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La décade de Cerisy :
« Spinoza aujourd’hui »
l’éternité, les discussions sur l’Ecriture sainte, la recherche des modèles scientifiques
du système et des contextes d’origine (néo-latin, juif, néerlandais), l’histoire de la
réception de l’Ethique ou du Traité théologico-politique ont marqué le développe-
ment récent des études spinozistes. Mais la figure de Spinoza est présente aussi
durablement dans les travaux de la biologie, de la psychologie, de la psychanalyse,
dans la réflexion politique ou dans des œuvres littéraires ou artistiques ». La question
était : ces deux approches sont-elles compatibles ? Et la réponse provisoire à laquelle
a introduit le colloque était « qu’en tout cas l’une et l’autre témoignent de la
puissance d’une pensée ». Le colloque a montré en effet de nombreux liens possibles,
les deux fils rouges ayant été, semble-t-il, l’actualisation du théologico-politique et le
lien entre spinozisme et sciences psycho-biologiques.
Ont été spécialement instructifs, en ce sens, le débat autour de « Gloire et
béatitude » avec la participation d’Henri Atlan, qui a aussi présenté une communi-
cation sur « Théorie de l’action et identité psychophysique », une discussion sur
auteurs du e siècle tels que Descartes, Hobbes, Pascal ou Leibniz, ou encore
Boyle, Harvey, Mersenne et Kepler sont également étudiés. La publication semes-
trielle d’articles traitant, dans leur contexte historique, de questions bien détermi-
nées constitue non seulement un moyen d’expression et d’échange pour les étudiants
mais aussi un indicateur de la vitalité des études spinozistes au Brésil. Les Cahiers
publient également des traductions en portugais de textes peu accessibles, comme
par exemple l’Essai de R. Boyle sur le nitre, ainsi que des bibliographies sélectives.
Un aperçu de la liste des publications donne une idée de la vigueur de ces Etudes :
I-1996 : le premier volume est consacré à la théorie spinozienne des passions.
II-1997 : le thème en est la critique spinozienne du pouvoir théologico-politique.
Fernando Cesar Teixeira, « A política ou da força criadora das idéias imaginantes » ;
Luciana Zaterka, « Conatus e vontade de potência » ; Telma de Sousa Birchal, « Razão
e religião em Espinosa e Pascal » ; Luis César Guimarães Oliva, « A interpretação das
Escrituras em Blaise Pascal ».
III-1998 : sont réunis des articles de recherche sur la méthode géométrique d’une
part, sur les conceptions de l’infini d’autre part. Fernando Dias Andrade, « Em que
sentido se pode afirmar que a geometria da Etica é a propriada, adequada e necessária
a seu conteúdo ? » ; Augusto Reynol Filho, « Espinosa e a ordem geometrica » ; Luis
Roberto Takayama, « Problemas concernentes à ordem geométrica da Etica » ; Mau-
ricio C.Keiert, « A ordem geometrica e a ordem do mundo » ; Luis Fernades Dos
Santos Nascimento, « Relação entre atributo e substância na carta 9 » (le passage sur
la définition de la substance que Spinoza propose à Simon de Vries est interprété à la
lumière de l’interprétation romantique de Friedrich Schegel et de Novalis).
V-1999 : il s’agit d’articles plutôt techniques relatifs à des paradigmes scientifi-
ques, auxquels s’ajoutent des informations bibliographiques ainsi qu’une synthèse
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aux propositions décisives de E I et E II. Elle montre par l’analyse textuelle, d’une
part, que la logique interne du discours spinozien résiste à la réfutation leibnizienne
et, d’autre part, que Leibniz a lu Spinoza en ayant déjà sa propre conception de la
substance héritée de la scolastique. Elle conclut que Leibniz s’est d’emblée situé
comme un adversaire radical du naturalisme spinozien et que son attitude parfois
ambiguë à l’égard de l’auteur de l’Ethique ne doit pas conduire à chercher des traces
de spinozisme dans la théorie de la monade. En effet, ce genre de confusion fut à
l’origine de la querelle qui marqua la philosophie allemande à la fin du e siècle.
Il est clair que d’autres articles mériteraient d’être cités, dans cette revue qui peut
être un instrument de travail utile.
Évelyne G
1. Instruments de travail
2. Textes et traductions
organiser une multitude informe, mais ce qui lui est immanent ; c’est sa puissance
même. La politique spinoziste doit alors être comprise dans la lignée de la politique
machiavélienne : celle de l’être, et non du devoir-être, celle de la réalité des rapports
inter-humains, et non de leur finalité interne ou externe. Selon L. Bove (chapitre II),
Spinoza retient de la pensée de Machiavel l’horizon de guerre totale dans lequel
s’inscrit nécessairement toute réflexion sur la conservation de soi du prince et de la
multitude. La prudence devient alors un concept central pour saisir les enjeux d’une
politique des rapports de force : une prudence qui n’est plus celle du conseil utile, ou
même de la conformation à une loi morale naturelle, mais qui est celle d’un impératif
ontologique d’auto-conservation. C’est dans cette perspective que L. Bove interprète
la virtù machiavélienne, comme puissance non seulement de réaction vis-à-vis de
toute contrainte extérieure, mais aussi d’affirmation de soi au sein du conflit : la virtù,
« c’est une véritable activité de résistance » (p. 40) ; « obéir adéquatement, stratégi-
quement à la nécessité-contrainte c’est donc, en dernière instance, obéir à soi-même,
à sa propre vertu ou virtù affirmée dans et par un contexte déterminé de rapports de
forces (la necessità machiavélienne) » (p. 40-41).
