourrir ce qu'il convient
d'appeler l'antisionisme démonologique, reformulant le mythe du
« complot juif international » comme mythe du « complot sioniste
mondial », cet « antisionisme » devant être distingué bien sûr des légitimes
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critiques de la politique de l'État d'Israël ou même du projet sioniste dans
son ensemble. Après la guerre des Six-Jours (juin 1967), le faux et d'autres
textes conspirationnistes antijuifs, tel The International Jew de Henry
Ford, sont massivement réédités dans les pays arabes, en tant qu'instru-
ments privilégiés de la propagande « antisioniste ». Cette nouvelle vague
de rééditions inclut la publication de pamphlets dénonçant les pratiques
(imaginaires) de meurtre rituel chez les Juifs ou les « sionistes ». On doit
aussi relever, depuis les années 1970, la multiplication de textes conspira-
tionnistes/antisionistes dérivés des Protocoles, comportant une argumenta-
tion de type négationniste. Dans cette catégorie, on trouve par exemple
l'ouvrage posthume de Douglas Reed, The Controversy of Zion1, ou
l'essai d'Ivor Benson, The Zionist Factor Dans les années 1990, les
2

Protocoles sont diffusés ou réédités en Égypte, en Iran, en Irak, en Lybie,


en Arabie Saoudite et en Syrie 3. Dans le monde occidental, les Protocoles
continuent d'être régulièrement réédités en Grande-Bretagne (en 1972, la
traduction de Marsden par les Britons en est à sa 85e édition 4 !), aux États-

1. Douglas Reed, The Controversy of Zion, préface d'Ivor Benson, Durban, Dolphin Press,
1978, 587 p. ; rééd., Legion for the Survival of Freedom, 1985, 1987. Né en 1895 en Grande-
Bretagne, Douglas Reed devint journaliste au Times de Londres en 1925, et fut notamment
correspondant du quotidien britannique, dans les années 1930, à Berlin, à Vienne et à Budapest.
Dans son livre Far and Wide (Londres, Jonathan Cape, 1951, p. 307-312), il rejoint les thèses
des premiers négationnistes (« Aucune preuve ne peut être donnée que six millions de Juifs ont
péri »). Le négationniste Ernst Zündel diffuse sur son site, depuis le 9 mai 2001, une élogieuse
esquisse biographique de Douglas Reed, due à Mark Weber, de l'Institute for Historical Review
(novembre-décembre 2000), qui commence par mentionner l'hommage rendu à l'écrivain anti-
sémite par le journaliste égyptien Mohamed Heikal, dans son avant-propos à l'édition arabe du
livre de Roger Garaudy, Les Mythes fondateurs de la politique israélienne.
2. Ivor Benson, The Zionist Factor : The Jewish Impact on Twentieth Century History,
nouvelle édition revue, Cosa Mesa (États-Unis), 1992 (1re éd., 1986), 205 p. Ivor Benson
est un ancien journaliste politique, d'origine britannique, qui vécut en Afrique du Sud et fut,
entre 1964 et 1966, ministre de l'Information dans le gouvernement de Ian Smith en
Rhodésie. Fondateur du magazine Behind the News, en Afrique du Sud, il a régulièrement
collaboré aux activités négationnistes de l'Institute for Historical Review.
3. John George et Laird Wilcox, American Extremists : Militia, Supremacists, Klansmen,
Communists, and Others, New York, Prometheus Books, 1996, p. 410.
4. En 1999, aux États-Unis, est rééditée par Paul Tice (mouvance « New Age » et « Deep
Ecology ») la traduction de Victor E. Marsden (celle qui fut publiée en 1934 à Chicago par
The Patriotic Publishing Co.), The Protocols of the Meetings of the Learned Elders of Zion,
avec préface et notes explicatives, Escondido, CA, The Book Tree, 299 p.
Unis (par de multiples maisons d'édition d'extrême droite, qu'il s'agissent
des chrétiens fondamentalistes 1 ou des néonazis 2, qui publient également
The International Jew de Ford)3, en Australie (1994), en France (1965,
1989, deux en 1990, puis 1993), en Italie (1971, 1972, 1976), en Espagne
(1963, 1972, 1975), en Colombie (1990), au Mexique (la traduction de la
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version Nilus d'après Mgr Jouin en est à sa 9e édition en 1975, et la 5e
édition de El judio Internacional paraît en 1977) et en Argentine (1972,
1976, 1989)4 Des rééditions paraissent en hongrois (1974), en serbe
(1988), en slovène (1989), en grec (1976, et de nombreuses autres dans les
années 1970 et 1980), en roumain (dans les années 1990), en croate

1. Sur les milieux de l'extrême droite chrétienne-fondamentaliste aux États-Unis et leurs


usages de la littérature conspirationniste antijuive, voir Michael Barkun, Religion and the
Racist Right : The Origins of the Christian Identity Movement, Chapel Hill et Londres, The
University of North Carolina Press, 1994, p. 121-196 ; Martin Durham, The Christian
Right, the Far Right and the Boundaries of American Conservatism, Manchester et New
York, Manchester University Press, 2000, p. 115-138. L'édition anglaise des Protocoles,
due à Victor E. Marsden, est en ligne sur le site de l'association « Church of True Israel »
(« For God, Race and Country Identity Information Center »). On y trouve aussi The Inter-
national Jew de Henry Ford, The Passing of the Great Race de Madison Grant, des textes
de Julius Streicher, Arnold Leese, Lothrop Stoddard, Ivor Benson, etc.
2. Voir Nicholas Goodrick-Clarke, Black Sun, op. cit. L'opuscule posthume de Dietrich
Eckart (1924) est traduit par le néonazi William L. Pierce au milieu des années 1960, et
publié par « The World Union of National Socialists » (la WUNS) : Bolshevism from Moses
to Lenin : A Dialogue Between Adolf Hitler and Me, Arlington, Virginia, National Socialist
World, n° 2, automne 1966. Voir Neil Baldwin, 2001, p. 341, 377 (note 12). Pierce a créé
ensuite, au début des années 1970, la National Alliance (Kevin Coogan, Dreamer of the Day,
op. cit., p. 518, 523, 538 (note 16) ; Nicholas Goodrick-Clarke, op. cit., p. 20-21).
3. Parmi les organisations ou les maisons d'édition qui publient de la littérature conspira-
tionniste antijuive aux États-Unis, on relève tout particulièrement : the National States
Rights Party, Christian Defense League, Sons of Liberty, Christian National Crusade, the
John Birch Society, Liberty Bell Publications, The Noontide Press, The American Focus
Publishing Company. Après la Seconde Guerre mondiale, le propagandiste antisémite et
anticommuniste Gerald L. K. Smith (mort en 1976) n'a cessé de rééditer The International
Jew, dans une version abrégée. Sur cet ancien proche du démagogue populiste Huey Long,
devenu l'un des chefs de la Christian Nationalist Crusade, la plus importante des organisa-
tions nord-américaines d'extrême droite dans les années qui suivent 1945, voir Michael
Barkun, Religion and the Racist Right, op. cit., p. 54-67 ; Howard M. Sachar, op. cit.,
p. 319, 620-621. 624 ; Kevin Coogan, op. cit., p. 220-222, 385, 421, 468, 508 ; Marvin
Perry et Frederick M. Schweitzer, 2002, p. 77-78, 151, 173. Smith, dans les années 1950,
est en relations avec les milieux pronazis et anticommunistes du Caire, où siège l'organisa-
tion créée par le Grand Mufti de Jérusalem, Haj Amin al-Husseini (K. Coogan, ibid.,
p. 385).
4. Voir Richard S. Levy, in Benjamin B. Segel, 1995, p. 35, qui mentionne douze éditions
argentines des Protocoles ou du Juif international depuis 1945. L'historien américain relève
le fait que de nouvelles éditions du faux ont été publiées depuis 1945 en Équateur, au Brésil,
au Mexique, au Chili, au Panama et au Salvador (ibid.).
(1996 1). Une nouvelle traduction polonaise est publiée en 1991, après les
rééditions de 1967-1968, 1983 et de la fin des années 1980. En 1974, ils
sont publiés à Bombay sous le titre Complot international contre les
Indiens, et réédités en Iran à partir de 1978 (puis 1979, 1981, 1985, 1994,
1998-1999). Une nouvelle traduction japonaise paraît en 1987 (la première
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avait été publiée en 1924)2, et, en Russie, l'association Pamiat, après en
avoir fait circuler la thématique à partir de 1985 3, réédite le faux en 1992,
dans la version de Nilus. D'autres rééditions suivront en Russie ou en
Ukraine, qui furent précédées, de 1967 à la fin des années 1980, de plus de
150 publications « antisionistes » qui s'inspiraient, pour la plupart d'entre
elles, de la thématique conspirationniste des Protocoles 4, revue et corrigée
par l’« antifascisme » et l’« anti-impérialisme » à la mode soviétique. En
Bulgarie, un texte dérivé des Protocoles paraît en 1994 : Maçons, Juifs et
Révolutions. Comment ces forces sataniques préparent la fin de genre
humain. Dans la plupart des milieux négationnistes (lesquels se disent
« révisionnistes »), qui se sont constitués depuis le début des années 1980
en réseau international, la référence aux Protocoles s'est banalisée, et
certains auteurs négationnistes rééditent le faux, tel S. E. Castan au Brésil
en 19895, ou le diffusent dans diverses langues sur leur site web, tel l'isla-
miste et négationniste marocain Ahmed Rami depuis 1997 6. Depuis la fin
des années 1990, la librairie en ligne américaine Amazon vend sur la toile
les Protocoles des Sages de Sion 7. En outre, aux États-Unis, sur fond de

1. Cette réédition, publiée à Zagreb en 1996, était destinée à accuser les Juifs d'être
responsables de la guerre en Croatie (Hadassa Ben-Itto, 2001, p. 421).
2. Voir David G. Goodman et Masanori Miyazawa, Jews in the Japanese Mind : The
History and Uses of a Cultural Stereotype, New York, The Free Press, 1995, p. 76 sq. ;
Stephen Eric Bronner, 2000, p. 118.
3. Voir Pierre-André Taguieff, 1992, t. I, p. 235250 ; William Korey, 1995, p. 126-139.
4. Richard S. Levy, ibid., p. 34.
5. Le publiciste antisémite et négationniste brésilien S. E. Castan est l'auteur de la post-
face (p. 169-172) de la réédition de la version portugaise des Protocoles (Sao Paulo,
1936) due à Gustavo Barroso (1888-1959) : Os Protocolos dos Sábios de Sião, Porto Alegre,
Revisão Editoria Ltda., 1989. Pour une traduction française de ces « observations finales »,
voir Pierre-André Taguieff (dir.), 1992, t. II, p. 685-690.
6. Le cas Rami est hautement symbolique : ce propagandiste antijuif est à la fois un théo-
ricien conspirationniste, un négationniste militant et un « antisioniste » palestinophile fana-
tique. Sur son site (Radio Islam), il manifeste aussi sa vive sympathie à l'égard de Jean-
Marie Le Pen et de Saddam Hussein. Sur les affinités entre conspirationnisme et négation-
nisme, voir Michael Shermer et Alex Grobman, Denying History : Who Says the Holocaust
Never Happened and Why Do they Say It ?, foreword by Arthur Hertzberg, Berkeley, Los
Angeles, Londres, University of California Press, 2000, puis 2002, p. 80-84.
7. Sous la pression de l'Anti-Defamation League, amazon.com accompagne l'ouvrage,
depuis le 24 mars 2000, d'un « avertissement » : « Veuillez noter qu'Amazon.com
n'approuve pas les vues exprimées ci-dessous, ni celles de l'éditeur, publiées dans la
présentation du livre. » Voir Nicolas Gurgand, « Nouveau dérapage chez Amazon », 6 avril
2000 (en ligne sur le site transfert.net).
tensions entre Noirs et Juifs, le leader charismatique de la « Nation de
l'Islam », Louis Farrakhan 1, exploite de diverses manières les thèmes
d'accusation véhiculés par les Protocoles, comme lors de la « One Million
March » de Washington, en octobre 1995, où les centaines de milliers de
manifestants ont été arrosés de brochures et de tracts antijuifs, parmi
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lesquelles les Protocoles figuraient en bonne place. Les Protocoles et
d'autres textes conspirationnistes antijuifs 2 sont vendus dans les librairies
liées à ce mouvement nationaliste négro-américain 3. En septembre 2001
sort la première traduction française, publiée en Suisse, de The Interna-
tional Jew de Henry Ford, en version abrégée, avec en annexe un éloge de
Ford par Henry Coston : « Un milliardaire anticapitaliste 4 ».

