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Bulletin de Bibliographie Spinoziste XXV

Revue critique des études spinozistes pour l'année 2002


Dans Archives de Philosophie 2003/4 (Tome 66), pages 715 à 745
Éditions Centre Sèvres
ISSN 0003-9632
DOI 10.3917/aphi.663.0715
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Bulletin
de Bibliographie Spinoziste XXV
Revue critique des études spinozistes pour l’année 2002 1

LIMINAIRE

La décade de Cerisy :
« Spinoza aujourd’hui »

Le Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle a accueilli du 20 au 30 juillet


2002 la deuxième « décade spinozienne » de son histoire, la première ayant eu lieu
vingt ans auparavant. Cette rencontre s’est déroulée en présence de spécialistes
français, allemands, tunisiens, italiens et israéliens. Sur le thème « Spinoza
aujourd’hui », elle était organisée par Claude Cohen-Boulakia et Pierre-François
Moreau, avec la coordination de Mireille Delbraccio.
Les raisons de l’événement étaient ainsi décrites : « Spinoza est doublement
actuel : par les études qui lui sont aujourd’hui consacrées ; mais aussi par la force de
sa présence dans des interrogations et des pratiques parfois en apparence très
éloignées de la philosophie » ; et encore : « le renouvellement des études textuelles,
l’intérêt pour les thèmes fondamentaux comme l’Etat, la tolérance, le temps et
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l’éternité, les discussions sur l’Ecriture sainte, la recherche des modèles scientifiques
du système et des contextes d’origine (néo-latin, juif, néerlandais), l’histoire de la
réception de l’Ethique ou du Traité théologico-politique ont marqué le développe-
ment récent des études spinozistes. Mais la figure de Spinoza est présente aussi
durablement dans les travaux de la biologie, de la psychologie, de la psychanalyse,
dans la réflexion politique ou dans des œuvres littéraires ou artistiques ». La question
était : ces deux approches sont-elles compatibles ? Et la réponse provisoire à laquelle
a introduit le colloque était « qu’en tout cas l’une et l’autre témoignent de la
puissance d’une pensée ». Le colloque a montré en effet de nombreux liens possibles,
les deux fils rouges ayant été, semble-t-il, l’actualisation du théologico-politique et le
lien entre spinozisme et sciences psycho-biologiques.
Ont été spécialement instructifs, en ce sens, le débat autour de « Gloire et
béatitude » avec la participation d’Henri Atlan, qui a aussi présenté une communi-
cation sur « Théorie de l’action et identité psychophysique », une discussion sur

1. Ce bulletin est rédigé par le Groupe de Recherches Spinozistes (CNRS/CERPHI) en


lien avec l’Association des Amis de Spinoza (http ://www.aspinoza.com). La coordination de ce
numéro a été assurée par Henri Laux et Pierre-François Moreau. La liste des titres signalés dans
ce bulletin peut être consultée sur le site de l’Association.
716 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [II]

« Spinoza et la question de la différence », à laquelle ont participé des interprètes bien


connus, comme Fatma Haddad-Chamakh, et une très intéressante table ronde autour
de « Spinoza et la psychanalyse » avec Mireille Delbraccio, Pierre-François Moreau et
Michel Juffé.
Les travaux ont commencé avec une introduction de Claude Cohen-Boulakia et
Pierre-François Moreau qui ont reparcouru pour le public les « Chemins du spino-
zisme » de 1977 à 2002. Sont intervenus ensuite : Ahmed Alami, « Spinoza et
Averroès » ; François Zourabichvili, « La langue de l’entendement infini » ; Moegens
Laerke, « Deus quatenus : sur l’emploi des particules reduplicatives dans l’Ethi-
que » ; Yves Citton, « Spinoza et Quesnay : l’envers du libéralisme » ; Frédéric Lar-
don, « Spinoza et le monde social » ; Jacqueline Lagrée, « La foi du philosophe » ;
Lorenzo Vinciguerra, « ‘Le geste de Dieu’. Origine et nature du signe chez Spinoza » ;
Gabriel Albiac, « Sujets déterminés. Entre Althusser, Lacan et Spinoza » ; Pascal
Séverac, « Le Spinoza de Bourdieu » ; Laurent Bove, « ‘Bêtes et automates’ (TTP,
XX, 6) ». La discussion autour de cette intervention a anticipé quelques-uns des
thème abordés pendant la table ronde « Spinoza et la psychanalyse » ; Pierre-François
Moreau a alors présenté le premier article d’importance internationale portant sur
cette question, celui de Bernhard Alexander en 1927, tandis que Mireille Delbraccio
montrait tout le questionnement possible autour du rapport entre Spinoza et Freud.
Les travaux ont continué avec : Fatma Haddad-Chamakh, « L’actualité du TTP de
Spinoza. Pour une lecture critique des textes des ‘renaissants’ arabo-musulmans de la
fin du e à la fin du e siècle » ; Mino Chamla, « Spinoza et la lecture talmudique
de la Bible » ; Elhanan Yakira, « Spinoza et le concept du politique » ; Chantal Jaquet,
« Le rôle actuel de la théorie spinoziste du corps et de l’esprit » ; Epaminondas
Vampoulis, « Problèmes de la conception de la nature corporelle chez Spinoza » ;
Manfred Walther, « Souveraineté du peuple et état d’exception : Spinoza dans la
jurisprudence pendant la République de Weimar » ; Salah Mosbah, « Spinoza et la
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tradition républicaine » ; François Matheron, « Louis Althusser et le ‘Groupe Spi-


noza’ » ; Claude Cohen-Boulakia, « Spinoza, l’anti-humanisme contemporain ». La
dimension « scientifique » a été honorée avec une table ronde animée par Michel Blay
sur « Mathématiques et physique » ainsi que par les interventions de Françoise
Barbaras, « Le fondement mathématique de la puissance de la modération des
sentiments chez Spinoza » et Fabrice Audié, « Spinoza et le mathématiques ». La
décade s’est terminée sur l’intervention de Pierre-François Moreau, « La narrativité
dans l’écriture de Spinoza ».
Paola G

Cadernos Espinosanos (São Paulo)

Les Cadernos Espinosanos (Cahiers Spinoziens) sont une publication du Dépar-


tement de Philosophie de l’Université de São Paulo depuis 1996 sous la direction
éditoriale de Marilena Chaui ; liés au Groupe de Recherche des Etudes spinoziennes
(Estudos Espinosanos) qui prépare une traduction de l’Ethique accompagnée d’un
appareil critique méthodique, les Cahiers ont pour fonction première de publier les
travaux des doctorants et les résumés des thèses consacrées à Spinoza. D’autres
[III] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 717

auteurs du e siècle tels que Descartes, Hobbes, Pascal ou Leibniz, ou encore
Boyle, Harvey, Mersenne et Kepler sont également étudiés. La publication semes-
trielle d’articles traitant, dans leur contexte historique, de questions bien détermi-
nées constitue non seulement un moyen d’expression et d’échange pour les étudiants
mais aussi un indicateur de la vitalité des études spinozistes au Brésil. Les Cahiers
publient également des traductions en portugais de textes peu accessibles, comme
par exemple l’Essai de R. Boyle sur le nitre, ainsi que des bibliographies sélectives.
Un aperçu de la liste des publications donne une idée de la vigueur de ces Etudes :
I-1996 : le premier volume est consacré à la théorie spinozienne des passions.
II-1997 : le thème en est la critique spinozienne du pouvoir théologico-politique.
Fernando Cesar Teixeira, « A política ou da força criadora das idéias imaginantes » ;
Luciana Zaterka, « Conatus e vontade de potência » ; Telma de Sousa Birchal, « Razão
e religião em Espinosa e Pascal » ; Luis César Guimarães Oliva, « A interpretação das
Escrituras em Blaise Pascal ».
III-1998 : sont réunis des articles de recherche sur la méthode géométrique d’une
part, sur les conceptions de l’infini d’autre part. Fernando Dias Andrade, « Em que
sentido se pode afirmar que a geometria da Etica é a propriada, adequada e necessária
a seu conteúdo ? » ; Augusto Reynol Filho, « Espinosa e a ordem geometrica » ; Luis
Roberto Takayama, « Problemas concernentes à ordem geométrica da Etica » ; Mau-
ricio C.Keiert, « A ordem geometrica e a ordem do mundo » ; Luis Fernades Dos
Santos Nascimento, « Relação entre atributo e substância na carta 9 » (le passage sur
la définition de la substance que Spinoza propose à Simon de Vries est interprété à la
lumière de l’interprétation romantique de Friedrich Schegel et de Novalis).
V-1999 : il s’agit d’articles plutôt techniques relatifs à des paradigmes scientifi-
ques, auxquels s’ajoutent des informations bibliographiques ainsi qu’une synthèse
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intéressante (avec un résumé en français) sur le lexique cartésien des Secondes


réponses aux objections : Homero Santiago, « Index Cartesii Rationum More Geo-
metrico Dispositarum, quae in Secundis Responsionibus Continentur ». Il s’agit
d’une liste de formes allographes, d’une liste de mots médiévaux et modernes et
surtout d’un index verborum et locorum d’une quarantaine de pages. L’A. présente
une recension commode de différents travaux : l’index des Regulae ad directionem
ingenii de J.-R. Armogathe et J.-L. Marion, celui des Méditations par les mêmes
auteurs, l’indexation du TP par P.-F. Moreau, l’indexation de l’Ethique par M. Gue-
ret, A. Robinet, P. Tombeur, ainsi que le Lexicon spinozanum d’E.Giancotti pour ne
citer que les références lexicographiques les plus connues, mais dans sa bibliographie
l’A. cite d’autres sources, italiennes notamment.
VI-2000 : Paolo Cristofolini, « A Última sabedoria e a Felicidade » ; Eunice
Ostrensky, « Hobbes e as sem-razões da Revoluço » (Hobbes et les déraisons de la
Révolution) ; Tessa Moura Lacerda, « Leituras leibnizianas de Espinosa » ; Yara
Frateschi, « Razão e Eloqüência na Filosofia Política de Hobbes ».
VII-2001 : ce volume réunit des articles sur Spinoza publiés au Brésil au cours du
e siècle. Raimundo de Farias Brito, « O ponto culminante da filosofia dogmatica :
monismo de Espinosa » (1899) ; Januario Lucas Gaffrée, articles de 1916 à 1918 ;
Evaldo Coutinho, « Terceiro centenario do Nascimento de Baruch Spinoza 1632-
718 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [IV]

1932 » (1933) ; José Pérez, « Da Correspondencia de Spinoza » (1935) ; Carlos Lopes


de Mattos, « Spinoza interprète de Descartes » (1955) et « Uma tradução brasileira de
Espinosa » (1968) ainsi que « Espinosa-Ambiante, vida e obra » (1976). On trouve en
supplément une bibliographie consacrée à Pascal.
VIII-2001 : ce volume paraît plus éclectique mais les articles sont plus nombreux
et plus longs. Marilena Chaui, « Espinosa e a essência singular » ; Maria das Graças de
Sousa, « Substância e realidade : a critica materialista à noção cartesiana de substân-
cia » ; Fátima Rodrigues Evora, « Physis, Kinesis, Topos e Kenon : Um estudo da
teoria aristotelica do movimento » ; Maria Isabel Limongi, « Hobbes e o véu do
cortesão » (Hobbes et le voile du courtisan, une intéressante confrontation de Hobbes
et de Baltazar Gracián sur le rapport entre le pouvoir politique et le mérite) ; Régina
André Rebollo, « William Harvey : Explicações mecânicas e finalismo » ; Marisa C.
De Oliveira Franco Donatelli, « As Cartas à Elizabeth : Uma terapêutica epistolar » ;
Luciana Zaterka et Eunice Ostrensky proposent une traduction de Robert Boyle,
Ensaio Físico-Químico Contendo um Experimento com Algumas Considerações
Acerca das Diferentes Partes e da Reintegração do Salitre. En supplément, une
bibliographie est consacrée à Leibniz.
Cette sélection de quelques titres d’articles sur six années de publication des
Cadernos Espinosanos donne une idée des recherches menées et de la réception des
travaux publiés en France, en Italie, en Espagne et au Portugal mais aussi sur le
continent américain. C’est l’occasion de rencontrer des synthèses judicieuses et des
exercices de lecture et d’interprétation suffisamment précis pour retenir l’intérêt ;
nous prendrons pour exemple l’analyse de la critique faite par Leibniz à la définition
spinozienne de la substance in « Lectures leibniziennes de Spinoza », C.E VI, p. 47-
74. L’A., T. M. Lacerda, confronte la réfutation de Spinoza dans les Animadversiones
ad Wachteri librum de recondita Hebraoerum philosophia, quelques textes bien
choisis des Nouveaux Essais, de la Monadologie ou du Discours de Métaphysique
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aux propositions décisives de E I et E II. Elle montre par l’analyse textuelle, d’une
part, que la logique interne du discours spinozien résiste à la réfutation leibnizienne
et, d’autre part, que Leibniz a lu Spinoza en ayant déjà sa propre conception de la
substance héritée de la scolastique. Elle conclut que Leibniz s’est d’emblée situé
comme un adversaire radical du naturalisme spinozien et que son attitude parfois
ambiguë à l’égard de l’auteur de l’Ethique ne doit pas conduire à chercher des traces
de spinozisme dans la théorie de la monade. En effet, ce genre de confusion fut à
l’origine de la querelle qui marqua la philosophie allemande à la fin du e siècle.
Il est clair que d’autres articles mériteraient d’être cités, dans cette revue qui peut
être un instrument de travail utile.
Évelyne G

