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3 : Enclaves autoritaires en démocratie : perspectives

latino-américaines
Olivier Dabène
Dans Recherches 2008, pages 89 à 112
Éditions La Découverte
ISBN 9782707156266
DOI 10.3917/dec.dabem.2008.01.0089
© La Découverte | Téléchargé le 22/09/2023 sur www.cairn.info via Campus Condorcet (IP: 195.98.225.201)

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perspectives latino-americaines 2 on
3

Enclaves autoritaires en démocratie :


perspectives latino-américaines

Olivier Dabène

La littérature sur l’évolution des régimes politiques a bien trop


souvent tendance à raisonner en termes dichotomiques et homogénéi-
sants. Les travaux des années 1970 qui analysaient les ruptures des
démocraties [Linz, Stepan, 1978] puis ceux qui, depuis les années
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1980, portent sur les transitions vers la démocratie et sa difficile conso-
lidation [O’Donnell, Schmitter, Whitehead, 1986], appréhendent les
changements politiques comme des effets de bascules entre régimes
autoritaires et démocratiques, sans chevauchements, ni rémanences. Or
à l’évidence, les changements de régime ne peuvent faire du passé table
rase, ce que Tocqueville avait magnifiquement posé dans L’Ancien
régime et la Révolution.
Certes, bien des travaux ont insisté sur la prolifération de régimes
intermédiaires, les fameuses démocraties « à adjectifs » [Collier, 1997],
mais davantage pour caractériser des sous-types de régimes et mettre
en avant l’incomplétude de leurs évolutions que pour penser leur carac-
tère hybride et possiblement durable.
Concernant l’Amérique latine, les travaux sur les transitions tardives
chilienne et mexicaine ont introduit une timide évolution. Les premiers
en mettant l’accent sur les enclaves autoritaires [Garretón, 1989], les
seconds sur les évolutions contrastées des États de la fédération
[Cornelius, Eisenstadt, Hindley, 1999]. Pour autant, les éventuelles sur-
vivances ou apparitions d’espaces, pratiques ou situations autoritaires en
démocratie n’ont pas été systématiquement étudiées1. Ce chapitre sug-
gère quelques pistes pour combler cette lacune. Il apporte dans un
premier temps des éléments de réflexion critique sur la notion d’enclave
autoritaire, puis dans un deuxième développe des exemples brésiliens.

1. Pas plus que l’inverse d’ailleurs.

perspectives latino-americaines 2 on
90 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

SUR LES DIFFÉRENTS TYPES D’ENCLAVES AUTORITAIRES

L’expression « enclave autoritaire » a été popularisée par le


sociologue chilien Manuel Antonio Garretón au moment de la transition
chilienne. Il souhaitait à l’époque attirer l’attention sur l’importance des
gardes fous mis en place par les militaires afin de protéger par
anticipation à la fois des intérêts et des orientations politiques.
Garretón se réfère en fait à trois enclaves autoritaires : les institu-
tions, les acteurs et les symboles.
La première enclave trouve appui dans la Constitution de 1980 qui
prévoit un certain nombre de « proscriptions politiques qui limitent le
jeu démocratique », en interdisant par exemple le Parti communiste, et
un « pouvoir militaire institutionnalisé 2 ». La seconde enclave se réfère
à certains acteurs sociaux et politiques, que Garretón ramène à trois :
les militaires, la droite et la classe capitaliste. Des militaires, Garretón
s’attend à ce qu’ils défendent non un type de régime, mais des « préro-
gatives politiques et des intérêts institutionnels » dans un régime
démocratique. La troisième enclave, que Garretón qualifie curieuse-
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ment de symbolique, se réfère à la violation de Droits de l’homme.
Dans ce domaine, le problème est épineux, car deux logiques contra-
dictoires sont aux prises, la logique éthique de l’exigence de vérité et
justice s’opposant à la logique politico-étatique de stabilité. Mais sa
résolution est impérative, faute de quoi la société demeurera « trauma-
tisée et schizophrénique » et dans le même temps « profondément
soupçonneuse que “les choses peuvent se répéter” ».
Garretón n’est pas obstinément pessimiste quant à la possibilité
d’éliminer ces enclaves. Les enclaves institutionnelles, par exemple,
peuvent être progressivement supprimées par la voie de la négociation,
la légitimité démocratique conférée au nouveau gouvernement issu des
urnes affaiblissant la position des secteurs liés au régime autoritaire.
Concernant les militaires, Garretón envisage cyniquement un « prix à
payer » pour la transition, sous la forme de respect, sur le court et
moyen terme, des « intérêts institutionnels centraux », notamment le
contrôle du budget. Même les « organismes spécialisés de répression »
peuvent être, selon Garretón, démantelés, en échange de « concessions
sur d’autres plans ». Et concernant la « droite économico-sociale »,
Garretón considère qu’elle jouera le jeu de la démocratie, tout simple-
ment parce qu’aucune force politique ne campe plus au moment où il

2. Garretón cite : la prééminence absolue du pouvoir présidentiel, la position subordon-


née du parlement, les autorités municipales non élues, l’intangibilité de certaines institutions,
les attributions démesurées des forces armées et l’inamovibilité de ses chefs, l’incapacité
réelle de pression politique des organisations sociales, etc. [Garretón, 1989, p. 51].

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ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 91

écrit sur des positions anticapitalistes, et qu’elle pourra donc défendre


ses intérêts corporatistes sans se sentir menacée.
Au fil des années, les analyses se sont surtout focalisées sur l’en-
clave institutionnelle, suivant en cela d’ailleurs la classe politique
chilienne qui, dans sa grande majorité, s’est employée à circonscrire
l’héritage autoritaire à quelques résidus institutionnels. Cette instru-
mentalisation politique de la notion d’enclave, et sa juridicisation, ont
privé la société chilienne de toute réflexion sur la prégnance de la cul-
ture et des valeurs autoritaires, et elles ont par ailleurs appauvri les
débats de sciences sociales3.
À quoi se sont réduites les enclaves autoritaires chiliennes selon
cette perspective appauvrie ?
Au constat qu’avant de quitter le pouvoir, Pinochet a procédé à la
nomination de juges à la Cour suprême, de maires, gouverneurs et du
cinquième du Sénat. Et, au-delà, à l’examen de certaines caractéris-
tiques de la Constitution, approuvée par référendum en 1980 puis
légèrement amendée en 1989 et 1991 au moment de la transition, après
la victoire du « Non » au référendum de 1988 : le président nomme 9
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des 47 sénateurs, un seuil de 60 % de votes dans les deux chambres est
nécessaire pour réformer les agences bureaucratiques créées par la dic-
tature, le régime électoral donne dans chaque circonscription un
second siège au parti arrivé en tête (système binominal), une large auto-
nomie est conférée aux forces armées, et des prérogatives étendues sont
attribuées à un Conseil de sécurité nationale, dont 4 des 8 membres sont
désignés par les 4 corps de l’armée.
Ces enclaves ont manifestement pour caractéristiques d’être dura-
bles : le Chili n’est toujours pas parvenu, en 2007, à s’en défaire
complètement, en dépit de multiples tentatives. Les réformes constitu-
tionnelles d’août 2005 ont tout de même permis d’avancer en ce sens,
en dotant notamment le président de la République du pouvoir de limo-
ger les commandants des forces armées et en éliminant les sénateurs à
vie. Le système binominal est encore en vigueur, mais doit être éliminé.
Ce premier type d’enclaves, que l’on peut qualifier d’enclaves
constitutionnelles, désignent l’ancrage institutionnel, dans la phase de
transition, de positions de pouvoirs au profit des acteurs politiques qui
étaient dominants sous la dictature, et dont elle défendait les intérêts
(les militaires, certains secteurs patronaux, etc.).
3. Ce sont les historiens qui ont réanimé ce débat, en rappelant que, contrairement à ce
que laisse entendre une certaine historiographie et le mythe sur l’exceptionnalisme chilien,
la construction de l’État s’est réalisée au Chili au milieu du XIXe siècle sur un mode autori-
taire [Salazar, 2005]. La constitution de 1925 (restée en vigueur jusqu’en 1973) et les lois de
sécurité interne votées dans les années trente, jusqu’à la fameuse « Loi de défense perma-
nente de la démocratie » de 1948, ont consacré de nombreuses enclaves autoritaires.