Séduction du faux, persistance du mythe : nazis, islamistes, néonazis,


« antisionistes » radicaux
Dans ses conversations avec Hitler, qui eurent lieu vraisemblablement
en 1933 et furent ultérieurement reconstruites pour être publiées en 1939
sous le titre Hitler m'a dit, le nazi repenti Hermann Rauschning fournit un
précieux éclairage sur l'état d'esprit de ce lecteur fasciné des Protocoles
qu'était le Führer :

Quand j'ai lu, il y a longtemps, les Protocoles des Sages de Sion, j'en ai été
bouleversé. Cette dissimulation dangereuse de l'ennemi, cette ubiquité !
J'ai compris tout de suite qu'il fallait faire comme eux, à notre façon bien
entendu. Représentez-vous ces hommes éternellement mouvants et nous-

1. Pour situer Nation of Islam dans le contexte politico-religieux américain, voir Fran-
çoise Clary, « Les communautés islamiques afro-américaines : vers une américanisation de
l'Islam ? », Revue française d'études américaines, n° 95, février 2003, p. 30-53.
2. Par exemple : Vicomte Leon de Poncins, Freemasonry and Judaism : Secret Powers Behind
Revolution, Brooklyn, New York, A & B Books Publishers, 1994 ; il s'agit là de la réédition de
la traduction anglaise (1929) du livre de Léon de Poncins, Les Forces secrètes de la Révolution.
Franc-maçonnerie et judaïsme, Paris, Bossard, 1928 (nouvelle édition revue, 1929). Outre les
Protocoles, les réseaux de « Nation of Islam » diffusent The International Jew de Henry Ford, The
Jews and Their Lies de Martin Luther, et le texte négationniste signé Arthur R. Butz, The Hoax of
the Twentieth Century (Marvin Perry et Frederick M. Schweitzer, 2002, p. 251).
3. Voir Richard S. Levy, 1995, p. 38-39. Sur la mythologie antijuive de la « Nation de l'Islam »,
voir l'étude fouillée de Marvin Perry et Frederick M. Schweitzer, 2002, p. 213-257 (chap. 6).
4. Henry Ford, Le Juif international. Le plus grand problème du monde, version abrégée,
traduit de l'anglais par l'Association Vérité et Justice (CH - 1618 Châtel-Saint-Denis),
septembre 2001,207 p. Le volume comporte une introduction signée René-Louis Berclaz,
secrétaire général de l'Association Vérité et Justice (p. 1 -7) et, en annexe, un extrait du livre
d'Henry Coston, Les Financiers qui mènent le monde (Paris, La Librairie française, 1955,
chap. 35, p. 315-323 : « Un milliardaire anticapitaliste : Ford » ; rééd., Paris, Publications
H.-C., 1989), repris sous le titre « Un milliardaire anticapitaliste » (p. 197-207).
mêmes avec notre nouvelle croyance au mouvement éternel. Comme ils
nous ressemblent et à d'autres égards comme ils sont différents ! Quelle
lutte s'engage entre eux et nous ! L'enjeu est tout simplement la destinée
du monde. [...] Que le document soit authentique ou non. au sens
historique du mot, que m'importe ? [...] Nous devons battre le Juif avec ses
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propres armes. J'en ai eu la certitude après avoir lu ce livre. [...] [Les
Protocoles] m'ont guidé jusqu'au moindre détail. J'ai appris énormément
de choses dans ces Protocoles. J'ai toujours appris beaucoup de mes
adversaires. J'ai étudié la technique révolutionnaire dans Lénine, Trotski
et les autres marxistes. [...] [Mais qu'avez-vous donc pris dans les
Protocoles des Sages de Sion ? demandai-je.] - L'intrigue politique, la
technique, la conspiration, la désagrégation révolutionnaire, l'art de
déguiser, de tromper, l'organisation. Est-ce que ce n'est pas assez 1 ?
Dans ce passage de l'entretien avec Rauschning, Hitler construit l'inter-
action imaginaire de ceux de son camp avec « le Juif » sur le modèle de la
rivalité mimétique. Situation paradoxale, s'il est vrai que les plus ressem-
blants sont en même temps les plus différents : « Le Juif offre le plus extrême
contraste avec l'Aryen », lit-on dans Mein Kampff C'est par sa dimension
antisémite que la conception raciste du monde, chez Hitler et ses proches
(Goebbels et Himmler notamment), fonctionne comme un manichéisme. La
vision hitlérienne du combat décisif entre la « race supérieure » (l'Aryen) et
l'antirace juive (Gegen-Rasse) est planétaire : Aryens et Juifs sont engagés
dans la lutte pour la domination du monde. Mais les Aryens, selon Hitler, ont
beaucoup à apprendre chez leurs ennemis absolus, dont les ruses et les stra-
tégies cachées sont heureusement dévoilées par la publication des Proto-
coles. C'est en ce sens que Hitler a été présenté par certains de ses
contemporains comme un « élève des Sages de Sion » 3.

1. Hermann Rauschning, Hitler m'a dit, trad. fr. Albert Lehman, nouvelle édition revue
et complétée, avant-propos et notes de Raoul Girardet, Paris, Librairie Générale Française,
coll. « Pluriel », 1979, chapitre XV, p. 317-321. Voir Alexander Stein, Adolf Hitler, Schüler
der « Weisen von Zion », Karlsbad, Verlangstalt « Graphia », 1936. Voir aussi les remar-
ques de Hannah Arendt sur la mentalité conspirationniste et les usages des Protocoles, dans
The Origins of Totalitarianism (San Diego, CA, Harcourt Brace, 1951), première partie :
Antisemitism, trad. fr. Micheline Pouteau : Sur l'antisémitisme, Paris, Calmann-Lévy, 1973,
p. 19, 31, 207-208 ; IIIe partie : Le Système totalitaire, trad. fr. Jean-Loup Bourget et al.,
Paris, Le Seuil, 1972, p. 25-26, 58-59, 85-87, 103-110, 258-260 (notes 41-50).
2. Hitler, Mein Kampf, trad. fr. (légèrement modifiée), op. cit., livre I, chap. 11, p. 299 ;
éd. all., 1942, p. 329 : « Den gewaltigsten Gegensatz zum Arier bildet der Jude. »
3. Voir Alexander Stein, op. cit. Sur la portée et les limites de cette interprétation, voir
Hannah Arendt. Le Système totalitaire, op. cit., p. 85-86, 258-259 (notes 41-43).
En 1985, dans l'Iran de l'ayatollah Khomeyni, l'Organisation pour la
propagande islamique publie à Téhéran une réimpression de l'édition liba-
naise des Protocoles (Beyrouth, Les Presses islamiques, novembre 1967),
sous le même titre : « Protocols » des Sages de Sion. Texte complet
conforme à l'original adopté par le Congrès sioniste à Bâle (Suisse) en
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1897 (simple reprise de l'édition française de Roger Lambelin, parue chez
Grasset en 1921). La première page de couverture porte en surtitre : La
vérité sur les plans d'Israël révélée par un document Israélite, ce qui
résume clairement l'interprétation islamiste (à la mode chiite/iranienne) du
document. La lecture de l'introduction de l'éditeur (le Bureau des relations
internationales de l'Organisation pour la Propagande islamique), intitulée
« Au Nom de Dieu, Clément et Miséricordieux », permet de mieux
comprendre les objectifs de guerre idéologique que remplit la diffusion des
Protocoles aux yeux des islamistes iraniens :

Les crimes et les violations contre l'islam et les musulmans sont connus de
tous. Le Coran fait clairement allusion à cette réalité au verset 82 de la sourate
V « La Table servie » : « Tu constateras que les hommes les plus hostiles aux
croyants sont les Juifs et les Polythéistes. » L'occupation et l'expansion avides,
conformément à la logique « du Nil à l'Euphrate », sont propres à ces crimi-
nels professionnels de l'histoire qui, depuis 35 ans, avec la coopération des
superpuissances, s'approchent progressivement, pas à pas, à [sic] leur sata-
nique objectif. [...] Non seulement la collaboration des superpuissances a
renforcé cette tumeur cancéreuse au cœur du Moyen-Orient islamique, mais
bien plus, le silence des peuples arabes musulmans et des dirigeants réaction-
naires de la région a aplani la voie à la continuation des agressions et à
l'influence accrue des sionistes. [...] L'apparition de la Révolution islamique
de l'Iran dans la région représente, aujourd'hui et demain, le plus grand
danger pour Israël. [...] Depuis plus de 20 ans, à ce jour, l'Imam Khomeyni,
guide de la Révolution iranienne, n'a cessé de rappeler le danger que repré-
sente cet ennemi destructeur. La phrase : « Si chaque musulman tenait à la
main un seau plein d'eau et en faisait couler le contenu vers Israël, ces crimi-
nels seraient balayés », est l'une des plus anciennes et des plus significatives
du grand fondateur de la République islamique. Quoi qu'il en soit, il faut dire
énergiquement et fermement que la région ne pourra jouir du calme et de la
paix tant que cette tumeur cancéreuse n'aura pas été arrachée. [...] C'est sous
ce rapport que nous réimprimons, tel quel, et sans exprimer notre opinion
[sic], l'ouvrage présent, d'après l'édition libanaise, afin d'exposer la vraie
nature de ce dangereux ennemi. Nous espérons avoir fait un pas en avant de
plus, tant pour l'information des musulmans et pour faire connaître la nature
de ces envahisseurs, instigateurs de trouble, que pour extirper les racines de
la corruption, de l'iniquité et du crime sur toute la surface de la terre.
Le négationniste Alain Guionnet est connu pour avoir publié en 1991
un Manifeste antijuif et avoir lancé en 1989 une revue dite « post-
révisionniste », où il mêle les motifs faurissoniens aux thèmes d'accusation
hérités des Protocoles et de la littérature conspirationniste dérivée (Urbain
Gohier, etc.). Après avoir réédité en feuilleton les Protocoles (version de
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Boutmi) dans sa revue Revision, de mai à septembre 1989 1, Guionnet
publie en décembre 1990 un éditorial dénonçant la « guerre
apocalyptique » contre l'Irak attribuée aux « Sages de Sion », les grands
maîtres de la manipulation :

La guerre apocalyptique en Irak, c'est pour demain. L'enjeu ? Un nouvel


ordre mondial, l'ordre juif Si tel est le cas, il n'y aura plus d'espoir, plus la
moindre possibilité d'action. Ce sera le règne du despotisme oriental [...]. Le
mieux est d'anticiper, d imaginer les scénarios possibles du déroulement de
l'affrontement mondial, avec la guerre contre l'Irak dans un premier temps.
[...] [Après avoir imaginé les deux premières phases de la guerre :
« bombardements massifs » puis offensive terrestre, Guionnet poursuit : ] On
peut imaginer une troisième phase, celle de la solution finale : l'aviation israé-
lienne larguant des bombes atomiques sur Bagdad et Bassora. Ainsi, non
seulement ce conflit tournerait nécessairement à l'avantage des Israélo-Améri-
cains, mais aussi ce serait Israël qui finirait parfaire la différence, en ridiculi-
sant du même coup l'ensemble des armées qui sont à sa solde [...]. Au moindre
coût, Israël sera alors sacré roi de l'univers, car étant la seule force capable
de faire la différence, d'unir artificiellement toutes les parties du monde, désor-
mais rassemblées sous un seul et même drapeau. Alors, sous l'étoile de David
ce sera la nuit noire, la fin de l'histoire. [...] Au nom des droits de l'homme, de
la fraternité, leur presse aura beau jeu de dénoncer les actes de résistance,
dont certains seront manipulés et mis en scène. Ainsi, l'ennemi du genre
humain, le Juif, se présentera comme sauveur de l'espèce humaine. [...] Pour
assurer à tout jamais son hégémonie, le système rabbinique s'appuiera sur une
politique concentrationnaire jusqu 'à présent inconnue dans l'histoire. [...] Ce
sera enfin le règne, tant attendu par les sages de Sion, de la fraternité univer-
selle. [...] Voilà pourquoi, camarades, ouvriers, Français, nous autres révi-
sionnistes goys ou « durs », appelons à préparer l'insurrection 2.
Lors de la « Conférence révisionniste internationale » organisée à Trieste
les 6 et 7 octobre 2001, l'islamiste marocain Ahmed Rami prononce un
discours sur le thème : « La libération de la Palestine passe par la libération de