Or, c’est en ce point que se pose l’une des questions centrales de l’interprétation
que propose L. Bove : comment comprendre que la multitude, et même le prince,
puissent être déterminés à agir adéquatement, activement, à partir d’une contrainte
extérieure susceptible d’être contraire, voire destructrice ?
720 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [VI]
Ce problème trouve ses éléments de réponse dans les chapitres III et IV, consa-
crés à l’imaginaire affectif du corps des Hébreux, c’est-à-dire dans l’application au
paradigme de la théocratie hébraïque des déterminations du corps politique mises au
jour dans le chapitre I.
Le premier chapitre propose en effet une étude de la prudence du corps politique
comme « sujet-des-contraires » : L. Bove montre que la tendance à persévérer du
corps politique se fait à partir de dispositions acquises et agissantes, qui peuvent être
contraires les unes aux autres. Chaque disposition constitutive de la mémoire ou de
l’habitude du corps politique étant elle-même un conatus, l’unité de la société est une
unité dynamique toujours en train de se faire et de se défaire : elle est l’unité d’un
champ de bataille, où l’auto-organisation du corps s’accomplit à travers la dynamique
prudente de l’alliance et de la résistance. L. Bove montrera dans la conclusion, à
propos de la démocratie, la pleine positivité de cette idée d’un conflit interne du corps
politique : la démocratie est cette forme, fragile, de la multitude toujours sur « le fil
du rasoir », risquant certes à tout moment la rupture dans la sédition, mais parve-
nant, notamment à travers la liberté donnée au conflit des opinions, à se constituer
comme un processus libérateur de démocratisation indéfinie.
Les chapitres III et IV montrent alors comment, à partir d’un cas concret (celui
des Hébreux), la prudence auto-organisatrice du corps politique est à même de poser,
en des situations différentes, d’une part le « problème » de sa conservation, et d’autre
part le « cas de solution » qui lui permet de persévérer dans son état. Si les Hébreux
ont eu besoin de Moïse pour se conserver, c’est que lui seul sut imaginer ce que la
multitude était incapable de se représenter. Grâce à Moïse, l’auto-organisation du
corps politique devient possible : elle se fonde sur ses dispositions constituées et
constituantes, sur une habitude qui, bien loin d’être seulement aliénante, est surtout
productive d’autonomisation. L. Bove peut alors pleinement répondre à la question
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3. Recueils collectifs
tion par Spinoza de l’ordre géométrique impose un « régime de lecture » qui inter-
vient comme un remède à ce problème. Syliane Charles insiste ensuite sur « la joie
comme ressort du progrès éthique » chez Spinoza. L’auteur soutient la thèse selon
laquelle le deuxième et le troisième genre de connaissance ne sont qu’une même
connaissance, la seconde n’étant que la modification de la première. Cette hypothèse
présente des difficultés de l’aveu même de l’auteur, mais l’importance de la joie dans
la progression éthique en général invite à faire du troisième genre de connaissance
« l’expérience affective » du second. Rose Goetz fait, quant à elle, un sort à la « place
de l’éviction et de la fuite dans le perfectionnement éthique ». Si l’impératif d’écarter
la tristesse (tristitiam amovere) est constitutif du conatus et se manifeste dans la
destruction, l’évitement (amovere), l’abstention (abstinere) et l’expulsion (melan-
choliam expellere), il n’en demeure pas moins qu’il faut distinguer entre la fuite
aveugle et « la fuite opportune qui vaut une victoire ». L’article d’Andrea Zaninetti est
consacré à l’originalité de la conception spinoziste de l’imagination. Après avoir
montré que le mécanisme de projection imaginatif est « inconscient, différentiel et
clos », il établit que ce processus de projection est d’autant plus dangereux qu’il se
déploie dans les relations intersubjectives. Laurent Bove reprend certaines des
analyses qu’il a menées dans son livre La stratégie du conatus en montrant de quelle
façon l’étude de l’histoire de l’État hébreu dans le TTP, comme « auto-organisation
du corps collectif », a contribué à l’élaboration par Spinoza du concept de conatus.
722 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [VIII]
qui pourraient être interprétées comme allant vers un relativisme absolu, pour
montrer ensuite que chez Spinoza il existe en fait une normativité des valeurs
beaucoup plus rigoureuse que chez Montaigne ou Hobbes.
La deuxième partie concerne la politique. Dans « La notion de souveraineté
populaire chez Spinoza », Dimitris Kotroyannos (Univ. de Crète) analyse les notions
de souveraineté, pouvoir, droit, Etat dans les écrits politiques de Spinoza ; Aristote
Stilianou (Thessalonique) tente de combiner la conception spinoziste de la liberté
comme libre nécessité avec la définition de la démocratie comme « Etat absolument
absolu » (« Liberté et démocratie : l’absolu Spinoza ») ; dans « Statues, récompenses
et centurions : Spinoza et l’actualité », Akis Gavrilidis essaie de lire certains aspects
de l’actualité culturelle et politique à la lumière de certains passages des œuvres
politiques de Spinoza.