1. Instruments de travail

1. 1. « Bulletin de Bibliographie Spinoziste XXIV », Archives de Philosophie,


65 (4), p. 727-754.
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2. Textes et traductions

2. 1. S : Ethica, vertaald en ingeleid door Henri Kroop, Uitgeverij


Prometheus/Bert Bakker, Amsterdam, 629 p.
2. 2. S (Benedictus de) : Teólogiai-politikai tanulmány, Osiris, Buda-
pest, 428 p.
2. 3. S : Traité de la réforme de l’entendement, Etablissement du texte,
traduction et introduction de Bernard Rousset, « Bibliothèque des textes philosophi-
ques », Vrin, Paris, 128 p. ¢ De l’important volume paru en 1992 (environ 400 pages
de commentaires et présentations diverses ; cf. le compte rendu de Jacqueline Lagrée
dans le « Bulletin de bibliographie spinoziste » no XV, Archives de Philosophie,
octobre-décembre 1993), l’éditeur reprend une brève introduction, puis le texte du
traité et sa traduction. Le style « édition de poche » rend ce volume très accessible.
2. 4. S : Traité politique, Traduction d’Emile Saisset révisée par Laurent
Bove, introduction et notes par Laurent Bove, Le Livre de poche, coll. « Classiques de
la philosophie », Librairie générale française, 315 p. ¢ La parution du Traité politique
en livre de poche est à maints égards précieuse : d’abord, en ce qu’elle nous livre une
bonne traduction, celle d’E. Saisset (1861), révisée par L. Bove, qui l’a amendée à
partir de l’établissement du texte par C. Gebhardt (1925), et l’a complétée de nom-
breuses notes, à la fois informatives et interprétatives. Mais surtout, L. Bove lui
consacre une très intéressante introduction, qui est en fait une véritable présentation
de la politique spinoziste. Il y montre son originalité, en rupture avec les théoriciens
du droit moderne (Hobbes, Grotius), et notamment avec l’idée d’une loi naturelle qui
oblige à une certaine fin morale ou politique : le droit n’est plus ce qui d’en haut vient
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organiser une multitude informe, mais ce qui lui est immanent ; c’est sa puissance
même. La politique spinoziste doit alors être comprise dans la lignée de la politique
machiavélienne : celle de l’être, et non du devoir-être, celle de la réalité des rapports
inter-humains, et non de leur finalité interne ou externe. Selon L. Bove (chapitre II),
Spinoza retient de la pensée de Machiavel l’horizon de guerre totale dans lequel
s’inscrit nécessairement toute réflexion sur la conservation de soi du prince et de la
multitude. La prudence devient alors un concept central pour saisir les enjeux d’une
politique des rapports de force : une prudence qui n’est plus celle du conseil utile, ou
même de la conformation à une loi morale naturelle, mais qui est celle d’un impératif
ontologique d’auto-conservation. C’est dans cette perspective que L. Bove interprète
la virtù machiavélienne, comme puissance non seulement de réaction vis-à-vis de
toute contrainte extérieure, mais aussi d’affirmation de soi au sein du conflit : la virtù,
« c’est une véritable activité de résistance » (p. 40) ; « obéir adéquatement, stratégi-
quement à la nécessité-contrainte c’est donc, en dernière instance, obéir à soi-même,
à sa propre vertu ou virtù affirmée dans et par un contexte déterminé de rapports de
forces (la necessità machiavélienne) » (p. 40-41).
Or, c’est en ce point que se pose l’une des questions centrales de l’interprétation
que propose L. Bove : comment comprendre que la multitude, et même le prince,
puissent être déterminés à agir adéquatement, activement, à partir d’une contrainte
extérieure susceptible d’être contraire, voire destructrice ?
720 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [VI]

Ce problème trouve ses éléments de réponse dans les chapitres III et IV, consa-
crés à l’imaginaire affectif du corps des Hébreux, c’est-à-dire dans l’application au
paradigme de la théocratie hébraïque des déterminations du corps politique mises au
jour dans le chapitre I.
Le premier chapitre propose en effet une étude de la prudence du corps politique
comme « sujet-des-contraires » : L. Bove montre que la tendance à persévérer du
corps politique se fait à partir de dispositions acquises et agissantes, qui peuvent être
contraires les unes aux autres. Chaque disposition constitutive de la mémoire ou de
l’habitude du corps politique étant elle-même un conatus, l’unité de la société est une
unité dynamique toujours en train de se faire et de se défaire : elle est l’unité d’un
champ de bataille, où l’auto-organisation du corps s’accomplit à travers la dynamique
prudente de l’alliance et de la résistance. L. Bove montrera dans la conclusion, à
propos de la démocratie, la pleine positivité de cette idée d’un conflit interne du corps
politique : la démocratie est cette forme, fragile, de la multitude toujours sur « le fil
du rasoir », risquant certes à tout moment la rupture dans la sédition, mais parve-
nant, notamment à travers la liberté donnée au conflit des opinions, à se constituer
comme un processus libérateur de démocratisation indéfinie.
Les chapitres III et IV montrent alors comment, à partir d’un cas concret (celui
des Hébreux), la prudence auto-organisatrice du corps politique est à même de poser,
en des situations différentes, d’une part le « problème » de sa conservation, et d’autre
part le « cas de solution » qui lui permet de persévérer dans son état. Si les Hébreux
ont eu besoin de Moïse pour se conserver, c’est que lui seul sut imaginer ce que la
multitude était incapable de se représenter. Grâce à Moïse, l’auto-organisation du
corps politique devient possible : elle se fonde sur ses dispositions constituées et
constituantes, sur une habitude qui, bien loin d’être seulement aliénante, est surtout
productive d’autonomisation. L. Bove peut alors pleinement répondre à la question
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de la possibilité d’une constitution active du corps politique à partir de contraintes


externes : « il y a bien eu, avec l’imagination de Moïse et l’entrelacement de multiples
causes extérieures, auto-organisation politique du peuple hébreu. Si bien qu’il faut
avancer un oxymore pour désigner le fonctionnement de l’Etat hébreu qui est,
pouvons-nous dire, en auto-organisation hétéronome » (p. 62).
L. Bove développe alors, notamment dans sa conclusion, comment il est possible
de passer de cette forme d’activité-passive de la multitude à celle d’une autonomisa-
tion pleine et entière : analysant la démocratie comme affirmation « entièrement
absolue [omnino absolutum] », L. Bove conclut qu’elle ne peut plus seulement être
pensée selon la logique de l’affect d’Hilaritas, joie passionnelle sans excès par
laquelle le peuple a confiance en lui-même, mais selon « celle d’un régime de la
puissance, de tous ensemble, apte à faire de l’excès ontologique (excès du mouvement
autonome d’équilibration indéfinie de l’être-collectif sur ses dispositions) le moteur
même de sa rationalité ou de sa prudence intrinsèque » (p. 92).
Pascal S
2. 5. S : Verhandeling over de verbetering van het verstand, Vertaald,
ingeleid en van een nawoord voorzien door Theo Verbek, Historische Uitgeverij,
Groningen, 149 p. ¢ Le compte rendu de cet ouvrage sera publié dans le prochain
bulletin.
[VII] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 721

3. Recueils collectifs

3. 1. Syliane C et Jacques-Henri G (sous la direction de) : « Spinoza


sous le prisme de son anthropologie », Philosophiques, vol. 29 no1. ¢ Ce recueil
d’articles témoigne de l’intérêt porté à la philosophie de Spinoza, et plus particuliè-
rement à son anthropologie, au Québec et au Canada. Il s’ouvre sur un article de
Paola De Cuzzani qui s’attache à montrer que l’anthropologie de Spinoza s’établit sur
un « déplacement ». En tant que « partie de la Nature », l’homme perd le privilège
illusoire d’occuper une place particulière dans le dessein divin. Dès lors, il ne peut
prétendre à une connaissance complète de la nature, les catégories éthiques comme le
bien et le mal deviennent relatives, et sa puissance ne peut se déployer que sur le fond
de sa servitude. Cependant, l’inscription de l’homme dans la nature ne le condamne
pas à l’impuissance ; au contraire, l’homme, en vertu de son statut de mode, est
puissance de transformation de soi et du monde. Tandis que l’article de Bruce Baugh
s’efforce de montrer la cohérence de la théorie spinoziste du temps à partir de la
lecture qu’en fait Deleuze, celui de Steven Nadler aborde la question du rapport que
Spinoza entretient avec le rationalisme juif médiéval. Plus précisément, l’auteur se
propose de montrer que Spinoza, tout en s’attaquant à un type de théodicée très
présent dans la philosophie juive médiévale, n’opère pas pour autant de rupture
radicale avec ce courant. Sa conception du bonheur et de la connaissance est en effet
fortement influencée par sa lecture de Gersonide et Maïmonide. Il n’en demeure pas
moins que Spinoza nie l’immortalité de l’âme en interdisant par de multiples voies
(que l’auteur examine) de penser une individualité de l’âme après la mort. De son
côté, Jacques-Henri Gagnon repère dans la quatrième partie de l’Ethique une vaste
problématique qui s’articule autour de la question de l’akrasia dont il commence par
souligner l’importance dans toute éthique avant de montrer de quelle façon l’adop-
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tion par Spinoza de l’ordre géométrique impose un « régime de lecture » qui inter-
vient comme un remède à ce problème. Syliane Charles insiste ensuite sur « la joie
comme ressort du progrès éthique » chez Spinoza. L’auteur soutient la thèse selon
laquelle le deuxième et le troisième genre de connaissance ne sont qu’une même
connaissance, la seconde n’étant que la modification de la première. Cette hypothèse
présente des difficultés de l’aveu même de l’auteur, mais l’importance de la joie dans
la progression éthique en général invite à faire du troisième genre de connaissance
« l’expérience affective » du second. Rose Goetz fait, quant à elle, un sort à la « place
de l’éviction et de la fuite dans le perfectionnement éthique ». Si l’impératif d’écarter
la tristesse (tristitiam amovere) est constitutif du conatus et se manifeste dans la
destruction, l’évitement (amovere), l’abstention (abstinere) et l’expulsion (melan-
choliam expellere), il n’en demeure pas moins qu’il faut distinguer entre la fuite
aveugle et « la fuite opportune qui vaut une victoire ». L’article d’Andrea Zaninetti est
consacré à l’originalité de la conception spinoziste de l’imagination. Après avoir
montré que le mécanisme de projection imaginatif est « inconscient, différentiel et
clos », il établit que ce processus de projection est d’autant plus dangereux qu’il se
déploie dans les relations intersubjectives. Laurent Bove reprend certaines des
analyses qu’il a menées dans son livre La stratégie du conatus en montrant de quelle
façon l’étude de l’histoire de l’État hébreu dans le TTP, comme « auto-organisation
du corps collectif », a contribué à l’élaboration par Spinoza du concept de conatus.
722 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [VIII]

Toujours concernant le TTP, Jacqueline Lagrée s’intéresse à la « tradition hermé-


neutique » dont il relève et montre que Spinoza s’y appuie sur une distinction entre le
sens (vrai) et la vérité, qui apparaît dans la Logique de Clauberg avant d’être
transformée par L. Meyer. Spinoza, à la différence de Meyer, propose une méthode
d’interprétation de l’Écriture qui repose sur une exégèse linguistique et historique
conduisant à la bonne compréhension pour tous du sens vrai (qui doit suffire à la
pratique de la vertu et donc au salut) mais pas nécessairement à celle de la vérité.
Enfin, Elhanan Yakira a choisi d’adopter une perspective particulièrement originale,
puisqu’elle consiste à passer outre le quasi silence de Husserl à l’endroit de Spinoza
pour se demander pourquoi il n’a pas vu en lui un « précurseur de sa propre critique
du dualisme cartésien », et pour proposer une lecture de la philosophie spinoziste à
partir de la notion d’intentionnalité que pourtant elle rejette.
Cécile N-K et Frédéric M
3. 2. Vassili G et Aristote S (textes édités par) : « Spi-
noza : vers la liberté (Spinoza : eis tèn eleuthéria) », Axiologica, no spécial II, éditions
Exantas, Athènes. ¢ Ce numéro spécial rassemble les actes de la Journée Spinoza
organisée à l’Université Pantéion d’Athènes en mai 2000. La première partie, consa-
crée à la méthode, comporte trois études : « Traité de la Réforme de l’Entendement :
le préambule », où G. Vokos (Thessalonique) relit attentivement le fameux proemium
du TIE en le comparant au début de la Première Méditation de Descartes et à
l’Exemplar humanae vitae d’Uriel da Costa, pour souligner l’originalité de la
démarche spinozienne ; « Méthode et liberté », où Vassili Grigoropoulou (Athènes)
insiste sur la critique spinozienne du finalisme, de la téléologie et de la conception
cartésienne de la méthode, pour conclure en analysant la « libre nécessité » selon
Spinoza ; « Relativisme et normativité dans la philosophie politique de Spinoza », où
Yannis Prelorentzos (Ioannina) présente d’abord les principales thèses spinoziennes
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qui pourraient être interprétées comme allant vers un relativisme absolu, pour
montrer ensuite que chez Spinoza il existe en fait une normativité des valeurs
beaucoup plus rigoureuse que chez Montaigne ou Hobbes.
La deuxième partie concerne la politique. Dans « La notion de souveraineté
populaire chez Spinoza », Dimitris Kotroyannos (Univ. de Crète) analyse les notions
de souveraineté, pouvoir, droit, Etat dans les écrits politiques de Spinoza ; Aristote
Stilianou (Thessalonique) tente de combiner la conception spinoziste de la liberté
comme libre nécessité avec la définition de la démocratie comme « Etat absolument
absolu » (« Liberté et démocratie : l’absolu Spinoza ») ; dans « Statues, récompenses
et centurions : Spinoza et l’actualité », Akis Gavrilidis essaie de lire certains aspects
de l’actualité culturelle et politique à la lumière de certains passages des œuvres
politiques de Spinoza.
Enfin la troisième partie traite des débats de Spinoza avec d’autres penseurs.
Dans « Pantheismusstreit. La querelle du spinozisme dans l’Aufklärung alle-
mande », Dimitris Karydas présente la réception de Spinoza en Allemagne durant la
fameuse querelle du panthéisme, en insistant surtout sur la pensée de Jacobi ;
Giorgios Fourtounis (Thessalonique) dans « Immanence et structure », analyse les
rapports entre spinozisme et structuralisme, en se tenant surtout à l’œuvre de Louis
Althusser et en concluant sur l’idée d’un « spinozisme structuraliste » ; Panagiotis
Poulos (Univ. de Crète, Université ouverte de Patras) tente une comparaison entre le
[IX] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 723

philosophe de l’Ethique et l’écrivain de la Recherche (« Vérité et réflexivité : de