1. Voir Revision (et non pas Révision), n° 3, mai 1989, p. 13-16 ; n° 4, juin 1989, p. 15-
19 ; n° 5-6, juillet-août 1989, p. 24-30 ; n° 7, septembre 1989, p. 17-21.
2. « Goys, camarades, ouvriers, Français ! », Revision, n° 22, décembre 1990, p. 2
(éditorial ; reproduction intégrale dans Pierre-André Taguieff, 1992, t. Il, p. 532).
l'Occident1 ! », où il dénonce violemment la « domination juive » sur le
monde, en adaptant aux normes « antisionistes » et/ou propalestiniennes le
code culturel antijuif dont les Protocoles constituent un aide-mémoire :

Les Juifs dominent aujourd'hui - par la corruption — le monde entier et


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surtout les USA : économiquement, culturellement et médiatiquement. [...] Si
les Juifs ne revendiquaient que la Palestine, on aurait pu arriver à un
compromis, mais les Juifs ont transformé le monde entier en une « grande
Palestine » occupée et exercent effectivement — ou revendiquent — leur domi-
nation sur tous les pays du monde ! [...] Les Juifs se croient [sic] « le peuple
élu » qui a reçu de son « Dieu » le droit de s'emparer d'une terre qui appar-
tient au peuple palestinien et le droit à l'extermination de ce peuple. Les Juifs
estiment — selon leur « religion » - que - eux seuls — sont des êtres humains,
tandis que les autres seraient des « Goyim » (des animaux). Toutes leurs fêtes
religieuses [...] sont célébrées pour fêter des exterminations barbares perpé-
trées par les Juifs contre d'autres peuples. [...] Le pouvoir juif est essentielle-
ment fondé sur une escroquerie intellectuelle légalisée et sur le bluff de
l'Holocauste, que nous tous, ensemble, devons et pouvons dégonfler. [...]
Maintenant nous sommes tous dominés par la mafia juive qui exerce une
occupation « chimique » en Occident et une occupation « mécanique » en
Palestine ! Je peux même affirmer sans exagération que la libération de la
Palestine doit d'abord passer par la libération des USA et de l'Europe 2 !
L'islamo-négationniste Ahmed Rami est un infatigable dénonciateur du
« ZOG » (« Zionist Occupation Government ») à l'instar des néonazis
américains ou britanniques3. En professant cet « antisionisme » magique,
disons l'anti-ZOGisme, les militants de la plupart des mouvances
d'extrême droite peuvent se reconnaître les uns les autres : le « ZOG »
amalgame en effet, à l'instar de l'expression chère à Ben Laden (les

1. Conférence organisée par l'association « culturelle » italienne Nuovo Ordine Nazionale,


à laquelle participèrent notamment les négationnistes Robert Countess et Russ Granata (États-
Unis), Vincent Reynouard (France) et Jürgen Graf (Suisse). Countess, Granata et Graf sont
des habitués des colloques organisés par l'Institute for Historical Review, dont The Journal of
Historical Review est l'organe. Voir Michael Shermer et Alex Grobman, op. cit., p. 42.
2. Extraits d'un article paru dans le quotidien italien Trieste Oggi, 9 octobre 2001, en
ligne sur le site de Radio Islam (fondé et dirigé par Ahmed Rami).
3. L'une des sources de cette représentation « antisioniste » très répandue dans les milieux de
l'extrême droite américaine est le best-seller The Turner Diaries, publié en 1978 (National
Vanguard Press) par le leader de l'organisation suprémaciste (ou néonazie) National Alliance,
William L. Pierce, sous le pseudonyme d'Andrew Macdonald (2e éd., Arlington, Va., National
Vanguard Books, 1980). Dans ce récit, Pierce (mort le 23 juillet 2003) met en scène le renverse-
ment violent du gouvernement fédéral par une armée secrète de suprémacistes blancs, visant à
provoquer une « révolution blanche » ou « aryenne », en commençant par faire exploser le quar-
tier général du FBI. (voir suite page suivante)
« judéo-croisés »), les deux figures principales de l'ennemi absolu, Israël
et les États-Unis, le « sionisme mondial » et le « nouvel ordre mondial »
incarné par l'Amérique. Dans le discours des milieux de la droite radicale
aux États-Unis, l'acronyme « ZOG » est ordinairement utilisé pour stigma-
tiser le gouvernement fédéral, censé être dans les mains des « sionistes ».
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L'extrême droite chrétienne et « suprématiste » dénonce les « complots »
du « ZOG » pour « détruire la race aryenne et l'héritage aryen », principa-
lement à travers la vente de drogues et le droit d'avorter 1. Mais le « ZOG »
peut aussi désigner tout gouvernement supposé dirigé en secret par le
« sionisme mondial » : manière de décrypter magiquement le « nouvel
ordre mondial ». On relèvera comme un fait idéologico-politique signifi-
catif que le néonazi britannique David William Myatt (né en 1952), leader
du groupe néonazi Combat 18 et chef d'une secte raciste appelée Reichs-
folk (dont le journal est Das Reich), sataniste en lutte contre le
« système ZOG » et créateur d'une nouvelle élite aryenne, « La Légion
d'Adolf Hitler », s'est récemment converti à l'islam (d'obédience wahha-
bite-salafiste), comme s'il s'agissait d'une conclusion logique pour qui
veut engager la lutte finale contre le « nouvel ordre mondial ». Pour celui
qui signe désormais Abdul-Aziz Ibn Myatt ou Abdul Aziz, devenir
musulman, c'était rejoindre le combat d'Oussama Ben Laden contre les
« judéo-croisés ». En tant que chef de file du « satanisme nazi » en Grande-
Bretagne, Myatt a notamment publié Diablerie : Revelations of a Satanist
(Shrewsbury, Royaume-Uni, Thormynd Press, 1991 sous le pseudonyme
de Anton Long) ; Cosmic Reich : The Life and Thoughts of David Myatt
(Paraparaumu Beach, Nouvelle-Zélande, Renaissance Press, 1995)2.
Quant à Abdul-Aziz Ibn Myatt, on lui doit de multiples articles aux titres

3. (suite de la page précédente) Le roman de Pierce a nourri l'imaginaire de ceux qui dénon-
cent inlassablement le gouvernement fédéral américain comme un « Zionist Occupation
Government », en particulier les membres d'organisations extrémistes telles que The Order, the
Aryan Republican Army, The New Order, et a directement influencé le terroriste Timothy
McVeigh, jeune militant « patriote » incarnant le type du « milicien » d'extrême droite en lutte
contre le « Nouvel ordre mondial », auteur de l'attentat à l'explosif contre l'immeuble fédéral à
Oklahoma City, le 19 avril 1995, qui fit 168 morts et 500 blessés. Voir Nicholas Goodrick-
Clarke, Black Sun, op. cit., p. 22-27,41, 198, 211,264, 279, 282, 290. ; « The Turner Diaries »,
article en ligne sur le site de l'ADL (« Extremism in America », http://www.adl.org). Voir aussi
Stephen Eric Bronner, 2000, p. 136 (qui attribue à tort le roman néonazi à un certain Norman
Phillips).
1. Michael Barkun, Religion and the Racist Right, op. cit., p. 111 ; voir aussi p. 228. Pour
de nombreux exemples, voir Nicholas Goodrick-Clarke, Black Sun, op. cit., p. 19, 24-26,
45-50, 222-223, 235, 245-247, 272-274.
2. Sur ce représentant du « satanisme nazi » contemporain, voir Nicholas Goodrick-
Clarke, Hitler's Priestess, op. cit., p. 215-216, 225 ; id., Black Sun, op. cit., p. 216-225,
342-343 (notes 8-37).
annonçant la couleur, tels que « The Crusader War Against Islam »,
« Palestine, Islam, the West, and the Zionist Quest for World
Domination », « The War Between Imaan and Kufr Will Continue »,
« Why America Can Not Win It’s Declared War Against Islam » (tous en
ligne sur son site : davidmyatt.portland.co.uk)1. Il ne s'agit pas de la
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conversion individuelle d'un militant néonazi à l'islam, mais d'un cas
exemplaire illustrant le tournant islamophile de la droite radicale dans la
période de l'après 1989 : l'ennemi absolu n'est plus le communisme, mais
l'Amérique, le « nouvel ordre mondial », entité mythique répulsive où se
mêlent l’« impérialisme », le « capitalisme » et le « sionisme mondial ».
La « défense de l'Occident » (ou de la « race blanche ») s'est retournée en
une guerre contre l'Occident « américano-sioniste ». Certains y ajoutent
une thématique empruntée à la Nouvelle droite (le GRECE et son idéo-
logue Alain de Benoist) : celle de l'alliance entre l'Europe et le monde
arabo-musulman (ou plus largement le tiers-monde). Cette nouvelle isla-
mophilie d'extrême droite se nourrit de la fascination exercée par le
wahhabisme salafiste (à la Ben Laden) mais aussi de l'admiration pour tout
dictateur du monde arabo-musulman « résistant » à « l'impérialisme
américain ». D'où la célébration de Saddam Hussein par ces milieux
islamo-nazis ou islamo-fascistes. L'homologue français (à certains égards)
de David Myatt, qui signe sous le pseudonyme de Tahir de la Nive, est un
ancien militant d'extrême droite (du type « nationaliste révolutionnaire »)
converti à l'islam, devenu l'un des plus actifs propagandistes américano-
phobes en langue française, comme l'atteste son pamphlet Les Croisés de
l'oncle Sam 2, où il s'attaque aux « islamophobes » et définit « la nature du
véritable ennemi de l'Europe : l'hegemon états-unien ». C'est pourquoi
l'intervention anglo-américaine pour renverser le régime de Saddam
Hussein, en mars-avril 2003, a été aussi violemment condamnée par tant de

1. Voir « David Myatt Biographical Information : The Life and Times of David Myatt »
(article mis à jour le 7 septembre 2003, en ligne sur le site geocities.com).
2. Tahir de la Nive, Les Croisés de l'oncle Sam. Une réponse européenne à Guillaume
Faye et aux islamophobes, Kildare (Irlande), avataréditions, 2003. Chez le même éditeur,
voir aussi Jacques Borde, Pourquoi l'Amérique ? 11 septembre 2001 (en coédition avec
Dualpha éditions, 2001) ; père Jean-Marie Valentin, Irak, avant-poste de l'Eurasie, entre-
tien réalisé par Tiberio Graziani, avant-propos d'Enrico Galoppini, suivi de l'essai
L'« axe » et l'anaconda, l'Irak face à la conquête de l'Eurasie, de Carlo Terracciano,
traduction et adaptation française par Christian Bouchet (Les Cahiers de la radicalité, n° 1,
2003 ; 1ère éd. italienne, Edizioni all'insegna del Veltro, 2002). Tiberio Graziani est un
publiciste italien d'extrême droite. Le père Benjamin, prêtre italien proche des milieux
d'extrême droite (il fut ordonné en 1991), est le secrétaire général de la Fondation Beato
Angelico ainsi que le président du « Benjamin Committe for Iraq », dont le siège est en
Italie (à Santa Maria des Anges [Assise], Ombrie).
représentants de la droite radicale, dénonçant la « stratégie américano-
sioniste d'hégémonie en Eurasie et par voie de conséquence sur la terre
entière », stratégie visant notamment à « réaliser le rêve américain de
toujours : la domination du monde 1 ».
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III. Dernières nouvelles judéophobes du Proche-Orient
Au début de 2003 paraît en Égypte, aux éditions Al-Akhbar, un pamphlet
antijuif intitulé Kahila, les dessous des massacres perpétrés par les sionistes,
signé par un journaliste et publiciste égyptien célèbre, Fathi al-Ibyari2. Ce
livre, qui prétend révéler l'histoire secrète et inquiétante des Juifs, est élogieu-
sement présenté par le journal populaire Akher Saha comme « une des études
les plus profondes, précises, et surtout révélatrices sur les Juifs à travers le
monde et l'Histoire ». La réalité textuelle est plus simple : ce pamphlet
« antisioniste », dont la publication a été autorisée par les services gouverne-
mentaux, est fabriqué à partir de matériaux empruntés à la littérature anti-
talmudique et aux Protocoles, ingurgités avec leurs préfaces et leurs gloses,
dont on sait qu'elles reprennent les mêmes motifs d'accusation et citent les
mêmes fragments falsifiés ou surinterprétés. L'auteur commence son
pamphlet par une série de questions rhétoriques : « Qui a tué les Prophètes ? »,
« Qui a attisé les guerres ? », « Qui répand larmes et sang ? », et bien sûr :
« Qui sont les ennemis de l'humanité ? ». La réponse était attendue : « Ne sont-
ce pas les Juifs, les sionistes et leurs sympathisants ? » L'objectif de l'ouvrage
est de dévoiler la vérité sur l'organisation secrète des Juifs, « Kahila3 », espèce