Enfin la troisième partie traite des débats de Spinoza avec d’autres penseurs.
Dans « Pantheismusstreit. La querelle du spinozisme dans l’Aufklärung alle-
mande », Dimitris Karydas présente la réception de Spinoza en Allemagne durant la
fameuse querelle du panthéisme, en insistant surtout sur la pensée de Jacobi ;
Giorgios Fourtounis (Thessalonique) dans « Immanence et structure », analyse les
rapports entre spinozisme et structuralisme, en se tenant surtout à l’œuvre de Louis
Althusser et en concluant sur l’idée d’un « spinozisme structuraliste » ; Panagiotis
Poulos (Univ. de Crète, Université ouverte de Patras) tente une comparaison entre le
[IX] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 723
de la norme qui peut cependant être conçue soit comme devoir à accomplir (trans-
cendance, absolu) soit comme pouvoir à réaliser en fonction de ce qui est bon pour un
rapport particulier (J. Lagrée).
Cet ouvrage stimulant soulève plus de questions qu’il n’en résout. Mais c’est la
nature même de cette forme de publication que de ne pas prétendre à l’exhaustivité
et de ne pas soutenir de thèse directrice. Le travail consiste plutôt à explorer sous
plusieurs angles le thème de la norme chez Spinoza en utilisant les sources les plus
variées du corpus. À cet égard, il serait facile de critiquer l’absence de certaines
perspectives. Mais il demeure impossible de les couvrir toutes. Nous soulignons
simplement la pertinence d’un tel ouvrage pour le contexte contemporain en rappe-
lant, par exemple, que le débat entre le projet de définition des normes universelles
d’action par Habermas et l’élaboration d’une éthopoétique de l’existence par le
dernier Foucault demeure ouvert. L’avantage de Spinoza semble ici résider dans sa
capacité à maintenir l’exigence de la norme et à favoriser la libre expression de la
potentia multitudinis en pensant « l’immanence de la norme », un principe para-
doxal, mais en apparence seulement, que l’ouvrage dirigé par Jacqueline Lagrée
contribue à démystifier.
Alain B
3. 4. North American Spinoza Society : NASS Monograph 10. ¢ Ce numéro
contient : Jeffrey Bernstein : « The Ethics of Spinoza’s Physics » (p. 3-19) ; Lee Rice :
« Comments on Jeffrey Bernstein » (p. 20-31) ; Fokke Akkerman : « Divine Law and
the Right of the State : Against a Textual Conjecture in the TTP » (p. 32-36) ; Igor
Kaufman : « Spinoza Studies in Russia » (p. 37-47).
3. 5. Gideon S and Yirmiyahu Y (edited by) : Spinoza, « The Interna-
tional Library of Critical Essays in the History of Philosophy », Ashgate, Aldershot,
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502 p. ¢ Cette collection a pour but de présenter les meilleurs articles parus en anglais
dans le domaine de l’histoire de la philosophie. Consacré à Spinoza, le présent volume
est ainsi une véritable somme de 25 articles (dus à 23 auteurs), déjà publiés entre 1971
et 2000. En suivant la structure de la première partie de l’Ethique, les premiers textes
(R. Aquila, M. Della Rocca, M. Kulstad, H. Zellner, E. Giancotti) mettent l’accent sur
des thèmes métaphysiques centraux : monisme, ontologie de la substance, attributs
et modes, causalité et sens du déterminisme. Une deuxième partie traite de problè-
mes relatifs à la théorie de la connaissance : théorie des idées, genres de connaissance,
concepts de vérité et d’erreur, avec des contributions de D. Radner, A. Matheron, E.
Curley, J. Bennett, Y. Yovel, S. Carr. La troisième partie est consacrée à l’anthropo-
logie et à l’éthique (C. Jarrett, L. Rice, H. Ravven, G. Segal, A. Collier, W. Frankena).
La quatrième partie traite du salut et de l’éternité de l’esprit (H. De Dijn, J. Thomas
Cook, E. Harris). Enfin, une dernière partie comporte deux articles sur la religion et
la politique (Y. Yovel et M. Rosenthal) ; cet ensemble est plus bref, reflétant proba-
blement par là le moindre nombre d’études consacrées à ces questions dans cet
univers de recherche. Par ce recueil (superbement relié), l’éditeur rend facilement
accessibles (sous réserve du prix : 100 £) des articles qui ont compté dans la
constitution de différentes problématiques et qui continuent pour la plupart à
alimenter bien des débats.