perspectives latino-americaines 2 on
92 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

En soi, ces enclaves ne sont pas inintéressantes à étudier, car elles


incitent à questionner les transitions à deux niveaux.
La temporalité, en premier lieu, doit être soigneusement prise en
compte. Les phases de transition produisent des rémanences et le pas-
sage à une réflexion en termes de consolidation est donc toujours sujet
à caution. Quand prend fin une transition, alors que demeurent des
enclaves constitutionnelles qui réduisent les marges de manœuvre ins-
titutionnelles des nouveaux régimes démocratiques ? Certaines de ces
enclaves génèrent une dynamique d’auto renforcement [Pierson, 2004]
qui les rend difficiles à éliminer. Le système binominal, par exemple,
est à l’origine de la stabilité des alliances politiques depuis la transition,
et aucune des forces politiques n’a réellement intérêt à s’en défaire
[Ruiz, 2007].
La question peut au demeurant très bien perdre rapidement de son
intérêt en fonction, en second lieu, de la plasticité du dispositif institu-
tionnel. Il n’est en effet pas certain que les enclaves constitutionnelles
demeurent longtemps des lieux de pouvoir ou de contre-pouvoir. Au
Chili comme ailleurs, les pratiques politiques peuvent se jouer des dispo-
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sitions constitutionnelles et les militaires n’occupent plus une place
importante sur la scène politique chilienne, même s’il s’avère insolite et
choquant, d’un point de vue normatif, que les 4 corps de l’armée dispo-
sent d’une représentation équivalente à celle de la région métropolitaine
de Santiago (4 sénateurs), qui réunit la moitié de la population du pays.
La science politique chilienne a beaucoup débattu de la portée de
ces enclaves constitutionnelles, que Garretón, on l’a vu, a eu tendance
à relativiser.
Tomás Moulian, par exemple, considère le Chili actuel comme le
« produit du Chili dictatorial », dont la matrice est issue d’un « ménage
à trois » très fertile entre les militaires, les intellectuels néolibéraux et
le patronat [Moulián, 1997]. Obsédée par l’oubli de ses origines, la
société chilienne se trouve dépolitisée, obnubilée par le consumérisme,
adhérant sans état d’âme au mythe du consensus conformiste. Pour ce
sociologue, la survivance de la « société pinochetiste » n’est donc pas
subordonnée à la défense de quelques enclaves constitutionnelles.
Il existe deux autres types d’enclaves autoritaires, qui incitent à
engager une réflexion à deux autres niveaux. Je les qualifierai rapide-
ment d’enclaves bureaucratiques et enclaves culturelles. Ils permettent
d’aborder certaines caractéristiques sociétales faisant écho aux préoc-
cupations de Tomás Moulian.
On peut en effet se tourner vers le policy making et constater que les
régimes démocratiques latino-américains post-transition fonctionnent
avec des agences bureaucratiques ou administratives créées par les

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 93

militaires, et des référentiels inspirés par les intellectuels qui leur ont
été proches4.
Les élites liées aux régimes autoritaires peuvent tout à fait rationnel-
lement avoir cherché à figer un dispositif de défense de leurs idées et
intérêts avant la dévolution du pouvoir aux civils et l’ouverture d’une
ère démocratique.
Comme l’indique Delia Boylan, les « élites autoritaires peuvent cher-
cher à protéger leurs intérêts en augmentant l’autonomie des institutions
qui seraient sinon soumises aux vicissitudes du processus démocra-
tique » [Boylan, 1998]. L’exemple de la réforme de la Banque centrale
chilienne en 1989, que prend cet auteur, est intéressant, car il montre
bien que le régime autoritaire, qui avait pourtant entière liberté pour le
faire, n’a rien entrepris pendant 16 ans. En dépit des pressions exercées
dans la deuxième moitié des années 1970 par les Chicago Boys, puis par
les secteurs patronaux après la crise de 1982, le régime ne se décide à
réformer le statut de la Banque centrale que quelques mois avant la tran-
sition. Auparavant, selon l’analyse de Boylan, le général Pinochet
estimait être le principal garant de l’orientation néolibérale du régime et
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de sa crédibilité, ne voyant aucune utilité à l’indépendance de la Banque
centrale. La défaite lors du référendum de 1988 change la donne, et la
réforme est préparée dans l’urgence, pour être finalement adoptée le 10
décembre 1989, soit quatre jours avant l’élection présidentielle mar-
quant la fin du régime autoritaire. Delia Boylan a raison d’insister sur
les motivations politiques de cette réforme.
Pourquoi les démocrates, une fois aux commandes, ne parviennent-
ils pas à annuler les réformes et, si l’on poursuit avec cet exemple, à
récupérer le contrôle politique d’une institution comme la Banque cen-
trale ? La littérature évoque le plus souvent l’argument de la réputation
pour expliquer cette résilience institutionnelle. Il n’est tout simplement
guère prudent de remettre en cause la crédibilité internationale d’une
Banque indépendante en matière de stabilité macroéconomique. La
configuration de forces politiques interne au pays peut aussi constituer
un obstacle de taille, tous les « démocrates » n’étant pas persuadés de
l’utilité de revenir sur une réforme mise en œuvre par les militaires. Cet
exemple illustre en somme le mécanisme du positive feedback cher aux
tenants de la path dependency [Pierson, 2004].
Dans le cas chilien, les autres enclaves, notamment le contrôle du
Sénat par les militaires, rendaient de toute façon la « contre-réforme »
difficile à faire approuver.

4. Origines autoritaires qui aggravent les phénomènes de confinement analysés par


Gilles Massardier dans cet ouvrage.

perspectives latino-americaines 2 on
94 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

Plus généralement, les agences bureaucratiques créées par les


militaires peuvent avoir rempli des fonctions importantes et consolidé
des coalitions d’intérêts délicates à dénouer. À ce propos, l’on peut ren-
verser la remarque d’Hirschman qui, dans les années 1960, pointait la
tendance de chaque nouveau gouvernement latino-américain à vouloir
créer de nouvelles agences bureaucratiques, sans tirer profit du capital
de connaissances des problèmes accumulé par les précédentes
[Hirschman, 1983]. Le clientélisme était à l’origine de cette absence de
continuité administrative, dans la mesure où chaque nouveau gouver-
nement tâchait de distribuer les dépouilles du système et n’hésitait pas
à créer des agences afin de récompenser des fidélités politiques. Dans
les années 1980-1990, en période de « réduction » de l’appareil d’État,
une telle « générosité » s’avère impossible, et le clientélisme semble
plutôt expliquer la défense d’avantages acquis par certaines catégories
sociales, comme le montre l’exemple du Brésil développé plus loin.
Les enclaves bureaucratiques tendent bien à valider les thèses néo-
institutionnalistes, qui insistent sur le caractère contraignant des
institutions pour les acteurs, surtout dans leurs versions historiques
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lorsqu’elles analysent la path dependency. Les changements de régime
n’auraient pas prise sur les comportements adaptatifs et routiniers des
agents [North, 1990].
S’ils ne parviennent pas à se débarrasser d’agences bureaucratiques
créées par les militaires, les nouveaux gouvernements démocratiques
éprouvent aussi les plus grandes difficultés à infléchir les référentiels
qui inspirent leur action. Là encore, certains exemples brésiliens met-
tent en évidence des résistances tenaces.
Ces enclaves administratives incitent elles aussi à interroger la tem-
poralité des transitions, ou plus précisément, la rémanence des cadres
d’action publique propres aux régimes autoritaires. Quand les référen-
tiels des régimes démocratiques ou de nouvelles coalitions d’intérêts
parviennent-ils à s’imposer ?
Au-delà des exemples qui seront commentés plus loin, cette pers-
pective ne permet pourtant guère de monter en généralité. En effet, il
n’est pas certain qu’il existe des cadres d’action publique propres aux
régimes autoritaires. Un débat comparatif serait ici très utile pour éva-
luer si le « syndrome autoritaire » concerne aussi les cadres de l’action
publique, quelles politiques publiques sont concernées, et à quelles
époques [Camau, Geisser, 2003].
L’Amérique latine offre, de ce point de vue, un panorama complexe,
dans la mesure où les régimes militaires et/ou les régimes démocra-
tiques ont été tour à tour populistes, développementalistes, puis
néolibéraux. Il est fréquent de rencontrer en Amérique latine des