Spinoza à Proust et vice-versa ») ¢ en se fondant sur la conception spinoziste de la
vérité comme index sui et sur la conception du temps ; enfin Aristidis Baltas (Univ.
d’Athènes), sous le titre « Spinoza discute avec Wittgenstein. Mon âme est l’idée de
mon corps, ou comment le solipsisme s’identifie au réalisme », montre qu’une
discussion entre Spinoza et Wittgenstein est non seulement possible, mais tout à fait
utile et fructueuse quant à ses conséquences philosophiques.
3. 3. Jacqueline L (sous la direction de) : Spinoza et la norme, Presses
Universitaires Franc-Comtoises, Besançon, 139 p. ¢ Spinoza donne une fondation
rationnelle à un système dépourvu de normes universelles d’action. Cette position en
partie problématique est solidaire d’une nouvelle conception du droit. Comme on le
sait, Spinoza prend position contre la pensée hobbesienne déterminée par un passage
allant de l’état de nature (« animalité ») à la société civile (« humanité »). Spinoza
rejette fermement la distinction entre droit de nature et droit civil au profit du seul
droit naturel (TTP XVI ; TP III, 3 ; Lettre L) qui exprime la puissance (potentia) de
chaque individu. « Le droit naturel de la Nature entière et conséquemment de chaque
individu s’étend jusqu’où va sa puissance, et donc tout ce que fait un homme suivant
les lois de sa propre nature, il le fait en vertu d’un droit de nature souverain, et il a sur
la nature autant de droit qu’il a de puissance. » (TP II, 4) La libre expression de la
potentia multitudinis comme capacité d’affectabilité vise précisément à déjouer la
logique du pouvoir (potestas) exercé de l’extérieur sur les volontés.
Spinoza et la norme contient les actes d’un colloque organisé en mars 1998 à la
Sorbonne. Les auteurs interrogent cet aspect de la pensée spinoziste où les normes
universelles semblent laisser place à un strict relativisme des valeurs. Comme le
souligne Jacqueline Lagrée en présentation, le livre ne se donne pas comme « une
résolution définitive de la question mais bien comme un chantier ou plutôt un
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laboratoire de questions vives destiné à susciter d’autres mises à l’épreuve du système


spinozien dans son historicité comme dans sa pérenne actualité. » Les contributions
sont instructives à plusieurs niveaux. On rappelle, entre autres, que norma a une
signification intrumentale et désigne étymologiquement l’outil de mesure
(l’« équerre ») sans prétention universelle ou valeur dogmatique (B. Rousset, seule
communication non présentée au colloque de la Sorbonne). D’autres sections adop-
tent une perspective philologique. On remarque que les quatre occurrences du terme
norma dans l’Éthique concernent l’ « idée vraie » et non la question de l’agir pratique
(J.-M. Beyssade). Des conclusions similaires sont tirées de l’analyse des images et
notions communes (L. Vinciguerra). Une autre partie, finement menée, classifie les
différents types de normes (gnoséologique, ontologique, métaphysique, etc.) à
l’œuvre dans le Traité de la réforme de l’entendement (L. Hamlaoui). La différence
entre lois descriptives et règles normatives fait également l’objet d’une étude
(O. Nachtomy). Une place importante est réservée au caractère proprement affirma-
tif du relativisme spinoziste qui soutient le caractère auto-poétique du vivant. Une
contribution aborde ainsi la définition spinoziste des corps par leur capacité d’affec-
tabilité (F. Barbaras), tandis qu’une autre tisse des rapports éclairants entre la norme
immanente spinoziste et la définition par Canguilhem de la santé comme « possibilité
de tolérer des infractions à la norme habituelle et d’instituer des normes nouvelles »
(G. Le Blanc et P. Sévérac). Un développement concerne l’incontournable exigence
724 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [X]

de la norme qui peut cependant être conçue soit comme devoir à accomplir (trans-
cendance, absolu) soit comme pouvoir à réaliser en fonction de ce qui est bon pour un
rapport particulier (J. Lagrée).
Cet ouvrage stimulant soulève plus de questions qu’il n’en résout. Mais c’est la
nature même de cette forme de publication que de ne pas prétendre à l’exhaustivité
et de ne pas soutenir de thèse directrice. Le travail consiste plutôt à explorer sous
plusieurs angles le thème de la norme chez Spinoza en utilisant les sources les plus
variées du corpus. À cet égard, il serait facile de critiquer l’absence de certaines
perspectives. Mais il demeure impossible de les couvrir toutes. Nous soulignons
simplement la pertinence d’un tel ouvrage pour le contexte contemporain en rappe-
lant, par exemple, que le débat entre le projet de définition des normes universelles
d’action par Habermas et l’élaboration d’une éthopoétique de l’existence par le
dernier Foucault demeure ouvert. L’avantage de Spinoza semble ici résider dans sa
capacité à maintenir l’exigence de la norme et à favoriser la libre expression de la
potentia multitudinis en pensant « l’immanence de la norme », un principe para-
doxal, mais en apparence seulement, que l’ouvrage dirigé par Jacqueline Lagrée
contribue à démystifier.
Alain B
3. 4. North American Spinoza Society : NASS Monograph 10. ¢ Ce numéro
contient : Jeffrey Bernstein : « The Ethics of Spinoza’s Physics » (p. 3-19) ; Lee Rice :
« Comments on Jeffrey Bernstein » (p. 20-31) ; Fokke Akkerman : « Divine Law and
the Right of the State : Against a Textual Conjecture in the TTP » (p. 32-36) ; Igor
Kaufman : « Spinoza Studies in Russia » (p. 37-47).
3. 5. Gideon S and Yirmiyahu Y (edited by) : Spinoza, « The Interna-
tional Library of Critical Essays in the History of Philosophy », Ashgate, Aldershot,
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502 p. ¢ Cette collection a pour but de présenter les meilleurs articles parus en anglais
dans le domaine de l’histoire de la philosophie. Consacré à Spinoza, le présent volume
est ainsi une véritable somme de 25 articles (dus à 23 auteurs), déjà publiés entre 1971
et 2000. En suivant la structure de la première partie de l’Ethique, les premiers textes
(R. Aquila, M. Della Rocca, M. Kulstad, H. Zellner, E. Giancotti) mettent l’accent sur
des thèmes métaphysiques centraux : monisme, ontologie de la substance, attributs
et modes, causalité et sens du déterminisme. Une deuxième partie traite de problè-
mes relatifs à la théorie de la connaissance : théorie des idées, genres de connaissance,
concepts de vérité et d’erreur, avec des contributions de D. Radner, A. Matheron, E.
Curley, J. Bennett, Y. Yovel, S. Carr. La troisième partie est consacrée à l’anthropo-
logie et à l’éthique (C. Jarrett, L. Rice, H. Ravven, G. Segal, A. Collier, W. Frankena).
La quatrième partie traite du salut et de l’éternité de l’esprit (H. De Dijn, J. Thomas
Cook, E. Harris). Enfin, une dernière partie comporte deux articles sur la religion et
la politique (Y. Yovel et M. Rosenthal) ; cet ensemble est plus bref, reflétant proba-
blement par là le moindre nombre d’études consacrées à ces questions dans cet
univers de recherche. Par ce recueil (superbement relié), l’éditeur rend facilement
accessibles (sous réserve du prix : 100 £) des articles qui ont compté dans la
constitution de différentes problématiques et qui continuent pour la plupart à
alimenter bien des débats.
Henri L
[XI] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 725

4. Vie, sources, milieu culturel

4. 1. Heidi M. R and Lenn E. G (edited by) : Jewish themes in


Spinoza’s philosophy, State University of New York Press, Albany, 290 p. ¢ Si
l’attitude des penseurs juifs à l’égard de Spinoza a permis de repérer des rapports et
bien des clivages dans l’histoire, il a été moins question, en revanche, de préciser ce
qui est ou n’est pas juif dans la philosophie de Spinoza. Or c’est à cela que s’attache
le présent volume. Après une première partie où les deux éditeurs posent un cadre
théorique, les essais suivants explorent les idées philosophiques de Spinoza du point
de vue de la métaphysique (deuxième partie), puis de la théologie et de l’épistémo-
logie (troisième partie) ; ils s’interrogent sur les accords ou les désaccords de ces idées
avec le dispositif des sources, traditions et thèmes juifs. Ainsi, pour L. Goodman
Spinoza rapproche et porte à leur épanouissement les mouvements parallèles qui
travaillent le monothéisme juif et le monisme philosophique de l’Occident (« What
does Spinoza’s Ethics contribution to jewish philosophy ? », p. 17-89) ; Lee Rice
suggère que certaines idées de Spinoza au sujet de l’immanence du divin (notamment
dans la connaissance du troisième genre et l’amour intellectuel de Dieu) sont des
élaborations philosophiques d’anciennes conceptions religieuses juives (« Love of
God in Spinoza », p. 93-106) ; Warren Zev Harvey soutient que Spinoza a trouvé dans
le langage hébraïque de quoi penser les différentes catégories de sa métaphysique et
de son éthique (« Spinoza’s metaphysical hebraism », p. 107-114) ; Kenneth Seeskin,
cependant, fait entendre une note de prudence, en rappelant que, par le refus de la
création du monde et par l’affirmation de son éternité, Spinoza a rejeté un point
essentiel du monothéisme juif (« Maimonides, Spinoza and the concept of creation »,
p. 115-130) ; Warren Montag contribue au même débat à partir du rapport de Spinoza
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à la Kabbale (« ‘That hebrew word’ : Spinoza and the concept of the Shekhinah »,
p. 131-144) ; Edwin Curley évalue la réponse de Spinoza à la théodicée de Maïmonide,
dans ses ressemblances et dans ses ruptures (« Maimonides, Spinoza, and the Book of
Job », p. 147-186) ; H. Ravven considère la fonction sociale de l’imagination à la fois
dans le TTP et dans l’Ethique (« Spinoza’s rupture with Tradition. His hints of a
jewish modernity », p. 187-223) ; M. Rosenthal montre que la République des
Hébreux a un statut de modèle explicatif pour les Pays-Bas (« Why Spinoza chose the
Hebrews : the exemplary fonction of prophecy in the Theological-Political Trea-
tise », p. 225-260). Enfin, dans un dernier essai (quatrième et dernière partie),
Richard Popkin entend faire passer du mythe à la réalité à propos de l’excommuni-
cation de Spinoza : celle-ci fut un événement mineur pour Spinoza qui ne s’en
préoccupa guère, et compta également peu à l’intérieur de la communauté juive, mais
on en fit ensuite des dramatisations, on imagina beaucoup en extrapolant à partir
d’autres cas ; elle eut en fait un effet bénéfique pour Spinoza, qui trouva par là une
entière liberté de publier (« Spinoza’s excommunication », p. 263-279). Il ressort, au
terme de ce volume fort riche, que Spinoza a opéré une reconstruction radicale des
idées juives dans le sens d’une ouverture vers une redécouverte morale et intellec-
tuelle plénière ; son anthropologie philosophique reflète la compréhension biblique
et juive de la personne humaine dans sa dimension faillible certes, mais non condam-
née par quelque doctrine du péché originel, dans une tension entre perfection et
726 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XII]

imperfection ; son éthique exprime l’insistance de la Torah sur la distance infinie


entre l’humain et le divin tout en découvrant du divin en chaque être humain. Sous
des aspects majeurs, la philosophie de Spinoza est une philosophie juive, mais de
manière indirecte et non parce que celui-ci aurait voulu développer un nouveau
judaïsme ; quoi qu’il en soit de ses rapports avec la Synagogue, et en dépit de ses
attentes déçues quant à la possibilité d’opérer une synthèse entre la loi de Moïse et ses
propres orientations philosophiques, Spinoza a fait un choix fondamental, qui peut
être appelé, de manière significative, un « choix juif » (p. 16).
Henri L