Henri L
[XI] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 725
à la Kabbale (« ‘That hebrew word’ : Spinoza and the concept of the Shekhinah »,
p. 131-144) ; Edwin Curley évalue la réponse de Spinoza à la théodicée de Maïmonide,
dans ses ressemblances et dans ses ruptures (« Maimonides, Spinoza, and the Book of
Job », p. 147-186) ; H. Ravven considère la fonction sociale de l’imagination à la fois
dans le TTP et dans l’Ethique (« Spinoza’s rupture with Tradition. His hints of a
jewish modernity », p. 187-223) ; M. Rosenthal montre que la République des
Hébreux a un statut de modèle explicatif pour les Pays-Bas (« Why Spinoza chose the
Hebrews : the exemplary fonction of prophecy in the Theological-Political Trea-
tise », p. 225-260). Enfin, dans un dernier essai (quatrième et dernière partie),
Richard Popkin entend faire passer du mythe à la réalité à propos de l’excommuni-
cation de Spinoza : celle-ci fut un événement mineur pour Spinoza qui ne s’en
préoccupa guère, et compta également peu à l’intérieur de la communauté juive, mais
on en fit ensuite des dramatisations, on imagina beaucoup en extrapolant à partir
d’autres cas ; elle eut en fait un effet bénéfique pour Spinoza, qui trouva par là une
entière liberté de publier (« Spinoza’s excommunication », p. 263-279). Il ressort, au
terme de ce volume fort riche, que Spinoza a opéré une reconstruction radicale des
idées juives dans le sens d’une ouverture vers une redécouverte morale et intellec-
tuelle plénière ; son anthropologie philosophique reflète la compréhension biblique
et juive de la personne humaine dans sa dimension faillible certes, mais non condam-
née par quelque doctrine du péché originel, dans une tension entre perfection et
726 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XII]
Paris. 312 p. ¢ Ce livre sur le langage de Spinoza, par un poète et traducteur renommé,
est une occasion manquée. Il veut « faire entendre l’ordre du langage chez Spinoza, et
par Spinoza » (53), mais son projet, pourtant pertinent, reste malheureusement faible
et fragmentaire. La plus grande partie du livre se perd dans des polémiques acides et
interminables contre des chercheurs qui, selon Meschonnic, n’ont rien compris à
Spinoza. L’auteur vise essentiellement la réception de Spinoza en France, et
d’ailleurs de façon aléatoire (à noter l’absence de Gueroult) ; pour l’étranger, il se
limite à quelques commentateurs choisis au hasard. Le dernier chapitre, intitulé
« Poétique de la pensée : le latin de Spinoza », long de cent pages, n’en vient au fait
qu’aux trois quarts de son développement et n’offre alors que quelques aperçus
(276), un travail fragmentaire (284), toujours interrompu par des polémiques. On
aurait souhaité que l’auteur consacre le livre entier à l’élaboration des thèses effleu-
rées ici. Dans leur état actuel, ses analyses rudimentaires, et quelquefois défectueu-
ses, promettent, mais ne convainquent pas. Sa lecture originale du latin, qui croit
reconnaître dans le langage même des éléments constitutifs de la pensée de Spinoza
(par exemple son usage du passif avec igitur, lu comme indicatif du rapport du sujet
à la Substance, 285) reste excessivement théorique. « Qui n’a pas son Spinoza ? »,
pour citer la question railleuse de l’auteur lui-même (32).
Meschonnic s’occupe du latin de Spinoza, et cette approche est aussi rare que
précieuse. Il regarde et ¢ mieux encore ¢ écoute les textes de façon souvent perspicace
[XV] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 729
en forçant la langue, volontairement » (264). Pour étayer cette fausse assertion, il cite
un seul passage : « infinitam existendi, sive, invitâ latinitate, essendi fruitionem »
(lettre 12 ; Gebhardt IV, 55). En adoptant une suggestion de P. Wienpahl, Meschon-
nic commente : « contre le gré du latin. Puisqu’en latin esse n’a pas la valeur d’exis-
ter » ; ce pourrait être un hébraïsme. Mais il n’en est rien : esse se trouve déjà dans ce
sens chez Cicéron. Par l’expression invitâ latinitate Spinoza s’excuse du barbarisme
tardif essendi : en latin classique le verbe esse n’a pas de gérondif. C’est donc à juste
titre qu’Appuhn (blâmé dans la note 129) n’a pas traduit cette tournure, car la pierre
d’achoppement ne réside que dans la forme latine, et disparaît en français.
Meschonnic offre presque partout ses propres versions françaises des passages
latins qu’il cite. Malgré sa critique caustique des autres traducteurs, il n’apporte pas
d’amélioration (je laisse le jugement de la qualité littéraire et de la lisibilité aux
lecteurs français). Il est vrai qu’il existe « une sémantique de position » (111, 192,
273), que les traductions de Meschonnic visent à respecter. Mais dans le latin, langue
flexionnelle où l’ordre des mots est libre, un arrangement donné a une fonction et un
effet nettement différents du « même » ordre en français. Il serait pourtant intéres-
sant de voir un spécimen plus étendu d’une traduction de Spinoza par Meschonnic,
parce qu’il est difficile d’en juger à partir de fragments.
Je me suis limité ici aux aspects philologiques, mais les observations de Meschon-
nic sur le latin de Spinoza, ainsi que sa critique des spécialistes, s’inscrivent dans une
730 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XVI]
théorie du langage beaucoup plus vaste, qui traite la pensée comme un poème (198).
Il s’agit d’un combat (197, 296). L’ennemi, c’est le signe, le discontinu, la culture
grecque-chrétienne du langage (119). Spinoza y est trahi par les commentateurs
(236), et les traducteurs « sont des membres du maintien de l’ordre » (300). A côté de
cette urgence dramatique à outrance, la philologie paraîtra fade.