1. Carlo Terracciano, in Père Jean-Marie Valentin, op. cit., p. 103. Carlo Terracciano est
un disciple italien de Jean Thiriart, qui fait aujourd'hui partie de la mouvance « néo-
eurasiste », dont le Russe Alexandre Douguine est le chef de file. Voir Carlo Terracciano,
« Jean Thiriart : prophète et militant » (Archivio Eurasia, http://utenti.tripod.it) ; anonyme
(A. Douguin ?), « Le mouvement “Eurasia” » (http://utenti.lycos.it).
2. Voir Magda Millet, « Égypte. Un nouveau brûlot antisémite », http://www.proche-
orient.info, 2 mars 2003.
3. Cette représentation dérive de la littérature d'accompagnement des Protocoles,
s'inspirant lointainement des livres de Jacob Brafman sur le « Kahal ». C'est vraisembla-
blement le recueil d'articles attribués à Henry Ford, The International Jew, notamment dans
sa version réduite en un volume, qui a largement diffusé cette représentation mythique. Voir
The International Jew, vol. I, novembre 1920, op. cit., p. 163-174 (chap. 15 : « Is the Jewish
“Kahal” the Modem “Soviet” ? ») ; vol. Il, avril 1921, op. cit., p. 137-148 (chap. 33 : « Rule
of the Jewish Kellillah Grips New York »). Sur la « Kehillah » interprétée dans une pers-
pective conspirationniste, voir également Lesley Fry, Le Retour des flots vers l'Orient,
op. cit., p. 18-30, 62, 86. Dans le vocabulaire utilisé par les Juifs américains, le mot
« Kehillah » est en réalité un strict équivalent de « Jewish Community » : la Kehillah de
New York est simplement la « communauté juive » de New York. Mais, il est vrai, le terme
perd ainsi son mystère (NDLR : Kehillah, en hébreu, signifie communauté).
de cerveau collectif « diabolique » qui serait composé de « 300 démons ». Ces
300 membres secrets (on reconnaît l'emprunt à la formule de Rathenau) 1,
censés représenter les plus importantes organisations juives (le B’nai B’rith, le
Conseil central des Rabbins américains, etc.), auraient pour but, dans un
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premier temps, d'amasser tout l'or du monde, afin d'acquérir la puissance
requise pour exécuter des plans pervers. La superorganisation « Kahila » serait
présente depuis que Dieu a créé la race juive, instrument d'anéantissement de
l'univers. Si elle s'inspire du Talmud, c'est parce que celui-ci est la « charte du
terrorisme ». Pour Fathi al-Ibyari, le « sionisme mondial » vise à s'emparer du
territoire compris entre le Nil et l'Euphrate. Quant au « judaïsme mondial »,
son objectif est d'accomplir la promesse falsifiée de la Torah, justification de
son projet de conquérir et de dominer le monde. Division du travail : le
« sionisme mondial » cherche à écraser les musulmans, le « judaïsme
mondial » cherche à assujettir les chrétiens et les autres goyim. Le journaliste
égyptien explique que le mot « Kahila » vient du mot hébreu « Kahal », qui
signifie selon lui « gouvernement secret », un gouvernement invisible qui
organise la vie des Juifs à travers le monde et leur permet d'infiltrer et de
dominer tous les centres d'influence. Derrière la plupart des grands événe-
ments de l'histoire mondiale, al-Ibyari prétend voir la main cachée de
« Kahila » (de l'assassinat du président Kennedy à l'effondrement de l'Union
soviétique, en passant par les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, les
guerres en Afrique, en Asie, etc.). Le journaliste affirme encore que les diri-
geants israéliens ne font qu'appliquer à la lettre les instructions secrètes de
« Kahila » dont la branche principale se trouverait en Israël. Enfin, selon al-
Ibyari, c'est en opérant à travers les « cercles maçonniques » et autres
« sociétés secrètes » que la superorganisation « Kahila » a réussi à maîtriser les
centres vitaux américains. Deux organisations juives travailleraient dans
l'ombre pour « Kahila » : le Conseil juif américain et surtout « Kahila-New
York », la plus secrète et la plus puissante, qui, en infiltrant la vie politique
américaine jusqu'au sommet de la pyramide, se serait constituée en
« gouvernement dans le gouvernement ». Voilà donc la « vérité » sur les agis-
sements secrets et coupables des Juifs et/ou des « sionistes », par l'inventeur
égyptien du centre mondial mythique nommé « Kahila » : celui-ci planifierait
l'avenir des Juifs du monde entier conformément aux textes « déformés » de la
Torah, à ceux du Talmud et des Protocoles des Sages de Sion. Au début du
troisième millénaire, dans un pays arabo-musulman en paix avec Israël, le
conspirationnisme antijuif se porte bien.

1. Le cliché des « 300 » avait été mis en circulation par le compte rendu de l'écrivain
Abbas Mahmoud al-Aqqad, dans Al-Asas (23 novembre 1951), de la traduction arabe des
Protocoles due à Muhammad Khalifa al-Tunsi (Le Caire, 1951). Voir supra.
Passons de l'Égypte aux territoires palestiniens. Al-Manar, la chaîne de
télévision du Hezbollah, présente en novembre 2003, durant le mois du
ramadan (commencé le 27 octobre), « Al Shatat » (« Diaspora »), une série
syrienne dont on peut dire qu'elle est une grande fresque antisémite 1, à
l'instar de la production égyptienne « Le Cavalier sans monture », diffusée
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lors du ramadan de l'automne 2002. Cette série est composée de trente
épisodes qui, à coups de clichés et de stéréotypes antijuifs, prétendent retracer
l'histoire du sionisme de 1812 (date de la mort de Meyer Amschel Roths-
child) jusqu’à la création de l'État d'Israël. Le refrain conspirationniste que
fait entendre ce feuilleton syrien de propagande « antisioniste » est également
emprunté à la littérature dérivée des Protocoles : « Les Juifs dominent et
contrôlent le monde ». Dès le premier épisode, diffusé le 27 octobre 2003, le
décor est planté et l'orientation de la série clairement définie : il s'agit de
présenter le « gouvernement juif mondial » aux XIXe et XXe siècles, comme le
fruit d'un projet secret de la famille Rothschild. Cet épisode est introduit par
le raccourci suivant, synthèse d'accusations délirantes en tout genre : « Il y a
deux mille ans, les sages juifs instaurèrent un gouvernement mondial ayant
pour objectif de diriger le monde, de le soumettre aux préceptes du Talmud,
et de séparer complètement les Juifs des autres peuples. Ensuite, les Juifs
entreprirent de provoquer des guerres et des conflits civils, récoltant la
condamnation des [différents] pays2. Ils se firent passer pour persécutés,
attendant que leur sauveur, le “Messie”, achève de les venger des “gentils”,
vengeance entamée par leur Dieu Jéhovah. Au début du XIXe siècle, le
gouvernement juif mondial a décidé d'intensifier ses complots. Il s'est
dissous pour faire place au nouveau gouvernement juif mondial secret, dirigé
par Amschel Rothschild. » La suite du texte apparaît sur l'écran tandis que
l'hymne israélien, l'Hatikva, est entonné en musique de fond : « Le contenu
de ce programme se fonde sur plus de 250 documents juifs et sionistes histo-
riques authentiques, sans aucun rapport avec les Protocoles des Sages de
Sion. Parmi ces sources se trouvent : la Torah, le Talmud, les mémoires de
Theodor Herzl, l'anthr pologie juive, le Talmud de Babylone, La Religion de

1. « Syrian Ramadan TV Series on Hizbullah’s Al-Manar : Diaspora, Episode I »,


MEMRI, Special Dispatch Series, n° 598, 29 octobre 2003 ; ainsi que les notes n° 623
(8 décembre) et n° 627 (12 décembre) (http://www.memri.org). Voir aussi Tewfik Hakem,
« Un feuilleton d'Al-Manar TV accusé d'antisémitisme », Le Monde Télévision,
6 décembre 2003. Le 11 novembre 2003, on pouvait lire dans le journal Syrian Times : « Ce
feuilleton syrien retrace l'histoire criminelle du sionisme. »
2. « Chaque guerre, chaque révolution chaque ébranlement politique ou religieux arrivé
dans le monde chrétien, rapprochent le moment où nous atteindrons le but suprême vers
lequel nous tendons. [...] Notre unique but : celui de régner sur la terre, comme cela a été
promis à notre père Abraham. » (Discours du Rabbin, in Kalixt de Wolski, La Russie juive,
op. cit., p. 11-12, 19).
Sion, L'État juif de Herzl, L'Histoire du peuple d'Israël, Les Premiers Israé-
liens, Les Nouveaux Israéliens, Lettre aux païens, la mine d'or qu'est la loi
talmudique, et Le Débat sur Sion. » On notera la prise de distance vis-à-vis
des Protocoles, traités comme un document dont l'authenticité reste
douteuse : ce geste rhétorique couvre une reprise du contenu essentiel du
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faux, à savoir l'attribution aux dirigeants du peuple juif d'un programme de
domination mondiale en cours de réalisation. Après cette énumération de
références censées établir le sérieux de la série commence la première scène
qui, située à Francfort en 1812, raconte les derniers instants du patriarche de
la famille Rothschild, Amschel, étendu sur son lit de mort. Le vieil homme
ordonne à son fils « illégitime » d'appeler ses quatre frères et, tandis que
celui-ci s'absente pour exécuter cet ordre, une voix off se fait entendre, qui
lance un message dénué d'ambiguïté : « Tuez les meilleurs des non-Juifs,
détruisez leur religion, saccagez leurs terres. Israël ne survivra pas si les
peuples étrangers survivent. Les Juifs descendent de Dieu comme l'enfant
descend de son père. De même que l'homme domine [sur les animaux], les
Juifs sont supérieurs à tous les peuples du monde, car la semence des étran-
gers est semblable à celle des ânes. Le messie rédempteur ne viendra pas tant
que les peuples non-juifs ne se seront pas éteints et que les Juifs ne détien-
dront pas seuls le pouvoir 1.» Les cinq fils d'Amschel Rothschild entrent
ensuite dans la chambre et, entourant leur père agonisant, écoutent celui-ci
prononcer ses dernières paroles : « Les nations non juives - elles descendent
toutes de la répugnante semence de l’âne. Régnez sur elles en secret et en
public, par la force et par la répression, par la tromperie et par la ruse. Ne
laissez aucune nation partager le pouvoir sur le monde avec vous... Dieu
nous a honorés, nous Juifs, de la mission de dominer le monde par l'argent,
la connaissance, la politique, le crime, le sexe - par tous les moyens... Dieu
nous a promis qu'Il se vengerait de ceux qui nous envoient en exil, qu'Il
triompherait d'eux, nous ordonnant de créer un État juif [...]. Il m'a fait
l'honneur d'être l'homme le plus important de ce gouvernement [juif]. La
mission du gouvernement est de préserver la religion juive et de diriger le
monde, grâce à de fidèles agents qui infiltreront les gouvernements étrangers
pour y asseoir leurs opinions 2. » En avisé Sage de Sion, Amschel Rothschild
ajoute quelques conseils tactico-stratégiques à l'intention de ses fils : « Ma
tâche se termine, et c'est à vous de prendre la relève. L'Europe ne sera pas

