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Comment concilier les droits de l'individu et les droits de la

communauté ? Les apports d'Auguste Walras


Arnaud Diemer
Dans Revue d'économie politique 2012/3 (Vol. 122), pages 437 à 465
Éditions Dalloz
ISSN 0373-2630
DOI 10.3917/redp.223.0437
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Comment concilier les droits de l’individu et les

• ARTICLES
droits de la communauté ?
Les apports d’Auguste Walras
Arnaud Diemer1

En jetant les bases d’une véritable démarche scientifique pour l’économie politique et
le Droit naturel, Auguste Walras entend établir une distinction entre ce qui relève de la
sphère étatique et de la sphère privée à partir d’une reformulation de la théorie de la
propriété et de l’impôt. C’est au nom de la raison et de la justice qu’il convient de
trouver les moyens qui légitimeront les droits de la société. La question sociale consiste
à tracer une ligne de démarcation entre le domaine de la propriété et le domaine de la
communauté. Deux principes, universels et permanents, sont introduits : la nécessité
d’attribuer à l’État la propriété de tous les fonds de terre ; le souci de consacrer le loyer
des terres aux dépenses publiques. La question de l’impôt souligne quant à elle la
difficulté d’établir la ligne de partage entre propriété privée et propriété collective. D’un
côté, l’impôt sert à financer les dépenses publiques qui intéressent la communauté. De
l’autre, la manière dont il est établi porte atteinte au respect de la propriété privée.

Auguste Walras - impôt - justice - propriété privée - propriété collective

Auguste Walras, how to balance individual rights and


community rights?

In laying the foundations for a scientific approach to Political Economy and Natural
Law, Auguste Walras proposes to study the idea of justice from a theory of property
and a theory of tax. The social issue is to draw a demarcation line between the field of
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property and the area of the community. Two principles, universal and permanent, are
introduced: the need to assign to the State, the ownership of the land; the order to
devote the rent of land to public expenditure. It’s on behalf of reason and justice that
should be found ways to justify the rights of society. The question of tax underlines the
difficulty of establishing a demarcation line between private property and collective
property. On the one hand, tax is used to finance public expenditure relevant to the
community. On the other hand, the way to apply it goes against the respect for private
property.

Auguste Walras - tax - justice - private property - political economy

Classification JEL: B0, B4, K0, N0

1. MCF, Université Blaise Pascal, CERDI Clermont-Ferrand ; TRIANGLE, Lyon. Email :


diemera@aol.com

REP 122 (3) mai-juin 2012


438 ——————————— Comment concilier les droits de l’individu et les droits…

1. Introduction

Depuis la publication des derniers volumes de la collection Economica en


2005, les économistes ont pris connaissance de l’ensemble de l’œuvre
walrassienne et du rôle joué par Auguste dans la plupart des écrits de son
fils, Léon (Hicks [1938] ; Bowley [1939] ; Oulès [1950] ; Boson [1950] ; Bous-
quet [1958] ; Cirillo [1981] ; Potier [1994] ; Dockès [1996]). Pierre-Henri Goutte
et Jean-Michel Servet rappelaient que Léon Walras disposait en 1860 d’un
« matériau exceptionnel, intégralement rédigé mais inédit, pour débattre de
l’impôt, de la propriété et de la monnaie » (1990, p. LXXVII). L’histoire de
l’Economie politique et la Justice, que nous pouvons établir à partir de la
correspondance entre Auguste et Léon Walras, est un puissant témoignage
de la collaboration qui s’installe à partir de janvier 1859 entre le père et le
fils. Auguste Walras y propose plus que son aide, il rédige rapidement des
observations sur les balances de Proudhon, « Je m’en vais relire les balan-
ces de M. Proudhon. Au fur et à mesure qu’il me viendra une observation, je
la coucherais sur le papier, et je t’enverrais par la poste ces feuilles déta-
chées » (lettre du 6 février 1859), tout en invitant Léon à reprendre à son actif
ses propres travaux, « Use de mes notes à ta discrétion ; elles t’appar-
tiennent ; mais laisse moi le plaisir de les parcourir de nouveau, lorsque
l’occasion s’en fera sentir » (lettre du 1er mai 1859). Toute sa vie durant,
Auguste Walras n’a eu de cesse de faire reconnaître ses travaux auprès de la
communauté des économistes. Cet homme de sciences, attiré à la fois par la
littérature, la philosophie, le droit et l’économie politique, a mené un combat
acharné contre les vérités établies (celles qui rattachaient la propriété au
Code Civil et la valeur au travail - Ecole anglaise de Smith et Ricardo - ou à
l’utilité - Ecole française de Say).
La philosophie walrassienne a posé les bases d’une véritable démarche
scientifique pour l’économie politique et le droit naturel dans la première
moitié du XIXe siècle. Il s’agissait à la fois de proposer une méthode scien-
tifique (largement inspirée par les travaux de Francis Bacon), de délimiter
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son terrain de prédilection et de répondre à des questions de société. Le
programme d’Auguste Walras reposait sur trois temps forts : 1° l’exposition
d’une théorie du fait général (il s’agissait de répondre aux cinq questions-
suivantes : Quelle est la nature du fait ? Quelle en est sa cause ? En combien
d’espèces se divise-t-il ? Quelles lois suit-il ? Quels sont les effets qu’il
entraîne ?) ; 2° une classification des faits généraux (naturels, moraux et
progressifs) et 3° la présentation d’un tableau des connaissances humaines.
Une fois la méthodologie posée, Auguste Walras pouvait l’appliquer à ses
deux domaines de prédilection : l’économie politique et le droit naturel. La
richesse et la propriété – deux faits généraux, universels et permanents –
auraient leur origine commune dans un même fait qui n’est autre que « la
limitation de certains biens ou la rareté de certains objets utiles » (1831
[1938, p. 57]). Les choses qui ont de la valeur et qui constituent la richesse
sociale, seraient exactement les mêmes que celles qui font l’objet de la
propriété. Parmi les choses utiles, il y a en effet un grand nombre de biens
qui sont limités dans leur quantité et/ou dans leur durée. La limitation dans
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la quantité ou la rareté traduit un rapport « entre la somme des biens limités


et la somme des besoins qui en réclament la jouissance » (1831 [1938,
p. 267]). Elle n’exprimerait rien d’autre que le simple rapport de l’offre à la
demande. La limitation dans la durée établit une distinction entre revenus et
capitaux. Les capitaux seraient des utilités durables alors que les revenus
seraient des utilités éphémères. Toute l’économie politique serait ainsi
contenue dans ces deux faits2 (et principalement dans le premier). L’idée
d’échange implique quant à elle deux conditions. D’une part, les valeurs
doivent être transmissibles. D’autre part, la valeur d’échange repose sur la
propriété. Or la propriété suppose elle-même, un fait important, la limitation
de tous les objets qu’on peut s’approprier et qu’on peut donner ou recevoir
en échange. Auguste Walras précisera que si la possession (rapport de
l’homme à une chose) est justifiée par la raison ou la loi (autre forme de
limitation), alors toute chose devient propriété. C’est donc bien la limitation
dans la quantité qui créant la valeur, rend les choses appropriables et échan-
geables. Au final, la propriété n’aurait de sens que dans une économie de
rareté. Fort de ce constat, Auguste Walras adoptera une vision bipartite de
l’économie politique (Potier [1994]) : 1/ la théorie de la richesse sociale, qui
relève de l’arithmétique et doit s’élever au rang de « science exacte » ; 2/ la
théorie de la propriété, qui appartient au champ du « droit naturel » et ren-
voie à la « science sociale ». Si la distribution des richesses doit être équi-
table et juste, c’est à la théorie de la richesse sociale d’éclairer de ses prin-
cipes ceux du droit naturel3. Nous voyons ainsi émerger une théorie de la
justice dont les fondements sont avant tout scientifiques : « Plus on médi-
tera sur la nature de l’homme et sur sa position ici-bas, plus on aura lieu de
se convaincre que la théorie de la justice est la dernière conquête de l’intel-
ligence, la plus belle et la plus haute manifestation de la pensée humaine, et
que toute législation, pour être bonne et salutaire, présuppose une multi-
tude de connaissances physiques et mathématiques qui peuvent paraître
d’abord complètement étrangères aux idées du droit et devoir, mais qui n’en
sont pas moins indispensables pour nous conduire sûrement à une bonne
théorie de la justice » (1831, [1938, p. 59]).
Dans ce qui suit, nous ne chercherons pas à revenir sur les fondements
scientifiques de la théorie de la justice (voir schéma en annexe). Si ces
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fondements sont nécessaires, Auguste Walras rappelle qu’ils n’ont pour
seule fonction que de légitimer un discours : « Il est toujours bon de
commencer par l’exposition claire et nette d’une série d’idées générales et

2. « J’ai vu, hier, M. Frédéric Passy… Je me suis efforcé de lui faire bien comprendre que
tout mon système était suspendu à ce double fait de la limite dans le nombre et de la limite
dans la durée, à cette double opposition de la valeur échangeable et de l’utilité, du revenu et
du capital. J’espère bien qu’on finira par y mordre, et qu’on renoncera à nous parler de la
division introduite par J.-B. Say, de la Production, de la Distribution et de la Consommation
de la richesse. Cette division a fait son temps » (lettre à Léon Walras, le 7 janvier 1860).
3. « Les économistes proprement dits n’ont pas eu l’air de s’apercevoir qu’entre la ques-
tion de la production et la question de la distribution, il y avait place pour une théorie de la
propriété, d’où devait découler la théorie de la distribution. Et puisque la théorie de la
propriété se rattache à la morale et au droit naturel, il semble résulter de là que l’économie
politique proprement dite devrait se borner à analyser la richesse dans sa nature, dans son
origine, dans ses différentes espèces, à signaler le but, le caractère, le résultat final de la
production, et livrer ensuite le résultat de ses recherches à la morale et au droit naturel »
(lettre à Léon Walras, du 25 mars 1864).