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 95

agences bureaucratiques qui rechignent à s’adapter aux évolutions de


référentiels que tentent d’imposer un nouveau gouvernement, mais ces
déphasages ne s’expliquent que rarement par la variable « nature du
régime ».
Daniel Levy faisait à ce sujet remarquer dans les années 1980 que
« la plupart des études ont échoué dans leur tentative d’établir des dif-
férences statistiquement importantes entre les politiques publiques
(variable dépendante) en fonction du type de régime (variable indépen-
dante) » [Levy, 1991]. Tout juste admettait-il que les régimes
autoritaires se caractérisent par une méthode comprenant trois volets :
la rationalisation, en rupture postulée avec la politiquería, soit un usage
démagogique, politisé et clientéliste des ressources publiques ; l’exclu-
sion de certains secteurs de la société des bénéfices des politiques
publiques ; et la coercition, nécessaire pour imposer tant la rationalisa-
tion que l’exclusion. La réussite des régimes autoritaires dans
l’application de cette méthode dépend à son tour du rythme de leur ins-
tallation et de leur ancrage dans la société.
Cette dernière remarque incite à se tourner vers un troisième type
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d’enclave, que l’on qualifiera, sans doute imprudemment, de culturel,
pour se référer à un autoritarisme enraciné (embedded) dans les mœurs,
les comportements et les valeurs. Des traces peuvent en être repérées
au moins dans quatre sphères : la sphère familiale, les interactions
sociales de la vie quotidienne, le monde du travail et la scène politique.
Dans la sphère familiale, la violence conjugale et celle dont sont
victimes les enfants révèlent des comportements autoritaires et
machistes, de même que la condescendance, le mépris, voire le
racisme, témoignent d’une incapacité à vivre la relation à l’autre sur le
mode égalitaire. Dans la sphère professionnelle aussi se déploient des
comportements autoritaires, accentuant les hiérarchies entre catégories
de travailleurs, selon leur qualification, leur âge ou leur sexe. Enfin, sur
certaines scènes politiques, des modes de gouvernement antidémocra-
tiques semblent jouir d’une certaine légitimité, l’exemple du Brésil
s’avérant une nouvelle fois illustratif.
En Amérique latine, ces micro-autoritarismes semblent immuables,
puisant leur source dans les caractéristiques de la société coloniale5.
Paulo Sérgio Pinheiro évoque un « autoritarisme socialement implanté »
pour désigner la prégnance de la violence dans les rapports sociaux, le
manque de respect des droits civils et les « micro-despotismes » de la

5. L’expression « Il n’est pas descendu de son cheval » (No ha bajado del caballo)
semble ainsi avoir traversé les siècles pour désigner encore aujourd’hui le comportement
dédaigneux des catégories dominantes.

perspectives latino-americaines 2 on
96 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

vie quotidienne (violence conjugale et domestique, justice privée, abus


sexuels…) [Pinheiro, 2000].
Cette notion d’enclave culturelle doit être maniée avec d’infinies
précautions car, à l’inverse des deux types d’enclaves évoqués précédem-
ment, il n’est nullement aisé d’en décrire la portée politique. L’agrégation
de micro-comportements ne donne pas une teinte particulière à un régime
politique. De ce point de vue, il ne saurait être question de considérer que
certaines sociétés, notamment en Amérique latine, peuvent être caracté-
risées par leur « culture autoritaire », désignant par là un ensemble
homogène de comportements généralisés, figés et socialement transmis,
et des acteurs enfermés dans leur habitus de classe depuis l’époque colo-
niale, à l’image d’une bourgeoisie au comportement esclavagiste, ou à
l’inverse des dominés compensant leur exclusion sociale par une
violence exercée à l’encontre des plus faibles (femmes et enfants), ou
encore en révolte permanente contre les dominants (la menace indienne).
Des traces de ces déterminismes sont disséminées dans la littérature,
mais pas plus qu’il n’existe un « autoritarisme arabe », il n’existe une cul-
ture politique autoritaire en Amérique latine.
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Le recours à la notion de « personnalité autoritaire », décrite par
Theodor Adorno, ne permet guère plus de gagner en intelligibilité
[Adorno et al., 1982]. Ce type de personnalité est repérable dans tous
les régimes et, comme le soulignait Seymour Martin Lipset à propos de
la classe ouvrière, des penchants pour l’autoritarisme « n’ont pas obli-
gatoirement des conséquences politiques » [Lipset, 1962]6.
Il n’en demeure pas moins, comme le faisait déjà remarquer Alain
Rouquié il y a plus de vingt ans [Rouquié, 1985], que certains compor-
tements et valeurs autoritaires ne sont pas affectés par les transitions
politiques et les changements institutionnels. Ces comportements sont
bien des legs historiques, sans cesse réactivés par les caractéristiques
des rapports sociaux. Les qualités humaines « nécessaires » à la démo-
cratie sont rares, ce que les Classiques n’ont pas manqué d’établir
depuis fort longtemps, que ce soit la modération (Aristote), la vertu
(Montesquieu), ou la « civilisation des mœurs » (Elias).
La valeur explicative de la notion d’enclave rapportée à ces pra-
tiques autoritaires n’est au reste guère convaincante.
À ces quelques considérations sur les enclaves autoritaires, il
convient d’ajouter deux remarques concernant le rythme et l’ampleur
des changements politiques, qui peuvent expliquer des rémanences et
chevauchements. Plutôt que de penser les régimes politiques comme

6. Voir la discussion de ces approches psychologiques dans le chapitre de Vincent


Geisser dans cet ouvrage.

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 97

des entités homogènes, il est en premier lieu préférable de les


appréhender comme une juxtaposition d’arènes politiques différen-
ciées, fonctionnant selon des logiques et temporalités diverses. Les
changements n’affectent pas toutes les arènes au même titre, ni au
même rythme, ce qui est particulièrement saillant dans les grands États
fédéraux. Au Mexique par exemple, la transition vers la démocratie a
débuté dans les États fédérés bien avant l’alternance de 2000 qui a
concerné le pouvoir fédéral, et après 2000 elle n’a pas encore affecté
l’ensemble des arènes politiques.
Wayne Cornelius décrit le Mexique de la fin des années 1990 comme
un « patchwork fou avec des espaces politiques de plus en plus compéti-
tifs et pluralistes où les forces démocratiques se consolident, juxtaposés
à des enclaves autoritaires durcies dans lesquelles les dinosaures survi-
vant de l’appareil gouvernemental du PRI sont en mesure de résister aux
pressions locales et internationales qui s’exercent en faveur de la démo-
cratisation » [Cornelius, Eisenstadt, Hindley, 1999]. Les travaux de
Magali Modoux vont dans le même sens [Modoux, 2006].
La notion d’enclave prend ici une signification géographique et
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politique. Elle se réfère à un espace politique au sein duquel le jeu poli-
tique présente des caractéristiques particulières, avec la domination
oligarchique d’un clan politique. Toute la difficulté consiste à évaluer à
leur juste portée l’importance de ces enclaves résiduelles. Les victoires
de l’opposition dans les États de la fédération mexicaine ne sauraient
faire l’objet d’un décompte précis, permettant de dresser un panorama
d’ensemble optimiste ou pessimiste se basant sur le critère de l’alter-
nance pour évaluer l’ampleur de la démocratisation. Il en va de même
au Brésil, comme nous allons le voir.
À l’articulation entre les enclaves institutionnelles et culturelles, il
convient de décrire, en second lieu, des dispositifs d’échanges et des
logiques de domination politiques qui trouvent leur origine dans l’his-
toire et peuvent demeurer inchangés par-delà les changements
politiques. Les comportements électoraux constituent de bons sites
d’observation de ces rémanences, car le « contrôle clientéliste du suf-
frage », que l’on tient souvent pour caractéristique des régimes
autoritaires, peut survivre longtemps après que ces derniers aient cédé
la place à des régimes démocratiques [Rouquié, 1978].