1. Suite d'extraits des nombreuses brochures anti-talmudiques dérivées du livre


d'August Rohling (1871), dont l'édition française la plus complète a été préfacée par
Édouard Drumont (Le Juif selon le Talmud, Paris, Albert Savine, 1889 ; voir notamment
p. 103 sq., 145 sq.).
2. Compilation de passages extraits du Discours du Rabbin et des Protocoles (Protoc. 1,
2, 5, 7, 9, etc.).
une proie facile ; vous devez donc tous coopérer pour frapper pays après
pays, terre après terre. L'Europe doit être brûlée par les guerres et les conflits
civils... J'ai laissé à chacun d'entre vous une somme d'argent grâce à
laquelle vous ferez partie des hommes les plus riches du monde. Chacun
d'entre vous doit apprendre à exploiter les circonstances et les événements,
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ainsi que les points faibles d'autrui, en ayant recours aux méthodes les plus
perverses. Ainsi, vous pourrez régner sur le monde... » Puis le vieux
patriarche entreprend de répartir entre ses fils les responsabilités dans l'entre-
prise de destruction de l'Europe. À Anselme, il déclare : « Tu es chargé de
l'Allemagne. Je veux que tu ne laisses terminer une guerre que pour entrer
dans une autre guerre. » À Solomon, il lance : « Tu es chargé de l'Autriche. »
À Nathan, il dit : « Je t'ai laissé le plus méprisable des pays : la Grande-
Bretagne. » À Karl, il précise : « Je veux que tu mobilises tout ton génie pour
harceler le Pape et pour détruire Rome sur sa tête. » À James, il ordonne :
« Tu dois régner sur la France plus que son propre roi. » Et à eux tous, il dit :
« Je veux que vous juriez sur la Torah que vous exécuterez la volonté de
Dieu. » Après que tous ses fils ont prêté serment sur la Torah, le vieux Roths-
child prononce ses dernières paroles : « La direction secrète a décidé que l'un
de vous prendra ma place en tant que leader général de tous les Juifs du
monde. Bien sûr, cela ne se fera que lorsque vous aurez rempli les missions
que je vous ai confiées. » Dans la scène suivante, nous sommes transportés à
Paris, en 1894, pour assister à une réunion du « gouvernement juif secret ».
Après avoir décidé et ordonné l'exécution du tsar Alexandre III, les diri-
geants juifs complotent pour envoyer Alfred Dreyfus infiltrer le gouverne-
ment français en vue d'empêcher le rapprochement entre la France et la
Russie. Puis l'on voit Dreyfus et Theodor Herzl se croiser dans un bordel, et
celui-ci discuter avec la tenancière de son projet d'un État juif. Tel est
l'essentiel du prétendu testament laissé par le « Juif capitaliste » paradigma-
tique, le patriarche Amschel Rothschild, dont la leçon tient en une phrase : les
Juifs sont mus par un irrépressible désir de destruction et une volonté illimitée
de conquête et, pour ces humains inhumains, tous les moyens sont bons pour
arriver à leurs fins. Le message antijuif sera entendu par des dizaines de
milliers de jeunes Arabes des territoires palestiniens, les incitant à convertir
leur « antisionisme » passionnel en une haine idéologisée des Juifs.

IV. Fonctions du mythe conspirationniste


Comment expliquer cette persistance de la séduction des Protocoles,
comment un texte dont il a été démontré qu'il n'était qu'un plagiat relative-
ment grossier a-t-il pu continuer sa course jusqu'au début du XXIe siècle ? Et
ce, à travers des contextualisations multiples et inattendues ? Comment
expliquer une telle puissance de recyclage historique, et cette singulière
adaptabilité à diverses conjonctures, dans des espaces culturels extrêmement
différents ? Mon hypothèse est que cette résistance à la pensée critique est
l'indice que nous nous trouvons en présence d'une configuration mythique.
C'est dans cette perspective que l'on peut distinguer cinq fonctions du mythe
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de la conspiration juive mondiale, qui sont satisfaites par les Protocoles à
travers les mutiples formes de leur réception depuis un siècle.

Dénoncer le « complot juif mondial » : schéma des cinq fonctions

Première fonction : la fonction d'explication


Le mythe satisfait à bon compte le besoin de savoir, en donnant du sens
au mouvement chaotique de l'histoire et en simplifiant la réalité sociopoli-
tique indéchiffrable. Par la leçon des Protocoles, tout s'éclaire, le complexe
devient simple, l'opaque devient transparent. La condition d'une telle récep-
tion des Protocoles est qu'il existe un groupe de croyants caractérisés par
leur commune conviction que le « document » est authentique et, partant,
« révélateur ». En ce sens, l'on peut supposer que le contenu conspiration-
niste des Protocoles exprime un certain état de l'opinion dans une société
donnée, et contribue en même temps à structurer la doxa. La fonction
d'explication présuppose la fonction élémentaire d'expression, quelle que
soit la définition de ce qui est exprimé : des croyances de groupe, le
consensus de base existant dans une société, des évidences flottant dans
l'opinion, voire des structures mentales « profondes ». Les Protocoles
produisent ainsi l'illusion de comprendre l'essentiel, supposé caché, à travers
la démonisation d'un éternel ennemi du genre humain. Le « document »
supposé authentique ou prophétique vient renforcer, organiser ou confirmer
des croyances déjà là. Le mythe du complot juif mondial apparaît comme un
mythe démonologique, en ce qu'il fait connaître le principe transhistorique
du mal, sur fond de réductionnisme monocausal. Ce mythe fonctionne
comme une clé de l'histoire. Les non-Juifs lecteurs des Protocoles sont
conduits à conclure : tous nos malheurs proviennent d'un seul coupable,
absolument haïssable. Principe transhistorique et métahistorique : les « fils
de Satan » n'ont jamais cessé d'être au travail, contre leurs ennemis. Les
Juifs, « la source de tous nos maux ». Telle est la fonction cognitive du mythe
conspirationniste spécifié par une orientation judéophobe. Après avoir
dénoncé, en 1941, le complot polymorphe organisé par les Juifs et leurs alliés
(Giudaismo - Bolscevismo - Plutocrazia — Massoneria 1), l'antisémite

1. Milan, Mondadori, 1941, 401 p.


italien Giovanni Preziosi, en 1942, publie un opuscule où il reprend, après
Hitler1, le thème d'accusation pseudo-pacifiste ressassé après la Première
Guerre mondiale comme après 1940 : « Les Juifs ont voulu la guerre2 ».
Actualisation de cette imputation magique, en janvier 1991, à propos de la
guerre contre l'Irak : « Le véritable enjeu de la guerre est l'affirmation de
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l'hégémonie mondiale des Sages de Sion, les alliés se mettant au service de
l'Alliance israélite 3. » La dénonciation du « complot américano-sioniste »
qui serait à l'origine de la seconde guerre d'Irak, en mars-avril 2003 4, illustre
la même logique, simulacre d'une explication par les « causes profondes »,
confondues avec les « responsabilités cachées ».

Deuxième fonction : la défense contre la menace


Révéler les secrets des ennemis est le moyen le plus efficace de
combattre les ennemis secrets : axiome de méthode polémique. Les Proto-
coles constituent un dispositif de combat qui se présente comme une arme
d'autodéfense, ils incarnent une défense magique ; on lutte contre les
comploteurs en les désignant comme tels sur un mode indirect, en les
faisant parler de leur ténébreux programme de domination totale. La
lecture des Protocoles a un effet cathartique, elle provoque apaisement et
consolation chez ceux que l'inquiétude saisissait de savoir vaguement
qu'existaient des ennemis redoutables sans pouvoir les nommer. La
connaissance du principe censé engendrer les malheurs du monde vaut
comme méthode d'auto-immunisation. En 1922, justifiant la publication
de son livre, The International Jew, Henry Ford s'adressait ainsi au public
américain : « Notre livre ne prétend pas avoir dit le dernier mot sur les Juifs
en Amérique. Il ne fait que relater leur impact présent dans ce pays. Il suffit
que les gens apprennent à identifier l'origine et la nature des influences qui
évoluent autour d'eux. Que le peuple américain comprenne une bonne fois

1. Hitler est souvent revenu, pendant la Seconde Guerre mondiale, sur cette « prophétie »
qu'il avait énoncée dans son discours au Reichstag du 30 janvier 1939, donc avant l'entrée
en guerre : « S'il devait arriver que la finance juive internationale réussisse encore une fois
à précipiter les peuples dans une nouvelle guerre mondiale, cela n'aurait pas pour effet
d'amener la bolchevisation du globe et le triomphe des Juifs mais bien au contraire l'anéan-
tissement [Vernichtung] de la race juive en Europe ! » (passage reproduit dans Walther
Hofer (sous la dir. de), Der Nationalsozialismus. Dokumente 1933-1945, Frankurt/Main,
Fischer, 1957, rééd. 1981, p. 277 ; document n° 155). Le 21 mars 1943, Hitler relance
l'accusation en ces termes : « Une guerre sans merci ni pitié nous a été imposée par la
juiverie éternelle [...] » (déclaration citée par Arno Mayer, La « Solution finale » dans
l'histoire, op. cit., p. 389). Voir supra.
2. Giovanni Preziosi, Gli ebrei hanno voluto la guerra, Rome, 1942, 45 p.
3. Attila Lemage (pseudonyme d'Alain Guionnet), Revision, n° 23, janvier 1991, p. 18.
4. Voir supra, IIe partie.
qu'il n'y a pas de dégénérescence naturelle, mais une subversion prémé-
ditée qui nous meurtrit : dès lors, il sera sauf1. » Révéler des secrets d'une
« secte » redoutable, c'est commencer déjà à entreprendre l'anéantisse-
ment de celle-ci par un acte de magie défensive. La priver de ses méca-
nismes de défense. Et, en même temps, se donner les moyens de lancer une
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contre-offensive, en suivant les règles d'action secrètes de l'ennemi lui-
même. Dans la préface de la première des rééditions de la version Nilus des
Protocoles, en 1918, par l'avocat Ismaïlov et le lieutenant-colonel
Rodionov, le « document » est célébré comme une arme : « Pour nous qui
sommes les témoins de cette catastrophe [la révolution bolchevique], pour
nous qui espérons la résurrection de la Russie, ce document est d'autant
plus significatif qu'il révèle les moyens employés par les ennemis de la
chrétienté pour nous réduire en esclavage. Une fois que nous aurons appris
à bien connaître ces moyens, nous pourrons combattre avec succès les
ennemis du Christ et de la civilisation chrétienne 2. »

Troisième fonction : la légitimation,


en tant que rationalisation ethnocentrique
La publication des Protocoles (ainsi que de textes précurseurs ou
dérivés) a d'abord fonctionné comme moyen de justifier les pogroms ; on
incite aux pogroms au nom de la légitime défense contre les comploteurs
cyniques et cruels, on engage à l'action contre eux, puis on la justifie après
coup par les mêmes raisons. C'est dans cette perspective que les Protocoles
et le Discours du Rabbin ont été publiés par le « pogromiste » Krouchevan,
respectivement en août-septembre 1903 et en janvier 1904, quelques mois
donc après le pogrom de Kichinev (avril 1903). Comment pourrait-on
prendre la défense de « l'ennemi du genre humain » ? Autre exemple :
l'usage légitimatoire des Protocoles après la création de l'État d'Israël et
durant toute l'histoire des guerres israélo-arabes - mais surtout après la
guerre des Six-Jours. Par le mythe conspirationniste antijuif adapté à la
conjoncture (la dénonciation du « complot sioniste mondial »), les défaites
militaires des pays arabes s'expliquent de façon satisfaisante pour l'ethno-
centrisme des vaincus. Car il s'agit, pour des musulmans convaincus d'être
les meilleurs des humains, d'échapper au sentiment d'humiliation qu'ils