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élevées qui vous servent à éclairer tous les détails d’une discussion, et à
poursuivre, de retraite en retraite, l’adversaire qui cherche à vous échapper.
Cela vous donne une force irrésistible, et inspire au lecteur une grande
confiance en votre compétence et en votre capacité » (lettre du 25 février
1859). L’exposition des idées économiques doit permettre de présenter une
théorie de la justice à la fois originale et digne d’intérêt. Aux yeux d’Auguste
Walras, ce projet est ambitieux. Il s’agit, ni plus ni moins, de concilier les
deux formes de justice – la justice commutative et la justice distributive –
inspirées par Platon et Aristote. Léon Walras a défini ces deux notions en
s’appuyant sur l’image d’une course dont le résultat serait équitable si les
conditions de départ étaient les mêmes pour tous : « La justice commutative
est celle qui préside aux échanges et qu’on représente tenant une balance ;
c’est elle qui veut que, dans une course, il soit assigné à tous les coureurs un
même point de départ ; la justice distributive est celle qui préside aux
concours et qu’on représente une couronne à la main ; c’est elle qui veut
que les coureurs soient récompensés en raison de leur agilité, c’est-à-dire
dans l’ordre suivant lequel ils ont atteint le but » (Walras, 1867-1868, [1990,
p. 139]). Alors que toutes les écoles qui se sont érigées sur ces bases philo-
sophiques, ont cherché à adopter exclusivement les principes de la justice
commutative ou ceux de la justice distributive (Cousin [1828]), Auguste
Walras entend rapprocher ces différents points de vue en rattachant la jus-
tice aux débats sur la propriété et l’impôt. C’est sur ce terrain qu’il sera
amené à discuter les thèses de Thiers [1848] et Proudhon [1841], reprochant
à l’un, sa méconnaissance des principes de l’économie politique (critiques
des balances de Proudhon) et à l’autre, son incapacité à saisir le véritable
lien qui existe entre l’impôt et la propriété.
Or ce lien occupe une place centrale lorsqu’il s’agit de répondre à la
question sociale. L’impôt touche à la fois à la production de la richesse (il
limite la propriété individuelle de la renté foncière, des profits et des salai-
res) et à la distribution de la richesse (il définit les sources du revenu de
l’État). Articuler propriété et impôt à une époque où les économistes conti-
nuaient à dissocier ces deux notions, constitue à nos yeux, une contribution
importante d’Auguste Walras à la théorie de justice. Cependant, se limiter à
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une telle présentation, ne permet pas de rendre compte de la richesse de
l’œuvre d’Auguste Walras. En effet, ce que nous voulons démontrer dans la
suite de cet article, c’est que la conciliation de l’impôt et de la propriété
renvoie à un objectif plus ambitieux et inavouable4, celui qui consiste à
concilier les droits de l’individu avec les droits de la communauté (Léon
Walras reprendra quelques années plus tard cette quête dans l’Economie
politique et la Justice).
Auguste Walras considère que les discussions relatives à la propriété et à
l’impôt, au socialisme, au communisme5 et au libéralisme, renvoient toutes
à une même question : comment définir ce qui relève du domaine de l’État

4. Au sens où la position d’Auguste Walras, inspecteur académique, ne lui permettait pas


de soutenir de telles idées.
5. Gustave Depuynode (1848, p. 25) précise que « la troisième école socialiste, celle des
communistes, fait encore moins cas de la liberté que l’école fouriériste n’en fait, pas plus que
l’école saint-simonienne ».

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et ce qui relève de la sphère privée ? (Bastiat, Coquelin, De Molinari,


Dunoyer, Say, Wolowski [1849]). Toutes les discussions opposant l’organisa-
tion du travail (Blanqui [1845]) à la liberté du travail (Dunoyer [1845] ; Passy
[1848]), la nationalisation des chemins de fer (Proudhon [1845]) à la libre
concurrence (Dussart [1845]), la propriété collective (Proudhon [1846]) à la
propriété privée du sol (Depuynode [1848], Molinari [1849]) seraient ainsi
largement associées à cette problématique. D’une certaine manière,
Auguste Walras ne propose ni plus ni moins que la mise en place d’un
nouveau système dans lequel la question sociale consisterait à tracer une
ligne de démarcation entre le domaine de la propriété et le domaine de la
communauté6. L’enjeu étant de définir une souveraineté de l’individu, puis à
côté de cette dernière, une souveraineté de l’État (Faccarello [2010]).
Afin de mettre en évidence ces différents apports, nous procéderons en
deux temps. Dans un premier temps, nous présenterons les différents
débats relatifs à la propriété et nous montrerons comment Auguste Walras
mobilise l’Economie politique et le Droit Naturel afin d’associer les notions
de démocratie et de justice sociale à deux faits, deux principes : la nécessité
d’attribuer à l’État la propriété de tous les fonds de terre ; le souci de consa-
crer le loyer des terres (les fermages) aux dépenses publiques. Pour arriver
au but qu’il s’est fixé, Auguste Walras n’entend pas spolier les propriétaires
fonciers de leurs ressources. C’est au nom de la raison (science) et de la
justice qu’il convient de trouver les moyens qui légitimeront les droits de la
société. Dans un second temps, nous introduirons les fondements de sa
théorie de l’impôt. Selon Auguste Walras, l’impôt souligne la difficulté d’éta-
blir la ligne de partage entre propriété privée et propriété collective. D’un
côté, il sert à financer les dépenses publiques qui intéressent la commu-
nauté. De l’autre, la manière dont il est établi porte atteinte au respect de la
propriété privée. Auguste Walras sera amené à s’interroger sur les enjeux
(impôt sur le revenu vs impôt sur le capital) et les modalités d’établissement
de l’impôt (égalité devant l’impôt, impôt proportionnel et impôt progressif).
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2. La théorie de la propriété

Dans son Traité d’économie politique (1826) et son Cours complet d’éco-
nomie politique (1840), Jean-Baptiste Say avait précisé que l’économiste
n’avait pas à s’occuper de ce qui fonde ou garantit la propriété, que c’était
au philosophe de chercher les vrais fondements du droit de propriété (Chez
Locke, c’est le travail, ancré dans la loi de nature, qui soustrait les biens à
l’indivision et qui établit le droit de propriété) et au jurisconsulte d’établir les
règles qui président à la transmission des choses possédées (le droit romain
définit la propriété comme le droit d’user et d’abuser de la chose : « jus

6. Pierre Dockès précise que chez Auguste Walras, « l’égalité des conditions sociales géné-
rées par l’action de l’État assure la conformité à la justice commutative, et l’inégalité des
positions des individus par leur action particulière la conformité à la justice distributive »
(1996, p. 106).

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utendi et abutendi re sua, quatenus juris ratio patitur » ; l’article 544 du Code
civil précise que « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses
de la manière la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé
par les lois et les règlements », la propriété est ancrée dans le droit naturel).
Du point de vue de l’économie politique, la propriété est un fait antérieur7
à la loi (cette dernière n’aurait pour objet que de la garantir) et une consé-
quence nécessaire à la constitution de l’homme : « dans la force du mot,
l’homme naît propriétaire, parce qu’il naît avec des besoins dont la satisfac-
tion est indispensable à la vie »(Bastiat [1848, p. 178]). La propriété est défi-
nie comme « la faculté exclusive garantie à un homme, à une association
d’hommes, de disposer à leur fantaisie de ce qui lui appartient » (Say [1840,
p. 238]) ou encore « le droit qu’a le travailleur sur la valeur qu’il a créé par
son travail » (Bastiat [1848, p. 177]). Les économistes se rapprochent ainsi de
la définition de Locke (Bastiat oppose le principe des juristes, reposant sur la
loi au principe des économistes, remontant au travail8) tout en rappelant
que la propriété constitue « le plus puissant encouragement à la multiplica-
tion des richesses » (Say [1826, p. 164]), sans propriété, point de richesses
(Diemer [2011]).
La réflexion qui conduit Auguste Walras à s’intéresser à la théorie de la
propriété, s’inscrit dans un contexte troublé à la fois par (i) les évènements
politiques (les périodes révolutionnaires associées à la proclamation de la
Monarchie de Juillet, le 9 août 1830 et la proclamation de la IIe République,
le 27 février 1848, encadrent les trois essais – « De l’abolition de l’impôt et
l’établissement de la loi agraire » [1831b] ; « La vérité sociale » [1848a] et
« la théorie de la propriété » [1848b] – rédigés par Auguste Walras) ; (ii) la
scission qui est en train de s’opérer au sein du mouvement saint-simonien
(entre le père Bazard et le père Enfantin) dans les années 1830 (dans une
lettre adressée à Louis Léon Gadebled, le 12 décembre 1831, Auguste
Walras s’inquiète de cette situation : « Que devient la science, et qui en sera
maintenant le représentant ? … Quel sera alors le fil conducteur propre à
diriger les élèves de la doctrine ? Où sera le signe de l’orthodoxie ? ») ; (iii) la
montée des idées socialistes de Louis Blanc et de Pierre Joseph Proudhon
(dans son ouvrage Qu’est ce que la propriété, ce dernier associe la propriété
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à un monopole nuisible, au vol et se lance dans une vive critique à l’encon-
tre des économistes : « je confesse qu’en général, je ne les aime pas. La
marque et l’inanité de leurs écrits, leur impertinent orgueil et leurs inquali-
fiables bévues m’ont révolté », lettre du 30 juin 1840) ; (iv) la réponse des
économistes libéraux au sein de la Société d’économie politique et du Jour-
nal des économistes, respectivement créés en 1841 et 1842.
Les débats entre socialistes, communistes et économistes libéraux seront
particulièrement virulents à partir de 1843 (Sagot-Duvauroux [2002] ; Lalle-
ment [2010] ; Sigot [2010]). Les fondements du droit de propriété, et plus

7. Dans un discours prononcé contre le projet de rachat des chemins de fer, Charles de
Montalembert précise que « la propriété est antérieure et supérieure à toutes les lois et
toutes les constitutions » (1848, p. 403).
8. Ambroise Clément, membre de la Société d’économie politique et collaborateur au
Journal des économistes, rappelle que « la Propriété est le but et le fruit du Travail, elle est
composé de toutes les utilités de la création… C’est le travail qui fonde toutes les propriétés,
même celle du sol » (1848, p. 363).