Piet S
5. 9. Vittorio M : Incursioni spinoziste, Mimesis, Milano, 210 p. ¢ Le
compte rendu de cet ouvrage sera publié dans le prochain bulletin.
5. 10. Steven B. S : « A fool for love : thoughts on I.B. Singer’s Spinoza »,
Iyyun, 51, p. 41-50.
5. 11. Ariel S : « La vertu politique d’Hannibal », in Le Philosophe, le sage
et le politique. De Machiavel aux Lumières, Actes du Colloque du 10 et 11 mai 2000,
organisé par la Faculté de Philosophie d’Amiens, Université de Picardie Jules Verne,
sous la direction de Laurent Bove et Colas Duflo, Publications de l’Université de
Saint-Etienne, p. 123-144.
5. 12. Lorenzo V : Spinoza, Hachette, Paris, 192 p. ¢ Selon le principe
de la collection, cet ouvrage est une présentation de Spinoza plus directement
destinée au premier cycle des études universitaires. Après une introduction qui
expose la thématique des œuvres, l’auteur propose un beau choix de textes, briève-
ment introduits et commentés : 1. Vie et philosophie (vivre en philosophe ; la critique
des préjugés). 2. Science et nature (vérité et méthode ; puissance et nécessité). 3.
Corps et âme (la pensée du corps ; la nature de la raison). 4. Affections et affects
(l’imagination ; les affects et leurs lois). 5. Libération et liberté (religion et politique ;
le salut et la béatitude). A chaque texte correspond donc une présentation qui en
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contraire à lui » (91 : thèmes repris et développés dans les deux derniers chapitres du
livre).
La question proprement dite de la « physique de la pensée » est abordée au
chapitre 4 (« qu’est-ce qu’une physique de la pensée ? »). De cette « physique cogita-
tive » (115, 149), ce chapitre ne propose cependant que des « linéaments » (126). Sur
la plupart des thèmes abordés (« statut de l’idée infinie », « rapport de l’essence et de
l’existence », « identité réelle de l’idée et de son objet », « possibilité des transforma-
tions mentales », « statut de la sensation », et « unité de l’esprit »), les analyses,
quoique riches et approfondies, semblent en effet buter sans cesse sur des difficultés,
et ne progresser que malaisément. Le chapitre 5 (« parler le spinozien ») vient alors
rendre compte de ces difficultés, et les lever dans la mesure du possible. Appuyé sur
une lecture puissante du Traité de la Réforme de l’Entendement, dans laquelle est
redonnée toute sa force au fait (oublié à force d’être trop connu) que Spinoza y part
d’une « idée vraie », ce chapitre définit enfin la « physique cogitative » comme
« méthode », « selon la signification nouvelle et rigoureuse que Spinoza donne à ce
terme : étude formelle de l’idée » (164). La difficulté est que cette « physique
cogitative », bien que développée « fort avant » par Spinoza (165), reste quasi incom-
préhensible dans la mesure où il l’exprime dans une « langue étrange » (ibid.) qui est
à la fois logique formelle et ontologie : « car parler de la forme de l’idée, c’est parler de
l’idée même, autrement dit de la chose » (ibid.). De là qu’il faudrait apprendre à
« parler spinozien ». Ce chapitre, très intéressant, est celui dans lequel la position
deleuzienne de l’A. se fait le plus sentir, non seulement dans le vocabulaire (depuis le
« survol » de la p. 150, jusqu’aux innombrables « plans » ¢165, 166, 180, 182, etc.),
mais dans la méthode même. Il s’agit de parvenir à une empathie, à une familiarité,
avec le philosophe : c’est pour cela qu’on doit « apprendre sa langue », et surtout pas
« le traduire dans un langage commun » (165 n). Il y aurait là sans doute débat à
engager sur la nature même de l’histoire de la philosophie. Mais il n’est évidemment
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pas nécessaire d’être d’accord sur tout pour reconnaître à un livre, comme on doit
sans aucun doute le faire ici, les plus grandes qualités et le plus haut intérêt.
Charles R
5. 14. François Z : Le conservatisme paradoxal de Spinoza ¢
Enfance et Royauté, Presses Universitaires de France (« Pratiques Théoriques »),
Paris, 271 p. ¢ Publiés la même année et chez le même éditeur, les deux ouvrages de
F. Zourabichvili (cf. compte rendu précédent) sont en réalité deux volets complé-
mentaires d’une grande enquête philosophique sur la notion de « transformation ».
Mais, tandis que le premier ouvrage s’attachait surtout au traitement spinozien des
notions de « forme » et de « réalité formelle » dans la perspective d’une « physique de
la pensée », et concernait donc principalement les plans de l’être et de la connais-
sance, celui-ci aborde la question de la « transformation » d’un point de vue plutôt
anthropologique et politique.