POLITICS ET POLICIES AU BRÉSIL :


ENCLAVES ET SITUATIONS AUTORITAIRES

Le cas brésilien permet d’illustrer de façon caricaturale ce dernier


aspect, par lequel je vais commencer.

perspectives latino-americaines 2 on
98 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

L’héritage autoritaire brésilien, encore perceptible au début du


XXIe siècle, a été façonné par le temps long de la société coloniale, et par
le temps court de deux dictatures au XXe siècle (1930-1945 et 1964-1985).
Cet héritage n’est pas institutionnel, au sens chilien du terme. Le régime
démocratique a promulgué en 1988 une nouvelle constitution, comme
l’ont d’ailleurs fait la plupart des pays d’Amérique latine dans les années
qui ont suivi les transitions. Dans certains d’entre eux, les militaires sont
parvenus à faire inscrire des dispositions visant à protéger leurs intérêts ou
positions de pouvoir, au Honduras par exemple. Mais la notion d’enclave
constitutionnelle – au sens posé plus haut – ne s’applique pas au Brésil.
L’héritage autoritaire est bien plutôt d’ordre bureaucratique et cul-
turel. Soucieux de ne pas sombrer dans l’hyperculturalisme, je
n’entreprendrai pas ici une discussion de la survivance de comporte-
ments ou valeurs autoritaires. Le Brésil n’apparaît de toute façon guère
différent du reste de l’Amérique latine sur ce plan. En revanche, le
Brésil comprend de nombreuses enclaves autoritaires bureaucratiques.
Il se caractérise aussi par un « jeu politique » particulier, dont la des-
cription va nous permettre d’avancer dans la compréhension des
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héritages autoritaires en démocratie.
Le Brésil a en effet longtemps connu une société patriarcale,
caractérisée par une homologie entre le type de relations sociales propre
à la grande propriété terrienne (fazenda) et le type de rapports entre les
citoyens et les élites politiques. La majorité des électeurs votait
traditionnellement pour le candidat indiqué par le « patron », simplement
parce qu’il en allait ainsi depuis des lustres. Les caractéristiques de la
« politique oligarchique » [Soares, 2001] de la vieille République (1889-
1930) ont survécu bien longtemps au XXe siècle et se retrouvent encore
dans certaines régions du nord-est du pays, où les électorats sont assez
largement captifs.
Les dictatures ont largement contribué à enrichir cet héritage, en
s’appuyant sur les potentats locaux (coronéis) et leurs réseaux de
clientèle, en supprimant les partis politiques et en accentuant le poids
des régions les plus pauvres dans le fédéralisme.
Le régime de l’Estado Novo (1937-1945) de Getúlio Vargas interdit
les partis politiques le 2 décembre 1937, instaure un mécanisme
corporatiste de représentation des intérêts, et s’appuie sur son réseau
d’interventores, ces gouverneurs nommés dans les États, pour
mobiliser des soutiens clientélistes dans tout le pays.
Mais après la Seconde Guerre mondiale, le Brésil connaît une période
de démocratisation, accompagnée d’une formidable modernisation éco-
nomique du pays et d’une urbanisation accélérée, qui se traduisent par
l’émergence de nouvelles catégories sociales, principalement dans les

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 99

grandes villes. Le nombre d’électeurs explose, passant de 6 millions en


1945 à près de 15 millions en 1962. Ces nouveaux électeurs alphabéti-
sés, appartenant aux milieux ouvriers ou aux classes moyennes,
s’affranchissent des liens clientélaires, et orientent leurs comporte-
ments électoraux en fonction d’enjeux ou d’inclinations plus
idéologiques. Le pluripartisme devient une donnée forte dans les
grands États riches du sud et du sud-est, São Paulo, Rio de Janeiro, Rio
Grande do Sul, Santa Catarina et Minas Gerais. Ailleurs dans le pays,
on observe une survivance de la bipolarisation héritée de la période
militaire. Les régions du sud et sud-est se caractérisent aussi par des
comportements électoraux « homogènes », c’est-à-dire que l’électeur y
a tendance à voter pour les mêmes forces politiques quel que soit le
type d’élection. Dans le nord-est à l’inverse, l’électeur vote d’abord
pour une figure politique locale, et oriente ses votes dans l’État fédéré
et à l’échelle de l’Union au gré des alliances négociées par ce leader.
La deuxième dictature (1964-1985) accentue ces tendances, en ins-
taurant une surreprésentation des régions du nord et du nord-est dans la
fédération. La Révolution, ce projet de reconstruction de la démocratie
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mis en œuvre par les militaires en 1964, parvient à déplacer le centre
de gravité politique du pays, historiquement situé dans le sud et le sud-
est, vers le centre-ouest, le nord et le nord-est.
Leur objectif est de contrôler le collège électoral qui élit le président
de la République, en accroissant le poids de la représentation politique
de régions « sous-développées » et plus facilement « contrôlables ».
C’est ainsi que les militaires créent en 1978 l’État du Mato Grosso du
sud (centre-ouest), puis en 1982 celui de Rondônia (nord), et qu’ils
fusionnent les États de Rio de Janeiro et de Guanabara (sud-est). À
l’Assemblée constituante de 1986-1988, les États du centre-ouest, du
nord et du nord-est contrôlent 52 % des sièges, pour à peine 40 % de la
population du pays [Stepan, 2000]. Du coup, ils parviennent à accroî-
tre davantage encore leur domination sur la représentation nationale, en
créant trois nouveaux États dans le nord : Tocantins, Roraima et
Amapá. Alfred Stepan mentionne qu’aux élections de 1990, le bloc
d’États pauvres du centre-ouest, nord et nord-est, avec 43 % de la
population, contrôle 74 % des sièges au Sénat.
À l’Assemblée législative fédérale, le scrutin proportionnel accroît
cette représentation disproportionnée des États du nord et nord-est. En
1998, un député de São Paulo représentait 222 844 suffrages exprimés,
contre seulement 15 779 pour son collègue du Roraima. Cette surrepré-
sentation pourrait même encore s’aggraver, un projet de création de
deux États nouveaux étant en examen dans les Assemblées fédérales
depuis 1996. L’un consiste à séparer la région nord de l’État du Pará

perspectives latino-americaines 2 on
100 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