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précisément la ligne de partage entre propriété collective et propriété privée,


constituent la pierre angulaire de la polémique. Comme la justice se déter-
mine en partie dans la possession des choses, il convient de rechercher
d’après le consentement de tous les hommes et les progrès de l’esprit
humain, à quelles conditions la possession des choses est juste. Proudhon
[1841] avait ouvert les hostilités en précisant que des deux causes qui ser-
vent de fondement à la propriété, le droit d’occupation et le travail, l’une
empêchait la propriété, l’autre la détruisait. Bien que la proposition « La
propriété est un vol » fût désavouée et condamnée par l’Académie (délibé-
ration du 24 août 1840), Proudhon reçu l’appui d’Adolphe Blanqui, qui inter-
vint directement auprès du Ministre de la Justice, M. Vivien. Ce partisan du
libre échange et successeur de Jean-Baptiste Say à la chaire d’économie
politique du Conservatoire national des arts et métiers (1833), ne pouvait
accepter l’abolition de la propriété. Dans le même temps, il fût très impres-
sionné par la forme et la qualité de l’œuvre de Proudhon : « Vous voulez
abolir le plus énergique levier qui fasse mouvoir l’intelligence humaine…
Voilà ce que je ne puis admettre, et c’est pour cela que j’ai critiqué votre
livre, si plein de belles pages, si étincelant de verve et de savoir ! » (Lettre du
1er mai 1841). Deux ans plus tard, Joseph Garnier reprochera à Proudhon les
propos injustes et brutaux à l’encontre des économistes (« l’auteur de Qu’est
ce que la propriété ? nous a fait l’effet d’un sanglier irrité distribuant des
coups de boutoir sur son passage, per fas et nefas », [1843, p. 290]) tout en
concédant que la méthode utilisée (la recherche des lois naturelles qui pré-
sident à la production et la distribution) était digne d’un homme de science.
Ce qui préoccupe les économistes libéraux en ces temps d’instabilité poli-
tique, c’est d’une part la confusion des genres, entre propriété dans le sens
général et propriété au sens restreint de propriété foncière. Frédéric Bastiat
[1848a, p. 177] regrette ainsi que « ce mot réveille involontairement en nous
l’idée de la possession du sol ». C’est d’autre part, le comportement des
propriétaires fonciers qui en appellent à la loi pour donner à leurs terres et
à leurs produits une valeur factice (Bastiat [1848a]). C’est enfin la remise en
cause par la doctrine socialiste de la propriété foncière, « quand les nova-
teurs affirment que le sol appartient à tout le monde…, ils ont raison en droit
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chrétien et humain ; mais ils proclameront une vérité improductive tant
qu’ils ne proposeront pas un nouveau système réalisable » (Garnier [1843,
p. 296]).
Ce nouveau système, Auguste Walras entend bien le présenter à ses lec-
teurs. Rappelant que l’histoire du Droit naturel est caractérisée par la lutte
intempestive entre deux systèmes, la propriété et la communauté, Auguste
Walras précise qu’il suffirait d’admettre les deux postulats suivants – le tra-
vail et le capital font l’objet de la propriété privée, la terre fait l’objet de la
propriété collective – pour que les droits de tous les hommes soient sauve-
gardés (Bourdeau, 2006). Cette conception de la justice débouche cependant
sur une conclusion inacceptable pour les propriétaires terriens et la plupart
des économistes libéraux, à savoir la suppression de la propriété foncière et
la nationalisation des terres par l’État.
Conscient des enjeux politiques, Auguste Walras avancera avec prudence
sur le sujet (d’où les nombreuses réticences à publier ses travaux et les
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recommandations adressées à son fils Léon9). Il rappellera régulièrement


qu’il s’est toujours situé sur le terrain de la science (le fait de considérer
l’État comme un propriétaire terrien repose sur une étude scientifique : celle
de la théorie de la valeur et de la théorie de la propriété) ; que ses idées ne
sont pas nouvelles mais qu’elles émanent de grands esprits tels Destutt de
Tracy10, James Mill… ; enfin qu’une bonne théorie doit faire ses preuves du
point de vue de la pratique (le débat doit ainsi porter sur les modalités du
« transfert » de propriété).

2.1. L’État, propriétaire des fonds de terre

Dans la plupart de ses travaux, Auguste insistera sur un point important :


la suppression de la propriété foncière individuelle et la « nationalisation »
des terres constitueraient un nouveau système économique et social, sus-
ceptible de régler les problèmes d’injustice. Cette « véritable loi agraire11 »,
qualifiée de spoliation légale (le vol est la violation de la propriété) par les
économistes libéraux (Clément précise que « la propriété individuelle (du
sol)… est absolument inattaquable au point de vue de l’équité, puisqu’elle
est entièrement au travail et à l’épargne des familles », 1848, p. 364), aurait
de nombreuses vertus.
En posant les bases du socialisme libéral, elle provoquerait la disparition
de la classe des propriétaires fonciers et rétablirait une constitution républi-
caine. Dans son essai « Un chapitre de M. Guizot annoté par un travailleur »
[1849e], Auguste Walras rappelle que l’on ne peut pas réduire les doctrines
socialistes aux thèses de M. Proudhon. Le socialisme n’a pas pour but
d’abolir ou d’annuler la propriété individuelle. Pour traiter de la question du
socialisme, il convient de s’appuyer sur certains principes de l’économie

9. « M. Garnier, me dis-tu, a voulu, lui aussi, dénoncer le but auquel aboutissait ton
argumentation, et te compromettre par une couleur de socialisme. Il a déclaré que ton
système aboutissait à l’appropriation des terres par l’État. Si tu réponds à M. Garnier, il faut
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protester, avant tout, contre l’emploi de ces expressions ambiguës, captieuses et perfides :
dénoncer, appropriation des terres par l’État. On dénonce des coupables ; on dénonce des
criminels ; on ne dénonce pas des gens honnêtes, des philosophes sincères et de bonne foi,
qui cherchent la vérité, qui l’exposent loyalement, et qui s’attachent avec la plus scrupuleuse
rigueur à l’observation de la plus pure justice. Tant pis pour les ignorants qui prennent le vrai
pour le faux, le faux pour le vrai, le bien pour le mal et réciproquement » (lettre à Léon
Walras, le 9 septembre 1860).
10. Destutt de Tracy voyait plusieurs avantages à ce que le gouvernement ait de tels fonds.
Premièrement, il est des espèces de productions que lui seul peut conserver en grande
quantité (exemple des bois). Deuxièmement, il est bon que le gouvernement possède des
terres cultivées, il sera ainsi capable de connaître les ressources et les intérêts des diverses
localités. Troisièmement, quand une grande masse de biens fonds est dans les mains du
gouvernement, il en reste moins dans le commerce, le rapport de l’offre à la demande doit
élever la valeur des fonds, ce qui fera baisser le taux de l’intérêt dans les autres placements.
Quatrièmement, et cette considération est la plus importante de toute, « tout ce que le
gouvernement tire annuellement de ces biens fonds est un revenu qu’il n’enlève à personne,
il lui vient de son propre bien, comme à tous les autres propriétaires, et c’est autant de
diminuer sur ce qu’il est obligé de se procurer par des impôts » (1823, p. 270).
11. « Qu’est ce en effet que mon système, si ce n’est une loi agraire, c’est-à-dire la véri-
table formule de la loi agraire, la loi agraire telle qu’elle peut être conçue et pratiquée au
XIXe siècle » (1848a, [1997, p. 79]).

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Arnaud Diemer —————————————————————————————————————————————————————— 445

politique (valeur d’échange, richesse sociale, limitation dans la quantité) et


du Droit naturel (propriété, communauté, limitation). Le système écono-
mique et social d’Auguste Walras repose sur un principe naturel et scienti-
fique : « la terre appartient à la nation, le travail à l’individu, la terre est
l’objet d’une propriété commune entre tous les citoyens, le travail est l’objet
de la propriété privée » (1848a, [1997, p. 51]). Le fermage ou le loyer des
terres constituerait ainsi le revenu public. Il servirait à subvenir aux dépen-
ses de l’État qui sont aujourd’hui couvertes par l’impôt. Cette mesure per-
mettrait de pallier une profonde injustice, la plupart des impôts sont en effet
payés par les classes laborieuses. En remplaçant l’impôt12 par le fermage,
l’état serait le destinataire d’un revenu naturel et légitime. Par la même
occasion, les propriétaires seraient amenés à progressivement disparaître
du paysage national : « Ils iront rejoindre dans les abîmes du passé et les
seigneurs du Moyen-Age, et les moines du quinzième siècle, et les patriciens
de Rome, et les nobles spartiates qui s’engraissaient de la sueur des Ilotes »
(1848a, [1997, p. 52]). Sans nulle émotion, avec même un profond soulage-
ment, Walras considère que cette fin est inéluctable13. La classe des proprié-
taires terriens est associée depuis trop longtemps à un ensemble d’exac-
tions qui nuisent à la communauté toute entière.
L’injustice est déjà présente dans l’acte de production et de consomma-
tion. Auguste Walras rappelle que si tout ce qui se consomme annuellement
dans une nation est le produit du travail des industriels (Auguste Walras
entend ici le travail des savants, des entrepreneurs et des ouvriers), ce
dernier se distribuera parmi les quatre classes suivantes : les industriels qui
ont besoin de se nourrir et d’entretenir leur famille ; les capitalistes qui
reçoivent des industriels une rémunération pour l’usage de leurs capitaux ;
les propriétaires fonciers qui reçoivent des industriels une rémunération
pour l’usage de leurs fonds ; l’État qui reçoit des industriels des fonds pour
assurer la sécurité et la paix. Or ces quatre classes sociales consomment le
fruit du travail d’une seule. Les industriels se trouvant dans la situation la
plus défavorable, Auguste Walras entend réparer cette injustice en suppri-
mant la classe des propriétaires fonciers14. Cette disparition mettrait un
terme à une oisiveté nocive et dangereuse pour la société. Auguste Walras
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reprend ici une distinction introduite par les saint-simoniens entre les tra-
vailleurs et les oisifs15. Les classes laborieuses (au sens large, les agricul-
teurs, les industriels, les commerçants, les professions libérales et les fonc-

12. Les dépenses publiques se trouvant couvertes par le produit annuel de la terre, il serait
en effet possible d’abolir toutes espèces d’impôts. Auguste Walras précise que cette conclu-
sion ne serait pas le fruit du hasard. Au siècle précédent, François Quesnay et de l’Ecole des
Physiocrates avaient défendu le principe de l’impôt unique fondé sur le produit net.
13. En proposant de faire disparaître de « la nomenclature sociale » la classe des proprié-
taires, Auguste Walras s’appuie sur le fait que l’impôt ne serait pas seulement un dommage
matériel, mais également un « mal moral », une injustice. L’impôt annuel est en effet prélevé
sur le revenu général, or ce revenu est entièrement dû aux efforts des classes industrielles.
14. Cette suppression se justifie également par le fait que la classe des propriétaires
terriens est consommatrice de revenu public.
15. « Les Saint-Simoniens ont distingué, il est vrai, les travailleurs des oisifs, et ils ont
rendu ainsi un véritable service à la science. Mais ils n’ont pas poussé leur analyse assez
loin, et ils n’ont pas su voir qu’il y avait oisifs et oisifs, et qu’il fallait distinguer l’oisiveté du
propriétaire foncier de l’oisiveté du capitaliste. Le propriétaire foncier est un parasite, un oisif
illégitime ; le capitaliste est un oisif qui a conquis son oisiveté, qui a acquis le droit de se