5. Études du système ou de parties du système

5. 1. Laurent B : La Strategia del conatus. Affermazione e resistenza


in Spinoza. Traduction par Filippo del Lucchese, Ghibli, Milano. ¢ Traduction
italienne de l’ouvrage de Laurent Bove paru en français en 1996 ; préface de Toni
Negri.
5. 2. Vincent C : « Ratio seu causa : Spinoza », in Causa sive ratio. La
raison de la cause, de Suarez à Leibniz, PUF, coll. « Epiméthée », Paris, p. 295-341.
5. 3. Giuseppe D’A : Uno intuitu videre. Sull’ultimo genere di conoscenza in
Spinoza, préface de Piero Di Vona, Edizioni Ghibli, Milano, 229 p. ¢ La théorie des
relations est l’un des thèmes les plus importants et stimulants pour qui veut inter-
préter Spinoza. Partant de cette considération, D’Anna trace un parcours analytique
qui prend pour objet le troisième genre de connaissance, en faisant appel principa-
lement au Court traité (dans le chapitre I), au Tractatus de intellectus emendatione
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(dans le chapitre II) et enfin à l’Ethique et au Traité théologico-politique. La thèse


défendue revient à montrer comment l’ontologie fonde la gnoséologie. L’immédia-
teté ontologique de la substance (dans l’articulation des attributs et des modes) fonde
l’immédiateté gnoséologique et intuitive du troisième genre. L’articulation spino-
zienne des trois genres implique la distinction entre la rationalité comme modalité
déductive de la connaissance, d’une part, et la science intuitive comme modalité
relationnelle, de l’autre. La substance est présentée, selon D’Anna comme une
« complexité originaire et indivisible où la transcendance divine est préservée quant
aux attributs et aux modes grâce aux différences d’ordre ontologique » (p. 13). En
outre, l’imagination est conçue exclusivement comme une source d’erreur et de
connaissance incertaine et changeante. Ce n’est qu’en s’élevant vers le « fondement »
ontologique que l’homme accède à une connaissance sûre et stable. Ceci révèle, en
outre, le noyau du projet philosophique de Spinoza : élaborer une anthropologie
éthique (le salut et la béatitude) qui soit fondée ontologiquement.
Filippo D L
5. 4. Gilles D : O Spinoza kai to problema tès ekphrases, traduction par
Photis Stiatitsas, Ekdoseis Kritiki, Athènes. ¢ Traduction grecque de Spinoza et le
problème de l’expression, préface d’Aristote Stilianou.
[XIII] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 727

5. 5. Paola G : L’interpretazione dell’immaginario. Uno studio in Spinoza,


ETS, Pisa, 192 p. ¢ L’ouvrage de Paola Grassi se propose d’insérer le discours
spinozien sur l’imagination dans une perspective plus ample, celle de la notion
contemporaine d’imaginaire, au sens spécifique que lui donne la réflexion de Paul
Ricœur. A travers une analyse soignée, l’auteur met donc en lumière le dialogue
privilégié que Ricœur n’a cessé d’entretenir avec la philosophie spinozienne. Avant
Freud, Nietzsche et Marx, les trois célèbres maîtres du soupçon, Spinoza, selon le
philosophe français, a dressé « face à l’illusion, à la fonction fabulatrice, [...] la rude
discipline de la nécessité ». La leçon de Spinoza est la suivante : « On se découvre
d’abord esclave, on comprend son esclavage, on se retrouve libre dans la nécessité
comprise. L’Ethique est le premier modèle de cette ascèse que doit traverser la
libido, la Volonté de Puissance, l’impérialisme de classe dominante. » (R, De
l’interprétation, p. 46). C’est précisément à la pointe de cette lecture que se place la
réévaluation d’un aspect fondamental de la pensée spinozienne, la question du
troisième genre de connaissance, lu comme « paradigme de la réunion avec un soi
originaire, et l’interprétation de la gnoséologie spinozienne comme paradigme d’une
éthique qui correspond à l’adhésion progressive de l’homme à sa propre condition
ontologique, laquelle s’identifie à la tension spécifique ¢ le conatus spinozien ¢ vers la
nouvelle appropriation de soi » (p. 54-55). La connaissance est donc simultanément la
construction d’une vie éthique « interprétable comme l’immersion progressive du
sujet ¢ qui imagine, se rappelle, connaît, agit ¢ dans l’humus vital de l’affectivité »
(p. 70), comme l’immersion du sujet dans cet imaginaire dont les différentes figures
(fiction, préjudice, imagination, présages, fantômes et prophéties, où l’analyse met en
jeu le rapport entre Spinoza et le judaïsme) sont décrites d’un point de vue analytique
dans les chapitres centraux du livre. Alors que l’individu de Descartes va vers ses
propres possibilités existentielles en croyant qu’il est en mesure de les maîtriser,
« l’individu de Spinoza [...] s’ouvre au possible de son propre vécu existentiel à
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l’intérieur même, au cœur du déterminisme ; il sait, il prend progressivement


conscience, qu’il ne peut, d’un point de vue structurel, gouverner aucune détermi-
nation » (p. 186-187). Comme Ricœur le synthétise parfaitement, « la perte des
illusions de la conscience est la condition de chaque nouvelle appropriation du sujet
réel » (Le conflit des interprétations, p. 259). Pour conclure, il pourrait être intéres-
sant de se demander, et la question s’adresse davantage à Ricœur qu’à l’auteur, si la
notion de nouvelle appropriation de soi a du sens chez Spinoza, dès lors que le sujet
spinozien n’est pas un soi originaire : la trame du sujet de l’imaginaire, ou aussi sujet
assujetti à l’imaginaire, me semble entièrement tissée avec les fils de l’altérité. En ce
sens, l’expression « construction de soi » paraît plus appropriée pour décrire le
passage, dans la trame originairement « transindividuelle » des passions, de la passi-
vité à l’activité de l’individu, c’est-à-dire à la possibilité d’être une cause adéquate de
ses propres actions.
Vittorio M

5. 6. Henri L : « La liberté de parole, sagesse pratique du politique dans le


chapitre XX du Traité Théologico-Politique de Spinoza », in Le philosophe, le sage
et le politique. De Machiavel aux Lumières, Actes du Colloque du 10 et 11 mai 2000,
organisé par la Faculté de Philosophie d’Amiens, Université de Picardie Jules Verne,
728 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XIV]

sous la direction de Laurent Bove et Colas Duflo, Publications de l’Université de


Saint-Etienne, p. 145-155.
5. 7. Piero M : La religione di Spinoza. Quattro saggi, a cura di
Amedeo Vigorelli, Edizioni Ghibli, Milano, 167 p. ¢ Piero Martinetti (1872-1943) a
été l’un des maîtres de l’idéalisme italien ; adversaire de l’orientation immanentiste
de Croce et Gentile, il a été le promoteur d’une ouverture de la philosophie à la
problématique religieuse, mais sans jamais adhérer à une Église. Il fut au contraire
fortement critiqué par la hiérarchie catholique et par le fascisme. Il fut en effet le seul
philosophe italien à refuser le serment de fidélité au régime, imposé aux professeurs
en 1931, renonçant ainsi à l’enseignement universitaire. Le texte présenté ici recueille
quatre essais sur Spinoza édités par Amedeo Vigorelli, qui est aussi l’auteur d’une
introduction très détaillée intitulée « Spinoza mistico della ragione » (« Spinoza,
mystique de la raison »). Ces essais traitent de « la doctrine de la connaissance et de la
méthode en philosophie chez Spinoza, de « la doctrine de la liberté chez Spinoza »,
des « modes primitifs et dérivés, infinis et finis », et enfin des « problèmes religieux
dans la philosophie de Spinoza ». Ce dernier est peut-être le plus radical, comme le
montrent les premières lignes : « La philosophie religieuse de Spinoza se connecte
étroitement avec sa philosophie politique. Si, en fait, d’un côté, la vie sociale tout
entière et le droit ont leur fin dans la possibilité d’une vie spirituelle au sein de la
société, qui est, dans son accomplissement, vie religieuse, religion philosophique,
d’un autre côté ce que Spinoza appelle plus exactement religion, voire la révélation
historique avec tout son cortège de mythes, de préceptes et de ritualités, cela n’est
qu’une extension et un approfondissement de la vie du droit et de l’État ».
Paola G
5. 8. Henri M : Spinoza, poème de la pensée, Maisonneuve et Larose,
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Paris. 312 p. ¢ Ce livre sur le langage de Spinoza, par un poète et traducteur renommé,
est une occasion manquée. Il veut « faire entendre l’ordre du langage chez Spinoza, et
par Spinoza » (53), mais son projet, pourtant pertinent, reste malheureusement faible
et fragmentaire. La plus grande partie du livre se perd dans des polémiques acides et
interminables contre des chercheurs qui, selon Meschonnic, n’ont rien compris à
Spinoza. L’auteur vise essentiellement la réception de Spinoza en France, et
d’ailleurs de façon aléatoire (à noter l’absence de Gueroult) ; pour l’étranger, il se
limite à quelques commentateurs choisis au hasard. Le dernier chapitre, intitulé
« Poétique de la pensée : le latin de Spinoza », long de cent pages, n’en vient au fait
qu’aux trois quarts de son développement et n’offre alors que quelques aperçus
(276), un travail fragmentaire (284), toujours interrompu par des polémiques. On
aurait souhaité que l’auteur consacre le livre entier à l’élaboration des thèses effleu-
rées ici. Dans leur état actuel, ses analyses rudimentaires, et quelquefois défectueu-
ses, promettent, mais ne convainquent pas. Sa lecture originale du latin, qui croit
reconnaître dans le langage même des éléments constitutifs de la pensée de Spinoza
(par exemple son usage du passif avec igitur, lu comme indicatif du rapport du sujet
à la Substance, 285) reste excessivement théorique. « Qui n’a pas son Spinoza ? »,
pour citer la question railleuse de l’auteur lui-même (32).
Meschonnic s’occupe du latin de Spinoza, et cette approche est aussi rare que
précieuse. Il regarde et ¢ mieux encore ¢ écoute les textes de façon souvent perspicace
[XV] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 729

et innovatrice. Son exploration de l’écriture de Spinoza ouvre parfois des perspecti-


ves surprenantes, surtout vers la fin du livre. Il critique à juste titre une lecture
« philosophique » des textes en traduction, qui suppose une communication directe
et transparente entre les esprits (104, 113), hors des langues (282). Néanmoins, les
fondements de sa propre lecture de Spinoza sont peu solides. Il considère la philolo-
gie (philologue est pris « au sens de Socrate », 132 : « celui de la discussion », 197)
comme une attitude philosophique, plutôt que comme un métier. Il ignore les études
principales sur le latin de Spinoza, celles du grand poète et philologue J.H. Leopold,
ou de F. Akkerman (dont il ne cite que deux articles parus en français). Sa négligence
de la philologie entraîne une confiance naïve dans les éditions : il croit que celle de
Gebhardt donne les textes originaux de Spinoza dans tous leurs détails. Ainsi, il
prend les inclusions en néerlandais (91, 210) et en français (212) insérées par
Gebhardt pour des leçons authentiques. Même le latin du TTP, dont il a eu sous les
yeux la nouvelle et très bonne édition établie par Akkerman (car il cite à plusieurs
reprises la traduction de Lagrée et Moreau qui se trouve en vis-à-vis), est toujours pris
dans l’édition de Gebhardt. La ponctuation mécanique du typographe (et non de
Spinoza), reproduite de façon plus ou moins fidèle par Gebhardt, lui sert de point de
repère pour ses propres traductions « prosodiques », et il considère les majuscules
(dues au typographe) comme une prosodie visuelle provenant de Spinoza même (280,
287). Meschonnic reprend la terminologie philologique de lectio facilior et diffici-
lior (11, 22, 131, 197) sans la comprendre : lectio n’est pas « lecture » (interprétation)
mais « leçon » (variante).
Les citations et traductions des langues étrangères sont gâtées par nombre de
bévues (p. ex. italien 181n ; néerlandais 91, 181n ; allemand 197n ; latin 252), ce qui
est plutôt embarrassant dans un tel livre. L’erreur la plus grave en effet ébranle sa
caractéristique du latin de Spinoza. Selon lui, « Spinoza écrit en latin contre l’usage,
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en forçant la langue, volontairement » (264). Pour étayer cette fausse assertion, il cite
un seul passage : « infinitam existendi, sive, invitâ latinitate, essendi fruitionem »
(lettre 12 ; Gebhardt IV, 55). En adoptant une suggestion de P. Wienpahl, Meschon-
nic commente : « contre le gré du latin. Puisqu’en latin esse n’a pas la valeur d’exis-
ter » ; ce pourrait être un hébraïsme. Mais il n’en est rien : esse se trouve déjà dans ce
sens chez Cicéron. Par l’expression invitâ latinitate Spinoza s’excuse du barbarisme
tardif essendi : en latin classique le verbe esse n’a pas de gérondif. C’est donc à juste
titre qu’Appuhn (blâmé dans la note 129) n’a pas traduit cette tournure, car la pierre
d’achoppement ne réside que dans la forme latine, et disparaît en français.
Meschonnic offre presque partout ses propres versions françaises des passages
latins qu’il cite. Malgré sa critique caustique des autres traducteurs, il n’apporte pas
d’amélioration (je laisse le jugement de la qualité littéraire et de la lisibilité aux
lecteurs français). Il est vrai qu’il existe « une sémantique de position » (111, 192,
273), que les traductions de Meschonnic visent à respecter. Mais dans le latin, langue
flexionnelle où l’ordre des mots est libre, un arrangement donné a une fonction et un
effet nettement différents du « même » ordre en français. Il serait pourtant intéres-
sant de voir un spécimen plus étendu d’une traduction de Spinoza par Meschonnic,
parce qu’il est difficile d’en juger à partir de fragments.
Je me suis limité ici aux aspects philologiques, mais les observations de Meschon-
nic sur le latin de Spinoza, ainsi que sa critique des spécialistes, s’inscrivent dans une
730 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XVI]