On retrouve dans cet ouvrage la même qualité d’attaque que dans le précédent :
un problème véritablement central pour une philosophie est mis en évidence et
abordé sous un angle à la fois original et naturel. Le problème de la « transforma-
tion », en effet, est particulièrement aigu chez Spinoza (31), puisque l’éthique et la
politique consistent à transformer des comportements au moment même où la raison
qui les soutient reconnaît que chaque chose singulière « persévère dans son être » : si
[XIX] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 733
d’essence » (87), mais plutôt le retour d’une « position imaginaire de soi (essence
rêvée) » à sa « position naturelle (essence réelle) » (88). Tout en accordant beaucoup à
de telles analyses, je resterais néanmoins plus réservé, ici, sur le « conservatisme » de
Spinoza : car il y a dans ces textes, comme en V 39 et en bien d’autres passages, une
dimension prométhéenne et une aspiration moderne au dépassement de la finitude
humaine (comme dans la 6e partie du Discours de la Méthode) assez explicites, me
semble-t-il, pour devoir être entendues.
La « deuxième étude » (« L’image rectifiée de l’enfance ») constitue le cœur et le
meilleur de l’ouvrage. L’A. s’y attache à « rectifier » l’image que nous nous faisons de
l’enfance chez Spinoza, en montrant qu’il s’agit chez lui d’un thème rien moins que
« marginal » (91) et rien moins que banal (95 et suiv.). L’A. montre excellemment
comment Spinoza, conformément aux principes énoncés dans le Traité Politique
(« ne pas rire, ne pas déplorer, ne pas maudire, [...] mais comprendre »), évite sur
l’enfance aussi bien le discours de la « misère » que celui de la « pitié » ou de la
« privation » (117-124, 131) pour faire au contraire « de l’enfance et même de la petite
enfance la condition commune des hommes » (120), si bien que l’enfance devient
chez lui « l’enjeu principal de la philosophie » (124, 144). On ne s’étonne donc pas de
retrouver sous la plume de l’A., visiblement inspiré par le sujet, la fameuse formule
par laquelle Nietzsche avait résolu à sa façon la contradiction de toute « métamor-
phose » : « la philosophie », ainsi, n’a pas à « nous humilier en nous regardant comme
734 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XX]
de grands enfants », mais à nous apprendre « qu’il faut pour ainsi dire devenir
l’enfant que nous étions », etc. (127).
La « troisième étude » enfin (« puissance de Dieu et puissance des rois ») montre
comment la refonte spinoziste de la notion de « transformation » lui ouvre la voie « de
la critique et de la subversion de l’ordre théologico-politique » (32). À travers de très
suggestives analyses du Traité Politique (et notamment de VII 22) émerge peu à peu
la figure de la « multitude libre », que Spinoza semble avoir privilégiée en présentant
surtout des peuples en train de s’affranchir (257, 260). Et, autant Spinoza se montre
toujours méfiant et pessimiste devant les « révolutions », autant les guerres d’indé-
pendance, et « l’amnésie collective positive » qu’elles procurent au moins momenta-
nément (260) peuvent donner une idée de ce « conservatisme paradoxal », qui ne
consiste donc pas, bien évidemment, à « conserver ce qui existe » (car un tel conser-
vatisme n’aurait rien de paradoxal), mais à « faire exister ce qui se conserve » (262) :
une sorte de régénération ou de confirmation de soi de l’existant, donc, tirée par l’A.
dans les toutes dernières lignes de l’ouvrage vers l’idée de « création », sans doute
dans une perspective nietzschéenne ici peut-être un peu violente, mais qui ouvre les
yeux sur le texte et en rafraîchit l’approche, comme l’ensemble de cet excellent
ouvrage.
Charles R
tions susceptibles de composer les conatus et d’en tirer ‘le pouvoir de la multipli-
cité’ » (p. 12).
Yves C
voulut être eut de nombreux disciples, notamment dans les milieux aux frontières du
hassidisme. Mais hormis des contacts épisodiques avec Nordau, Rathenau, Lou
Salomé, Gebhardt même, Brunner se maintint à l’écart de toute vie publique. Le
caractère pathétique et violemment polémique de la référence à Spinoza fait de
Brunner le témoin exemplaire d’une réception de Spinoza qui n’est pas rare, même si
elle est souvent plus discrète. Stenzel propose une lecture lente et fouillée d’un
itinéraire où s’expriment les tensions les plus intimes d’une vie et d’une pensée,
désireuse d’idéal et parfois prisonnière de projections, assez faciles à déchiffrer mais
hâtives.
Guy P
formés à partir du travail de Révah, initiateur des études sur le marranisme et les
communautés sépharades dispersées ; le volume est accompagné d’un texte de
Révah concernant l’Asie portugaise : étude de l’activité du tribunal inquisitorial de
Goa.
Dans l’impossibilité de rendre compte de toutes les contributions d’un volume
aussi riche que précieux et savant, nous mentionnerons la reconstitution de l’histoire
d’une marrane, Maria de Rivera, par Solange Alberro (Mexico) : l’auteur recrée cette
histoire en écrivant à la place de l’accusée ses mémoires sous forme d’un récit. Cette
« fiction vraie » est construite à partir des pièces des dossiers des procès intentés par
l’Inquisition à Maria de Rivera ainsi qu’à d’autres marranes. Le procès de cette
femme née à Séville, arrêtée et accusée, en 1642, avec d’autres judaïsants, à Mexico où
ils avaient trouvé refuge, a laissé de nombreuses archives. Parmi ses compagnons
d’infortune certains mourront en prison, tous les autres seront mis à mort, brûlés sur
le bûcher en 1649, dont Tomas Treviño de Sobremonte, une des figures les plus
remarquables du crypto-judaïsme mexicain, brûlé vif, comme ceux qui refusaient la
croix avant de mourir. Cette reconstitution de la vie et de la condition des marranes
persécutés à Mexico, et de la terreur qui s’est abattue sur eux, est impressionnante.