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446 ——————————— Comment concilier les droits de l’individu et les droits…

tionnaires publics) vivent de leur travail et de leur salaire. La loi économique


stipule que c’est la rareté du travail qui fait que le salaire s’élève. Les classes
oisives (les rentiers et les propriétaires fonciers) vivent de leurs revenus. Si
les revenus du capital et les fonds de terre sont suffisamment élevés, cette
classe peut vivre dans l’oisiveté. Auguste Walras précise cependant une
différence fondamentale entre le capitaliste et le propriétaire. Le capital
prend sa source dans le travail16, l’oisiveté du capitaliste ne se traduit pas
par de la paresse et de l’inertie mais par davantage de loisirs17 et de sécurité
(pour le capitaliste et les siens). Dans une société bien ordonnée, il y a un
certain nombre de personnes qui exécutent des travaux qui ne sont pas
payés à leur juste valeur (c’est la différence entre le travail demandé et le
travail non demandé). Ces hommes de loisirs sont des philosophes, des
penseurs au nom célèbre (Newton, Descartes…). Il y a donc « une oisiveté
légitime, qui se fonde sur un travail antérieur et qui ne nuit à personne »
(1849b, [1997, p. 299]). L’oisiveté associée à la possession de terres et à la
jouissance de leurs revenus, n’a pas les mêmes fondements. Une telle situa-
tion est un « cadeau… tombé du ciel ; une richesse nouvelle qui lui est
venue pendant son sommeil » (1848a, [1997, p. 43]), voir la simple expres-
sion d’une loi économique (le capital foncier et son revenu augmentent dans
une société qui prospère). L’oisiveté du propriétaire terrien est illégitime et
dangereuse car elle se transforme en paresse. Elle est également injuste et
oppressive. Le droit et le devoir de toute société seraient donc de s’organi-
ser par le travail et de lutter contre l’oisiveté du propriétaire foncier.
Une autre injustice réside dans l’exercice du pouvoir politique. Dans son
article « De l’abolition de l’impôt et de l’établissement de la loi Agraire »
[1831b], Auguste Walras réagira à la troisième ordonnance de Charles X qui
renforce le pouvoir politique des propriétaires fonciers. Cette dernière pré-
voyait que seuls les impôts fonciers et la cote personnelle et mobilière
seraient pris en considération pour la fixation du cens18 électoral et du cens
d’éligibilité. L’exercice du droit politique étant entre les mains des nobles
(propriété foncière), c’est au nom de la démocratie et de la justice
qu’Auguste Walras entend supprimer la propriété foncière et rétablir l’éga-
lité. Il se veut ainsi le porte-parole des classes laborieuses, les seules selon
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lui à avoir une importance sociale19.

reposer. Par suite de cette lacune, ils n’ont pas su distinguer ce qui revenait à l’État, et ce qui
revenait aux individus et aux familles » (lettre à Léon Walras, le 1er avril 1860).
16. La loi économique précise que le capital (placé ou engagé) et le revenu qui lui est
associé sont sujets à des pertes. La concurrence entre capitalistes engendre une diminution
de l’intérêt de l’argent et donc une baisse du revenu (il faut ainsi un capital plus élevé pour
produire le même revenu).
17. Auguste Walras introduit une certaine forme d’arbitrage entre le travail et les loisirs.
18. Le cens est la quotité d’imposition nécessaire pour avoir le droit d’être électeur ou
éligible dans certains systèmes électoraux.
19. Dans un essai intitulé « Mais laissons là toutes ces misères » (1850), Auguste Walras
rappelle que la question sociale porte sur les fondements du droit civil, et principalement sur
le droit de propriété. Si depuis février 1848, le suffrage universel a rendu les citoyens français
égaux devant la loi politique. Ces derniers ne le sont pas encore devant la loi économique.
Tout simplement parce que cette loi est ignorée. Il y a donc dans la société, un élément
d’inégalité. Cette inégalité consiste « en ce que les uns peuvent s’enrichir plus facilement que
les autres » (1850, [1997, p. 610]).

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Au final, Auguste Walras apportera deux précisions supplémentaires,


symbolisant l’efficacité de son nouveau système. Le fait que l’État devienne
ce grand propriétaire foncier (et que la propriété individuelle foncière dispa-
raisse) n’engendrera ni suppression de richesse, ni disparition « physique »
des propriétaires terriens. En fait, tout le monde sera propriétaire foncier
étant donné que la terre appartiendra à tous les citoyens. Chaque citoyen
aura sa quote-part dans la propriété commune. Les individus qui jouissaient
d’un privilège abusif (vivre aux dépens du travail des autres) rentreront dans
la classe des travailleurs et vivront du produit de leur travail. Mieux encore,
le prolétariat ne devant son existence qu’à la présence des propriétaires
fonciers, la suppression de la propriété foncière individuelle entraînera la
disparition du prolétariat (chacun devenant propriétaire) : « J’appelle prolé-
taire tout homme qui ne possède pas un pouce de terre, cet homme
possède-t-il d’ailleurs cent mille francs de rente, cet homme possède-t-il
plusieurs millions. J’appelle prolétaire tout homme qui vit de profits ou de
salaires. J’appelle propriétaire foncier tout homme qui possède de la terre,
n’importe en quelle quantité. J’appelle propriétaire foncier tout homme qui
vit de la rente foncière, en tout ou en partie » (1849b, [1997, p. 300]). Par
ailleurs, le fait que l’État possède des terres, n’entraînera aucune consé-
quence fâcheuse sur l’exploitation des terres. Dans son Traité d’économie
politique, Destutt de Tracy [1823] rappelait que beaucoup de politiques
n’approuvaient pas que le gouvernement détienne des biens-fonds. Il était
généralement avancé que le gouvernement était un propriétaire peu soi-
gneux et que ses régisseurs étaient peu fidèles. A cette critique, Destutt
répondait que « la quantité de la production des biens fonds ne dépend
guère de ceux qui les régissent, mais presque uniquement de ceux qui les
exploitent. Or rien n’empêche que ses terres ne soient aussi bien cultivées et
ses bois exploités avec autant d’intelligence que ceux des particuliers »
[1823, p. 269]. Auguste Walras reviendra sur cette question en précisant que
la condamnation de la propriété individuelle et la disparition des proprié-
taires fonciers ne signifient pas la remise en cause de l’activité agricole20. Au
contraire, le nouveau système économique et social ouvrirait de nom-
breuses perspectives à l’agriculture. La terre n’aurait plus besoin d’être divi-
sée, c’est la culture qui serait à l’origine de la division. L’État pourrait très
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bien décider du nombre d’hectares qu’il convient d’affecter à une ferme, en
fonction de la nature du sol et de l’espèce de culture. Pour le fermier, il n’y
aurait pas de modification de son travail, qu’il paie son fermage à un pro-
priétaire ou à l’État, il cherchera toujours à retirer de son travail le salaire le
plus élevé. Enfin, l’État en tant qu’administrateur de biens et percepteur
d’impôt, voit son rôle inchangé (c’est juste l’origine de la recette publique
qui se modifie).

2.2. L’attribution des terres à l’État


Auguste Walras ne se contente pas de prôner une société plus juste, il
dresse également une liste de tous les moyens permettant à l’État de pren-

20. L’agriculture ne doit pas être confondue avec la propriété individuelle et l’idée de
l’oisiveté.

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448 ——————————— Comment concilier les droits de l’individu et les droits…

dre possession des terres : l’appropriation immédiate (confiscation avec ou


sans indemnisation), l’appropriation progressive par l’achat (terres, créan-
ces), l’appropriation progressive par une redéfinition des droits (mutation,
succession).

2.2.1. L’appropriation immédiate

Il serait possible de confisquer tous les biens et les déclarer biens publics.
Compte tenu de la législation existante, Walras précise qu’une telle mesure
est injuste. On ne peut ôter aux propriétaires des biens qu’ils ont légitime-
ment acquis : « Notre système mène… à la possession d’une certaine éten-
due de terres par l’État ; mais comme la possession des terres peut se
fonder et se fonde en réalité sur des bases légitimes, telles que l’acquisition
par vente ou par donation, l’échange, l’hérédité, il est impossible de soutenir
que les terres ne puissent pas être possédées par l’État aussi légitimement
que par les particuliers. Et de fait, l’État ne peut pas être déclaré voleur,
spoliateur, socialiste, par le seul fait qu’il possède des terres. Toute la ques-
tion est de savoir comment il les a acquises. Or, à notre connaissance, nous
n’avons jamais donné à l’État le coupable et pernicieux conseil de s’appro-
prier des terres par la voie de la violence, de l’usurpation, de la spoliation »
(lettre à Léon Walras, le 9 septembre 1860). L’État pourrait s’emparer des
fonds de terre en indemnisant les propriétaires. Cette mesure, moins injuste
que la première, serait toutefois irréalisable. L’État n’aura jamais les moyens
financiers pour lancer un tel programme.