théorie du langage beaucoup plus vaste, qui traite la pensée comme un poème (198).
Il s’agit d’un combat (197, 296). L’ennemi, c’est le signe, le discontinu, la culture
grecque-chrétienne du langage (119). Spinoza y est trahi par les commentateurs
(236), et les traducteurs « sont des membres du maintien de l’ordre » (300). A côté de
cette urgence dramatique à outrance, la philologie paraîtra fade.
Piet S
5. 9. Vittorio M : Incursioni spinoziste, Mimesis, Milano, 210 p. ¢ Le
compte rendu de cet ouvrage sera publié dans le prochain bulletin.
5. 10. Steven B. S : « A fool for love : thoughts on I.B. Singer’s Spinoza »,
Iyyun, 51, p. 41-50.
5. 11. Ariel S : « La vertu politique d’Hannibal », in Le Philosophe, le sage
et le politique. De Machiavel aux Lumières, Actes du Colloque du 10 et 11 mai 2000,
organisé par la Faculté de Philosophie d’Amiens, Université de Picardie Jules Verne,
sous la direction de Laurent Bove et Colas Duflo, Publications de l’Université de
Saint-Etienne, p. 123-144.
5. 12. Lorenzo V : Spinoza, Hachette, Paris, 192 p. ¢ Selon le principe
de la collection, cet ouvrage est une présentation de Spinoza plus directement
destinée au premier cycle des études universitaires. Après une introduction qui
expose la thématique des œuvres, l’auteur propose un beau choix de textes, briève-
ment introduits et commentés : 1. Vie et philosophie (vivre en philosophe ; la critique
des préjugés). 2. Science et nature (vérité et méthode ; puissance et nécessité). 3.
Corps et âme (la pensée du corps ; la nature de la raison). 4. Affections et affects
(l’imagination ; les affects et leurs lois). 5. Libération et liberté (religion et politique ;
le salut et la béatitude). A chaque texte correspond donc une présentation qui en
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donne les clés de compréhension de manière précise et actuelle ; l’œuvre spinoziste


est ainsi traversée à partir de notions et questions principales. On ne peut que
recommander cette introduction très vivante à Spinoza.
Henri L
5. 13. François Z : Spinoza. Une Physique de la Pensée, Presses
Universitaires de France (« Philosophie d’aujourd’hui »), Paris, 275 p. ¢ Comme
l’indique clairement son titre, le but de cet ouvrage est de mettre en évidence et
d’analyser une « physique de la pensée » dans la philosophie de Spinoza. Il s’agit, en
d’autres termes, de prendre au sérieux le « parallélisme » des attributs, et de se
demander s’il y a chez Spinoza des lois des pensées qui répondraient aux lois des
corps, et qui pour autant ne seraient pas de simples « décalques idéels » ou de simples
« transpositions métaphoriques » du « devenir des corps » (10). Le premier compli-
ment qu’on doit adresser à ce livre est donc d’avoir su repérer, et choisi d’affronter,
une question particulièrement difficile, centrale et intéressante dans le système, et
cependant évitée par la plupart des commentateurs comme s’ils rencontraient là un
impossible défi à la conceptualisation : car, on le voit, pour que le parallélisme
spinoziste ne soit pas vide de signification, il faut à la fois que les lois de la pensée
soient exactement ajustées à celles de l’étendue, et qu’elles demeurent pourtant aussi
distinctes les unes des autres que le sont les attributs eux-mêmes.
[XVII] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 731

La mise en évidence d’une « physique » spinoziste « de la pensée » inscrit l’inter-


prétation ici proposée, de façon originale, dans la lignée prestigieuse des lectures
« matérialistes » de Spinoza. L’A. repousse sans doute, dans sa propre lecture, le
« matérialisme vulgaire simple » selon lequel « il n’y aurait que de la matière », et où
« l’âme même et les idées seraient des corps » (113) ; il rejette de même un « matéria-
lisme vulgaire sophistiqué » qui consisterait à replier les lois de la pensée sur les lois
de l’étendue, et à instaurer des rapports « d’ordre mécanique » entre les idées (114) ;
mais c’est pour mieux faire apparaître, chez Spinoza, un « matérialisme intégral »
(ibid.), « qui n’accorderait pas de primat à la matière comprise comme étendue, mais
ferait apparaître les attributs comme autant de matières pour des formations et des
transformations d’un certain genre, toutes ces matières s’avérant par ailleurs identi-
ques les unes aux autres » (ibid.).
On voit ici l’originalité et la complexité de la thèse générale de l’ouvrage : le
spinozisme devrait être lu comme un « matérialisme intégral » précisément et para-
doxalement parce qu’il aurait développé au plus haut point une doctrine originale
de la « formation » et de la « transformation », c’est-à-dire au fond une doctrine
originale de la forme. Et c’est un des nombreux mérites de l’ouvrage que d’attirer
l’attention des lecteurs de Spinoza sur cette notion de « forme » et son omniprésence
dans le système. Le premier chapitre, ainsi, montre comment Spinoza élabore
un « nouveau concept de forme » en réponse aux apories cartésiennes, et, plus
généralement, mécanistes, concernant aussi bien l’identité d’un individu défini
selon la configuration de ses parties, que la question de la « conservation » de
l’individu, cette « force » ou ce conatus que Spinoza préfèrera, comme Leibniz,
à l’étendue inerte imputée à Descartes. Ces thèses sont développées dans les
chapitres 2 et 3, qui détaillent ce que Spinoza entend par « forme d’un corps » (pour
préparer le lecteur à comprendre plus tard ce que sera la « forme d’une pensée »). Le
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chapitre 2 montre l’évolution de la doctrine spinoziste de la « forme », du Court


Traité (rapport entre le mouvement et le repos) à l’Éthique (rapport de mouvement
et de repos entre les parties). Pour Spinoza, il s’agit de s’éloigner toujours plus de la
conception cartésienne selon laquelle les modifications des parties d’un individu en
compromettraient l’identité, et de soutenir au contraire, avec une force sans cesse
accrue, que le renouvellement perpétuel des parties du corps est la condition d’une
telle identité (68). Mais inversement, l’absence de garant extérieur à l’unité et à
l’identité du corps rend celui extrêmement instable : l’A. fait remarquer fort juste-
ment chez Spinoza ce qu’il appelle « un raidissement sur le principe de non-
contradiction » (84), qui pousse Spinoza, par exemple, à considérer que celui qui
perd la vue n’est plus le même que lorsqu’il y voyait (voir 130-131). Si bien que le
« nouveau concept de forme », qui semblait dans un premier temps en mesure de
résoudre l’instabilité identitaire caractéristique du mécanisme par l’accueil fait à de
nombreuses « transformations », se révèle introduire au contraire un déséquilibre ou
une instabilité structurels et inquiétants dans la conception spinoziste des individus.
C’est ce que montrent les belles pages (90 et suiv.) consacrées à l’analyse de la
question de la « maladie » chez Spinoza. Il n’y est plus question de « transitions » ou
de « dégradations » d’un état sain, mais bel et bien de ruptures, de substitutions, de
métamorphoses : « la maladie n’est pas autre chose que l’état d’un malade qui porte
la mort en lui, c’est-à-dire aussi bien : qui porte en lui un autre vivant, viable ou non,
732 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XVIII]

contraire à lui » (91 : thèmes repris et développés dans les deux derniers chapitres du
livre).
La question proprement dite de la « physique de la pensée » est abordée au
chapitre 4 (« qu’est-ce qu’une physique de la pensée ? »). De cette « physique cogita-
tive » (115, 149), ce chapitre ne propose cependant que des « linéaments » (126). Sur
la plupart des thèmes abordés (« statut de l’idée infinie », « rapport de l’essence et de
l’existence », « identité réelle de l’idée et de son objet », « possibilité des transforma-
tions mentales », « statut de la sensation », et « unité de l’esprit »), les analyses,
quoique riches et approfondies, semblent en effet buter sans cesse sur des difficultés,
et ne progresser que malaisément. Le chapitre 5 (« parler le spinozien ») vient alors
rendre compte de ces difficultés, et les lever dans la mesure du possible. Appuyé sur
une lecture puissante du Traité de la Réforme de l’Entendement, dans laquelle est
redonnée toute sa force au fait (oublié à force d’être trop connu) que Spinoza y part
d’une « idée vraie », ce chapitre définit enfin la « physique cogitative » comme
« méthode », « selon la signification nouvelle et rigoureuse que Spinoza donne à ce
terme : étude formelle de l’idée » (164). La difficulté est que cette « physique
cogitative », bien que développée « fort avant » par Spinoza (165), reste quasi incom-
préhensible dans la mesure où il l’exprime dans une « langue étrange » (ibid.) qui est
à la fois logique formelle et ontologie : « car parler de la forme de l’idée, c’est parler de
l’idée même, autrement dit de la chose » (ibid.). De là qu’il faudrait apprendre à
« parler spinozien ». Ce chapitre, très intéressant, est celui dans lequel la position
deleuzienne de l’A. se fait le plus sentir, non seulement dans le vocabulaire (depuis le
« survol » de la p. 150, jusqu’aux innombrables « plans » ¢165, 166, 180, 182, etc.),
mais dans la méthode même. Il s’agit de parvenir à une empathie, à une familiarité,
avec le philosophe : c’est pour cela qu’on doit « apprendre sa langue », et surtout pas
« le traduire dans un langage commun » (165 n). Il y aurait là sans doute débat à
engager sur la nature même de l’histoire de la philosophie. Mais il n’est évidemment
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pas nécessaire d’être d’accord sur tout pour reconnaître à un livre, comme on doit
sans aucun doute le faire ici, les plus grandes qualités et le plus haut intérêt.
Charles R
5. 14. François Z : Le conservatisme paradoxal de Spinoza ¢
Enfance et Royauté, Presses Universitaires de France (« Pratiques Théoriques »),
Paris, 271 p. ¢ Publiés la même année et chez le même éditeur, les deux ouvrages de
F. Zourabichvili (cf. compte rendu précédent) sont en réalité deux volets complé-
mentaires d’une grande enquête philosophique sur la notion de « transformation ».
Mais, tandis que le premier ouvrage s’attachait surtout au traitement spinozien des
notions de « forme » et de « réalité formelle » dans la perspective d’une « physique de
la pensée », et concernait donc principalement les plans de l’être et de la connais-
sance, celui-ci aborde la question de la « transformation » d’un point de vue plutôt
anthropologique et politique.
On retrouve dans cet ouvrage la même qualité d’attaque que dans le précédent :
un problème véritablement central pour une philosophie est mis en évidence et
abordé sous un angle à la fois original et naturel. Le problème de la « transforma-
tion », en effet, est particulièrement aigu chez Spinoza (31), puisque l’éthique et la
politique consistent à transformer des comportements au moment même où la raison
qui les soutient reconnaît que chaque chose singulière « persévère dans son être » : si
[XIX] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 733

bien que, historiquement, ont toujours coexisté des spinozismes « de gauche »,


insistant sur la transformation éthique et politique au point de voir en Spinoza un
théoricien de la « libération » ou de la révolution, et des spinozismes « de droite »,
insistant au contraire sur le nécessitarisme et le fixisme de la doctrine. Or, le pari
conceptuel lancé par l’A. est ici de montrer qu’on trouve dans le traitement spinozien
de la notion « d’enfance » le moyen d’échapper à un tel type de dilemme, et de
produire une conception originale et viable du registre de la « transformation » chez
Spinoza (perfectionnement, réforme, mutation, changement, formation, apprentis-
sage, pédagogie, et croissance).
Associer une réflexion sur l’enfance et une réflexion sur la transformation, c’est
un geste au fond naturel : mais découvrir les deux et révéler leur lien au cœur même
de la philosophie de Spinoza était original et inattendu, tant aisément on se persuade
que l’enfance est pour Spinoza un objet de peu d’intérêt. Le livre de F. Zourabichvili
fait définitivement tomber un tel préjugé, en montrant la constance et l’originalité
des propositions spinozistes sur l’enfance, et renouvelle à ce titre véritablement notre
lecture de Spinoza. L’ouvrage se compose, non pas de trois « parties », mais de trois
« études », qui convergent toutes au foyer conceptuel de la « transformation » sans
pour autant constituer une démonstration unique. La première étude, consacrée à la
question de la « transition éthique » dans le Court Traité et dans le Traité de la
Réforme de l’Entendement, montre comment « le schéma traditionnel de la conver-
sion » est « repensé » (32) dans ces deux traités. Les thèmes classiques et à résonance
religieuse de la « deuxième naissance » ou de la « régénération » sont présents dans le
Court Traité, mais disparaîtront de l’Éthique, « bien qu’elle jette les linéaments
d’une logique du salut » (50). Le Traité de la Réforme de l’Entendement s’ouvre sur
le récit d’une « conversion » et sur l’évocation par Spinoza d’une « nature humaine
plus forte ». L’A. ne voit cependant pas là les marques d’un désir de « changement
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d’essence » (87), mais plutôt le retour d’une « position imaginaire de soi (essence
rêvée) » à sa « position naturelle (essence réelle) » (88). Tout en accordant beaucoup à
de telles analyses, je resterais néanmoins plus réservé, ici, sur le « conservatisme » de
Spinoza : car il y a dans ces textes, comme en V 39 et en bien d’autres passages, une
dimension prométhéenne et une aspiration moderne au dépassement de la finitude
humaine (comme dans la 6e partie du Discours de la Méthode) assez explicites, me
semble-t-il, pour devoir être entendues.
La « deuxième étude » (« L’image rectifiée de l’enfance ») constitue le cœur et le
meilleur de l’ouvrage. L’A. s’y attache à « rectifier » l’image que nous nous faisons de
l’enfance chez Spinoza, en montrant qu’il s’agit chez lui d’un thème rien moins que
« marginal » (91) et rien moins que banal (95 et suiv.). L’A. montre excellemment
comment Spinoza, conformément aux principes énoncés dans le Traité Politique
(« ne pas rire, ne pas déplorer, ne pas maudire, [...] mais comprendre »), évite sur
l’enfance aussi bien le discours de la « misère » que celui de la « pitié » ou de la
« privation » (117-124, 131) pour faire au contraire « de l’enfance et même de la petite
enfance la condition commune des hommes » (120), si bien que l’enfance devient
chez lui « l’enjeu principal de la philosophie » (124, 144). On ne s’étonne donc pas de
retrouver sous la plume de l’A., visiblement inspiré par le sujet, la fameuse formule
par laquelle Nietzsche avait résolu à sa façon la contradiction de toute « métamor-
phose » : « la philosophie », ainsi, n’a pas à « nous humilier en nous regardant comme
734 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XX]