(nord) pour créer l’État d’Araguaia, d’une taille équivalente à celle de la


France, l’autre prend sur l’État du Mato Grosso (centre-ouest) pour créer
l’État du Tapajós, d’une taille légèrement inférieure. Trois « territoires
fédéraux » sont aussi en projet dans l’État de l’Amazone, à la frontière
de la Colombie et du Pérou. Une division de l’État du Minas Gerais est
aussi discutée. Hormis le cas très particulier de l’Amazone, pour lequel
les perspectives stratégiques sont prépondérantes (lutte contre le narco-
trafic et les incursions des guérillas colombiennes), ces projets répondent
à un souci de canalisation de ressources vers des régions pauvres, sou-
vent dominées par des grandes familles. La création d’un État alimente
en effet une mécanique clientéliste démultipliée par le nombre de partis
politiques et par la logique des bastions électoraux7. Car les États pauvres
du Brésil sont les États clientélistes par excellence, et nombreux sont les
exemples de ces familles cramponnées à leurs fiefs.
Un des cas les plus connus de fief est sans doute celui de la famille
Sarney dans l’État du Maranhão (nord-est)8. José Sarney a d’abord été
député fédéral de 1958 à 1965, pour l’Union démocratique nationale
(UDN)9. Puis, élu gouverneur de l’État en 1965, il n’a depuis lors plus
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laissé échapper le contrôle de l’État, avec il est vrai des hauts et des bas,
car il a du affronter d’autres clans puissants, comme celui du vieux cau-
dillo Vitorino Freire, ou plus tard celui de João Castelo. José Sarney fait
preuve d’une indéniable habileté à se mouvoir dans l’arène politique
fédérale, ce qui lui est très utile pour préserver ses capacités à canaliser
des ressources vers son État et récompenser ses soutiens politiques. Il
œuvre pendant la dictature militaire en faveur du développement de
Maranhão, en attirant des subsides fédéraux pour construire des infra-
structures et moderniser l’agriculture. Gouverneur UDN, puis élu
sénateur en 1970 cette fois pour le parti ARENA10, Sarney bâtit ses
réseaux au sein du régime militaire. Président du PDS11 en 1985, il refuse

7. La plupart des partis politiques possèdent au Brésil des bastions (redutos) où se


concentre une partie importante de leurs soutiens électoraux. Ainsi, pour donner un exem-
ple, aux élections législatives fédérales de 2002, le vote du Parti des travailleurs s’est
concentré dans les régions sud-est (51,6 % du vote PT du pays), puis dans cette région
dans l’État de São Paulo, puis dans cet État, pour près des deux tiers, dans 14 municípios
(municipalités), dont 31 % pour la seule ville de São Paulo.
8. On pourrait aussi citer la famille Collor dans l’Alagoas ou celle de Magalhães à Bahía.
9. Parti créé en 1945, regroupant l’opposition à l’Estado Novo de Getúlio Vargas et
canalisant la demande de démocratisation du régime.
10. En 1965, les militaires suppriment les 13 partis politiques légalement inscrits, puis
incitent les parlementaires à évoluer vers le bipartisme. Les « situationnistes » créent
l’Alliance rénovatrice nationale (ARENA), tandis que les opposants se regroupent au sein
du Mouvement démocratique brésilien (MDB).
11. Le Parti démocratique social (PDS) succède à l’ARENA en 1980 au moment où les
militaires autorisent la création de nouveaux partis dans le cadre de leur politique d’ouverture.

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 101

toutefois la candidature de Paulo Maluf 12 à l’élection présidentielle


marquant le début de la transition, et choisit de rejoindre l’Alliance
démocratique pour se présenter candidat à la vice-présidence sur le
« ticket » de Tancredo Neves13. Ce revirement stratégique s’avère par-
ticulièrement opportun, puisqu’au décès de Neves, avant même sa prise
de fonction, Sarney se retrouve président de la République.
Les exemples de ces familles abondent au Brésil. Une particularité de
leur emprise politique sur leur clientèle électorale tient à leurs liens
étroits avec la presse et les médias. Sarney raconte dans ses mémoires
s’être engagé en politique via le syndicalisme étudiant et le journalisme
[Bastos, 2001]. À 17 ans, il entre au journal O Imparcial, et la montée en
puissance de son clan est continuellement servie par les médias. Dans les
années 1990, la famille Sarney possède un empire dans le domaine des
communications dans l’État de Maranhão, avec les quatre chaînes de
télévision les plus regardées, filiales de l’entreprise audiovisuelle Globo.
Les liens entre les clans politiques régionaux et les télévisions sont
une caractéristique forte de la vie politique brésilienne, qu’un spécia-
liste a qualifiée de « coronélisme électronique ». Lors de la campagne
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électorale de 2002, une estimation avançait que 24 % des chaînes de
télévision du pays étaient contrôlées par des hommes politiques14.
Lorsque l’on connaît l’importance prépondérante de la télévision dans
les campagnes au Brésil, on comprend l’attrait qu’exerce ce média sur
les hommes politiques. Ainsi, le réseau de télévisions Record, lié à
l’Église universelle du règne de Dieu, parvient à faire élire des députés
de plusieurs partis, notamment du Parti libéral (PL). C’est l’allégeance
à une obédience religieuse qui l’emporte ici sur l’affiliation partisane.
Il est à noter d’ailleurs que les chaînes de télévision ne se mettent
que très rarement au service d’un parti, mais plutôt d’hommes poli-
tiques, qui sont dans le même temps des patrons de presse et de
télévision qui prospèrent à partir de leur fief électoral. L’exemple du
réseau des télévisions liées à la Globo est probant. Ce sont majoritaire-
ment des États du nord et nord-est qui sont concernés par le
« coronélisme électronique », et surtout des partis de centre ou centre

12. Dirigeant politique originaire du nord-est proche des militaires, Paulo Maluf a été
gouverneur nommé par les militaires de l’État de São Paulo. Une fois le régime démocratique
rétabli, il est élu maire de São Paulo en 1992, s’appuyant sur un électorat d’origine nordes-
tine, avec un style populiste et des réseaux de clientèle. La migration massive de nordestins
vers São Paulo s’est accompagnée de la création d’enclaves autoritaires dans cette ville.
13. Dirigeant historique du Mouvement démocratique brésilien (MDB). La victoire du
ticket Neves-Sarney est par avance acceptée par les militaires lors des élections présiden-
tielles indirectes de 1985, ce qui marque le début de la transition.
14. « Políticos controlam 24 % das TVs do paí », Folha de S. Paulo, 6 août 2001.

perspectives latino-americaines 2 on
102 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

droite, notamment le PFL, le PMDB et le PSDB15, ce qui reflète la


domination de ces partis dans ces régions.
L’exemple des autres réseaux, comme SBT et Bandeirantes, livre les
mêmes enseignements. On peut citer les cas de Tasso Jereissati, poids
lourd du PSDB, gouverneur de l’État du Ceará et très lié à la chaîne de
télévision TV Jangadeiro (Fortaleza) du réseau SBT, ou celui de Jader
Barbalho, ancien président du Sénat représentant le PMDB, lié dans son
État à la Rede Brasil Amazônia de Televisão (Belém) du réseau
Bandeirantes.

État Télévisions (ville) Clans politiques propriétaires


(parti politique)
Alagoas TV Gazeta (Maceió) Fernando Collor de Mello, président de la
République entre 1990 et 1994 (PRN)
Maranhão TV Mirante (São Luis) José Sarney, président de la République
TV Mirante (Imperatriz) entre 1985 et 1990 (PMDB)
TV Mirante (Santa Inês) Roseana Sarney, gouverneur (PFL)
José Sarney Flho, ministre de
l’Environnement (PFL)
Bahia TV Bahia (Salvador) Antonio Carlos Magalhães, ancien séna-
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TV Santa Cruz (Itabuna) teur, ancien gouverneur et ancien ministre
TV Norte Baiano (Juazeiro) (PFL)
TV Sudoeste (Vitória da Conquista) Antonio Carlos Magalhães Junior, sénateur
TV Subaé (Feira de Santana) (PFL)
Sergipe TV Sergipe (Aracahu) Albano Franco, sénateur, gouverneur
(PSDB)
Rio Grande TV Cabugi (Natal) Garibaldi Alves Filho, gouverneur (PMDB)
do Norte Ana Catarina Lyra Alves, députée fédérale
(PMDB)
Henrique Eduardo Alves, député fédéral
(PMDB)
Carlos Eduardo Alves, député de l’État
(PMDB)
Pernambuco TV Asa Branca (Caruaru) Inocêncio Oliveira, député fédéral (PFL)
Piauí TV Alvorada do Sul (Floriano) João Calisto Lobo, ancien sénateur (PMDB)
Ceará TV Verdes Mares (Fortaleza) Edon Queiros Filho, ancien député fédéral
(PPB)
Sao Paulo TV Fronteira Paulista Paulo Cesar Oliveira Lima, député fédéral
(Presidente Prudente) (PMDB)
Rio de TV Rio Sul (Resende) Ronaldo Cesar Coelho, ancien député
Janeiro fédéral (PSDB)

Les télévisions du réseau GLOBO et les politiques.