Une de ses pensées : « ...seules les femmes s’entêtaient donc ici, sans livres, sans
rabbins ni synagogues, à maintenir l’essentiel. L’essentiel ? Qu’est-ce qui était essen-
tiel ? » Mais elle sentait que « les jeux étaient faits... tous, les bons et les méchants, les
amis et les ennemis, tous sombreraient cette fois comme au Pérou », Le Pérou, où en
1639, la communauté marrane fut détruite à jamais, dans un immense autodafé, à
Lima.
De Rena Fuks-Mansfeld (Amsterdam) : la vie d’un éditeur sépharade à Amster-
dam et à Livourne, Samuel ben Isaac Texeira Tartas. De Jonathan Israël (Londres) :
l’histoire de Baltazar Orobio de Castro, ce physicien arrêté en 1654 à Séville puis
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pait à la justice inquisitoriale, qui confisquait les biens des personnes emprisonnées
et leur faisait subir des années de prison atroces, les procès durant longtemps,
certains jusqu’à 16 ans, avant l’autodafé final.
Sandra S
A. 4. 1. Joaquín L : « La presencia del pensamiento judío hispano en la ética
de Spinoza », Convivium, 14, p. 86-112.
A. 4. 2. Steven N : Spinoza’s Heresy, Clarendon Press, Oxford, 225 p. ¢
Après sa monumentale biographie de Spinoza (Spinoza, a life, Cambridge UP 1999),
S. Nadler nous offre ici une élucidation à la fois historique et surtout philosophique
de la brutalité du herem qui frappa Spinoza en 1656. L’A. avait déjà traité de cette
question dans son livre précédent mais de façon plus historique. Il s’attache ici à
l’examen de l’arrière-plan philosophique et politique des thèses de Spinoza contre
l’immortalité personnelle de l’âme humaine et à la sévérité de la condamnation de ces
thèses. La première étape consiste à faire l’historique de l’apparition de la croyance en
l’immortalité de l’âme avec Enoch et le second Esdras, c’est-à-dire des auteurs
influencés par la philosophie hellénistique, phénomène amplifié par la période
rabbinique et notamment par Maïmonide, développant une conception dualiste
permettant de penser une survie de l’âme après sa séparation d’avec le corps.
L’intérêt du livre réside, à mon sens, moins dans la présentation des arguments de
Spinoza contre l’immortalité de l’âme au profit de l’éternité de sa partie rationnelle
(ch. 5 et 6 sur la différence entre éternité et immortalité et sur la vie selon la raison),
parce que ces thèmes ont déjà été fort étudiés par les commentateurs récents, que
dans l’exposition très claire des positions de la philosophie juive, notamment Maï-
monide et Gersonide, philosophes dont l’A. montre que les thèses de Spinoza ne sont
que le prolongement logique. Si l’analyse des thèses philosophiques occupe la plus
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grande partie du volume, Nadler montre aussi les racines politiques de la condam-
nation de Spinoza, après celle d’Uriel da Costa : les membres de la communauté juive
d’Amsterdam étaient les descendants de marranes portugais qui avaient été élevés
dans la foi catholique, laquelle accorde une importance décisive à la question de
l’immortalité et de la récompense ou punition post mortem. Tant en raison de leurs
modes de pensée hérités d’une longue immersion dans le christianisme qu’en raison
du souci de ne pas heurter de front les milieux calvinistes qui leur assuraient une
liberté de culte rare en Europe, les chefs de la communauté d’Amsterdam ne
pouvaient pas ne pas condamner Spinoza en 1656 ou, pour le dire avec S. Nadler :
Amsterdam était bien le dernier endroit pour un Juif où se permettre de nier
l’immortalité de l’âme.
Un livre alerte, instruit, savant sans être jamais pédant, qui marque bien les
enjeux culturels de la querelle et plus fortement encore les enjeux philosophiques et
religieux de la position adoptée sur la nature et le devenir de la pensée en l’homme ;
bref un livre stimulant et passionnant.
Jacqueline L
A. 4. 2. Heidi M. R : « The Garden of Eden : Spinoza’s maimonidean
account of the genealogy of morals and the origin of society », Philosophy and
Theology, 13 (1), p. 3-51.
[XXVII] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 741
comprendre la définition initiale de Dieu comme Être absolument infini, qui est
également une seule substance consistant en des attributs infinis.
La troisième étude, « Spinoza lecteur de Hegel ? », focalise son analyse sur
quelques aspects particuliers de l’interprétation hégélienne de Spinoza, mise en jeu
par P. Macherey dans son ouvrage Hegel ou Spinoza. L’A. conteste sur certains
points le rapprochement fait par P. Macherey entre Spinoza et Hegel, concernant
notamment la réévaluation de la méthode spinoziste et l’usage fait du mos geometri-
cus en philosophie, en même temps qu’il suppose improbable l’idée d’une critique
anticipée faite par Spinoza de Hegel.