de grands enfants », mais à nous apprendre « qu’il faut pour ainsi dire devenir
l’enfant que nous étions », etc. (127).
La « troisième étude » enfin (« puissance de Dieu et puissance des rois ») montre
comment la refonte spinoziste de la notion de « transformation » lui ouvre la voie « de
la critique et de la subversion de l’ordre théologico-politique » (32). À travers de très
suggestives analyses du Traité Politique (et notamment de VII 22) émerge peu à peu
la figure de la « multitude libre », que Spinoza semble avoir privilégiée en présentant
surtout des peuples en train de s’affranchir (257, 260). Et, autant Spinoza se montre
toujours méfiant et pessimiste devant les « révolutions », autant les guerres d’indé-
pendance, et « l’amnésie collective positive » qu’elles procurent au moins momenta-
nément (260) peuvent donner une idée de ce « conservatisme paradoxal », qui ne
consiste donc pas, bien évidemment, à « conserver ce qui existe » (car un tel conser-
vatisme n’aurait rien de paradoxal), mais à « faire exister ce qui se conserve » (262) :
une sorte de régénération ou de confirmation de soi de l’existant, donc, tirée par l’A.
dans les toutes dernières lignes de l’ouvrage vers l’idée de « création », sans doute
dans une perspective nietzschéenne ici peut-être un peu violente, mais qui ouvre les
yeux sur le texte et en rafraîchit l’approche, comme l’ensemble de cet excellent
ouvrage.
Charles R

6. Polémiques et influences. Philosophie comparée

6. 1. Henri A : La science est-elle inhumaine ? Essai sur la libre nécessité,


Bayard, Paris, 86 p. ¢ Sans appartenir proprement dit au champ des études spinozis-
tes, cet ouvrage est un bel exemple de ce que la pensée de Spinoza peut apporter à
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bien des champs de la réflexion contemporaine. L’auteur, biologiste réputé, connu


pour une réflexion philosophique marquée par son rapport à Spinoza, s’intéresse
directement à la question de la liberté. Comment comprendre la liberté alors que les
mécanismes observés au niveau endocrinien montrent que certains de nos compor-
tements, de nos pensées, de nos sentiments sont déterminés par des phénomènes
biologiques de toutes sortes ? Sans rallier pour autant les philosophies du soupçon et
Foucault à leur suite, l’auteur propose de ne pas s’accrocher de manière stérile à un
libre arbitre dont le champ se rétrécit de plus en plus et de ne pas craindre la réalité
d’un déterminisme absolu. Il nous faut apprendre comment nous sommes responsa-
bles de ce que nous sommes et faisons alors même que nous y sommes déterminés.
On retrouve l’héritage spinoziste, qui entend fonder une éthique de la responsabilité
et de la liberté et peut nous aider à « retrouver une autre façon de penser la liberté,
qui soit plus en accord avec les avancées actuelles de la biologie et des sciences
humaines » (p. 28). Si nous ne pouvons pas agir sur les choses de manière arbitraire,
nous pouvons devenir de plus en plus conscients de nos actes et progresser dans leur
compréhension ; il n’y a nulle résignation en cela, mais au contraire une expérience
de la libre nécessité qui coïncide avec « une intense activité de notre esprit et de notre
corps » (p. 40). L’enjeu est celui d’une vraie liberté, « asymptotique », « sur l’horizon
d’une connaissance infinie des choses, des autres et de soi » (p. 38), déterminée de
manière interne à partir des idées adéquates. Sur ce « fond spinoziste », l’auteur
[XXI] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 735

reprend ensuite la question de la responsabilité (entre déterminisme absolu et liberté


sans libre arbitre) pour réfléchir à un certain nombre de problèmes contemporains
qui rencontrent la question du droit (culpabilité et responsabilité, crimes perpétrés
par des malades mentaux et expertise psychiatrique, problèmes d’éthique posés par
les bio-technologies).
Henri L

6. 2. André C : « Nature, raison, moralité dans Spinoza et Rousseau »,


Revue de Métaphysique et de Morale, (3), p. 411-426.
6. 3. Jacqueline L : « Théologie et tolérance : Louis Meyer et Spinoza »,
Revue de théologie et de philosophie, 134, p. 15-28.
6. 4. Olivier L C G : Haine(s), Philosophie et politique,
avant-propos d’Etienne Balibar, PUF, collection « Politique d’aujourd’hui », Paris,
303 p. ¢ Un compte rendu de cet ouvrage sera publié dans le prochain bulletin.
6. 5. Frédéric L, La politique du capital, Odile Jacob, Paris, 348 p. ¢ Les
convergences entre le spinozisme et l’économie sont un terrain aussi prometteur
qu’encore peu défriché. C’est donc à un travail de pionnier que se livre Frédéric
Lordon, économiste au CNRS, en sollicitant la pensée spinoziste pour rendre raison
de la logique à l’œuvre dans les développements les plus récents du capitalisme ¢ en
l’occurrence dans les efforts de prédation réciproque auxquels se sont livrées la
Société Générale, Paribas et la BNP à travers les spectaculaires OPE (Offres Publi-
ques d’Échange) de 1999.
L’ouvrage se compose de trois pans. Une chapitre inaugural, intitulé « Le conatus
du capital », pose les bases théoriques d’une analyse qui utilise la pensée de Spinoza
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« comme un instrument philosophique permettant de penser le monde social »


(p. 12). L’auteur y présente les mutations récentes du capitalisme comme manifes-
tant l’hégémonie acquise par le capital financier (défini par la fluidité absolue de ses
investissements, qui ne se déterminent qu’au vu d’un seul critère : la maximisation
des retours) sur le capital entrepreneurial (défini par son attachement au destin d’une
firme particulière ou d’un projet industriel spécifique). Traduit en vocabulaire
spinoziste, cela revient à opposer un conatus entrepreneurial à un conatus financier
(ou patrimonial) du capital. Le stade le plus récent du capitalisme se caractérise ainsi
par une modalité de persévérance dans l’être dont l’auteur met bien en lumière la
nature complexe et retorse : pour survivre, le conatus entrepreneurial a désormais
besoin de faire appel à des fonds que seul peut réunir un conatus financier qui ¢ de
par la facilité avec laquelle il gère dans la quasi-instantanéité ses investissements et ses
désinvestissements ¢ sape le minimum de stabilité dont ont besoin les entreprises
pour persévérer dans l’être...
Un deuxième pan du livre, intitulé « Les stratégies du conatus » en référence au
livre déjà classique de Laurent Bove, poursuit ce travail de théorisation qui sollicite et
fait converger les outils bourdieusiens et les concepts spinozistes. A travers des
références plus directement ancrées dans « la chamaillerie des trois banques » appa-
raissent alors d’autres points forts de l’analyse : les stratégies du conatus qui
constituent l’essence de la « rationalité économique » ne garantissent nullement
736 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XXII]

l’optimisation des processus productifs, mais semblent se résorber tout entières en


des chocs d’egos, des appétits de puissance, des hypocrisies rhétoriques ¢ soit
précisément en ces vices inhérents à la politique dont la rigueur de la logique
économique était censée nous protéger. Spinoza est ici mis au service d’une entreprise
de démystification qui est pleinement dans la ligne de sa réflexion sur la religion.
Avec ce livre, Frédéric Lordon pose les bases d’un Traité Économico-Politique qui,
comme le TTP, nous permettrait de remettre à sa juste (et modeste) place cette
religion des temps postmodernes qu’est l’économie néoclassique.
Une dernière partie, qui occupe presque la moitié du livre, suit alors dans tous ses
rebondissements ce choc des conatus singuliers qui a ébranlé le monde de la finance
française en 1999. Le théoricien prend ici la plume (pleine d’humour) du journaliste
pour nous faire pénétrer dans les coulisses d’un drame qui se lit comme un roman
policier... En dépit de cette division générale en trois pans, ce qui caractérise le texte,
c’est avant tout un constant mouvement de va-et-vient entre les dimensions les plus
concrètes de ces OPE, les rationalisations leurrantes s’autorisant de l’économie
néoclassique et la réinscription démystifiante de ces actes et de ces discours dans le
cadre spinoziste.
Livre d’actualité (quasi immédiate) s’il en est, La politique du capital est aussi
un ouvrage fondamental. Il pose les premiers jalons « d’un programme qui pourrait
être beaucoup plus général et affirmerait la possibilité de sciences sociales spinozis-
tes » (p. 13). Il y a là un champ qui demande à être exploré d’urgence ¢ que ce soit
pour étudier les rapports (plus étroits qu’on ne le croit généralement) entre la
tradition spinoziste et le développement historique de la pensée économique, pour
puiser dans l’œuvre spinozienne des instruments analytiques capables de nous faire
saisir les raisons et les causes des comportements économiques que travestissent les
imaginations néolibérales, ou encore pour construire, à partir de la dimension
éthique de la pensée spinoziste, « une politique normative qui recherche les institu-
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tions susceptibles de composer les conatus et d’en tirer ‘le pouvoir de la multipli-
cité’ » (p. 12).
Yves C

6. 6. Vittorio M : Il tempo e l’occasione. L’incontro Spinoza Machiavelli,


LED ¢ Edizioni universitarie di Lettere Economia Diritto, Milano, 280 p. ¢ Cet
ouvrage représente la première tentative sérieuse d’interprétation théorique du
rapport entre Spinoza et Machiavel. Dans le premier chapitre, V. Morfino analyse
l’image et la fonction théorique de Machiavel dans les livres de la bibliothèque de
Spinoza. Il rejette toute reconstruction inspirée par l’idée d’une unité expressive de la
pensée de l’auteur, pour lui préférer la « matérialité sans aucun centre et aléatoire des
langages et des traditions différentes, sans chercher à réduire leur complexité »
(p. 50). Désignant l’atomisme et, justement, Machiavel l’acutissimus comme sources
de ce que Althusser a appelé le « courant souterrain du matérialisme », il circonscrit
la Kampfplatz philosophique au sein duquel Spinoza se positionne. Les concepts-
clés de l’ontologie politique de Machiavel sont repris et intégrés par Spinoza dans son
propre système. Aut virtus, aut fortuna devient le cœur d’un système étranger à toute
philosophie de l’histoire, inscrivant ¢ comme le dit Morfino ¢ « l’action humaine dans
le champ complètement intelligible de la nécessité » (p. 63).
[XXIII] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 737

Le deuxième chapitre est consacré à l’analyse de la « présence implicite » de


Machiavel dans les textes de Spinoza, en particulier dans le Traité théologico-
politique. L’analyse de l’ontologie de l’histoire démontre comment la dette de
Spinoza envers Machiavel ne se limite pas au champ de la politique mais investit aussi
la métaphysique. Ce qui les rapproche, c’est la conviction que l’histoire ¢ à travers la
matérialité et la force de l’imagination ¢ se développe uniquement par le biais de
rapports de force immanents. Dans le troisième chapitre, Morfino aborde plus avant
les effets que la rencontre entre Machiavel et Spinoza a produits sur les concepts de
causalité et de temporalité. L’hypothèse est que le concept de causalité a connu une
évolution, dans la pensée de Spinoza, grâce à une confrontation avec le champ
historico-politique, et plus particulièrement avec la théorie machiavélienne de l’his-
toire comme intersection, relation, composition aléatoire de fortune et de vertu.
Dans la première phase de son élaboration, dans le Tractatus de Intellectus Emen-
datione, Spinoza avait construit une idée de causalité fondée sur le concept de
« série », qui représente l’ordre nécessaire d’une concaténation d’essences singuliè-
res. L’existence comporte uniquement des relations accidentelles qui ne peuvent être
connues de façon adéquate, alors que l’essence peut exprimer le principe d’un ordre
nécessaire qui émane de la série des choses fixes et éternelles. La rencontre avec la
théorie machiavélienne de l’histoire mène Spinoza à élaborer une nouvelle concep-
tion de la causalité, où l’idée de série se voit remplacée par celle de « connexion ».
L’essence des choses n’est plus une monade autonome et indépendante, mais « réside
dans le fait accompli des relations et des circonstances qui ont produit cette exis-
tence ». L’ordo sive series se voit progressivement remplacé par un ordo sive
connexio, qui fait que « la cause perd [...] la simplicité du rapport d’imputation
juridique pour atteindre la pluralité structurale des relations complexes avec l’exté-
rieur » (p. 153). La conception machiavélienne de l’histoire, d’après Morfino, a
contribué à la formation d’une « ontologie de la relation » caractérisée par le « primat
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de l’aléatoire sur toute théologie et téléologie de la Cause ». Le quatrième et dernier


chapitre reprend les conclusions théoriques du troisième pour développer ce que
Morfino appelle une « antiphilosophie de l’histoire », c’est-à-dire l’opposition à tout
idéalisme dans la conception du temps historique. Contre l’idéalisme, Spinoza
emprunte à Machiavel afin de « mettre en pièces » la logique simple de la série en
faveur d’une logique plus complexe de la connexion. Machiavel avait déjà réagi à
l’idée d’un cours de l’histoire, repoussant également l’idée d’un législateur agissant
« d’un seul coup », en faveur d’une conception de la temporalité fondée sur la
puissance de l’occasion. La richesse théorique de ces conclusions est bien visible,
selon Morfino, dans la méthodologie spinozienne d’interprétation des Saintes Ecri-
tures et, plus généralement, dans sa conception de la temporalité qui exclut toute
philosophie de l’histoire en faveur de la matérialité de la mémoire et de la contingen-
ces des rencontres.
Filippo D L
6. 7. Luis S : « El problema de la obligación política en Hobbes y Spinoza »,
Dianoia, 47 (48), p. 67-88.
6. 8. Humberto S : « Política e imperium en Maquiavelo y Spinoza »,
Dianoia, 47 (48), p. 37-66.
738 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XXIV]