1. Henry Ford (en collaboration avec Samuel Crowther), My Life and Work, New York,
Doubleday, Page and Company, 1922 ; cité par René-Louis Berclaz, introduction à Henry
Ford, Le Juif international, trad. fr. collective (association Vérité et Justice), Châtel-Saint-
Denis (Suisse), septembre 2001, p. 4.
2. Les Protocoles sionistes. Le plan de conquête mondiale des judéomaçons, Novotcher-
kassk, imprimerie de l'armée des Cosaques du Don, 1918 (en russe ; cité par Norman Cohn,
1967, p. 123).
éprouvent infailliblement devant le spectacle d'anciens « dhimmis » -
peuples non musulmans conquis traités comme des inférieurs protégés 1 -,
les Juifs, en révolte contre leurs maîtres légitimes, vivant sur une terre
supposée arabe et islamique (la « Palestine »), et surtout victorieux au
terme de tous les affrontements israélo-arabes qui ont eu lieu. Si les fiers et
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valeureux Arabes ont été vaincus par les Juifs « lâches » et « fourbes »,
c'est en raison de la surpuissance mondiale cachée des « sionistes ». Dans
cette perspective, les pays arabes n'ont pas été vaincus par une armée juive
visible, celle d'un petit État-nation « artificiel », mais par l'effet d'un
complot international des forces occultes organisées par les « sionistes ».
Il s'agit là d'une rationalisation par recours à l'irrationnel. Derrière le
« sionisme », on voit à l’œuvre « l'impérialisme » (américain ou occi-
dental) ou l'internationalisme communiste. Par cette rationalisation après
coup, les vaincus se transforment en victimes, et en victimes héroïques.
L'honneur est sauf. Les vainqueurs, intrinsèquement injustes, sont des
méchants, les vaincus sont des bons et des justes humiliés, agressés,
spoliés, persécutés. Bref, les meilleurs, bien que vaincus, demeurent les
meilleurs. Le narcissisme de masse n'est pas trop entamé. Le mythe
contemporain du « bon Palestinien » a été fabriqué à partir de ces maté-
riaux idéologiques et rhétoriques, avec une forte insufflation d'innocence
christique. Le discours de propagande antisioniste de type démonologique
peut ainsi assimiler des représentations victimaires qui déclenchent la
compassion (le pauvre, l'opprimé, le colonisé, etc.), et favorisent la démo-
nisation des agresseurs ou des bourreaux désignés (les « sionistes
impérialistes »).

Quatrième fonction : une fonction politique, voire mytho-politique,


de désignation de l'ennemi et de mobilisation contre lui
Les Protocoles constituent une machine à fabriquer l'ennemi absolu, à
construire l'étranger absolument haïssable contre lequel tout est permis. Ils
représentent non seulement un appel à la ségrégation, à l'isolement des
ennemis diaboliques, mais encore et surtout un appel au meurtre, à l'éradi-
cation, à l'élimination définitive de ce qui est censé être le principe des
malheurs des hommes. Les Protocoles accomplissent en ce sens, de façon
optimale, un acte ordinaire de tout discours de propagande xénophobe, la
réduction des ennemis au même, à l'identique. L'ennemi synthétique
unique et démonisé est ainsi doté d'une multitude de visages qui s'entre-

1. Voir Bat Yeor, Juifs et chrétiens sous l'islam. Les dhimmis face au défi intégriste,
op. cit. ; « L'antisionisme euro-arabe », in collectif, [Nouveaux] visages de l'antisémitisme.
Haine-passion ou haine historique ?, Paris, NM7 Éditions, 2001, p. 23-70.
symbolisent : le libéralisme ou le capitalisme, le communisme, le monde
moderne et sa politique démocratique, etc. ; nos malheurs sont censés être
le produit d'un complot juif, franc-maçon, révolutionnaire, socialiste, anar-
chiste, communiste, ploutocratique, capitaliste, républicain, sioniste, impé-
rialiste, cosmopolite, américain, etc. La lecture orientée et canalisée des
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Protocoles, censés révéler les scandaleux secrets d'une « secte » redou-
table, fournit de nobles motivations et de respectables raisons d'agir, ainsi
que des objectifs louables : ne s'agit-il pas d'éradiquer le Mal et de garantir
une paix définitive ?

Cinquième fonction : la fonction affectivo-imaginaire de réenchantement


négatif du monde
Si le texte des Protocoles fonctionne aussi bien, s'il peut être aussi faci-
lement recyclé, et indéfiniment recontextualisé, c'est en raison de sa rela-
tive indétermination historique. Cette indétermination constitue un
avantage symbolique : le texte est suffisamment décontextualisé pour être
optimalement contextualisable. Les Protocoles s'adaptent en principe à
tous les contextes de crise où le sens des événements est flottant, indéter-
minable. Ils leur donnent une base de réduction ; le sens de ce qui arrive ne
s'éclaire qu'en référence au complot juif international en vue de dominer
le monde. Le sens attribué déchaîne les inquiétudes, la clarification fictive
nourrit l'angoisse. Et l'angoisse nourrit une vigilance de tous les instants,
une vigilance magique. Cette fonction permet d'expliquer la puissance de
séduction récurrente du faux, une fois qu'il a été démonté et démontré
comme faux. C'est une fonction affectivo-imaginaire de réenchantement
négatif du monde, relevant du fantastique qui agresse, viole ou transgresse
les lois de la nature. Voilà qui fait frémir, en donnant accès à un infra-
monde terrifiant que voile le monde ordinaire, soumis à la rationalité
instrumentale. Crainte et frémissement d'horreur, provoquant une jouis-
sance spécifique. Les Protocoles annoncent que les démons sont partout et
révèlent que le diable, sous ses multiples visages, mène le monde. Manière
de reconduire un stéréotype antijuif largement diffusé par la littérature
raciste de type nazi : le Juif comme « contre-race » ou « antirace » (Gegen-
Rasse), être indistinct situé hors de la nature, étranger aux espèces et aux
variétés naturelles, autant qu'il est étranger au genre humain, mais surtout
ennemi absolu. Dans l'antisémitisme hitlérien, « le Juif » n'est pas un
simple représentant de Satan, il est Satan en personne 1. L'imaginaire anti-
juif est structuré par une analogie fondamentale : « le Juif » comme anti-
race est à la « race aryenne » ce que Satan est à Dieu. Mais cette racialisa-

1. Voir Uriel Tal, « Forms of Pseudo-Religion... », art. cit., 1974, p. 72.


tion de l'imaginaire démonologique ne fait guère qu'ajouter une réinterpré-
tation au dualisme manichéen. La littérature conspirationniste tend à
s'inclure dans la littérature sataniste 1. À la séduction de l'invisible et du
secret, du secret révélé bien sûr, s'ajoute ainsi la fascination inquiétante du
mal, avec un gain symbolique supplémentaire : l'autopurification des
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lecteurs convaincus par le document, opérant par ce seul geste leur auto-
classement parmi les purs face aux forces ténébreuses. Quoi qu'il en soit,
le mythe du complot juif mondial fournit des motifs de rêver, mais le
monde des rêves qu'il fait surgir n'est peuplé que de cauchemars.
L'homme qui croit au complot est en état de cauchemar éveillé. Mais il se
satisfait de croire qu'il détient les clés de l'évolution du monde, passée,
présente et à venir.

Pensée magique et manichéisme politique


La surprenante carrière internationale de ce « best-seller » devenu
« long-seller » que sont les Protocoles des Sages de Sion tient à ce que ce
document apocryphe mêle l'irrationnel au plus haut degré (d'inspiration
démonologique) et la rationalité instrumentale, mise en scène dans la
psychologie prêtée aux « Sages de Sion » autant que mise en œuvre dans
les usages tactico-stratégiques du faux. La pensée magique s'y noue avec
la pensée rationnelle, pour répondre à des attentes et à des exigences extrê-
mement différentes. Le secret et la conspiration règnent dans le monde
dont les Protocoles donnent une image terrifiante. Par-delà son message
antijuif, ce document apocryphe suggère une vision du genre humain
susceptible de satisfaire, en raison même de son pessimisme radical, un
grand nombre d'esprits : le monde est gouverné par la haine et le genre
humain hanté par les intentions mauvaises. Inquiétante et fascinante affir-
mation de style gnostique : les haines abstraites et les projets criminels
constituent le véritable moteur de l'Histoire. L'horizon des adeptes du
complot satanique est constellé de bouleversements, de catastrophes, de
séismes. Le champ d'attente des visionnaires conspirationnistes est peuplé
de représentations eschatologiques. Mais le sentiment apocalyptique ne
fait pas qu'engendrer la terreur, il transporte tout autant. Il transporte au-
delà de la vie ordinaire, par la même raison qu'il terrifie. Les prophéties de
malheur posséderaient-elles une puissance de séduction plus grande que

I. On peut en trouver une illustration saisissante dans une récente édition commentée
(symboliquement « décodée » !) des Protocoles, publiée aux États-Unis : Doc Marquis, The
(Decoded) Illuminati's Protocols of the Learned Elders of Zion, The American Focus
Publishing Company, South Plainfield, N. J., en cooperation avec The National Clearing-
house on Stanic Crime in America, South Orange, N. J., s. d. (1995, 2000).
les promesses de bonheur ? La rediabolisation des bas-fonds du monde et
des envers de l'Histoire semble exercer une irrépressible attraction. S'agit-
il d'une régression regrettable mais surmontable, ou bien du dévoilement
d'une invariance gênante dans les structures de l'imaginaire humain ?
Faut-il voir dans la croyance aux démons une constante dans le croire
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humain ? Ou croire qu'un surplus de lumières permettra d'effacer à jamais
Satan et ses fils de leur ultime refuge, l'histoire et la politique mondiales ?
Quoi qu'il en soit, il n'est pas du tout sûr que l'on puisse jamais se débar-
rasser du diable, comme le suggérait Leszek Kolakowski. ajoutant non sans
mélancolie : « Des régressions culturelles décisives ne sont nullement
impossibles, car il n'existe aucune loi naturelle qui garantisse le progrès
ininterrompu de l'humanité 1. »
Le récent retour du mythe des « Sages de Sion » sur la scène de
l'histoire mondiale est l'un des signes indiquant que nous sommes les
témoins largement impuissants d'une formidable « régression culturelle »,
où la pensée manichéenne et les délires apocalyptiques règnent en maîtres.
Peut-être faut-il cesser de penser la sécularisation comme un processus
linéaire, continu, irréversible. La vie humaine sous le règne exclusif de la
raison reste un idéal inaccessible, qu'on le conçoive comme une idée régu-
latrice ou comme une utopie relevant du « Principe Espérance ». L'exten-
sion planétaire de la sécularisation, impliquant une rationalisation
croissante de certains aspects de la vie sociale, n'exclut nullement des
phénomènes de « désécularisation ». Pour le dire à la manière d'un penseur
rationaliste comme Spinoza, « la crainte fait délirer les hommes ». La peur
et les formes immodérées du désir, attisées par l'incertitude et la violence,
nourrissent la superstition. Quant aux passions fondamentales, la nature
humaine n'a donc point changé : « La cause d'où naît la superstition, qui la
conserve et l'alimente, c'est [...] la crainte2. » Toujours dans l'admirable
préface de son Tractatus theologico-politicus, Spinoza écrit, au tout début :

Si les hommes pouvaient diriger toutes leurs affaires suivant un dessein arrêté,
ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient soumis à aucune
superstition. Mais comme ils sont souvent traqués à un point tel qu'ils ne
peuvent rien décider ; comme la plupart du temps leur désir sans mesure des
faveurs incertaines du hasard les condamne à flotter presque sans répit entre
l'espérance et la crainte, leur âme est prête à croire n'importe quoi3.