Source : Folha de S. Paulo, 6 août 2001.

15. PFL : Parti du front libéral, fondé en 1985, issu d’un « front libéral » opposé à la can-
didature de Maluf à l’élection présidentielle. PSDB : Parti de la social-démocratie brésilienne,
fondé en 1988 durant les travaux de l’Assemblée constituante, par des dissidents du PMDB.

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 103

Ce lien très étroit entre les médias et les politiques a deux effets sur
le système des partis. D’un côté, il renforce la personnalisation de la vie
politique et alimente le clientélisme, ce qui est un facteur
d’affaiblissement pour les partis politiques. Les médias permettent aux
politiques de faire campagne en établissant un lien direct, affectif, avec
les électeurs, sans dépendre de la machine partisane. Le scrutin
proportionnel tel qu’il est pratiqué au Brésil accentue cette tendance, en
offrant à l’électeur la possibilité de voter pour une liste (voto de legenda)
ou pour des candidats (voto nominal). En 1998, le vote nominal
« personnalisé » a représenté 88 % en moyenne du total des suffrages
exprimés pour les députés fédéraux. D’un autre côté, ce lien pousse les
aspirants à une carrière politique à se doter d’un parti politique propre,
car la loi prévoit un accès gratuit à la télévision pour tous les partis. Alors
que les chaînes de télévision sont monopolisées par des clans politiques,
cette disposition donne une visibilité à tous, qui est au demeurant
relative. La loi 9096 de 1995 dispose que pour obtenir un temps
d’antenne maximum de vingt minutes par semestre (hors campagnes) les
partis doivent avoir obtenu 5 % des voix aux élections législatives
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précédentes à l’échelle du pays et 2 % dans au moins neuf États. Pour les
petits partis, le temps d’antenne est réduit à deux minutes, ce qui ne
permet guère que de se présenter.
En définitive, il apparaît clairement que le jeu politique brésilien se
distingue par une juxtaposition d’espaces politiques caractérisés par
une certaine diversité de pratiques. Certains de ces espaces constituent
des enclaves autoritaires, mais dans le sens évoqué plus haut à propos
du Mexique, bien plus que dans celui donné par Garretón pour le cas
chilien.
Se référant uniquement aux pratiques clientélistes, Alain Rouquié
préférait utiliser la notion de « situations autoritaires » au sens de
« situations locales ou régionales marquées par la prépondérance de
relations de solidarités verticales » [Rouquié, 1978, p. 68]. Il n’est pas
certain que le contrôle clientéliste du suffrage suffise à qualifier d’au-
toritaire une scène politique, mais au Brésil, le contrôle clientéliste
d’un électorat dans un fief (reduto) est une donnée politique forte qui
repose tant sur des caractéristiques institutionnelles (système électoral),
que sociales (très profondes inégalités) ou économiques (industrie des
médias), et qui se donne à voir tant dans les régions pauvres que dans
les grandes villes riches du sud et du sud-est16. La « nationalisation »
de ces dispositifs locaux doit beaucoup à la singularité du pacte fédéral
brésilien qui donne un poids disproportionné aux régions pauvres.

16. Sur le cas de Rio de Janeiro, cf. [Goirand, 2000].

perspectives latino-americaines 2 on
104 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

Là où le contrôle clientéliste de l’électorat est exercé par des


grandes familles qui, par ailleurs, disposent d’instruments de domina-
tion efficaces, en contrôlant on l’a vu les médias, l’alternance politique
est rendue difficile et il n’est donc pas abusif d’évoquer des enclaves
autoritaires.
La prégnance du clientélisme dans les rapports sociaux et sa traduc-
tion politique ne sont pourtant pas suffisantes pour circonscrire les
enclaves autoritaires de la démocratie brésilienne. Celles-ci se consoli-
dent grâce à l’articulation entre le jeu politique et l’action publique, ce
qui nous amène à aborder certains traits du policy making au Brésil.
On distinguera à ce sujet deux grandes catégories de caractéristiques
de la fabrique des politiques publiques au Brésil, qui révèlent l’impor-
tance d’enclaves autoritaires : des coalitions d’intérêts et des agences
bureaucratiques héritées de la période autoritaire pèsent sur l’évolution
de l’action publique.
L’exemple de la réforme agraire illustre l’importance des coalitions
d’intérêts, en l’occurrence en mesure de faire obstacle à son approfon-
dissement une fois la démocratie rétablie [Moraes, Coletti 2006]. Le
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régime autoritaire (1964-1985) est à l’origine des efforts de modernisa-
tion de l’agriculture brésilienne. Le développement d’un puissant
agrobusiness repose sur son lien avec l’industrie, mais aussi et surtout
sur le drainage de l’épargne nationale. Le système national de crédit
rural, créé en 1965, offrait des conditions financières très avantageuses,
dont les grands propriétaires terriens ont largement tiré profit. Ce sys-
tème de crédit généreusement subventionné est aussi à l’origine d’un
mouvement de spéculation foncière qui a, de fait, généré une réforme
agraire à l’envers et créé des rentes de situation17.
Au-delà, Moraes et Coletti rappellent opportunément que « ces res-
sources étaient déviées vers d’autres finalités, entièrement étrangères
aux activités agricoles » et, du coup, le « marché de terres s’est trans-
formé en secteur particulier du secteur financier, les titres de propriété
de terres étant fortement recherchés ». Une nouvelle coalition d’intérêts
apparaît, associant les anciennes catégories de grands propriétaires ter-
riens (fazendeiros) aux secteurs liés à l’industrie, à la finance, ou aux
multinationales. Tous investissent dans la terre.
Comme le soulignent encore Moraes et Coletti, « ce processus a des
implications importantes sur le plan des alliances et des engagements
politiques. La défense du “latifúndio” ou de la grande propriété agraire,
les résistances à la réforme agraire, les appels à “la loi et à l’ordre” à la

17. Moraes et Coletti citent le chiffre de 32 millions d’hectares de terres publiques qui,
entre 1970 et 1985, auraient été transférées au privé.

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 105

campagne, ne sont plus seulement le fait des anciens “coronéis”


(colonels), puisqu’ils ont pour nouveaux alliés politiques les proprié-
taires ruraux installés dans la région Sud-est du pays. Aux anciens chefs
politiques des zones rurales – les “coronéis” – viennent se joindre les
« coronéis postmodernes » des zones urbaines, liés à la grande industrie,
aux banques, aux grands médias. Cette alliance est un élément impor-
tant, bien qu’il ne soit pas le seul, pour expliquer le pouvoir du veto des
classes dominantes, l’immobilisme politique qui semble condamner les
gouvernants, et leurs programmes de réformes sociales ».
Et les exemples d’activation de cette coalition d’intérêts pour
mettre en échec des tentatives de réforme agraire sont nombreux,
depuis le Plan national de réforme agraire de Sarney en mai 1985, soit
quelques mois après la dévolution du pouvoir aux civils, jusqu’aux
timides redistributions de terre de Cardoso (1994-2002) et même de
Lula (2002-2006). Cette coalition s’appuie sur des réseaux politiques,
notamment au sein des chambres fédérales, qui constituent un parti
politique invisible aux nombreuses ramifications18.
À l’occasion des travaux de l’Assemblée constituante (1987-1988),
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ce groupe a fondé un parti politique, l’Union démocratique ruraliste
(UDR), pour s’opposer à ce que le thème de la réforme agraire figure
dans la constitution. Les pressions exercées par le petit groupe d’une
vingtaine de députés de l’UDR sur leurs collègues s’avèrent contre-
productives et ils ne peuvent empêcher l’inclusion d’un chapitre sur la
réforme agraire, mentionnant le rôle social de la propriété. Le même
groupe affaibli ne peut empêcher, durant la législature 1991-1994,
l’adoption des décrets d’application de la loi de réforme agraire.
En revanche, en 1995-1998, le groupe se réorganise au sein de
l’Assemblée législative fédérale, grâce à des députés du PFL, et se
consolide plus encore dans la législature 1999-2002, grâce au contrôle
de la commission sur l’agriculture et la politique rurale. Le groupe réu-
nit alors une centaine de députés, sur un total de 513, mais peut en
mobiliser bien plus. Ses députés sont principalement issus de forma-
tions politiques de droite et centre droite, venant de 25 États différentes
(sur un total de 26), avec un poids prépondérant d’États comme le
Minas Gerais, Paraná ou Bahia [Vigna, 2001]19. Le groupe possède
donc dans ses rangs aussi bien des députés du nord-est pauvre et agri-
cole que du sud-est riche et industrialisé, ce qui traduit bien la