2.2.2. L’appropriation progressive par l’achat

L’État pourrait consacrer tous les ans une part de son budget à l’acquisi-
tion des fonds de terre. En achetant régulièrement des terres, l’État s’octroie-
rait un revenu qui diminuerait d’autant la pression fiscale. Toutes les contri-
butions publiques cesseraient dès lors que l’État serait rentré dans la
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possession de toutes les terres. Auguste Walras note que certains sont allés
encore plus loin dans cette démarche. Les Saint-simoniens – qu’Auguste
Walras a largement côtoyés durant deux années (séminaires d’Armand
Bazard et Prosper Barthélemy Enfantin, rue Taranne) – ne se sont pas
contentés de combattre la propriété foncière, ils ont également réclamé
l’abolition de la transmission de la propriété par succession. Les fonds de
terre et les capitaux seraient ainsi mis entre les mains d’un établissement
public qui les distribuerait à tous les citoyens suivant leurs capacités. Bien
que louant cette proposition, Walras ne peut s’empêcher d’émettre quelques
objections21. Où trouver les capitaux nécessaires ? Dans l’organisation de la

21. Auguste Walras s’interrogera longuement sur la pertinence des idées saint-
simoniennes en Economie politique, « leurs idées à ce sujet ne dépassent guère celles de
leurs devanciers. Ils ne sont pas sortis de la doctrine d’Adam Smith et de Ricardo qui placent
la richesse dans le travail, qui font venir toute richesse du travail » (1831b, [1990, p. 16]). Leur
méconnaissance de la valeur rareté ne leur aurait pas permis de cerner la véritable signifi-

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société, la création des capitaux est étroitement liée aux efforts individuels.
Ce sont en effet les individus qui, par l’économie et l’accumulation, créent
des capitaux destinés (en partie) à assurer leur bien-être futur. La remise en
cause de l’héritage est susceptible de réduire une telle motivation (les indi-
vidus feront-ils autant d’efforts pour léguer ce capital à la Nation ?). Par
ailleurs, une telle proposition ne risque-t-elle pas de détruire l’institution de
la famille ? L’attachement d’un père pour son enfant est d’autant plus impor-
tant, qu’il peut faire davantage pour lui.
L’État a également la possibilité de racheter les créances hypothécaires sur
les fonds de terre. Un grand nombre de propriétaires terriens ont en effet
financé leurs achats par emprunts et donc hypothéqué leurs biens. Il y aurait
un avantage pour l’État à se substituer aux créanciers en rachetant les hypo-
thèques. Il pourrait ainsi obliger les propriétaires à rembourser une partie de
leur emprunt sous la forme d’une portion du sol.

2.2.3. L’appropriation progressive par une redéfinition


des droits

L’État pourrait veiller à ce que les droits de mutation – qui consistent,


toutes les fois qu’un fonds de terre change de mains, à payer à l’État jusqu’à
un vingtième de la propriété – lui soient délivrés en nature. De cette
manière, l’État deviendrait progressivement propriétaire de toute l’étendue
du territoire. Dans le cadre de l’héritage, l’État pourrait même exiger des
héritiers qu’ils s’acquittent de la part qui revient à l’État, en donnant une
portion des terres.
Au final, Auguste Walras insiste sur le fait que le système d’appropriation
publique des terres serait la consécration de la démocratie la plus pure, et
donc inattaquable22. En effet, la hausse de la valeur de la terre profiterait à
tous : la rente foncière serait consacrée aux dépenses publiques et chacun
bénéficierait de l’emploi de cette ressource. Les classes laborieuses ne sup-
porteraient plus le poids de la fiscalité. Le travail serait affranchi de tout
impôt. Plus libre, il permettrait la constitution d’un capital. L’oisiveté ne
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serait plus un vice, mais la récompense d’un arbitrage entre travail et loisir.
La propriété publique du sol fonde ainsi la citoyenneté des individus et
garantit l’exercice de leur liberté. Il faudra près d’un siècle pour que la thèse
de la nationalisation des terres resurgisse sous la plume d’un économiste
français. Maurice Allais [1943, 1994], renvoyant ses lecteurs aux Études
d’économie sociale de Léon Walras, défendra l’idée que la terre génère des
revenus non gagnés, c’est-à-dire des revenus qui ne correspondent pas à un

cation du loyer du sol. Associant le fermage à un mal, ils ont préconisé sa suppression. Or
aussi longtemps que la terre est utile et rare, elle a de la valeur et produit un revenu. En tant
que fait naturel, le fermage ne peut donc être détruit.
22. Un tel système prouverait son efficacité au regard des revenus perçus par les indivi-
dus. La hausse de la valeur de la terre profiterait à tous. La rente foncière serait consacrée
aux dépenses publiques, chacun profiterait de l’emploi de cette ressource. Les classes labo-
rieuses ne supporteraient plus le poids de la fiscalité. Le travail serait affranchi de tout impôt.
Plus libre, il permettrait la constitution d’un capital. L’oisiveté ne serait plus un vice, mais la
récompense d’un arbitrage entre travail en loisir.

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450 ——————————— Comment concilier les droits de l’individu et les droits…

service rendu. La proposition de collectivisation des terres permettrait ainsi


de faire passer dans les mains de l’État, la rente foncière (c’est-à-dire de
confisquer au profit de la collectivité, une rente provenant de la rareté des
capitaux fonciers). Une proposition qui passe nécessairement par une
réforme fiscale.

3. La théorie de l’impôt

Dans le Dictionnaire d’économie politique, Hippolyte Passy [1853, p. 900]


note qu’il appartient à Adam Smith d’avoir eu le mérite de clarifier les règles
de taxation. Au nombre de quatre, elles se définissent de la manière sui-
vante : l’impôt proportionnel constitue l’égalité ou l’inégalité dans la répar-
tition de l’impôt ; le mode de paiement et la quantité à payer doivent être
portés à la connaissance des contribuables ; l’observation et rien que
l’observation doit permettre d’assouplir le dispositif fiscal ; l’impôt doit faire
sortir des mains du peuple le moins d’argent possible (Smith, 1776, [1991,
p. 457-458]). Dans les années 1840, les économistes français (Cherbuliez,
Girardin, Rossi, Say, Faucher…) vont chercher à appréhender la question de
l’impôt sous l’angle de l’économie pure et de l’économie appliquée [Rossi,
1840]. L’économiste n’a pas à se demander si l’impôt est juste ou injuste,
moral ou immoral, il doit se contenter de mobiliser les principes de la
science économique pour expliquer ses véritables causes [Cherbuliez, 1848].
Dès que ces principes sont connus, il sera alors possible de traiter de la
question de l’assiette [Rossi, 1854], c’est-à-dire de répondre aux questions
suivantes : sur quels objets doit porter l’imposition ? Quels contribuables
doivent payer l’impôt ? Comment, où et quand l’impôt doit être perçu ?
Plusieurs sujets de discussion vont ainsi focaliser l’attention des écono-
mistes : la prépondérance de l’impôt foncier dans le système fiscal français
et sa péréquation [David, 1845] ; la préférence de l’impôt sur les revenus
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(Cherbuliez, Rossi, Say…) à l’impôt sur les capitaux (thèse défendue par
Girardin [1849]) ; la place de l’impôt proportionnel, progressif et unique
(Faucher, 1849a) ; les conséquences de la suppression de certains impôts sur
l’ensemble des recettes de la nation : l’impôt sur le sel, les droits d’octroi sur
la viande et l’impôt sur les boissons seront supprimés durant les années
1848 et 1849 (Say [1848] ; David [1849] ; Passy [1849]).
Auguste Walras a rédigé de nombreux essais sur le thème de l’impôt, « la
vérité sociale par un travailleur » [1848a] ; « Examen critique et réfutation du
livre de M. Thiers sur la propriété » [1848b] ; « Un chapitre de M. Guizot
annoté par un travailleur » [1849] ; « De l’impôt sur le revenu » [1849c], « De
l’impôt sur le capital, lettres à M. Emile de Girardin, représentant du peu-
ple » [1850] …, cependant aucun ne fut édité de son vivant. Les seuls expo-
sés de sa conception de la fiscalité publiés avant sa disparition furent
l’œuvre de son fils, Léon, dans « l’Economie politique et la justice » [1860] et
« Théorie critique de l’impôt, précédée de souvenirs du congrès de Lau-
sanne » [1861]. Auguste Walras se singularise par une triple posture : (3.1) il
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procède à une analyse détaillée de l’imposition des revenus23 de la terre, du


capital et du travail, en articulant sa théorie de la rareté avec la distribution
de la propriété ; (3.2) il reconnaît que la proposition de Girardin visant à
remplacer l’impôt par une assurance assise sur le capital répond aux prin-
cipes démocratiques tout en préconisant d’affranchir les salaires de tout
impôt et de frapper seulement les rentes foncières et les profits ; (3.3) il se
prononce contre l’impôt proportionnel.

3.1. L’impôt sur les revenus


Imposer les revenus revient à dissocier la contribution foncière de la taxe
sur les capitaux artificiels et sur les salaires. Il s’agit de répondre à la ques-
tion suivante : qui doit payer l’impôt ?

3.1.1. L’impôt foncier

La contribution foncière a été créée par la loi du 23 novembre 1790. Elle


fait partie des quatre grandes contributions directes (contribution mobilière,
contribution des patentes, contribution des portes et des fenêtres) initiées
par le nouveau régime. Cet impôt est facile à mettre en place : les terres sont
des capitaux visibles (en 1808, le principe du cadastre parcellaire fût même
appliqué de manière à garantir une meilleure répartition de l’impôt fon-
cier24), on peut les mesurer, les estimer, les comparer les unes aux autres.
Ces revenus ne peuvent échapper au contrôle de l’État. La taxe foncière est
principalement axée sur le patrimoine, Emile de Girardin l’a qualifié d’« er-
reur économique » [1849, p. 23] en rappelant qu’elle avait été mise en place
sous l’influence des thèses de Quesnay et de Turgot [Rossi, 1854]. Ces thè-
ses qui considèrent que la terre est la seule source de revenus et que tout le
poids des impôts (impôt unique prélevé sur le produit net) doit reposer sur
les seuls propriétaires fonciers [Steiner, 1992], auront une portée limitée
après 1820 (Demier [1995] ; Salvat [2004]). Cependant l’impôt foncier conti-
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nue d’occuper une place importante dans le système fiscal français (les trois
cinquièmes de la masse générale en 1814, encore la moitié en 1849) et dans
les débats publics. Les économistes focaliseront leur attention sur un point
précis, son assiette : qui la paie réellement ?
Dans son Traité d’économie politique (1823), Destutt de Tracy précise que
c’est celui qui possède la terre au moment où est établi l’impôt foncier, qui

23. Bien des projets de loi chercheront à imposer un véritable impôt sur le revenu (Passy,
1849), il faudra cependant attendre juillet 1914 (après sept années de débats) pour que le
Parlement procède au vote et à la création d’un véritable impôt sur le revenu.
24. Dans son ouvrage, Système financier de la France, Charles Audiffret note cependant
que la péréquation de l’impôt financier n’a jamais vu le jour et que le cadastre s’est révélé
être un véritable gouffre financier pour l’État : « nous pensons que l’administration doit
abandonner la route tortueuse et sans issue dans laquelle elle s’est égaré depuis trente deux
ans et sortir de ce labyrinthe cadastral où elle a mal dépensé son travail et 130 millions de
centimes additionnels auxquels s’ajouterait encore pour l’avenir un sacrifice perpétuel de 5 à
6 millions par année » (1840, p. 44).