La quatrième et dernière étude, « Spinoza n’a pas assimilé les modes à des
propriétés », examine la proposition XVI de la Partie I de l’Éthique pour reprendre
l’essentiel du problème de la liaison entre l’essence divine et le monde dont la portée
est simultanément ontologique et logique.
On retiendra de ces études une démarche très personnelle qui ouvre le champ à
une discussion philosophique constante et minutieuse.
Carl R. B
A. 5. 4. Antony D : « Pieces of time and regions of eternity », Iyyun, 50,
p. 285-6294.
A. 5. 5. Charles J : « Spinoza’s distinction between essence and existence »,
Iyyun, 50, p. 245-252.
A. 5. 6. Nancy L : « Spinoza’s Bible : concerning how it is that ‘‘ Scripture,
insofar as it contains the Word of God, has come down to us uncorupted’’ »,
Philosophy and Theology, 13 (1), p. 93-142.
A. 5. 7. Frank L : « Revelation in Spinoza’s Theological-Political Trea-
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Opposant cette sagesse de liberté à celle, vichienne, reprise de Cicéron puis chré-
tienne, fondée sur la peur (crainte des dieux), Cristofolini travaille la question de la
peur chez Spinoza, dont il affirme l’héritage épicurien qui vise, au contraire, à libérer
de la peur.
Ainsi, partant du thème de la peur de la solitude (TP VI, 1) l’auteur reprend la
question de la peur, supposée fondatrice de la société et de l’Etat chez Hobbes, soit la
peur de la mort violente qui pousse les hommes de la multitude à passer, tous avec
tous, un contrat érigeant un pouvoir commun susceptible de les tenir en respect,
assurant ainsi la sécurité, nécessité première. Puis il étudie ce qu’en dit Spinoza qui,
après Hobbes, reprend le point de départ de son analyse pour la transformer. Spinoza,
à vrai dire plus aristotélicien, conçoit la nécessité de s’unir comme nécessité de
s’entraider : par nature les hommes ne désirent pas l’état de nature mais l’état civil,
en somme désir naturel de société et non choix contraint par la peur comme chez
Hobbes, qui débouche sur la soumission au pouvoir.
Alors qu’en est-il de la peur, passion triste selon l’Ethique ? Serait-elle suscepti-
ble d’être le facteur décisif de la constitution politique, parce que la sécurité est une
nécessité première et la liberté une nécessité seconde, comme il se dit couramment ?
Sachant que l’affect a pour caractère l’inconstance, la peur est une tristesse incons-
tante, de même que l’espoir est une joie inconstante. Inconstance qui peut se traduire
par « ambiguïté », parce qu’il n’est pas de peur sans espoir et inversement (la peur est
744 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XXX]
espoir que l’événement redouté ne survienne pas ; l’espoir est crainte que celui
espéré ne se produise pas). Ces deux affects ne s’inscrivent pas de manière univoque
du côté de la joie ou de la tristesse. C’est pourquoi, selon les circonstances, la peur
peut jouer un rôle positif ou négatif. La peur, en tant qu’elle inspire le respect des
lois, est bonne, de même que l’Etat assure la sécurité, en tant qu’il inspire la crainte
nécessaire à l’obéissance (TP I, 6). La liberté est alors dite vertu privée, parce que
l’autorité de l’Etat ne peut dépendre de la vertu des citoyens. Elle est la vertu du petit
nombre, des sages. Spinoza souligne là la nécessité incontournable de la crainte de
l’autorité politique. Cependant paix et sécurité sont une seule et même chose (TP V,
4) : l’État n’a pas été fondé pour que les hommes vivent dans la crainte, mais d’une vie
qui leur permette d’accomplir leurs capacités, et qui suppose la liberté. Ainsi se
distinguent la peur, soumission à la force, et la peur, besoin de paix et de protec-
tion.
De plus, la peur fait le lit de la superstition, c’est-à-dire de ce qui est le plus opposé
à la liberté. D’où les critiques du libre-arbitre, du dogme du péché originel, et de la
morale fondée sur la peur qu’elle exploite : analyses spinoziennes qui s’en prennent
aux racines de la superstition et qui appartiennent à la réfutation du christianisme.
Spinoza s’inscrit dans la ligne d’Epicure et Lucrèce, qui consiste à libérer les hommes
de la crainte : crainte des dieux, du péché, de la mort. Autrement dit, les libérer de la
culpabilité qui les pousse à la superstition, car il n’est d’autre faute que le manque de
connaissance, qui n’est donc pas une faute morale, juste un manque, ce qui est
différent. Adam n’a pas péché, il était ignorant de la loi, entendue comme loi de la
nature (TTP IV). Ces visions du monde, pointées par ces trois critiques, trouvent
leur fondement dans la peur. Or c’est de la peur qu’il faut aider les hommes à se
libérer. Contre la peur qu’entretiennent la religion et la morale, qui sont les princi-
pales entraves à la liberté, et bien que à cette peur tous les hommes soient sujets par
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