18. Ce que les Brésiliens désignent par le terme Bancada ruralista, littéralement le
groupe parlementaire ruraliste, qui recrute ses membres dans tous les partis.
19. Dans l’étude de Vigna, sont considérés comme faisant partie de ce groupe de
pression tous les députés qui ont indiqué dans leurs déclarations de revenus des ressources
issues d’activités agricoles.

perspectives latino-americaines 2 on
106 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

convergence d’intérêts entre une pluralité de secteurs économiques


mentionnée précédemment.
Cette configuration s’approche de ce secteur que Garretón qualifiait
de « droite économico-sociale » qui, dans le cas brésilien, a largement
contribué, par sa défense d’un capitalisme agraire radicale, à faire
émerger un radicalisme agraire anticapitaliste, sous la forme du
Mouvement des sans terres (MST).
Pour aller un peu plus loin que l’argument de Garretón et qualifier
cette coalition d’intérêts d’enclave autoritaire, il convient de mettre
l’accent sur deux dimensions.
Il y a bien d’un côté une cristallisation d’intérêts en contexte
autoritaire qui continuent d’être défendus avec un certain succès en
contexte démocratique, au mépris de la « volonté générale », telle qu’elle
peut s’exprimer dans les parlements, lorsqu’ils sont réactifs à l’opinion
des Brésiliens, majoritairement favorables à l’octroi de parcelles aux
12 millions de paysans sans terres. Mais concernant la réforme agraire,
l’idée des ruralistes selon laquelle l’agrobusiness doit être protégé contre
les zélateurs de la petite propriété est défendue jusque dans certains
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secteurs de la gauche brésilienne, et l’action de ce groupe de pression a
permis de faire obstacle aux préférences collectives.
D’un autre côté, l’action des ruralistes a tendance à rigidifier les
rapports sociaux. Dans une société historiquement marquée par les iné-
galités sociales, l’opposition politique à la réforme agraire légitime un
combat violent contre les entrepreneurs de mobilisation et les acteurs
des occupations. Les invasions de propriétés ont suscité des massacres,
notamment à Corumbiara (1995) ou à Eldorado das Carajás en 1996. Si
l’on ajoute que nombre de ces grandes propriétés pratiquent de multi-
ples formes de travail forcé, proches de l’esclavage, on admettra que se
perpétuent dans les campagnes des relations de domination se basant
sur la terreur et la violence, qu’il est difficile de tenir pour caractéris-
tiques d’un régime démocratique.
Les coalitions d’intérêts comme les ruralistes constituent donc un
facteur de consolidation d’enclaves autoritaires. Certaines agences
bureaucratiques jouent un rôle analogue. Je prendrai deux exemples
[Dabène, 2006].
Dans le domaine de la politique du logement, le régime militaire a
créé, dans les années 1960, un dispositif de prêts bonifiés afin de faci-
liter l’accès à la propriété des classes moyennes, tout en drainant
l’épargne populaire [Sachs, 1990 ; Shildo, 1990]. Ce référentiel libéral
inspire les premiers gouvernements des villes, notamment à São Paulo,
jusqu’en 1988. Cette année-là, l’élection à la mairie de la ville de Luiza
Erundina, la candidate du Parti des travailleurs (PT), suscite une

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 107

tentative de mise en œuvre de politiques publiques inspirées par un


référentiel d’inclusion sociale, qui se heurte rapidement aux pesanteurs
bureaucratiques. Les organismes de crédits rechignent à envisager une
politique de logement populaire par l’accession à la propriété à des taux
zéro.
Et le nouveau maire rencontre des difficultés à s’approprier les deux
agences bureaucratiques créées dans les années 1970 au sein du
Secrétariat au logement de la ville de São Paulo. La première, la
Compagnie pour le logement (COHAB), servait d’intermédiaire entre la
mairie et les entreprises de travaux publics, pour des projets de construc-
tion de vastes ensembles de logements sociaux de piètre qualité situés
en lointaine banlieue, qui faisaient la fortune du secteur du bâtiment,
comme de nombreux hommes politiques, dans les années 1970-1980.
Erundina choisit de mettre un terme à ce genre de pratique clientéliste.
La deuxième, la Superintendance d’habitat populaire (HABI), est créée
dans les années 1970, au sein du Secrétariat à la sécurité sociale, pour
aider les habitants des favelas (favelados) expulsés à trouver une solu-
tion de relogement. Structure plus souple, elle s’oriente dans les années
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1980 vers une fonction d’amélioration du cadre de vie dans les favelas
et, en 1986, l’HABI est transférée au Secrétariat au logement. Sitôt élue
en 1988, Erundina s’inscrit résolument dans cette approche sociale des
questions de logement et choisit d’utiliser cette agence, au sein de
laquelle elle a d’ailleurs travaillé dans les années 1980.
Toutefois, l’hostilité des agences bureaucratiques contraint
Erundina à les contourner et elle fait reposer le succès de ses pro-
grammes sur la mobilisation d’un réseau d’experts. Ainsi, dans le
cadre du programme d’assistance juridique pour les habitants d’im-
meubles de locations insalubres (cortiços), l’HABI signe des
conventions avec une quarantaine d’ONG. Près de 230 000 personnes
bénéficient de cette assistance bénévole d’avocats, universitaires, syn-
dicalistes ou membres de communautés ecclésiales, tous proches du
PT, et qui militaient de longue date pour la réforme urbaine. Ce réseau
forme une authentique communauté de politique publique, ou une
coalition de cause (advocacy coalition), composée d’acteurs engagés
et mobilisés, qui sont les garants de la cohérence et de l’efficacité de
la politique publique en matière de logement. D’une certaine façon,
cette communauté se substitue aussi à l’appareil partisan du PT, hos-
tile à Erundina, pour lui fournir un appui politique et un gisement
d’expertise.
Le retour au pouvoir de la droite populiste à la mairie de São Paulo
entre 1998 et 2002 permet de réactiver les politiques clientélistes et
donc de consolider davantage encore les enclaves autoritaires.

perspectives latino-americaines 2 on
108 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