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452 ——————————— Comment concilier les droits de l’individu et les droits…

la paie réellement, sans pouvoir rejeter ce fardeau sur une autre personne. Il
note cependant un détail important : le propriétaire doit être considéré
moins comme étant privé d’une portion de son revenu annuel que comme
ayant perdu la partie de son capital qui produirait cette portion de revenu au
taux courant de l’intérêt. Cette observation singulière l’amène à la conclu-
sion suivante : « quand on met un impôt sur le revenu des terres, on enlève
à l’instant à ceux qui les possèdent actuellement une valeur égale au capital
de cet impôt ; et quand elles ont toutes changé de mains depuis qu’il est
établi, il n’est plus réellement payé par personne » (1823, p. 280).
Pour Pellegrino Rossi, l’impôt foncier est celui qui trouble le moins la
production. Il convient cependant de ne pas l’assimiler à une rente consti-
tuée par l’État sur la propriété foncière, en effet, on pourrait être tenté « de
le pousser jusqu’aux limites de la spoliation » (1854, p. 293). Léon Faucher
[1849] et Emile de Girardin [1849] considèrent pour leur part qu’il est faux de
penser que la contribution foncière est toujours à la charge du propriétaire
et que le fermier ne la supporte jamais. Lorsque le propriétaire n’exploite
pas la terre par lui-même, le rapport entre l’offre et la demande de produits
agricoles joue un rôle déterminant : « Si les fermiers se font concurrence par
l’exploitation des terres, le fermage s’élève souvent jusqu’à faire bénéficier
le possesseur de l’équivalent de la taxe, il n’en reste tributaire que dans les
contrées et aux époques où l’on a quelque peine à trouver des capitalistes
qui aiment mieux être gros fermiers que petits propriétaires » (Faucher
[1849, p. 84]). Le fermier ou le locataire pourrait ainsi la payer indirectement.
Au moment où Auguste Walras aborde la question de la taxe foncière. Sa
théorie de la valeur rareté et ce qu’il appelle les lois particulières de l’éco-
nomie politique (Diemer [2006b], voir également schéma en fin de texte)
n’ont plus de secrets pour lui. Il a également pris connaissance de la thèse
soutenue par les physiocrates, des positions défendues par Pellegrino Rossi
dans son cours d’économie politique (cours qu’Auguste Walras a suivi au
Collège de France durant la période 1832-1833), des travaux de Destutt de
Tracy et d’Emile de Girardin, des débats au sein de l’école libérale française.
A la perte de capital mentionnée par Destutt de Tracy, Auguste Walras asso-
cie une observation émanant de la première loi de l’économie politique (lois
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particulières) : la terre est un capital dont la valeur s’élève régulièrement
dans une société qui prospère, le revenu qui en émane, suit également cette
augmentation. Auguste Walras en déduit que « les propriétaires fonciers se
sont enrichis, malgré l’établissement de l’impôt, et que la perte faite sur le
capital foncier a été largement compensée par la plus value que ce capital
n’a pas manqué d’acquérir pendant une période progressive de soixante
ans » (1849c, [1997, p. 461]).
Ce constat lui permettra de formuler les trois conclusions suivantes : 1° La
contribution foncière n’est pas un impôt, c’est l’appropriation d’une partie
du capital foncier par l’État. Ce point aurait selon Auguste Walras échappé
aux physiocrates. En voulant faire des revenus fonciers, l’unique ressource
de l’État, ces derniers auraient porté, bien malgré eux, atteinte à la propriété
foncière : « Si ces illustres penseurs avaient été un peu plus avancés dans la
science de la richesse, ils auraient vu que leur impôt foncier n’était pas un
impôt mais qu’il constituait une attribution à l’État d’une portion de revenu
net ou des fermages, et par cela même une confiscation pure et simple, au
REP 122 (3) mai-juin 2012
Arnaud Diemer —————————————————————————————————————————————————————— 453

profit de l’État, d’une portion de capital foncier » (1997, p. 579). Auguste


Walras se retrouve ainsi face à un dilemme (Salvat [2004]) : si l’impôt foncier
se justifie du point de vue de l’économie politique (c’est-à-dire sur le plan
scientifique), ses conséquences en matière de justice sociale peuvent être
considérées par certains (les propriétaires fonciers) comme tout à fait illégi-
times (c’est l’idée de spoliation). C’est pour résoudre ce dilemme
qu’Auguste Walras suggérera de nationaliser les terres. Cette solution poli-
tique, d’un premier abord inacceptable, est à la fois, le corollaire de la
solution scientifique (les fameuses lois de l’économie politique) et l’héritage
que doit assumer l’Ecole physiocrate ! : « Pour rectifier leur système, il n’y a
donc autre chose à faire qu’à le pousser à sa dernière limite. Vous prétendez
que l’État est copropriétaire du sol, et que le fermage doit se partager entre
l’État et les propriétaires fonciers. Allez plus loin, et puisque vous avez mis le
pied dans la bonne voie, ne vous arrêtez pas à moitié chemin. Affirmez que
l’État est propriétaire de la terre, et que le fermage tout entier lui appartient.
Voilà ce que je dirais aux physiocrates, s’il existait encore parmi nous quel-
ques représentants de cette illustre école. » (La vérité sociale, 1997, p. 78). 2°
le propriétaire foncier ne peut rejeter le fardeau de l’impôt ni sur le capita-
liste (la rente foncière et le profit sont deux choses distinctes ; la rente
contient le profit moins la prime d’assurance et la prime d’amortissement, la
rente ne peut donc croître que si le profit augmente), ni sur les travailleurs
(ceux-ci s’acquittent déjà du fermage d’après la valeur de la rente). 3°
contrairement à ce que suggère Emile de Girardin [1849] dans son ouvrage
Le socialisme et l’impôt, l’impôt foncier ne doit pas être aboli. Il doit même
augmenter25 régulièrement de manière à absorber partiellement ou totale-
ment la plus value que la terre acquiert dans une société qui prospère. Pour
Auguste Walras, l’État a un droit absolu d’élever l’impôt foncier afin d’absor-
ber au profit de la société toute la plus value émanant des terres et des
fermages.

3.1.2. L’impôt sur les capitaux et l’impôt sur les


salaires
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Les facultés personnelles renvoient à la décomposition des classes labo-
rieuses (les agriculteurs, les industriels, les commerçants, les professions
libérales, les fonctionnaires publics). Si les fonctionnaires ne peuvent pas
échapper à l’impôt (celui-ci repose sur les traitements alloués par l’État), il
n’en va pas de même pour les autres classes. Celles-ci font apparaître un
certain nombre de divisions (les chefs d’entreprises, les employés, les
contremaîtres, les ouvriers…) et de subdivisions (marié, célibataire, nombre

25. Contrairement à ce que suggère le Ministre des Finances Passy (1849) dans son projet
d’imposition, Auguste Walras montre (d’après la théorie de Tracy) qu’il est possible d’aug-
menter l’impôt foncier sans nuire aux contribuables. Cette augmentation viendrait alimenter
les caisses du Trésor public, ce qui serait un bienfait pour la société. Auguste Walras pous-
sera son raisonnement à l’extrême limite, des hausses successives de l’impôt pourraient
absorber le montant total des fermages. Dès lors, l’État deviendra l’unique propriétaire de
toutes les terres. Les rentes foncières serviront à couvrir ses dépenses publiques. Il sera
possible de supprimer tous les impôts qui pèsent sur les travailleurs et les capitalistes. La
disparition des propriétaires fonciers serait donc inéluctable.

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454 ——————————— Comment concilier les droits de l’individu et les droits…

d’enfants à charge…) qui rendent difficiles l’établissement d’un impôt sur le


travail ou sur le salaire. L’État serait ainsi obligé de faire appel à la bonne
foi26 des citoyens pour apprécier leurs revenus. Les capitaux artificiels sont
quant à eux très hétérogènes et très mobiles. Ils se subdivisent en trois
principales classes. Ce sont tout d’abord les propriétés bâties. Ces dernières
sont constituées de deux éléments : le fonds et la bâtisse. Le fonds est un
capital inconsommable et susceptible d’accroissement. Lorsque l’impôt
frappe le revenu du sol, il est assimilé à un impôt foncier et représente une
appropriation d’une portion du sol. La bâtisse est une propriété immobilière.
Lorsque l’impôt tombe sur la construction, il a pour effet de renchérir les
loyers et de retomber sur les « consommateurs de maison », c’est-à-dire les
travailleurs. Les maisons comme les terres ne peuvent être cachées au fisc.
Il y a ensuite les rentes sur l’État. Elles ont une certaine analogie avec les
terres, une rente perpétuelle et non remboursable équivaut presque en tout
point à un fonds de terre. Au même titre que les terres et les propriétés
bâties, les rentiers ne peuvent échapper au fisc. Il y a enfin les créances
hypothécaires. L’établissement de l’impôt ne pose pas de problèmes. Le
montant des créances hypothécaires peut être obtenu à partir des déclara-
tions des notaires ou des conservateurs d’hypothèques. A côté de ces trois
types de richesses, Auguste Walras note l’existence d’une pléthore de capi-
taux artificiels tels que les fonds placés dans différents établissements
d’industrie ou de commerce ; les actions industrielles ; les capitaux agricoles
(troupeaux, pressoirs, engrais…) ; les capitaux industriels (machines, matiè-
res premières, instruments de fabrication…) ; les capitaux commerciaux
(bâtiments de commerce, les chevaux, les sommes employées au paiement
de commis…). A cette grande hétérogénéité s’ajoute une autre caractéris-
tique, les capitaux artificiels se déplacent continuellement (ils font l’objet de
nombreuses ventes, de cessions, d’échanges…). Faute d’établir un inven-
taire exact27 de toutes ces richesses, il est donc très difficile d’établir un
impôt sur les revenus des capitaux artificiels (ce sentiment est partagé par
Etienne Cherbuliez qui constate qu’il est souvent impossible d’évaluer les
profits même approximativement). Et pourtant, les profits en tant que reve-
nus du capitaliste, introduisent la deuxième loi particulière de l’économie
politique : la valeur des capitaux artificiels et des profits doit baisser dans
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une société qui se développe. Cette décroissance serait due à un double
phénomène : « 1° la baisse de la valeur qui ne manque pas d’atteindre les
capitaux artificiels, au fur et à mesure que ceux-ci se multiplient dans la
société ; 2° la baisse absolue du taux de l’intérêt dans toute société qui

26. Léon Faucher (1849, p. 87) s’interroge sur cette réelle sincérité : « Ce qui permet à
l’administration britannique d’asseoir l’income tax presque invariablement sur la déclaration
des contribuables, c’est que … L’Angleterre est une nation aristocratique qui met son hon-
neur à dire vrai : ce peuple donne et tient religieusement sa parole… En France, le système
des déclarations aurait des résultats tout différents. D’abord, on ne se fait pas scrupule, chez
nous, de tromper le fisc : la fraude, en pareil cas, est un tour d’adresse ou un usage reçu, et
que nos mœurs sont loin de flétrir… Le français dissimule sa fortune, pendant que l’anglais
expose la sienne et la drape, tant qu’il peut, au soleil. Un impôt assis uniquement sur la
déclaration du contribuable produirait donc chez nous bien peu de choses ».
27. Deux solutions sont évoquées par Walras : 1° s’appuyer sur la déclaration des parties
intéressées en les supposant de bonne foi (ceci exige des citoyens, qu’ils soient parfaitement
au courant des principes de l’économie politique) ; 2° confier au fisc la mission de dresser
l’actif et le passif de chaque citoyen.