1. Leszek Kolakowski, L'Esprit révolutionnaire, éd. originale 1972, trad. fr. Jacques
Dewitte, Bruxelles, Complexe, 1978, p. 22.
2. Spinoza, Traité théologico-politique, éd. originale 1670, préface, trad. fr. Charles
Appuhn (légèrement modifiée), Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 20.
3. Ibid., p. 19.
Ce qui met de l'ordre dans le chaos mondial, en dehors de la sphère des
technologies incarnant la rationalité instrumentale, c'est le dualisme mani-
chéen. Opposition absolue de deux absolus, dans l'ordre moral (Bien et
Mal, Juste et Injuste, etc.). Ce dualisme moral chasse toutes les distinctions
relevant d'autres ordres de la pensée, et engendre la croyance à l'unicité de
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la Cause pure, qui justifie tout parce qu'elle est absolument juste. Si l'on
croit qu'il existe réellement des êtres inhumains et démoniaques, suprême-
ment menaçants, alors l'évidence s'impose que tout est permis pour les faire
disparaître. Se défendre contre la menace, c'est purifier le monde. Croisade,
guerre sainte, violence révolutionnaire, djihad... L'éradication du mal est à
ce prix. Ceux qui croient à cette clé de l'Histoire qu'est la vision du complot
mondial inventent malgré eux un ordre planétaire fondé sur l'opposition
entre les conspirateurs et leurs victimes potentielles, étant entendu que ceux
qui conspirent le font en vue de dominer le monde. D'où l'opposition elle-
même manichéenne entre dominateurs et dominés (actuels ou virtuels).
Ordre convulsif, parce qu'intrinsèquement conflictuel. Imprévisible donc.
Échappant à la volonté de maîtrise rationnelle. Soumis au couple de la haine
et de la crainte, dont dérivent suspicion et ressentiment. Car si la menace est
diffuse, inlocalisable, chaque individu devient un suspect. L'ennemi est
censé être représenté par tout membre du grand complot pour la domination
du monde. Mais c'est un propre du complot que de rester secret. Dès lors,
les ennemis sont invisibles, ils ne peuvent être que supposés, et la distinction
entre amis et ennemis perd sa clarté fonctionnelle. On ne sait plus qui
combattre, ni si ceux qu'on combat sont des ennemis réels. C'est pourquoi
les hommes continuent de combattre pour leur servitude1, en s'imaginant
assurer ainsi leur salut, ou plus simplement leur sécurité.
Ceux qui croient aux « vérités » que les Protocoles prétendent dévoiler ne
croient pas à la démocratie, ils ne peuvent croire ni à la réalité ni même à la
possibilité de la démocratie libérale/pluraliste. Le régime démocratique
moderne est, sous leur regard suspicieux, réduit à un vaste décor, à un
système d'apparences trompeuses, dans lequel la manipulation est omni-
présente et toute-puissante. Depuis sa première diffusion, ce faux a fonc-
tionné comme une redoutable machine antidémocratique. C'est pourquoi les
Protocoles sont devenus, au XXe siècle, le bréviaire de tant d'autocrates et de
tyrans, et le drapeau d'une si grande variété de mouvements totalitaires - des
Centuries noires aux nazis. Cette histoire se poursuit au XXIe siècle. Mais
c'est surtout dans le monde musulman que le mythe diabolisateur exerce
désormais sa puissance de mobilisation. Le monde chrétien, après avoir
fabriqué et exploité la judéophobie conspirationniste, a su trouver les moyens

1. Ibid., p. 21.
de s'immuniser contre cette passion toujours menaçante. L'existence de
contrepoisons disponibles n'abolit certes pas la réalité du poison. Mais elle
en limite considérablement les effets. Il n'en va pas de même dans le vaste
monde musulman, où les représentations antijuives se sont diffusées à
grande vitesse à partir du Proche-Orient, berceau de l’« antisionisme » cons-
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pirationniste et démonologique. Cette extension du champ des haines et des
mythes d'accusation est l'un des effets pervers de la globalisation communi-
cationnelle. Le plus petit dénominateur commun des pays musulmans, si
divers et hétérogènes par ailleurs, c'est la haine et le ressentiment visant les
Juifs, désormais couplés avec les Américains dans la démonisation. Depuis
la fin du XXe siècle, dans l'histoire des avatars planétaires du mythe de la
« conspiration juive », le monde islamique a pris le relais. Comme l'anti-
judaïsme et l'antisémitisme dans le monde chrétien, la judéophobie islamisée
est surtout portée par des minorités actives. Mais des leaders politiques de
premier plan n'hésitent pas à y recourir, à l'instar du célèbre Premier ministre
malaisien, Mahathir Mohamad, qui a ouvert le sommet de l'Organisation de
la conférence islamique, le 16 octobre 2003, par un long discours où, parlant
au nom de « l'islam », il a accusé « les Juifs » de « diriger le monde par
procuration ». Un mois plus tard, le 18 novembre 2003, paraissait un édito-
rial signé Tahar Selmi dans Tunis Hebdo, sous le titre « Racisme » : « Les
“Protocols” des Sages de Sion, publiés par Serguei A. Nylus [sic] au début
du siècle dernier (1905), conservent leur “fraîcheur” et leur actualité intactes.
Aucune ride. Aucune corrosion. Aucune trace d'oxyde 1. » Dans l'éditorial
engagé de cet hebdomadaire tunisien en langue française (portant en
épigraphe : « Je cherche la vérité » !), le « racisme » dénoncé se limite à celui
des « sionistes », dont le programme « raciste » serait, depuis le premier
Congrès sioniste (Bâle, 1897), de chasser ou d'exterminer par tous les
moyens les non-Juifs, en particulier les Arabes palestiniens. Qu’ils soient ou
non cités expressément, les Protocoles continuent d'orienter l'interprétation
de la marche du monde. Non sans paradoxe : les plus judéophobes des cons-
pirationnistes pensent dans l'espace d'une conception judéocentrique du
monde. Involontaire hommage de la haine à son objet privilégié.
Dans le monde musulman en crise 2, les plus redoutables porteurs du
flambeau sont les islamistes radicaux, appelant explicitement au djihad
contre « les Juifs et les Croisés », accusés de « comploter contre l'islam »,
d'être « en guerre contre l'islam » et de vouloir « détruire l'islam ».

1. Tunis Hebdo, « Premier hebdomadaire tunisien », 18 novembre 2003 (http://


www.tunishebdo.com.tu).
2. Voir Bernard Lewis, L'Islam en crise, trad. fr. Jacqueline Carnaud, Paris, Gallimard,
2003, en particulier p. 121-135, 151-176.
La conviction idéologique fondamentale, irrationnelle certes mais toute-
puissante, est ici que l'islam est menacé d'anéantissement, et que les
musulmans sont menacés de mort par leurs ennemis impitoyables. Le
fantasme de l'ennemi intrinsèquement diabolique, comploteur et destruc-
teur, est au centre de la vision wahhabite-salafiste du monde, expression
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d'un dualisme manichéen dont la charge affectivo-imaginaire est
aujourd'hui sans équivalent. Voilà qui permet de comprendre, en le prenant
au sérieux, ce singulier mélange de haine et de peur qu'on trouve réguliè-
rement dans les déclarations des dirigeants d'un réseau islamo-terroriste tel
que Al-Qaida. Une peur travaillée par la hantise d'une « dévoration » par
l'ennemi, supposé adepte du « meurtre rituel ». La conclusion pratique en
découle logiquement : si l'on est convaincu d'avoir de terribles ennemis,
on n'a de chances de les vaincre qu'en devenant plus terrible encore. Avec
l'aide de Dieu, bien entendu. Ce discours démonologique, de style apoca-
lyptique, présente de nombreuses analogies avec celui des Centuries noires
ainsi qu'avec celui des théoriciens nationaux-socialistes du « péril juif ».
Dans une longue interview d'Oussama Ben Laden réalisée en
septembre 1998 par le journaliste palestinien Jamal Ismaïl pour la chaîne
de télévision Al-Jazira, le leader de l'islamo-terrorisme mondial déclare
notamment, dévoilant sa vision fantasmatique d'un islam victime d'agres-
sions et de complots dus aux « judéo-croisés » diaboliques :

Je dis qu'il existe deux parties dans cette lutte : la croisade mondiale alliée
au judaïsme sioniste conduite par l'Amérique, la Grande-Bretagne et
Israël, et l'autre partie : le monde musulman. [...] Nous sommes
convaincus que la Communauté [umma] est capable aujourd'hui [...] de
mener le combat contre les ennemis de l'islam et plus particulièrement
contre le plus grand ennemi : l'alliance judéo-croisée. [...] Malheureuse-
ment, les Démons parmi les Humains et les Djinns, et particulièrement les
Croisés, ont réussi à entraîner les États [...] dans des problèmes régio-
naux. [...] J'affirme que le monde [occidental] a décidé unanimement de
dévorer ce monde musulman. Le monde croisé a décidé unanimement de
nous dévorer. Les nations [du monde] se sont liguées contre nous. [...] Et
aujourd'hui, les gouvernants arabes s'allient ouvertement aux Juifs et aux
chrétiens. Et les gens continuent de faire l'éloge des ennemis de l'islam et
des musulmans [...]. Seigneur ! Donne-nous la victoire sur les Américains,
sur Israël et sur ceux qui s'y sont alliés 1 !

1. Oussama Ben Laden, interview par Jamal Ismaïl (septembre 1998, diffusée après le 11
septembre 2001), in Le Spectre du terrorisme. Déclarations, interviews, témoignages sur
Oussama Ben Laden, Paris, Les Éditions Sfar, 2001 (décembre), p. 109, 117, 125, 130-131,
132.
Plongeons une dernière fois dans le chaudron de sorcière qu'est
l'univers imaginaire des Protocoles. Ce qui peut encore être prédit, dans le
cadre de ces croyances travaillées par la peur et la haine, c'est une lutte
finale entre les conspirateurs et les autres, entre les dominateurs et le reste
du genre humain. Ce combat paraît engager la fin de l'homme et celle de
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l'Histoire, par où il prend une dimension eschatologique. La lutte finale
contre les démons à face humaine devient l'unique lutte fatale. Cette
attente eschatique 1 favorise la diffusion de représentations apocalyptiques.
Tel est le nouvel ordre du monde, saisi dans sa dimension affectivo-imagi-
naire. Le manichéisme y règne. Cet ordre immaîtrisable n'est guère qu'un
désordre enténébré. Du labyrinthe d'un tel désordre obscur, pouvons-nous
espérer sortir un jour ? L'espérance ne doit pas nous éloigner de l'action
immédiate, celle de la tâche modeste à laquelle nous, intellectuels, pour-
rions consacrer nos efforts en tentant de démystifier les manichéens 2.

Bibliographie sélective sur les Protocoles des Sages de Sion


Parmi les études de référence sur les Protocoles des Sages de Sion et le
mythe du complot juif mondial, ses origines et ses développements, voir
notamment, par ordre chronologique de parution :

Ouvrages
Philip P. Graves, The Truth About the Protocols : À Literary Forgery,
Londres, Printing House, 1921 ; Lucien Wolf, The Myth of the Jewish
Menace in World Affairs : The Truth About the Forged Protocols of the
Elders of Zion, New York, Macmillan, 1921 ; Herman Bernstein, The
History of a Lie : « The Protocols of the Wise Men of Zion ». À Study, New
York, J. S. Ogilvie Publishing Co., 1921 ; Ju. Delevsky (Jakov
Judelevsky), Protokoly Sionskikh Moudretzov. Istorija Odnogo Podloga
(Les Protocoles des Sages de Sion. Histoire d'un faux), Berlin,
I. Ladyschnikow, 1923 (en russe) ; Binjamin W. Segel, À Lie and a Libel :