L’exemple de la politique de la jeunesse est aussi riche d’enseigne-


ments.
En dépit de pressions favorables à la réforme du Code des mineurs,
afin d’aligner la législation brésilienne sur la Déclaration universelle
des droits de l’enfance de 1959, le régime militaire de 1964 met en
place une politique de « bien-être » des jeunes qui a cependant du mal
à cacher sa logique répressive. Une Fondation nationale du bien-être
des mineurs (FUNABEM) et des fondations équivalentes dans chaque
État sont créées, censées analyser, prévenir les causes de la délinquance
et planifier des solutions, mais qui ne se départissent guère d’un rôle
punitif. À São Paulo, est créée en 1973 une Fondation de promotion
sociale du mineur, qui devient en 1976 Fondation pour le bien-être des
mineurs (FEBEM), placée sous le contrôle de l’État.
En 1979, la dictature promulgue un nouveau code des mineurs, qui
officialise le rôle de la FUNABEM et consolide la doctrine de la situa-
tion irrégulière.
Comme l’avance Antonio Carlos Costa, la logique répressive a pour
effet, à cette époque, de déclencher un cercle vicieux de répression et
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exclusion. Un jeune contrôlé dans la rue peut faire l’objet d’une
enquête sur ses conditions de vie familiale, ce qui peut mettre en
marche un engrenage de nature à le conduire à l’enfermement.
Auparavant, il sera labellisé, étiqueté, enfermé symboliquement dans
une catégorie administrative humiliante (enfant des rues, nécessiteux,
en danger, etc.), qui permettra à la justice de l’enlever de sa famille,
voire de l’interner dans une institution qui, au final, a pour fonction
paradoxale de tenter de le resocialiser [Gomes Costa, 1994].
La logique répressive du Code des mineurs de 1979 suscite bien des
protestations, dans le cadre de l’intense mobilisation sociale qui pré-
cède et accompagne le retour à la démocratie, et qui porte sur des
thèmes apparemment « apolitiques », liés à la vie quotidienne, comme
le coût de la vie ou les gardes d’enfants, mais aussi le respect des droits
de l’homme. La protection des mineurs y figure en bonne place, ce qui
rend justice au rôle actif joué par les femmes et les jeunes dans cette
mobilisation.
Une fois le départ des militaires acquis, la préparation de la nouvelle
constitution est l’occasion d’une très large mobilisation dans le pays. Le
texte adopté en 1988 consacre trois articles aux enfants et adolescents
qui, pour la première fois dans l’histoire du pays, deviennent des sujets
de droit.

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 109

Chapitre VII
DE LA FAMILLE, DE L’ENFANT, DE L’ADOLESCENT
ET DES PERSONNES ÂGÉES

Art. 227. Il est du devoir de la famille, de la société et de l’État d’assurer à


l’enfant et à l’adolescent, en priorité absolue, le droit à la vie, la santé,
l’alimentation, l’éducation, aux loisirs, à la formation professionnelle, la
culture, la dignité, au respect, à la liberté et la coexistence familiale et
communautaire ; ils doivent également les défendre contre toute forme de
négligence, discrimination, exploitation, violence, cruauté et oppression […].
Art. 228. Les personnes de moins de 18 ans sont irresponsables pénalement
et soumises à une législation spéciale.

L’enfance et l’adolescence dans la Constitution fédérale de 1988.


Source : Constitução da República federativa do Brasil, 5 octobre 1988.

Les secteurs mobilisés ne s’estimant guère satisfaits par ces


dispositions constitutionnelles, poursuivent la lutte pour obtenir une
loi-cadre qui reprenne leurs revendications. Et il faut reconnaître à cette
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mobilisation une remarquable efficacité, car avec la promulgation le 13
juillet 1990 de la loi 8069 définissant un Statut de l’enfance et de
l’adolescence (ECA), le Brésil se dote d’un instrument juridique des
plus novateurs.
D’un référentiel de contrôle social, le pays bascule vers un référen-
tiel de protection intégrale. L’ECA considère les enfants et les
adolescents comme des « personnes en condition particulière de déve-
loppement », une phase de la vie qui requiert des droits particuliers.
L’ECA reconnaît ainsi des droits sociaux à l’ensemble des mineurs
(éducation, santé, environnement familial et communautaire, loi-
sir, etc.), et fait un cas à part des enfants et adolescents en situation de
risque, due à leurs comportements personnels ou à des défaillances des
familles, de la société ou de l’État. Pour ces derniers, le Statut pose le
principe de la garantie des droits, là où les codes des mineurs antérieurs
prévoyaient la privation de ceux-ci, et énumère une série d’interven-
tions possibles allant de l’aide temporaire, au placement en famille de
substitution ou au régime d’internement provisoire20.
La nouvelle politique, dans la logique de la démocratisation du
pays, se veut décentralisée. Elle octroie aux municipalités la responsa-
bilité de l’attention aux mineurs et prévoit la création de conseils
municipaux de défense des droits des enfants et adolescents, composés
à parité de représentants de l’État et de la société civile, et de conseils

20. Article 101 de l’ECA.

perspectives latino-americaines 2 on
110 AUTORITARISMES DÉMOCRATIQUES, DÉMOCRATIES AUTORITAIRES

de tutelle, pour arbitrer les cas avérés de violations des droits. Des
juges pour enfants et jeunes viennent compléter le dispositif.
Le nouveau dispositif de politique publique ne fait pourtant pas
table rase du passé. Les instruments prévus par la Constitution et l’ECA
doivent cohabiter avec ceux créés par les militaires, notamment les
FEBEM, qui sont préservés par les États alors que la FUNABEM est
supprimée au plan fédéral. Et les FEBEM continuent, en démocratie, de
se caractériser par un mode de fonctionnement inspiré par le référentiel
répressif hérité du régime autoritaire21. Et plus d’une décennie après
l’introduction du nouveau dispositif, la politique de protection de la
jeunesse n’est toujours pas pleinement en vigueur.
Au vrai, la « survivance » du référentiel répressif en régime démocra-
tique n’est pas uniquement redevable d’une résilience institutionnelle.
Les années 1980 et 1990 ont aussi été le témoin d’une croissance expo-
nentielle de la misère urbaine, de la violence, du trafic de drogue, du
chômage et du sida, qui a redonné vie à une représentation de la jeunesse
en termes de problème social. Et l’on pourrait aussi ajouter que le traite-
ment de la jeunesse et de l’insécurité dans une ville comme São Paulo fait
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l’objet d’une action publique multiforme, où interviennent tant la coopé-
ration internationale, que les ONG ou le secteur privé, chacun mettant
l’accent sur une approche propre de la problématique.
Il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre d’une politique
publique est bien contrainte au Brésil par la consolidation d’agences
bureaucratiques et de référentiels hérités de la période militaire et qui
constituent autant d’enclaves autoritaires.

CONCLUSION

Les enclaves autoritaires en régime démocratique apparaissent, au


vu des développements qui précèdent, très diversifiées. Aux modes
opératoires de certains dirigeants politiques qui n’ont pas évolué en
dépit des transitions vers la démocratie, s’ajoutent des traits de culture
politique et des caractéristiques du policy making, pour conformer un
entrelacs singulièrement rétif à toute simplification.
Sans doute le cas du Brésil est-il particulièrement complexe, en raison
de la taille du pays et des caractéristiques de son fédéralisme, mais il n’y
a aucune raison de penser qu’il constitue une exception.

21. Voir les deux rapports d’Amnesty International : No one here sleeps safely. Human
rights violations against detainees [AMR 19/09/99] et A waste of lives. FEBEM juvenile
detention centres, São Paulo. A human right crisis, not a public security issue [AMR
19/014/2000].

perspectives latino-americaines 2 on
ENCLAVES AUTORITAIRES EN DÉMOCRATIE 111

On aura à l’inverse tendance à considérer que les enclaves


autoritaires relèvent de la normalité, qu’elles constituent des héritages
consolidés, et qu’elles incitent à déconstruire les notions de régime
« purs » et de changements politiques radicaux.
La réflexion sur les enclaves autoritaires en démocratie vient ainsi
enrichir celles sur la qualité de la démocratie qui, le plus souvent, sont
dépourvues de toute profondeur historique. En associant la qualité de la
démocratie à l’exercice de droits [O’Donnelle, Vargas, Iazzetta, 2004],
ou en mettant l’accent sur le vote, la sensibilité des Assemblées aux
préférences des citoyens, la reddition de comptes et la souveraineté des
pays [Levine, Molina, 2007], une attention insuffisante est portée aux
héritages du passé. Les enclaves autoritaires en démocratie invitent en
somme à introduire du néo-institutionnalisme sociologique et histo-
rique dans les études sur la qualité de la démocratie.

BIBLIOGRAPHIE
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