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Arnaud Diemer —————————————————————————————————————————————————————— 455

prospère » (1849c, [1997, p. 463]). Un impôt sur le revenu a donc pour


conséquence de faire payer plus cher les services des capitaux ou de relever
le taux d’intérêt. Or le concours du capital artificiel se rémunère sous la
forme d’un prélèvement sur la valeur des produits du travail. Les capitalistes
ne pouvant pas rejeter ce fardeau sur les propriétaires fonciers (la rente
foncière et le profit sont des choses distinctes, qui ne suivent pas les mêmes
lois), ils échappent à l’impôt en le reportant sur les salaires (et donc sur les
travailleurs). L’impôt sur les salaires tombe directement sur les salariés, il ne
peut être rejeté sur aucune autre classe. En effet, le travailleur ne peut
reporter l’impôt sur le capitaliste. Le prix des capitaux est réglé par le rap-
port de l’offre à la demande. Le travailleur subit cette loi. S’il veut que le
capital artificiel continue à lui prêter son concours, il doit payer l’intérêt
(également fixé par le rapport de l’offre à la demande). Ce qui lui reste, après
prélèvement, formera son salaire (la troisième loi particulière précise que la
valeur des facultés personnelles et des salaires est stationnaire dans une
société qui se développe). Le travailleur ne peut pas reporter l’impôt sur le
propriétaire foncier. En effet, la rente foncière est calculée sur la base des
profits des capitaux. Si ces derniers diminuent, la rente foncière doit baisser.
Au terme de sa présentation de l’impôt sur les revenus, Auguste Walras
en tirera les quatre conclusions suivantes : 1° La rente et le profit étant fixés
par les lois naturelles (le rapport de l’offre à la demande), c’est au travail,
acte volontaire et libre, à subir ces lois. Les profits ne seraient pas une
matière imposable. Toutes les dépenses publiques se puiseraient en défini-
tive dans la rente foncière et les salaires28. 2° Les propriétaires des terres
étant « très étrangers à la reproduction » (Destutt de Tracy [1823, p. 305]), le
meilleur impôt sera celui qui concerne le revenu des terres et le loyer des
maisons. 3° Le seul et unique moyen de mettre en place un impôt sur les
salaires, c’est d’avoir recours aux contributions indirectes (les impôts sur la
consommation). 4° Il serait juste et rationnel d’élever la contribution fon-
cière. Ce serait une manière de décharger les classes laborieuses d’un poids
qui les oppresse depuis longtemps.
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3.2. L’impôt sur le capital

S’il y a bien un consensus parmi les économistes, ce dernier prend la


forme d’un « principe incontestable » (Cherbuliez [1848, p. 419]) l’impôt doit
être prélevé sur les revenus et non sur les capitaux. Pellegrino Rossi [1854,
p. 219] présente ce principe comme l’une des quatre règles générales que

28. « Il n’y a que trois espèces de revenus. La rente foncière, le profit et le salaire. J’ai
essayé de démontrer que le profit, ou le revenu du capital artificiel, était inattaquable à
l’impôt, que cette espèce de revenu se dérobait à tous les stratagèmes du fisc, et que la
charge qu’on essayait de lui faire supporter, retombait, en définitive, sur le revenu du travail.
J’ai conclu de là que les dépenses publiques ne pouvaient être prélevées, d’une manière
durable et permanente, que sur la rente foncière et sur les salaires. Qu’on prenne plus ou
moins sur chacun de ces deux revenus, qu’on prenne tout sur l’un et rien sur l’autre, ou
réciproquement, on ne peut pas puiser ailleurs » (lettre à Léon Walras, le 11 septembre
1860).

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456 ——————————— Comment concilier les droits de l’individu et les droits…

l’économiste comme l’homme d’État et le financier ne doivent jamais perdre


de vue. Si l’impôt sur les revenus ralentit l’accumulation des richesses, il
laisse la société aussi riche qu’auparavant, il n’entame pas la production.
L’impôt sur le capital priverait au contraire la société d’une partie de ses
forces productives en entamant l’épargne. La relation entre revenus et capi-
tal est manifestement au cœur du problème de l’imposition. Pellegrino Rossi
attire l’attention du législateur sur le prélèvement de l’impôt, il convient de
veiller à ce qu’il « ne dépasse jamais la portion de revenu que le contri-
buable peut économiser » [1854, p. 235]. Lorsque l’impôt commence à enle-
ver ce qui est indispensable à l’existence, il tend du même coup à disperser
les ’petits’ capitaux et à ponctionner le capital social. Ce constat est partagé
par Auguste Walras, qui estime que l’impôt sur le capital est « une sottise…,
l’occision [tuerie] de la poule aux œufs d’or » (Lettre à Léon Walras, le 11
septembre 1860). Un impôt sur le capital entraîne une perte de revenus et
par conséquent la ruine de la société.
Certaines voix discordantes n’hésitent cependant pas à condamner l’impôt
sur le revenu (Faucher [1849]) et à plébisciter l’impôt sur le capital (Girardin
[1849]). Face aux mesures gouvernementales qui en Angleterre (Sir Robert
Peel, ministre des finances [1842]) et en France (M. Passy, Ministre des
Finances [1849]), cherchent à rétablir ou à mettre en place l’impôt sur le
revenu, Léon Faucher souligne que la taxe sur le revenu est le plus mauvais
des impôts, il s’opposerait à la fois à la formation de l’épargne et de l’accu-
mulation des capitaux : « La taxe sur le revenu … enlèverait au père de
famille engagé dans un commerce, dans l’industrie…, cet accroissement qui
devait lui servir à composer ou à recomposer un capital qui répondit à son
revenu » [1849, p. 89]. De son côté, Emile de Girardin [1849] propose dans
son ouvrage Le socialisme et l’impôt, de remplacer l’impôt sur la consom-
mation et l’impôt sur le revenu par un impôt sur le capital, ou plus précisé-
ment de substituer une assurance assise sur le capital à l’impôt. Dès lors,
l’impôt serait converti en prime et le contribuable en assuré : « L’impôt doit
être la prime d’assurance payée par ceux qui possèdent, pour s’assurer
contre tous les risques de nature à les troubler dans leur possession ou leur
jouissance » (1849, p. 120). Dans son essai l’impôt sur le capital [1849e],
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Auguste Walras reviendra sur le système de Girardin. Une telle proposition
serait à ses yeux, susceptible de remédier aux inconvénients du système
d’imposition sur le revenu. La contribution serait en effet calculée non sur le
montant du revenu, mais sur la valeur totale du capital. Au final, le système
de Girardin serait plus avantageux aux classes laborieuses (l’assurance
s’attaque au capital, quel que soit le taux de revenu qui en émane) et obéi-
rait même à des principes démocratiques. Le principe de l’impôt sur le
capital réapparaitra près d’un siècle plus tard dans l’ouvrage de Maurice
Allais, Abondance ou Misère (1946). L’impôt sur le capital (taxe de 2 %) est
ainsi présenté comme l’une des modalités d’un retour à un marché concur-
rentiel libre [Diemer, 2010].
Toutefois, Auguste Walras a déjà en tête une autre manière de réaliser la
justice. Il se propose d’affranchir les salaires de tout impôt et de frapper
seulement les rentes foncières et les profits. Tout citoyen serait ainsi taxé en
fonction de son capital personnel et du revenu qui en émane. Les proprié-
taires fonciers et les capitalistes seraient soumis à l’impôt, pour deux espè-
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Arnaud Diemer —————————————————————————————————————————————————————— 457

ces de richesses qui échappent à un grand nombre de citoyens. Un tel


système serait bien supérieur à tout ce qui existe. Il serait, selon Auguste
Walras, d’une conception « éminemment libérale » (au sens de favorable à
la liberté civile et politique, aux intérêts généraux de la société). Son grand
inconvénient résiderait cependant dans la difficulté de le faire accepter par
les propriétaires fonciers (lettres du 20 mars, 29 mars, 12 avril et 25 avril
1859 adressées à son fils Léon). Ces derniers, soucieux de défendre leurs
intérêts, « seraient parfaitement autorisés à repousser un tel système »
(1849c, [1997, p. 496]).