1. Je réserve l'emploi du mot « eschatologique » pour désigner le champ des discours sur
les fins dernières, et j'use du néologisme « eschatique » pour qualifier toute attitude orientée
vers une certaine idée de la fin (eschatos : fin, sommet, abîme).
2. Voir mon livre Les Fins de l'antiracisme, op. cit., p. 427-516. Voir aussi Tzvetan
Todorov, « Un nouveau moralisme », Le Débat, n° 107, novembre-décembre 1999, p. 154 ;
id., Mémoire du mal, tentation du bien. Enquête sur le siècle, Paris, Robert Laffont, 2000,
p. 214 : « Combattre [...] non le diable mais ce qui le rend possible : la pensée manichéenne
elle-même. »
The History of the Protocols of the Elders of Zion, éd. originale Berlin,
1926, trad. angl. Richard S. Levy (introduction et notes), Lincoln et
Londres, University of Nebraska Press, 1995 (introduction de Richard
S. Levy, p. 1 -47) ; Herman Bernstein, The Truth About « The Protocols of
Zion » : À Complete Exposure, New York, Covici Friede, 1935 (rééd. New
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York, Ktav Publishing House, 1971 ; introduction de Norman Cohn) ;
Emil Raas, Georges Brunschwig, Vernichtung einer Fälschung. Der
Prozeß um die erfundenen « Weisen von Zion », Zurich, Verlag « Die
Gestaltung », 1938 ; Ruben Blank, Adolf Hitler, ses aspirations, sa poli-
tique, sa propagande et les « Protocoles des Sages de Sion », préface de
Paul Milioukov, Paris, L. Beresniak, 1938 ; Henri Rollin, L'Apocalypse de
notre temps. Les dessous de la propagande allemande d'après des docu-
ments inédits, Paris, Gallimard, 1939 (rééd. Paris, Allia, 1991) ; John
S. Curtiss, An Appraisal of the Protocols of Zion, New York, Columbia
University Press, 1942 ; Walter Laqueur, Russia and Germany : À Century
of Conflict, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1965a (chapitres 5 et 6) ;
id., Deutschland und Russland, trad. all. K. H. Abshagen (en coll. avec
l'auteur), Berlin, Propyläen Verlag, 1965b ; Norman Cohn, Histoire d'un
mythe. La « Conspiration » juive et les Protocoles des Sages de Sion, éd.
originale 1966, trad. fr. Léon Poliakov, Paris, Gallimard, 1967 (rééd. Paris,
Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1992) ; Jacob Katz, Jews and Freema-
sons in Europe, 1723-1939, Cambridge, Mass., Harvard University Press,
1970 (trad. fr. Sylvie Courtine-Denamy : Juifs et françs-maçons en
Europe, 1723-1939, Paris, le Cerf, 1995) ; Yehoshafat Harkabi, Arab Atti-
tudes to Israel, trad. angl. Misha Louvish, Jérusalem, Israel University
Press, 1972 ; Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme, tome IV :
L'Europe suicidaire, 1870-1933, Paris, Calmann-Lévy, 1977 ; Gisela
C. Lebzelter, Political Anti-Semitism in England, 1918-1939, Londres,
The Macmillan Press/St Antony’s College, Oxford, 1978 ; Colin Holmes,
Anti-Semitism in British Society, 1876-1939, Londres, Edward Arnold,
1979 (chap. 9-14) ; Jacob Katz, From Prejudice to Destruction : Anti-
Semitism, 1700-1933, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1980
(chap. 11,25) ; Robert Singerman, Antisemitic Propaganda : An Annotated
Bibliography and Research Guide, New York, Garland, 1982 ; José
Antonio Ferrer-Benimeli, El contubernio judeo-masónico-comunista,
Madrid, Ediciones Istmo, 1982 (p. 135-210) ; Dennis Prager and Joseph
Telushkin, Why the Jews ? The Reason for Antisemitism, nouvelle édition
complètement revue et mise à jour, New York, Touchstone, 2003 (1re éd.
1983) ; Léon Poliakov, La Causalité diabolique, t. II : Du joug mongol à
la victoire de Lénine, 1250-1920, Paris, Calmann-Lévy, 1985 ; Bernard
Lewis, Sémites et Antisémites, trad. fr. J. Carnaud et J. Lahana, Paris,
Fayard, 1987 (éd. originale 1986) ; Jean-François Moisan, Contribution à
l'étude de matériaux littéraires pro- et antisémites en Grande-Bretagne
(1870-1983) -Le mythe du complot juif-Les Protocoles des Sages de Sion
- Le cas Disraeli, thèse de doctorat (non publiée), Faculté de Lettres et
Sciences humaines, Université de Paris-Nord, 1987 ; Rivka Yadlin, An
Arrogant Oppressive Spirit : Anti-Zionism as Anti-Judaism in Egypt,
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Oxford et New York, Pergamon Press, 1989 ; Pierre-André Taguieff, Les
Protocoles des Sages de Sion. Faux et usages d'un faux, tome I : Introduc-
tion à l'étude des Protocoles. Un faux et ses usages dans le siècle, Paris,
Berg International, 1992 ; Pierre-André Taguieff (dir.), Les Protocoles des
Sages de Sion. Faux et usages d'un faux, tome II : Études et documents,
Paris, Berg International, 1992 ; Tazbir (Janusz), Protocoly Medrcow
Synoju. Autentyk czy falsyfikat (Les Protocoles des Sages de Sion. Authen-
tique ou faux), Varsovie, Interlibro, 1992 (en polonais) ; Urs Lüthi, Der
Mythos von der Weltverschwörung. Die Hetze der Schweizer Frontisten
gegen Juden und Freimaurer — am Beispiel des Berner Prozesses um die
« Protokolle der Weisen von Zion », Bâle/Francfort, Helbing & Lichten-
bahn Verlag, 1992 ; Sergio Romano, 1 falsi Protocolli. Il « complotto
ebraico » dalla Russia di Nicola II a oggi, Milan, Corbaccio, 1992 ; Saveli
Yu. Dudakov, Istorija odnogo mifa (Histoire d'un mythe), Moscou,
Nauka, 1993 (en russe) ; Walter Laqueur, Black Hundred : The Rise of the
Extreme Right in Russia, New York, HarperCollins Publishers, 1993
(chap. 2, 3, 4, 13) (trad. fr. Dominique Péju avec la collaboration de Serge
Zolotoukhine : Histoire des droites en Russie. Des Centuries noires aux
nouveaux extrémistes, Paris, Michalon, 1996) ; William Korey, Russian
Antisemitism, Pamyat, and the Demonology of Zionism, The Hebrew
University of Jerusalem, SICSA, et Harwood Academic Publishers, 1995 ;
Pierre Pierrard, Juifs et catholiques français. D'Édouard Drumont à Jacob
Kaplan (1886-1994), Paris, le Cerf, 1997 ; Daniel Pipes, The Hidden
Hand : Middle East Fears of Conspiracy, Londres, Macmillan, 1997 ;
Hadassa Ben-Itto, « Die Protokolle der Weisen von Zion ». Anatomie einer
Fälschung, traduit de l'anglais par Helmut Ettinger et Juliane Lochner,
Berlin, Aufbau Verlag, 1998a (rééd., Berlin, Aufbau Taschenbuch Verlag,
2001 ; édition en hébreu : Le Mensonge qui ne veut pas mourir. Les cent
ans des Protocoles des Sages de Sion, Tel-Aviv, Dvir Publishing, 1998b) ;
Cesare G. De Michelis, Il manoscritto inesistente. I « Protocolli dei savi di
Sion » : un apocrifo del XX secolo, Venise, Marsilio Editori, 1998 ; id., La
giudeofobia in Russia. Dal Libro del « kahal » ai Protocolli dei savi di
Sion. Con un'antologia di testi, Tutin, Bollati Boringhieri, 2001 ; Pierre-
André Taguieff (dir.), L'Antisémitisme de plume, 1940-1944. Études et
documents, Paris, Berg International, 1999 ; Stephen Eric Bronner, À
Rumor About the Jews : Refections on Antisemitism and the Protocols of
the Learned Elders of Zion, New York, St. Martin’s Press, 2000 ; Joseph
W. Bendersky, The « Jewish Threat » : Anti-Semitic Politics of the US
Army, New York, Basic Books, 2000 ; Vadim Skouratovski, La Question
de l'identité de l'auteur des Protocoles des Sages de Sion, Kiev, Dourkh
Litera, 2001 (en ukrainien) ; Neil Baldwin, Henry Ford and the Jews : The
Mass Production of Hate, New York, PublicAffairs, 2001 ; Pierre-André
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Taguieff, La Nouvelle Judéophobie, Paris, Mille et une nuits, 2002 ; Robert
S. Wistrich, Muslim Anti-Semitism : À Clear and Present Danger, New
York, The American Jewish Committee, 2002 1 ; Vadim Rossman,
Russian Intellectual Antisemitism in the Post-Communism Era, Lincoln et
Londres, The University of Nebraska Press et Jérusalem, The Vidal
Sassoon International Center for the Study of Antisemitism, 2002 ; Marvin
Perry and Frederick M. Schweitzer, Antisemitism : Myth and Hate from
Antiquity to the Present, New York et Basingstoke, Palgrave Macmillan,
2002 ; David I. Kertzer, Le Vatican contre les Juifs. Le rôle de la papauté
dans l'émergence de l'antisémitisme, éd. originale 2001, trad. fr. Bella
Arman, Paris, Robert Laffont, 2003 ; Paul Iganski and Barry Kosmin (éds),
À New Antisemitism ? Debating Judeophobia in 21 st-Century Britain,
Londres, Profile Books, en association avec l’Institute for Jewish Policy
Research, 2003 ; Abraham H. Foxman, Never Again ? The Threat of the
New Anti-Semitism, New York, HarperCollins, 2003.

Articles ou contributions à des ouvrages collectifs


Pierre Charles, « Les Protocoles des Sages de Sion », Nouvelle Revue
théologique, t. 65, n° 1, janvier 1938, p. 56-78 (repris dans Pierre-André
Taguieff, 1992, t. II, p. 9-37) ; John S. Curtiss, « “Protocols of Elders of
Zion” », in Isaac Landman (éd.), The Universal Jewish Encyclopedia (en
dix volumes), New York, vol. 4, 1948, p. 46-52 ; Colin Holmes, « New
Light on The Protocols of Zion », Patterns of Prejudice, vol. 11, n° 6,
novembre-décembre 1977, p. 13-21 ; id., « The Protocols of the
“Britons” », Patterns of Prejudice, vol. 12, n° 6, novembre-décembre
1978, p. 13-18 ; Robert Singerman, « The American Career of the Proto-
cols of the Elders of Zion », American Jewish History, n°71,
septembre 1981, p. 48-78 ; Renée Neher-Bemheim, « Le best-seller actuel
de la littérature antisémite : les Protocoles des Sages de Sion », Pardès, 8/
1988, p. 154-177 (repris, revu et augmenté dans Pierre-André Taguieff,
1992, t. II, p. 367-416) ; Jean-François Moisan, « Les Protocoles des
Sages de Sion en Grande-Bretagne et aux USA », in Pierre-André

1. Traduction française dans le présent numéro : « L'antisémitisme musulman : un


danger très actuel ».
Taguieff, 1992, t. II, p. 163-216 ; Paul Zawadzki, « Usage des Protocoles
et logique de l'antisémitisme en Pologne », in Pierre-André Taguieff (dir.),
1992, t. II, p. 279-324 ; Rivka Yadlin, « Le Machrek. Théologie et idéo-
logie antisémites dans le monde arabe », in Léon Poliakov (dir.), Histoire
de l'antisémitisme 1945-1993, Paris, Le Seuil, 1993, p. 356-381 ; Pierre
© Centre de Documentation Juive Contemporaine | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

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Lavelle, « Les écrits antisémites japonais. Essai d'interprétation », in
Lignes, mai 1993, p. 158-202 ; Umberto Eco, « Protocoles fictifs », in
U. Eco, Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs, éd. originale
1994, trad. fr. Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1996, puis Paris, Le Livre
de Poche, coll. « Biblio essais », 1998, p. 127-151 ; Catherine Nicault,
« Le procès des Protocoles des Sages de Sion. Une tentative de riposte
juive à l'antisémitisme des années 1930 », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, n° 53, janvier-mars 1997, p. 68-84 ; Cesare G. De Michelis,
« Les Protocoles des Sages de Sion. Philologie et histoire », Cahiers du
monde russe, vol. 38, n° 3, juillet-septembre 1997, p. 263-305 ; Victor
Loupan, « L'affaire des “Protocoles des Sages de Sion” : le faussaire enfin
démasqué », Le Figaro Magazine, 7 août 1999, p. 20-24 ; Éric Conan,
« Les secrets d'une manipulation antisémite », L'Express, 18 novembre
1999, p. 101-110 ; Michael Hagemeister, « Wer war Sergej Nilus ?
Versuch einer bio-bibliographischen Skizze », Ostkirchliche Studien, 40
(1), 1991, p. 49-63 (trad. fr. Martine Pique-Bressoux : « Qui était Serge
Nilus ? », Politica Hermetica, n° 9, 1995, p. 141-158) ; id., « Sergej Nilus
und die “Protokolle der Weisen von Zion”. Überlegungen zur
Forschungslage », Jahrbuch für Antisemitismusforschung, Bd. 5,
(Francfort-sur-le-Main, Campus Verlag), 1996, p. 127-147 ; id.,
« Protocols of the Elders of Zion », in Walter Laqueur (éd.), The Holocaust
Encyclopedia, New Haven et Londres, Yale University Press, 2001,
p. 499-503 ; Meïr Weintrater, « La montée de l'antisémitisme dans le
monde arabe », L'Arche, n° 523, septembre 2001, p. 58-95.

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