6. 9. F. Scott S : « Extending Spinoza... For the love of God ! Spinoza,


Levinas and the inadequacy of the body », International Philosophical Quarterly,
42 (2), p. 151-160.
6. 10. Jürgen S : Philosophie als Antimetaphysik. Zum Spinozabild
Constantin Brunners. Könningshausen und Neumann, Würzburg, 522 p. ¢
L’ouvrage de Stenzel est une étude exhaustive et objective sur la lecture de Spinoza
par Brunner. Etude remarquable qui montre le caractère très particulier et insistant
d’une lecture, commandée tout entière par l’appropriation subjective, qui s’est
étendue sur toute une vie, l’imprégnant de part en part et profondément. Pour
Brunner ¢ de son vrai nom Leo Wertheimer ¢ isssu du milieu juif orthodoxe de
Hambourg, rigoureux mais tolérant, Spinoza devint dès l’adolescence l’idéal presque
héroïque de l’exercice libre de la pensée, celle sur Dieu plus que tout, laquelle
entraîne une métamorphose dans le régime des passions et dirige vers la vie libre.
Brunner, dont toute la pensée était conduite par l’intérêt pratique ¢ et politique par
là même, l’auteur prônant avec conviction un nationalisme allemand réfléchi ¢,
trouva chez Spinoza, puis dans le Christ, Moïse et Socrate, les figures incomparables
de la libération de toutes les autorités religieuses et philosophiques dites scholasti-
ques. Il avait pour idéal une vie unifiée par la raison ouverte, hors des contrôles de
toute loi, ici surtout juive, et des juridictions de la raison, ici surtout Kant, rigide et
pitoyable. Le Christ devint le symbole de l’amour mystique, Spinoza celui de la
libération intellectuelle qui est tout aussitôt, dans une lutte difficile, celle de la
conduite de la vie. Brunner connaissait bien Spinoza et les sources ; mais pour lui la
vie était indissociable de la pensée, qu’il ne fallait pas disjoindre ; Spinoza est
exemplaire précisément sur ces deux plans non séparés. Cette interprétation, qui
rappelle celle des romantiques, Jacobi surtout, rendait son auteur assez indifférent
aux débats plus serrés des savants que Brunner trouvait stériles. « L’ermite » qu’il
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voulut être eut de nombreux disciples, notamment dans les milieux aux frontières du
hassidisme. Mais hormis des contacts épisodiques avec Nordau, Rathenau, Lou
Salomé, Gebhardt même, Brunner se maintint à l’écart de toute vie publique. Le
caractère pathétique et violemment polémique de la référence à Spinoza fait de
Brunner le témoin exemplaire d’une réception de Spinoza qui n’est pas rare, même si
elle est souvent plus discrète. Stenzel propose une lecture lente et fouillée d’un
itinéraire où s’expriment les tensions les plus intimes d’une vie et d’une pensée,
désireuse d’idéal et parfois prisonnière de projections, assez faciles à déchiffrer mais
hâtives.
Guy P

S   ’ 2001

A. 3. 1. Henry M et Gérard N (édité par) : Mémorial I-S Révah.


Études sur le marranisme, l’hétérodoxie juive et Spinoza, Peeters, Collection de la
« Revue des Études juives », Paris-Louvain, 560 p. ¢ Il s’agit d’un hommage rendu à
I-S Révah par un collectif d’auteurs français, espagnols, portugais, italiens, anglais,
mexicains, brésiliens, israéliens, hollandais, des Etats-Unis, dont beaucoup se sont
[XXV] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 739

formés à partir du travail de Révah, initiateur des études sur le marranisme et les
communautés sépharades dispersées ; le volume est accompagné d’un texte de
Révah concernant l’Asie portugaise : étude de l’activité du tribunal inquisitorial de
Goa.
Dans l’impossibilité de rendre compte de toutes les contributions d’un volume
aussi riche que précieux et savant, nous mentionnerons la reconstitution de l’histoire
d’une marrane, Maria de Rivera, par Solange Alberro (Mexico) : l’auteur recrée cette
histoire en écrivant à la place de l’accusée ses mémoires sous forme d’un récit. Cette
« fiction vraie » est construite à partir des pièces des dossiers des procès intentés par
l’Inquisition à Maria de Rivera ainsi qu’à d’autres marranes. Le procès de cette
femme née à Séville, arrêtée et accusée, en 1642, avec d’autres judaïsants, à Mexico où
ils avaient trouvé refuge, a laissé de nombreuses archives. Parmi ses compagnons
d’infortune certains mourront en prison, tous les autres seront mis à mort, brûlés sur
le bûcher en 1649, dont Tomas Treviño de Sobremonte, une des figures les plus
remarquables du crypto-judaïsme mexicain, brûlé vif, comme ceux qui refusaient la
croix avant de mourir. Cette reconstitution de la vie et de la condition des marranes
persécutés à Mexico, et de la terreur qui s’est abattue sur eux, est impressionnante.
Une de ses pensées : « ...seules les femmes s’entêtaient donc ici, sans livres, sans
rabbins ni synagogues, à maintenir l’essentiel. L’essentiel ? Qu’est-ce qui était essen-
tiel ? » Mais elle sentait que « les jeux étaient faits... tous, les bons et les méchants, les
amis et les ennemis, tous sombreraient cette fois comme au Pérou », Le Pérou, où en
1639, la communauté marrane fut détruite à jamais, dans un immense autodafé, à
Lima.
De Rena Fuks-Mansfeld (Amsterdam) : la vie d’un éditeur sépharade à Amster-
dam et à Livourne, Samuel ben Isaac Texeira Tartas. De Jonathan Israël (Londres) :
l’histoire de Baltazar Orobio de Castro, ce physicien arrêté en 1654 à Séville puis
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enfui à Bayonne où se trouvait une importante communauté de juifs portugais, avant


d’enseigner à Toulouse et d’émigrer à Amsterdam en 1662 où il retourna au
judaïsme ; histoire de sa contribution aux Lumières, et de sa réfutation du spino-
zisme qui intéressa Leibniz. De Yosef Kaplan (Jérusalem) : une étude concernant « le
traitement d’Eros dans la communauté d’Amsterdam au e siècle » ; Y. Kaplan
met en parallèle la panique qui saisit la communauté juive sépharade d’Amsterdam
face au spinozisme ¢ si l’on pense que les autorités théologiques s’inquiétaient à
l’époque de l’extension du cartésianisme parce qu’il risquait de mettre à mal la foi
chrétienne ¢ avec cette autre panique morale qui la saisit un siècle plus tard,
lorsqu’elle accusa six hommes et femmes d’adultère, excommuniés avec des attendus
particulièrement sévères qui furent rendus publics ; panique révélatrice d’une situa-
tion où la communauté devait se protéger, selon l’auteur qui en analyse les signes. De
Pierre-François Moreau (Paris) : une note sur Juan de Prado et Spinoza : à partir de
l’histoire de deux Espagnols qui, après avoir rencontré à Amsterdam Prado et
Spinoza, les dénoncent à l’Inquisition à leur retour en Espagne, (peut-être pour se
protéger ?) ; leur déposition auprès de l’Inquisition, datant de 1658-1659, permet de
trouver des traces de ce que pensait Spinoza à une époque dont nous ne savons
pratiquement rien. De Alexandra Uchmany (Mexico) : une étude sur la vie dans les
prisons du Saint-Office à Mexico de 1589 à 1660, le premier édit de la foi prescrivant
la poursuite et la dénonciation, datant de 1571 ; où il apparaît que personne n’échap-
740 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XXVI]

pait à la justice inquisitoriale, qui confisquait les biens des personnes emprisonnées
et leur faisait subir des années de prison atroces, les procès durant longtemps,
certains jusqu’à 16 ans, avant l’autodafé final.
Sandra S
A. 4. 1. Joaquín L : « La presencia del pensamiento judío hispano en la ética
de Spinoza », Convivium, 14, p. 86-112.
A. 4. 2. Steven N : Spinoza’s Heresy, Clarendon Press, Oxford, 225 p. ¢
Après sa monumentale biographie de Spinoza (Spinoza, a life, Cambridge UP 1999),
S. Nadler nous offre ici une élucidation à la fois historique et surtout philosophique
de la brutalité du herem qui frappa Spinoza en 1656. L’A. avait déjà traité de cette
question dans son livre précédent mais de façon plus historique. Il s’attache ici à
l’examen de l’arrière-plan philosophique et politique des thèses de Spinoza contre
l’immortalité personnelle de l’âme humaine et à la sévérité de la condamnation de ces
thèses. La première étape consiste à faire l’historique de l’apparition de la croyance en
l’immortalité de l’âme avec Enoch et le second Esdras, c’est-à-dire des auteurs
influencés par la philosophie hellénistique, phénomène amplifié par la période
rabbinique et notamment par Maïmonide, développant une conception dualiste
permettant de penser une survie de l’âme après sa séparation d’avec le corps.
L’intérêt du livre réside, à mon sens, moins dans la présentation des arguments de
Spinoza contre l’immortalité de l’âme au profit de l’éternité de sa partie rationnelle
(ch. 5 et 6 sur la différence entre éternité et immortalité et sur la vie selon la raison),
parce que ces thèmes ont déjà été fort étudiés par les commentateurs récents, que
dans l’exposition très claire des positions de la philosophie juive, notamment Maï-
monide et Gersonide, philosophes dont l’A. montre que les thèses de Spinoza ne sont
que le prolongement logique. Si l’analyse des thèses philosophiques occupe la plus
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grande partie du volume, Nadler montre aussi les racines politiques de la condam-
nation de Spinoza, après celle d’Uriel da Costa : les membres de la communauté juive
d’Amsterdam étaient les descendants de marranes portugais qui avaient été élevés
dans la foi catholique, laquelle accorde une importance décisive à la question de
l’immortalité et de la récompense ou punition post mortem. Tant en raison de leurs
modes de pensée hérités d’une longue immersion dans le christianisme qu’en raison
du souci de ne pas heurter de front les milieux calvinistes qui leur assuraient une
liberté de culte rare en Europe, les chefs de la communauté d’Amsterdam ne
pouvaient pas ne pas condamner Spinoza en 1656 ou, pour le dire avec S. Nadler :
Amsterdam était bien le dernier endroit pour un Juif où se permettre de nier
l’immortalité de l’âme.
Un livre alerte, instruit, savant sans être jamais pédant, qui marque bien les
enjeux culturels de la querelle et plus fortement encore les enjeux philosophiques et
religieux de la position adoptée sur la nature et le devenir de la pensée en l’homme ;
bref un livre stimulant et passionnant.
Jacqueline L
A. 4. 2. Heidi M. R : « The Garden of Eden : Spinoza’s maimonidean
account of the genealogy of morals and the origin of society », Philosophy and
Theology, 13 (1), p. 3-51.
[XXVII] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 741

A. 4. 3. Heidi M. R : « Spinoza’s rupture with tradition : on Ethics V


p. 39 s », Iyyun, 50, p. 295-326.
A. 4. 4. Heidi M. R : « Some thoughts on what Spinoza learned from
Maimonides on the prophetic imagination. Part two : Spinoza’s Maimonideanism »,
Journal of the History of Philosophy, 39 (3), p. 385-406.
A. 4. 5. Lee C. R : « Meyer as precursor to Spinoza on the interpretation of
Scripture », Philosophy and Theology, 13 (1), p. 159-180.
A. 4. 6. TM R : « Galileo and Spinoza : Heroes, heretics and hermeneu-
tics », Journal of the History of Ideas, 62 (4), p. 611-631.
A. 5. 1. Valerio B : « Introduzione a ‘‘ La teoria causale degli affetti di
Spinoza ’’ di Donald Davidson », Cannocchiale, 1, p. 43-54.
A. 5. 2. Diana C : « La muerte según Baruch Spinoza : aproximaciones a una
noción problemática », Dianoia, 46, p. 41-64.
A. 5. 3. André D : Parcours Philosophique. Tome 1 : Avec Hegel. Tome 2 :
D’Aristote à Heidegger, L’Harmattan, Paris, 205+236 p. ¢ Parcours philosophique
réunit en deux tomes plusieurs articles de l’auteur, consacrés, pour l’essentiel, à la
question du statut de l’ontologie dans différentes doctrines philosophiques. Comme
l’indiquent les sous-titres des deux tomes, les articles appartiennent au genre de
l’histoire de la philosophie. Toutefois, l’A., afin d’éviter toute méprise, insiste dès son
avant-propos sur le fait qu’il utilise l’histoire de la philosophie comme une aide
nécessaire au départ pour prolonger son propre questionnement philosophique. La
philosophie de Spinoza tient une place tout à fait privilégiée dans le second tome
(p. 79-197). On trouvera, dans les articles qui lui sont consacrés, une exhortation à la
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réinterprétation de certaines lectures de l’Éthique, telles que celles proposées par