3.3. L’impôt proportionnel et ses implications


en matière de justice sociale
La maxime qui stipule que « chaque citoyen doit contribuer aux dépenses
de l’État dans la proportion de sa fortune », est souvent associée à un état
idéal et juste. Elle reste cependant rattachée à deux conditions : 1° l’impôt
doit être basé sur le principe de l’égalité. Or cette maxime ne repose pas
seulement sur un principe de justice et de droit, c’est aussi un principe
économique qu’il convient d’analyser sous le rapport de la richesse et de la
prospérité d’un État. 2° Si l’égalité est une règle vers laquelle l’impôt doit
tendre, il ne peut jamais l’atteindre complètement parce que les moyens
d’établir une parfaite égalité de traitement des contribuables posent cer-
taines difficultés au législateur (comment connaître avec exactitude le
revenu de chaque contribuable ? Comment être certain de la loyauté de
chaque contribuable ?). Fort de ce constat, de nombreux économistes ont
cherché à identifier les conditions d’une « égalité réelle » (Rossi [1854,
p. 228]) en analysant le système de l’impôt proportionnel et progressif
[Girardin, 1849]. Ce système d’imposition a connu un regain d’actualité en
1849 avec le projet de loi du ministre des Finances, M. Passy. Pour faire face
au déficit public de l’État Français (près de 184 millions de francs en 1849),
Passy propose un impôt proportionnel : « Art 1er : à partir du 1er janvier
1850, il sera établi une taxe personnelle proportionnée à la fortune et aux
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facultés des contribuables. Cette taxe sera due par tous les habitants qui,
d’après la législation actuelle, sont passibles de la contribution de trois
journées de travail. Elle sera exigible dans la commune du domicile réel »
[1849, p. 99]. Tout en reconnaissant la situation difficile des finances publi-
ques, un grand nombre d’économistes libéraux condamneront l’impôt pro-
portionnel et le projet de Passy. Etienne Cherbuliez [1848] considère que
l’impôt proportionnel et l’impôt progressif (celui-ci croît dans une proportion
plus rapide que le revenu) portent tout deux atteintes au dynamisme de
l’économie. Ainsi plus le système d’imposition s’écartera du principe de la
proportionnalité, plus il aura une vertu stimulante sur le marché du travail et
le niveau de vie d’un pays : « Supposons, pour un instant, qu’on puisse
frapper tous les salaires d’une taxe directe exactement proportionnelle. S’il
existe une catégorie plus ou moins nombreuse de travailleurs dont le salaire
se trouve réduit au strict nécessaire, la taxe, agissant sur eux comme une
baisse de salaire, amènera dans cette catégorie, un accroissement de mor-
talité, par conséquent une diminution dans l’offre du travail et par suite une
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458 ——————————— Comment concilier les droits de l’individu et les droits…

hausse des salaires, qui ne s’arrêtera que lorsqu’ils seront devenus suffi-
sants pour indemniser complètement le travailleur de la charge qui lui est
imposée » [1848, p. 388]. Dans la revue des deux mondes, Léon Faucher
[1849a] condamne un projet de loi destiné à ne rapporter que 60 millions de
francs à l’État. Si l’impôt doit se proportionner aux facultés des contri-
buables, il doit nécessairement être unique et remplacer tous les autres
impôts. Or dans la plupart des pays où il est appliqué, ce système d’impo-
sition n’est jamais exclusif (il est toujours associé à des taxes indirectes sur
les ressources individuelles) et mène inexorablement vers l’impôt progres-
sif, un impôt qui attaque le capital et absorbe le revenu (« Oui, l’impôt
progressif est au bout de l’impôt sur le revenu. Il en représente la fatalité.
Aveugle qui ne la voit pas, et insensé qui la dissimule » [1849a, p. 94]).
Auguste Walras n’est pas favorable à l’impôt proportionnel et entend bien
contester ce système d’imposition sur le terrain de l’économie politique. Il
note que lorsqu’une entreprise de messagerie transporte des voyageurs,
« elle ne demande pas à chaque voyageur quelle est sa fortune personnelle,
dans l’intention de le faire payer suivant ses moyens, plutôt que suivant la
somme des services qu’elle doit lui rendre » (1849c, [1997, p. 484]). La jus-
tice et l’équité ne peuvent donc se trouver ailleurs que dans l’égalité de
l’impôt. L’impôt est une dépense qui incombe à chaque citoyen pour une
portion égale, « Là est la justice. Là est la vérité » (1850, [1997, p. 603]). Afin
de donner encore plus de poids à son argumentation, Walras précise qu’il
paraît difficile d’associer le principe de l’impôt proportionnel à l’expression
de la justice absolue. En effet, l’impôt foncier est une appropriation d’une
portion du capital foncier des propriétaires terriens. L’impôt sur les profits
est un impôt « artificiel » qui frappe en apparence les capitalistes, mais
touche en réalité les travailleurs. L’impôt direct sur les salaires est quant à lui
matériellement irréalisable, les services du ministère des finances ne pou-
vant pas atteindre directement les salaires, ont mis en place un système de
taxes indirectes (l’impôt sur la consommation). Auguste Walras note que
même si l’on parvenait « par miracle » à imposer un tel impôt aux proprié-
taires fonciers ou aux capitalistes, ceci ne résoudrait pas le problème de la
justice sociale. En effet, il ne suffit pas d’évaluer la fortune d’un citoyen,
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encore faut-il tenir compte de la nature et de la valeur de ce capital, de la
relation qui existe entre la valeur de ce capital et la valeur du revenu qui en
découle. D’une certaine manière, Auguste Walras comme nombre d’écono-
mistes français, considère l’impôt proportionnel et progressif comme arbi-
traire et sujet de discordes. La France, contrairement à la Grande Bretagne et
la Prusse (qui adopteront ce principe dès 1842 pour l’une et 1893 pour
l’autre), devra attendre 1914 pour mettre en place l’impôt sur le revenu. Sept
années d’âpres discussions (1907-1914) seront nécessaires (projet allégé par
la majorité conservatrice de la Haute Assemblée, composée d’agriculteurs et
de classes moyennes de l’industrie et du commerce, très hostiles à toute
forme d’impôt sur le revenu).

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Arnaud Diemer —————————————————————————————————————————————————————— 459

4. Conclusion

C’est donc sur le terrain de la théorie de la richesse et du Droit naturel,


qu’Auguste Walras bâtit sa théorie de la propriété et de l’impôt. Cette der-
nière repose sur un fait général, permanent et universel : la limitation dans
la quantité et la limitation dans la durée. Aussitôt qu’une chose utile est
limitée dans sa quantité, elle est frappée d’un double caractère. Elle devient
d’abord appropriable (elle fait l’objet d’une possession et d’une possession
exclusive). Si cette possession est justifiée par la raison ou par la loi, elle
devient propriété. Elle devient ensuite valable et échangeable, elle fait l’objet
d’un commerce ou « d’un trafic ». Elle fait partie de nos richesses sociales.
Ainsi la théorie de la propriété et la théorie de la richesse portent précisé-
ment sur les mêmes objets29, seulement elles les considèrent sous un
aspect différent. Pour Auguste Walras, ce ne sont pas les projets de loi
agraire, de communauté de biens, de suppression de l’héritage ou de renou-
vellement du droit romain qui engageront nos sociétés dans la voie de la
vérité et de la justice. Seule, une nouvelle théorie de la valeur (celle de la
valeur – rareté) et une théorie de la propriété revisitée permettront d’aborder
la question sociale. Tant que les théories socialistes (celles de Cabet, Proud-
hon, Blanc…) et les économistes de l’Académie des Sciences Morales et
Politiques ignoreront la nature de la richesse sociale et les lois qui président
sa formation, sa consommation et sa distribution, ils ne pourront pas pro-
poser un système plus égalitaire et seront incapables de concilier l’impôt et
la propriété, les droits individuels et les droits de la communauté.
En cherchant à répondre à la question sociale, Auguste Walras sera cepen-
dant amené à proposer des solutions qui ne satisfont ni les socialistes, ni les
libéraux. La nationalisation des terres et l’imposition de la rente foncière, qui
pourraient trouver une certaine écoute parmi les socialistes, se heurteront à
la conception de la propriété individuelle des libéraux. Sa défense de la
liberté, de l’impôt sur la consommation et sa condamnation de l’impôt pro-
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gressif le placent dans le sillage des libéraux, des positions condamnées par
les socialistes. D’une certaine manière, Auguste Walras paiera le prix fort
d’une telle originalité. Sa position d’inspecteur académique l’empêchera de
défendre ses idées dans le milieu des économistes et de publier l’ensemble
de ses travaux. Léon Walras reprendra un grand nombre de propositions de
son père dans ses ouvrages L’économie politique et la Justice, et ses Etudes
d’économie sociale sans toutefois les défendre avec la même opiniâtreté (les
thèses présentées dans ses Eléments d’économie pure l’occuperont une
bonne partie de sa vie). Les multiples projets de rééditions des œuvres
d’Auguste Walras n’ayant jamais été menés à terme, ce n’est que depuis
quelques années que nous découvrons la richesse de ses travaux et l’origi-
nalité de ses positions. Les questions du socialisme, du communisme, de la
propriété et de l’impôt ne sont que les quatre aspects d’une seule et unique

29. « L’appropriabilité et la permutabilité des choses proviennent d’un même fait : la limi-
tation dans la quantité » (1850, [1997, p. 612])

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460 ——————————— Comment concilier les droits de l’individu et les droits…

question, « la reconstitution économique de l’État » (lettre à Léon, du 11 sep-


tembre 1860). Ce qui place Auguste Walras, au cœur de la tradition française
de l’économie politique, une tradition qui confère à l’État, un véritable rôle
économique.

Synthèse de la pensée d’Auguste Walras

PROGRAMME SCIENTIFIQUE
Théorie du fait général (observation et induction)
Classification des faits généraux (naturels, moraux, progressifs
Tableau des connaissances communes
ECONOMIE POLITIQUE
DROIT NATUREL
Sciences des richesses

Théorie de la valeur d’échange


- valeurs transmissibles et propriété Propriété
Possession exclusive
Limitation dans la quantité ou rareté
Fait scientifique La loi
Rapport offre – demande - Limitation, sanction
Expression du marché - Droit et devoirs

Limitation dans la durée


Capitaux et revenus Critique des thèses de
Hobbes et de Thiers

Système de propriété
Lois générales Lois particulières - Richesse, propriété privée
Capitaux et - Terre (rente foncière) - Richesse, propriété publique
revenus - Capitaux (intérêt) - Capital, travail : famille, individu
- Travail (salaires) - Terres : Etat

THEORIE DE LA JUSTICE

Question sociale : tracer une ligne de démarcation entre la propriété privée et la propriété collective
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Etat propriétaire des terres Impôt : légitime et nécessaire
1/ Nouveau système économique et social - Rentes et profits fixés par les lois naturelles, le
- Socialisme scientifique basé sur les travail, acte libre, volontaire, doit les subir
principes de l’économie politique - Les profits ne sont pas imposables
- Disparition des propriétaires fonciers - Les dépenses publiques : rentes et salaires
- Constitution républicaine - Les terres : capitaux visibles et appréciables ; les
2/ Moyens d’y parvenir capitaux artificiels : concept hétérogène ; les
Indemniser les propriétaires, part du facultés personnelles : recours aux contributions
budget consacré aux achats, droits de indirectes
mutation, héritage, créances hypothécaires Remise en cause de l’impôt progressif (impôt
idéal) par les principes de l’économie politique

Système libéral : affranchir les salariés de l’impôt, frapper les rentes foncières et les profits

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Arnaud Diemer —————————————————————————————————————————————————————— 461

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