Gueroult et P. Macherey. L’ouvrage comprend quatre études critiques relatives à la
doctrine spinoziste de l’être considéré dans son existence.
La première étude, « Remarques sur les onze premières propositions de l’Éthique
de Spinoza », porte sur l’hypothèse émise par Gueroult selon laquelle il y aurait une
unité absolue du projet spinoziste dans l’Éthique. L’A. critique l’interprétation
gueroultienne des substances, chacune « réellement » constituée d’un seul attribut, et
de leur rôle dans la construction génétique que Spinoza a élaborée du concept de
Dieu. Il soutient que Spinoza procède par une série de paradoxes et pose progressi-
vement des vérités partielles qui éliminent au fur et à mesure les hypothèses qui ne
conviennent pas. De plus, il pense le problème du statut de l’ontologie spinoziste en
s’appuyant sur Descartes, pour soutenir la thèse d’un vide de cette ontologie et donc
d’une nécessité pour celle-ci d’être comblée « précisément par la théologie » (p. 135).
Seule la théologie, c’est-à-dire un principe externe, permettrait de surmonter les
difficultés de l’ontologie spinoziste.
La deuxième étude, « Extraits de réponses à quelques objections », réplique aux
remarques faites par G. Dreyfus dans son article « Sur le Spinoza de Martial Gue-
roult : réponses aux objections de M. Doz » (Cahiers Spinoza, no2, 1978, p. 7-51). Elle
porte sur l’interprétation par Gueroult des huit premières propositions de l’Éthique
qui font état « d’une pluralité de substances » pour définir Dieu. La difficulté est de
742 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XXVIII]

comprendre la définition initiale de Dieu comme Être absolument infini, qui est
également une seule substance consistant en des attributs infinis.
La troisième étude, « Spinoza lecteur de Hegel ? », focalise son analyse sur
quelques aspects particuliers de l’interprétation hégélienne de Spinoza, mise en jeu
par P. Macherey dans son ouvrage Hegel ou Spinoza. L’A. conteste sur certains
points le rapprochement fait par P. Macherey entre Spinoza et Hegel, concernant
notamment la réévaluation de la méthode spinoziste et l’usage fait du mos geometri-
cus en philosophie, en même temps qu’il suppose improbable l’idée d’une critique
anticipée faite par Spinoza de Hegel.
La quatrième et dernière étude, « Spinoza n’a pas assimilé les modes à des
propriétés », examine la proposition XVI de la Partie I de l’Éthique pour reprendre
l’essentiel du problème de la liaison entre l’essence divine et le monde dont la portée
est simultanément ontologique et logique.
On retiendra de ces études une démarche très personnelle qui ouvre le champ à
une discussion philosophique constante et minutieuse.
Carl R. B
A. 5. 4. Antony D : « Pieces of time and regions of eternity », Iyyun, 50,
p. 285-6294.
A. 5. 5. Charles J : « Spinoza’s distinction between essence and existence »,
Iyyun, 50, p. 245-252.
A. 5. 6. Nancy L : « Spinoza’s Bible : concerning how it is that ‘‘ Scripture,
insofar as it contains the Word of God, has come down to us uncorupted’’ »,
Philosophy and Theology, 13 (1), p. 93-142.
A. 5. 7. Frank L : « Revelation in Spinoza’s Theological-Political Trea-
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tise », Philosophy and Theology, 13 (1), p. 73-92.


A. 5. 8. Jon A. M : « Spinoza’s possibilities », The Review of Metaphysics,
54 (4), p. 779-814.
A. 5. 9. Raia P : « Spinoza’s conception of Sovereignty », History of
european ideas, 27 (3), p. 289-306.
A. 5. 10. Michael A. R : « Spinoza’s dogmas of the universal faith and
the problem of religion », Philosophy and Theology, 13 (1), p. 53-72.
A. 5. 11. Michaël R : « Tolerance as a virtue in Spinozza’s Ethics »,
Journal of the History of the Philosophy, 39 (4), p. 535-557.
A. 5. 12. Timothy L.S. S : « The mind of Spinoza’s God », Iyyun, 50,
p. 253-272.
A. 5. 13. Joe D. V : « Comments concerning Spinoza and the antinomy
of promissory obligation », Southwest Philosophy Review, 17 (2), p. 159-162.
A. 5. 14. Lorenzo V : « Sensatio aeternitatis », Iyyun, 50, p. 273-
283.
[XXIX] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 743

A. 6. 1. Hans-Jürgen G : « Nietzsche und der Geist Spinozas : die existen-


tielle Umwandlung einer affirmative Ontologie », Nietzsche Studien, 30, p. 44-61.
A. 6. 2. Maurice-Ruben H : « Spinoza et Moïse Mendelssohn face à Maïmo-
nide : deux réactions contrastées au modèle maïmonidien », Revue de Théologie et
de Philosophie, 133 (3), p. 377-387.
A. 6. 3. Jens K : « Macht oder Überzeugung ? Spinoza und Hume
über die Grundlagen des Staates », Zeitschrift für philosophische Forschung, 55 (3),
p. 349-374.
A. 6. 4. Brandon L : « ‘Becoming who one is’ in Spinoza and Nietzsche »,
Iyyun, 50, p. 327-338.
A. 6. 5. Richard M : « Intelligibility : the basic premise ? », Iyyun, 50,
p. 229-244
A. 6. 6. Stephan O : « Vico versus Spinoza. Zwei typen von Metaphysik vor
dem Problem ‘zeitlicher Kontingenz’ », in Pensar para el nuevo siglo. Giambattista
Vico y la cultura europea, ed. Emilio Hidalgo-Serna et al., Edizioni La Città del Sole,
Napoli, vol. II, p. 497-512.

S   ’ 2000

B. 5. 1. Paolo C : Spinoza edonista. Edizioni ETS. Pisa, 87 p. ¢ Cet


ouvrage, composé de cinq essais ayant pour thème la liberté, explore le noyau de la
sagesse spinozienne, soit la liberté entendue comme libération de ce qui l’empêche.
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Opposant cette sagesse de liberté à celle, vichienne, reprise de Cicéron puis chré-
tienne, fondée sur la peur (crainte des dieux), Cristofolini travaille la question de la
peur chez Spinoza, dont il affirme l’héritage épicurien qui vise, au contraire, à libérer
de la peur.
Ainsi, partant du thème de la peur de la solitude (TP VI, 1) l’auteur reprend la
question de la peur, supposée fondatrice de la société et de l’Etat chez Hobbes, soit la
peur de la mort violente qui pousse les hommes de la multitude à passer, tous avec
tous, un contrat érigeant un pouvoir commun susceptible de les tenir en respect,
assurant ainsi la sécurité, nécessité première. Puis il étudie ce qu’en dit Spinoza qui,
après Hobbes, reprend le point de départ de son analyse pour la transformer. Spinoza,
à vrai dire plus aristotélicien, conçoit la nécessité de s’unir comme nécessité de
s’entraider : par nature les hommes ne désirent pas l’état de nature mais l’état civil,
en somme désir naturel de société et non choix contraint par la peur comme chez
Hobbes, qui débouche sur la soumission au pouvoir.
Alors qu’en est-il de la peur, passion triste selon l’Ethique ? Serait-elle suscepti-
ble d’être le facteur décisif de la constitution politique, parce que la sécurité est une
nécessité première et la liberté une nécessité seconde, comme il se dit couramment ?
Sachant que l’affect a pour caractère l’inconstance, la peur est une tristesse incons-
tante, de même que l’espoir est une joie inconstante. Inconstance qui peut se traduire
par « ambiguïté », parce qu’il n’est pas de peur sans espoir et inversement (la peur est
744 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [XXX]

espoir que l’événement redouté ne survienne pas ; l’espoir est crainte que celui
espéré ne se produise pas). Ces deux affects ne s’inscrivent pas de manière univoque
du côté de la joie ou de la tristesse. C’est pourquoi, selon les circonstances, la peur
peut jouer un rôle positif ou négatif. La peur, en tant qu’elle inspire le respect des
lois, est bonne, de même que l’Etat assure la sécurité, en tant qu’il inspire la crainte
nécessaire à l’obéissance (TP I, 6). La liberté est alors dite vertu privée, parce que
l’autorité de l’Etat ne peut dépendre de la vertu des citoyens. Elle est la vertu du petit
nombre, des sages. Spinoza souligne là la nécessité incontournable de la crainte de
l’autorité politique. Cependant paix et sécurité sont une seule et même chose (TP V,
4) : l’État n’a pas été fondé pour que les hommes vivent dans la crainte, mais d’une vie
qui leur permette d’accomplir leurs capacités, et qui suppose la liberté. Ainsi se
distinguent la peur, soumission à la force, et la peur, besoin de paix et de protec-
tion.
De plus, la peur fait le lit de la superstition, c’est-à-dire de ce qui est le plus opposé
à la liberté. D’où les critiques du libre-arbitre, du dogme du péché originel, et de la
morale fondée sur la peur qu’elle exploite : analyses spinoziennes qui s’en prennent
aux racines de la superstition et qui appartiennent à la réfutation du christianisme.
Spinoza s’inscrit dans la ligne d’Epicure et Lucrèce, qui consiste à libérer les hommes
de la crainte : crainte des dieux, du péché, de la mort. Autrement dit, les libérer de la
culpabilité qui les pousse à la superstition, car il n’est d’autre faute que le manque de
connaissance, qui n’est donc pas une faute morale, juste un manque, ce qui est
différent. Adam n’a pas péché, il était ignorant de la loi, entendue comme loi de la
nature (TTP IV). Ces visions du monde, pointées par ces trois critiques, trouvent
leur fondement dans la peur. Or c’est de la peur qu’il faut aider les hommes à se
libérer. Contre la peur qu’entretiennent la religion et la morale, qui sont les princi-
pales entraves à la liberté, et bien que à cette peur tous les hommes soient sujets par
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nature, (TTP I 5), Spinoza défend la possibilité de la libération de la tristesse par la


connaissance qui soutient ainsi le droit naturel et imprescriptible de tous à la joie. Là
est la tâche de la pensée.
Cristofolini souligne également la filiation de Spinoza à l’égard de Machiavel, le
très pénétrant florentin qui a séparé la politique de la morale. Enfin il étudie
comment la joie se comprend rapportée à l’expérience de la douleur. Celle-ci appar-
tient au désir, non à l’amour.
Sandra S
B. 5. 2. Nicholas O : « The identity of indiscernibles and Spinoza’s
argument for substance monism », Kinesis, 27 (2), p. 25-40.
B. 6. 1. Angus K-L : « Freedom and free will in Spinoza and Santayna »,
The Journal of Speculative Philosophy, 14 (4), p. 243-267.

S   ’ 1999

C. 5. 1. Sabrina C : La politica tra natura e artificio : l’antropologia


positiva di Benedetto Spinoza, ILA Palma, Palermo, 198 p.
[XXXI] BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE SPINOZISTE 745

C. 6. 1. Giuseppe C : Libertà e paura. Echi e discrimina hobbesiani nel


pensiero di Spinoza, Edizioni Ennerre, Milano, 121 p.

S   ’ 1998

D. 6. 1. Reiner W : « Nietzsches Anti-Platonismus und Spinoza », in Zeitwel-


ten. Philosophisches Denken an den Rändern von Natur und Geschichte, Suhr-
kamp, Frankfurt a.M., p. 129-149. ¢ Cet article a été publié pour la première fois dans
le volume Herméneutique et ontologie. Hommage à Pierre Aubenque, éd. R. Brague
et J.-F. Courtine, PUF, Paris, p. 275-299 sous le titre « Nietzsches Anti-Platonismus ».

S   ’ 1996


F. 5. 1. F. Reiner W : « Die Vernunft in der menschlichen Unvernunft. Das
Problem der Rationalität in Spinozas Affektenlehre », Metaphysik und Erfahrung.
Philosophische Essays, Suhrkamp, Frankfurt a.M., p. 277-332. ¢ Texte déjà paru
dans la collection Berichte aus den Sitzungen der Joachim Jungius Gesellschaft der
Wissenschaften Hamburg, 1982/83.
F. 6. 1. F. Reiner W : « Metaphysik und Erfahrung. Überlegungen im
Anschluß an Spinoza und Whitehead », Metaphysik und Erfahrung. Philosophische
Essays, Suhrkamp, Frankfkurt a. M., p. 375-397.

Pour en faciliter la recension, les auteurs sont invités à envoyer leurs


livres et à signaler leurs articles à l’adresse suivante :
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